Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Peuples autochtones
Fascicule 6 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 24 avril 1997
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones, à qui a été confié l'étude du projet de loi C-39, Loi concernant l'accord de règlement de la Première nation de York Factory sur des questions découlant d'une convention sur la submersion de terres, et du projet de loi C-40, Loi concernant l'accord de règlement de la Première nation de Nelson House sur des questions découlant d'une convention sur des submersions de terres, se réunit aujourd'hui à 19 h 24 pour examiner ces deux projets de loi.
Le sénateur Landon Pearson (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Il y a quorum. Je vous remercie d'avoir bien voulu attendre aussi longtemps.
Les sénateurs Johnson et Taylor ont expliqué de façon très complète ces projets de loi au Sénat cet après-midi. Néanmoins, vous souhaitez peut-être faire des commentaires préliminaires aux fins du compte rendu.
M. Terry Henderson, directeur général, Direction générale de la mise en oeuvre des ententes relatives aux revendications, Revendications et autonomie gouvernementale, Affaires indiennes et du Nord Canada: Madame la présidente, comme le savent sans doute déjà les membres du comité, les projets de loi C-39 et C-40 visent à faciliter la mise en oeuvre de certaines dispositions des accords des règlements des Premières nations de York Factory et de Nelson House qui ont été signés à la fin de 1995 et au début de 1996, respectivement. Ces accords de règlement touchent tous les aspects de l'application de la convention de 1977 sur l'inondation des terres du nord du Manitoba aux Premières nations de York Factory et de Nelson House et permet aux quatre parties de mieux se conformer à leurs obligations respectives sous le régime de la Convention sur l'inondation des terres du Nord.
Précisons que les projets de loi C-39 et C-40 ne visent pas la mise en oeuvre de ces accords de règlement. Ces accords sont déjà en oeuvre puisqu'ils ont été signés par toutes les parties en 1995 et en 1996. Les accords de règlement sont déjà pleinement en vigueur, tout comme l'est un autre accord de règlement semblable signé en 1992 avec la Première nation Crie de Split Lake.
Une fois adoptés, les deux projets de loi garantiront que les dispositions des accords peuvent avoir les effets voulus. Les projets de loi visent plus particulièrement quatre dispositions. Premièrement, les sommes versées sous le régime des accords ne seront pas considérées comme des deniers des Indiens conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens, mais seront plutôt administrées comme un fonds fiduciaire, au nom des membres de la Première nation, conformément à certaines dispositions de l'accord et de l'acte de fiducie. Deuxièmement, certaines terres concédées aux Premières nations seront traitées comme des terres en fief simple plutôt que comme des réserves, selon les dispositions de la Loi sur les Indiens. Troisièmement, les réclamations présentées sous le régime de la Convention sur l'inondation des terres du Nord seront traitées conformément aux dispositions des accords de règlement. Quatrièmement, le gouvernement du Canada peut se prévaloir de la Loi sur l'arbitrage du Manitoba pour régler les différends entre les parties, lorsque ces différends sont soumis à l'arbitrage.
Ces projets de loi visent expressément les Premières nations de York Factory et de Nelson House. Ils seront sans effet sur toute autre nation, que ce soit au Manitoba ou ailleurs au pays. Leur rédaction est à peu près identique à celle d'un projet de loi semblable visant la Première nation Crie de Split Lake, projet de loi qui a été proclamé en décembre 1994 sous le titre de Loi concernant la Première nation Crie de Split Lake relativement à la submersion de terres.
Les trois accords de règlement qui ont été signés avec trois des cinq Premières nations touchées par l'inondation de terres dans le nord sont déjà appliqués, et deux autres accords, visant les deux autres Premières nations, sont en cours de négociation.
Le sénateur Watt: Vous dites qu'il ne s'agit pas de terres de réserve. Je suppose que les terres de réserve ont été touchées par l'inondation. Peut-on supposer que ces terres ont été inondées?
Mme Sandy Jackson, gestionnaire, Revendications, Manitoba, Affaires indiennes et du Nord Canada: Des terres ont été inondées par suite de l'aménagement d'un projet hydroélectrique dans toutes les localités touchées par la Convention sur l'inondation des terres du Nord.
Le sénateur Watt: S'agissait-il de terres de réserve?
Mme Jackson: Oui. D'après ces accords, la province a consenti à fournir aux Premières nations des terres en fief simple en plus des autres terres données en compensation qui seront désignées terres de réserves. Ce dont il s'agit ici, ce sont de parcelles de terrains en fief simple.
Le sénateur Watt: Cela n'a donc aucune incidence sur l'étendue des terres de réserve?
M. C. Kenningham Marchant, conseiller juridique, Affaires indiennes et Nord Canada: Le territoire de réserve qui a été submergé reste territoire de réserve. La situation va être régularisée, et Hydro-Manitoba obtiendra une servitude assortie de droits définis et limités. Pour chaque acre de terre qui a été submergée, les bandes obtiendront maintenant 20 acres de nouvelles terres de réserve. Voilà l'essentiel de l'indemnisation. Mais le projet de loi ne traite pas de ces nouvelles terres de réserve, ce qui fait essentiellement l'objet de l'entente. La nouvelle législation porte sur l'octroi d'une parcelle de terre en fief simple, à la Première nation de York Factory et à celle de Nelson House.
Dans le cas de York Factory, il s'agit d'une parcelle choisie par la Première nation dans la ville de Churchill. C'est assez loin de la réserve. Pour la Première nation de Nelson House, il s'agit d'une parcelle sur laquelle se trouve une station-service et un restaurant, et qui pourrait devenir soit terre de réserve ou être simplement détenue en fief simple. La Première nation aura le choix. Mais l'indemnisation principale porte sur l'octroi de centaines de milliers d'acres de terres.
Le sénateur Andreychuk: Tous les projets de loi qui nous sont soumis font l'objet d'un examen préalable au ministère de la Justice où l'on s'assure de la conformité avec la Charte des droits. Est-ce que cela a déjà été fait pour ces deux projets de loi? L'agrément du ministère est indispensable.
M. Marchant: Je ne suis pas autorisé par le ministère de la Justice à délivrer cette attestation de conformité. Les deux projets de loi ont été rédigés au ministère, et sont passés par les voies normales. Je suppose donc que cela a été fait. Les deux projets de loi ont été rédigés en même temps. Ce n'est d'ailleurs pas moi qui m'en suis occupé. J'ai agi comme conseiller au moment de la rédaction des ententes, mais les projets de loi ont suivi le cours normal des choses, c'est-à-dire qu'un rédacteur juridique les a acheminés par la voie normale.
Le sénateur Andreychuk: Peut-être y a-t-il eu alors une omission. Nous voulons en général être assurés que les projets de loi sont conformes à la Charte, et notamment lorsqu'il s'agit de nouveaux territoires. Je comprends parfaitement que d'autres lois ont précédé celles-ci, mais je pense que nous devrions avoir l'agrément en question.
Y aurait-il eu, au dernier moment, une contestation quelconque? De toute évidence, il y a eu des discussions et des négociations, et les bandes normalement ont dû donner leur accord au règlement final.
Mais êtes-vous certain que les bandes ont effectivement normalement participé à l'ensemble de la procédure, et qu'elles sont d'accord avec les ententes conclues?
M. Henderson: Mme Jackson va pouvoir vous parler de la consultation, de la négociation et de la procédure de ratification qui a été suivie.
Mme Jackson: Dans toutes les négociations portant sur ces accords de mise en oeuvre, nous demandons à la Première nation de procéder à une consultation de sa population de façon permanente, et pendant toute la procédure de négociation. Nous demandons aussi, et cela fait partie de l'accord, qu'il y ait un rapport sur la consultation de la population, dans lequel sont consignées toutes les activités qui se sont déroulées au niveau communautaire.
Ensuite on passe à un vote de ratification. Et pour que les membres de la bande puissent voter en connaissance de cause, il est important qu'il y ait eu une procédure de consultations préalable. D'après les rapports, et parce que nous avons eu des discussions sur le terrain avec la population, nous pouvons affirmer qu'il y a eu consultation sur place. C'est-à-dire que les membres des Premières nations ont été très bien informés sur le contenu de ces accords de mise en oeuvre, et ils ont pu également faire entendre leur voix à la table de négociation.
Le sénateur Andreychuk: Y a-t-il eu des représentants de York Factory ou de Nelson House qui se seraient déclarés mécontents, et qui se seraient opposés à ces mesures?
Mme Jackson: Il y a toujours des mécontents, mais les votes de ratification donnaient une majorité écrasante aux partisans de l'accord.
Le sénateur Andreychuk: Je voulais d'abord savoir si les bandes avaient une procédure consacrée pour ce genre de choses. Vous qui agissiez au nom du ministère des Affaires indiennes et du Nord, vous avez eu la conviction que les Premières nations en question ne se sont pas éloignées de l'application de leur propre réglementation, et vous avez donc tout lieu de croire que cet accord a été accepté conformément aux pratiques, procédures et statuts de la bande?
M. Henderson: Je dirais que oui.
Le sénateur Andreychuk: Nous avons besoin que ce soit consigné au compte rendu.
La procédure a été très longue. Cela fera-t-il précédent pour ces bandes et toute autre situation d'expropriation et cetera, ou s'agit-il simplement du règlement d'une situation bien particulière en relation avec le projet d'Hydro-Manitoba? Ces bandes, ou toutes autres bandes, pourraient-elles invoquer le précédent?
M. Marchant: Ces accords concernent uniquement les Premières nations visées ici et sont sans effet sur aucune tierce partie. Mais bien sûr, lorsque d'autres accords verront le jour, ceux-ci seront examinés par les intéressés.
Il s'agit ici d'un projet hydroélectrique dont la construction est en partie terminée, dans le nord du Manitoba, et auquel on pourrait ajouter par la suite d'autres barrages et ouvrages de régulation. Les deux ententes, et l'entente avec les Cris de Split Lake, prévoient des servitudes de submersion, qui préciseront le niveau d'inondation autorisé. Ces ententes portent sur l'ensemble du projet, en incluant tout développement futur, dans la mesure où les niveaux de submersion sont respectés. On peut dire donc qu'il s'agit d'un règlement final par entente.
Cependant, si des ouvrages ultérieurs exigeaient une révision de l'entente, les responsables devraient la renégocier avec les Premières nations et le Canada.
Le sénateur Andreychuk: Si je comprends bien, les Premières nations concernées savaient donc, au moment de la ratification, que l'entente s'appliquerait obligatoirement aux ouvrages futurs du projet hydroélectrique.
M. Marchant: Oui. Pour les deux cas qui vous sont soumis, les Premières nations ont été conseillées de façon tout à fait impartiale, non seulement par des experts juridiques mais également des spécialistes en hydrologie. Il y a une partie de l'entente qui traite non seulement des ouvrages futurs, mais également des limites de submersion qui sont imposées à Hydro-Manitoba, au-delà desquelles la société devra verser une indemnisation supplémentaire. Tout le détail est prévu dans les ententes.
Le sénateur Andreychuk: Et si le gouvernement du Manitoba ou le gouvernement fédéral, par voie de conséquence, voulait modifier un aspect important de ce projet, il faudrait renégocier, n'est-ce pas?
M. Marchant: Oui, c'est une obligation d'Hydro-Manitoba et non pas du gouvernement fédéral. Dans les deux accords il y a un article qui porte précisément sur les ouvrages futurs, imposant à Hydro-Manitoba l'obligation d'avertir la Première nation aussi tôt que possible, de la consulter, de lui fournir les moyens de faire procéder à l'expertise requise, de négocier une indemnisation, et au besoin d'aller en arbitrage, d'entrer en relation avec le gouvernement du Canada et de demander le consentement de la Première nation si une nouvelle servitude ou une modification des servitudes est nécessaire, et cetera. Tout est prévu, il y a une procédure bien définie.
Le sénateur Andreychuk: Je comprends, et j'ai d'ailleurs lu toute la documentation; mais je m'inquiète, car parfois certains projets changent en cours de route. Aux yeux de certains c'est un changement radical, alors que d'autres peuvent penser que ça n'est qu'un prolongement du même projet.
Il pourrait y avoir litige si le projet d'Hydro-Manitoba est modifié de façon si importante que l'accord se trouve réduit à néant, ce qui créerait une situation tout à fait nouvelle.
M. Marchant: Je pense qu'au moment des négociations on a cherché à traiter directement de cette question de la façon suivante: tout ouvrage futur est défini comme quelque chose qui aurait des conséquences importantes et non négligeables sur la Première nation ou sur ses ressources. Si les Premières nations estiment que le nouvel ouvrage a des conséquences graves, et que Hydro-Manitoba n'est pas d'accord, une procédure d'arbitrage est prévue pour résoudre le différend. On se retrouverait donc dans le cadre de l'accord passé. Il s'agirait en effet d'un litige déjà prévu par l'accord, qui serait traité conformément à celui-ci, c'est-à-dire d'abord par la consultation, et en cas d'échec par l'arbitrage.
Le sénateur Andreychuk: Et si en arbitrage il est décidé que l'on se trouve dans une situation complètement différente de ce qui avait été prévu à l'origine, toute la question serait alors reposée?
M. Marchant: Oui, mais je pense que l'on contraindrait Hydro-Manitoba à consulter et à verser une indemnisation. S'il le fallait, les Premières nations pourraient demander une injonction au tribunal pour empêcher Hydro-Manitoba d'aller plus loin, car il y a une disposition dans chacun des accords selon laquelle Hydro-Manitoba ne démarrera pas la construction d'un nouveau barrage avant que des indemnisations soient prévues, et au besoin de nouvelles ou de meilleures dispositions concernant les servitudes.
Autour de la table de négociations il est apparu clairement à tous qu'une injonction pouvait être demandée contre l'Hydro, si l'entreprise ne respectait pas les accords.
Le sénateur Andreychuk: Cela faisait partie de vos négociations et discussions?
M. Marchant: Oui.
Le sénateur Watt: Pour revenir à ce que le sénateur Andreychuk évoque, y a-t-il une disposition de caducité, c'est-à-dire d'extinction des droits des peuples autochtones en échange de cet accord?
Mme Jackson: Non.
Le sénateur Watt: La disposition d'extinction des droits des autochtones ne s'applique pas?
Mme Jackson: Non. Il n'en est pas question.
Le sénateur Johnson: Avons-nous d'autres exemples dans la province de terres des Premières nations qui ont été submergées?
Mme Jackson: Nous avons deux autres négociations en cours avec les nations de Norway House et de Cross Lake. Cinq Premières nations étaient concernées par la signature de la convention sur l'inondation des terres dans le Nord. Nous avons maintenant des ententes de mise en oeuvre avec trois d'entre elles, et deux négociations sont encore en cours.
Le sénateur Johnson: Quand est-ce que ce sera fini?
Mme Jackson: Avec la Première nation de Norway House le document est fin prêt, nous attendons la ratification par la population. C'est donc à elle de jouer, puisque c'est elle qui demande à la population de se prononcer.
Nous sommes toujours en négociations avec la Première nation de Cross Lake. Nous espérons avoir terminé au mois de septembre de cette année.
La présidente: Pouvez-vous m'expliquer la notion de fief simple.
M. Marchant: Le fief simple est la forme normale du titre de propriété dans les juridictions de common law. Si vous êtes propriétaire d'une maison ou d'une terre, c'est sans doute sous cette forme. En l'occurrence c'est distinct d'une terre de réserve, laquelle est détenue par la Couronne du chef du Canada, à l'usage et au profit de la Première nation concernée.
Une parcelle de terrain en fief simple, serait une terre dont les Indiens seraient propriétaires par l'entremise de la bande ou de la Première nation constituée en société, et c'est de cette façon que la terre serait traitée.
Le sénateur Milne: Ils en seraient alors simplement propriétaires?
M. Marchant: Oui. Et la terre est assujettie à l'impôt, selon la législation provinciale etc. C'est une propriété foncière normale.
La présidente: Merci. Voilà qui a été très utile.
Le sénateur Milne: Je propose que nous passions outre l'étude article par article, et que nous fassions rapport du projet de loi C-39 sans amendement.
La présidente: D'accord?
Des voix: D'accord.
Le sénateur Milne: Je propose que nous fassions rapport du projet de loi C-40 sans amendement.
La présidente: D'accord?
Des voix: D'accord.
La présidente: Merci beaucoup.
M. Henderson: Je vous en prie.
Le sénateur Andreychuk: Avant l'ajournement, j'aimerais faire une petite mise au point pour le compte rendu de séance. J'aimerais revenir aux déclarations du sénateur Taylor au Sénat. Sauf s'il y a eu des réunions dont je n'ai pas été tenue au courant, je suis d'accord avec ce qu'a dit la présidente, à savoir que nous n'avons jamais discuté du contenu des projets de loi. Nous avons parlé de procédure et d'un plan d'action. J'aimerais que cela soit porté à l'attention du sénateur Taylor.
L'atmosphère de travail a toujours été cordiale à ce comité, et assez détendue. Lorsque nous disons que nous avons lu les documents, nous parlons en notre nom seul.
Il y a eu toute une série de déclarations malheureuses qui ont été faites, visant notamment ce comité, lequel par ailleurs a longtemps lutté pour avoir sa place parmi les autres comités. J'aimerais que le sénateur Taylor soit avisé de notre façon de procéder, pour que le nom du sénateur Anderson ne soit pas cité au Sénat, alors qu'il faudrait citer celui du sénateur Andreychuk.
La présidente: Votre présidente agira en conséquence.
Le sénateur Andreychuk: Je vous appuierai.
La séance est levée.