Délibérations du sous-comité de la
Forêt
boréale
du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 4 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 10 avril 1997
Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 10 h 27 pour poursuivre son étude de l'état actuel et de l'avenir de la foresterie au Canada relativement à la forêt boréale.
Le sénateur Doris M. Anderson (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Avant de souhaiter la bienvenue à notre invité de ce matin, je veux rappeler aux membres du sous-comité que nous avons plusieurs questions à discuter à la fin de la séance.
Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui Mme Peggy Smith, de l'Association nationale de foresterie autochtone.
Vous avez la parole.
Mme Peggy Smith, conseillère principale, Association nationale de foresterie autochtone: Merci, madame la présidente. L'Association nationale de foresterie autochtone est heureuse d'avoir l'occasion de discuter de la question des peuples autochtones et de la forêt boréale canadienne avec le sous-comité sénatorial.
Je m'intéresse personnellement à cette question parce que je viens de la forêt boréale. J'ai grandi dans le nord-ouest de l'Ontario, et j'ai passé ma petite enfance dans des camps forestiers où mon père conduisait un bulldozer. Il a travaillé pour des compagnies de pâtes et papiers jusqu'à sa mort. Nous vivions la vie d'une ville mono-industrielle: une famille métisse dont le père passait la semaine dans un camp forestier et revenait à la maison le vendredi soir pour le week-end.
J'ai pris plus tard la décision de retourner à l'école et d'étudier la foresterie pour renouer avec mes racines. Je veux surtout comprendre ce qui est arrivé à la forêt boréale à cause de nos méthodes d'exploitation forestière. C'est ce qui m'inspire dans mon travail.
Le sous-comité a entendu des représentants du Service canadien des forêts, de Ressources naturelles Canada et du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien lui parler des perspectives gouvernementales concernant les peuples autochtones et la foresterie. La perspective de l'Association nationale de foresterie autochtone est celle d'une organisation non gouvernementale, apolitique, formée après le premier symposium national sur la foresterie autochtone, qui s'est tenu à Vancouver en 1989. À cette occasion, les délégués autochtones ont reconnu le besoin d'établir une organisation nationale qui serait chargée de faire reconnaître les droits et le rôle des Autochtones dans le secteur forestier.
L'ANFA a ouvert un bureau à Ottawa en 1991, et depuis lors nous avons mené sur cinq fronts l'étude de la question du rôle des Autochtones. Nous avons annexé à notre rapport des documents pertinents que vous pourrez étudier plus tard. Notre Stratégie forestière autochtone, qui est l'un de ces documents, décrit les cinq secteurs où nous avons fait porter nos efforts.
Le premier traite de l'adoption d'une loi sur les ressources et les territoires forestiers qui pourrait remplacer la Loi sur les Indiens, permettre aux Premières nations de contrôler les activités forestières sur les terres des réserves et établir un cadre en prévision de la conclusion d'accords de cogestion à l'extérieur des réserves.
Nous avons développé des instruments d'aménagement des forêts pour les Premières nations en vue de les aider dans leurs activités forestières. L'ANFA vous a remis une copie de son Guide de gestion des territoires forestiers autochtones: Une approche communautaire, que vous pourrez aussi examiner plus tard.
Nous avons travaillé dans le domaine de l'éducation et de la formation afin d'accroître le nombre et la compétence des Autochtones dans le secteur des forêts.
Nous avons soutenu le développement commercial en vue d'accroître la capacité des compagnies autochtones d'établir des entreprises axées sur les ressources forestières, et, enfin, l'ANFA s'est efforcée particulièrement d'élaborer une politique et de revendiquer un cadre pour la participation des Autochtones au secteur des forêts.
Ces six dernières années, l'association a essayé de sensibiliser les collectivités autochtones, les gouvernements fédéral et provinciaux et l'industrie forestière aux questions forestières autochtones et de créer des politiques susceptibles d'accroître le rôle des Autochtones. Nous avons aussi annexé à nos mémoires au sous-comité notre mémoire de 1994 au comité permanent des ressources naturelles, qui examine la question de la coupe à blanc. Une bonne partie de l'exposé que nous avons fait à ce comité concerne celui-ci.
Grâce surtout au Conseil canadien des ministres des Forêts, composé des ministres fédéral et provinciaux des Forêts, les initiatives stratégiques constatent que la reconnaissance et la protection des droits ancestraux et issus des traités et la participation des Autochtones au secteur des forêts sont des éléments essentiels de l'aménagement durable des forêts. Ces initiatives stratégiques sont exposées en détail dans notre document, événements et faits marquants de 1992-1995, et mentionnent brièvement la Stratégie nationale sur les forêts, qui, dans l'orientation stratégique no 7, s'engage à développer une stratégie forestière autochtone, à reconnaître les droits ancestraux et issus des traités dans le développement d'une politique d'aménagement des forêts, à augmenter les débouchés pour les collectivités autochtones dans le secteur des forêts et à promouvoir des programmes d'éducation et de formation visant à accroître la participation des Autochtones aux programmes forestiers et à modifier ces programmes en vue d'y inclure les valeurs des Autochtones pour ce qui est des forêts.
Nous avons aussi établi avec le Conseil canadien des ministres des Forêts des critères et indicateurs pour l'aménagement durable des forêts, dont le critère no 6, Accepter la responsabilité de la société en matière de développement durable, le critère no 6,1, la Protection et la reconnaissance des droits ancestraux, et le critère no 6,2, le Rôle des collectivités autochtones. Par suite de l'adoption de ces critères et indicateurs, les gouvernements fédéral et provinciaux se sont engagés à vérifier s'ils respectent ou non ces engagements et font du Canada sur la scène internationale un chef de file dans ce domaine.
Peu à peu, ces initiatives stratégiques nationales ont fait sentir leur influence sur les provinces, dont certaines ont apporté des changements restreints pour tenir compte de ces engagements. Par exemple, la Colombie-Britannique a maintenant une politique de protection des droits ancestraux qui protège ces droits contre tout empiétement injustifié de la part de la Couronne ou de détenteurs de permis de la Couronne qui exercent des activités d'aménagement des forêts.
Il y a aussi le Programme de forêt modèle nationale, qui entre dans sa deuxième phase et qui verra dans le courant de l'année l'établissement d'une forêt modèle autochtone.
Parallèlement à ces initiatives stratégiques on s'oriente de plus en plus vers la certification commerciale volontaire des produits et systèmes d'aménagement durable des forêts. L'ANFA s'est associée à l'Association canadienne de normalisation et au Forest Stewardship Council pour rédiger un document examinant les conséquences éventuelles de la certification pour les collectivités autochtones, document que nous vous avons aussi remis. La CSA et le FSC reconnaissent les droits ancestraux et issus des traités et le rôle des peuples autochtones dans la gestion des forêts. Le groupe de travail du FSC au Canada commence à établir des normes pour les écorégions. L'établissement de normes pour la forêt boréale au Canada va permettre d'attirer l'attention sur cet important écosystème.
Je tire une sonnette d'alarme. La certification dissimule aussi une menace en cette ère où les gouvernements perdent ou abandonnent leurs responsabilités pour ce qui est de réglementer l'aménagement des forêts dans l'intérêt public. Nous devons faire très attention aux systèmes privés, volontaires, commerciaux. Ils ne peuvent pas remplacer la réglementation gouvernementale.
Le problème de toute politique, c'est que pour être efficace elle doit être appliquée, et nous sommes bien loin de régler le problème de l'exclusion séculaire des peuples autochtones du secteur des forêts, le seul où ils sont tout naturellement chez eux. Toutefois, ce secteur se caractérise toujours par le sous-emploi, le refus des permis et de l'accès aux ressources sur les terres de la Couronne, un processus de règlement des revendications territoriales particulièrement lent, et une insuffisance de fonds pour la foresterie sur les terres des réserves, un domaine particulièrement important parce que c'est là que beaucoup de Premières nations ont acquis leurs connaissances et leur capacité de planifier et d'assurer l'aménagement des forêts.
Le rythme lent des changements est attribuable à de nombreux facteurs, dont le partage des compétences entre les gouvernements fédéral et provinciaux, le gouvernement fédéral ayant la responsabilité constitutionnelle pour les «Indiens et les terres réservées aux Indiens», et les provinces ayant la responsabilité constitutionnelle pour les ressources naturelles.
Deuxièmement, il y a un manque de volonté nationale forte de régler les problèmes des peuples autochtones du Canada en matière d'aménagement des forêts, notamment en cette période de compressions fédérales des programmes. Les collectivités autochtones l'ont particulièrement ressenti en voyant les compressions imposées au Service canadien des forêts, pour qui il devient ainsi plus difficile d'assurer l'aménagement des forêts et de soutenir la recherche dans ce domaine.
Troisièmement, il y a les systèmes provinciaux de faire-valoir, de délivrance des permis et d'aménagement des forêts qui ignorent les revendications territoriales autochtones, l'utilisation traditionnelle des terres, et les droits issus de traités en matière de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette, tout en autorisant des entreprises à exploiter à long terme de grands territoires forestiers sans vraiment protéger ou garantir les valeurs des Autochtones ou leur accès à ces ressources.
Quatrièmement, il y a le refus des gouvernements fédéral et provinciaux de reconnaître le statut légitime des peuples autochtones comme partenaires égaux dans l'aménagement des forêts. Notre organisation continue de souligner que les peuples autochtones ne sont pas seulement un partenaire parmi d'autres dans les processus de planification de l'aménagement des forêts, mais que, parce qu'ils sont les premiers occupants de notre pays et qu'ils ont des droits qui ont été reconnus par des traités, ils ont un rôle spécial à jouer dans la planification de l'aménagement des forêts.
La forêt boréale est le plus grand écosystème au Canada et abrite plus de 500 collectivités autochtones qui dépendent de cette forêt pour vivre. C'est ce qui les définit comme peuple: les Cris, les Ojibwés, les Dénés, les Chippewayans, les Dogribs, les Slaves et les Naskapis. Pour réparer l'exclusion séculaire des peuples autochtones des territoires mêmes dont ils dépendent, il faudra une volonté nationale forte et l'engagement provincial de travailler de concert avec les peuples autochtones. Le cadre est en place. Ce qu'il faut maintenant, c'est passer à l'action.
La Commission royale sur les peuples autochtones a défini les mesures à prendre dans le rapport final qu'elle a publié cette année. Nous avons annexé à votre intention les parties du rapport qui portent sur le secteur des forêts. Nous vous prions d'en examiner les recommandations et de bien en tenir compte dans vos délibérations sur la forêt boréale.
Le sénateur Spivak: Les mesures que vous prenez m'encouragent. Je ne connaissais pas votre organisation et je suis très heureuse d'apprendre qu'elle existe.
Savez-vous ce qui se passe sur le terrain? Est-il vrai qu'un grand nombre de compagnies forestières se sont installées dans le nord du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta ces cinq ou dix dernières années?
Le sénateur Taylor: Il y en a entre cinq et dix.
Le sénateur Spivak: Il me semble, pour en avoir discuté avec elles, qu'elles tiennent compte des revendications territoriales autochtones en paroles, mais uniquement en paroles. Au Manitoba, on dirait presque qu'elles n'existent pas, car il n'y a rien sur la carte. Pourtant, les nations situées au nord de The Pas ont des cartes très détaillées de leurs utilisations traditionnelles des terres.
C'est là le mode le plus brutal de développement des ressources, et il ignore l'application des lois du Canada, les droits issus des traités et les revendications territoriales. Suis-je trop pessimiste?
Mme Smith: Non. Cela est attribuable surtout au partage des compétences, quoique je ne veuille pas ici excuser les gouvernements fédéral ou provinciaux.
Au cours des cinq dernières années, les tribunaux ont examiné la question des droits ancestraux, notamment depuis l'adoption de la nouvelle Loi constitutionnelle, qui consacre ces droits. Il y a eu un certain nombre d'affaires judiciaires où on a défini et affirmé la responsabilité pour ce qui est de leur protection. Ces décisions des tribunaux commencent peu à peu à influencer les provinces, mais celles-ci ont toujours tendance à dire que les questions autochtones sont de compétence fédérale. Par contre, le gouvernement fédéral a tendance à dire que les ressources naturelles, l'accès des Autochtones à ces ressources et la protection des droits sont de compétence provinciale, et qu'il n'y peut rien.
L'ANFA dit, par l'intermédiaire du Conseil canadien des ministres des Forêts, que nous devons commencer à mettre cela en pratique. Il s'agit d'un effort commun. Il faut que les gouvernements fédéral et provinciaux cessent de se renvoyer constamment la balle. Les peuples autochtones doivent participer au règlement de ces problèmes.
Le sénateur Taylor: Étiez-vous là quand le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a comparu devant nous?
Mme Smith: J'ai lu leur exposé.
Le sénateur Taylor: Vous auriez dû être là quand je leur ai posé une question à ce sujet; elle a été suivie d'un silence de mort et d'un aveu d'ignorance totale.
Mme Smith: Il n'y a aucune ignorance. La Constitution et la Loi sur les Indiens précisent que le gouvernement fédéral a la responsabilité pour les terres indiennes. «Terres indiennes» signifie les réserves où on a parqué les peuples autochtones. D'aucuns les comparent à des camps de concentration ou à de quasi-camps de concentration. Ces réserves ont coupé les peuples autochtones de leurs terres et territoires traditionnels. La plupart sont trop petites pour permettre tout développement économique. Elles sont trop petites en tout cas pour toute exploitation forestière. Résultat -- et le ministère des Affaires indiennes a été bien franc à ce sujet -- les forêts situées sur ces réserves se sont sérieusement dégradées, et probablement plus qu'ailleurs, parce qu'elles ont été pressurées.
À moins d'un engagement et d'un effort communs des provinces et du gouvernement fédéral en vue de régler ces questions, rien ne va changer.
Le sénateur Spivak: Il y avait des droits ancestraux préexistants, et il ne s'agit pas seulement d'une question de réserves. Il y a même des obligations fiduciaires qui ont été transférées aux provinces et qui n'ont jamais été remplies. Pour parler plus précisément, il n'y a pratiquement pas de territoires qui n'ont pas été concédés aux compagnies forestières. Dans bien des cas, on dit aux Autochtones de s'adresser aux compagnies forestières pour se trouver du travail.
Vous semblez croire que si nous coopérons quelque chose va arriver. Quel genre de mesures correctives les tribunaux décident-ils? Je sais que les Indiens Lubicons, par exemple, sont actuellement devant les tribunaux, mais je crois savoir qu'ils coupent du bois sur les terres contestées.
Mme Smith: L'injonction contre Daishowa-Marubeni est toujours en vigueur sur le territoire lubicon.
Le sénateur Spivak: Ils ne coupent pas de bois sur les terres contestées?
Le sénateur Taylor: Ça va pour les terres contestées. Ils n'y entrent pas. Ils coupent du bois sur des terres traditionnelles où ils chassaient. Il y a toujours trois aspects. Il y a la réserve, il y a les terres contestées et il y a les terres traditionnelles.
Le sénateur Spivak: Qu'est-ce que les Lubicons réclament alors? Ils réclament une certaine partie du territoire. Ne réclament-ils pas leurs terres traditionnelles?
Le sénateur Taylor: Ils prétendent que leurs droits issus des traités sont détruits.
Le sénateur Spivak: Ils veulent tout avoir, et entre-temps ils coupent du bois.
Le sénateur Taylor: Ils veulent la cogestion.
Mme Smith: C'est juste. Je veux aussi vous dire que les Indiens eux-mêmes n'ont pas une position unique pour ce qui est de l'aménagement des forêts.
Le sénateur Spivak: Je sais.
Mme Smith: Certaines collectivités autochtones veulent garder l'industrie forestière telle quelle. Il y a toujours des problèmes, mais elles participent aux systèmes d'aménagement des forêts. Quelques Premières nations ont réussi à obtenir des permis provinciaux, mais très peu. Vous pouvez les compter sur les doigts d'une seule main. Elles ont obtenu des permis provinciaux et fournissent du bois aux scieries. Elles font maintenant partie de ce système industriel.
D'autres collectivités autochtones dépendent encore beaucoup de leurs territoires et poursuivent des activités traditionnelles comme la chasse, la pêche et le piégeage, et elles veulent protéger ce mode de vie.
Les Cris du Nord du Québec veulent préserver leur mode de vie traditionnel et veulent donc amener les compagnies forestières installées sur leur territoire à changer leur façon de faire. Ils mènent actuellement une campagne en ce sens, mais ils rencontrent de la résistance, notamment de la part du gouvernement provincial et des compagnies forestières, quoique les choses aient commencé à changer. C'est une situation complexe.
Le sénateur Spivak: Savez-vous ce que la Convention de la Baie James dit sur ce que les Cris peuvent faire face aux compagnies forestières? Comment a-t-on réglé cette question?
Mme Smith: La foresterie ne figurait pas précisément dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois parce que l'entente visait le développement hydroélectrique, et il n'y avait aucune exploitation forestière dans la région quand elle a été signée. D'aucuns pensaient qu'il ne devait jamais y en avoir parce que la région était trop au nord.
Dans mon esprit il y a deux forêts boréales. Il y a la forêt boréale qui a été exploitée et il y a le nouveau territoire, le Nord québécois. Dans ma région du pays, c'est au nord du 50e parallèle, le territoire de la nation Nishnawbe-Aski. Il est situé dans le nord du Manitoba, de la Saskatchewan, de l'Alberta, et il s'étend même maintenant au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest. C'est une preuve éloquente que le développement industriel grimpe de plus en plus vers le Nord.
C'est une question particulièrement importante pour nous parce que dans cette région très au nord beaucoup de ces collectivités autochtones comptent toujours sur leurs territoires pour leur subsistance. C'est le moment où jamais de modifier les méthodes d'exploitation forestière pour que nous puissions garder notre mode de vie traditionnel tout en profitant du développement économique. Je ne crois pas que les deux soient nécessairement incompatibles.
Le sénateur Taylor: Vous avez mentionné le Yukon, qui a pris beaucoup de retard par rapport à d'autres provinces. Il a conclu une entente idéale avec les Premières nations. La connaissez-vous?
Mme Smith: Oui.
Le sénateur Taylor: Est-elle aussi idéale qu'on le dit?
Mme Smith: Non. Les Premières nations du Yukon ont plus de pouvoir parce que leurs revendications ont été réglées. Ce règlement leur a accordé certains droits et responsabilités en matière d'aménagement des ressources, mais les droits sont limités aux compétences fédérales et provinciales, ce qui les limite jusqu'à un certain point. Ils ont des conseils des ressources renouvelables. Ils essaient de conclure un accord tripartite pour développer des plans d'aménagement des forêts.
Les Premières nations et les gouvernements fédéral et territorial travaillent dans des conditions très difficiles. Ils n'ont pas d'inventaire forestier, pas d'experts forestiers sur le territoire, pas de plans d'utilisation des terres ni de plans d'aménagement des forêts.
Le sénateur Spivak: Cela ne les empêche-t-il pas de couper tout ce qui pousse?
Mme Smith: Non. Ils ont vu récemment le spectre du développement industriel parce que beaucoup de compagnies forestières de la Colombie-Britannique ont commencé à venir s'approvisionner dans le Nord. Les droits de coupe étaient alors de 10 cents le mètre cube.
Le sénateur Taylor: La même chose qu'en Alberta.
Mme Smith: Ils ont dû subir ce changement majeur et essayer de faire face à l'évolution du développement forestier au Yukon. Il en va de même dans les Territoires du Nord-Ouest.
Le sénateur Spivak: Il y a plusieurs questions ici. L'une concerne les compagnies forestières et la capacité des peuples autochtones de conserver leur mode traditionnel d'utilisation des terres. La deuxième concerne les revendications territoriales. Où sont les droits, et qu'est-ce qui arrive? La troisième question, c'est la destruction de la forêt, la conservation ou le développement durable et la méthode écologique.
Mme Smith: Vous oubliez le développement économique.
Le sénateur Spivak: Je n'oublie pas le développement économique.
Mme Smith: C'est une question cruciale aussi pour les Premières nations.
Le sénateur Spivak: Je sais, mais cela fait partie du développement durable. C'est dans la troisième partie. Il n'y a aucune différence entre le développement économique et le développement durable, parce que si vous ruinez complètement la ressource, elle n'est plus renouvelable, et il n'y a pas de développement économique. C'est ce qui va arriver dans 10 ou 15 ans si le rythme actuel de développement continue.
Le sénateur Taylor: Votre rapport est très bien fait. Vous devriez l'envoyer à tous les quotidiens au Canada. Je crois que vous constateriez que la préservation des forêts reçoit beaucoup d'appui. Ce pourrait être une lettre au rédacteur en chef ou un article. Le public vous appuie, mais ne comprend pas vraiment ce qui se passe. De fait, quand nous les avons entendus l'autre jour, les représentants du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien semblaient croire que la terre s'était arrêtée de tourner à cause des revendications territoriales. Le public doit prendre conscience de la partie qui se joue entre les gouvernements fédéral et provinciaux aux dépens du projet d'autonomie gouvernementale, ce qui représente pour vous une grande ressource économique.
L'ANFA considère-t-elle qu'il s'agit là d'une question de biodiversité? Vous avez mentionné le développement économique. Votre organisation s'occupe-t-elle de piégeage, de spiritualité et d'environnement? Vous considérez la forêt comme un écosystème global, tandis que la plupart des associations forestières veulent couper des arbres et reboiser.
Mme Smith: Je voudrais vous renvoyer à notre guide de gestion des forêts autochtones. Les Premières nations se servent de ce guide comme d'un outil pour aménager leurs forêts. Nous avons adopter une méthode holistique, y compris la récolte du bois et la régénération, méthode qui repose sur l'aménagement de l'écosystème. Nous nous préoccupons de la protection des forêts et de toutes les valeurs forestières, notamment les produits forestiers autres que le bois, le poisson et la faune, et les activités sportives. Nous avons essayé de le faire dans une optique communautaire pour que le processus ne soit pas l'affaire d'un seul groupe d'intérêts, ce qui a été le gros problème de la foresterie au Canada par le passé. Des groupes d'intérêts isolés, surtout l'industrie, contrôlent le processus.
Le sénateur Taylor: La présidente et moi-même avons été surpris d'entendre les gens du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien dire qu'ils ne connaissaient aucun trappeur autochtone qui avait été dédommagé pour la destruction de son territoire de piégeage.
Mme Smith: Les Cris du Nord du Québec sont inquiets parce que l'industrie dédommage leurs trappeurs pour la destruction de leur territoire de piégeage. Cette situation les préoccupe parce que cela signifie que l'industrie n'a pas à traiter avec les Cris en tant qu'organisation politique et n'a pas à négocier des normes et des lignes directrices concernant ses méthodes d'exploitation forestière. Elle communique directement avec chaque trappeur et lui offre de lui acheter une nouvelle motoneige ou un camion pour pouvoir ensuite couper des arbres sur son territoire de piégeage. Ce n'est pas la bonne méthode.
Le sénateur Taylor: Aux États-Unis, on appelle cela acheter des droits de pollution.
Vous avez parlé des dangers de la certification. J'aurais cru que c'était une bonne chose, parce qu'approuver une exploitation forestière écologique ferait une grosse différence, notamment en Europe. Pouvez-vous nous expliquer vos craintes à ce sujet?
Mme Smith: La certification est une bonne chose si elle fonctionne conjointement avec la réglementation gouvernementale. Si elle remplace la réglementation gouvernementale, cela nous pose un problème, parce que nous ne pouvons plus réglementer et surveiller l'industrie forestière.
Ce n'est pas le cas à l'heure actuelle au Canada. Certaines provinces confient toute la gestion forestière à l'industrie. L'Ontario le fait, par exemple.
D'aucuns croient que c'est une bonne chose. La compétence constitutionnelle du gouvernement provincial vise les ressources naturelles et l'aménagement des forêts, et c'est ainsi qu'il doit protéger l'intérêt public. S'il renonce à son pouvoir de réglementation pour le confier à l'industrie, nous perdons tout contrôle en tant que province ou en tant que pays, et cela m'inquiète beaucoup.
Le sénateur Spivak: Est-ce que cela vous inquiète parce qu'il s'agit de relations publiques et qu'il n'y aura aucune vérification?
Mme Smith: Les systèmes mis en place sont relativement sûrs, car ils prévoient des vérifications impartiales faites par des tiers, mais je ne leur fais pas confiance aveuglément. Pour avoir confiance dans les choses, je dois aller sur le terrain et voir ce qui s'y passe.
Les communautés autochtones ont un rôle à jouer pour réglementer et contrôler ce qui se passe là-bas. Les gens sont toujours sur leur territoire et peuvent voir ce qui s'y passe. Leur rôle d'intendant, de chien de garde et de contrôleur environnemental est important. Mais cela n'existe pas encore. Peut-être que certains de ces nouveaux systèmes le permettront.
La certification pose toutes sortes de problèmes, et la crédibilité est l'un d'entre eux. Sans crédibilité, ces sceaux perdront rapidement toute valeur sur le marché. Les gens ne paieront plus davantage pour ce genre de produits, qui deviendront inutiles. Le système a intérêt à voir à ce que cela marche, autrement il va tomber à l'eau. Les relations publiques continuent, certification ou non. Elles jouent un rôle important dans la foresterie.
Le sénateur Spivak: C'est vrai. J'ai vu comment cela se produit. Quand vous citez quelque chose qui ressemble à un document authentique ou officiel, les gens commencent à y croire. Se lever et dire quelque chose est une chose, appuyer ses arguments sur un document en est une autre. Cela donne un air d'authenticité.
Je veux vous interroger sur la cogestion. Au Manitoba, les accords de cogestion ne fonctionnent vraiment pas, et en fait il ne s'agit pas de cogestion. Autrement dit, la compagnie décide, et les accords servent simplement à gérer l'impact de la coupe du bois, du développement hydroélectrique, de la construction de routes et des mines sur le gibier et le poisson, et la majorité des accords ne le font même pas.
Avez-vous des exemples d'accords de cogestion qui fonctionnent?
Mme Smith: Non. J'ai examiné dans mon mémoire de maîtrise des accords en matière de ressources naturelles signés avec des peuples autochtones au Canada. J'ai étudié la cogestion et essayé de définir des mots comme coentreprise, contrat, et cetera, pour voir s'ils allaient dans le sens des intérêts des Autochtones dans les domaines de la protection culturelle, du développement économique, de la reconnaissance des droits, et, ce qui est le plus important, de la prise de décisions.
Ma définition de la cogestion, c'est 50-50. D'autres la définissent comme une gestion coopérative, ce qui peut varier entre un simple rôle consultatif et certaines prises de décisions pouvant atteindre le niveau des 50-50.
Le problème, c'est que si les gouvernements provinciaux ne reconnaissent pas les droits ancestraux, les droits issus des traités et les revendications territoriales, la cogestion ne repose sur aucune base. Les provinces doivent reconnaître les droits ancestraux dans des lois pour que ces choses puissent devenir effectives.
En Ontario, celui qui selon moi avait un certain potentiel, c'était le Wendaban Stewardship Authority signé avec le Temagami. Ils avaient formé un comité mixte à représentation égale. En cas de différend impossible à régler, ils avaient décidé de nommer un arbitre accepté par toutes les parties. Ils avaient un mécanisme de règlement des différends indépendant du ministère. Pour moi, c'était là une bonne forme de cogestion.
Le Wendaban Stewardship Authority a échoué à cause du manque d'appui provincial et aussi à cause de la dissension qui a surgi au sein de la collectivité, qui se demandait si c'était bien la bonne chose à faire.
Le sénateur Taylor: Avez-vous examiné l'accord de Meadow Lake en Saskatchewan?
Mme Smith: L'accord de Meadow Lake n'est pas un accord de cogestion. Ils ont un permis provincial. Il s'agit d'un accord visant la délivrance d'un permis d'aménagement forestier.
Le sénateur Taylor: S'agit-il de gestion coopérative?
Mme Smith: Non. Ils fonctionnent dans le cadre du système provincial de faire-valoir et de délivrance de permis. J'ai mentionné que quelques Premières nations détiennent des permis provinciaux, et Meadow Lake en est un.
Tanizul Timber, dans le nord de la Colombie-Britannique, en est un autre. Ils ont obtenu une concession de ferme forestière de la Colombie-Britannique. Tanizul est un cas intéressant parce qu'ils ont demandé au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien de donner une certaine légitimité à l'accord, ou de leur permettre de se servir de la concession, parce qu'ils utilisent en partie des terres des réserves et en partie des terres de la Couronne. Il y a donc eu un accord spécial. Il y a un article de la Loi sur les Indiens qui mentionne le permis Stuart Trembleur; il a donc fallu des négociations spéciales pour permettre tout cela.
Dans le nord de la Saskatchewan, la bande Peter Ballantyne essaie de négocier un accord en vue d'obtenir un permis d'aménagement forestier. Quand les Premières nations font cela, elles acceptent les lignes directrices, les règlements et le cadre de planification de l'aménagement forestier de la province. Ce qu'il faut souligner au sujet de la forêt modèle autochtone, c'est qu'elle peut donner aux Premières nations l'occasion de trouver une façon différente de travailler ensemble. Même si elles n'ont pas de permis et de responsabilité en matière d'aménagement forestier, le fait d'avoir l'appui du gouvernement et des fonds leur permettant de faire différents travaux peut leur donner la liberté de commencer à explorer une façon différente de faire les choses.
Nous devons en faire plus. Le problème, actuellement, c'est que le système de faire-valoir et de délivrance de permis exclut toute forme d'expérimentation ou de recherche d'autres façons de faire les choses. Ces permis d'aménagement à long terme de vastes territoires signifient que vous ne pouvez pas établir de forêts communautaires. L'approvisionnement en bois est fixé, et c'est tout. Vous en avez pour 25 ans, et si vous voulez négocier, vous êtes obligé de le faire avec la compagnie. Il s'agit d'une responsabilité provinciale.
En Ontario, quand il était au pouvoir, le NPD a créé un projet pilote de quatre forêts communautaires en vue d'en arriver à un autre genre de système de faire-valoir. Le programme a duré cinq ans, puis a disparu. La même chose s'est produite en Colombie-Britannique, où on a expérimenté différents genres de systèmes de faire-valoir. Ils ont ciblé quelques régions, puis ont attribué des permis d'exploitation de petites entreprises, et cetera, pour permettre à d'autres groupes que les grosses compagnies forestières d'avoir accès à la coupe du bois.
La présidente: Que pensez-vous de la modification facultative de l'application de la Loi sur les Indiens dont est saisie actuellement la Chambre des communes?
Mme Smith: Je préfère ne pas en parler. Notre organisation en a discuté, et je vais vous résumer le travail qu'elle a accompli.
L'ANFA a rédigé une loi susceptible de remplacer la Loi sur les Indiens, loi qui donnerait aux Premières nations davantage de contrôle sur l'aménagement des forêts. Nous avons négocié avec le gouvernement fédéral jusqu'à un certain point, et il en est ressorti que les Premières nations doivent défendre elles-mêmes l'idée de ce genre de loi.
Je ne veux pas parler de la modification facultative parce qu'il s'agit d'une question politique, et l'Assemblée des premières nations et les organisations politiques autochtones provinciales ont toutes protesté avec force contre le fait d'avoir été exclues du processus. Il n'y a pas eu de véritables consultations, et pour cette raison ce projet appartient à la scène politique, et va y rester quant à moi.
Le sénateur Taylor: Est-il vrai que le ministère fédéral des Affaires indiennes et du Nord canadien a donné 600 000 $ aux bandes de la Saskatchewan qui fonctionnent selon le mode de ce qu'ils appellent la cogestion?
Vous avez dit que l'un de vos problèmes, ce sont les fonds consacrés au soutien du développement commercial. N'y a-t-il pas une section du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien qui essaie de vous financer? J'imagine qu'il y a d'autres régions qui n'obtiennent pas nécessairement ce que la Saskatchewan a obtenu.
Mme Smith: Ces fonds prévus pour la cogestion faisaient partie des négociations du ministre sur l'autonomie gouvernementale. Sa méthode, c'était de financer des activités dans différents secteurs dans différentes régions du pays. La Saskatchewan a été choisie. Selon le ministre, différents projets pilotes sont en cours dans différentes régions du pays pour appuyer le projet d'autonomie gouvernementale. C'est ainsi que les choses se sont passées. Il s'agit d'une somme unique prévue pour une période de temps limitée.
Le problème que pose le financement de la foresterie dans les collectivités autochtones, c'est que la seule chose que dit la Loi sur les Indiens, c'est que le ministre doit délivrer des permis de coupe du bois pour toute récolte qui a lieu sur les terres des réserves. C'est la seule fois que la Loi sur les Indiens mentionne la foresterie sur les terres des réserves. Le ministre doit délivrer des permis.
Ce système s'est effondré au fil des ans. Les permis ne sont plus délivrés qu'en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan. Dans la plupart des régions du pays, la coupe du bois sur les terres des réserves n'a pas été réglementée pendant une longue période, ce qui a entraîné la dégradation des forêts des réserves.
Le sénateur Taylor: Je me souviens de celle de Calgary.
Mme Smith: Oui, la réserve de Stoney. Ce cas est l'une des raisons pour lesquelles le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien appuie notre organisation. Il a travaillé avec le Service canadien des forêts et créé ce nouveau programme de foresterie des Premières nations. Il continue donc à fournir des fonds qui étaient habituellement prévus dans les accords de transfert fédéraux-provinciaux visant la foresterie sur les terres indiennes. Le montant a diminué. Le programme expirera dans cinq ans, et on dit qu'il n'y en aura plus. Vous devez être autosuffisant en matière de foresterie. Il n'y aura plus d'argent après cette période. On ne considère pas cela comme une obligation fiduciaire. L'ANFA soutient le contraire.
Leur obligation, c'est de gérer les ressources forestières au nom des Premières nations et à leur profit, et cela signifie davantage que simplement autoriser la coupe du bois. Cela signifie tenir compte de toutes les valeurs et faire des plans d'aménagement qui reflètent les meilleures pratiques de la foresterie. Beaucoup de choses devraient se faire.
Ils continuent à jouer le jeu parce qu'ils savent qu'il y a une chance que leur obligation fiduciaire soit définie de cette façon. Les Indiens Stoney les poursuivent pour ne pas avoir rempli leur obligation fiduciaire en matière de foresterie sur leurs terres des réserves.
Le sénateur Spivak: Nous n'avons pas eu la possibilité de réaliser notre développement économique. Le Canada a choisi de confier le développement de ses importantes ressources naturelles à des sociétés étrangères qui en ont profité pour lancer de gigantesques entreprises. On considère que cette situation est économiquement avantageuse pour le Canada, de même que pour les sociétés. Je ne sais pas si quelqu'un a fait une analyse coûts-avantages pour voir si c'est bien le cas. Je soupçonne que ce ne l'est probablement pas, car je sais que l'une des entreprises situées au Manitoba apporte peu d'avantages économiques aux contribuables manitobains.
Dans le nord du Manitoba, il y avait de petites compagnies forestières locales qu'on aurait pu fractionner, et le nombre d'emplois aurait été le même, mais on n'a pas choisi de le faire. Cela pourrait-il être une bonne méthode de développement économique?
Les peuples autochtones ou même les collectivités locales ne pourraient pas bâtir le genre de gigantesques opérations forestières qui existent actuellement. Qu'en pensez-vous? Est-ce ainsi que vous envisagez le développement économique au sens très large, si nous pouvions tenir compte de la loi au Canada au lieu de l'ignorer?
Mme Smith: C'est ce que je pense. D'après ce que je comprends de l'histoire de notre industrie forestière, si vous voulez voir quels sont les effets du libre-échange, vous regardez ce qui est arrivé à notre industrie forestière. On extrait la ressource à grande échelle tout en exportant massivement le produit et le capital vers les pays à qui appartiennent les entreprises, et les emplois suivent.
La question de savoir si nous sommes des scieurs de bois et des porteurs d'eau fait l'objet d'un débat depuis les débuts de la Confédération. La Commission Kennedy a examiné ce problème en 1916. Le Canada en a discuté en tant que pays. Les provinces en discutent encore régulièrement.
J'ai présidé un groupe de travail du ministère du Développement du Nord et des Mines dans le Nord de l'Ontario en 1992 qui avait pour mandat d'examiner la question de la valeur ajoutée dans le secteur forestier et quelles y étaient les perspectives de développement. L'industrie est devenue tellement concentrée et tellement énorme, et nous en sommes tellement dépendants, qu'il faudra une action très déterminée et très concertée de la part des gouvernements fédéral et provinciaux pour changer cette situation. Mais je ne crois pas que la volonté politique de le faire existe.
Le sénateur Spivak: Il y a par ailleurs une volonté politique d'inviter le plus de sociétés étrangères possible à couper le plus d'arbres possible. Croyez-vous que c'est là un bon objectif de développement économique? Est-ce là ce que vous proposez: moins de permis, peut-être des façons différentes de couper le bois pour les peuples autochtones, et la possibilité de faire avancer cela dans le cas des terres contestées? Il doit y avoir des endroits où les terres peuvent supporter la coupe du bois.
Comment envisageriez-vous le développement économique des collectivités autochtones si elles n'étaient pas autant dominées par ces gigantesques compagnies forestières?
Mme Smith: C'est l'une des causes que nous défendons. Nous sommes justement en train d'examiner la question de la valeur ajoutée pour les Premières nations. Nous croyons que les gens devraient penser au marché à valeur ajoutée, et particulièrement que les Premières nations devraient songer à intégrer des aspects culturels et spirituels au développement de produits.
Par exemple, il y a un Autochtone à Winnipeg qui fabrique des cercueils pour la collectivité autochtone et qui se débrouille bien. Il le fait tout simplement. Il orne les cercueils de rubans à quatre couleurs, et cetera.
Nous pourrions peut-être incorporer des dessins autochtones aux meubles et développer ainsi un créneau sur le marché. Nous pourrions peut-être aussi intégrer des sculptures et des dessins à la structure des maisons en bois rond. Il existe une foule d'idées.
De la façon dont le développement économique est structuré, la majorité des Autochtones dans l'industrie ont été des bûcherons, ceux qui coupent les arbres et les transportent jusqu'à la scierie. Oui, vous devez avoir des terres, vous devez avoir un permis et un système de faire-valoir. Vous devez être capable de financer une scierie, parce que l'équipement coûte cher dans les scieries à valeur ajoutée.
Le sénateur Spivak: Les gouvernements provinciaux donnent toutes sortes de fonds à des sociétés étrangères pour financer des scieries, et dans bien des cas ces prêts ne sont jamais remboursés.
Le sénateur Taylor: Ils ne le sont pas en Alberta. Vous savez, c'est un prêt de 250 millions de dollars accordé à un Albertain, qui a peut-être été un conservateur pendant 22 ans, qui n'a pas été remboursé. La japonaise Mitsubishi n'a pas remboursé sa dette sous prétexte que la scierie n'est pas rentable. Voyez-vous, ils font leur propre comptabilité.
Je suis membre du comité sénatorial des peuples autochtones. J'y ai déclaré que la question des droits ancestraux s'en va à vau-l'eau parce que le gouvernement fédéral invoque la Loi de 1930 sur le transfert des ressources comme excuse pour en finir avec la foresterie.
Pourtant, j'ai une perspective différente de la vôtre. Après tout, les tribunaux ont décidé que les droits de chasse s'étendent bien au-delà des terres des réserves, qu'ils s'étendent à toute la province et à toutes les saisons de l'année. Je suis sûr que l'habitat où la chasse se pratique doit être le même.
Je vous invite à présenter un exposé au comité des peuples autochtones dans cette optique.
Mme Smith: Puis-je demander aux membres du comité ce qu'ils peuvent faire pour apporter des changements?
Le sénateur Spivak: Cela dépend des circonstances. Nous avons bien sûr les moyens de communiquer. Nous pouvons introduire une loi, même si nous ne pouvons pas introduire de lois qui impliquent une taxe ou du financement.
La première chose que nous voulons établir, c'est ce qui se passe réellement. C'est plus difficile à faire dans certaines situations que dans d'autres. C'est là la limite de nos pouvoirs.
Le sénateur Taylor: Quand nous avons entrepris cette étude, nous ne pensions pas tellement aux peuples autochtones. Ce n'est qu'après avoir visité le nord du Manitoba et de la Saskatchewan que nous avons pris conscience de ce que vous dites au sujet de la forêt en tant que biodiversité. Nous étions préoccupés par le fait que le développement de la forêt négligeait l'aspect biodiversité, et voilà maintenant que nous parlons de coupe du bois. Nous découvrons aussi qu'il y a une composante autochtone.
Le Sénat peut présenter une loi. Nous pouvons imposer un droit, ce qui diffère subtilement d'une taxe.
De même, il y a habituellement au Sénat un équilibre assez stable entre le parti au pouvoir et celui qui ne l'est pas parce que le changement se fait très lentement au fil des ans. Particulièrement parce que la représentation y est fonction de la géographie plutôt que de la population, les droits des minorités sont importants pour le Sénat, et s'il y a une minorité au Canada, c'est bien les Premières nations.
Je vous encourage à adapter un peu ce rapport et à le présenter aussi au comité des peuples autochtones. Cela ne fera pas de mal si nous l'abordons sous les deux angles. Je crois que vous avez un problème que la majeure partie de la société ne connaît pas encore. Vous occupez dans ce cas-ci une position extraordinairement avantageuse, parce que nous sommes actuellement en train de discuter de modifications à la Constitution et d'autonomie gouvernementale. Cinq cents des six cents bandes au Canada vivent dans des régions boisées. J'y vois un lien très étroit. Vous devriez semer maintenant.
Le sénateur Spivak: C'est une bonne idée. Il ne s'agit pas seulement de droits, mais de toute une culture qui peut être détruite, et qui est en voie de l'être de plus d'une façon.
Quel aspect de cette question la commission royale a-t-elle examiné?
Mme Smith: Elle a tout examiné.
Le sénateur Spivak: Pour ce qui est de la foresterie, a-t-elle tenu compte du fait que les droits ancestraux sont totalement ignorés?
Mme Smith: Oui. Elle a examiné surtout la question de l'accès.
Le sénateur Spivak: A-t-elle examiné aussi la question des droits et de la propriété?
Mme Smith: Oui. Le cahier que j'ai fourni contient cette section.
Le sénateur Spivak: Le sénateur Taylor dit que les gens ne savent pas cela. C'est probablement vrai. Du moins ils n'en connaissent pas les détails.
À un moment donné avant l'Accord de Charlottetown, ou peut-être que c'était avant l'Accord du lac Meech, les Canadiens étaient tout à fait bien disposés envers la reconnaissance des droits ancestraux et de l'autonomie gouvernementale. Ce sentiment a toutefois disparu. Il est étrange de voir comme les modes sont éphémères.
La véritable solution à ce problème, ce sont les tribunaux qui la détiennent, les tribunaux qui peuvent sanctionner la transgression de la loi. La loi existe, mais elle n'est pas appliquée parce qu'aucun gouvernement ne veut le faire.
Qu'en pensez-vous? D'après votre déclaration vous semblez préférer les processus consultatifs ou coopératifs. Je sais que cela est nécessaire, mais croyez-vous qu'en fin de compte ce sera efficace, ou est-ce que ce sera l'affaire des tribunaux?
Mme Smith: Le changement passe par une multitude de processus, et celui-ci en est un. Il y en a d'autres: les tribunaux, l'action directe, l'autonomie gouvernementale et les Autochtones qui décident tout simplement d'instaurer leurs propres systèmes. Les changements s'effectuent d'une multitude de façons.
Le sénateur Spivak: Si vous vivez assez longtemps pour le voir.
Mme Smith: Le changement fait toujours partie de notre vie, peu importe notre âge.
La présidente: Je vous remercie beaucoup pour votre exposé très intéressant et très instructif, madame Smith.
La séance est levée.