Délibérations du sous-comité des Communications
du comité sénatorial permanent des
Transports et des
communications
Fascicule 4 - Témoignages du 11 décembre
OTTAWA, le mercredi 4 décembre 1996
Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 15 h 30, pour étudier la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des télécommunications.
Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Chers collègues, nous avons le privilège d'avoir avec nous des représentants de Call-Net Enterprises Inc. Je vous rappelle que le sous-comité a été créé par le Sénat du Canada pour répondre à la question suivante: Comment le Canada pourra-t-il demeurer à la fine pointe des communications dans les années 2000? Nous savons que c'est une question complexe qui évolue rapidement. Nous entendons l'examiner sous quatre angles: du point de vue technologique, du point de vue du contenu culturel, du point de vue des ressources humaines -- actuelles et futures, la relève que nous formons pour demain -- et du point de vue commercial.
Je vous invite à prendre la parole et à nous présenter votre exposé.
M. Juri Koor, président et directeur général, Call-Net Enterprises Inc.: Nous sommes heureux d'avoir l'occasion d'examiner avec vous la question de la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications. Ce faisant, nous voudrions également vous dire un mot de la façon dont se présente la concurrence sur le marché canadien, car ce qui s'y passe a des incidences directes sur notre position internationale concurrentielle.
La concurrence dans l'industrie des communications est une réalité encore toute nouvelle au Canada. Elle est apparue dans le secteur des appels interurbains il y a seulement quatre ans. Elle se manifestera, d'ici deux ou trois ans, dans quelques nouveaux secteurs des communications sans fil, par exemple dans ceux des services de téléphones mobiles sans fil et des services de téléphones fixes sans fil à large bande. Malheureusement, le Canada n'évolue pas au rythme des tendances qui se font jour aux États-Unis et en Europe. Vous avez donc raison de vous inquiéter de la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications. Je crois que nous traînons de l'arrière et que nous en payons le prix sur les plans de notre croissance économique, de la création d'emplois et de nos possibilités d'exportation. Permettez-moi de vous en donner un exemple frappant: chez Call-Net, nous estimons que le départ des centres de données qui ont quitté notre pays pour aller s'établir dans le contexte plus concurrentiel des États-Unis a fait perdre au Canada des milliers d'emplois, quelque 700 millions de dollars en salaires et de 3 à 4 milliards de dollars d'apport économique et de revenus fiscaux correspondants.
Ce sont là des chiffres alarmants qui montrent à l'évidence que le Canada a besoin d'une politique cohérente et avant-gardiste qui favorise la concurrence sur le marché intérieur et qui tienne compte du contexte mondial.
Nous devons nous donner une politique des communications qui nous permette d'exploiter notre indéniable capacité naturelle de franchir les distances grâce à l'innovation technologique. Nous avons besoin d'une politique des communications assez perspicace et prévoyante pour nous permettre d'adopter une vision prospective et de nous mettre résolument à l'heure des énormes changements technologiques qui apparaissent dans d'autres régions du monde. Il nous faut une politique des communications qui nous permette d'être quelques enjambées en avance sur ce qui se fait en Europe et aux États-Unis. Plutôt que d'être cinq ou six ans en retard, nous devrions être un an ou deux en avance. Nous avons besoin d'une politique des communications qui encourage la compétitivité et l'esprit d'entreprise sur notre propre marché et qui favorise l'exportation du savoir-faire, des produits et des services canadiens.
Naturellement, tout cela se traduirait par des emplois au Canada. Une politique des communications fournirait en outre aux législateurs fédéraux un instrument précieux sur lequel ils pourraient s'appuyer pour prendre des décisions, et aux investisseurs, un cadre leur facilitant l'examen des possibilités de cette industrie.
Évidemment, nous n'entendons pas décrire ici en détail ce que devrait être une telle politique. Ce que nous voudrions faire, c'est en examiner trois aspects qui cadrent bien avec le mandat de votre comité: d'abord, la nécessité d'implanter une infrastructure concurrentielle des communications -- installations tant physiques qu'intellectuelles, matériel informatique aussi bien que logiciels -- deuxièmement, l'importance que les alliances mondiales revêtent pour la croissance de l'économie canadienne, notamment de l'industrie des communications, et, troisièmement, la nécessité d'avoir accès à d'énormes capitaux.
Parlons d'abord de l'infrastructure. L'infrastructure actuelle des communications au Canada est inadéquate. Il faut la développer bien davantage. D'abord, les obstacles à l'entrée sur tous les marchés doivent être supprimés de manière à pouvoir offrir aux Canadiens une multiplicité de choix, car la possibilité de choisir entre une multitude de services et de fournisseurs en concurrence est un important catalyseur d'expansion économique.
Prenons le cas du marché de l'interurbain, qui a été ouvert à la libre concurrence en 1992. Call-Net a été le premier réseau à offrir un système de transmission par fibres optiques en concurrence avec le duopole que constituent les sociétés du groupe Stentor et Unitel. Nous sommes actuellement, dans le domaine des services complets d'interurbain, une des deux sociétés à faire face aux anciennes sociétés monopolistiques qui ont formé l'alliance Stentor. Elles ont encore le monopole dans le secteur des services téléphoniques de base. Il y a en outre deux autres fournisseurs nationaux dans le secteur de l'interurbain, mais ils n'offrent pas le service complet.
Notre réseau national de télécommunications est l'un des plus modernes, des plus fiables et des plus puissants au Canada. Il utilise nos quatre circuits de fibres optiques ainsi que des lignes de transmission louées. Nous avons en outre quatre centres de commutation numérique qui sont situés à Vancouver, Calgary, Toronto et Montréal, et deux centres de gestion du réseau, l'un à Toronto et l'autre à Vancouver, chacun pouvant assurer la gestion de l'ensemble du réseau. Nous maintenons également à Toronto un centre de services aux clients 24 heures sur 24, et nous avons 17 bureaux de vente et de service d'un océan à l'autre. Au total, plus de 1 500 personnes sont à l'emploi de notre société d'interurbains Sprint Canada.
Soit dit en passant, nous avons créé cette société à partir d'absolument rien. Presque tous nos employés ont été engagés ces trois ou quatre dernières années, en pleine période d'austérité et de redressement économique. Tous ces emplois sont bien payés et à temps plein, et nous n'avons pas fini d'en créer.
Notre expérience montre que la concurrence dans le secteur des interurbains a stimulé l'investissement de capitaux et la création d'emplois. Elle a également engendré d'autres importants avantages socioéconomiques. Par exemple, les tarifs de l'interurbain ont baissé de plus de 50 p. 100 au Canada ces quatre dernières années. Cela signifie que les Canadiens, qu'il s'agisse des sociétés, des travailleurs autonomes, des organismes sans but lucratif, des sociétés de bienfaisance, des gouvernements ou des consommateurs, ont, dans l'ensemble, économisé des milliards de dollars sur leurs comptes de téléphone.
La concurrence a amené les consommateurs à utiliser davantage l'interurbain, ce qui a favorisé l'apparition de nouveaux produits et services qui, à leur tour, ont stimulé la demande chez les consommateurs. En outre, la concurrence dans le secteur de l'interurbain a entraîné la création de nouvelles entreprises, notamment de centres d'appels qui facilitent aux petites entreprises la recherche de clients et qui aident les groupes artistiques en difficulté à trouver des fonds. Autrement dit, la concurrence dans le domaine de l'interurbain favorise le développement d'infrastructures de communications, et le sort des Canadiens s'en trouve amélioré.
Notre pays a besoin de plus de fournisseurs d'infrastructures. Il faut lever les obstacles à l'entrée des nouveaux venus afin que de jeunes entreprises comme Call-Net puissent demeurer au premier rang des agents de changement. Comme vous pouvez le constater, la notion d'infrastructures va bien au-delà du seul matériel de transmission de l'information. Elle englobe également des éléments intellectuels comme les logiciels. Par exemple, chez Call-Net, nous avons créé tous nos systèmes de logiciels et d'applications informatiques pour la facturation. Ce sont là des produits d'exportation idéaux.
D'ici quelques années, un grand nombre de nouveaux services feront leur apparition sur les marchés. Call-Net sera à même de trouver de nouvelles applications qu'elle offrira tant sur le marché intérieur que sur celui de l'exportation. Ces nouveaux services entraîneront une poussée de la demande d'installations de transmission et exigeront une plus grande capacité de largeur de bande. Nous prévoyons que c'est ce qui se produira dans le secteur des communications tant locales qu'interurbaines transmises sur lignes métalliques et, de plus en plus, sans fil.
Le Canada ne pouvant pas se permettre de pénurie dans ce secteur, il est essentiel que le gouvernement élabore une politique globale propre à encourager les nouvelles entreprises à ériger des installations dans tous les types de marchés au Canada. Cela s'impose particulièrement pour favoriser la création d'autres réseaux de communications locales grâce à la concurrence que se livreront les entreprises possédant ces installations. Toutefois, il semble bien que cela ne se fera malheureusement pas dans un proche avenir.
Comme vous le savez, le CRTC vient tout juste de terminer ses audiences sur la concurrence dans le domaine des communications locales. D'après les témoignages qui lui ont été soumis, tout laisse croire qu'il s'écoulera plusieurs années avant qu'une véritable concurrence fondée sur la propriété d'installations dans le secteur des services de communications locales puisse être rentabilisée. En fait, les sociétés du groupe Stentor ont eu 100 ans pour construire leur réseau public de téléphonie au Canada. La réglementation leur a permis de toucher d'énormes profits garantis sur leurs investissements monopolistiques. Autrement dit, c'est à grands frais pour la population canadienne qu'elles ont pu mettre sur pied leur service. Il serait difficile à de nouveaux arrivants d'ériger du jour au lendemain des équipements publics comparables aux leurs.
Entre-temps, comment le Canada peut-il se doter d'une infrastructure plus concurrentielle? Nous avons suggéré au CRTC l'instauration d'un cadre complémentaire de revente. Dans notre cas, chez Call-Net, cela supposerait que nous revendions des services groupés de sociétés de téléphone ou que nous louions des circuits de sociétés de téléphone qui offrent le service de base, en plus d'utiliser nos propres équipements de commutation et nos propres réseaux de communications locales. Cela s'apparenterait à la stratégie d'utilisation d'un réseau hybride que nous avons appliquée dans le marché de l'interurbain. Nous croyons qu'une telle stratégie de revente permettrait à tous les clients résidentiels, en milieu urbain comme rural, de profiter plus rapidement des retombées bénéfiques de la concurrence dans les services téléphoniques de base. D'ailleurs, et surtout, cette stratégie serait un catalyseur pour l'instauration dans l'ensemble du Canada de réseaux de communications locales transmises sur fil métallique aussi bien que sans fil.
Nous nous intéressons beaucoup aux infrastructures sans fil. Par exemple, nous détenons 19 p. 100 des actions de Microcell Telecommunications de Montréal. Microcell est l'une des deux sociétés qui ont obtenu l'an dernier un permis national de fourniture de SCP à l'aide de téléphones mobiles sans fil en concurrence avec les deux sociétés nationales de téléphonie cellulaire. «SCP» veut dire services de communications personnelles.
Microcell est à instaurer un réseau national de SCP et elle est la première société au Canada à offrir le nouveau service téléphonique SCP. Nous sommes fiers d'investir dans l'implantation de ce réseau et nous sommes impatients de voir le gouvernement adopter une politique qui favorisera la construction d'une grande variété d'autres infrastructures de communications.
Dans les années qui viennent, la politique gouvernementale devrait également favoriser l'avènement d'une concurrence efficace et vigoureuse dans tous les marchés. Le gouvernement ne devrait toutefois pas s'orienter vers la déréglementation prématurée des sociétés qui exercent actuellement des monopoles et qui dominent tout le terrain. Si je mentionne cela, c'est que le CRTC a récemment amorcé une étude visant à déterminer s'il devrait déréglementer les services interurbains offerts par les sociétés du groupe Stentor.
Nous sommes tous favorables à la déréglementation pourvu qu'une période suffisante soit accordée pour favoriser la venue de concurrents. Nous ne demandons rien de comparable aux 100 ans que les sociétés de téléphone ont pu passer à l'abri de la concurrence, mais il faut plusieurs années pour mettre sur pied une entreprise qui soit en mesure d'affronter les puissants monopoles omniprésents sur le marché.
Tous reconnaissent qu'une authentique concurrence dans le secteur des services téléphoniques de base profiterait aux Canadiens, mais, comme le montre l'expérience dans le secteur de l'interurbain, il est extrêmement difficile pour les nouveaux arrivants de prendre pied fermement. Il n'y a pas lieu de s'en étonner, car, après tout, les nouvelles sociétés dans le secteur de l'interurbain font face à d'importantes sociétés de téléphone intégrées verticalement qui détiennent au départ 100 p. 100 du marché des appels locaux.
Passons maintenant au deuxième élément d'une politique vigoureuse des communications, celui concernant les alliances mondiales. Nous sommes d'avis qu'une politique nationale des communications devrait prioritairement favoriser la participation des fournisseurs canadiens de services de communications à des alliances mondiales. Nous ne faisons que commencer à sentir l'impact de la mondialisation sur notre industrie des communications.
Examinons les trois principales alliances qui relient le Canada au reste du monde. D'abord, il y a l'alliance entre MCI et les sociétés du groupe Stentor. Le projet de fusion de MCI aux États-Unis et de British Telecom créera une société mondiale dont le chiffre d'affaires s'élèvera à 42 milliards de dollars. C'est plus que la plupart de nos économies provinciales. Les bénéficiaires de cette alliance seront les entreprises du groupe Stentor. Deuxièmement, nous avons l'alliance entre AT&T Canada et l'empire industriel mondial AT&T. Il va sans dire que notre principal rival dans le marché alternatif de l'interurbain profitera de cette alliance. Troisièmement, Call-Net a la chance d'être associée à l'une des plus importantes sociétés de communications au monde. Cette société a pour nom Global One et est la propriété conjointe de Sprint des États-Unis, de France Télécom et de Deutsche Telekom. Son association à Global One donne à Call-Net une immense crédibilité et la confiance de pouvoir aller de l'avant. Elle nous permettra de faire concurrence aux sociétés du groupe Stentor en offrant aux entreprises canadiennes un service de communications qui les reliera directement à tout le Canada, à toute l'Amérique du Nord et au monde entier.
D'ailleurs, Call-Net entend pénétrer le marché des services de communications internationales dès qu'il sera mis fin au monopole de Téléglobe. Nous sommes reconnaissants à Téléglobe d'avoir eu l'honnêteté d'affirmer devant votre comité il y a un mois qu'elle jugeait souhaitable qu'on mette fin à son monopole parce qu'il fait du tort à ses concurrents, aux Canadiens, voire à elle-même. C'est une demande étonnante, et nous pressons le comité et le gouvernement de prendre sans tarder les mesures qui s'imposent à cet égard.
Comme je l'ai signalé tout à l'heure, le Canada ne peut pas se permettre de traîner de l'arrière sur le marché mondial, et il n'y a pas lieu pour nous d'espérer profiter pleinement des possibilités du marché mondial si notre politique nationale des communications favorise des entreprises monopolistiques.
Je dois souligner qu'il y a d'importantes sociétés canadiennes de matériel de communications -- je pense, par exemple, à Northern Telecom et à Newbridge -- qui s'en sont très bien tirées sur les marchés mondiaux sans avoir été à la remorque du protectionnisme gouvernemental. Ces sociétés sont reconnues mondialement pour leur capacité innovatrice, ce qu'on ne peut pas dire de la plupart des monopoles.
Dans une large mesure, la capacité innovatrice du Canada, et, assurément, ses possibilités de créer des emplois reposent sur le dynamisme du secteur de la petite entreprise, et ce, dans tous les domaines. Pour pouvoir profiter au maximum des tendances qu'on peut observer actuellement dans les alliances mondiales, il nous faut une politique qui offre les mêmes stimulants à toute une liste de fournisseurs canadiens de services dans le secteur des communications.
Il faut énormément de capital pour affronter efficacement la concurrence dans l'industrie des communications, et ceci m'amène à mon troisième point, la nécessité d'un accès plus facile aux capitaux. Le besoin pressant de capitaux s'intensifiera à mesure que la concurrence s'étendra dans l'industrie des communications canadiennes et que les effets de la mondialisation commenceront à se faire sentir sur notre marché intérieur. D'ici quelques années, des milliards de dollars seront nécessaires à la mise en place des circuits de fibres optiques supplémentaires requis pour permettre l'instauration de nouveaux services sans fil, la modernisation de nos systèmes existants sans fil ou par câble, la création et la commercialisation de nouveaux produits et logiciels, et le lancement de nouvelles entreprises de services dont on ne saurait encore imaginer la nature. Je n'ai même pas abordé la question du potentiel de l'Internet et d'autres services télématiques.
Il s'impose que nous fassions des progrès considérables sur les plans de l'invention, de la commercialisation, de la fonctionnalité, de la fourniture et de l'utilisation des communications numériques. Si nous accomplissons ce travail de pionnier chez nous, l'industrie canadienne sera dans une solide position pour mousser ses exportations dans le monde entier.
Pour que tout cela soit financièrement réalisable, il nous faut un accès plus facile aux capitaux, à d'énormes capitaux. Malheureusement, le Canada ne possède que de 2 à 3 p. 100 du marché mondial des capitaux. C'est donc dire que nous devons avoir accès à des fonds étrangers. À ce moment-ci de mon exposé, je dois vous avouer une erreur que j'ai commise. La dernière fois que j'ai comparu devant un comité sénatorial, en novembre 1995, j'y ai exprimé l'avis que les investisseurs étrangers ne devraient pas avoir droit de posséder plus de 50 p. 100 des actions d'une société canadienne de télécommunications. Alors que le gouvernement s'oriente dans cette direction, j'en suis venu personnellement à croire, après mûre réflexion, que nous devrions être beaucoup plus permissifs à cet égard.
Au cours de la seule dernière année, nous avons été à même de constater avec quelle rapidité la vigueur et la nature de la concurrence ont évolué à l'échelle mondiale. Parallèlement, la demande de capitaux s'est intensifiée. Nos règles actuelles régissant la propriété étrangère ne permettent pas d'attirer les importants investissements dont ont besoin les sociétés canadiennes qui sont déterminées à soutenir la concurrence sur les marchés intérieur et étranger.
Notre structure actuelle de capital à deux niveaux comportant des actions avec droit de vote et des actions sans droit de vote n'est pas attrayante pour les investisseurs étrangers. Il en résulte que les sociétés canadiennes de communications comme Call-Net doivent payer plus cher pour obtenir des capitaux, étant donné que les investisseurs préfèrent détenir des actions avec droit de vote. Parce que leurs coûts de financement sont ainsi plus élevés, toutes les entreprises canadiennes de communications sont au départ désavantagées sur les marchés mondiaux. Cette situation est particulièrement dommageable pour des sociétés nouvelles et petites comme Call-Net.
Bien que nous ayons jusqu'à maintenant remarquablement bien réussi à obtenir du financement par voie d'émission d'actions et au moyen d'emprunts, nous ne pourrons tout simplement pas bien longtemps encore concurrencer les sociétés du groupe Stentor pour l'obtention de capitaux sur les marchés canadiens, car ils y sont limités. Après tout, ces sociétés ont encore des profits garantis et sont en mesure de verser des dividendes.
Pour résoudre ce problème, il suffirait de lever toute restriction relative aux intérêts étrangers. La propriété étrangère ne devrait pas nous inquiéter si les infrastructures sont construites au Canada, si les produits sont mis au point au Canada, si les emplois sont créés au Canada et si la gestion est entre les mains de Canadiens. D'ailleurs, la propriété étrangère ne devrait pas nous apparaître menaçante pour autant que les entreprises de communications demeurent assujetties aux lois et règlements en vigueur au Canada.
Je tiens toutefois à vous faire remarquer que Call-Net est dans une large mesure une société de communications possédée et administrée par des Canadiens. Nos actions sont inscrites aux bourses de Toronto et de Montréal, de même qu'à la Nasdaq à New York. Des investisseurs canadiens, principalement des institutions, détiennent environ 65 p. 100 des actions de notre société. Environ 25 p. 100 de notre avoir propre est constitué d'actions sans droit de vote appartenant à Sprint des États-Unis, et le reste est détenu par des investisseurs du monde entier.
En conclusion, le Canada doit se doter d'une politique qui favorise et facilite une concurrence équitable et efficace dans tous nos marchés intérieurs de télécommunications. Il nous faut diversifier nos infrastructures. Nous devons nous tenir au fait des tendances mondiales et devancer l'inévitable évolution. Nous devons donner à notre industrie un meilleur accès aux capitaux en abolissant les restrictions sur la propriété étrangère afin que de nouveaux concurrents canadiens financièrement solides puissent s'amener pour servir notre marché intérieur et les marchés mondiaux.
Notre marché intérieur de l'interurbain témoigne des avantages de la libre concurrence. Les entreprises et les consommateurs canadiens ont été les grands gagnants de son avènement sur ce marché, car il leur a permis d'accéder à de nouveaux services tout en bénéficiant d'un plus grand choix et de meilleurs prix. D'ailleurs, on trouve actuellement sur le marché des services et des produits innovateurs qui n'étaient pas disponibles il y a seulement un an. Bref, la concurrence est bénéfique. L'ouverture du secteur de l'interurbain à la concurrence s'est révélée l'une des mesures les plus avantageuses que le Canada ait prises.
L'industrie des communications, avec son énorme potentiel de croissance et d'innovation, peut jouer un très grand rôle dans l'expansion de notre potentiel économique, dans la création d'emplois de qualité et dans l'accroissement de nos revenus d'exportation. Pour nous permettre d'entrer sur un bon pied dans le prochain siècle, le Canada doit se donner une nouvelle politique qui facilitera et renforcera la concurrence dans tous les volets de ce domaine et fera de notre industrie des communications un chef de file sur la scène internationale.
La présidente: Nous avons demandé à d'autres témoins avant vous dans quelle mesure, selon eux, nous devrions permettre la propriété étrangère. Si j'ai bien compris ce que vous en avez dit dans votre exposé, vous ne voyez pas d'objection à ce qu'elle soit autorisée à 100 p. 100, pourvu que les lois et les règlements en vigueur au Canada soient respectés.
M. Koor: C'est juste.
La présidente: C'est donc là votre opinion sur la propriété des infrastructures. Que recommanderiez-vous alors pour assurer que l'intelligence derrière les infrastructures respecte les règles sur le contenu canadien et reflète la culture canadienne?
M. Koor: Je crois que, dans une large mesure, c'est le marché qui détermine ce genre de choses. Le contenu nécessite peu d'investissements, mais présente des risques relativement élevés dans une foule de cas qu'on peut observer actuellement au Canada. Il suffit de se promener dans les rues de Toronto pour voir un peu partout des unités mobiles servant au tournage de films. C'est manifestement un endroit propice à ce genre de production. Il est à mon sens pratiquement hors de propos de se demander qui en assure le financement. Si l'argent provient de milliers d'investisseurs dans des fonds mutuels, aucun d'eux ne peut être en position d'exercer un contrôle. Selon moi, si le fait de laisser les capitaux entrer librement au Canada permet à nos entreprises de se financer sur les marchés mondiaux, ce ne peut qu'améliorer nos chances de créer du contenu canadien.
Le sénateur Spivak: J'aimerais revenir sur la question des marchés des services téléphoniques de base, dont vous avez fait mention dans votre exposé. Dans le cas de l'interurbain, je sais qu'il y a eu une baisse du prix des interurbains, mais y a-t-il eu une baisse correspondante de leurs coûts? Y aura-t-il une chute similaire des prix des services de base pour les abonnés résidentiels? Suivant les informations qui nous sont parvenues au Manitoba, il semble que ce ne sera pas le cas. Qu'adviendra-t-il, selon vous, du coût des services téléphoniques de base?
M. Koor: Je ne crois pas que les tarifs des services de base connaîtront une baisse comparable à celle qu'on a pu observer dans le cas des interurbains.
Le sénateur Spivak: Croyez-vous qu'il y aura quand même une baisse des tarifs?
M. Koor: Je crois que les prix baisseront compte tenu de la hausse de 2 à 4 $ qu'ils subissent chaque année. On ne peut pas répondre à cette question en se fondant sur les prix actuels; il faut songer aux prix qui auront cours dans deux ou trois ans, lorsque le marché des services de base s'ouvrira vraiment à la concurrence. Si l'on ajoute au tarif actuellement en vigueur 4 $ par année d'ici deux ou trois ans, c'est une autre histoire. En regard des prix qui seront alors en vigueur, je crois que le tarif baissera, mais je ne crois pas que cette baisse sera aussi impressionnante que celle que nous avons connue dans le cas du tarif interurbain, qui a été de l'ordre de 50 p. 100.
Ce qui portera les consommateurs à changer de fournisseur, ce sera la recherche d'une plus grande fonctionnalité, comme le service 24 heures sur 24, ou la possibilité d'opter pour un mode de facturation qui n'est pas disponible actuellement. Je crois qu'à la longue, les consommateurs choisiront leur fournisseur en songeant à la fonctionnalité plutôt qu'à la technologie.
Le sénateur Spivak: Croyez-vous vraiment qu'il puisse être avantageux pour des sociétés comme la vôtre d'affronter la concurrence dans des endroits éloignés?
M. Koor: Nous y soutenons actuellement la concurrence dans le secteur de l'interurbain. Ce que nous faisons, c'est que nous payons les sociétés du groupe Stentor pour la location de leurs lignes, ou encore, là où nous ne louons pas de lignes, nous acheminons l'appel et nous payons le tarif de l'interurbain automatique ou le tarif réduit. D'ailleurs, nous effectuons des appels de départ depuis n'importe quelle région du Canada.
M. Jean Brazeau, vice-président des affaires réglementaires, Call-Net Enterprises Inc.: Il y a deux ou trois autres aspects qu'il faut prendre en considération ici. Nous devons aussi tenir compte du montant global de la facture et voir s'il diminue ou diminuera.
Le sénateur Spivak: Voulez-vous parler des services résidentiels?
M. Brazeau: Exactement. Étant donné que dans le passé l'interurbain aidait à financer le service de base, on ne peut considérer isolément le tarif du service de base. Il faut se demander dans quelle mesure le tarif du service de base augmenterait si la contribution de l'interurbain au financement de ce service était moindre, et si, dans l'ensemble, le consommateur y perdrait au change.
Le sénateur Spivak: D'accord, mais les appels interurbains coûtaient moins cher aux entreprises qu'aux clients résidentiels, de sorte qu'on contournait le problème. Dans quelle mesure les consommateurs résidentiels utiliseront-ils les services de l'interurbain comparativement au service de base?
M. Brazeau: Pour certains clients résidentiels, c'était toute une aubaine. Un abonné qui ne faisait pas beaucoup d'appels interurbains -- et quand je dis «beaucoup» je ne parle pas de 600 $ par mois, je crois que le point de démarcation se situait aux alentours de 30 $ par mois -- économisait beaucoup. L'autre phénomène qu'on observe et qu'on observera dans l'avenir, c'est qu'au fur et à mesure que la concurrence et la nouvelle technologie s'implanteront, le coût marginal du service de base baissera.
Au Canada, le coût marginal du service téléphonique de base est actuellement 30 $, contre 10 $ aux États-Unis. Au fur et à mesure de la venue de concurrents, ce coût diminuera, et c'est alors qu'on assistera à une baisse des tarifs du service de base. D'ailleurs, la situation actuelle découle des erreurs du passé. Même si le service de base ne coûtait vraiment pas cher à l'abonné, c'est un réseau qui a nécessité énormément d'investissements. Alors que notre coût marginal est de 28 $, le coût structurel ou le coût moyen s'élève à 50 ou 60 $. Si les services de base n'étaient pas subventionnés, les clients résidentiels paieraient 60 $ par mois. C'est beaucoup. C'est la structure de coûts qu'on a permis d'appliquer dans cette industrie. Cette situation va changer avec la venue de la concurrence. Nous allons utiliser de nouvelles technologies, adopter de nouvelles façons de fournir le service.
À court terme, il se peut que le consommateur paie plus cher pour le service de base. À moyenne et longue échéances, au fur et à mesure de la venue des nouvelles sociétés, je crois que ces tarifs diminueront.
Le sénateur Spivak: Les sociétés de câblodistribution et de téléphone se feront-elles vraiment concurrence sur leurs marchés respectifs? Les petites entreprises qui pénétreront ce marché créeront-elles vraiment de la concurrence, et quels sont les projets de Sprint à cet égard?
M. Koor: D'abord, je crois que les petites entreprises seront innovatrices et investiront surtout dans les nouvelles technologies. Notre société a établi une filiale, dont un bon nombre d'employés s'affairent à préparer le moment où les décisions réglementaires nous ouvriront le marché des services de base. Pour pénétrer ce marché, nous utiliserons des technologies différentes selon les clientèles visées. Je ne pense pas qu'il soit possible d'appliquer une seule technologie pour l'ensemble du pays.
Nous nous disons que nous n'avons pratiquement pas le choix de nous lancer dans les services de base. Si nous voulons continuer d'être concurrentiels et de prendre de l'expansion dans le domaine de l'interurbain, nous devons être présents sur le marché des services de base pour pouvoir offrir à nos clients un forfait intéressant réunissant ces deux services.
Le sénateur Spivak: Croyez-vous que les sociétés de téléphone et de câblodistribution se livreront une concurrence comme on le prévoit, ou y aura-t-il autre chose, comme les systèmes de communications multipoints locales?
M. Brazeau: M. Koor a raison. Même si l'on prétend que les deux types d'entreprises de communications possédant des installations au Canada aujourd'hui, les sociétés de téléphone et les sociétés de câblodistribution, se livreront une concurrence dans ce monde en convergence, je ne crois pas que les choses évolueront dans ce sens.
Le sénateur Spivak: Ce serait trop coûteux.
M. Brazeau: Ces sociétés n'ont tout simplement pas la culture voulue. La concurrence, c'est très exigeant, et, à moins de s'y être déjà livré, d'avoir évolué dans un marché très compétitif et d'avoir pris conscience des difficultés auxquelles on sera appelé à faire face, la concurrence, ça ne s'improvise pas. On ne se réveille pas un bon matin en disant: «Je suis un concurrent et je vais coûte que coûte me tailler une place sur ce marché». Malheureusement, les sociétés de câblodistribution n'ont pas évolué dans ce genre de contexte. Elles excellent en parole, mais je me demande si elles vont vraiment un jour s'attaquer au marché de la téléphonie. C'est pourquoi les sociétés de téléphone s'orientent de plus en plus vers les prises de contrôle, plutôt que d'affronter la concurrence sur le marché et de construire deux infrastructures. S'il y a un jour de la concurrence, elle viendra de sociétés comme Call-Net.
Le sénateur Rompkey: Si vous deviez vous livrer à la concurrence dans le secteur des services de base, opteriez-vous pour la technologie sans fil? J'imagine que vous ne construiriez pas vos propres infrastructures pour percer ce marché, n'est-ce pas?
M. Koor: Le choix de la technologie dépendra du secteur de marché en cause. Dans les quartiers très densément peuplés des centres urbains, nous opterions tout probablement pour la fibre optique. Dans certains cas, nous nous servirions de systèmes sans fil. Nous serions acheteurs de services de communications locales multipoints, là où il existe des fournisseurs. À mon avis, les services de communications personnelles n'occuperont jamais une grande part du marché, sûrement pas dans l'avenir prévisible dont nous voulons parler, parce qu'il s'agit avant tout d'une technologie requérant de l'équipement mobile. Ce que nous proposons au CRTC, c'est qu'on nous permette à nous aussi de commencer à revendre des services de base, et, au fur et à mesure que notre clientèle augmentera, nous construirons nos propres installations, exactement comme nous l'avons fait dans le secteur de l'interurbain.
Le sénateur Rompkey: Vous dites que les centres de données quittent le Canada. Pourquoi le font-ils, selon vous?
M. Koor: En réalité, cela s'est produit au cours des quatre ou cinq années que Bill Heatherington, un Canadien qui était à la tête d'IBM Canada, a passées au Canada. Les tarifs de lignes privées étaient alors de 7 à 11 fois plus élevés au Canada qu'aux États-Unis. Quand on est à la tête de très imposants réseaux de données, on n'a pas besoin d'être grand clerc pour comprendre que le déménagement de nos centres de données au sud de la frontière représente d'énormes avantages financiers.
Si j'ai pris l'exemple des centres de données, c'est que je suis familier avec cette industrie, mais on observe le même phénomène dans une foule d'autres secteurs. Les centres d'appels quittaient le Canada pour les États-Unis jusqu'à ce que Frank McKenna entreprenne de vanter les atouts de sa province. Il a fait un travail formidable en ramenant chez nous les centres d'appels, et la baisse des tarifs interurbains n'a pas été étrangère à son succès. Il n'aurait pas pu être concurrentiel et faire ce qu'il a fait sans cette chute du tarif des appels interurbains. Je le répète, d'importants secteurs de l'industrie informatique ont déménagé aux États-Unis en raison du coût des lignes privées et de la transmission des données. Il s'agissait alors d'un coût de 7 à 10 ou 11 fois plus élevé pour la transmission de l'information. Ce n'est plus le cas.
Un autre aspect important à signaler, c'est qu'on ne peut parler de marché concurrentiel quand on a affaire à un duopole. En effet, même si la société Unitel et le groupe Stentor, qui forment un duopole, vendaient respectivement des services de lignes privées et de transmission de données et que les prix d'Unitel étaient légèrement inférieurs à ceux du groupe Stentor, il n'y avait pas entre les deux une concurrence sérieuse. Nous avons érigé notre première ligne de fibres optiques entre Toronto, Montréal et Ottawa. Quand nous avons annoncé que nous nous lancions dans ce domaine, Stentor a abaissé de 40 p. 100 son tarif sur les lignes privées de ce couloir. Sa réaction a été instantanée. Heureusement que nous l'avions prévue, mais quand on a un tarif 10 fois supérieur à celui en vigueur aux États-Unis et qu'on le réduit de 40 p. 100, le prix qu'on exige est encore 5 fois plus élevé que celui du concurrent américain. La différence demeure énorme. Les tarifs ont baissé depuis, mais seulement sur ces couloirs.
Personne d'autre n'a installé des systèmes à fibres optiques en si peu de temps et en aussi grande quantité que nous, et, heureusement, dans nos prévisions financières, nous avions présumé que les prix baisseraient effectivement au niveau des tarifs américains en dedans de quatre ou cinq ans. Nous n'avions pas prévu que les prix seraient en chute libre comme ils l'ont été, mais si nous n'avons pas investi en pure perte, c'est principalement parce que nous avions prévu que le tarif descendrait au niveau américain. Pour qu'il y ait véritablement concurrence, il faut au moins trois fournisseurs.
Le sénateur Rompkey: Vous dites que les infrastructures comportent des éléments intellectuels, comme des logiciels, et que ces produits sont idéaux pour l'exportation. Qu'entendez-vous par là?
M. Koor: Par exemple, pour tous nos systèmes de services à la clientèle, de facturation et d'acheminement des appels, nous avons mis au point nos logiciels au Canada. Une fois que tous les marchés mondiaux auront été libéralisés, il y apparaîtra une multitude de concurrents de notre taille et de notre envergure auxquels nous croyons pouvoir vendre ces logiciels. Il n'y aura certes pas des centaines de milliers d'acheteurs qui s'intéresseront à ces produits, mais au moins des centaines.
M. Brazeau: Ces logiciels sont un outil essentiel pour notre entreprise, et nous en sommes fiers. C'est ce qui nous permet de facturer nos clients.
Le sénateur Rompkey: Je viens de remarquer que vous demandez au comité d'exhorter le gouvernement à prendre sans tarder les mesures qui s'imposent. Je crois que nous pourrions le faire.
Le sénateur Johnson: Conformément à un règlement du CRTC, les sociétés de câblodistribution et les réseaux de radiodiffusion devront payer un droit de 5 p. 100 pour financer la production de contenu culturel. À votre avis, les sociétés de télécommunications comme Sprint devraient-elles être tenues elles aussi de payer ce droit de 5 p. 100?
M. Koor: Nous ne sollicitons aucun privilège. Une fois que nous serons implantés dans ce domaine, si ceux qui produisent le contenu se voient imposer ce droit, nous ne voyons pas de problème à en payer un nous aussi. Nous n'oeuvrons d'ailleurs pas encore dans ce domaine. Notre plan stratégique est de nous en approcher de très près. Cependant, nous n'avons pas l'intention de nous intéresser à l'aspect création. C'est un tout autre genre d'entreprise. La plupart de nos employés portent un veston et notre culture d'entreprise est différente. Nous ne voyons pas d'avantages à nous prendre pour ce que nous ne sommes pas.
Le sénateur Johnson: Compte tenu de l'évolution rapide que connaît l'industrie des télécommunications et de votre désir manifeste de voir disparaître les restrictions à la propriété étrangère, estimez-vous que la culture canadienne est menacée? Selon vous, ces facteurs qui découlent de l'apparition des nouvelles technologies mettent-ils en péril notre culture?
M. Koor: Permettez-moi de vous illustrer par un exemple à quel point votre question est complexe. Si je désire regarder «Le Roi lion» à la maison, je peux aller au magasin de vidéos et louer la cassette. Je peux également attendre de voir le film gratuitement à la télévision. Je peux regarder le film sur les canaux à péage. Je puis m'abonner à ligne Marathon, télécharger le film sur mon ordinateur personnel ou sur un cédérom et le regarder. Dans ce cas, quel mode de diffusion du «Roi lion» allons-nous réglementer?
Voilà où réside la difficulté, car, avec la convergence, il existe très peu de différence. Il est impossible de discriminer la transmission d'information numérique du message vocal provenant d'un appel téléphonique ou du contenu d'une bande vidéo qu'on télécharge. Avec la concurrence, le consommateur peut faire ses choix. Il peut payer 30 $ pour acheter la cassette, ou 2,50 $ pour la louer, ou 6,50 $ pour regarder le film à la télé payante, ou encore attendre de le regarder gratuitement à la télévision, ou il peut le télécharger depuis une ligne Marathon, ce qui lui prendrait une demi-heure. Dans tous les cas, il a son «Roi lion».
Je n'ai pas de réponse facile, toute faite, car le monde évolue en réalité beaucoup plus rapidement que notre contexte réglementaire, et si j'étais un câblodistributeur, je me demanderais pourquoi mon «Roi lion» est réglementé, alors que les «Roi lion» des centres de vidéos ou de la ligne Marathon ne le sont pas.
La présidente: Ce que le sénateur Johnson veut probablement qu'on se demande, c'est comment, alors que «Le Roi lion» est si facilement accessible, nous allons nous assurer que le film «Eager Beaver» sera produit lui aussi et que le public y aura également accès pour qu'il y ait un peu de productions canadiennes dans le paysage.
M. Koor: C'est facile. Le Canada doit tout simplement être un endroit attrayant pour les investisseurs. S'il l'est, nous aurons tout l'argent voulu. Comme je l'ai signalé il y a un moment, on n'a qu'à se promener aux alentours de Toronto pour constater qu'il s'y tourne des films un peu partout, et ce, même s'il n'y a pas de stimulant fiscal comme il en existait il y a cinq ou six ans.
Le sénateur Johnson: Ce sont surtout des films américains qu'on y produit.
M. Koor: C'est de là que vient l'argent.
Le sénateur Johnson: Le problème, c'est de trouver preneurs pour nos produits malgré cette concurrence des Américains.
Le sénateur Spivak: Il ne peut y avoir de concurrence si l'un possède tout l'argent du monde, et l'autre, presque rien.
M. Koor: Oui, mais vous pouvez améliorer votre produit.
Le sénateur Johnson: Nous avons d'excellents produits.
M. Koor: La société Newbridge a d'excellents produits. Elle les vend dans le monde entier. Parce que ses produits sont excellents, elle réussit facilement à obtenir des capitaux partout dans le monde. Nous y parvenons nous aussi, parce que nous avons fait ce qu'il fallait faire. Si l'on arrive à convaincre les directeurs d'entreprises et les producteurs canadiens d'offrir d'excellents produits, ils obtiendront le financement dont ils ont besoin. L'argent va où les profits sont bons, et les profits sont bons généralement quand le produit l'est.
Le sénateur Spivak: Il n'en demeure pas moins que les studios d'Hollywood détiennent 98 p. 100 du marché et qu'ils le voudraient au complet. Voilà le problème. Comment faire concurrence à ces sociétés richissimes?
Le sénateur Johnson: Ce sont elles qui font les films qu'on projette ici, 90 p. 100 des films qu'on nous présente.
Le sénateur Spivak: Elles font des films américains.
M. Koor: C'est juste, mais elles se servent de laboratoires canadiens, d'installations canadiennes, de camions canadiens et de travailleurs canadiens.
M. Brazeau: Votre question montre que la politique actuelle n'atteint peut-être pas son objectif.
Le sénateur Johnson: C'est en partie ce que je vous demandais. Que nous conseilleriez-vous, à nous, les parlementaires, de prévoir dans ces nouvelles lois?
M. Brazeau: Comme le disait M. Koor, c'est avec de la qualité qu'on attirera les investissements et les nouvelles productions. Peut-on obtenir la qualité au moyen d'une loi? Cela ne se fait pas. Tout ce qu'on peut faire, c'est de créer un environnement favorable. Vous avez parlé de votre politique de subventions. Peut-être faudrait-il la revoir? En réalité, ce que nous nous demandons, c'est quelle est la politique fiscale la plus apte à encourager la production de contenu canadien. Peut-être que le régime actuel ne permet pas d'atteindre cet objectif et qu'il faudrait se redemander comment parvenir, au moyen d'une taxe, à assurer la qualité de ce que nous produisons. Ce n'est que lorsque nous aurons vraiment des productions de qualité qu'elles seront montrées dans le monde entier. Comment légiférer en conséquence? C'est une question à laquelle il n'est vraiment pas facile de répondre.
La présidente: Comme vous pouvez le voir, monsieur Koor, notre mandat n'est pas de tout repos. Nous devons faire en sorte qu'il y ait de l'équilibre, de la croissance et du progrès aussi bien sur le plan économique que sur le plan de l'identité canadienne. Je suis sûre qu'il y aura probablement un suivi de ces questions entre notre équipe de recherche et vous-même. Votre contribution nous est extrêmement importante et utile.
Bienvenue, madame Macdonald. Nous sommes heureux de vous accueillir en tant que porte-parole de l'Office national du film.
Mme Sandra Macdonald, commissaire du gouvernement à la cinématographie et présidente, Office national du film du Canada: Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui. Je suis accompagnée de Joanne Leduc, directrice du Programme international. Je l'ai invitée à se joindre à nous au cas où vous auriez des questions à propos de la commercialisation de notre production et celle d'autres sociétés cinématographiques à l'étranger, par exemple. Joanne est extrêmement bien placée pour répondre à ce genre de questions, étant donné qu'elle assiste à tous les salons qui sont organisés chaque année, qu'elle s'occupe de la mise en marché de nos produits et qu'elle voit ce que les autres produisent aussi. J'ai pensé qu'elle pourrait vous apporter une contribution très intéressante à propos de ce volet avec lequel je suis moins familière qu'elle.
Nous avons pensé vous faire part de nos points de vue, notamment au sujet de la dimension culturelle, et du rôle, dans le nouveau contexte, que doivent jouer des institutions culturelles canadiennes bien établies, comme l'Office national du film du Canada. Aussi, parce que tout cela est inextricablement lié, nous voulons vous entretenir également de l'incidence qu'aura l'univers des communications en pleine mutation sur l'environnement plus vaste dans lequel nous évoluons, source de défis à relever mais aussi d'occasions à saisir.
Mais d'abord, j'aimerais prendre quelques minutes pour vous décrire nos hypothèses de travail sur les communications, sur notre capacité de soutenir la concurrence, sur la mondialisation et sur le contenu canadien. Je sais que, tout au long des dernières semaines, vous avez entendu des témoins extrêmement bien informés vous donner un aperçu assez complet de notre infrastructure de télécommunications et de la façon dont elle réagit devant la concurrence et la mondialisation. Nous savons tous que notre capacité de soutenir la concurrence sur les marchés internationaux est essentielle tant pour le secteur lui-même que pour les autres industries canadiennes. Le Canada est un pays où les salaires, la consommation et les services sont élevés. Le maintien de notre niveau de vie est directement lié à notre capacité de soutenir la concurrence dans les secteurs où nous pouvons ajouter de la valeur et réduire les coûts. Deux outils peuvent assurer valorisation et réduction des coûts: les communications et l'informatique.
Heureusement, nous avons une très bonne infrastructure de communications qui soutient très bien la concurrence sur le plan international. Notre tradition de vouloir nous doter de ce genre de systèmes de transport -- chemins de fer, pipelines, satellites -- est prodigieuse. Nos problèmes ont toujours résidé dans le contenu et la couverture. Il a toujours coûté très cher de rejoindre notre population hors des centres urbains. Le contenu et la couverture ont donc toujours été un problème parce que les forces normales du marché ne s'exercent pas à notre avantage. Les coûts sont disproportionnés par rapport à la population servie. Il a fallu intervenir pour assurer le niveau de service que des successions de législateurs avaient jugé d'intérêt public.
[Français]
L'intervention sur le plan des télécommunications, jusqu'à très récemment, a consisté à se prémunir contre les monopoles afin de garantir des tarifs raisonnables et une égalité d'accès. Pour la radio, on a choisi le financement public en créant, en 1936, la Société Radio-Canada. En 1939, la fondation de l'Office national du film du Canada part du même principe. Dans les deux cas, le privé existait. Mais le contenu offert était surtout étranger.
Dans les années 20, 30, 40 et même 50, la radio privée canadienne était beaucoup plus qu'aujourd'hui conçue sur le modèle américain. De nombreuses stations de radio et, plus tard, de télévision appartenaient à des intérêts américains. On tend à oublier que la réglementation touchant le contrôle canadien ne remonte pas à si longtemps, aux années '70. La réglementation sur le contenu des programmes des radio privées date à peu près de la même époque, tandis que la réglementation sévère du contenu canadien sur les chaînes de télévision privées est un produit des années 1980.
[Traduction]
La décision d'intervenir directement dans le contenu découlait des leçons apprises dans les débuts de la radio sur le marché libre, puis du cinéma et, plus tard, de la télévision. Il était évident que, sans intervention, il y aurait, à cause des distances, deux classes de Canadiens: les privilégiés de la communication et les autres, et que, les coûts de telles productions ne laissant pas grand espoir de profits, nous n'aurions que peu de contenu qui nous ressemblerait. Les produits étrangers, par ailleurs, étaient nombreux, faciles à obtenir et peu onéreux, parce que leur coût avait déjà été amorti sur leur marché intérieur. Je ne vous apprends rien de nouveau, mais je rappelle ces faits parce que le problème du contenu auquel nous ne pouvons pas échapper est, de bien des manières, désespérément analogue à celui des premiers temps de la radio et de la télévision. Il est analogue parce que notre pays est toujours aussi vaste, aussi peu peuplé et aussi linguistiquement divers. La dynamique sur laquelle repose notre marché des communications n'a pas changé.
J'ai utilisé l'expression «désespérément analogue», parce que nos interventions en faveur du contenu des communications ont produit des résultats remarquables, mais il nous a fallu beaucoup de temps avant de pouvoir maîtriser la façon de gérer le système. Dans les années 30, nous avons commencé par créer des organismes publics, tels Radio-Canada et l'ONF, pour produire et distribuer du contenu. Dans les années 50, nous avons entrepris d'aider les artistes de toutes les disciplines en établissant le Conseil des Arts et, plus tard, des conseils provinciaux. Dans les années 70 et 80, nous sommes devenus très efficaces, à force de tâtonnements, à recourir à la réglementation pour encourager certaines formes de contenu considérées comme sous-représentées. Toute l'activité ainsi suscitée a créé une capacité de production qui a ensuite été consolidée, dans les années 80 et 90, par le soutien aux entreprises indépendantes de cinéma, de télévision et de musique, dont un bon nombre sont aujourd'hui des exportatrices à succès. Nous avons là un système complexe, en position d'équilibre délicat. Il fonctionne bien. Pour le moment.
[Français]
Mais nous sommes tous conscients de la fragilité de ce système qui doit constamment résister aux assauts des forces de fragmentation des auditoires, s'adapter à des changements technologiques difficiles et coûteux et à des restrictions budgétaires et subir la concurrence incessante d'une abondance de produits qui pénétrent librement notre marché. Il nous a fallu quelques décennies pour développer le système de radiodiffusion tel que nous le connaissons actuellement. Par conséquent, la vitesse avec laquelle les services en ligne se répandent est vraiment très alarmante parce que, dans ce nouvel environnement, nous n'avons pas de mécanismes analogues en place pour garantir même un minimum de contenu canadien.
D'une part, cet environnement se prête moins à la réglementation et il en coûterait des sommes considérables si on voulait subventionner une bonne quantité de contenu spécifiquement canadien. D'autre part, il faudra éventuellement assumer le coût énorme de pas y être véritablement présent, un coût social, culturel et politique.
[Traduction]
Que faire alors? À l'Office national du film du Canada, nous avons élaboré un plan d'action baptisé ONF 2000. Ce cadre nous aidera à orienter nos activités, au moins pour les trois prochaines années, sur les plans de la production, de la distribution, des services techniques, de la gestion de notre collection et des services de soutien.
Nous partons de l'hypothèse que le Canada continuera d'avoir un système de télécommunications de pointe et que nous pouvons l'utiliser pour la valorisation des activités, la réduction des coûts et la conquête géographique de manière à consacrer le maximum de nos ressources à la création de contenu -- de contenu canadien.
[Français]
Comme beaucoup d'autres organismes du gouvernement, nous avons dû nous adapter à une réduction sensible de nos ressources. Dans notre cas, l'incidence sur trois ans est de presque 30 p. 100. Conséquemment, nous avons dû passer en revue nos activités pour voir ce que nous pouvions faire moins cher, comment nous pouvions augmenter notre efficacité au maximum et, ainsi, nous positionner pour l'avenir.
[Traduction]
Nous sommes partis du principe que la production est notre première priorité. En effet, nous voulons produire 85 nouveaux titres par année -- moyenne que nous maintenons depuis plusieurs années -- et continuer d'assurer une présence dans tous nos centres de production actuels: Vancouver, Edmonton, Winnipeg, Toronto, Moncton, Halifax ainsi que Montréal. Afin de nous assurer que la plus grande partie des fonds alloués à la production se retrouvent à l'écran, nous avons réduit de moitié le nombre de producteurs et de producteurs exécutifs. Les postes de création seront comblés selon les besoins du projet ou par un contrat à durée déterminée et le personnel de tournage sera engagé à la pige, ce qui est la norme dans le secteur privé de l'industrie de la production. Si nous réussissons à maintenir notre niveau de production, le nombre de personnes embauchées pour réaliser, tourner, faire la prise de son et exécuter les autres tâches reliées à la production d'un film sera le même qu'aujourd'hui. Ces personnes seront simplement des pigistes plutôt que des employés à temps plein.
Nous continuerons de coproduire avec des cinéastes d'un peu partout au Canada et d'assurer le soutien aux nouveaux cinéastes grâce aux programmes actuels que nous offrons à cet effet.
[Français]
Le changement majeur dans le secteur des services techniques a été l'évaluation du coût de chacun des services offerts à nos installations de Montréal et la comparaison de ce coût avec les services disponibles dans le secteur privé. Nous avons décidé de continuer à offrir à l'interne uniquement les services qui s'avéraient rentables par rapport à ceux qu'offrent le secteur privé ou qui représentaient un avantage suffisant à justifier leur conservation dans le cas où ils n'étaient pas rentables. L'évaluation de la viabilité de chaque service a reposé sur des décisions touchant les formats de production prises par le comité que nous avons créé pour la restructuration des services techniques et sur les estimations des volumes fournis par les deux programmes de production français et anglais. À partir de ces évaluations, nous avons décidé d'accroître les services des effets visuels, activité digitale, de conserver les services de préproduction, de montage, de sonorisation et de vidéo et de mettre fin aux opérations du studio graphique, du plateau de tournage et du laboratoire, sauf pour certaines fonctions spécialisées requises pour la conservation et pour les effet visuels.
Je dois mentionner que nous avons offert de l'aide pour la conception d'un plan d'affaires à tout ancien employé désireux d'offrir, à titre d'entreprise privée, un service dont nous nous départissons. Nous avons donc conclu une entente avec un ancien employé qui exploite le plateau de tournage à titre d'entreprise privée.
[Traduction]
Par le passé, l'ONF favorisait une approche qui visait à mettre sa collection à la disposition du public et qui offrait un service de très grande qualité par l'entremise de quelque 30 centres de distribution répartis dans l'ensemble du pays. Ce service coûtait toutefois très cher. Au cours des deux dernières années, tous ces centres, à l'exception d'ONF-Montréal, ont été fermés. La collection a été installée dans les bibliothèques publiques de chacune des villes où nous avons fermé notre centre de distribution. Nous avons adopté une approche beaucoup plus rationnelle pour les 500 titres les plus demandés. Le public peut en outre utiliser un numéro de téléphone sans frais 1 800 et l'Internet pour demander des renseignements ou commander des films. Cette activité, qui a toujours été déficitaire, est appelée à faire ses frais d'ici un an.
Une approche différente a été adoptée concernant les 9 000 autres titres de l'ONF. Nous faisons tous les efforts pour évaluer et conserver notre fonds. Ainsi, avec le concours de notre CinéRobothèque du centre-ville de Montréal, nous transférons sur disques laser, aux fins de consultation et de reproduction sur demande de copies uniques sur vidéocassettes, tous les titres qui sont dans un état satisfaisant. L'un des documents que nous vous avons remis traite de cet aspect. Quelque 4 300 titres ont déjà été transférés. La collection appartient au peuple canadien et nous prenons très au sérieux notre responsabilité en tant que gardiens de cette collection, même en ces temps difficiles.
L'autre changement de taille que nous avons fait dans le cadre de nos efforts de compression des dépenses a été de réduire de moitié toutes nos activités d'administration et de soutien. C'est ce que nous avons fait.
[Français]
Ce plan, qui est déjà presque entièrement réalisé, vise à faire en sorte que l'Office national du film du Canada continue de remplir son mandat qui est de "produire et distribuer des films destinés à faire connaître et comprendre le Canada aux Canadiens et Canadiennes et aux autres nations" et ce, en tenant compte des ressources qui nous sont attribuées. Nous comptons sur le système de télécommunications canadien pour faire notre travail plus efficacement à l'interne et, à l'externe, pour trouver de nouveaux moyens d'atteindre nos publics.
[Traduction]
Voici quelques exemples de ce que nous avons déjà réussi à faire. Nous avons réduit nos dépenses non liées à la production d'environ 50 p. 100 en introduisant un système intégré d'information financière sur le réseau étendu qui relie notre Bureau central de Montréal à nos autres centres de production au pays. Nous avons éliminé la notion de stocks dans notre système de distribution en assurant la duplication sur demande de nos vidéocassettes, en confiant la reproduction des titres de notre collection d'exploitation à un fournisseur externe et en gérant notre collection d'archives à l'aide d'un nouveau système automatisé que nous avons mis au point nous-mêmes.
Nous utilisons activement l'Internet comme outil de distribution. Nous avons créé un important site qui reçoit en moyenne 1 900 visiteurs par jour. Nous produisons spécialement pour l'Internet, surtout des productions à caractère éducatif. Deux exemples: le Réseau Éducation-Médias, un site consacré à la connaissance des médias, établi par l'Office mais repris aujourd'hui par un organisme indépendant à but non lucratif aidé par les secteurs public et privé; «The Prince and I», réalisé par notre studio Éducation et Multimédias, un site d'incitation à la lecture à l'intention des enfants qui leur propose des contes, des jeux interactifs et d'autres activités. Nous envisageons éventuellement de produire «The Prince and I» sur CD-ROM.
[Français]
Nous nous affairons aussi à développer notre site Intranet, un outil de travail interne qui nous permet de rendre nos méthodes plus transparentes, de faciliter l'accès à nos bases de données et à d'autres outils de gestion et de faire de l'ONF un lieu de travail plus facile pour les pigistes, puisqu'un des principaux changements découlant de l'ONF 2000 a été d'avoir beaucoup moins de personnel de production permanent et de compter davantage sur des contractuels.
Le transfert de notre collection de 9 000 titres sur disques laser, disponibles sur demande, vise à faire en sorte que la production canadienne, dont nous sommes les dépositaires, sera toujours là quand l'autoroute de l'information nous apportera les moyens technologiques et économiques d'atteindre les consommateurs canadiens directement. Nous avons déjà quelque 4 000 de ces titres que nous pouvons livrer sur demande à des sites connectés par fibre optique à nos installations de Montréal. Le système marche à merveille. Toutefois, nous offrons actuellement ce service à titre expérimental. Les coûts de télécommunications sont assumés par notre partenaire en la matière, Vidéotron Télécommunications. Reste à savoir si ce service sera économiquement viable le jour où nous devrons assumer le coût de livraison du contenu.
[Traduction]
Voilà certaines des voies empruntées par l'ONF pour s'adapter au nouvel environnement. Nous pensons nous situer à la fine pointe en ce qui concerne le recours à la technologie, pour produire comme pour distribuer des documents à contenu canadien, pour en assurer une gestion efficace et pour servir le public. Sommes-nous concurrentiels? Difficile à dire. La réponse dépend de la manière dont le succès est mesuré.
La mesure est-elle les revenus produits? Les recettes que nous tirons de nos propres activités augmentent chaque année, mais elles représentent encore une part relativement faible de notre budget global, environ 12 p. 100. Nous ne sommes pas là pour réaliser des oeuvres que le marché produirait commercialement. La mesure est-elle l'auditoire? Voilà certainement un critère que nous jugeons important et que nous faisons tout en notre pouvoir pour améliorer constamment. Toutefois, nos films sont de nature souvent spécialisée, et les chiffres ne donnent pas toute la mesure de notre rayonnement. La mesure est-elle l'accueil réservé à nos films par la critique ou les prix qu'ils remportent? Voilà au moins une indication de la qualité du travail accompli.
Ce sont là des questions que nous nous posons, parce que les niveaux auxquels nous aspirons -- qualité, pertinence et innovation -- ne se mesurent pas seulement à l'étalon de la rentabilité. Cela est particulièrement vrai dans le domaine du contenu, car chaque production est un prototype. Aucune formule ne garantit le succès. La seule façon de tirer notre épingle du jeu est d'investir dans le talent, d'offrir des débouchés et de bons outils pour qu'il s'épanouisse. Le talent repose sur l'apprentissage par l'expérience. Nous avons prouvé bien des fois dans ce pays que les talents ne manquaient pas si nous leur donnions les moyens de s'épanouir. Réunir ces moyens et les mettre au service du talent est la seule manière d'assurer qu'il y aura du contenu canadien dans les systèmes de communication de l'avenir, parce que la seule chose dont nous soyons sûrs, c'est que seuls les Canadiens et Canadiennes peuvent produire du contenu qui leur ressemble. Cela, on ne peut pas le trouver sur le marché mondial.
Nous savons par expérience que, si nous laissons les forces du marché s'exercer librement, le marché intérieur ne pourra pas financièrement produire certaines sortes de contenu. La question se pose donc, pour les pouvoirs publics, de savoir quelle importance nous accordons à ce qu'on pourrait appeler le contenu non économique et quel prix nous sommes prêts à payer, comme société, pour le garantir. Nous-mêmes ne pouvons pas répondre à cette question. Par contre, il nous fera plaisir de répondre aux vôtres.
La présidente: Nous n'avons pas en main le rapport annuel. Pourriez-vous seulement nous rappeler quel est votre budget annuel?
Mme Macdonald: Nous en avons apporté des copies au cas où cela présenterait de l'intérêt. Notre budget annuel décroît rapidement. L'an dernier, il était légèrement supérieur à 80 millions de dollars, dont 10 provenaient de recettes. Le Parlement nous avait accordé un crédit d'environ 70 millions, comprenant certaines allocations spéciales pour l'achat d'équipement. En 1998, notre crédit parlementaire sera de 56 millions.
La présidente: Sur ces 80 millions de dépenses, quelle proportion était réservée aux coûts d'administration?
Mme Macdonald: Environ 8 ou 9 p. 100 de nos coûts ne sont pas directement liés à la production. La production entraîne des dépenses d'administration, mais nous considérons qu'elles font partie des coûts de production.
La présidente: Quel pourcentage de vos dépenses liées à la production est attribuable aux frais de mise en marché, à ce qu'il vous en coûte pour faire connaître votre produit sur les marchés canadien et étranger?
Mme Macdonald: Si j'ai bonne mémoire, dans le passé, nous consacrions environ 15 p. 100 de nos coûts globaux à ce que vous pourriez appeler des frais de mise en marché et de distribution. Nous avions aussi des revenus, mais ces revenus ne compensaient pas nos dépenses. En fait, jusqu'à l'an dernier, nous dépensions annuellement au titre de la distribution de nos productions environ 7 millions de plus que ce que nous en retirions. Pour 1998, notre objectif, que nous atteindrons presque assurément, est de faire en sorte que nos revenus annulent nos coûts dans le cas des titres anglais. Autrement dit, nos dépenses n'excéderont plus nos revenus dans ce secteur. L'année suivante, nous entendons faire de même pour nos productions en langue française.
Notre objectif, au départ, est de nous assurer que la mise en marché de nos productions ne nous coûte pas plus cher que ce qu'elle nous rapporte, pour que nous n'ayons plus à financer la distribution à même les fonds destinés à la production.
La présidente: Puisque vous avez fait allusion au rapport Juneau, voici une question que nous avons posée à un témoin précédent, qui représentait également un des trois organismes visés par ce rapport. Étant donné que les fêtes approchent et que nous croyons tous au Père Noël, si on vous demandait de choisir parmi les recommandations du rapport Juneau les trois qui devraient être appliquées immédiatement, lesquelles retiendriez-vous?
Mme Macdonald: En réalité, pour ce qui est des recommandations se rapportant à l'ONF, nous les avons toutes appliquées, sauf deux auxquelles nous ne souscrivions pas. L'une avait trait au transfert de l'ensemble de nos activités de production en anglais de Montréal à Toronto. À cet égard, nous nous sommes contentés de rééquilibrer un peu les choses. L'autre était d'aller nous installer en plein coeur de Montréal, et nous avons décidé de rester là où nous sommes. À part ces deux suggestions, nous avons donné suite à toutes les recommandations qui se rapportaient à l'ONF.
Par ailleurs, le rapport Juneau recommandait que le gouvernement augmente considérablement les ressources mises à la disposition de Radio-Canada pour lui permettre de mettre en oeuvre les projets qu'elle avait déjà à l'étude. Il va sans dire que nous serions très heureux, à l'ONF, qu'on donne suite à cette recommandation. Radio-Canada est très importante pour nous tous. Pour diffuser les productions de l'ONF auprès des Canadiens, elle est certes un des clients sur lesquels nous comptons le plus. La santé de la SRC est étroitement liée à notre capacité d'atteindre le public canadien avec nos films. Les recommandations du rapport Juneau visant l'augmentation des budgets de la SRC sont donc évidemment d'importance capitale pour nous.
Le sénateur Spivak: Vous avez mentionné que la réduction des dépenses figurait en tête de vos priorités, mais il fut un temps, comme vous le savez j'en suis sûre, où l'on prétendait que l'ONF devrait presque devenir une école de cinéma et que sa mission devrait être avant tout pédagogique. Cela ne s'est jamais produit, mais que pensez-vous de cette proposition?
Mme Macdonald: Il fut un temps où une telle suggestion aurait pu être logique. Dans les années 60, par exemple, l'ONF était à toutes fins utiles le seul producteur de films au Canada, et il n'y avait pas d'écoles de cinéma, de sorte que quiconque voulait apprendre le métier devait pratiquement passer par l'ONF. Une étude effectuée il y a environ deux ans par l'Association canadienne de production de film et de télévision a révélé qu'il y avait maintenant, sauf erreur, 57 programmes officiels de formation en production cinématographique et télévisuelle au Canada.
Cette carence que l'Association et nous-mêmes avions constatée n'existe plus, et il y a maintenant des milliers d'étudiants qui sortent des écoles de formation pour devenir des producteurs de films pour le cinéma ou la télévision. Le gros problème, c'est que ces diplômés ont du mal à trouver les fonds nécessaires pour produire leur premier film. À l'Office, nous considérons que c'est un aspect très important de notre rôle que de permettre aux jeunes cinéastes de produire leur premier film. Chaque année, environ le tiers de nos productions sont réalisées par des gens qui n'avaient jamais fait de film à l'ONF auparavant.
Nous avons un programme, le Film-makers Assistance Program, auquel nous avons réservé, juste pour cette année, 800 000 $ -- c'est beaucoup en regard de notre budget -- pour les jeunes cinéastes qui en sont à leur premier film. En ce qui nous concerne, ce fossé que nous comblons illustre que nous faisons l'impossible pour développer les talents de chez nous, pour donner à nos jeunes la chance de produire leur premier film professionnel.
Le sénateur Spivak: J'ai été frappée de vous entendre dire -- j'ai d'ailleurs déjà entendu quelqu'un autre tenir le même propos --, en comparant le monde de la radio et de la télévision d'aujourd'hui avec celui dans lequel elles évoluaient au tout début, qu'il fallait que le gouvernement intervienne dans ce domaine, parce que s'il ne l'avait pas fait dans le passé, la radio et la télévision ne seraient pas ce qu'elles sont devenues aujourd'hui. Je veux bien sûr parler de la production -- et le ministre y attache de l'importance, à preuve les nouveaux fonds qu'il vient d'accorder --, mais tout le monde sait que ce sont surtout la promotion et la distribution qui posent problème. Que devrait faire le gouvernement à cet égard? Nous savons que les producteurs d'Hollywood monopolisent déjà 98 p. 100 du marché et que leur appétit est insatiable. Ce n'est pas tout de produire des films, des vidéos merveilleux et toutes sortes de choses extraordinaires, si ces productions ne se vendent pas parce qu'on n'a pas d'argent pour en faire la promotion et la distribution, un problème que les producteurs américains ne connaissent pas.
Mme Macdonald: Ce problème est en réalité particulier aux longs métrages, aux films à grand déploiement. Il n'existe pas de problème de distribution dans le domaine de la télévision, grâce notamment à la réglementation, qui a ceci de bon qu'elle réserve une place privilégiée au contenu canadien, qu'elle rend obligatoire l'affectation de ressources à la production d'oeuvres canadiennes. Dans le domaine de la télédiffusion, la situation n'est pas du tout la même sur ce plan que dans celui des longs métrages.
De même, le problème du contenu accessible sur les services en ligne ou sur demande est tout à fait différent. Nous n'avons pas encore l'heure juste à cet égard, mais les difficultés auxquelles nous faisons face au niveau de la distribution des longs métrages n'existent pas dans l'industrie des services en ligne. Voyez ce qui se passe avec l'Internet; n'importe qui peut y avoir sa page d'accueil. Le problème de distribution varie selon le produit, et, comme le dernier témoin l'a mentionné juste après notre arrivée, pour un même produit, les obstacles ne se présentent d'ailleurs pas toujours au même endroit.
Il est indiscutable que nous avons au Canada énormément de difficulté à distribuer nos longs métrages. C'est un problème à facettes multiples. D'abord, nous en produisons relativement peu, et il est difficile de se faire connaître quand le volume n'y est pas. En outre, presque tous nos films sont produits à partir de budgets très modestes. Les films à petits budgets, peu importe qui les produit, seraient-ce les studios d'Hollywood, pénètrent difficilement dans les cinémas, car le public y est habitué aux effets spéciaux spectaculaires et à l'action, et les films de ce genre sont extrêmement coûteux à produire. Nous ne sommes pas un joueur de taille dans ce domaine, nous n'avons pas les fonds voulus, à moins d'aller chercher le financement auprès d'investisseurs étrangers pour produire essentiellement ce genre de films.
Je pourrais passer la journée à vous parler du problème que posent les longs métrages, qui est bien différent de celui des productions pour la télévision ou des productions pour l'Internet. Nous pouvons produire des films pour la télévision parce qu'ils ne sont pas axés sur les effets spéciaux, ce qui exige des budgets énormes, et que nous savons où les distribuer. C'est d'ailleurs ce qui explique, en fait, que nos sociétés de production indépendantes qui connaissent le plus de succès ne font plus de longs métrages et produisent maintenant pour la télévision. C'est dans le secteur de la télévision qu'il est intéressant de faire des affaires.
Le sénateur Spivak: Même dans le domaine de la télévision, il est moins coûteux d'acheter des productions américaines repiquées que de présenter des productions canadiennes. D'après ce qui est ressorti des audiences précédentes, les télédiffuseurs privés ne respectent pas les exigences du CRTC à cet égard.
Je ne sais pas comment les choses vont se passer sur l'Internet, mais avez-vous d'autres suggestions ou d'autres idées au sujet de la production télévisuelle?
Mme Macdonald: C'est un fait indiscutable qu'il est toujours possible d'acheter à vil prix des productions provenant d'autres pays. En fait, nous vendons nous-mêmes très bon marché nos productions dans bien des pays. Bien sûr, tous les pays préfèrent présenter leur production nationale, mais il y a un prix à payer pour cela, et c'est ce qui fait que la production étrangère est partout si bon marché. C'est en quelque sorte la loi immuable du marché de la programmation.
Dans notre cas, parce que nous nous adressons à un auditoire restreint qui est habitué aux productions coûteuses américaines, il absolument irréaliste d'espérer produire des films à des prix compétitifs, disons à raison d'un million de dollars l'heure, quand notre auditoire potentiel n'est que de 18 millions de spectateurs alors que celui d'une société de production américaine est de 250 millions de spectateurs. Nos coûts unitaires sont sans commune mesure. Nous devons être conscients que, si nous voulons avoir ce genre de production canadienne, c'est à cette concurrence que nous faisons face sur le plan des coûts. Il nous est impossible de produire des oeuvres nationales au même prix unitaire qu'aux États-Unis. Il nous faudrait donc alors trouver d'autres moyens de financer ce genre de production.
Le sénateur Johnson: À mon avis, le Canada tout entier doit une fière chandelle à l'ONF pour le travail incroyable qu'il a accompli au fil des ans, à commencer par sa contribution à l'essor de l'industrie cinématographique canadienne.
Combien de films, de documentaires, de productions télévisuelles faites-vous par année? Étant donné que votre budget diminue constamment, songez-vous à concentrer vos efforts dans certaines domaines, disons dans les documentaires, ou allez-vous continuer d'essayer de diversifier votre production?
Mme Macdonald: Nous avons pris quelques décisions stratégiques. Premièrement, nous avons décidé d'axer nos activités sur la production de documentaires et de films d'animation, domaines qui ont toujours fait notre force. Pour le moment, nous ne faisons pas de films de fiction, justement parce que nous voulons affecter les ressources dont nous disposons à la production de documentaires, car c'est celle pour laquelle il est le plus difficile de trouver du financement dans notre pays, et à la production de films d'animation, car nous sommes les seuls à faire ce genre de films au Canada. Nous nous sommes dit que si nous abandonnions ce secteur, il disparaîtrait à toutes fins utiles.
D'autres que nous financent les longs métrages; Téléfilm Canada et les organismes provinciaux s'en chargent. Les stimulants fiscaux aident ce genre de production, mais ils sont peu efficaces pour le financement de documentaires. Nous nous sommes demandé dans quel secteur nous pourrions être le plus utiles, et nous avons jugé que ce serait dans celui du documentaire.
Le sénateur Johnson: Vous allez donc continuer de privilégier ce secteur, dans lequel vous avez d'ailleurs particulièrement excellé dans le passé.
Mme Macdonald: C'est juste.
Le sénateur Johnson: Vous mentionnez dans votre mémoire que la rapidité avec laquelle les services en ligne se répandent est vraiment très alarmante parce que, dans ce nouvel environnement, vous n'avez pas de mécanismes analogues en place pour garantir même un minimum de contenu canadien. Puis, vous parlez de la collaboration entre l'Office et l'Internet pour la production de vidéocassettes et la transmission de certains documents à l'aide de la fibre optique. Avez-vous d'autres points à ajouter au sujet du rôle que vous prévoyez jouer dans ce nouveau contexte de concurrence et de mondialisation?
Si je vous demande cela, c'est que M. Maserola, de Téléfilm Canada, nous a parlé lundi dernier de la possibilité d'établir, dans l'intérêt de toutes les institutions culturelles comme la vôtre, un grand organisme parapluie et un conseil qui chapeauteraient la SRC, l'ONF et Téléfilm. Il s'est dit en faveur d'une telle approche. Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez? Un tel organisme serait-il utile? Aurions-nous avantage à ce qu'il soit créé? Favoriserait-il le contenu canadien, aspect dont je m'inquiète, compte tenu de l'avènement prochain de l'univers multi-canaux et de tout ce que nous réserve l'ère dans laquelle nous entrons. Permettrait-il de mieux assurer la préservation du contenu canadien dans nos films, à la SRC, et dans les productions de nos institutions culturelles traditionnelles? Avez-vous des commentaires à formuler concernant ce projet? Sa réalisation aiderait-elle ces institutions à mieux conjuguer leurs efforts?
Mme Macdonald: Je ne vois pas comment ce pourrait être le cas, à moins qu'on investisse de lourdes sommes dans un tel projet. Au fond, le problème que nous avons n'est pas un problème de structure organisationnelle. Ce qui fait défaut, ce sont les ressources dont nous aurons besoin pour pouvoir assurer une présence canadienne dans ce domaine, et, personnellement, je vois vraiment mal pour le moment d'où pourraient provenir ces ressources. À l'ONF, nous avons réservé le quart de notre budget de production à la préparation de matériel didactique, que nous voudrions en majeure partie interactif et qui sera probablement accessible sur l'Internet.
Nous nous sommes par ailleurs efforcés, plus que tout autre organisme au Canada, de mettre sur catalogue les documents que nous avons produits dans le passé. Ce catalogue est maintenant prêt à être distribué; il ne nous reste qu'à calculer combien il nous en coûtera pour transmettre l'information par fibres optiques. Nous sommes à le faire.
Nous avons essayé de déterminer comment, avec les ressources dont nous disposons, nous pourrions faire notre part pour assurer une présence de contenu canadien sur les services en ligne. Le problème, c'est que, compte tenu de nos maigres ressources, le nombre d'heures de matériel que nous pouvons produire dans une année est non pas une goutte d'eau dans une marre, mais bien une goutte d'eau dans l'océan.
La présidente: Parce que noyé dans ce qui est offert ailleurs.
Mme Macdonald: Exactement. En ce qui concerne les services en ligne, je pense vraiment qu'il y a deux choses dont il nous faut nous rendre compte, comme nous l'avons fait dans le cas des films sur vidéocassettes disponibles sur demande. Premièrement, la réglementation dans ce domaine, où tous les produits sont offerts en permanence, a beaucoup moins d'effet que lorsqu'il s'agit d'une programmation à heure fixe. La seule réglementation possible aurait relativement peu d'effet, mais nous devrions quand même l'appliquer. Il s'agirait -- et c'est le mieux que nous pourrions faire -- d'exiger qu'une plage soit réservée au matériel canadien sur les services en ligne. C'est moins efficace -- beaucoup moins en fait -- que d'exiger qu'un diffuseur-réseau consacre un certain nombre d'heures de grande écoute au contenu canadien, mais ce n'est quand même pas rien.
L'autre chose, c'est qu'il faut trouver un moyen de nous assurer que des ressources seront disponibles pour produire assez d'oeuvres canadiennes pour occuper cette plage. Pour le moment, le problème n'est pas seulement que l'auditoire canadien est restreint, mais que la diffusion de contenu sur l'Internet n'est pas lucrative. Il faudra du temps avant qu'on trouve le moyen d'y faire des profits. Il y a des tas d'entreprises présentes sur le réseau, Time-Warners et tous les géants de ce monde, qui y dépensent des milliards dans l'espoir qu'il y ait un jour de l'argent à faire dans ce domaine. Et, comme dans toute compétition, le premier coureur a toujours l'avantage. Plus on tardera à entrer en scène, plus notre retard sera difficile à rattraper.
Pour le moment, le problème relatif aux services en ligne au Canada n'est pas tellement d'ordre technologique -- nous possédons actuellement la technologie voulue --; c'est plutôt que nous n'investissons rien, relativement parlant, dans la production de contenu canadien à offrir sur ces réseaux.
Le sénateur Rompkey: Quel pourcentage de votre production qualifieriez-vous d'éducative?
Mme Macdonald: Sur les quelque 85 films que nous produisons chaque année, 20 ou à peu près sont spécifiquement destinés à enrichir les programmes scolaires. Nos autres films, qui sont pour la plupart des documentaires, sont éducatifs à des degrés divers. Ils ont tous pour but d'informer. Sauf de très rares exceptions, nous ne produisons pas de films qui visent d'abord à divertir. Nous établissons périodiquement quels thèmes particuliers nous entendons privilégier, selon les besoins auxquels nous estimons devoir répondre. Nous optons tantôt pour les sciences, tantôt pour l'histoire, tantôt pour l'économie, cela dépend des circonstances.
Le sénateur Rompkey: Vous estimez qu'il s'agit là d'un créneau de plus en plus intéressant pour l'ONF. Vous avez dit que la technologie était déjà là. En fait, il y a le Réseau scolaire canadien. Ce qu'il nous faut nous demander, c'est si nous possédons le contenu voulu pour l'alimenter.
Mme Macdonald: J'ai mentionné le Réseau de sensibilisation aux médias, un de nos programmes sur le Réseau scolaire canadien. Ce site est réservé à l'information sur les médias, et c'est d'après moi le genre de chose que nous devons produire. Nous avons mis un accent stratégique dans notre plan sur les productions à caractère éducatif à l'intention des jeunes auditoires, et nous avons conclu une entente avec CBC et Radio-Canada pour la mise en oeuvre d'un grand projet qui s'échelonnera sur les trois prochaines années, 30 heures d'émissions télévisées sur une version populaire de l'histoire du Canada. Cette série d'émissions sera diffusée en français et en anglais sur les réseaux de CBC et de Radio-Canada. À partir des résultats des recherches effectuées dans le cadre de ce projet, nous produirons toute une série de documents didactiques s'adressant aux adultes comme aux enfants et portant sur l'histoire du Canada.
C'est un autre grand projet où nous avons mis l'accent sur ce qu'on pourrait appeler notre mission éducative, sauf qu'il s'agira d'une oeuvre d'éducation populaire, non vraiment didactique comme dans le cas d'un bon nombre de nos programmes à l'intention du milieu scolaire, où nous fournissons un guide du maître et d'autres outils pédagogiques. Cette série s'adressera davantage au grand public.
Le sénateur Rompkey: Quels sont, selon vous, vos principaux concurrents dans le domaine de la production de matériel éducatif? Il doit probablement y en avoir dans chacune des provinces, et certains doivent être implantés dans tout le Canada aussi.
Mme Macdonald: Je considère comme des collègues ceux qui produisent du matériel éducatif, car je crois qu'il ne s'en produit pas suffisamment, et que tous ensemble nous ne risquons pas d'en produire trop. Nous ne produisons rien qu'on puisse trouver facilement sur le marché. Par exemple, nous n'allons pas offrir des documentaires sur les mathématiques, car tout le monde peut s'en charger. Dans ce domaine, le matériel qui nous vient des États-Unis répond parfaitement bien à nos besoins. Les Canadiens n'ont pas à produire des documents portant sur les mathématiques. Quand nous faisons un film sur la faune et la flore, ou sur la nature, nous essayons de couvrir des aspects qui ne sont pas touchés par les producteurs américains. Par exemple, on ne trouve pas beaucoup d'ours grizzlis aux États-Unis, ni de grues blanches d'Amérique.
Nous essayons de produire des oeuvres typiquement canadiennes qui ne sont pas offertes sur le marché et que les producteurs indépendants ne sauraient facilement réaliser de façon rentable. Nous prenons bien soin de nous en tenir à ce que nous pouvons faire en toute légitimité et nous évitons de faire indûment concurrence aux entreprises commerciales.
Le sénateur Rompkey: Vous nous avez décrit dans ses grandes lignes l'historique de la SRC et de l'Office national du film. Comment ces institutions se comparent-elles à leur contrepartie ailleurs dans le monde? J'ai toujours aimé prendre l'Australie comme point de comparaison. Je ne crois pas par contre que l'Allemagne soit un pays comparable au nôtre, même s'il s'agit d'un État fédéral. Pouvez-vous nous faire un peu la comparaison entre l'Office national du film et ses équivalents dans d'autres pays, et nous parler de l'évolution de ce genre d'institutions dans le reste du monde?
Mme Macdonald: L'Australie a un diffuseur national analogue à la SRC. On l'appelle l'Australian Broadcasting Corporation. On y trouve aussi des diffuseurs privés, trois réseaux. Ce pays est beaucoup moins avancé que nous pour ce qui est des services spécialisés, bien que ce secteur y soit actuellement en expansion. Les Australiens se sont dotés d'un office du film inspiré de notre ONF. Il n'a jamais été aussi important et ambitieux que le nôtre, et, pour le moment, il n'est que l'ombre de ce qu'il a déjà été, car son budget annuel n'est plus que de 4 ou 5 millions de dollars, ce qui en fait une entreprise très modeste. L'ONF a été imité à quelques autres endroits. Le Danemark a un office du film conçu sur le modèle du nôtre. Il y a quelques exemples comme cela. Mais, à vrai dire, l'ONF est unique dans le monde. Nulle part ailleurs, il n'existe d'entité vraiment comparable.
La France est le pays qui encourage le plus la production de matériel audiovisuel. Elle déploie peut-être plus d'efforts que nous, mais je ne suis pas certaine que ce soit le cas en proportion de la population. On y trouve l'Institut national de l'audiovisuel, le CNC, et des réseaux de télévision publics et privés qui dépensent beaucoup d'argent. La France encourage très fortement ses artistes et est consciente du fait qu'elle ne saurait produire des films et des émissions de télévision de qualité sans s'occuper de ses acteurs, de ses écrivains, de ses éditeurs, et cetera, qui constituent son réservoir de talents. Elle ne voudrait pas risquer de les perdre. Quand on ne soutient pas le théâtre, on peut très difficilement produire de bonnes dramatiques pour la télévision.
Nous avons tendance à oublier que nous nous devons de prendre bien soin de nos talents, car les gens de talent ne disent pas: «Je n'accepte de jouer qu'à la télévision»; ils disent plutôt: «Je suis prêt à jouer là où on m'offrira de travailler». Si vous coupez les vivres au théâtre, la qualité de vos films s'en ressentira.
La présidente: Madame Leduc, comment nous situons-nous sur le plan international?
Mme Joanne Leduc, directrice du Programme international, Office national du film du Canada: Nous nous débrouillons fort bien sur la scène internationale. Nous avons des bureaux à Paris, à Londres et à New York. Depuis l'adoption de la politique sur le cinéma et la vidéo, notre vocation a été principalement commerciale. Nous avons en tout 18 employés, incluant le personnel du bureau de Montréal. Deux personnes sont responsables des festivals; elles ont donc un rôle davantage culturel et plus visible. Nous participons annuellement à quelque 275 à 300 événements, au Canada et à l'étranger.
Nous prenons également part à des salons de la télévision et de la vidéo, où nous faisons la promotion et la vente de nos produits, et ce, avec profit depuis quelques années.
La présidente: Depuis que l'ONF participe à des festivals et à des salons, combien de productions de l'ONF ont été achetées, disons au cours des trois dernières années, par des clients d'autres pays?
Mme Leduc: Des centaines, sinon des milliers. À la fin de chaque année, nous essayons d'évaluer nos productions qui se vendent le mieux. Il y a toujours quelques films qui ressortent parmi les autres, mais peut-être n'y en aura-t-il que quatre ou cinq qui se seront vendus dans plus d'un marché. Toutes les autres ventes sont individuelles, ponctuelles.
L'Office national du film est extrêmement bien connu et bien coté à l'étranger, et notre réputation est vraiment pour nous un atout quand nous participons à des salons. Les gens viennent nous voir parce qu'ils savent que nous produisons des émissions de qualité et, chose étonnante, ils connaissent très bien nos produits. Dans certains marchés particuliers, ils nous demandent soit des émissions pour enfants, soit des émissions à caractère scientifique, soit des documentaires sur la nature, la faune et la flore, et ils savent d'avance qu'ils trouveront chez nous ce qu'ils cherchent. Nous offrons une grande variété de produits.
La présidente: D'après votre expérience, quels sont les trois facteurs qui peuvent expliquer le succès d'un film de l'ONF?
Mme Leduc: Nous produisons surtout des films qui ne sont pas liés à des événements d'actualité, de sorte que certains d'entre eux peuvent se vendre pendant 20 ans. Ils ont une durée de vie très longue. Dans la catégorie des longs métrages, Mon Oncle Antoine a en fait été décrit comme peut-être le meilleur long métrage canadien jamais produit. Ces dernières années, «Company of Strangers» a connu beaucoup de succès. Il s'est vendu dans quelque 80 pays.
La présidente: Quels sont, à votre avis, les facteurs qui ont fait de ces films des produits de classe internationale?
Mme Leduc: Cela dépend du marché dont il s'agit, car nos produits pénètrent une grande variété de marchés. Tout en étant typiquement canadiens de par leur contenu, certains films véhiculent un message universel. D'autres peuvent être d'une grande originalité ou d'une très haute qualité. Les gens savent qu'ils peuvent trouver chez nous d'excellentes émissions pour enfants, par exemple. Nous ne pouvons nous comparer à Disney à tous égards, mais les gens savent que s'il s'agit d'une émission de télévision produite par l'ONF les enfants peuvent la regarder en toute sécurité.
La présidente: Avez-vous des alliances commerciales avec d'autres pays pour vos productions?
Mme Leduc: Parlez-vous de la production proprement dite?
La présidente: Oui.
Mme Leduc: Nous essayons de faire de plus en plus de coproductions et de préventes. Ce n'est pas aussi facile qu'on pourrait le croire, mais nous tournons actuellement quelques coproductions avec la France. Nous en avons fait quelques-unes avec le Royaume-Uni dans le passé. Nous avons de très bons rapports avec A&E et avec le History Channel aux États-Unis. Ils ont acheté d'avance certaines de nos productions, surtout des productions à caractère historique. En France, on s'intéresse principalement à nos films à caractère scientifique, et nous essayons de développer ce créneau à l'avantage des deux pays.
La présidente: Voici une question qui a déjà été soulevée ici même dans le passé: Puisqu'il y a quelque 9 000 titres disponibles à l'ONF, pourquoi la télévision publique, c'est-à-dire la SRC, n'en a-t-elle pas davantage fait profiter la population canadienne au cours des 20 dernières années?
Mme Macdonald: C'est une question qu'il faudrait poser à la SRC, je pense, car cette lacune ne dépend pas d'un manque d'efforts de notre part. En toute honnêteté envers la SRC, je dois cependant dire que, tout d'abord, nous ne produisons pas de feuilletons, et ce sont les feuilletons qui connaissent le plus de succès à la télévision. Nous faisons des films d'un seul bloc. Certains de nos films comportent deux ou trois parties, mais les télédiffuseurs ont du mal à nous trouver un créneau, car ils n'en ont que pour les véritables feuilletons. Cela pose problème.
Le deuxième problème, c'est que nos documentaires, qui constituent le gros de notre production, véhiculent généralement un message, et la SRC préfère présenter les faits sous un angle journalistique et tient absolument à ce que le contenu de ses émissions soit impartial. L'ONF a toujours été d'avis qu'il n'est pas nécessaire de présenter des points de vue parfaitement équilibrés dans toutes les émissions, parce que le monde regorge de toutes sortes d'information. Nous offrons un produit qui n'est pas neutre. Ce n'est pas du journalisme d'actualité que nous faisons, c'est du documentaire, c'est ça la différence. Un des problèmes, c'est que la SRC applique les normes du journalisme d'actualité au documentaire, ce qui n'est pas toujours judicieux.
Nos films d'animation, dont nous sommes extrêmement fiers, présentent des scénarios de longueur variée, et les télédiffuseurs ont terriblement de mal à trouver le moyen de les inscrire à l'horaire.
Le sénateur Spivak: Ils commencent à le faire.
Mme Macdonald: Nous nous ajustons, nous aussi. Les réalisateurs de films à l'Office ont, depuis fort longtemps, été réticents à l'idée de se faire dire par quelqu'un d'autre de quelle longueur devaient être leurs films. Ils disent, par exemple: «Mon film est fait pour durer 86 minutes», et le radiodiffuseur de répondre: «Je regrette, mais nous n'avons qu'une plage de 47 minutes à vous offrir», à quoi le réalisateur réagit en disant: «Pas question d'en faire un montage». Les télédiffuseurs sont maintenant plus compréhensifs, et nous devenons plus réalistes, je dirais.
Dans le cas des films d'animation, il est possible de réunir deux ou trois petites histoires courtes, de présenter une brève interview du réalisateur et de faire une petite émission intéressante d'une demi-heure. Nous avons diffusé six émissions de ce genre sur la chaîne Bravo au début de 1996. Elles ont été bien appréciées et nous ont valu un article dans le TV Times. Nous nous améliorons, nous aussi. Les problèmes n'émanaient pas d'une seule source; tout n'était pas de la faute de la SRC.
La présidente: Notre équipe de recherche aura probablement des questions supplémentaires à vous poser. Si vous avez d'autres recommandations à faire au comité, nous serons extrêmement heureux d'en prendre connaissance, si vous voulez bien nous en faire part par écrit au moment qui vous conviendra, mais de préférence avant la fin de février.
La séance est levée.