Délibérations du sous-comité des Communications
du comité sénatorial permanent des
Transports et des
communications
Fascicule 4 - Témoignages du 11 décembre
OTTAWA, le mercredi 11 décembre 1996
Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 16 h 30 pour étudier la position internationale du Canada dans le domaine des communications.
Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Bienvenu à notre comité, monsieur Ignacy. Comme vous le savez, nous examinons la position internationale du Canada dans le domaine des communications, comment le Canada peut demeurer à la fine pointe des communications à l'aube du 21e siècle. C'est une question complexe qui évolue rapidement.
Je vous invite maintenant à nous présenter votre exposé.
M. Ted Ignacy, vice-président, Finances et trésorier, Télésat Canada: Télésat est heureuse de comparaître devant votre comité pour lui faire part de son point de vue sur certaines questions qui intéressent le comité dans le secteur des télécommunications. Télésat oeuvre dans un secteur de l'industrie qui évolue rapidement, ce qui oblige la société à constamment revoir ses façons de fonctionner et de voir l'avenir, notamment les plans que nous devons mettre en place pour être concurrentiels.
Télésat est actuellement le seul fournisseur de services fixes par satellite au Canada et offre aux Canadiens des solutions de satellite dernier cri depuis le lancement de son premier satellite en 1972. En fait, avec le lancement d'Anik A1, le Canada a été le premier pays au monde à mettre en service un satellite commercial national de communication. Depuis, Télésat a déployé avec succès 11 de ses propres engins spatiaux et s'est appuyée sur ses compétences pour commercialiser son expérience dans ce même genre de services auprès d'autres clients dans le monde.
À l'heure actuelle, Télésat exploite trois satellites: Anik E1 et E2, qui assurent la meilleure partie du trafic d'affaires et de diffusion de Télésat, et Anik C3, dont la vie utile approche à sa fin et qui est utilisée pour offrir des services limités. Parmi les clients de Télésat, il y a notamment des radiodiffuseurs nationaux et régionaux et les entreprises de distribution d'émissions radiodiffusées, des sociétés d'exploitation de télécommunications et des revendeurs, ainsi que des clients d'affaires individuels qui utilisent les services d'affaires de Télésat. Télésat remplit son mandat en offrant de tels services à toutes les régions du Canada, y compris le Grand Nord.
Plus tôt cette année, Télésat a participé à la structuration d'un plan pour un service de radiodiffusion directe visant à offrir un secteur spatial à des clients canadiens et américains à partir d'une position orbitale canadienne. Ces plans ont pris fin lorsque la Federal Communications Commission des États-Unis a rejeté les demandes de licence pour bande de liaison montante des deux clients américains qui auraient utilisé le service de Télésat.
À l'heure actuelle, Industrie Canada diffuse dans la Gazette un avis par lequel il demande des propositions d'offre de services de radiodiffusion directe à des entreprises de distribution canadiennes. Télésat a l'intention de participer activement à ce processus et -- nous vous en parlerons davantage aujourd'hui -- estime qu'il s'agit d'une activité qui présente d'importantes possibilités de croissance pour notre entreprise.
Nos commentaires aujourd'hui porteront sur les domaines dans lesquels travaille Télésat: la fourniture de services par satellite et les conséquences globales des tendances commerciales et technologiques pour l'avenir de notre secteur. Nos commentaires sont structurés selon les catégories générales proposées par le comité dans les lignes directrices qu'il nous a fait parvenir.
Questions technologiques et commerciales: comme je l'ai dit, la technologie par satellite n'est pas nouvelle. Télésat oeuvre dans ce domaine depuis 27 ans et pendant toute cette période, les services de télécommunications par satellite ont été en concurrence avec les réseaux terrestres et les satellites étrangers. À de nombreux égards, un répéteur de satellite et un bout de câble de fibre optique se ressemblent en ce sens que les deux sont une «canalisation» qui permet de transmettre les signaux à une extrémité et de les recevoir à l'autre.
Bien qu'il soit possible techniquement d'utiliser d'autres systèmes pour transmettre des données ou des signaux, il y a des avantages certains à utiliser le satellite dans certains cas. Dans d'autres, un système terrestre peut convenir mieux. Lorsqu'un signal est transmis au satellite, il est possible de le recevoir n'importe où dans la région arrosée par le faisceau du satellite et tous les abonnés qui le souhaitent peuvent le capter au même moment. Par contre, les systèmes terrestres, par exemple le câble de fibre optique, le câble coaxial et les systèmes micro-ondes, exigent des installations de liaison entre le point d'origine et la destination. Par conséquent, le coût de livraison augmente selon la distance parcourue et le nombre de points de réception. Cependant, les facteurs économiques qui rendaient la transmission par satellite aussi rentable que les liaisons hertziennes pour la distribution point à multipoint et les systèmes terrestres aussi rentables que la transmission point à point changent constamment, de sorte qu'à l'heure actuelle, le prix des systèmes terrestres est concurrentiel dans bon nombre d'applications point à multipoint. La principale source de recettes de Télésat, soit les services fournis au secteur de la télédiffusion, est constamment menacée par les systèmes terrestres pour la distribution des signaux aux têtes de stations de câble. C'est cette zone grise de concurrence qui risque de plus de nuire aux activités de Télésat sur le marché canadien.
Les progrès technologiques se poursuivent et amènent avec eux une plus grande concurrence. Par exemple, au cours des 12 derniers mois, trois nouveaux requérants ont obtenu une licence d'Industrie Canada pour l'utilisation de systèmes de communication multipoint locaux dans la bande de 28 gigahertz pour distribuer des signaux numériques en direct grâce à la technologique sans fil -- sans câble terrestre ni satellite.
Le satellite conserve cependant certains créneaux naturels. C'est le cas surtout de la transmission de signaux à bande étroite ou à large bande dans les régions rurales et éloignées du Canada. Bon nombre de ces régions n'ont pas les installations terrestres nécessaires pour avoir accès à toute une gamme de services qui sont courants pour les habitants des régions urbaines, et d'autres régions éloignées ne recevront probablement jamais de services terrestres car la taille du marché ne justifie pas le prolongement du réseau terrestre dans ces régions. Ainsi, les systèmes par satellite conviennent tout à fait pour ce qui est d'offrir des services d'enseignement dans les régions éloignées du Canada -- ce qu'on appelle populairement l'apprentissage à distance.
Un autre avantage du satellite est sa capacité de transmettre rapidement et directement à l'utilisateur final de nouvelles applications à large bande dans des régions urbaines. Il suffit simplement d'installer une petite antenne parabolique, plutôt que de recourir à toute une batterie de matériel provenant de l'entreprise de câble ou de téléphone et d'apporter d'autres modifications au système de distribution. C'est pour le satellite une occasion de pénétrer le marché dans les régions où la population est dense pour la livraison de nouvelles applications. Cela lui offre la possibilité d'offrir de tels services avant que d'autres technologies concurrentes puissent offrir de façon rentable un service de signal à large bande dans ces régions.
Un exemple d'un tel service de satellite est le service de communication directe personnelle par satellite de Télésat, qui permet à tous les utilisateurs de recevoir d'énormes volumes de données dans leur ordinateur presque instantanément en utilisant une petite antenne parabolique. Ce service est utilisé pour mettre en oeuvre l'initiative du Réseau scolaire canadien en livrant des signaux à large bande aux écoles pour des services comme l'accès à Internet ou la transmission de logiciels mis à jour. Bien qu'il existe à l'heure actuelle d'autres solutions offertes par les services terrestres, la capacité de ces derniers se limite actuellement à des régions spécifiques du pays où des installations sont en place pour offrir un service comparable.
L'initiative du Réseau scolaire canadien est par ailleurs un bon exemple de la capacité des nouvelles technologies à rendre les services de télécommunication plus abordables. Le principal développement technologique qui a rendu les services par satellite abordables et accessibles pour les petits clients est la compression vidéo numérique (CVN). Grâce à la compression numérique, la quantité information qui peut être transmise par canal satellite a décuplé. Par conséquent, le coût de la transmission par satellite a considérablement diminué et un grand nombre d'applications qui étaient auparavant peu économiques sont maintenant abordables. Dans l'intérêt de tous les secteurs, l'infrastructure canadienne des télécommunications doit constamment être modernisée et offrir les services les plus modernes possible.
Malgré les développements de la technologie et de la compression numérique, la capacité des satellites Anik à assurer la prochaine vague d'applications sur l'autoroute de l'information est limitée. À l'heure actuelle, la technologie permet la réception économique de signaux provenant du satellite. Cependant, le coût d'une liaison montante et d'une transmission au satellite fait en sorte que l'utilisation du satellite n'est pas à la portée d'un grand nombre de petits utilisateurs ultimes. Par conséquent, la génération actuelle de satellites ne permet pas une utilisation interactive en tant réel du satellite pour les consommateurs.
Télésat s'est demandé comment améliorer son parc satellite pour être en mesure d'offrir la prochaine génération de satellites. La technologie existe sous forme de satellites de pointe à bande Ka. Cependant, étant donné la taille du marché canadien, il ne serait peut-être pas viable d'investir dans une telle technologie. Si on considère que le coût d'un satellite de pointe placé en orbite est évalué entre 350 et 400 millions de dollars et que le nombre de ménages canadiens qui ont un ordinateur n'utiliseraient qu'une fraction de la capacité d'un tel satellite, le coût final pour le consommateur sera considérablement plus élevé que nécessaire, et peut-être même plus élevé que d'autres solutions qui pourraient être un jour offertes sur le marché. Les Canadiens vivant dans des régions éloignées du pays ne pourront peut-être pas profiter des technologies les plus récentes.
Par conséquent, le défi pour Télésat consistait à justifier l'investissement de centaines de millions de dollars pour un nouveau satellite qui a des capacités de pointe, étant donnée la taille limitée du marché canadien. La solution que recherchait Télésat avec le satellite de radiodiffusion directe à domicile consiste à tenter d'exploiter l'énorme marché américain comme source de revenu pour augmenter le potentiel limité du marché canadien. Si un client américain s'abonnait au service d'un nouveau satellite et utilisait la partie de l'engin spatial inutilisée par les Canadiens, cela permettrait à un système appartenant à des intérêts canadiens et exploités par ceux-ci d'être mis en place dans un avenir immédiat et assurerait cette capacité aux clients canadiens.
Il n'était pas possible de donner suite à une telle proposition sans tenir compte de l'environnement actuel en matière de politique, et en fin de compte l'absence d'un cadre de politique permettant un tel plan a été l'obstacle qui a mené au rejet par la FCC des demandes des partenaires américains pour obtenir une licence de liaison montante pour un service de radiodiffusion directe à domicile. Si un client américain avait le droit de transmettre des signaux américains en utilisant un satellite canadien étranger, pourquoi les signaux canadiens n'auraient-ils pas le droit d'utiliser un engin spatial américain? À l'heure actuelle, la Loi sur les télécommunications stipule que des installations canadiennes doivent être utilisées et par conséquent, tant que les politiques qui régissent la prestation de services par satellite entre les deux pays n'auront pas été libéralisées, il est impossible de mettre en oeuvre un plan comme celui de Télésat.
La modification de la politique qui permettrait la mise en oeuvre d'un tel plan apporterait avec elle la concurrence étrangère. Dans l'industrie du satellite aux États-Unis, les tendances sont au regroupement et à l'intégration. Au Canada, il y a une seule société de services de satellite qui dessert une population de 25 millions de gens; aux États-Unis, il y a trois exploitants de satellite qui desservent dix fois plus de gens. Au Canada, Télésat exploite trois satellites. Aux États-Unis, le plus petit des trois exploitants, Loral/AT&T(Skynet), exploite quatre satellites; les deux autres, GE Americom et Hughes/PanAmSat, exploitent 12 et 14 satellites respectivement. Ces exploitants font partie d'organisations plus importantes qui s'occupent de la conception et de la construction de satellites et profitent de certaines économies d'échelle qui leur donnent un avantage des prix et des approvisionnements par rapport à leurs concurrents.
Au cours des derniers mois, l'amalgamation de Loral-Skynet et de Hughes-PanAmSat aux États-Unis montre comment cette tendance au regroupement se poursuit. Par ailleurs, ces exploitants américains sont déterminés à diversifier et à élargir leurs parcs de satellites au moyen d'autres types de satellites, notamment le satellite de radiodiffusion directe à domicile et les satellites de pointe qui fonctionnent dans la bande Ka.
Je voudrais également ajouter que ces sociétés américaines sont en train de se développer sur d'autres marchés. Elles jouent de plus en plus un rôle à l'échelle internationale.
La question que doit se poser Télésat est la suivante: Comment la société va-t-elle se positionner si elle veut survivre à une telle concurrence? Depuis sa création, Télésat s'acquitte du mandat qui lui a été confié pour remplir un objectif de politique publique: offrir des services à toutes les régions du Canada, y compris le Grand Nord et d'autres régions éloignées. Par conséquent, son infrastructure et ses activités visent à desservir uniquement le marché canadien. Si la concurrence du secteur des satellites sur le marché intérieur doit inclure les exploitants américains -- et je suis certain que ce sera le cas dans un avenir très rapproché --, Télésat devra changer sa façon de faire des affaires et se tourner vers d'autres marchés pour appuyer la croissance et la taille dont elle a besoin pour faire face à une concurrence plus large et plus intégrée. Ce ne sera pas une transition facile pour Télésat. Les compagnies de satellite américaines sont déjà beaucoup plus grandes et plus diversifiées que Télésat.
Par ailleurs, elles opèrent déjà au Canada... non seulement légalement par la transmission de signaux de programmation américaine autorisés par le CRTC aux stations de câble et par la transmission du trafic d'affaires transfrontalier, mais également par le marché gris avec la réception des services de satellite américains de radiodiffusion directe à domicile au Canada, pour lesquels on estime qu'il y a quelque 200 000 abonnés.
Pour que Télésat puisse faire face à la concurrence, elle doit mettre sur orbite des satellites qui couvrent tout le marché nord-américain. Télésat doit également diversifier son parc de satellites pour compléter ses satellites Anik à bande C et à bande Ka au moyen de satellites de radiodiffusion directe à domicile plus spécialisés et de satellites de pointe à bande Ka. Elle doit établir des partenariats et des alliances avec des fournisseurs de services qui ont accès au marché américain.
Cette transition exige un investissement important en capital et comporte un risque considérable. Télésat croit cependant qu'il est possible de faire la transition avec l'aide du gouvernement. Le Gouvernement du Canada peut aider Télésat en adoptant une orientation stratégique qui permettra à Télésat de maintenir son assiette de revenus actuelle tout en lui donnant l'occasion de saisir les nouvelles possibilités sur le marché canadien et de se préparer à pénétrer de nouveaux marchés.
Par ailleurs, Télésat doit avoir la certitude que la politique va changer et doit en recevoir préavis. En d'autres termes, nous devons savoir à l'avance que l'on nous permettra d'avoir accès à d'autres marchés. Sans un tel préavis, il n'est pas possible de justifier l'investissement additionnel nécessaire pour construire des installations qui s'adressent à un marché américain et qui sont plus coûteuses que des installations qui ne s'adressent qu'à un marché canadien.
Nous avons examiné le coût des satellites à plusieurs reprises pour ce qui est du marché canadien et à cet égard, nous pourrions sans doute mettre un satellite en orbite pour quelque 200 millions de dollars canadiens. Pour mettre en orbite un satellite qui couvrira toute l'Amérique du Nord, le coût se rapproche davantage des 300 millions de dollars. Pour nous, ça veut dire que nous risquerions 100 millions de dollars sans savoir si les règles vont changer et ce n'est pas un investissement que nous pouvons justifier auprès de nos actionnaires.
Par ailleurs, nous croyons qu'il conviendrait que le Canada puisse concurrencer les Américains à armes égales. Comme nous l'avons dit, les exploitants américains font déjà des affaires au Canada en fournissant des services transmis du satellite au câble et des services d'affaires transfrontaliers. Télésat estime qu'elle devrait pouvoir être mesure d'établir une plus grande présence sur le marché américain avant que les exploitants américains puissent augmenter leur part du marché canadien.
En tant que Canadiens, il est critique que nous fassions les choses comme il faut. Télésat estime qu'une période de transition vers un environnement plus concurrentiel est nécessaire pour donner à l'exploitant canadien actuel la possibilité de se préparer pour faire face à la concurrence. Avec un préavis confirmant que la concurrence s'en vient et quelques années pour investir dans une infrastructure, Télésat peut se positionner pour faire face à la concurrence nord-américaine.
Les services de divertissement sont une façon puissante d'attirer le marché vers un réseau. Le Canada dispose de peu de créneaux orbitaux de service de radiodiffusion directe à domicile, qui sont en demande par les fournisseurs de services américains qui voient une occasion extraordinaire d'offrir des services de divertissement lucratifs au marché américain. Pourquoi est-ce si important pour l'avenir du Canada dans la prestation des services de télécommunications? Les futurs services de satellite apporteront des services de haute fréquence à grande puissance, notamment des services de données, des jeux, des services de magasinage et des services bancaires, et des services d'Internet directement à domicile grâce à la bande Ka de pointe. Dans la mesure où ces satellites peuvent être situés dans les mêmes positions orbitales canadiennes que les satellites de radiodiffusion directe à domicile, avec des millions d'antennes paraboliques canadiennes et américaines dirigées vers ce créneau orbital, cela établit fermement et pour toujours l'industrie canadienne du satellite dans un rôle de prestation de services naissants et de services de pointe offrant les meilleures possibilités de croissance.
Je vais maintenant aborder les questions concernant le capital humain. Comme je l'ai déjà mentionné, le Canada a été le premier pays à mettre en service à des fins commerciales un satellite de communication en juin 1972. À cette époque, le Canada était de toute évidence à la fine pointe de la technologie, et on pouvait trouver au Canada tout autant d'emplois dans les technologies de pointe qu'ailleurs dans le monde.
Télésat continue à maintenir et à développer les compétences de catégorie mondiale qui sont nécessaires pour obtenir et exploiter des satellites. Ces emplois sont très spécialisés: bon nombre d'experts sont des scientifiques, des mathématiciens et des ingénieurs, qui participent au processus de conception et d'établissement des devis dans le cadre d'un programme d'approvisionnement; d'autres participent au processus complexe et critique du lancement -- le lancement, la mise sur orbite à basse altitude et à haute altitude, et le placement final dans le créneau orbital pour le déploiement; d'autres sont des spécialistes en matière d'exploitation qui élaborent le logiciel permettant de contrôler les satellites pour toute leur durée de vie, ce qui comprend la mise au point de manoeuvres compliquées pour compenser pour le vieillissement des composantes et prolonger la durée des satellites lorsque cela est possible.
Tous les pays du monde recherchent ces compétences, et cela est pour Télésat une importante source de revenus. Ces experts ont acquis leur réputation grâce à une expérience pratique et à leur participation continue en tant que décisionnaires dans la mise au point du parc de satellites de Télésat. Pour que ces emplois puissent demeurer au Canada, l'industrie canadienne du satellite devra continuer à exister et à progresser.
Il est essentiel, pour assurer la survie à long terme de ce type d'emplois au Canada, que le Canada élabore des politiques susceptibles de faire en sorte que l'industrie canadienne du satellite puisse survivre et prospérer dans un environnement très compétitif.
Questions culturelles: Télésat n'a pas grand-chose à dire sur les questions culturelles, parce que la compagnie n'a pas vraiment son mot à dire sur le contenu des signaux qui sont diffusés au moyen de ses satellites. Toutefois, la fourniture d'installations est une activité qui a certaines répercussions sur la croissance de notre secteur culturel.
Je tiens à être clair. J'insiste sur un point: quand nous parlons de concurrence et d'ouverture du marché, nous parlons de la fourniture d'installations de satellites seulement. Nous ne faisons aucune observation sur le type de services qui sont diffusés grâce à ces satellites.
La mise en place d'un réseau de satellites de propriété canadienne ayant une empreinte nord-américaine ne garantit nullement que les diffuseurs de programmes canadiens auront accès à de nouveaux marchés aux États-Unis. Toutefois, cela ouvre tout au moins la porte à la possibilité de s'établir dans des créneaux à l'extérieur du Canada, ce qui pourrait créer de nouvelles sources de revenus et une vitrine pour les produits canadiens.
Tout comme Télésat doit s'appuyer sur les bases qu'elle possède déjà au Canada pour se préparer à affronter la concurrence étrangère, nous croyons que nos clients auront la même stratégie. Ils continueront de se positionner sur le marché intérieur et d'améliorer leurs services, tout en cherchant à exploiter de nouveaux débouchés à l'étranger. Une infrastructure de satellites de propriété canadienne ayant une empreinte nord-américaine répondra à leurs besoins en leur donnant accès à de nouveaux clients sans coûts additionnels. Ce marché plus étendu leur permettra de répartir les coûts de développement et de production de produits sur un plus grand nombre de clients, d'abaisser leurs prix et d'accroître ainsi la compétitivité du secteur canadien.
Par conséquent, il y a un lien direct entre l'élaboration et la mise en oeuvre de stratégies et de politiques donnant accès à de nouveaux marchés, de manière à assurer la survie à long terme d'un secteur canadien du satellite, et d'autre part des mesures visant à assurer la survie à long terme de nos industries culturelles. Télésat croit que les forces du marché vont décider de plus en plus de ce que les gens vont regarder et que la réglementation aura une portée de plus en plus limitée, à mesure que la technique se perfectionne, rendant presque impossible la mise en oeuvre de politiques en la matière. La meilleure stratégie est d'avoir des produits canadiens de très fort calibre et de mettre en place des politiques permettant aux fournisseurs canadiens d'installations d'offrir ces produits dans d'autres marchés.
En bref, Télésat veut faire part au comité de deux réflexions fondamentales qui, de l'avis de la compagnie, résument bien le rôle que joue un exploitant canadien de satellites pour promouvoir la prospérité du Canada: premièrement, la viabilité à long terme des emplois de pointe dans le secteur des satellites dépend de la viabilité d'un réseau de satellites appartenant à des Canadiens et contrôlé par des Canadiens; deuxièmement, la croissance, l'essor et la survie à long terme des industries culturelles canadiennes sont grandement favorisés par l'existence d'un éventail d'options de distribution que peut offrir une infrastructure satellitaire à la fine pointe de la technologie.
Pour assurer la survie à long terme de l'industrie canadienne des satellites, Télésat croit que le gouvernement doit apporter des changements à la politique canadienne en matière de satellites de manière à opérer une libéralisation graduelle des marchés du satellite au Canada et aux États-Unis, avec une étape de transition permettant à Télésat de se préparer à affronter la libre concurrence. Pourvu qu'elle soit bien mise en oeuvre, cette politique garantira la viabilité à long terme d'un réseau satellitaire de propriété canadienne et contrôlé par des Canadiens, capables de répondre aux besoins des Canadiens.
Cela met fin aux observations de Télésat. Nous remercions le comité de nous avoir donné la possibilité de présenter notre point de vue.
La présidente: Monsieur Ignacy, merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir abordé chacune de nos quatre préoccupations principales.
Une chose me frappe: vous vous êtes abstenu d'aborder l'une des questions de prédilection des médias, nommément le système de radiodiffusion directe du satellite au foyer. Croyez-vous que le Canada aura un jour un secteur de la télévision par satellite de radiodiffusion directe?
M. Ignacy: Madame la présidente, je ne me suis pas vraiment abstenu d'en parler. Nous avons fait allusion au fait qu'Industrie Canada a publié dans la Gazette une demande de propositions pour la fourniture d'installations qui permettraient la mise en place d'un système de radiodiffusion directe au Canada. Télésat compte bien participer à ce processus. Je rappelle que c'est un processus compétitif et qu'en conséquence, il ne m'est pas loisible de divulguer quelle est notre stratégie à cet égard.
La présidente: Pouvez-vous nous dire quel serait votre rôle, ou bien préférez-vous garder cela pour vous pour l'instant?
M. Ignacy: Il y a un point sur lequel nous insistons, à savoir qu'à notre avis, il faut une masse critique pour affronter la concurrence nord-américaine. Pour atteindre cette masse critique, il faut faire deux choses: d'abord, ajouter à notre parc de satellites, aux deux principaux satellites opérationnels que nous avons actuellement; et de plus, diversifier notre parc de satellites. Nous ne pouvons pas dépendre uniquement de la bande C et de la bande Ku. Nous devons nous lancer dans le SRD.
À l'heure actuelle, plus de 60 p. 100 du temps d'utilisation de nos satellites est consacré à la radiodiffusion. Il est clair que nous devons être présents dans ce secteur, car si nous ne le sommes pas, je ne suis pas vraiment sûr que les satellites aient leur raison d'être.
Nous participons au processus amorcé par la publication de l'avis dans la Gazette. Nous croyons que nous devrions en sortir gagnants. Si le Canada veut qu'une compagnie de satellites survive et s'il veut ouvrir la porte à la concurrence des États-Unis, alors nous devrions obtenir le SRD, et à partir de là, nous pourrons bâtir une plate-forme.
Il y a eu un changement de technologie ces dernières années et le satellite devient plus facile d'utilisation. Pendant des années, nous avons vendu nos services à de gros clients, de grands réseaux -- la SRC, CTV, et cetera. C'est seulement dernièrement que la technologie nous permet d'amener les signaux diffusés par satellite directement au foyer et il faudra établir une masse critique de clients utilisant les services d'un satellite orbital canadien; c'est un facteur critique pour notre survie.
Nous voulons y parvenir grâce au SRD. La demande qui émane actuellement du marché vise une multitude de services que les gens veulent recevoir au moyen de leur téléviseur. Ils peuvent obtenir cela grâce au satellite. La demande est bonne aux États-Unis et nous croyons qu'elle l'est également au Canada.
Si nous pouvons obtenir un nombre suffisant de clients qui pointent leur antenne vers un satellite canadien, alors le satellite de dernière génération et les services qu'il peut offrir deviennent possibles grâce à la présence d'une clientèle suffisamment nombreuse.
Le sénateur Spivak: Votre exposé est fascinant. J'ai l'impression que vous nous dites que les installations que vous avez actuellement étaient naguère de la technologie dernier cri; que vous avez actuellement un créneau orbital précieux, mais que vous n'avez pas la technologie dernier cri parce qu'il faut avoir la clientèle voulue. Vous ne pouvez pas investir les sommes nécessaires. C'est ce que je retiens de vos propos.
Pourriez-vous revenir, premièrement, sur les raisons de la décision de la FCC. Je me demande si vous pourriez nous dire encore une fois pour quelle raison la FCC n'a pas accepté cette demande?
M. Ignacy: Je dois vous reprendre sur un point. Télésat ne possède aucun créneau orbital. Les créneaux orbitaux appartiennent au gouvernement du Canada. Télésat a obtenu le droit d'utiliser certains de ces créneaux orbitaux.
Le sénateur Spivak: Ils n'ont pas été vendus aux enchères?
M. Ignacy: Non, ils n'ont pas été vendus aux enchères. J'espère qu'ils ne le seront jamais.
Le sénateur Spivak: Je l'espère également, mais vous avez le droit de les utiliser?
M. Ignacy: Nous pouvons les utiliser. Nous ne pouvons pas utiliser les créneaux orbitaux de SRD. C'est justement l'objet de l'avis publié actuellement dans la Gazette. Nous utilisons d'autres créneaux orbitaux que le Canada possède pour les services de bande C et de bande Ku. Je ne dirais pas que les satellites de bande C et de bande Ku que nous avons actuellement ne sont pas dernier cri. C'est de la technologie de pointe et ces satellites étaient de dernier cri quand ils ont été lancés. Ils continuent d'ailleurs à offrir un service très efficace au Canada.
Depuis que nous avons lancé ces satellites, d'autres satellites plus spécialisés ont été lancés. Nous n'en avons pas encore lancé de ce dernier type, qui sont des satellites de radiodiffusion directe et des satellites dernier cri de bande Ka. Je crois qu'actuellement, un seul satellite de bande Ka est en orbite.
Le sénateur Spivak: Quand vous le ferez, nous aurons une véritable convergence. Est-ce la raison pour laquelle vous serez en mesure de fournir tous ces services?
M. Ignacy: La technologie des satellites en a toujours été une de convergence. Dès le départ, nous avons diffusé des signaux de téléphone, de données et de radiodiffusion, même s'ils étaient tous analogiques et sur des canaux satellitaires différents. Ce que la compression de signaux vidéo numériques nous a permis de faire, c'est de mélanger tout cela et de le mettre sur un seul canal.
Le sénateur Spivak: Cela va seulement vous permettre d'étendre votre empreinte, n'est-ce pas? J'essaie de comprendre clairement quels sont les avantages de la bande Ka.
M. Ignacy: Ce que les nouveaux satellites ont que nous n'avons pas actuellement dans nos satellites, c'est une puissance beaucoup plus grande. La taille de l'antenne parabolique nécessaire pour capter le signal au sol est inversement proportionnelle à la puissance du satellite. Plus le satellite est puissant, plus petite est l'antenne parabolique qu'il faut installer au sol. Les consommateurs aiment les petites antennes. Elles sont déjà fabriquées en grande série aux États-Unis, de sorte qu'elles coûtent seulement de 200 $ à 300 $ U.S. C'est donc très accessible pour le consommateur.
Avant l'arrivée de cette dernière génération de satellites très puissants, les antennes que nous vendions avaient au moins un mètre de diamètre et leur utilité était très étroite. Avant cela, les antennes paraboliques avaient plusieurs mètres de diamètre. Ce sont les antennes que l'on voit encore installées dans la cour arrière des maisons. Ce sont les Canadiens fidèles qui continuent de capter les signaux émis par nos satellites Anik.
La présidente: Ils ont peint le drapeau canadien dessus.
M. Ignacy: Je reviens à votre question, sénateur, à savoir pourquoi la commission américaine a refusé les demandes de liaison montante de deux clients. Actuellement, les politiques en vigueur au Canada et aux États-Unis sont telles que l'on donne la préférence à l'utilisation d'installations nationales.
Le sénateur Spivak: Dans les deux pays?
M. Ignacy: Dans les deux pays. Le gouvernement des États-Unis a été un peu plus ouvert pour ce qui est d'autoriser des services étrangers. Il a conclu une entente avec le Mexique sur la télévision directe par satellite, en vertu de laquelle chaque pays aura accès au marché de l'autre. Il a également publié un avis invitant le public à faire connaître son point de vue et explore la possibilité de permettre à des satellites étrangers d'offrir des services aux États-Unis.
Nous pensions que l'environnement politique était favorable pour que le gouvernement du Canada apporte un changement et Industrie Canada a d'ailleurs appuyé notre initiative. Malheureusement, les Américains voulaient lier les installations et le contenu, ce qui a provoqué la rupture des pourparlers entre les deux pays. Il n'était pas question que la FCC approuve ces demandes de liaison montante présentées par nos deux partenaires tant que l'administration américaine n'aurait pas conclu une entente avec le Canada.
Le sénateur Spivak: C'était justement le but de l'ALÉNA. C'était une façon de contourner les dispositions de l'ALÉNA.
M. Ignacy: En effet. L'ALÉNA protège le secteur culturel.
Le sénateur Spivak: Absolument, et je m'en réjouis. Vous vous êtes prononcés contre la demande de Power DirecTv, qui prévoyait un service transfrontalier canado-américain, mais vous voulez maintenant lancer vous-mêmes un projet semblable. Quelle est la différence? Comment s'explique votre volte-face?
M. Ignacy: Je vais faire un retour en arrière. Quand nous avons construit les satellites Anik A, nous les avons dotés d'une capacité extraordinaire. En 1995... non, je dois revenir plus loin en arrière. Télésat appuie la télévision directe par satellite depuis le milieu des années 80. La raison en est que nous voulions utiliser la capacité de nos satellites en transmettant des signaux de radiodiffusion. Nous pensions que c'était une bonne application de la technologie des satellites.
Nous avons participé de très près à la création de la compagnie qui est devenue en fin de compte Expressvu. Nous étions présents à l'étape initiale de ce plan d'affaires. Nous avons présenté au CRTC une demande d'exemption des exigences de licence de la Loi sur la radiodiffusion et Expressvu s'était engagée à utiliser des satellites canadiens pour son service SRD.
Même à cette époque, nous étions menacés par la compression vidéo numérique. Comme je l'ai dit, la radiodiffusion représente environ 60 p. 100 de l'utilisation de nos satellites. Avec l'invention de la compression vidéo numérique, beaucoup de nos clients dans le secteur de la radiodiffusion comprimaient leurs signaux. Nous avons vu l'utilisation de nos satellites diminuer. En fait, cette tendance à la baisse se poursuit. Nous croyons que d'ici l'an 2000, nous pourrons diffuser tous les signaux au Canada à l'aide d'un seul satellite. Nous n'aurons pratiquement plus besoin du deuxième satellite, sauf pour le SRD.
C'est pourquoi nous avons appuyé les demandes d'Expressvu, de même que toutes autres demandes de SRD prévoyant l'utilisation d'installations canadiennes. Notre désaccord avec Power DirecTv tient à ce qu'ils voulaient utiliser des signaux américains sur des satellites américains, ce qui était contraire à toute la réglementation canadienne en vigueur à ce moment-là.
Au bout du compte, on a remanié la demande pour qu'elle réponde au plus grand nombre possible d'exigences canadiennes. Mais au départ, nous étions contre l'utilisation d'installations américaines et de la diffusion de signaux américains au Canada. La différence entre ce que Power Direct tentait de faire et ce que nous proposons, c'est que nous ne proposons pas de changer le moindrement la politique culturelle au Canada. Notre proposition vise uniquement la fourniture d'installations. Nous voudrions que ce marché soit ouvert pour que nous ayons accès au marché des États-Unis, que nous puissions élargir notre clientèle et accroître notre parc de satellites.
Nous croyons que la concurrence dans le secteur des satellites est inévitable. En fait, elle existe déjà. La politique et la loi elles-mêmes ne tiennent pas vraiment debout, puisqu'il y a 200 000 abonnés du marché gris au Canada. En fait, mon patron, le président de Télésat, est allé dans la région polaire et a constaté, à sa surprise, que l'on peut recevoir le signal de DirecTv même jusque là-bas. Comment peut-on faire respecter cela?
Les services de bande C et de bande Ku rejoignent plus de 80 p. 100 de la population canadienne, puisque la plupart des Canadiens vivent juste au nord du 49e parallèle, en marge de l'empreinte des satellites américains.
Le sénateur Spivak: Si Power Direct avait autorisé la diffusion d'émissions canadiennes au moyen de satellites américains aux États-Unis, ils prétendent que cela aurait étendu le marché.
Dans ces conditions, que demandez-vous exactement, en termes de politique, pour vous permettre de mettre vos projets à exécution? Que demandez-vous du gouvernement canadien? Qu'est-ce qui vous serait utile?
M. Ignacy: Dans le cas des satellites de radiodiffusion directe, que la fourniture des installations soit ouverte le plus tôt possible à la concurrence dans les deux pays. Ce serait le premier pas.
Le sénateur Spivak: Que ferez-vous au sujet de l'exigence des Américains, qui veulent que tout soit lié? Cela ne dépend pas exclusivement des Canadiens.
M. Ignacy: J'en suis conscient, mais nous y voyons une première étape. Ce n'est pas à moi qu'il incombe de négocier l'entente avec les États-Unis. Je peux faire une recommandation. Quant à la mise en oeuvre, cela relève du gouvernement.
La deuxième étape porte sur les services fixes par satellite, les services de bande C et de bande Ku que nous assurons actuellement à l'aide des satellites Anik. Nous aimerions être avisés à l'avance que le secteur sera ouvert à la concurrence. Il faut de deux à trois ans pour construire et lancer un satellite. Actuellement, nous n'avons pas de satellite pouvant desservir les États-Unis. Il est évident que nous ne sommes pas en mesure de faire concurrence aux fournisseurs américains.
Le sénateur Spivak: Vous voulez prolonger quelque peu le monopole.
M. Ignacy: Non, nous ne demandons pas le monopole. En théorie, le monopole actuel durera jusqu'en l'an 2002. Nous disons que nous voulons savoir deux ou trois ans à l'avance qu'il y aura changement de politique. Nous ne voulons pas l'apprendre subitement, sans avertissement, parce que nous serons pris au dépourvu.
Le sénateur Rompkey: Je veux revenir sur la question de la politique. Vous voulez que la politique canadienne change; vous voulez qu'elle soit libéralisée, afin que vous puissiez investir et étendre votre empreinte, pour ainsi dire.
M. Ignacy: En effet.
Le sénateur Rompkey: Qu'arrive-t-il si le gouvernement canadien change de politique sans avoir conclu une entente? Je voudrais que l'on examine cette question, car je crois que c'est la voie la plus prometteuse pour le Nord du Canada, le Grand Nord. Les autres technologies dont nous avons entendu parler ne peuvent pas garantir qu'elles pourront assurer le service dans les petites localités isolées du Nord du Canada. Par contre, je crois que Télésat peut le garantir.
C'est pourquoi je voudrais que l'on examine d'abord et avant tout toute la question des changements à apporter à la politique. Quelles en seraient les répercussions, si nous nous contentions de changer la politique sans avoir conclu un marché avec les États-Unis?
M. Ignacy: Nous ne demandons pas au gouvernement canadien de changer de politique unilatéralement. Il est clair que cela n'est pas dans notre intérêt. Il nous faut un accès assuré aux États-Unis. Il faut une entente bilatérale avec les États-Unis. Nous devons savoir que nous avons accès au marché. Nous ne voulons pas que le gouvernement des États-Unis conclue une entente avec le gouvernement canadien tout en laissant un énorme pouvoir discrétionnaire à la FCC, de sorte que tout pourrait bloquer au niveau de la FCC.
Si nous autorisons les compagnies américaines à fournir des installations de satellites au Canada, nous devons savoir que nous avons accès au marché américain. Par conséquent, nous ne recommandons pas un changement unilatéral de politique.
Le sénateur Rompkey: Dans ce cas, que recommandez-vous?
M. Ignacy: Nous recommandons que l'on négocie ce changement bilatéralement avec les États-Unis.
Le sénateur Rompkey: C'est ce que l'on a tenté de faire et l'on a échoué; n'est-ce pas?
M. Ignacy: J'ignore dans quelle mesure on a vraiment essayé. Il y a actuellement des discussions sur une base multilatérale. Un certain nombre de points intéressent les États-Unis.
Le sénateur Rompkey: Vous parlez des discussions à l'OMC?
M. Ignacy: Oui. Un certain nombre de points abordés dans ces discussions sont susceptibles d'intéresser les Américains. Je ne peux pas parler au nom du gouvernement du Canada et vous dire où en sont ces négociations, mais il y a peut-être possibilité de s'entendre avec les États-Unis.
Le sénateur Rompkey: Que souhaiteriez-vous, comme aboutissement des discussions à l'OMC?
M. Ignacy: Ce que nous souhaitons d'abord et avant tout, comme je l'ai dit, c'est un changement relativement à la fourniture d'installations SRD, de manière que chacun ait accès le plus tôt possible aux marchés des deux pays. Ensuite, pour ce qui est des services fixes par satellite, nous souhaitons une entente aux termes de laquelle les échanges et la fourniture d'installations de satellites seront libres à une date fixée à l'avance.
Le sénateur Rompkey: Seriez-vous en mesure d'offrir une vaste gamme de services? Je crois comprendre que le problème qui se pose dans le Nord, est que si l'on peut capter la télévision par satellite, il y a beaucoup d'autres services que l'on ne peut pas obtenir, tout au moins pas sans installer beaucoup d'infrastructures au sol.
M. Ignacy: En effet.
Le sénateur Rompkey: Cette infrastructure n'existe pas actuellement et peut-être ne vaudrait-il pas la peine d'investir pour la construire, étant donné la petitesse du marché. Que seriez-vous en mesure d'offrir? Pourriez-vous fournir l'accès à Internet, par exemple?
M. Ignacy: Nous le faisons déjà. Nous offrons déjà ce service, par branchement direct sur ordinateur personnel, via les satellites Anik. Ce service existe déjà. Il y a une foule de services qu'il est possible d'obtenir par Anik, mais ce sont plutôt des services axés sur la réception de signaux, et non pas des services interactifs ou de transmission. À nos yeux, la nouvelle vague de services sur l'inforoute sera du type multimédia interactif, c'est-à-dire que l'on pourra envoyer des images de télévision d'un foyer à un autre en passant par le satellite. Cela devient possible avec un satellite avancé de grande puissance à bande Ka. Nous examinons cette possibilité.
Comme je l'ai dit à la présidente, nous espérons nous bâtir une clientèle grâce au SRD. Actuellement, ce que les consommateurs veulent, ce sont des services de divertissement. Nous voudrions répondre à cette demande. Une fois cette infrastructure en place, nous pourrions ajouter des services plus perfectionnés.
Le sénateur Johnson: Êtes-vous en faveur d'un prélèvement culturel de 5 p. 100 sur toutes les installations, y compris celle de Télésat?
M. Ignacy: Spontanément, je dirais que je suis contre tout prélèvement culturel. Nous payons déjà des droits au gouvernement pour l'utilisation des créneaux orbitaux et ce n'est pas bon marché. L'exploitation d'un réseau de satellite entraîne toutes sortes de coûts. Je ne peux pas être en faveur d'un coût supplémentaire.
Le sénateur Johnson: Comme vous le savez, le CRTC réglemente également ce secteur et les entreprises doivent payer des redevances. Un nouveau règlement est en préparation, mais je crois vous avoir entendu dire que vous payez pour autre chose. Alors, que pensez-vous de tout l'aspect culturel? Cela se limite-t-il à ce que vous avez dit aujourd'hui? C'est purement une affaire de gros sous?
M. Ignacy: Non, je voudrais revenir, si vous le voulez bien, à l'idée d'une redevance. Si l'on imposait le paiement de redevances sur la fourniture d'installations de satellite, il nous faudrait transmettre ce coût à nos clients. Au bout du compte, ce sont les consommateurs qui payeraient. Vous vous trouveriez à imposer une taxe aux consommateurs pour l'achat d'un produit canadien. Si vous avez en tête cet objectif, je vous demanderais d'y réfléchir soigneusement.
Pour ce qui est de la culture, nous nous intéressons beaucoup à la culture canadienne, qui est notre moyen d'existence depuis le début. Nous n'exerçons aucune influence. Nous ne disons pas à Radio-Canada ou à CTV comment mener leur entreprise. Néanmoins, nous travaillons en très étroite collaboration avec ces entités. Nous essayons de leur fournir la technologie la plus récente. Nous travaillons avec eux pour optimaliser l'efficience du satellite, afin que leurs coûts soient plus bas et qu'ils puissent mieux faire ce qu'ils ont à faire. De ce point de vue, nous nous y intéressons.
L'importance des satellites canadiens pour l'industrie culturelle est que, dans la mesure où nous pouvons offrir une infrastructure qui lui permettra d'exporter son produit et de trouver d'autres débouchés sans que cela entraîne un coût additionnel important, cela ne peut que lui être avantageux.
Le sénateur Johnson: Au sujet des alliances qui sont en place pour un système mondial de satellite, Télésat peut-elle jouer un rôle quelconque dans ce dossier?
M. Ignacy: Pas directement. Vous parlez des systèmes mondiaux de satellite. Il y en a deux.
Le sénateur Johnson: C'est nouveau pour moi. Peut-être pourriez-vous me parler un peu de ces systèmes mondiaux.
M. Ignacy: Je crois que le dernier service qui sera opérationnel sera Iridium, projet de Motorola. Leur projet consiste à lancer 66 petits satellites qui seront placés sur ce que l'on appelle une orbite basse terrestre. Nos satellites sont géostationnaires. Ils se trouvent à environ -- je dois faire attention pour vous donner le bon chiffre -- environ 23 000 milles d'altitude. Les satellites en orbite basse terrestre circulent sur une orbite à environ 800 milles, je crois. Ils installeraient donc une constellation de 66 satellites autour de la terre. Comme ces satellites sont beaucoup plus proches de la terre, le signal n'a pas autant de distance à parcourir pour aller jusqu'au satellite et en revenir. Cela réduit d'autant le délai attribuable au satellite aux fins de la téléphonie.
L'autre aspect du projet, est que l'on pourrait aller n'importe où dans le monde avec un téléphone de type cellulaire et l'on pourrait vous rejoindre n'importe où avec un seul numéro. Le lancement de ce service est imminent. Les premiers satellites étaient censés être lancés cette année. Le programme a été quelque peu retardé, mais je crois savoir que c'est seulement remis au début de 1997.
Il s'agit d'un des systèmes planétaires. Nous n'avons pas de participation directe dans ce système; par contre, nous avons fait beaucoup de travaux de consultation pour lui. Nous avons construit une station de poursuite à Yellowknife et à Iqaluit à partir desquels nous allons observer pour eux leurs satellites. Nous allons obtenir certains marchés de télécommunication et tout le travail de télémétrie, et les données que nous recevrons des satellites seront transmises sur le nôtre jusqu'à son siège aux États-Unis.
Nous bâtissons pour lui aussi une station de poursuite à Hawaï, ce qui devrait nous amener d'autres contrats de consultation. Cela a été avantageux pour nous, mais nous n'avons pas de participation directe.
Le sénateur Johnson: Y a-t-il des limites au nombre de satellites qu'il peut y avoir? Y en aura-t-il jamais?
M. Ignacy: Dans le cas des satellites géostationnaires, il faut respecter un intervalle donné entre eux sans quoi les signaux créent de l'interférence entre eux lorsqu'ils reviennent sur terre. Ils se mélangent. Il faut donc respecter un certain écart. Tous les satellites géostationnaires sont placés sur un plan équatorial à 23 000 milles de distance. Il faut conserver entre eux un certain écart pour éviter cette interférence. Il y a donc une limite au nombre de satellites géostationnaires qui peuvent exister.
Les radiofréquences et l'interférence sont les points problématiques. Plus il y a de satellites dans le ciel, plus les risques d'interférence sont grands.
Le sénateur Johnson: Combien peut-il y en avoir avant que ne survienne le problème d'interférence?
M. Ignacy: Tout cela est coordonné par l'Union internationale des télécommunications, un organe de l'ONU. Tous les pays du monde en font partie. C'est par l'intermédiaire de l'Union qu'ils coordonnent l'usage des fréquences et il y a une filière à suivre pour les obtenir. Le système Iridium a fait l'objet de coordination; le système Gates aussi. Il y a donc au moins une place pour ces deux systèmes. Je pense que le système Odessy attend lui aussi le feu vert, comme d'autres.
Le sénateur Spivak: Est-ce que Gates va de l'avant avec son système pour faire le tour de la terre?
M. Ignacy: À l'entendre, oui. En tout cas, il a l'argent qu'il faut. Nous aimerions bien décrocher quelques contrats de consultation là-dessus.
Le sénateur Watt: J'aimerais des précisions à propos de la SRC. L'Inuit Broadcasting Corporation, IBC, passe par la SRC, grâce à Anik A2, je crois. Je pense qu'elle a pris des dispositions avec la SRC. Elle a accès à certaines heures. Vous avez dit que l'on n'utilise pas la totalité des installations existantes. Pourquoi limite-t-on le nombre d'heures de retransmission par satellite?
M. Ignacy: Désolé, sénateur, je ne connais pas bien ce dossier.
La présidente: Cela relève entièrement de la SRC.
M. Ignacy: La SRC a un certain nombre de canaux satellite qu'elle utilise pour recevoir des reportages. Autrement dit, elle n'utilise pas le canal satellite 24 heures par jour. À certaines heures de pointe, elle reçoit beaucoup de reportages qu'elle rassemble à Toronto pour les rediffuser plus tard. Le canal sera peut-être libéré plus tard dans la journée ou restera inutilisé à certaines heures.
Elle a donc décidé de sous-louer le canal à quelqu'un qui s'en servira pendant ces heures. C'est une pratique que nous encourageons parce que cela représente une utilisation efficace des canaux de satellite.
Le sénateur Watt: Vous avez aussi dit que vous voulez pouvoir faire la concurrence aux États-Unis. Souhaitez-vous que le gouvernement canadien consacre des fonds à des études de faisabilité, par exemple? Est-ce une possibilité que vous envisagez, par opposition aux subventions et aux besoins en capital? Est-ce un facteur également?
M. Ignacy: Je vous rappelle que nous n'obtenons aucune subvention du gouvernement du Canada. Nous ne lui demandons aucun argent. Nous voulons seulement une politique qui nous permettra de prendre de l'expansion. C'est tout ce que nous demandons.
Le sénateur Rompkey: J'aimerais avoir l'occasion de poser des questions aux fonctionnaires canadiens qui s'occupent de l'élaboration de la politique canadienne. Il faudrait savoir qui à Industrie Canada il faudrait inviter pour nous permettre d'examiner la politique canadienne et savoir de quoi elle retourne.
Le sénateur Spivak: La politique commerciale.
Le sénateur Rompkey: Peut-être pourriez-vous nous aider à déterminer à qui il nous faut parler si nous voulons examiner plus à fond la question que vous avez soulevée, en matière de politique.
M. Ignacy: Nous avons travaillé de concert avec les fonctionnaires d'Industrie Canada et je tiens à dire publiquement que le ministère nous a beaucoup aidés -- les fonctionnaires n'ont pas eu beaucoup de succès auprès des États-Unis, mais ils nous ont beaucoup soutenus. Nous espérons en profiter et aller de l'avant. Je serai heureux de vous donner leurs noms.
La présidente: Comme vous le savez, ils nous ont donné une séance d'information. Quand nous aurons entendu tous les témoins, ils reviendront en compagnie du ministre. Grâce aux recommandations que nous auront faites les témoins, nous pourrons discuter à nouveau de la question avec le ministre et les fonctionnaires.
Le sénateur Rompkey: Si nous n'avons pas de rencontre distincte avec les fonctionnaires avant qu'ils ne viennent à la dernière séance, il faudrait leur dire quelles questions nous voudrions leur poser. Ils pourraient ainsi se préparer. J'ai peur que nous ne puissions pas examiner la question suffisamment à fond si on ne les prévient pas.
La présidente: Il pourrait y avoir une séance préliminaire entre nos documentalistes et les fonctionnaires d'Industrie Canada.
Le sénateur Rompkey: Oui. J'aimerais examiner la chose un peu plus à fond. Je ne sais même pas vraiment quelles questions je veux poser, mais je veux en savoir plus. Parce que je trouve que cela a peut-être plus de potentiel pour les régions éloignées que les autres formes de technologie dont j'ai entendu parler jusqu'à présent.
Le sénateur Watt: Si le besoin existe. Cela coûte de l'argent.
Le sénateur Rompkey: L'argent, ils pourront le trouver s'ils pénètrent le marché américain.
Le sénateur Spivak: Estimez-vous que la concurrence vient des autres satellites ou aussi du sans-fil?
M. Ignacy: La plus grande concurrence va provenir des autres satellites. Il ne fait pas de doute cependant que les systèmes terrestres... Dans le cas de nos services d'affaires, notre concurrent a essentiellement été les compagnies de téléphone. Le sans-fil va aussi être un concurrent sérieux.
Le sénateur Spivak: Il y a aura des gagnants et des perdants. En fait, vous aurez un avantage parce que vous pouvez livrer la concurrence à la grandeur du continent. Ce n'est pas le cas pour le sans-fil.
M. Ignacy: C'est juste.
Le sénateur Watt: Qu'en est-il de la puissance du signal, peut-il supplanter celui de l'autre satellite? Vous en avez parlé dans votre exposé. Les satellites actuels sont-ils assez puissants?
M. Ignacy: Il y a suffisamment de puissance.
Le sénateur Watt: Est-il possible de les améliorer?
M. Ignacy: Non, on ne peut pas modifier les caractéristiques de puissance de ces satellites. Comme je l'ai dit, ils sont à 23 000 milles de distance. Ils sont hors de portée. Mais il y a suffisamment de puissance à bord des satellites actuellement pour la radiodiffusion directe à domicile. Il suffit d'une antenne parabolique de 18 à 24 pouces au sol pour recevoir le signal des satellites Anik. Expressvu devait se servir d'Anik, mais nous avons eu un accident à bord de l'Anik A1 en mars de cette année et nous avons perdu 60 p. 100 de la capacité du satellite.
Nous avons pu répondre aux besoins de tous nos clients commerciaux et de tous les radiodiffuseurs, malgré cette perte. Cependant, nous n'avons pas pu répondre à la demande élevée des diffuseurs directs. C'est pourquoi Expressvu a été délogée du satellite. À ce moment-là, l'entreprise avait sept ou huit canaux à bord d'Anik, et nous avons dû les lui retirer pour conserver nos autres clients. C'est un problème avec lequel nous nous débattons depuis.
La présidente: Encore une fois, merci, monsieur Ignacy. Nos documentalistes communiqueront peut-être avec vous pour vous poser d'autres questions. Si vous avez d'autres recommandations à nous faire, n'hésitez pas à communiquer avec nous. Nous serons tout ouïe.
M. Ignacy: Le plaisir sera pour moi. Merci beaucoup.
La séance est levée.