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COMM

Sous-comité des communications

 

Délibérations du sous-comité des
Communications
du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 7 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 19 mars 1997

Le sous-comité des communications du comité permanent du Sénat sur les transports et les communications se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour étudier la position internationale concurrentielle du Canada dans les communications.

Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte.

Nous recevons M. Toth, de l'Association canadienne de production de films et télévision. Nous sommes honorés que vous ayez accepté de comparaître aujourd'hui.

Comme vous le savez sûrement, il s'agit du sous-comité du comité permanent sur les transports et les communications. Le comité permanent, qui est présidé par le sénateur Bacon, a décidé il y a quelques mois qu'il était extrêmement important d'examiner la situation du Canada afin que notre pays demeure au premier plan dans le domaine des communications à l'aube de l'an 2000.

Sachant qu'il s'agit d'un sujet très complexe, sachant qu'il s'agit d'une situation qui évolue très rapidement, nous avons concentré notre attention sur quatre aspects: l'aspect technologique l'aspect contenu culturel, l'aspect ressources humaines, en nous demandant où sont nos professionnels aujourd'hui, où ils seront demain, et comment ils seront formés pour l'avenir, et enfin, l'aspect partenariats commerciaux qui continue d'évoluer.

Nous serons heureux d'entendre vos réflexions sur ces quatre aspects. Monsieur Toth, nous vous écoutons.

M. Garry Toth, vice-président, Services aux membres et agent des relations industrielles, Association canadienne de production de films et télévision: Nous pourrons peut-être examiner certains des domaines dont l'étude nous a été confiée.

L'ACPFT représente environ 300 entreprises membres du Canada qui produisent, à titre individuel ou à titre d'entreprise, la majorité des émissions que nous voyons à la télévision canadienne. Au nom de tous nos membres, et au nom de notre présidente et P.D.G., Elizabeth McDonald, qui regrette de ne pas être des nôtres aujourd'hui, nous vous remercions d'avoir accepté de nous écouter.

Les films que nous voyons au cinéma et à la télévision constituent peut-être le médium qui reflète le mieux notre société et notre culture. Ce médium informe, éclaire et divertit les Canadiens, et nous permet de partager notre vécu et nos aspirations indépendamment des provinces, régions et langues.

Les producteurs canadiens de films et de télévision ont réussi à créer un contenu qui reflète notre culture, succès tout à fait remarquable quand on connaît les défis qui caractérisent le marché canadien: une faible population, des langues différentes, un accès difficile aux marchés intérieur et étranger et, comme nous l'avons déjà dit, les mutations du milieu des communications. Ces transformations, surtout dans le domaine technologique, semblent infinies dans notre industrie. Quoi qu'il en soit, ce qui demeure constant, c'est le fait que seuls les Canadiens vont créer des films et des émissions de télévision au contenu distinctement canadien.

L'ACPFT a publié récemment son profil de l'industrie canadienne pour l'année 1997. Cette étude révèle que l'industrie canadienne du film et de la télévision génère une activité économique d'une valeur de 2,7 milliards de dollars pour le Canada. Ce montant comprend les productions canadiennes certifiées et non certifiées; les productions maison des diffuseurs privés, spécialisées et à la carte des radiotélédiffuseurs; et les tournages en extérieur par des entreprises étrangères.

N'hésitez pas à m'interrompre si j'emploie des termes que vous ne connaissez pas.

Même si l'industrie canadienne du film et de la télévision a accompli des progrès formidables, notre marché intérieur limité d'environ 30 millions de personnes fait que la plupart des productions canadiennes ont encore besoin du soutien gouvernemental.

Pour les longs métrages dans ce qu'on appelle la programmation télévisée «sous représentée», à savoir les dramatiques, les émissions de variétés, les documentaires et les émissions pour enfants, le marché canadien est trop petit pour financer même les émissions les plus populaires de langue française et de langue anglaise dans cette catégorie. Par exemple, les droits de licence de télédiffusion ne représentent normalement que de 10 p. 100 à 25 p. 100 du budget d'une émission.

Certaines productions canadiennes visent essentiellement le marché canadien et présentent un potentiel de distribution internationale relativement faible à cause de leur contenu. D'autres émissions canadiennes, surtout celles qui font intervenir une participation financière de l'extérieur du Canada, sont réalisées autant pour le marché canadien que pour le marché international.

Dans les deux cas, le talent au niveau de la création et la technique est essentiellement canadien. Ces deux aspects sont essentiels si l'on veut conserver au Canada une industrie riche et vitale, et si l'on veut offrir aux Canadiens un choix d'émissions variées. En dépit de la croissance des apports privés et étrangers à la production canadienne, la vaste majorité de ces types de réalisations canadiennes vont encore avoir besoin du soutien public pour rester viables.

M. Neil Bregman, président/producteur exécutif, Sound Venture Productions Ottawa Ltd.; membre du conseil d'administration de l'ACPFT: Étant propriétaire à Ottawa d'une entreprise de production de taille moyenne, je suis bien placé pour vous parler des difficultés que posent le financement et la production d'émissions à contenu distinctement canadien.

Étant donné qu'il est rare que l'on puisse compter sur des sources de financement international, il serait quasiment impossible de réaliser ce genre d'émissions sans l'infrastructure qui existe au Canada aujourd'hui.

Par exemple, j'ai réalisé l'an dernier un documentaire intitulé Art for a Nation dans le cadre du 75e anniversaire de la formation du Groupe des sept. Malgré son influence déterminante sur la culture canadienne, une émission sur le Groupe des sept n'aurait pu être réalisée sans le soutien de la délicate infrastructure qui existe. Les taxes de licence de Bravo!, de Radio-Canada, des postes de télévision éducative et d'une poignée de postes commerciaux, conjuguées avec le financement du Fonds de production de la télévision canadienne et du câble, et les crédits d'impôts, ont à peine suffi à assurer le financement de cette émission.

Malheureusement, il n'y a pas de débouché international pour un film comme celui-là, si bien que si l'on retire tous les mécanismes de financement que j'ai mentionnés -- qui émanent tous de la politique et des règlements gouvernementaux visant à encourager et à garantir l'accès à notre propre marché canadien -- une émission comme celle-là n'est pas réalisée et n'est donc pas vue par les Canadiens.

Est-il important que les Canadiens aient accès à des émissions sur leur histoire, leur art, leur culture, qu'ils les aient réalisées eux-mêmes? Je crois que oui, et je pense que la plupart des gens seront d'accord avec moi, mais cela ne peut se faire si l'on ne protège pas l'accès aux marchés, aux mécanismes de financement et à la protection du droit d'auteur pour ces produits que nous avons eu tant de mal à créer.

Comme je l'ai découvert avec d'autres émissions et séries que j'ai réalisées, sans un marché intérieur innovateur, la production serait presque impossible et la croissance d'une entreprise comme la mienne fort improbable. Aujourd'hui, notre entreprise compte 15 employés à plein temps, et ce n'est pas fini, et nous engageons à l'année des douzaines de jeunes Canadiens formés et très bien payés.

Cette année, Sound Venture Productions va réaliser entre 30 et 40 heures de télévision canadienne de haute qualité, dont certaines seront visionnées dans d'autres pays. Notre petite réussite, qui connaît des équivalents partout au pays chez des centaines de producteurs de tailles différentes, n'aurait jamais pu se faire et ne pourra pas se faire sans le soutien de notre propre marché intérieur, tant pour ce qui est de l'accès aux ondes, aux tablettes, et pour ce qui est de l'infrastructure financière et réglementaire.

Je crois qu'il est sage et rentable de contrôler, de maintenir et d'affiner ces mécanismes si nous voulons répondre aux nécessités de notre culture et assurer le bien de nos industries culturelles dans ce milieu des communications globales en évolution constante.

M. Toth: Ce que M. Bregman vient de vous dire est vrai pour les grandes entreprises culturelles canadiennes qui produisent des dramatiques importantes comme North of 60. Une émission comme celle-là fidélise un auditoire canadien très important, mais c'est le genre d'émissions dont l'attrait international est limité.

D'autres types de ce que nous appelons les productions «industrielles», comme la série FX ou Psi Factor, n'ont pas un contenu aussi distinctement canadien que North of 60, mais leur production est essentielle si nous voulons alimenter la production des télédiffuseurs qui exigent un contenu canadien varié. Ces productions et les entreprises qui les réalisent sont un élément essentiel de la santé de l'industrie canadienne de la production.

Dans un avenir prochain, de nouveaux supports vont révolutionner la façon dont nous recevons traditionnellement la télévision chez nous. La distribution par satellite -- le SRD du satellite au foyer --, la radiodiffusion de terre et la téléphonie à large bande de fréquence vont accroître les choix pour le consommateur canadien.

Le CRTC, par exemple, doit relever ce défi qui consiste à articuler une politique efficace pour les nouvelles entreprises de télévision. Nous avons besoin de ce soutien réglementaire si nous voulons assurer aux détenteurs canadiens de licences qui fournissent des émissions spéciales et à la carte, des revenus suffisants qui leur permettront de maintenir et d'élargir leurs droits de licence pour la programmation canadienne. Les chaînes spécialisées constituent déjà une source importante de financement pour bon nombre de producteurs canadiens.

D'autres aspects réglementaires régissant les entreprises de télédiffusion et de distribution -- entre autres, les exigences relatives à la propriété canadienne, les règlements relatifs au contenu canadien, les exigences relatives à l'étagement et à l'assemblage, la substitution de signaux identiques -- créeront d'autres débouchés pour la programmation canadienne et assureront un certain contrôle canadien sur la présentation d'une programmation réalisée indépendamment par des Canadiens.

En fait, la réglementation a permis de créer un marché pour la programmation canadienne et d'assurer la viabilité de la production canadienne, ce qu'on n'a pas réussi à faire pour le long métrage canadien.

Le long métrage représente environ 20 p. 100 du total de la production certifiée et soutenue par des organismes au Canada. Même si l'industrie du long métrage canadien n'a pas connu le même succès que l'industrie de la télévision, cela demeure un moyen d'expression extrêmement important de la culture de notre pays. La principale raison de ce manque de succès réside dans la structure de l'industrie du long métrage et non dans l'absence de talent au Canada.

Les longs métrages à réussite commerciale du genre Hollywood sont normalement des projets jouissant de mégabudgets comparativement aux séries dramatiques télévisées. Exception faite des longs métrages à budget extrêmement réduit, il est presque impossible de tirer suffisamment de recettes du marché canadien pour éponger les coûts de réalisation et de commercialisation d'un long métrage canadien. Le soutien gouvernemental, au niveau du financement et de la politique réglementaire, demeure la garantie de survivre de notre industrie du long métrage. Nous devons réévaluer les besoins de cette industrie de telle manière que notre politique puisse refléter et étayer une stratégie pour l'industrie canadienne du long métrage comportant des objectifs définissables.

M. Bregman: J'aimerais résumer quelques arguments importants.

Il est essentiel que le Canada conserve une position concurrentielle et viable à l'échelle internationale pour cette industrie, surtout en présence de l'évolution technologique. Nous devons nous assurer que ces changements permettent à plus de Canadiens de voir des émissions de télévision et des films dramatiques qui reflètent notre pays.

Ce sont des solutions à long terme que nous devons trouver si les progrès technologiques semblent rendre inopérants les règlements relatifs au contenu canadien.

Nous devons conserver un accès garanti à notre propre marché, et il faut que le coût de la programmation canadienne demeure abordable. On y arrivera en maintenant des mécanismes comme le Fonds de production de la télévision canadienne et du câble qui a fort bien réussi, et d'autres programmes comme le crédit d'impôt remboursable.

De même, il faut s'intéresser aux entreprises canadiennes qui s'efforcent de trouver de nouveaux débouchés sur le marché mondial. Il faut un soutien continu si l'on veut favoriser la croissance du secteur de la télévision et de la distribution de films.

Enfin, la protection du droit d'auteur demeure un principe fondamental pour les producteurs indépendants. Nos produits sont les droits inhérents à la programmation que nous produisons, et nous devons veiller à les protéger.

Il est essentiel de conserver la position concurrentielle de l'industrie du cinéma et de la télévision canadienne dans ce marché mondial en pleine évolution; non seulement pour les entreprises et les milliers de Canadiens à qui l'industrie offre des emplois très rémunérateurs, mais aussi pour les Canadiens eux-mêmes étant donné que cette industrie est le médium le plus dynamique qui leur permet de se voir au petit comme au grand écran.

La présidente: Merci, messieurs Toth et Bregman.

Monsieur Bregman, vous avez parlé du coût d'une production et vous avez donné l'exemple de l'émission qui a marqué le 75e anniversaire du Groupe des sept. Combien coûte une telle production?

M. Bregman: Généralement, le budget d'un petit documentaire comme celui-là est d'environ 200 000 $.

La présidente: «Petit», c'est combien de minutes?

M. Bregman: C'était en fait de 30 minutes. Cette émission avait été faite essentiellement pour la télévision non commerciale, pour une chaîne spécialisée, et la longueur du documentaire n'avait pas à tenir compte des contraintes commerciales de la télévision. On n'avait pas prévu de pauses publicitaires.

La présidente: Comme la qualité et la réputation de ces artistes canadiens sont reconnues à l'échelle internationale, pourquoi la distribution internationale d'un tel documentaire est-elle difficile?

M. Bregman: Croyez-le ou non, on s'intéresse fort peu aux arts visuels canadiens et à la culture canadienne à l'extérieur du Canada. Nous pensons peut-être qu'il s'agit d'un groupe d'artistes très connus ainsi que d'un élément important de notre culture et de notre patrimoine, mais ce n'est pas comme ça qu'on les voit dans l'industrie de la télédiffusion et du cinéma à l'extérieur du Canada.

J'ai essayé de trouver un distributeur pour cette émission. J'ai essayé de la vendre moi-même, et personne n'en veut. Ayant travaillé dans l'industrie, voyagé à l'étranger et négocié avec des distributeurs, je peux vous assurer que la perception que nous avons de l'importance d'une émission comme celle-là n'est pas du tout celle qu'on trouve à l'extérieur de nos frontières. C'est d'ailleurs pour ça que nous sommes ici. C'est très important pour nous. C'est essentiel pour nous, pour nous-mêmes, pour notre identité. C'est pourquoi nous croyons important d'en parler, de réaliser des émissions comme celles-là et de garder vivantes de telles idées; cependant, rien de tout cela ne compte à l'extérieur de nos frontières.

La présidente: Qui était votre télédiffuseur canadien?

M. Bregman: Nous en avons plusieurs. Il y a Bravo!, la chaîne qui se spécialise dans les arts. Nous avons également réalisé une version originale en langue française pour la Société Radio-Canada. Nous avions aussi plusieurs télédiffuseurs éducatifs, comme le Knowledge Network de Colombie-Britannique et Saskatchewan Communications, ainsi que quelques petits postes indépendants, comme CFCF à Montréal et CFCN en Alberta

Ce sont ces gens-là qui ont garanti au départ le financement du documentaire. Ce sont eux qui déclenchent le processus de production ou les télédiffuseurs qui vont assumer les taxes de licence. Même dans ce cas-là, à eux tous, de licence ne représentait que pour 15 p. 100 du budget. C'est donc en réunissant de petites cotisations comme celles-là qu'on arrive à trouver l'argent nécessaire.

Heureusement, comme je l'ai dit, il y a d'autres programmes qui s'offrent à nous, comme le Fonds de production de la télévision canadienne et du câble, qu'on appelait avant le Fonds de production du câble. Nous avons donc réussi à réunir l'argent voulu, mais je dois dire que nous n'avons atteint que le seuil de rentabilité. Cette émission n'a pas généré de recettes pour notre entreprise. Mais nous pensions que c'était important et nous avons donc décidé de la réaliser.

Mais sans ces facteurs déclencheurs, nous n'aurions pas pu rentrer dans nos frais, et par conséquent, nous n'aurions même pas songer à faire ce film. Et cela est vrai de bien des émissions que nous réalisons.

L'an dernier, nous avons tourné une émission en collaboration avec le Musée canadien de la guerre, ici à Ottawa, qui s'intitulait Canvas of Conflict. La pré-licence avait été obtenue à l'origine par Adrienne Clarkson, de Radio-Canada. C'est une émission sur la collection d'oeuvres d'art portant sur la Première Guerre mondiale. La collection d'oeuvres d'art canadienne sur ce sujet est la plus vaste du monde. On avait un budget à peu près semblable pour cette émission, et nous avons réussi à la diffuser, mais nous avons eu beaucoup de mal à la financer. Sans ces sources de financement essentielles qui émanent de la politique gouvernementale, nous n'aurions jamais pu réunir assez d'argent pour réaliser cette émission.

Nous pensons que cette émission présente un certain potentiel international parce qu'elle porte sur la Première Guerre mondiale, mais les estimations que nous avons reçues des plus grands distributeurs du pays sont vraiment négligeables si l'on songe au budget que nous y avons consacré. Encore là, cet argent ne nous parviendra peut-être que dans six mois, ou dans un an, ou dans deux ans d'ici. C'est très risqué. On aurait tort de compter sur cet argent.

La présidente: Il y a moins de fonds publics qu'il y a 20 ans, par exemple. La réalité financière est nouvelle, et nous ne faisons que commencer à mettre de l'ordre dans les finances publiques. Face à cette réalité que nous connaissons, et étant donné la situation que vous avez décrite dans votre exposé, et je songe ici aux difficultés qu'éprouve l'industrie du long métrage à cause du marché canadien limité, quelle politique le gouvernement fédéral devrait-il adopter pour faciliter l'accès des productions canadiennes au marché international? Quels sont les choix qui s'offrent? Que recommandez-vous?

M. Toth: Vous parlez des longs métrages ou de la télévision?

La présidente: Des deux, en fait.

M. Toth: Pour ce qui est des longs métrages, l'industrie doit procéder à une véritable évaluation de concert avec le gouvernement. Comme nous l'avons dit, le problème est inhérent à la superstructure de l'industrie elle-même. Il s'agit de l'accès au marché, des crédits disponibles, et cetera. Nous vous encourageons à procéder à une véritable évaluation de la situation et à établir des objectifs mesurables avant d'articuler une politique.

Le succès de la télévision est évident. Dans des fonctions antérieures, j'ai été très près de la série North of 60. Je dirigeais la Société de promotion du film de l'Alberta, et j'étais responsable essentiellement du financement considérable de ce projet qui se trouve maintenant dans son sixième ou septième cycle. Au cours de cette période, le gouvernement de l'Alberta a investi à lui seul quelque 2,5 millions de dollars pour réaliser la série. Nous nous attendions à réaliser un bénéfice, mais au cours de la troisième ou de la quatrième saison, nous avons fini par comprendre que la série ne continuerait pas. Malgré sa popularité énorme au Canada, sur les marchés internationaux, l'accueil était tiède.

Il nous fallait décider, pour des raisons d'ordre culturel et économique si nous allions continuer à la financer. Je suis heureux de dire que bien que cette société n'existe plus, nous sommes restés associés au projet jusqu'à la fin. C'est un exemple extrême puisque North of 60 coûtait environ 800 000 $ de l'heure en coûts de production.

Le radiotélédiffuseur est CBC, mais même dans le secteur privé, pour une émission comme Traders, on ne peut payer qu'un certain montant en fonction des recettes publicitaires. Même pour des émissions extrêmement populaires comme Traders ou North of 60, c'est le nombre d'habitants au Canada qui décide des recettes publicitaires et de ce qui représente un montant raisonnable à l'appui d'une bonne télévision canadienne.

Lorsque vous aurez l'occasion d'examiner l'étude NGL, vous constaterez que ces dernières années, le financement public, fédéral et provincial, a considérablement diminué. C'est toujours un facteur essentiel et cette situation va se maintenir. En fait, si vous ne pouvez pas démarrer le projet au Canada, vous ne pourrez pas obtenir de licence à l'extérieur du pays. Qu'il s'agisse d'un documentaire ou d'une série dramatique, un réalisateur en Grande-Bretagne ou ailleurs que vous souhaitez comme partenaire va d'abord voir si vous avez réussi à vendre l'émission au Canada. Est-ce que votre propre pays vous appuie au départ?

Le sénateur Spivak: Ce qui nous intéresse, ce n'est pas vraiment le maintien du soutien gouvernemental. C'est entendu. La technique a fait ses preuves. Songez par exemple à l'industrie de la musique.

Ce que nous voulons savoir, d'abord, c'est s'il y a un marché pour les documentaires. Deuxièmement, pourquoi les films australiens et britanniques se vendent-ils à l'étranger? Pourquoi, à votre avis, les Canadiens ne réussissent pas à le faire? Je ne prétends pas que tout ce qui est canadien est merveilleux ni que cela ne vaut pas la peine d'être fait, on doit s'attendre à des échecs. Les États-Unis ont connu bien des échecs et sortent pas mal de camelote, mais ils ont eu des succès. C'est la nature de l'industrie.

Ce n'est peut-être pas un très bon exemple, mais le film The English Patient n'est pas manifestement canadien. Ce n'est pas la raison de son grand succès. Pourquoi pensez-vous qu'afin de vendre quelque chose à l'échelle internationale, il faille le façonner dans une certaine mesure?

Deuxièmement, qu'en est-il de la commercialisation des longs métrages? La télévision, c'est autre chose.

En ce qui concerne la télévision, le CRTC vient d'annoncer de nouveaux règlements. Je ne les ai pas examinés attentivement. Pensez-vous qu'ils répondent aux besoins?

En outre, le CRTC n'a pas été suffisamment exigeant à l'égard des stations privées pour les pousser à réaliser des émissions avec un contenu canadien raisonnable. Il y a l'émission Traders, mais c'est en réalité un clone américain. Ce n'est pas une grande oeuvre canadienne.

Si la télévision privée veut se porter acquéreur d'émissions américaines, on ne saurait l'en blâmer puisque celles-ci sont beaucoup moins chères. Parce que c'est ce que l'on voit à la télévision, les gens s'y habituent et aiment ça. C'est un cycle vicieux. Est-ce que les Canadiens peuvent réaliser une émission comme Seinfeld, émission si populaire?

M. Bregman: Vous soulevez de nombreuses questions et il n'y a pas de réponse unique.

Le sénateur Spivak: Je ne fais que lancer la discussion. Vous pouvez aborder ces sujets un à un, si vous le souhaitez.

M. Bregman: Peut-être pourrons-nous les soulever une autre fois, car je ne pense pas pouvoir répondre à tous.

La présidente: Prenez-les un à la fois, car nous voulons savoir ce que vous en pensez.

Le sénateur Spivak: D'abord, il y a le monde du film et ensuite le monde de la télévision.

M. Bregman: Je ne suis pas réalisateur de film mais comme je suis dans l'industrie, je m'y connais un peu. Il faut comprendre que nous sommes voisins du plus grand réalisateur d'émissions de divertissement au monde.

Le sénateur Spivak: Tout à fait.

M. Bregman: Nous ne sommes ni l'Australie, ni la Grande-Bretagne. Ces pays ont des marchés protégés à cause de la distance. Nous, nous avons une frontière et la télévision la traverse. Voilà pourquoi des mesures protectrices et la réglementation du CRTC ont été si importantes pour nous permettre de maintenir la voix que nous avons.

Le sénateur Spivak: C'est incontestable.

M. Bregman: D'une certaine façon aussi, c'est la réponse à votre question, en ce sens que nous avons une lutte plus importante à mener. Les Canadiens aiment les émissions américaines. Vous avez parlé de Seinfeld. Nous ne disposons ni des ressources, ni de la fondation ni de la force nécessaire pour faire concurrence aux Américains, à ce niveau, en ce moment. Les Américains réalisent des films de 100 millions de dollars et dépensent 100 millions de dollars à les commercialiser.

Le sénateur Spivak: Justement.

M. Bregman: Nous n'avons pas des sommes pareilles. Tenter de jouer le jeu des Américains revient à se cogner la tête contre les murs. C'est impossible. L'essentiel, c'est de maintenir l'accès. Là encore, c'est très différent selon qu'il s'agit du film ou de la télévision.

La présidente: Qu'est-ce que vous entendez par «maintenir l'accès»?

M. Bregman: L'accès à la télévision est réglementé par le CRTC. Il y a des règlements régissant le contenu canadien. Il existe des mécanismes de financement qui prévoient des contributions par les câblodistributeurs et les stations de télévision afin de soutenir le marché indépendant.

Le sénateur Spivak: Revenons à la question de la commercialisation de nos produits aux États-Unis? Comment pouvons-nous nous assurer que ces produits sont manifestement canadiens? Les Américains réalisent d'excellentes émissions, mais il y a beaucoup de camelote. Je ne devrais pas utiliser cette expression.

M. Bregman: Le maximum de l'un, c'est le minimum de l'autre.

Le sénateur Spivak: Non, ce n'est pas le cas.

Le sénateur Rompkey: Les Américains réalisent beaucoup de comédies de situation.

Le sénateur Spivak: Ils réalisent de nombreuses comédies de situation et beaucoup de mauvaises émissions, nous en convenons tous, mais ça se vend.

M. Bregman: On les regarde. Les Canadiens les regardent.

Le sénateur Spivak: On les regarde parce que c'est là. Le réseau de distribution existe. On en est bombardé. Je comprends ce que vous dites. Nous ne pourrons jamais faire concurrence à des réalisations de 100 millions de dollars, mais par ailleurs, Canada Live nous apprend que les exportations sont à la hausse. Pouvez-vous nous dire quelques mots à ce sujet? Quelle est la formule?

Alanis Morissette a fait époque. Elle a vendu plus d'enregistrements, pour la première fois, que quiconque, Canadien ou Américain. Comment a-t-elle réussi à faire partie de ce réseau de distribution?

M. Bregman: Elle a fait affaire avec une entreprise américaine, avec un réseau de distribution américain. Elle est allée aux États-Unis.

M. Toth: Madonna réalise ses disques.

M. Bregman: Elle est sous étiquette Madonna.

Le sénateur Spivak: Est-ce la solution?

M. Bregman: C'est une question de pouvoir. C'est une question d'infrastructure.

Le sénateur Spivak: Que faut-il que nous fassions?

M. Bregman: Nous devons continuer à permettre l'accès, car l'industrie canadienne a connu une croissance exponentielle depuis cinq ou dix ans. Il y a dix ans, il n'y avait vraiment pas de réalisateur indépendant, digne du nom. Maintenant nous avons des sociétés ouvertes très solides et très bien financées. On ne saurait distinguer leur produit de ceux des sociétés américaines. Du point de vue culturel, cela ne vous plaît peut-être pas, mais en fait, ces sociétés ont commencé comme la mienne et elles réalisent encore des émissions canadiennes.

Le sénateur Spivak: Vous voulez dire qu'il faut investir plus d'argent dans la réalisation d'émissions? Il est question de faire appel aux compagnies de téléphone. Le CRTC dit que ce ne sera plus volontaire, ce qui était ridicule au départ, et que ce sera obligatoire.

M. Bregman: Cela relancera l'industrie.

Le sénateur Spivak: Faut-il doubler, tripler ou quadrupler le Fonds de production?

M. Bregman: Il faut évaluer cette possibilité à la lumière de ces nouvelles entreprises. On doit permettre à celles-ci d'élaborer leurs propres plans d'entreprise. Nombre des nouvelles technologies n'ont pas fait leurs preuves et donc nous ne disons pas, quoi qu'il arrive allez chercher tout l'argent possible. Oui, c'est une excellente initiative que de dire qu'au moins 5 p. 100 doit être versé à un fonds établi de façon indépendante. C'est le minimum. C'est un très point de départ.

Nous devons continuer à y ajouter. Cela aide vraiment des entreprises comme la mienne et d'autres qui sont plus petites ou plus grandes.

Le sénateur Spivak: Comme comité, on devrait prôner cette mesure comme mesure de création d'emplois, car c'est le cas, et le coût, par emploi, est bien inférieur à celui d'Hibernia?

M. Bregman: Tout à fait.

Le sénateur Spivak: Beaucoup plus de gens y travaillent. Excusez-moi, sénateur Rompkey.

Le sénateur Rompkey: Vous serez peut-être heureux d'apprendre qu'à Terre-Neuve, il y a une société de développement du film, créée il y a environ un mois.

M. Toth: Les seules provinces sans société du genre sont l'Alberta et l'Île-du-Prince-Édouard.

M. Bregman: C'est très pertinent. Les données statistiques vous donnent raison en ce qui concerne l'intervention ou l'appui gouvernemental à l'industrie et par rapport au rendement. C'est l'un des plus faibles.

Le sénateur Spivak: Il en est très rarement question. C'est la même chose pour les garderies.

Voici la nouvelle technologie, la distribution par satellites, le SDR du satellite au foyer. À mon avis, cela offre des possibilités énormes aux films. Il y aura le film vidéo sur demande, la télévision payante par émission et le service à la carte. Comment allez-vous vous positionner? Faut-il investir dans ce média et donner plus de choix de visionnement aux Américains?

C'est un peu comme le supermarché, je suppose. Tout comme Pepsi et Coke, vous devez bien vous positionner. Comment faire? Ce sera à mon avis un moteur de croissance énorme.

M. Bregman: Il y a maintenant les règlements. Le CRTC va également réglementer ces nouveaux détenteurs de licences. La difficulté c'est notamment que nous accusons du retard au Canada.

Le sénateur Spivak: Voilà pour le Canada. Je parle d'exporter aux États-Unis.

M. Bregman: Nous exportons aux États-Unis. Même de petites entreprises comme la mienne exportent aux États-Unis. Il est de plus en plus possible d'avoir accès à leurs réseaux. C'est ce que nous faisons. C'est une question de croissance pour notre industrie. Les grandes entreprises possèdent l'infrastructure, les capitaux, l'expertise et les compétences nécessaires en matière de gestion.

La présidente: Monsieur Bregman, vous dites que depuis dix ans, le nombre de réalisateurs indépendants a vraiment augmenté. Pouvez-vous nous citer des noms, des exemples de compagnies qui démarrent comme la vôtre, mais aussi de celles qui sont maintenant cotées en bourse?

M. Bregman: Il y a Atlantis.

M. Toth: Toutes les entreprises qui sont cotées en bourse -- Cinar, Atlantis, Alliance, Paragon, Malofilm -- il y a dix ans, étaient de toutes petites entreprises.

Le sénateur Spivak: Connaissez-vous Power DirecTV qui devait utiliser des satellites américains? Il y avait une entente avec une entreprise américaine aux termes de laquelle, Power DirecTV avait promis de rediffuser aux États-Unis, grâce à leurs satellites, des films canadiens ce qui aurait augmenté l'exportation. Pensez-vous que c'est ce qu'il faut?

Vous avez mentionné Madonna. Faut-il s'entendre avec une énorme entreprise américaine pour faire passer ce produit à Power DirecTV?

M. Bregman: Non, c'est le produit qui dicte ce qui est diffusé et ce qui ne l'est pas. Une chose en amène une autre. Cela ne se fait pas de façon isolée, et il faut satisfaire les goûts des consommateurs américains. Les Américains veulent faire de l'argent.

Le sénateur Spivak: Quels sont les goûts des téléspectateurs américains?

M. Bregman: Vous les avez définis au départ.

Le sénateur Spivak: Dans le cas de la production des oeuvres de Jane Austen, vous manipulez ce goût. Vous créez la demande.

M. Bregman: Les Américains contrôlent leurs réseaux de distribution.

Le sénateur Spivak: Comment pouvons-nous y participer?

M. Bregman: Nous en faisons partie. De plus en plus. Nous avons un pied dans la porte, mais nous essayons de nous implanter davantage.

Le sénateur Spivak: Comme question de principe, vous ne voulez pas dire qu'il n'y a rien d'autre que nous puissions recommander pour favoriser cette situation? Est-ce que vous voulez que nous exportions plus vers les États-Unis, et ce sur un pied d'égalité, ou encore en nous créant une niche ou quelque chose du genre?

M. Bregman: Du point de vue commercial, c'est la seule solution. Les Américains ne nous diront pas: «Certainement, venez, donnez-nous tous vos produits et amusez-vous.»

Ils prendront ce qui va leur faire gagner de l'argent, ce qui plaît à leur public. C'est tout à fait une entreprise là-bas, qui défend les intérêts de leur propre industrie du film et de la télévision.

Le sénateur Spivak: Ils n'ont pas toujours raison. Regardez Waterworld.

M. Bregman: En format vidéo domestique, cela leur a probablement rapporté beaucoup.

Le sénateur Spivak: Si c'est le cas, j'ai tort.

M. Bregman: J'en suis persuadé.

Le sénateur Spivak: Il y a d'autres échecs américains. Ce n'est pas très déterminé?

M. Toth: Il y a dans l'industrie un dicton qui nous vient de William Goldman. Plusieurs d'entre vous qui avez lu ses livres reconnaîtront la citation. C'est au sujet tout particulièrement de l'industrie cinématographique, du long métrage: «Personne ne le sait», un point c'est tout. Personne ne le sait. Voilà l'affaire, surtout dans le cas des longs métrages.

Au Canada, il est peu probable que nous puissions réunir des fonds publics ou privés pour défrayer des budgets de 100 millions de dollars et consacrer 50 millions de dollars à la commercialisation.

Le sénateur Spivak: Oh, certainement.

M. Toth: Toutefois, vous pouvez constater que Crash vient juste d'ouvrir aux États-Unis, où la réaction a été très positive.

Le sénateur Spivak: Comment ce film a-t-il coûté?

M. Toth: Crash a coûté près de 14 millions de dollars. Les représentants d'Alliance devront vous dire probablement d'où est venu le financement, mais je suis persuadé que le secteur privé a participé à cette réalisation.

M. Bregman: Téléfilm y a participé. Ce sont des deniers publics.

Le sénateur Spivak: Est-ce qu'il faut envisager des partenariats avec des entreprises américaines? Il se fait beaucoup de fusions et de partenariats. Est-ce ce qu'il faut?

M. Toth: Pas nécessairement. Deux types de Calgary ont réalisé un long métrage en 1995 intitulé The Suburbanators avec 25 000 $ de leurs poches. Le Robert Redford's Sundance Institute l'a choisi pour présentation parce que le produit était bon. Il y avait quelque chose d'attrayant dans ce produit.

Surtout dans le cas des longs métrages, jusqu'à un certain point, contrairement à la télévision, il ne faut pas juger du bois par l'écorce. Le Canada se trouve plutôt dans la même situation que presque tout autre pays, à l'exception de l'Inde et peut-être des États-Unis, en ce sens qu'on ne peut faire la pré-vente des films. Il vous faut donc réaliser des films, les montrer et ensuite, le marché décidera.

Et si l'on remonte très loin en arrière, on n'aurait pas vu dans la plupart des régions du monde le film I Heard the Mermaids Singing si Alex Raffe et Patricia Rozema s'en étaient tenus à montrer le scénario et à faire valoir leur réputation. L'autre chose: les performances passées vous aident à vendre. Jusqu'à ce qu'on vous donne la possibilité et jusqu'à ce qu'il y ait l'infrastructure nécessaire pour vous aider à produire de façon répétée, à avoir des succès et des échecs, comme dans toutes les industries cinématographiques au monde, vous n'aurez pas fait vos preuves et personne ne cognera à votre porte.

M. Bregman: J'aimerais ajouter qu'en ce qui concerne les films de moindre envergure, comme vous l'avez dit, certains films étrangers, nous ne pouvons pas et ne voulons pas faire concurrence à l'industrie cinématographique américaine, à ses mégasuccès. Nous savons que c'est impossible. Il nous faut une programmation distincte. Les films ne sont pas nécessairement canadiens en ce sens que tout y est Canadien, mais ils ont une sensibilité canadienne, un style, un sentiment qui vous fait dire qu'ils sont différents, qu'ils sont uniques.

On ne sait pas toujours qu'un film australien provient d'Australie. On le sait par les accents dans bien des cas, mais hormis cela, ce sont des histoires. Nous devons pouvoir raconter nos histoires.

Le président: C'est ce qu'ils disent à propos de nos films. Ils les reconnaissent à l'accent.

M. Bregman: C'est vrai.

Le sénateur Spivak: Passons maintenant à la télévision. Nous examinons des questions de politique et ce que nous devrions recommander.

M. Bregman: La grande différence dans le domaine de la télévision, c'est que nous avons maintenu l'accès et une place pour les émissions canadiennes. Je répète que je ne suis pas expert en cinématographie et je ne veux pas en revenir là où nous étions, mais nous n'avons pas accès aux salles de cinéma comme nous l'avons aux écrans de télévision. C'est parce que dès le début, la télévision a été réglementée et notre place dans cette structure a été protégée.

Il y a encore beaucoup d'émissions américaines, mais au moins il existe une garantie. Dans toute nouvelle entreprise détenant une licence, chaque télédiffuseur doit s'engager à une telle proportion de contenu canadien, à un montant X de droits de licence, et cela fait une énorme différence.

L'autre question dans le domaine de la télévision c'est que tous les intervenants sont sur un pied d'égalité en ce qui concerne les montants que même les Américains peuvent dépenser par heure. Les profits mondiaux sont assez limités, ce qui est différent de l'industrie du film, et on peut donc combattre davantage à armes égales. Si vous parlez d'un million de dollars l'heure, c'est à peu près la limite pour le Canada, les États-Unis ou n'importe qui d'autre. Ce n'est pas là qu'ils peuvent dépenser 100 millions de dollars l'heure, parce qu'ils ne le font pas. Cela ne fonctionne pas de cette façon.

Le sénateur Spivak: Nous parlons maintenant d'exportation. Il s'agit de pénétrer le marché américain. Que devrions-nous faire?

M. Bregman: Nous y sommes déjà.

Le sénateur Spivak: Vous y êtes déjà et vous ne voyez aucun obstacle officiel qui pourrait nuire à une croissance éventuelle?

M. Bregman: Nous parlons ici de politique canadienne. On ne peut pas dire aux autres de modifier leurs politiques.

Le sénateur Spivak: Non, nous ne pouvons pas leur dire de modifier leurs politiques.

M. Bregman: Cela aiderait beaucoup. Nous parlons de politiques. J'en viens toujours à la même chose: nous devons maintenir l'accès et inclure la croissance de l'accès dans notre marché. Nous devons pouvoir continuer de bâtir renforcer les compétences d'entreprises comme la mienne qui, sans l'accès, n'en aurait jamais pu saisir une part du marché. Maintenant nous exportons. Nous sommes plus orientés vers l'exportation. Nous vendons aux États-Unis et au Japon ainsi qu'à d'autres pays. Une bonne affaire nous mène à une autre.

Le président: Notre ministre du Commerce international a parlé de l'importance de la promotion plutôt que de la protection lorsqu'il a parlé de culture canadienne. Comment avez-vous réagi face à cela? Vous avez parlé de protection plus tôt.

M. Bregman: Faites-vous allusion à tout ce débat qui s'est déroulé en février?

Le président: Oui.

Le sénateur Spivak: Nous parlons de la protection de l'accès canadien à la télévision aux heures de grande écoute.

M. Bregman: Il existe deux préoccupations dans le monde de la télévision. L'une est de nature industrielle et l'autre, culturelle. Sans l'accès et sans un engagement nous permettant d'être présents dans le marché, il n'y aurait pas d'industrie de la télévision. C'est aussi simple que ça. Pouvoir raconter nos histoires dans notre propre pays n'est pas une mauvaise chose au plan commercial ou à tout autre point de vue. C'est un impératif culturel.

Le sénateur Spivak: Qu'en est-il de la formation? Y a-t-il suffisamment de gens formés? Les gens ont-ils suffisamment d'occasions d'obtenir de la formation dans les aspects technologiques du film? Par exemple, le gouvernement Filmon vient d'augmenter une sorte de fonds ou de crédit d'impôt au Manitoba, qui est ma province. Derek Mazur de la société Credo était extrêmement heureux, mais il a dit que cela nous prendra un certain temps parce que nous n'avons pas suffisamment de gens bien formés ici.

M. Bregman: Encore une fois, au niveau de la formation, nous sommes constamment en train de former des jeunes. Il y a un système collégial qui offre une formation préliminaire.

Je ne sais pas ce qu'il en est du Manitoba. Je sais qu'en Ontario, il existe des collèges offrant des programmes en cinématographie et télévision, avec des programmes de rédaction de scénario.

Le sénateur Spivak: Sont-ils suffisants?

M. Bregman: Nous ne disons jamais suffisant. Dans notre industrie, il faut se réjouir du fait que nous engageons tous ces hommes et femmes qui sortent du collège et qui veulent travailler dans le secteur.

Premièrement, il existe des initiatives conjointes entre l'ACPFT et le gouvernement pour financer la formation et le développement. Il y a un programme précis. Je sais qu'il est actuellement question d'élargir ces programmes parce qu'ils ont connu une telle réussite.

Personnellement, je peux vous dire que nous sommes constamment en train de former des gens, avec ou sans l'aide de ces programmes. Nous sommes ravis lorsque les programmes existent, mais nous avons besoin de main-d'oeuvre. Un des aspects les plus emballants de notre industrie, c'est que nous prenons les jeunes et nous les formons.

Le sénateur Spivak: Je vais changer un peu de sujet, si vous me le permettez. Récemment, Patrick Watson a écrit un très long article dans le Globe and Mail à propos de Radio-Canada, que vous avez probablement vu. Qu'en avez-vous pensé? Que pensez-vous de ses idées? Que pensez-vous du fait qu'il estime que ce serait une bonne idée que de réunir tous les moyens de collecte de l'information en une seule station? Je pense que c'est ce qu'il a dit.

M. Toth: Je dois avouer que je ne l'ai pas lu.

M. Bregman: Je l'ai lu. Je ne sais pas si vous avez remarqué la réplique de Jim Bird dans le même journal le week-end suivant.

Le sénateur Spivak: Je n'ai pas lu les journaux. J'étais en dehors de la ville.

M. Bregman: Il y avait deux articles, un par Patrick Watson et un par quelqu'un de Toronto dont le nom m'échappe. Ensuite, il y a eu la réplique de Jim Bird, qui dirige la programmation de langue anglaise. Cet article est paru dans le Globe and Mail cinq jours plus tard ou la semaine suivante. Je les ai lus tous les deux. J'ai lu tous ces articles.

Je pense que beaucoup de choses que Patrick Watson a décrites se font déjà. C'est ce qu'on a dit dans la réplique. On peut être d'accord sur certains points et en désaccord sur d'autres.

Je fais beaucoup de travail pour Radio-Canada actuellement, alors je peux vous dire que Radio-Canada est très ouverte aux indépendants parce que je produis trois séries, quelques émissions spéciales, et je suis en train de mettre au point d'autres programmes avec ce réseau au moment où on se parle. Radio-Canada est en pleine transformation. C'est une société qui évolue et qui est confrontée à une nouvelle réalité.

Je pense que tout le monde s'entend pour dire que Radio-Canada est extrêmement importante pour le pays et qu'il s'agit d'un service viable et essentiel au Canada. Ce qui donne lieu au débat, c'est le point de vue de chacun sur comment remanier ou repenser la société à partir de zéro.

Le sénateur Spivak: Croyez-vous que l'on devrait cesser de sabrer dans la programmation de Radio-Canada, que cette société s'occupe bien de la production actuellement en ce sens qu'elle fournit de l'argent pour s'assurer qu'il existe des fonds pour les producteurs indépendants?

M. Bregman: Je pense qu'avec son savoir-faire, ses connaissances, son point de vue international et sa plus petite infrastructure, le secteur indépendant est beaucoup mieux placé pour produire des émissions meilleur marché et pour faire preuve d'innovation dans la façon de financer les émissions. Le fait qu'il y a moins de productions maison et davantage de licences pour les indépendants est une très bonne chose et ne devrait pas nécessairement changer la qualité de la station. Je dirais même que cela pourrait améliorer la qualité.

Le sénateur Spivak: Cependant, ce n'est pas vrai de la collecte de l'information. Ils ont besoin d'une masse pour cette activité.

M. Bregman: Ils semblent l'avoir. Les nouvelles, ce n'est pas mon domaine, alors je ne le sais pas.

Le sénateur Rompkey: Ils l'ont, sauf que ce n'est pas bien ciblé et agencé. Si vous allez dans un bureau régional, vous verrez six personnes se présenter pour Radio-Canada, une pour la chaîne radiophonique de Radio-Canada et une pour la télévision de Radio-Canada.

Le sénateur Spivak: C'est ce que tout le monde dit mais si on compare CNN et Newsworld, on constate qu'ils ne sont pas dans la même catégorie. CNN est très superficiel, tandis que je dirais que Newsworld est ce qu'il y a de meilleur dans le monde à l'heure actuelle.

M. Bregman: Nous sommes fiers d'être Canadiens. C'est une chose formidable, mais il faut la mettre en perspective. Nous pouvons faire cette affirmation dans cette pièce, mais il se trouve que CNN est offert par presque tous les réseaux câblés du monde.

La présidente: Le grand défi pour notre radiodiffuseur national, Radio-Canada, c'est que tout le monde pense à la télévision de Radio-Canada et fait une comparaison avec CTV, mais en fait Radio-Canada englobe plusieurs diffuseurs différents, la radio anglaise, la radio française, Newsworld, la télévision anglaise, la télévision française. Il faudra peut-être un jour donner un numéro au microphone, Radio-Canada 1, Radio-Canada 2, pour que la différence soit perceptible.

M. Bregman: On parle toujours de la radio. Il faut comprendre que la radio et la télévision sont deux médias différents. On a tendance à les amalgamer quand on parle de Radio-Canada.

Le sénateur Spivak: En fin de compte, c'est une question d'accès. Newsworld de la CBC a une réputation mondiale pour sa qualité, tout comme la BBC.

M. Bregman: Les réalisateurs canadiens indépendants sont reconnus dans le monde pour la qualité de leur travail. Pour ce qui est de la production, je crois que nous constituons le deuxième exportateur mondial des émissions télévisuelles après les États-Unis.

Le sénateur Spivak: Il s'agit donc d'une question de pénétration du marché et puisque nous n'avons pas les crédits nécessaires pour faire la promotion, il faut trouver une autre façon, mais de nos jours la commercialisation est le facteur clé.

M. Bregman: La commercialisation est importante mais il faut quand même avoir un produit. Je reste néanmoins persuadé que si vous avez le produit, vous trouverez une façon de le commercialiser avec succès.

Notre industrie est encore jeune. Il faut donc continuer à la soutenir et l'aider à croître. Je ne pense pas que nous cherchions à devenir des entreprises du genre américain, mais nous savons que nous avons une bonne réputation internationale et qu'il y a plus d'une centaine de pays qui achètent nos émissions. Le marché existe et nous pouvons réussir et prospérer.

La présidente: Jusqu'à maintenant, l'un des trucs pour la réussite, c'était l'horaire. Autrement dit, les téléspectateurs savaient quelles émissions allaient passer en regardant l'horaire ou le téléguide. Nous arrivons maintenant à une situation où le téléspectateur pourra déterminer ce qu'il veut regarder et à quel moment. Comment cette technologie changera-t-elle la mentalité des Canadiens? Quelle sera son incidence sur des entreprises privées comme la vôtre, monsieur Bregman?

M. Bregman: C'est justement une question qui nous occupe maintenant. Nous essayons tous de nous faire une idée de l'incidence des nouvelles technologies et de leur évolution, de leur degré d'acceptation par le marché, des changements qu'elles représentent pour la façon d'acheminer les émissions. Nous pouvons toujours faire des conjectures, mais nous ne savons pas les réponses. Personnellement, je n'ai aucune certitude dans ce domaine. Je ne peux pas vous donner une réponse simple à cette question.

En fin de compte, je crois que le contenu est tout et si vous avez un bon contenu, quelque chose à dire, que ce soit un documentaire, une émission dramatique ou une émission de variétés, quelque chose qui plaît aux gens, ils vont finir par le trouver.

Si je vous comprends bien, vous demandez si les gens trouveront plus facilement ce qu'ils veulent au moment où ils le veulent. C'est toujours la même chose. Une entreprise comme la mienne doit réaliser les émissions et ensuite les rendre accessibles.

La question de la transmission n'est pas ma spécialité. M. Toth aura peut-être un autre point de vue là-dessus.

M. Toth: L'une des nouvelles techniques qui offre le plus grand potentiel de choix dans ce domaine, c'est Internet. Quand il existera la capacité technique de transmettre en temps réel le contenu vidéo et audio, à ce moment-là nous pourrons commencer à naviguer. Qu'il s'agisse d'émissions dramatiques, artistiques, sportives ou de programmes d'actualités, il sera important d'être formé sur la façon de commercialiser le produit dans ce nouveau contexte parce que ce sera un environnement tout à fait nouveau et encore une fois, il faudra trouver des façons différentes d'avoir accès au marché. Cela signifie qu'on ne vend plus à huit programmateurs dans différentes régions du pays mais qu'on doit obtenir une inscription quelque part sur le réseau de Microsoft ou du service Sympatico.

La présidente: Cela revient à vendre à 26 millions de programmeurs.

M. Toth: C'est exact. De toute évidence, il est important de décider comment on veut décrire l'émission dans le programme de recherche «génération X». Nous ne sommes pas loin du jour où votre programme de recherche vous connaîtra et pourra être formé pour trouver ce que vous cherchez. Il jouera le rôle d'un Arthur Weinthal, mis à votre service.

Le sénateur Spivak: C'est comme le Reader's Digest.

M. Toth: C'est à cause des progrès technologiques énormes qui ont été réalisés. Par exemple, j'ai un magnétoscope capable de presque tout faire mais j'arrive à peine à programmer l'horloge. Cela est vrai des Canadiens en général et de tout autre groupe démographique. Même quand nous serons capables de le faire, il y aura toujours un pourcentage énorme de l'auditoire qui n'aura aucune envie de naviguer dans Internet. Ces gens voudront rentrer chez eux et simplement regarder les émissions qu'ils aiment et qui sont déjà prévues à l'horaire.

La présidente: C'est très intéressant de vous entendre dire cela, monsieur Toth. Le sénateur Rompkey, le sénateur Spivak et moi-même nous sommes rendus à Boston juste après Noël où nous avons eu une longue réunion avec trois professeurs de Harvard qui réalisaient depuis plusieurs années une étude approfondie sur les communications, non seulement du point de vue technologique mais aussi de celui du comportement humain. Nous leur avons demandé de nous expliquer quels seraient les services dont les utilisateurs de cette nouvelle technologie diraient avoir le plus besoin: programmation, contenu, divertissement, information, et cetera.

Nous nous attendions à recevoir une réponse tout à fait différente. Ils ont répondu exactement de la même façon que vous quand vous avez parlé de l'horloge. Ils ont dit que le besoin le plus important serait la simplicité.

Comment réagissez-vous à cela? Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Toth: C'est vrai. La télévision a eu tant de succès au cours des 45 ou 50 dernières années en raison de sa simplicité.

Le sénateur Spivak: Cela est vrai aussi du téléphone.

M. Toth: C'est un peu comme les repas préparés; c'est le divertissement dans une boîte. Certaines boîtes sont meilleures que d'autres, de même que la qualité des émissions qu'on peut regarder. Le fait est que dans la vaste majorité des cas, les gens continueront de vouloir la simplicité.

Si vous vous intéressez beaucoup au golf, ce sera peut-être tout ce que vous voulez regarder, et le marché vous donnera l'occasion de le regarder 24 heures par jour. Cela se fait déjà avec les canaux spécialisés.

Si c'est la rénovation des maisons ou le jardinage qui vous intéressent, vous pouvez regarder Bob Vila toute la journée. Si vous voulez regarder continuellement La Soirée du hockey, vous pourrez le faire.

Le sénateur Spivak: Quelle perspective effrayante.

M. Toth: De même que vous choisissez à quelles revues vous voulez vous abonner, vous pourrez choisir aussi le genre d'émissions que vous voulez regarder. La simplicité sera l'élément clé ici, je pense.

M. Bregman: Cela existe déjà en partie. Grâce au magnétoscope, les gens ne sont plus obligés de s'en tenir à l'horaire. Nous constatons cela de façon concrète parce que nous ne recevrons peut-être qu'en mars une réaction à une émission diffusée en janvier, puisque la personne concernée l'avait enregistrée et visionnée plus tard. Les moyens techniques de le faire existent déjà.

Ce qui complique les choses sont les différentes méthodes et possibilités de livrer le produit, ainsi que la sorte de fragmentation du processus réglementaire régissant la réception du produit par téléphone ou ordinateur. Dans un proche avenir, nous pourrons peut-être l'obtenir de plusieurs façons différentes.

M. Toth: Cet exemple représente une des possibilités extrêmes dont votre comité doit tenir compte dans l'élaboration d'une politique. Grâce à Internet, cette possibilité existe déjà. Internet a fait disparaître les frontières et la protection des droits d'auteur. Ce sont des enjeux de demain. Comment protéger le produit que nous réalisons, quelle que soit la méthode de transmission?

Dans notre secteur, qu'on l'envoie sur CD-ROM, par le SRD, sur une bande VHS livrée à votre boîte postale, il faut décider comment rejoindre le client. Comment protéger ce que nous avons produit? On examine actuellement au Canada le système de protection des droits d'auteur, ce qui est nécessaire compte tenu des nouvelles technologies. Comment faire savoir aux gens que nous existons?

Le sénateur Spivak: Pensez-vous qu'Internet sera un moyen privilégié pour le divertissement? Ce ne sera pas simple. C'est plus simple de l'obtenir par le SRD. C'est un très bon moyen de communication et de commerce. Dans le monde des affaires, Internet n'a pas eu beaucoup de succès commercial. Pour les compagnies, le rendement n'est pas encore très important.

M. Bregman: «Pas encore», voilà ce qu'il faut retenir. Il ne faut pas oublier que la technologie en est toujours à ses débuts. Tout le monde travaille là-dessus. Elle changera et évoluera. Cependant, je dois dire que personnellement je ne la comprends pas très bien.

Le sénateur Spivak: Moi non plus.

M. Bregman: Je travaille avec la technologie et avec certaines compagnies qui l'utilisent. C'est compliqué. Je ne crois pas qu'elle aura une incidence très importante à court terme. Il faut l'examiner et en tenir compte. Les questions que M. Toth a soulevées sont d'une importance cruciale et concernent les droits et les méthodes de distribution. À mon avis, ce sont des questions essentielles. Il est difficile à l'heure actuelle de prévoir l'importance profonde qu'elles pourraient avoir.

M. Toth: Je me trouve à l'autre extrême. Je crois que la nouvelle technologie, que ce soit Internet ou autre chose, mènera à la création d'un nouveau genre d'émissions. Prenons par exemple celles qui portent sur la nature: un jour vous ne regarderez pas passivement une émission sur un safari en Afrique, car il vous sera possible d'y participer vraiment. Nous n'avons pas encore la technologie qu'il faut. Elle en est encore à ses débuts.

D'ici cinq ans, nous ne ferons peut-être pas de distinction entre la programmation de télévision et des longs métrages. Il y aura un écran dans votre salon que vous utiliserez pour voir votre facture téléphonique, pour parler à votre mère au téléphone, pour regarder un film ou trouver une recette. Et le système sera transparent.

Ma nièce, qui a cinq ans, sait déjà manier l'ordinateur. Qu'est-ce qu'elle voudra regarder quand elle aura 18 ans?

Le sénateur Rompkey: Si notre comité offrait un catalogue comme celui d'Eaton d'où votre mère commande des cadeaux de Noël, quels seraient vos trois premiers souhaits?

M. Bregman: Sachant ce que nous savons actuellement au sujet d'Eaton, je choisirais peut-être le catalogue de Sears et m'assurerais qu'on me le livre. Vous voulez une liste de souhaits?

La présidente: Oui.

M. Toth: Un sujet dont nous avons parlé est l'accès au marché, mais ce dernier évolue en fonction de la technologie.

La présidente: Préconiseriez-vous «un accès privilégié pour le contenu canadien»? Tout le monde aura accès au marché. Comme les clients privilégiés d'Aeroplan, les réalisateurs canadiens y auront un accès privilégié.

M. Bregman: Du point de vue du réalisateur, ce serait formidable d'assurer et d'augmenter l'accès privilégié pour les Canadiens. Plus il y en a, mieux c'est. Cela serait sans doute un de nos souhaits.

Le sénateur Rompkey: C'est le souhait le plus cher.

M. Toth: Nous voulons réaliser ce qu'on appelle dans le monde de la télévision l'espace d'étalage.

La présidente: Qu'est-ce que vous entendez par cela?

M. Toth: On utilise ce terme pour décrire les créneaux horaires, que ce soit les créneaux de pointe ou de faible écoute, qu'on peut acheter pour diffuser une émission. Plus il y a de distributeurs, que ce soit par satellite ou tout autre moyen, plus l'espace d'étalage augmente puisque le nombre de moyens de transmettre des émissions de télévision à domicile augmente aussi. On utilise le terme «espace d'étalage» pour les créneaux d'une demi-heure ou d'une heure.

La réalité est qu'il n'y a que 24 heures dans une journée. Il n'y a qu'un créneau de pointe, prédéterminé par nos habitudes d'écoute, donc on a un accès limité à un nombre limité de créneaux.

M. Bregman: Certains espaces d'étalage pour ainsi dire, sont meilleurs que d'autres. Encore une fois, l'idée, c'est qu'en rentrant dans le magasin, vous voulez voir le produit directement devant vous au lieu de le voir caché sur une étagère en arrière, derrière tous les autres trucs.

La présidente: Vous voudriez un créneau de pointe pour le contenu canadien?

M. Bregman: Nous voudrions un créneau de pointe.

La présidente: Vous voulez dire un créneau au niveau du temps, des entrées sur Internet et des cinémas pour les longs métrages -- tous types de créneaux?

M. Bregman: Absolument.

M. Toth: J'estime que c'est notre priorité.

M. Bregman: Nous sommes toujours au premier souhait, n'est-ce pas?

M. Toth: En effet.

La présidente: On dirait des enfants.

Le sénateur Rompkey: Nous traversons une période difficile. Essayez de vous retenir. Nous ne sommes pas le Père Noël, mais uniquement Eaton.

M. Toth: Ce créneau ou cet accès au marché est justifié en raison de la taille de notre marché intérieur. On a dit qu'il faut faire ses preuves avant que les gens n'achètent, surtout avec les longs métrages. Nous voulons des mécanismes de financement pour soutenir l'accès au créneau afin de fournir des programmes. Nous voulons que nos programmes soient protégés par de bonnes lois sur le droit d'auteur.

M. Bregman: Il est important de discuter des mécanismes de financement. Il s'agit de politiques réglementaires, comme le Fonds de télévision et de câblodistribution pour la production d'émissions canadiennes, qui est, en réalité, le règlement gouvernemental qui assure que les ressources financières sont investies par les distributeurs. Il y a également Téléfilm, l'Office national du film et d'autres intervenants clés, financés par le gouvernement, que nous voulons voir actualisés, redéfinis mais protégés. Nous voulons qu'ils soient là dans l'avenir pour que nous puissions y avoir accès au besoin.

Le financement peut aussi être sous forme de programmes comme le crédit d'impôt remboursable. C'est un programme exceptionnel qui nous permet d'investir notre argent, d'embaucher des gens et bâtir de notre industrie.

M. Toth: Avec l'arrivée des nouvelles technologies, du point de vue des politiques, qu'il s'agisse de financement public ou non, et du point de vue d'un organisme de réglementation public, il vaut mieux prévenir que guérir. Beaucoup de gens pensent que nous avons agi trop tard, pour ce qui est des longs métrages et l'accès à nos écrans de cinéma. Ces nouvelles technologies doivent inclure un rôle et une place pour le contenu canadien.

La présidente: Messieurs Bregman et Toth, c'est tout un programme que vous nous avez donné. Nous avons beaucoup de pain sur la planche. Si nos recherchistes et nos greffiers ont des questions supplémentaires, nous pourrons communiquer avec vous pour obtenir d'autres renseignements, n'est-ce pas?

M. Bregman: Absolument. L'association déploie de grands efforts pour faire de la recherche sur l'industrie afin de fournir aux initiateurs de programmes publics des renseignements qui sont bien recherchés et bien documentés. Nous serons toujours heureux de vous aider de cette façon.

La présidente: Merci d'avoir discuté de cette question avec nous et pour votre exposé.

M. Page, du Secrétariat national à l'alphabétisation et du Bureau des technologies d'apprentissage, est notre témoin suivant.

Merci d'avoir accepté notre invitation à venir discuter des défis auxquels nous faisons face.

Lors d'une de nos réunions il y a quelques semaines, le sénateur Rompkey, le sénateur Spivak et moi avons rencontré plusieurs spécialistes en communication à Boston. L'alphabétisation était une des grandes questions dont nous avons discuté. Nous nous sommes dit qu'il fallait rentrer chez nous pour faire nos devoirs.

Donc, monsieur Page, nous avons hâte de vous entendre.

M. James E. Page, secrétaire exécutif, Secrétariat national à l'alphabétisation et Bureau des technologies d'apprentissage: Merci, madame la présidente. C'est toujours un plaisir de parler des questions liées à l'alphabétisation.

Comme vous le savez, c'est une question qui va au fond de notre conscience et de notre coeur. Elle est importante pour tous les Canadiens, comme je l'expliquerai dans mes commentaires.

J'aimerais vous présenter deux de mes collègues. Stephen Lloyd travaille avec moi au Bureau des technologies d'apprentissage. Jean Pignal travaille à Statistique Canada et a joué un rôle clé dans la réalisation d'une importante étude internationale sur l'alphabétisation, qui a de grandes répercussions sur le Canada et qui s'appelle l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes. J'aimerais prendre quelques instants ce matin pour parler de cette enquête et de certaines répercussions sur la compétitivité en général.

Notre mémoire abordera plusieurs processus auxquels le comité s'intéresse. Ensuite nous serons heureux de répondre à vos questions.

Après avoir examiné le mandat du sous-comité, nous avons décidé de mettre l'accent sur les questions de capital humain. Il y a deux questions en particulier: quelles mesures devrait-on prendre pour s'assurer que les Canadiens acquièrent les compétences nécessaires pour former une main-d'oeuvre adaptée aux besoins de la société de l'information, et, deuxièmement, de quelle façon peut-on mettre à profit les nouvelles technologies de l'information dans les programmes de formation et d'éducation pour doter les Canadiens des compétences nécessaires dans la société de l'information?

À notre avis, les réponses à ces deux questions nous ramènent directement au concept de l'éducation permanente. Il est très important que la société canadienne valorise l'apprentissage permanent car ce sera là un élément clé du développement économique du Canada dans les années à venir et de son accession à une position concurrentielle non seulement sur le marché international des communications, mais dans tous les domaines.

Il est évident que les conceptions traditionnelles du travail sont présentement remises en question par plusieurs forces qui ont été libérées dans le monde par l'explosion ou l'accroissement sans précédent du savoir; par la diffusion rapide de ce savoir partout dans le monde, par des infrastructures de communications internationales de plus en plus évoluées; par la liberté de plus en plus grande qui caractérise les échanges commerciaux et la circulation du capital à l'échelle planétaire; et par l'expansion des entreprises multinationales. Tout indique que les emplois peu spécialisés de faible technicité sont en voie de disparition.

Compte tenu de tous ces facteurs, il est clair que les populations des pays développés constatent que la nature de leur travail se modifie. Et comme l'a fait observer l'Organisation de coopération et de développement économiques, ces facteurs font en sorte que des États modernes comme le Canada perdent progressivement leur emprise sur certains des instruments auxquels ils pouvaient auparavant recourir pour accroître leur compétitivité sur les marchés internationaux. Ce qui ressort clairement des études sur l'emploi de l'OCDE, c'est que le principal instrument qui reste à des pays comme le nôtre, désireux d'améliorer leur position concurrentielle, réside dans la formation du capital humain, autrement dit dans le perfectionnement des compétences de sa main-d'oeuvre.

Par ailleurs, ces études révèlent que les pays membres, dont le Canada, devront de plus en plus fréquemment entrer en concurrence avec des économies émergentes pour les emplois bien rémunérés, à haute technicité et fortement spécialisés. Le Canada n'aura pas la partie facile parce que la composition de notre main-d'oeuvre restera à peu près la même pendant une grande partie du XXIe siècle. Chaque année, il y a des nouveaux arrivants sur le marché du travail, évidemment, mais le pourcentage de nouveaux arrivants est relativement petit par rapport à bon nombre de nos concurrents.

C'est la raison pour laquelle nous devons nous intéresser principalement aux besoins de formation des personnes qui sont déjà sur le marché du travail ainsi que sur les besoins en formation des jeunes. En ce qui concerne les jeunes, nous devons toutefois nous rappeler que l'école doit être non seulement un lieu où l'on se prépare à occuper un emploi précis, mais aussi un endroit où l'on se prépare à apprendre toute sa vie durant.

À notre avis, pour que le Canada soit à la hauteur des exigences de la nouvelle économie mondiale, si le Canada veut être concurrentiel à différents égards, y compris en communication, les Canadiens et Canadiennes devront être prêts à apprendre tout au long de leur vie. Et il faudra faire en sorte que les milieux de travail non seulement favorisent l'acquisition de connaissances, mais incitent activement à l'apprentissage.

L'un des indices de la transformation qui est en train de se produire dans les milieux de travail réside dans la mise en place de mécanismes nouveaux. On a tous entendu parler de la livraison «juste-à-temps» des pièces requises dans une chaîne de montage, mais de plus en plus, on voit des sociétés offrir des cours de formation «juste-à-temps». Ce sont des cours de formation dont le personnel d'une société a besoin pour se tenir au fait des progrès les plus récents de la science et demeurer productif. Pour être formés «juste-à-temps», les gens doivent être prêts à apprendre en tout temps.

À titre de secrétaire exécutif du Bureau des technologies d'apprentissage et du Secrétariat national à l'alphabétisation, je représente deux organisations qui poursuivent un objectif commun, celui de contribuer au développement d'une culture de formation au Canada. Afin d'atteindre cet objectif, d'une part nous encourageons les adultes à utiliser à bon escient et de manière efficace les technologies d'apprentissage et, d'autre part, au Secrétariat national à l'alphabétisation, nous établissons des partenariats visant tous spécialement à élever le niveau d'alphabétisme des Canadiens et Canadiennes.

J'aimerais vous parler brièvement des technologies d'apprentissage. Elles peuvent être très utiles pour aider la main-d'oeuvre canadienne à s'adapter à l'économie mondiale. Par «technologies d'apprentissage», j'entends toutes les technologies qu'on peut employer à des fins d'apprentissage, des technologies simples et traditionnelles aux technologies de pointe des multimédias, Internet et des choses de cette nature.

Les technologies d'apprentissage, il importe de le signaler, sont utiles si elles sont adaptées aux besoins de l'apprenant. Elles offrent une flexibilité quant à la manière, au moment et à l'endroit de l'apprentissage. Elles peuvent multiplier les occasions d'apprendre à l'extérieur des établissements d'enseignement structuré. Elles peuvent être adaptées aux besoins de formation et aux modes d'apprentissage de chacun. Elles constituent pour les travailleurs et les employeurs des moyens bon marché de conserver et d'améliorer leurs compétences.

Le Bureau des technologies d'apprentissage, qui a été inauguré il y a peu de temps, en juin 1995, a pour mandat de promouvoir l'utilisation efficace des technologies d'apprentissage en appuyant des activités d'évaluation, de recherche et de mise à l'essai se rapportant à l'utilisation des technologies d'apprentissage, et en appuyant des projets favorisant une plus grande disponibilité et une meilleure diffusion des renseignements et connaissances sur les technologies d'apprentissage. Le bureau a déjà commencé à collaborer avec différents partenaires des secteurs public et privé, notamment avec des établissements d'enseignement, des organisations non gouvernementales, des conseils sectoriels, des syndicats, des gens d'affaires et d'autres ordres de gouvernement.

Par exemple, le Bureau des technologies d'apprentissage est l'un des membres fondateurs du Réseau des centres d'excellence en téléapprentissage et siège au comité de programmes de celui-ci. Ce réseau est le fruit d'une collaboration, à l'échelle nationale, entre les chercheurs canadiens et les organisations canadiennes qui s'intéressent à la mise au point de nouvelles technologies de l'enseignement et à leur application. Pour sa part, le réseau est représenté au groupe consultatif d'experts du Bureau des technologies d'apprentissage.

Le Bureau des technologies d'apprentissage travaille également en partenariat avec des organisations telles que l'Association des collèges communautaires du Canada, l'Association canadienne pour l'enseignement à distance, l'Association des universités et collèges du Canada et le Network of Ontario Distance Educators.

J'aimerais vous donner quelques exemples de projets que nous finançons pour vous donner une idée de nos activités. Par exemple, le cégep de Bois-de-Boulogne a mis sur pied un projet afin de venir en aide à l'Observatoire du multimédia de formation, qui a pour but de réunir et diffuser de l'information de pointe sur les nouveaux modèles, les nouvelles applications, les nouveaux produits et les découvertes dans l'emploi des technologies d'apprentissage, tant pour les professionnels que pour les débutants. C'est le genre de projet qui, sur le marché international, peut s'avérer un outil utile pour promouvoir les travaux innovateurs au Canada.

Avec notre aide, l'Alberta Association of Courseware Producers est en train de mettre sur pied un projet consistant à créer un centre national d'information sur les didacticiels où les Canadiens pourraient s'adresser pour obtenir des renseignements sur l'enseignement et la formation et les débouchés connexes. Ce projet pourrait aussi être exploité à l'échelle internationale.

L'Université Simon Fraser a entrepris d'élaborer et de mettre à l'essai un programme de formation destiné aux personnes qui désirent utiliser un environnement virtuel d'apprentissage pour concevoir et mettre au point des cours informatisés en direct -- un lien avec Internet. Le Centre canadien de formation dans le secteur des matières plastiques évaluera l'efficacité des simulations sur CD-ROM utilisées pour dispenser une formation sur place aux travailleurs de l'industrie du plastique et qui, nous l'espérons, favoriseront la création de milieux d'apprentissage sur les lieux de travail dans cette industrie.

Il est évident que la technologie n'est que l'un des nombreux outils disponibles pour la formation des adultes. J'aimerais passer brièvement à l'alphabétisation et à nos activités dans ce secteur.

Depuis la fin des années 80, le Canada dû repenser le dossier de l'alphabétisation, et réorienter toute la recherche et la formation en ce domaine au Canada. Avant la parution de plusieurs études poussées sur l'alphabétisation vers la fin des années 80, et les études plus récentes, les Canadiens et Canadiennes concevaient l'alphabétisation comme un problème qui concernait surtout les jeunes et les écoles. Les difficultés de lecture et d'écriture des adultes étaient des problèmes largement occultés. Nous savons maintenant que l'alphabétisation est une question importante pour les Canadiens et les Canadiennes de tout âge.

Puisque votre comité s'intéresse à la position concurrentielle du Canada sur le marché international, j'aimerais m'attarder quelques instants sur les conclusions de l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes. C'est un rapport qui contient des révélations importantes sur la compétitivité internationale du Canada. En partenariat avec six autres pays -- les États-Unis, la Suède, la Pologne, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse -- et l'OCDE, le Canada a piloté cette enquête qui a mené à la publication de deux documents: tout d'abord un rapport de comparaison internationale intitulé Littéracie, économie et société, qui a été rendu public en décembre 1995, et, deuxièmement, un document intitulé Lire l'avenir: Un portrait de l'alphabétisme au Canada, paru en septembre 1996, qui présente plus en détail les résultats de cette enquête au Canada.

J'ai apporté des copies de ces documents aujourd'hui et nous les avons remises à votre équipe de recherche.

L'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes, l'EIAA, a évalué la capacité de lecture et d'écriture en regard de trois échelles différentes: compréhension de textes suivis, de textes schématiques et de textes au contenu quantitatif. Chacune des échelles comporte cinq niveaux dont l'un correspond au plus faible degré d'alphabétisation.

L'EIAA est une initiative qui fait évoluer notre conception de l'alphabétisme, lequel n'est plus défini comme des capacités de base en lecture mais plutôt comme la manière dont les adultes utilisent l'information écrite pour fonctionner en société. L'alphabétisme est maintenant perçu comme un continuum sur lequel chacun enregistre tout au moins un certain degré de compétence. C'est ce qui explique qu'au Canada, nous mettions l'emphase sur l'alphabétisme plutôt que sur l'analphabétisme.

La situation en France, un pays qui a participé à l'enquête mais qui s'est désisté par la suite, présente un contraste intéressant. L'organisation homologue du Secrétariat national à l'alphabétisation s'appelle le Groupe permanent de la lutte contre l'illettrisme, un groupe qui est axé sur l'analphabétisme plutôt que sur le développement des compétences de base.

D'ailleurs, ceci dit en passant, si ce pays s'est désisté, je soupçonne que c'est en partie en raison de sa difficulté à passer du niveau où on reconnaît l'existence d'un problème à celui où on reconnaît qu'il existe, en fait, un éventail de moyens et de solutions.

Ici au Canada, nous ne nous demandons pas si les Canadiens savent lire et écrire; nous nous interrogeons sur la maîtrise qu'ils ont de la lecture et de l'écriture. L'EIAA nous en apprend très long sur la question. C'est à cause d'études telles que l'Enquête internationale sur l'analphabétisation des adultes que la population canadienne a commencé à comprendre combien les niveaux d'alphabétisation étaient faibles au Canada. Ce n'est pas dire que les analphabètes sont légion au Canada. C'est dire simplement qu'il y a un nombre important d'adultes canadiens, âgés de 16 ans et plus, qui éprouvent certaines difficultés au niveau de la lecture.

De plus, grâce à ces études, je crois que les Canadiens et les Canadiennes sont en train de se rendre compte, non sans malaise, qu'il existe des problèmes d'analphabétisme dans leur entourage immédiat et non seulement chez les personnes qui ont des difficultés d'apprentissage ou qui occupent des emplois peu exigeants. Le problème de l'analphabétisme se présente maintenant sous les traits d'un voisin, d'un collègue de travail, d'un ami ou même d'un parent.

En passant, nous fêtons aujourd'hui la Journée de l'alphabétisation. Des représentants de diverses organisations d'alphabétisation rencontrent aujourd'hui des parlementaires sur la colline du Parlement. Avant d'arriver dans cette salle, j'ai participé à une discussion où on faisait ressortir le fait que dans bien des cas, lorsque les groupes qui appuient les efforts d'alphabétisation parlent aux parlementaires, ces derniers répondent en mentionnant un de leurs commettants ou un membre de leur famille qui, peut-être dans le passé, avait certains problèmes d'alphabétisation. Nous voulons simplement indiquer que le défi à relever est de taille, et qu'il s'agit d'un problème qui existe dans toutes les régions du pays.

L'EIAA a permis également de constater qu'apprendre à lire et à écrire n'était pas comme apprendre à aller à bicyclette. Nombre de gens croient que comme la bicyclette, une fois qu'on a maîtrisé l'art, on ne l'oublie plus. Une fois qu'on a maîtrisé l'art de rouler à bicyclette, on n'arrête plus. L'enquête révèle que si l'on peut apprendre à lire et à écrire, on peut également oublier ces capacités si elles ne sont pas suffisamment utilisées. Ainsi la pratique, l'emploi de ces compétences, est au coeur même de l'apprentissage permanent. Je crois qu'il s'agit là d'un message important, non simplement pour votre sous-comité, mais pour tous ceux qui oeuvrent dans le domaine de la politique publique.

L'EIAA a constaté des différences dans ces pays de langue et de culture différentes en ce qui concerne les capacités de lecture et d'alphabétisation. Parmi ces sept pays, la Suède a obtenu les meilleurs résultats. Ce n'était pas un concours, sénateurs; il ne s'agissait pas de savoir qui était le meilleur. Tous ces pays ont pris part à cette enquête de leur propre gré. L'enquête ne cherchait pas à savoir qui était premier ou dernier, mais plutôt à identifier les facteurs qui favorisent ou entravent la capacité de lecture et d'écriture.

C'est donc la Suède qui est arrivée en tête de liste de ces pays. C'est aussi le pays qui est le plus acquis à l'éducation permanente.

La plupart des pays se retrouvaient au le milieu, chacun ayant ses points forts et ses points faibles. Le Canada et les États-Unis montraient de grands nombres de personnes dans les strates supérieures et inférieures de l'alphabétisation, et moins de monde au niveau intermédiaire que les pays européens. Pour vous aider à visualiser la chose, disons que la situation canadienne et américaine ressemble beaucoup à un sablier, avec beaucoup de monde en haut et beaucoup de monde en bas. Dans les pays européens, c'était beaucoup plus comme un oeuf, avec beaucoup de monde au milieu, particulièrement au niveau 3, ce qui, selon l'EIAA, est essentiellement le niveau approprié d'alphabétisation pour fonctionner dans la vie quotidienne.

Comme je l'ai dit, les Européens tendaient à se regrouper au milieu. Le Canada est dans la moyenne en termes comparatifs, il se situe au milieu avec l'Allemagne et les Pays-Bas.

Ce rapport contient plusieurs constations. Il y a grand profit à le lire. Cependant, je me bornerai à seulement quelques constatations. L'alphabétisation, comme l'a constaté l'EIAA, est nettement liée à la réussite économique. Le niveau d'alphabétisation d'une personne permet de prédire son attachement, ainsi que sa réussite, au marché du travail. C'est une constatation plutôt étonnante. Selon l'EIAA, plus la main-d'oeuvre d'un pays est alphabétisée, plus elle a de chances d'être concurrentielle.

L'une des choses que nous savons, c'est que les travailleurs canadiens de demain devront être de plus en plus alphabétisés parce que les industries d'avenir dans notre pays sont celles qui exigent des employés ayant des niveaux de plus en plus élevés d'alphabétisation.

Autre constatation essentielle: les pratiques d'alphabétisation au travail sont essentielles au maintien d'une main-d'oeuvre qualifiée, que l'on peut former et qui peut s'adapter à l'évolution de la technologie et des conditions du marché. La raison en est que la plupart des Canadiens constatent que c'est surtout au travail qu'ils sont appelés à lire.

La population active de réserve, une expression que les statisticiens et les macro-économistes aiment bien, désigne les personnes qui ne travaillent pas, les chômeurs. Or, la population active de réserve du Canada est peu spécialisée et se trouve comparativement défavorisée par rapport à la même population européenne. Cela devrait nous inquiéter.

L'EIAA constate également que les adultes peu spécialisés, particulièrement ceux du niveau 2, sont peu enclins à admettre que l'analphabétisme leur pose un problème. Même s'il est prouvé que les personnes peu alphabétisées chôment plus souvent que les autres, dans l'ensemble, ces personnes n'admettent pas que l'analphabétisme, ou leur incapacité de lire et d'écrire, limite leurs perspectives d'emploi. Et c'est souvent parce que ces personnes se retrouvent dans des emplois qui n'exigent pas un niveau élevé d'alphabétisation. Cependant, nous savons qu'avec l'avancée inexorable de la technologie, les exigences de ces emplois au niveau de l'alphabétisation vont augmenter et ces personnes deviendront très vulnérables.

L'EIAA donne à croire que l'alphabétisme est l'élément clé d'une pleine participation des citoyens à la vie sociale, culturelle, politique et économique de leur pays. Compte tenu de la disparition des industries de transformation, de la sidérurgie et de la construction lourde d'autrefois et de leur remplacement rapide par des industries fondées sur l'information et le savoir, les niveaux d'alphabétisme sont un aspect non négligeable.

La capacité de lecture et d'écriture influe sur les chances de réussite des nouveaux arrivants sur le marché du travail. Le niveau d'alphabétisme devient un facteur favorable ou défavorable pour les personnes d'âge moyen qui sont confrontées à une restructuration des emplois ou à une élévation du degré de spécialisation exigé. À titre d'exemple, les Canadiens plus âgés qui doivent s'adapter aux exigences de la banque électronique se rendent compte à quel point l'alphabétisme a des répercussions importantes sur leur degré d'autonomie et de sécurité.

Alors, que faisons-nous dans le domaine de l'alphabétisation? En 1988, le gouvernement fédéral a créé le Secrétariat national à l'alphabétisation. Il a confirmé son engagement à l'égard de l'alphabétisation en 1993, lorsqu'il a nommé le sénateur Fairbairn ministre responsable de l'Alphabétisation. De plus, en 1994, il a rétabli les niveaux de financement originaux du secrétariat. Enfin, il y a quelques semaines, dans son budget, le ministre des Finances a annoncé qu'il augmentait de 30 p. 100 les ressources du SNA.

Nous devons utiliser ces fonds additionnels pour accroître nos efforts dans les secteurs de l'alphabétisation en milieu professionnel et de l'alphabétisation en milieu familial, deux domaines importants pour la création d'environnements propices à l'apprentissage au travail et à la maison. Ce nouveau budget renferme aussi des fonds pour aider à développer davantage l'infrastructure d'alphabétisation au Canada, y compris l'infrastructure électronique nécessaire à l'utilisation efficace de nouvelles technologies pour atteindre les objectifs en matière d'alphabétisation. Tout cela constitue une réponse importante aux orientations stratégiques proposées dans l'EIAA, lesquelles portaient sur l'alphabétisation à la maison et au travail.

De façon générale, le secrétariat sert de catalyseur et de facilitateur pour les questions d'alphabétisation au Canada. Il établit des rapports de collaboration avec des partenaires des secteurs public et privé dans le cadre d'un effort national en vue d'alphabétiser davantage le Canada. Il finance des projets pour appuyer cinq activités: élaborer du matériel didactique, sensibiliser davantage le public, soutenir la recherche, améliorer la coordination et la mise en commun des renseignements, et accroître l'accessibilité des programmes d'alphabétisation pour qu'un plus grand nombre de personnes puissent en bénéficier. Le SNA travaille en collaboration avec chaque province et chaque territoire afin de parrainer des projets d'alphabétisation destinés à répondre aux besoins régionaux ou locaux.

Essentiellement, le SNA a établi des relations de travail très efficaces et très positives avec chaque province et territoire. Il crée des partenariats avec des entreprises et des syndicats pour les sensibiliser aux questions d'alphabétisation et les inciter à s'y intéresser. Les centres d'intérêt du SNA comprennent les occasions d'apprentissage non traditionnelles et des moyens novateurs de favoriser l'apprentissage, au travail et ailleurs.

J'aimerais vous donner quelques exemples de ce que nous avons fait. Les exemples dont nous faisons état dans notre mémoire présentent un volet technologique. C'est le mandat du sous-comité qui m'a amené à les choisir.

L'une des initiatives qui devrait attirer votre attention est ce qu'on appelle la Base de données en alphabétisation des adultes, dont l'acronyme est BDAA, qui facilite une mise en oeuvre soutenue des programmes d'alphabétisation au Canada en fournissant un réseau de communication et un centre d'échange d'information sur l'alphabétisation des adultes à l'intention des personnes, des organisations et des décideurs gouvernementaux qui oeuvrent dans ce domaine. Tous les projets financés par le Secrétariat national à l'alphabétisation sont accessibles. C'est-à-dire qu'on peut trouver des informations sur ces projets en passant par la BDAA.

La BDAA offre des services de messagerie électronique, de conférence et d'affichage électronique, une base de données sur les organismes canadiens d'alphabétisation et les institutions et groupes qui s'occupent d'activités d'alphabétisation, ainsi qu'une base de données sur des publications et d'autres matériels utiles dans le domaine de l'alphabétisation. La BDAA, qui a un site Web, gère les pages d'accueil d'environ 35 organismes canadiens d'alphabétisation, dont le Secrétariat national à l'alphabétisation.

Le programme SARAW (Speech Assisted Reading and Writing) est un exemple très différent d'initiative. Le SARAW sera bientôt complété par un projet appelé SAM (Speech Assisted Math).

Le SARAW est un programme d'ordinateur parlant. J'imagine que c'est ce qu'on dirait familièrement. Il se sert de synthétiseurs vocaux conçus pour aider à donner une formation de base en lecture et en écriture aux adultes qui ont des handicaps physiques sévères et qui ne parlent pas. Ces apprenants peuvent être alphabétisés grâce à ce programme informatique, qui est appuyé par des instructeurs qualifiés, et ils ont donc des chances plus équitables de succès sur les plans social et économique.

Je dois vous dire, sénateurs, que c'est une nouvelle technologie puissante. Ce n'est pas exagéré que de dire qu'elle va révolutionner la vie des Canadiens qui en ont besoin.

Avec l'appui du SNA, la Neil Squire Foundation, en collaboration avec le Capilano College, Digital Equipment of Canada, Microsoft Canada et l'Association des collèges communautaires, est en train de mettre ce programme en oeuvre dans des collèges et des organismes communautaires de toutes les régions du Canada.

Toujours avec l'aide financière du SNA, des intervenants albertains en alphabétisation ont créé et commercialisé leur propre programme de formation sur CD-ROM, qui s'appelle STAPLE. Il s'agit d'un programme interactif de formation multimédia pour les travailleurs, les coordonnateurs et les tuteurs bénévoles dans le domaine de l'alphabétisation. Je crois savoir qu'on s'intéresse à ce projet aux États-Unis et en Europe. En substance, il s'agit de fournir du matériel d'autoapprentissage à ceux qui se préparent à oeuvrer en matière d'alphabétisation.

En outre, le SNA a élaboré une série de lignes directrices à l'intention des organismes d'alphabétisation qui envisagent d'acquérir un système informatisé d'alphabétisation pour adultes. Nous avons aussi organisé des rencontres. J'en ai présidé une hier sur l'infrastructure électronique. Nous avons également organisé, en janvier 1995, ce qu'on a appelé le Dialogue de politique sur les nouvelles technologies de l'alphabétisation; nous avons communiqué les résultats de ce travail à vos recherchistes.

Pour conclure, sénateurs, disons que l'utilisation de la technologie à des fins d'apprentissage croît rapidement dans notre pays, tout comme son usage pour le travail ou les loisirs connaît une croissance exponentielle. Il y a une différence, cependant. Si la croissance au niveau de l'apprentissage est rapide, la croissance au niveau du divertissement est encore plus rapide. Cela fait partie du défi qui nous attend.

L'exploitation de la technologie à des fins d'apprentissage est un défi que nous devons relever si nous voulons que le Canada puisse se classer parmi les nations qui auront le plus de succès, et cette notion ne se limite pas au domaine des communications même si elle est certainement présente.

La notion de succès ne se limite pas au domaine économique; elle s'applique aussi à nos institutions sociales, culturelles et politiques. Chose peut-être plus importante encore, il est essentiel que les Canadiens et Canadiennes aient un degré élevé d'alphabétisation pour être capables de s'adapter à l'évolution d'une économie fondée sur l'information, au cours des prochaines années et des prochaines décennies. Si les technologies d'apprentissage peuvent aider les gens à accroître leurs compétences en lecture et en écriture, ces compétences, elles, sont indispensables à l'utilisation optimale des technologies -- à la maison, dans tout environnement d'apprentissage et au travail. La technologie, l'apprentissage et l'alphabétisation sont des questions appelées à devenir de plus en plus indissociables dans l'avenir. Merci.

La présidente: Monsieur Page, votre exposé était extrêmement intéressant. Vous nous rappelez aujourd'hui que, même si l'alphabétisation est loin d'être la seule réponse pour ceux qui n'ont pas eu les mêmes chances que les autres, c'est vraiment l'un des problèmes essentiels que posent les communications et les nouvelles technologies.

On entend souvent parler aujourd'hui de la parole et de l'écrit en termes d'alphabétisation. On parle aussi souvent de la compétence informatique. Je remarque que vous n'avez pas parlé beaucoup de compétence informatique. Pouvez-vous nous parler du lien qu'il y a entre les deux? Où en êtes-vous au niveau de ce type de réflexion et de planification?

M. Page: Je serai très heureux de vous répondre, madame le sénateur. J'invite aussi mes collègues à se prononcer.

Si l'on me permet de parler au nom du Secrétariat national à l'alphabétisation pour un instant, l'alphabétisation est une réalité qui s'étale sur un spectre très large. À une extrémité de ce spectre, on trouve ce qu'on appelle normalement les compétences essentielles en matière d'alphabétisation -- la simple capacité de lire et d'écrire. Au milieu de ce spectre, on trouve ce que j'appellerais non pas l'alphabétisation fonctionnelle, mais plutôt l'alphabétisation essentielle, soit les types de compétences de base mentionnés dans l'EIAA qui sont nécessaires si l'on veut participer pleinement à tous les aspects de la vie. À l'autre extrémité du spectre, on trouve ce que moi, la personne alphabétisée, j'appelle l'alphabétisation par analogie. J'entends par là la compétence informatique, la compétence médiatique, la compétence sociétale, la compétence économique, et tout le reste.

Je trace ces distinctions parce que, très franchement, lorsqu'on s'assoit devant son ordinateur pour travailler ou pour naviguer sur Internet, on travaille essentiellement avec des textes, sous forme de prose ou de document. Au coeur de cette capacité d'utiliser les nouvelles technologies, on trouve l'alphabétisme sous ses formes traditionnelles. La différence entre ces formes et un ordinateur, c'est que les mots sont sur papier et non à l'écran.

D'après les rapports, comme celui de l'EIAA, il est de plus en plus évident que les gens ont besoin d'un niveau très élevé d'alphabétisation -- au sens traditionnel du terme, soit la capacité de lire et d'écrire -- s'ils veulent tirer parti pleinement des technologies. Il faut être capable de travailler avec deux, trois ou quatre concepts, et de travailler par inférence, ce qui et souvent requis lorsqu'on navigue sur Internet.

Pour moi, l'expression «compétence informatique» prend le vieux sens qu'on donnait au langage de la programmation. Je suis assez vieux pour me rappeler des termes comme COBOL et FORTRAN. Pour moi, la compétence informatique, c'est comme la faculté de travailler avec ces langages informatiques. On pourrait aussi dire que la compétence informatique, c'est l'apprentissage des applications.

Franchement, moi qui suis vieux, j'aime travailler en WordPerfect 5.1. Nombre de mes collègues plus jeunes me disent que Word est bien meilleur ou que le WordPerfect 6.1 est juste ce qu'il faut. Cependant, ce sont des applications qu'on apprend, essentiellement. Si l'on passe d'une application à une autre, la seule chose qui compte, essentiellement, c'est la capacité de travailler avec ce qu'il y a à l'écran.

Pour moi, la compétence informatique est un terme commode qui pourrait s'appliquer à diverses choses. C'est un terme dangereux, dans une certaine mesure, parce que lorsqu'on l'emploie, on désigne essentiellement les hauts niveaux d'alphabétisation qu'il faut pour se servir d'ordinateurs. En termes simples, c'est ce que je dirais.

M. Jean Pignal, Division des enquêtes spéciales, Statistique Canada, Secrétariat national à l'alphabétisation et Bureau des technologies d'apprentissage: Il vaut encore mieux employer l'expression «capacités informatiques» plutôt que «compétence informatique», parce qu'on ne peut pas faire d'adéquation entre les deux. Lorsqu'on parle de la compétence informatique d'une personne, on parle de sa capacité à utiliser les ordinateurs.

Où va-t-on avec la technologie de l'information? On a entendu parler plus tôt des possibilités des créneaux, d'aider les gens à obtenir les informations dont ils ont besoin. Savent-ils ce qu'ils veulent s'ils ne peuvent pas lire, ou s'ils ne peuvent se servir des filtres nécessaires pour séparer le bon grain de l'ivraie?

Le sénateur Spivak: Vous parlez de compréhension.

M. Pignal: Dans le cadre de l'EIAA, on ne mesure pas seulement la capacité de lire, mais la capacité de se servir du texte écrit. C'est plus que dire: «Regarde le chat qui court», ou quelque chose du genre. C'est la faculté de demander: «Qu'est-ce qui court?», et d'avoir une réponse qui dit: «C'est le chat qui court».

Quand on songe à l'information et à la liberté d'information que la nouvelle technologie nous donne, ce sont des choses merveilleuses, mais des problèmes peuvent se poser lorsqu'on reçoit autant d'informations et qu'il se produit une surcharge d'informations. Il faut avoir un filtre pour trier toutes les informations qui nous parviennent et ne prendre que ce que l'on veut, ce dont on a besoin et ce que l'on comprend, et c'est le genre de compétence dont il est question, et ce n'est pas seulement la capacité d'utiliser un ordinateur.

Le sénateur Spivak: Vous savez sans doute, ce que Neil Postman dit des ordinateurs. Lorsque nous étions à Boston, on nous a dit que tout cela n'était qu'une fumisterie. Il a dit que l'éducation a essentiellement pour but d'apprendre à nos enfants comment réfléchir, comment s'exprimer, et comment évaluer, et il affirme que les ordinateurs ne font rien de tel. Avez-vous un point de vue contraire? Pensez-vous que les nouvelles technologies permettent d'atteindre ce but, que tout le monde reconnaît, mieux que les bonnes vieilles méthodes traditionnelles?

Je comprends que les ordinateurs constituent aujourd'hui un outil essentiel et incontournable. Ce sont des outils commerciaux et des outils qui permettent de réunir des informations. Cependant, comme outil d'apprentissage, les ordinateurs valent-ils les bonnes vieilles méthodes traditionnelles?

M. Page: Madame, un ordinateur, comme vous venez de le dire, peut être un outil d'apprentissage. Son efficacité dépend de l'utilisation qu'en fait la personne, selon ses besoins, le mode d'apprentissage et le contexte. Le Bureau des technologies d'apprentissage accorde une grande importance à la personnalisation de l'apprentissage. Nous tenons à explorer les frontières de l'utilisation de l'ordinateur et à déterminer leur valeur comme outils, et c'est pourquoi nous avons mis en marche certains de ces projets. Cependant, notre approche se fonde essentiellement sur une perspective humaine. Je pense que c'est là un des éléments qui caractérisent le travail que nous accomplissons au Bureau des technologies d'apprentissage. Nos principes sont axés sur l'apprenant et son contexte. Ce sont les éléments essentiels. Je pense au SARAW, par exemple. Les bonnes vieilles méthodes ne sont pas plus utiles aux personnes ayant de lourds handicaps que l'ordinateur. Dans ces cas-là, pour ces gens, c'est l'outil d'apprentissage le plus puissant qu'ils aient jamais vu.

Le sénateur Spivak: C'est vrai.

M. Page: Si on vit dans une communauté isolée du nord de l'Ontario ou de l'Arctique, ou dans une communauté presque dépourvue d'infrastructures technologiques, qu'on n'a aucune formation ni expérience d'utilisation des technologies bas de gamme, et encore moins des technologies haut de gamme, l'ordinateur n'est sans doute pas un outil d'apprentissage bien efficace, et dans ces circonstances, il ne saurait le devenir, à moins qu'on fasse individuellement de très grands efforts et qu'on opère un changement culturel. Tout tient à cela, à la question de l'adéquation. Nous cherchons à faire une contribution, comme nous l'avons laissé entendre, à la mise en place d'une culture de l'acquisition du savoir, et cela par le recours à toutes ces choses en employant des moyens qui conviennent aux Canadiens.

Le sénateur Spivak: Je dois dire que je suis tout à fait renversée par l'ampleur de la tâche à laquelle vous vous attaquez. Il est fascinant de voir comment vous définissez l'alphabétisme. C'est peut-être facile pour vous, mais il vous faut définir les méthodes d'enseignement qui conviennent. Il y a un débat en cours sur la phonétique et la méthode globale. Montrer aux gens comment acquérir ces compétences dont vous parlez et dont nous avons besoin pour être concurrentiels, c'est un travail de titan.

Nous voulons connaître les données chiffrées. Vous dites que le Canada compte un grand nombre de personnes ayant les compétences de base. De combien de personnes parlez-vous, étant donné que vous avez donné de tout cela une définition très large?

M. Page: Je vais essayer de répondre, bien que je sois un profane. Le statisticien pourra me reprendre si je fais erreur. Dans l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes, on a utilisé trois échelles: textes suivis, textes schématiques et textes au contenu quantitatif. L'échelle pour les textes suivis porte essentiellement sur la lecture d'un texte simple. Cette échelle comporte cinq niveaux de compétences, le niveau 1 étant le moins élevé. Environ 22 p. 100 des adultes canadiens, âgés de 16 ans et plus, se situaient au premier niveau. Qu'est-ce que cela signifie? Cela veut dire que ces personnes peuvent lire un texte simple, un texte contenant une idée, et elles sont en mesure de travailler à partir de ce concept, essentiellement. Cela ne suppose aucun travail d'inférence.

Au niveau 2 de l'échelle pour les textes suivis, on retrouve 26 p. 100 des adultes canadiens. Je n'aime pas additionner les différentes données, mais si vous avez bien compté, nous en sommes maintenant à 48 p. 100.

Le sénateur Spivak: Incluez-vous la notion de calcul?

M. Page: Cela concerne l'échelle quantitative. Nous y viendrons. Je parle ici de la lecture d'un texte, de la tâche la plus simple. La capacité de lire un texte schématique fait beaucoup plus appel à l'inférence, et c'est plus difficile. C'est la plus simple des tâches en matière de lecture.

Comme on l'a dit, 26 p. 100 des adultes canadiens interrogés au cours de cette enquête se situaient au deuxième niveau. C'est un niveau où il y a une certaine part d'inférence. Essentiellement, il y a une idée à extraire d'un texte. Encore là, ce n'est pas une tâche difficile. Peut-être que M. Pignal aimerait ajouter quelque chose à ce sujet.

M. Pignal: Au niveau 2, il n'y a pas d'inférence non plus. Il n'y a pas d'inférence tant qu'on n'arrive pas aux niveaux supérieurs. En fait, il y a là des distracteurs. On vous pose une question en fonction d'un mot clé contenu dans le texte, et il y a plusieurs de ces mots clés dans le texte, et il est donc possible de trouver une réponse à différents endroits. Par conséquent, il faut se montrer beaucoup plus attentif. Il ne s'agit pas simplement d'associer un symbole à un autre dans le texte; il faut en fait établir une distinction entre deux symboles.

Le sénateur Spivak: Qu'en est-il du système anglais de réduction de texte, qui met l'accent sur votre compréhension de l'essentiel du message? Cette méthode constitue il me semble le fondement de la formation juridique. Où cela se situe-t-il sur l'échelle? Est-ce à un niveau supérieur, est-ce qu'il y a là une part d'inférence?

M. Pignal: Je ne suis pas certain que l'EIAA se soit beaucoup attardée là-dessus. Nous nous en tirons vraiment bien aux niveaux inférieurs et raisonnablement bien aux niveaux supérieurs, mais, dans ce que vous évoquez, il est question de la structure d'un texte.

Le sénateur Spivak: C'est assez élémentaire.

M. Pignal: C'est peut-être élémentaire pour certains qui se situent aux niveaux supérieurs, mais ce n'est pas si élémentaire. C'est un peu plus difficile à mesurer. Nous avons effectivement mesuré certaines choses qui comportaient cet élément. Par exemple, nous avons présenté une phrase à des gens, et nous leur avons demandé de redire dans leurs propres mots ce qu'elle signifiait.

Le sénateur Spivak: Cette capacité est évaluée selon l'échelle de QI, n'est-ce pas?

M. Pignal: Très probablement, oui.

Le sénateur Rompkey: J'aimerais souhaiter la bienvenue à Jim Page, d'abord, que je connais depuis des années, et qui a rendu d'inestimables services à notre pays dans le cadre de différentes administrations et à différents titres. Je suis très heureux de le revoir.

J'aimerais d'abord revenir à la question de l'honorable sénateur Spivak. Comme la présidente le sait, je viens de passer deux ou trois jours à Sudbury, où j'ai eu l'occasion de passer une matinée avec les responsables de la formation chez Inco. D'ici 1999, ils auront informatisé 800 manuels de formation. Dans le cadre de cette expérience, ils ont jusqu'à maintenant réduit de moitié le délai d'apprentissage. Ils ont remis au travail des milliers de gens plus rapidement et ont augmenté le temps passé au travail. Ils ont permis d'économiser des millions de dollars. Le taux de rétention scolaire est de 80 à 90 p. 100, et les apprenants sont très enthousiastes. Auparavant, quand ils allaient prendre un café, il était difficile de les ramener en classe. Maintenant, on n'arrive plus à arracher les travailleurs de leurs ordinateurs. Dans une entreprise canadienne très dynamique, on est fermement convaincu que l'apprentissage informatisé est très efficace. Ce sont des renseignements que je juge bon de vous soumettre.

Je ne sais pas jusqu'à quel point nous pouvons parler d'alphabétisme dans notre rapport, étant donné que nous nous occupons principalement de communication, mais je pense que nous devrions mentionner quelque part que notre pays n'en fait pas assez. J'aimerais savoir où nous nous situons par rapport à d'autres pays. M. Page dit que nous avons rétabli le financement pour l'alphabétisation, ou que nous l'avons augmenté de 30 p. 100. Ce n'est pas suffisant étant donné l'ampleur du problème au Canada. Je ne sais pas si nous pouvons trouver un moyen de le mentionner, mais j'aimerais que nous le fassions.

Pour renforcer notre argument, j'aimerais que M. Page me dise où nous nous situons par rapport à d'autres pays qui ont participé à cette enquête et eu égard à la politique gouvernementale. Que fait la Suède, par exemple? Quel pourcentage de son PIB consacre-t-elle à l'alphabétisation par rapport au Canada?

M. Page: C'est difficile à dire, mais je suis heureux que vous posiez la question. Il est difficile d'y répondre étant donné qu'à l'heure d'engager des dépenses en matière d'éducation et de formation, les divers pays s'y prennent de façon très différente.

Ce qu'il y a de fascinant, entre autres choses, à propos du Canada, sans vouloir toutefois faire de comparaison, c'est que comme la Suède, nous consacrons une très forte proportion de notre revenu disponible à l'éducation. Nous nous classons au sommet ou tout près du sommet pour ce qui est des dépenses par habitant en matière d'éducation. Fait intéressant, cependant -- et c'est un trait commun au Canada et aux États-Unis -- à propos de la façon dont le Canada engage ses dépenses à ce titre, c'est que nous avons un système d'enseignement postsecondaire très ouvert, ce qui me semble formidable. On ne peut rien nous reprocher à cet égard. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons tout en haut de l'échelle une proportion de gens supérieure à celle qu'ont beaucoup de pays européens, à l'exception peut-être de la Suède. Je pense que la Suède occupe le premier rang à cet égard aussi, et nous nous classons très bien en ce qui a trait aux dépenses par habitant. Ce que nous devons nous demander, c'est pourquoi nous avons un creux au milieu?

Le sénateur Rompkey: La Suède n'est pas une confédération. Peut-être que l'Australie et l'Allemagne seraient de meilleurs modèles.

M. Page: Je dirais que oui.

Le sénateur Rompkey: Une partie du problème tient aux querelles intergouvernementales.

M. Page: Une partie de notre problème tient à la structure par âge. Il y a le problème des possibilités que les gens ont eues ou n'ont pas eues dans leur jeunesse. Comme je le disais au cours de ma déclaration, il s'agit de mettre en place une culture d'acquisition du savoir.

Une des choses qui distinguent les pays scandinaves et plusieurs autres pays d'Europe du Canada et des États-Unis c'est l'engagement systémique qu'on prend non seulement dans les institutions mais chez soi et dans les milieux de travail pour mettre en place une culture d'acquisition du savoir. Là, on valorise le savoir.

J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec certains de nos collègues suédois qui ont participé à cette étude. Je leur ai demandé carrément: «Les résultats auraient-ils été les mêmes si l'Islande avait participé à l'enquête?» Ils ont répondu que les Islandais nous auraient battus à plate couture.

J'ai un jour eu le bonheur de visiter l'Islande. C'est un endroit extraordinaire. C'est un pays qui compte moins d'habitants qu'Ottawa. Il y a un secteur de l'édition en Islande. Il existe une tradition littéraire millénaire. En m'entretenant avec des Islandais, j'ai appris que là-bas, il y a habituellement un membre de la famille qui fait la lecture aux autres pendant qu'on prépare le repas dans la cuisine. Ce à quoi je veux en venir, c'est qu'on est résolu à apprendre et qu'on aime apprendre. On y encourage l'étude.

Au Secrétariat national à l'alphabétisation et au Bureau des technologies d'apprentissage, nous n'aborderons pas la question du point de vue de ce qu'on peut réaliser en deux, trois ou quatre ans. C'est aussi, je pense, le point de vue du sénateur Fairbairn. Nous visons essentiellement un changement culturel. C'est là le défi. Je suis père d'un jeune de 13 ans, et pour assurer la prospérité du pays dans 25 ou 30 ans, nous devons créer des milieux propices à l'apprentissage dans nos foyers et nos lieux de travail. Nous avons besoin de plus de sociétés comme Inco. C'est tout à fait essentiel. J'espère qu'on pourra y arriver, mais il faudra que les leaders du pays rappellent l'importance de l'alphabétisation et favorisent celle-ci.

En tant que parent, une des choses que je trouve préoccupante dans les médias de masse, c'est la grande place qu'on y fait aux héros qui n'encouragent pas l'acquisition du savoir. On peut gagner des millions de dollars dans le monde du spectacle ou celui du sport. Qui admire les gens qui apprennent? Je ne peux pas m'empêcher de le mentionner. Nous devons tous réfléchir à l'importance centrale qu'a l'acquisition du savoir pour une société.

Le sénateur Rompkey me connaît depuis l'époque des études canadiennes. S'il y a une chose à laquelle je crois fermement, c'est l'importance de se connaître soi-même en tant que nation, de connaître son pays, de connaître ses institutions et de connaître son histoire. La dernière fois que j'ai comparu devant un comité sénatorial, c'était à propos de l'enseignement de l'histoire dans notre pays.

J'espère bien me faire comprendre. Ce que nous devons faire quand nous parlons de technologies de communication, de technologies d'apprentissage et d'alphabétisation, c'est de les concevoir de façon holistique, d'essayer de voir ce que nous pouvons faire en tant que peuple pour miser collectivement sur l'acquisition du savoir.

Le sénateur Rompkey: Je suis d'accord avec vous, mais je pense que l'argent est une question importante, surtout dans les régions du pays où la population active de réserve est mal formée et a un désavantage comparatif. Au Cap-Breton, le taux de chômage est de 20 p. 100. C'est le taux officiel. Je pense qu'il doit être plus élevé que cela encore. Les gens ne sont pas stupides et ce pays offre des possibilités.

Pourquoi avons-nous un taux de chômage aussi élevé? Si on montre aux gens à lire et à apprendre, et si l'ordinateur est un bon outil, comment cela va-t-il changer notre façon de communiquer? Nous ne parlerons peut-être pas de division entre l'Est et l'Ouest et entre le français et l'anglais, mais nous serons divisés entre ceux qui savent se servir d'un ordinateur et ceux qui ne le savent pas? Je pense à des gens dans des régions éloignées du pays comme le Cap-Breton et le Nord. Quand vous dites que les ordinateurs ne sont peut-être pas de bons outils d'apprentissage pour ces gens, je ne suis pas sûr d'être d'accord avec vous. Je pense que ce sont des outils tout à fait appropriés dans ces régions.

Le problème là-bas, c'est de fournir l'équipement, étant donné que l'on ne peut pas utiliser cet outil d'apprentissage à moins de disposer du matériel voulu. Je parle des ordinateurs dans les écoles. Un trop grand nombre d'écoles canadiennes n'ont pas ce qu'il faut ni les moyens de l'obtenir. À mesure que diminuent les paiements de transfert, les possibilités qui s'offrent à leurs yeux s'estompent. J'aimerais donc parler de la façon dont nous fournissons des fonds.

L'autre question que je veux poser est celle-ci: y a-t-il suffisamment de sociétés comme Inco? Le secteur privé fait-il sa part? Quels sont les mécanismes qui se sont révélés fructueux? Nous avons essayé différents mécanismes pour mobiliser des ressources afin de régler ce problème. Lesquels ont donné des résultats, lesquels n'en ont pas donné? Je pense que c'est une tâche qui nous attend.

En matière d'analphabétisme, l'argent est certainement un problème, mais je ne dis pas qu'il faille se contenter d'en dépenser. C'est bien plus qu'une simple question de culture, bien plus qu'une simple question d'attitude. L'argent est un problème. Vous n'en avez pas assez à votre secrétariat, alors comment peut-on se mobiliser au pays et quels mécanismes se sont révélés d'excellentes initiatives que nous pourrions appuyer?

M. Page: D'abord, permettez-moi d'apporter une correction parce qu'il y a peut-être eu un malentendu à propos de ce que j'ai dit. Ce que je disais, c'était qu'il était important de penser au contexte dans lequel se trouvent les apprenants. Je voulais simplement dire que, dans le cas de quelqu'un qui n'a pas eu de possibilités, qui vivait dans une communauté éloignée -- et ce n'était qu'un exemple que j'ai cité --, un ordinateur n'était peut-être pas le meilleur outil d'apprentissage à ce moment-là. Cependant, je vous comprends bien. Je suis allé dans plusieurs communautés autochtones du Nord, où l'on a fait de véritables efforts pour mettre en place une infrastructure qui permette aux gens d'utiliser ces technologies. La radiodiffusion en langue autochtone, par le Northern Network, est un véritable succès à cet égard, et c'est une technologie d'acquisition du savoir.

Pour revenir à la question de l'argent, je pense que l'un des problèmes inhérents à la technologie, c'est l'accès à celle-ci. Les nouvelles technologies se répandent rapidement. Je me rappelle le premier jour où j'ai travaillé dans un ministère en 1983. Je me trouvais dans un grand ensemble gouvernemental, où il y avait sans doute un millier de fonctionnaires au même étage, et il y avait là deux machines de traitement de texte. Ceux qui travaillaient sur ces machines étaient extrêmement populaires, surtout aux yeux des gens qui, comme moi, se targuent d'écrire et doivent faire mettre leurs oeuvres en forme. Et voilà que 15 ans plus tard, il se trouve que je travaille au même étage du même immeuble et tout le monde à cet étage a son propre ordinateur. Je veux donc parler de l'omniprésence des ordinateurs. Leur prix a chuté et leur accessibilité s'est améliorée. En matière de communication, peu importe où l'on se trouve, tant qu'on a accès à une ligne téléphonique, on peut mettre en place certains types d'entreprises et obtenir certains types de services.

Ce à quoi je veux en venir, c'est que l'omniprésence de ces technologies en améliore l'accessibilité. Si l'on regarde les statistiques -- et je ne sais pas si vous avez ces renseignements sous la main --, vous verrez que l'utilisation des ordinateurs à la maison, sans parler des milieux de travail, monte en flèche au Canada et que cette tendance va probablement se maintenir.

Au risque d'exagérer, on peut dire qu'il est possible d'utiliser cette technologie pour toutes sortes de choses. Ce n'est pas parce qu'on a un ordinateur chez soi qu'il va nécessairement servir à des fins d'apprentissage. C'est là qu'interviennent des questions culturelles et d'attitude. On ne saurait trop le répéter. À propos d'alphabétisme, si, comme je le crois, l'EIAA a raison de dire que si l'on n'utilise pas ses compétences, on les perd, il devient alors extrêmement important de créer chez soi un milieu propice à l'apprentissage, d'encourager les gens à songer à l'importance capitale qu'a le savoir pour leur propre bien-être, ainsi que leur alphabétisation pour leur capacité de fonctionner en société. Je ne veux pas m'appesantir sur le sujet, mais je ne voudrais pas non plus qu'on l'escamote.

Le sénateur Rompkey: Et parlez-nous un peu des initiatives qui ont réussi. Vous en avez évoqué certaines tout à l'heure, comme les conseils sectoriels et les associations travail-entreprise. Qu'est-ce qui a marché?

M. Page: Ce que nous avons fait au Secrétariat national à l'alphabétisation, c'est un certain nombre d'études de cas relatives à l'illettrisme au travail. Nous avons rédigé environ 15 études de cas, qui sont d'ailleurs utilisées dans tout le pays, et nous en sommes fiers. Nous avons étudié divers types d'entreprises -- petites, moyennes et grandes -- situées dans diverses régions du pays, et dans divers secteurs industriels, et nous avons essayé d'énumérer les facteurs de succès d'un programme d'alphabétisation au travail. «Succès» veut dire que l'effort est soutenu, que les employés et ouvriers sont effectivement au courant du programme, qu'ils y ont recours, et que cela a des effets sur ce qui se passe dans l'usine.

Nous avons relevé un certain nombre de facteurs absolument critiques. D'abord, le soutien de la direction. C'est-à-dire que le propriétaire de la petite entreprise, ou même le président du conseil d'administration d'une grande société, doit publiquement et clairement déclarer que c'est important. Je peux vous donner un exemple, le président de Syncrude, Eric Newell, a bien indiqué qu'il avait très à coeur, personnellement, comme président-directeur général de la compagnie, de voir réussir ce programme d'alphabétisation dans l'entreprise. Cet engagement est indispensable. Il faut également une participation du mouvement syndical, et une volonté et capacité de la part de l'entreprise de libérer du temps au travail, dans les ateliers, pris sur les heures de travail. Voilà un certain nombre d'éléments absolument critiques pour que le programme d'alphabétisation au travail fonctionne.

Au Bureau des technologies d'apprentissage, et, comme je l'ai dit, c'est très nouveau, nous essayons de travailler en partenariat, avec, par exemple, les conseils sectoriels, notamment dans le secteur des plastiques. Nous essayons de déterminer les besoins propres à un secteur, afin que les technologies puissent être utilisées de façon efficace.

M. Stephen Loyd, directeur, Bureau des technologies d'apprentissage: Plusieurs conseils sectoriels se sont maintenant penchés sur cette question, et cherchent de nouveaux moyens de faire parvenir une certaine information à leurs employés, sans que ceux-ci aient besoin de quitter le lieu de travail. M. Page a parlé du projet que nous avons monté avec le Conseil sectoriel des plastiques. Voilà des gens qui normalement devraient aller suivre un cours de six semaines dans un collège communautaire. Nous finançons en ce moment une analyse comparative entre les résultats de ces méthodes traditionnelles, et ceux d'une nouvelle méthode, qui fait appel au CD-ROM, avec l'assistance de moniteurs sur le lieu de travail. Nous allons étudier les résultats et les comparer, en incluant un indice de satisfaction pour l'employeur et l'employé. C'est une question qui intéresse beaucoup tous les conseils sectoriels, et ils sont nombreux à essayer de savoir comment ils peuvent incorporer les techniques d'apprentissage de façon économique, avec un résultat satisfaisant. Voilà donc une part importante de notre activité.

Le sénateur Rompkey: Est-ce que les conseils sectoriels sont le meilleur vecteur de ce type de formation?

M. Loyd: Jusqu'ici ces conseils sectoriels, qui ont d'ailleurs l'appui du ministère du développement des ressources humaines, ont associé le patronat et les syndicats afin de parvenir à une définition des besoins du secteur, par rapport à certaines normes sur les compétences et connaissances requises dans le secteur. Dans ce sens, les conseils sont en train de fixer le cadre qui permettra de comprendre ce que l'employé doit savoir pour pouvoir être efficace à son poste de travail. Cela permet donc de se donner un cadre à partir duquel on peut se fixer des objectifs d'apprentissage, et ensuite travailler là-dessus avec l'employeur. On peut dire que les conseils sont un excellent vecteur de diffusion de l'information à l'échelle du pays. Ce sont eux, qui, de concert avec les entreprises de formation, les universités et les collèges communautaires, nous permettront de progresser. Ils ne sont pas la panacée, mais ils ont un rôle important à jouer.

Le président: Je vais reprendre la question du sénateur Rompkey, sous un autre angle. À titre de comité sénatorial, nous avons la responsabilité de faire des recommandations à chaque palier de gouvernement. C'est-à-dire que nous ne nous adressons pas seulement au palier fédéral. Nous parlons également à l'industrie privée, aux familles, et à tous ceux qui dans notre société ont une responsabilité.

Vous avez formulé le problème clé, en parlant de culture d'apprentissage. Vous avez dit également qu'il fallait développer cette culture d'apprentissage dans notre pays, pour que les nouvelles techniques qui sont disponibles soient mises au service du progrès, du progrès en matière d'emploi, de qualité de vie, de communication avec nous-mêmes et les autres pays.

Vous avez parlé de votre fils qui a 13 ans. D'après une étude récente publiée il y a quelques mois par Berkley, étude qui se penche de façon très détaillée sur des centaines de candidats, les trois facteurs clés de la réussite sont le sens de la responsabilité, la confiance en soi et la curiosité intellectuelle. Mes enfants sont plus vieux que les vôtres, monsieur Page, mais j'ai tout de même constaté qu'ils n'ont pas grandi dans le même milieu que moi lorsque j'étais enfant, alors que l'on encourageait la curiosité et les questions, qu'elles étaient valorisées et récompensées. Au fil des ans, la curiosité intellectuelle a commencé à être sous-estimée et dévaluée, à tel point que nous avons maintenant ces institutions gigantesques où les enfants, les adolescents et les jeunes adultes ne sont même pas encouragés à dialoguer sous forme de questions et réponses. Voilà donc plusieurs années que ce type de culture d'apprentissage n'est plus valorisé.

Quelles seraient les trois recommandations qui, d'après vous, permettraient de contribuer tant soit peu à l'essor de cette culture d'apprentissage?

M. Page: Cette question de la curiosité intellectuelle, du besoin de savoir, est quelque chose d'inné chez l'enfant. Je pense que c'est effectivement quelque chose d'inné chez nous tous. La question ensuite est de savoir dans quelle mesure cette attitude est encouragée, valorisée, reconnue et mise à contribution.

Une des grandes promesses de ces nouvelles techniques est qu'elles peuvent être utilisées pour l'apprentissage de façon autonome, ou avec l'assistance d'un tuteur, d'un moniteur, ou d'un maître. La difficulté est que dans cette société -- certainement dans la nôtre en Amérique du Nord -- ces nouvelles techniques sont commercialisées non pas dans une optique d'apprentissage, mais pour le divertissement.

Il suffit de se rendre dans n'importe quel magasin d'ordinateurs à deux pas du Parlement, et de voir les logiciels qui sont vendus, pour constater que très peu de logiciels concernent l'apprentissage. Les grands commerces spécialisés de la ville sont bourrés de ces jeux sur CD-ROM à 50, 60 et 70 $ qui exigent entre autres une manette spéciale, et cetera. Il ne s'agit pas d'outils d'apprentissage, mais de divertissement.

La question ne sera pas réglée en un tour de main. Il faut trouver une façon d'encourager les responsables des institutions concernées, à travailler avec les organismes communautaires et autres, pour faire comprendre que du point de vue du bien-être individuel et collectif, ces questions rejoignent directement celles de l'avenir de nos enfants et de la prospérité ainsi que de la réussite de demain de la nation.

Tout cela peut paraître un peu général, et d'une certaine manière ce l'est, mais d'une autre il faut bien comprendre que les Canadiens, les particuliers et les institutions doivent faire un choix, celui d'une espèce de révolution à l'échelle du pays, une révolution dans les valeurs et les comportements. Si votre comité prenait publiquement position sur l'importance de ces valeurs et comportements qui nous font avancer, et de l'importance de l'apprentissage continu pour la compétitivité, et non seulement dans le secteur des communications mais aussi dans les autres secteurs industriels, vous auriez fait quelque chose de très utile. Il n'y a pas de solution magique.

Le président: Comment est-ce que nous pouvons mieux combiner le divertissement avec l'apprentissage? Je vais vous donner un exemple. Lorsque le sénateur Rompkey parlait de l'utilisation des ordinateurs pour la formation à Inco, et de ce que les gens restaient dans la salle de classe pendant la pause, le sénateur Spivak a dit: «Tout simplement parce qu'ils font cela avec plaisir». Comment injecter du plaisir dans l'apprentissage? Qu'est-ce que nous pouvons, à titre de comité, recommander à cet effet?

Le sénateur Spivak: Apprendre est un plaisir.

M. Page: Exactement.

Le président: Mais combien d'écoles, par exemple, vont faire venir un long métrage qui a une valeur historique, et prendre le temps de le faire voir? Selon les règles, l'école utilise le livre de classe, s'en sert pour enseigner aux enfants, alors que le cinéma est un outil merveilleux mais qui, aux yeux de l'environnement scolaire, fait figure de divertissement. Comment relier les deux?

Vous avez parlé de valeurs et de recherche. Comment le comité peut-il faire passer le message? Soyons réalistes: nos enfants veulent être divertis. Comment est-ce que le divertissement peut devenir une occasion d'apprendre?

M. Page: C'est possible. Il y a quelques années, j'ai écrit un livre sur l'utilisation pédagogique du film. Comme le sénateur Rompkey, j'ai enseigné durant plusieurs années. J'utilisais d'ailleurs le film pour enseigner l'histoire à mes élèves. Ce genre d'outil doit être utilisé avec beaucoup de prudence et, très franchement, une certaine habileté. Le film peut être utilisé à bon escient, à mauvais escient, comme n'importe quelle autre chose.

Pour ce qui est des films documentaires, par exemple, certains d'entre vous se souviennent peut-être de deux séries de films qui ont été réalisées par l'Office national du film du Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il y avait d'un côté Canada Carries On, et World in Action de l'autre. Dans plusieurs de ces films on utilisait tel quel du matériel filmé, avec un commentaire que Lorne Greene débitait d'un ton tragique. On peut dire que ce commentaire faisait passer un certain message. On a tourné à l'époque plusieurs films sur l'Union soviétique, qui était un allié du Canada. Bien sûr, les commentaires chantaient les louanges du régime soviétique et de Joseph Staline, et cetera. Les mêmes documents cinématographiques ont été réutilisés dans des films de la fin des années 40, au début de la guerre froide, avec un commentaire complètement différent, et un message autre. Ce que je veux dire, c'est que l'on peut utiliser ces outils à des fins pédagogiques, mais avec beaucoup de prudence.

Le sénateur Spivak: Il y a ici une contradiction puisque Internet consiste essentiellement en texte. La communication se fait surtout par la lecture. Vos objectifs sont alors différents. Vous parlez du fait qu'il est difficile aujourd'hui de produire des intellectuels en même temps qu'une culture d'apprentissage. Ça n'est pas la même chose. Mais je souscris de tout coeur à l'idée qu'il faut se doter d'une culture d'apprentissage. Si nous faisions comme l'Islande, beaucoup de nos problèmes disparaîtraient, et il se trouve que je connais bien le cas de l'Islande.

Mais notre mandat est de nous pencher sur le problème de la compétitivité dans les secteurs de la communication. Comment pouvons-nous rester compétitifs dans le domaine des communications, et comment cela peut-il faire progresser sur le plan général notre compétitivité globale?

Tout le monde parle d'ordinateurs et de l'importance qu'ils prennent. Mais personne ne pense à distinguer entre diverses fonctions. Tous les titulaires de maîtrise en commerce savent se servir d'un ordinateur, cela ne leur donne toujours pas du travail. D'un autre côté, Northern Telecom a besoin de gens qui ont des compétences. Elle a besoin de 2 200 employés, qu'elle ne trouve pas. C'est la même chose pour certaines entreprises de Vancouver.

Avez-vous, de votre côté, réfléchi à la nécessité d'adapter cette formation et cette alphabétisation -- je parle du niveau le plus primaire -- aux besoins du pays sur le plan de l'emploi? Est-ce que quelqu'un fait ce travail?

J'ai souvent utilisé l'exemple de l'Allemagne. En Allemagne, chaque année, des représentants des syndicats, des entreprises des maisons d'enseignement et de l'État se réunissent pour discuter. Je ne sais pas si ça se fait toujours depuis la réunification. On demande alors aux entrepreneurs ce dont ils ont besoin. Les maisons d'enseignement leur envoient alors leurs programmes de formation. Les syndicats doivent donner leur accord. Le gouvernement facilite alors cette formation par des mesures de financement et autres moyens. C'est une façon très concrète de procéder, qui n'a jamais été utilisée au Canada, que je sache. Évidemment, nous sommes en train de nous en éloigner, puisque nous remettons la responsabilité de la formation de la main-d'oeuvre aux provinces.

Si l'on parle d'alphabétisation de façon générale, faut-il également en parler en particulier?

M. Pignal: Il faut alors revenir à l'idée de culture informatique. Il s'agit de savoir si l'on peut mettre 10 millions de singes devant 10 millions d'écrans, et réussir à leur enseigner Windows 95. Si on n'a pas les compétences voulues pour utiliser l'ordinateur de façon efficace, que ce soit le comptable qui veuille utiliser l'ACCPAC, ou qu'on veuille écrire un programme en COBOL, ou simplement se servir de WordPerfect, on est perdu. L'école enseigne ces techniques de base. Le lieu de travail, s'il est suffisamment alphabétisé, développera ces compétences -- ou au contraire, s'il est peu alphabétisé, les laissera se détériorer -- ou aidera simplement à les entretenir.

Et après? En Suède, on lit les sous-titres à la télévision, on ne peut pas se payer le luxe d'avoir un doublage pour tous les films étrangers. C'est donc une façon d'alphabétiser, alors que les Canadiens ne le font pas.

L'alphabétisation correspond à toute une culture. Les gens devraient être encouragés, s'ils attendent un autobus, par exemple, à avoir un livre ou quelque chose à lire. Surtout si vous ne travaillez plus; soit que vous soyez au chômage, soit que vous ayez vous-même arrêté de travailler, c'est la seule chose qui pourra vous aider à entretenir le bagage que vous avez acquis.

Le sénateur Spivak: Êtes-vous en train d'évoquer quelque chose comme Participaction?

M. Pignal: Si vous pensez à un Suédois sur ses skis, mettez-lui en même temps un livre entre les mains, parce que c'est effectivement ce qui se passe réellement.

Le sénateur Spivak: Excellente idée.

M. Page: Sur notre papier à en-tête nous avons écrit: «Lisez tous les jours». Voilà le message, pour l'essentiel.

Le sénateur Spivak: Participaction a donné de bons résultats, n'est-ce pas?

Le sénateur Rompkey: La proportion 70-30 a été inversée.

Le sénateur Spivak: Nous devrions peut-être parler d'un programme national de promotion.

Le sénateur Rompkey: C'est exactement le point important que j'ai souligné tout à l'heure. Rétablir les crédits du Secrétariat national à l'alphabétisation, en augmentant le budget de 30 p. 100, ce n'est rien. De la part du gouvernement, c'est largement insuffisant. Réfléchissons d'abord à ce que peut faire le gouvernement. Je ne pense pas que le gouvernement ait véritablement pris ce problème de l'alphabétisation au sérieux, et cela fait également partie d'une situation plus générale à l'échelle du pays, qui n'a toujours pas décidé de saisir le problème de l'alphabétisation par les cornes. Qui donne l'exemple? Après tout, à quoi doit servir un gouvernement?

M. Pignal: Jusqu'ici, personne n'a estimé que c'était une question importante. Personne ne voulait s'en soucier. L'alphabétisation, ça se faisait à l'école. Le reste était inutile. Or l'EIAA montre que vous pouvez perdre vos connaissances. C'est toujours possible.

Le sénateur Rompkey: Ce qui importe, c'est la productivité. Si vous avez regardé The National hier soir, vous avez vu l'histoire de ce gourou des années 50 qui avait prévu ce qui se passerait dans les années 90, si nous ne tenions pas compte de l'effet qu'auraient les ordinateurs.

Le sénateur Spivak: Les gens parlent encore de réduire l'impôt pour créer de l'emploi. Ils ne s'intéressent pas au marché de l'emploi, et à certaines mesures nouvelles telles que supprimer les heures supplémentaires pour dégager des emplois.

Le sénateur Rompkey: Le pays n'a pas encore mesuré l'importance de l'instruction et de la formation pour les années 90, à l'ère de l'économie de l'information. Nous parlions de la vision dont on a su faire preuve en 1867, en construisant le CP. C'est ce genre de vision qui nous manque aujourd'hui. À l'époque il s'agissait d'une économie industrielle. À l'ère de l'économie de l'information, cette dimension visionnaire à nous manque.

La présidente: Pour rester à la pointe de la compétitivité, nous devons augmenter notre productivité.

Le sénateur Rompkey: Sans cela, tous les accords du libre-échange du monde ne serviront à rien.

Le sénateur Spivak: Dans ce domaine, c'est tout le pays que nous devons remettre à niveau. Pour cela, il nous faut un programme national de promotion.

La présidente: Messieurs, merci de vous être déplacés cet après-midi. Comme vous pouvez le voir, c'est un thème qui nous tient à coeur, à divers titres.

La séance est levée.


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