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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 5 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 13 mars 1997

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 9 h 30 pour étudier les questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada.

Le sénateur Gérald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît. Notre témoin, aujourd'hui, est M. Ron Bulmer qui comparaît au nom du Conseil canadien des pêches.

À vous la parole, monsieur.

M. Ron Bulmer, président, Conseil canadien des pêches: Monsieur le président, sénateurs, je suis heureux de pouvoir débattre aujourd'hui avec vous la question du droit de propriété dans le secteur des pêches. J'ai quelques précisions à vous apporter.

D'abord, il faut savoir que dans le secteur des pêches, la notion de propriété publique ou commune n'est pas très récente. Chacun sait qu'on ne peut faire de pêche commerciale, sportive ni même de subsistance sans que le gouvernement vous en accorde le droit, et que ce droit se fait de plus en plus rare et coûteux. En fait, le gouvernement vous dicte la grosseur maximum de votre bateau, la grandeur des mailles de votre filet, l'endroit où vous pouvez pêcher et quels seront vos concurrents et ceux qui partageront la ressource avec vous. Je tiens à préciser que la discussion se situe dans le contexte des avantages d'une pêche basée sur le droit de propriété et non du bien-fondé de ce droit, car la décision d'accorder à telle ou telle personne un droit de pêche particulier a été prise il y a de nombreuses années.

Le changement le plus fondamental que nous ayons connu dans le secteur des pêches -- et nous pourrions remonter à cet égard jusqu'aux années 20 environ -- c'est la zone d'intérêt économique exclusive de 200 milles créée en 1978. Chacun se souvient de l'enthousiasme avec lequel on avait accueilli la création de cette zone dans le Canada atlantique. C'était formidable. On allait repousser les chalutiers étrangers au-delà de la zone de 200 milles. Tout ce poisson irait aux Canadiens. Nous allions avoir davantage de bateaux, d'usines, d'emplois et de prospérité. Pourtant, il ne s'est pas écoulé tellement de temps entre 1978 et le rapport du Groupe de travail sur les pêches de l'Atlantique en novembre 1982. C'était le célèbre rapport Kirby. Le sénateur Kirby préside maintenant le comité sénatorial des banques. À peine quatre ans et demi après ce merveilleux événement, nous avions besoin de ce rapport pour tenter de sauver la pêche du poisson de fond en déroute.

Sans entrer dans les détails, je dirai qu'en tout juste quatre ans, le nombre d'usines était passé de 500 à plus de 700. En mer, la pêche avait considérablement accru sa puissance. Le revenu des pêcheurs ou des travailleurs de l'industrie était très faible. Je vais vous citer deux passages du rapport Kirby. Le premier:

Les pêcheurs ont besoin d'encouragement pour remplir à peu de frais leur quota admissible.

Et le second:

Les pêcheurs sont virtuellement obligés de faire la course à leur voisin pour se tailler la part du lion d'un quota. Nous avons besoin d'un permis à quota qui soit un quasi-droit de propriété pour garantir à chaque pêcheur sa part du quota.

Le plan proposé a d'abord été appliqué, comme on le sait, à la pêche hauturière. À l'époque, les gestionnaires du gouvernement ont conçu cette idée d'«allocation aux entreprises» ou de partage du quota de pêche du poisson de fond en haute mer, en consentant à diverses entreprises un volume fixe.

En partant de la baisse du début des années 80 pour remonter vers le milieu des années 80, tout semblait avantageux pour les pêches. Le dollar canadien était faible et nous avons une industrie d'exportation. La demande en produits de la mer était fortement à la hausse. Les prix étaient élevés. Les prises étaient bonnes et les volumes ont atteint des records en 1987 dans l'Atlantique. Tout le monde pensait que c'en était fini des mauvais jours. Pourtant, quelques années plus tard, soit au début des années 90, nous étions revenus à une situation où les stocks aussi bien que les gens étaient menacés.

Un autre document qu'il vaut la peine d'examiner, c'est celui du Groupe de travail sur le revenu et l'adaptation des pêches de l'Atlantique créé par Richard Cashin, ancien dirigeant du Newfoundland Fishermen's Union. Je vais citer un passage de son rapport de novembre 1993:

En 1990, quelque 42 000 familles vivaient de la pêche; 16 000 de la récolte, 26 000 de la transformation.

Après avoir cerné les problèmes: revenus faibles, saisons trop courtes et surcapitalisation, l'auteur du rapport tire la conclusion suivante:

La surcapacité est l'un des problèmes les plus fondamentaux des pêches. L'une des solutions proposées réside dans un plus grand recours aux quotas individuels! À propos de ces QI ou QIT, il ajoute:

les quotas individuels garantissent l'accès

Dles exploitants individuels en retirent des avantages accrus au titre des frais d'exploitation, des bénéfices commerciaux et de la planification.

Il affirmait aussi ceci:

il n'existe pas de consensus social pour les appuyer

Voilà sans doute l'un des aspects cruciaux que votre comité devra débattre.

Je saute maintenant à 1994, lorsque le Conseil canadien des pêches a publié un rapport intitulé «Pour une industrie de la pêche efficace: une vision d'avenir pour les pêches de l'Atlantique». C'est un court document de 29 pages qui met en lumière bon nombre des questions directement visées. Il présente également une synopsis de la situation des pêches dans le monde, en particulier en Islande et Nouvelle-Zélande. De la première feuille blanche jusqu'à la page 29, je crois que vous y verrez résumés beaucoup des enjeux, des questions, des problèmes et des solutions proposées.

Permettez-moi de citer une phrase:

Il ne s'agit pas de transformer la ressource en propriété privée...

À mon avis, l'une des grandes questions que nous devons aborder.

... mais simplement d'en garantir une plus grande sécurité d'accès.

Il a beau être question du droit de propriété privé, le Canada demeure propriétaire de la ressource. C'est un raffinement encore plus poussé de la réserve exclusive actuelle aux titulaires d'un permis d'accès limité. C'est la prochaine étape logique d'un condensé. Je vous ai apporté des exemplaires de «Vision». Examinez ce document quand vous en aurez la chance.

Enfin, j'aimerais vous parler d'un livre paru en 1996. Le Atlantic Institute for Marketing Studies a tenu un colloque de deux jours sur la question à St-John's, Terre-Neuve. Le livre s'intitule Taking Ownership. Il résume la plupart des communications présentées à cette occasion. Pour ceux qui n'y étaient pas, un coup d'oeil rapide, si vous en avez le temps, va vous procurer une mine de renseignements utiles sur la question.

Le comité se doit de consulter ce recueil d'articles portant sur divers aspects du droit de propriété. Je vais vous citer les propos de Art May, président de l'Université Memorial et ancien sous-ministre de Pêches et Océans. Il signe la préface du livre.

L'élément perturbateur dans toute tentative pour assurer au secteur des pêches la prospérité et la stabilité, c'est la nature de bien commun que revêt l'exploitation de la ressource.

Honorables sénateurs, me voici bien entouré en compagnie du sénateur Kirby, de Richard Cashin, de M. May et de brillants professeurs. Ils ont étudié de près la gestion des pêches de propriété commune et y ont tous trouvé à redire. Ils soulignent les bienfaits d'un accès garanti aux quotas pour assurer la rentabilité de la pêche, freiner l'expansion des investissements dans la surcapacité, offrir une meilleure qualité sur le marché, mieux commercialiser les produits de la mer et obtenir un meilleur rendement du marché.

En terminant, je vais aborder cette toute dernière notion -- un meilleur rendement du marché -- pour faire suite à ce que j'ai dit lors de mon dernier témoignage devant le comité. Cette question est plus que jamais nécessaire en 1997 parce que, dorénavant, le gouvernement doit prendre sa part du rendement que procure le marché de la vente du poisson. Les compressions budgétaires obligent le gouvernement à hausser les droits de permis. Il doit partager avec les pêcheurs et les transformateurs le coût de la gestion des pêches et recouvrer les frais de sa mise en application et de ses travaux scientifiques. Bien des choses que les contribuables payaient auparavant seront maintenant imputées à l'industrie. Il n'existe qu'une seule source de revenu pour le partage de ces coûts. Elle réside ultimement dans la mise en marché des produits de la mer, et l'argent ainsi obtenu doit maintenant être partagé plus que jamais avec le gouvernement.

Pour y parvenir, nous devrons permettre au secteur des pêches de devenir rentable, voire l'y encourager, car il doit payer le privilège de pêcher, assumer le coût de la pêche et, autant que possible, avoir assez d'argent de reste pour faire vivre les milliers de familles dont j'ai parlé.

J'espère, monsieur le président, avoir assez bien situé le contexte en vue d'une bonne discussion avec les membres du comité.

Le sénateur Stewart: Vous avez cité quelques chiffres du rapport de M. Cashin. Vous avez dit:

En 1990, quelque 42 000 familles vivaient de la pêche; 16 000 de la récolte, 26 000 de la transformation.

Avez-vous une idée des derniers chiffres, comme en 1996? Sinon, ne vous en faites pas.

M. Bulmer: Non. La difficulté vient, bien sûr, du fait qu'un très grand nombre pêchaient le poisson de fond. Chacun sait que près de 40 000 de ces gens sont maintenant inscrits à la LSPA parce qu'ils travaillaient dans la transformation du poisson de fond ou faisaient cette pêche. Je suppose qu'en additionnant les pêcheurs actuels et les personnes qui touchent de l'aide gouvernementale, on constate qu'il n'y a pas eu de baisse très radicale. La vraie question, à mesure que les programmes d'aide prendront fin, c'est de savoir comment rétablir la situation en 1998 ou 1999.

Le sénateur Stewart: Parlons des 26 000 affectés à la transformation. Pouvez-vous nous dire quel pourcentage de ces gens travaillent maintenant dans la transformation du poisson pêché par des Canadiens à l'opposé du poisson pêché par des étrangers?

M. Bulmer: Je ne peux pas vous donner vraiment de pourcentage. Il n'y a pas de doute qu'en ce qui concerne la majorité des travailleurs d'usine actuels, la ressource a été prise par des Canadiens. Le homard et le crabe, notamment, donnent encore de bonnes pêches. Le capelan est aussi revenu à Terre-Neuve. Je dirais que de 3 à 4 000 travailleurs d'usine dépendent de l'accès à la ressource hauturière. En particulier, les grosses compagnies intégrées cherchent à conserver leur clientèle américaine en achetant à l'Islande, à la Norvège ou à la Russie du poisson congelé, étêté et éviscéré qu'elles ramènent ici, font dégeler et transforment en produit à valeur ajoutée. Sans doute que les grosses usines qui appartiennent, par exemple, à la National Sea and Fishery Products procurent encore plusieurs milliers d'emplois. Ces derniers dépendent de la matière brute achetée au large des côtes.

Le sénateur Stewart: Utile. Sans doute que l'une des grandes inquiétudes de certains pêcheurs côtiers, c'est que le quota individuel transférable amène la concentration de l'accès garanti. Leur plus grande crainte, c'est que seules les grosses compagnies possèdent ce que vous avez appelé un accès garanti et qu'eux-mêmes, anciens pêcheurs côtiers, ne soient plus que des matelots au service des grosses compagnies. Pouvez-vous aider à dissiper cette crainte?

M. Bulmer: Bien sûr.

Avant de parler des pêcheurs, il ne fait aucun doute qu'au sein même de l'industrie de la transformation, on craint de voir s'établir un système tendant à la concentration. Je veux parler des transformateurs entre eux. C'est évident que des gens qui ont toujours vécu du poisson de fond n'ont certainement pas de permis de pêche au crabe. Certains n'ont rien gagné depuis des années à Terre-Neuve et s'inquiètent à l'idée qu'on instaure un système qui favorise la concentration. Celui qui pêche le crabe depuis longtemps et qui fait de l'argent est peut-être le seul en mesure d'en profiter.

L'inquiétude ne concerne pas seulement les grosses compagnies intégrées. On craint aussi que les personnes qui avaient une autre forme de commerce et une source de revenu soient les seules à pouvoir mettre la main sur, disons, un quota de poisson de fond. Votre observation touche aussi bien les inquiétudes des pêcheurs que celles des transformateurs.

Parlons de la récolte. Là où ils ont été établis, les systèmes de quota n'ont pas débouché sur une concentration majeure. Pensons à la côte du Pacifique et à la pêche au flétan. Les achats de permis pour la pêche au flétan étaient plus nombreux avant l'établissement des quotas. Comme ces permis sont devenus rentables une fois les quotas établis, leurs titulaires ne veulent plus s'en départir. Ils veulent rester pêcheurs et avoir un revenu. Ils veulent demeurer longtemps en affaires et, autant que possible, céder l'entreprise à leurs enfants.

Nous en avons un exemple au lac Érié où ce système existe depuis bon nombre d'années pour la pêche en eau douce. J'aime raconter la fois où m'étant rendu au lac Érié en plein milieu de l'été, je me suis approché d'un pêcheur qui était en train de repeindre son bateau amarré. Je lui demande: «Vous ne pêchez pas?» Il répond que non, il a un quota individuel. «J'avais du travail à faire sur mon bateau, dit-il. Autrefois, j'aurais été obligé de pêcher quel que soit l'état de mon bateau parce que le quota risquait d'être rempli. Maintenant, j'ai un quota de 365 jours et si je veux, aujourd'hui, peindre et réparer mon bateau au lieu d'aller à la pêche, c'est ce que j'ai de mieux à faire parce que, la semaine prochaine, j'aurai toujours mon quota et je pourrai pêcher.» Voilà un exemple concret.

J'ajouterai que les pêcheurs du lac Érié ont combattu ce système jusqu'à ce qu'il leur soit imposé. Si vous allez maintenant leur parler ou que l'un d'eux vient vous voir, je ne pense pas qu'aucun vous dise vouloir autre chose que de conserver leurs quotas. C'est ce qui a pu leur arriver de mieux.

Nous n'avons pas constaté de grosse concentration là où des quotas ont été établis.

Dans les pêches où les quotas ont été instaurés, il y a eu une politique pour les régir. Pour la pêche au hareng, aucun seineur du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse ne peut pêcher plus de 4 p. 100 du total des prises admissibles. Pour d'autres pêches, le plafond est de 2 p. 100.

Il n'est pas nécessaire que le gouvernement fixe des quotas pour ensuite permettre à quelqu'un de s'accaparer 99 p. 100 du quota de pêche hauturière à la morue du Nord. Il ne s'agit pas, comme je l'ai dit, de propriété privée comme pour une terre qu'on peut posséder et sur laquelle on peut planter des arbres, du blé, qu'on peut laisser en jachère et ainsi de suite. Le gouvernement a toutes sortes de moyens de gérer les quotas parce que le poisson demeure la propriété du gouvernement du Canada. Il peut décider par règlement qu'un quota est perdu s'il n'est pas utilisé.

Certains craignent que le titulaire d'un quota le mette simplement à la banque ou reste à terre et laisse travailler quelqu'un d'autre. Tout cela se gère, car le gouvernement ne renonce pas à son droit d'établir la politique qu'il voudra ou de régir la question. Les quotas procurent un accès garanti à un pourcentage du contingentement global de sorte qu'un pêcheur peut rationaliser ses coûts et sa façon de pêcher.

Le sénateur Stewart: Vous avez dit des choses utiles.

Je reviens sur la question de concentration. Il y a trente ans, lorsqu'il était ministre des Pêches, Hédard Robichaud s'inquiétait beaucoup du problème de la pêche au saumon de l'Atlantique, en particulier au Nouveau-Brunswick. La situation, telle qu'il me la décrivait, c'était que des médecins, par exemple, puissent être les véritables bénéficiaires d'un permis parce qu'il y avait des prête-noms. L'une de ses initiatives a été de redresser la situation.

Pour en venir à une époque plus contemporaine, voyons ce qu'il en est de la pêche au thon rouge au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. Voilà une pêche où si vous avez un permis, vous êtes à peu près sûr d'avoir du poisson. Celui-ci n'est pas aussi gros et ne vaut pas autant la livre que le thon pêché au large de Canso, mais on est pas mal certain d'en trouver dans ce qui s'appelle, je crois, le «trou du diable».

Il paraît -- à ce qu'on dit sur le quai -- que les 32 permis de pêche au thon rouge dans cette zone appartiennent à cinq ou six propriétaires. Le ministère des Pêches le nierait sans doute, mais il s'est déjà trompé au moins une fois.

Je vous rapporte ces deux anecdotes pour montrer que les craintes qu'entretiennent beaucoup de pêcheurs côtiers ne sont pas des inventions pour lesquelles ils seraient dépourvus d'exemples. Je vous ai donné un vieil exemple et un autre assez moderne.

Comment empêcher ce genre de concentration, même entre les mains de vrais pêcheurs?

M. Bulmer: Je ne suis pas avocat mais j'estime qu'en utilisant le terme «propriétaire» avec prudence, c'est-à-dire la personne qui a mis l'argent dans le bateau ou quoi que ce soit, ce propriétaire peut fort bien être quelqu'un qui reste à terre ou quelque riche parent. Ce pourrait être une banque. Toutefois, en bout de ligne, le permis et le nom qui y figure, c'est celui du pêcheur. Je suis absolument sûr, et je crois que le MPO le confirmerait, qu'il y a bel et bien 32 noms. S'il fallait pour une raison quelconque saisir les permis ou fermer la pêche, ce sont ces 32 personnes qui écoperaient.

Encore une fois, le titulaire du permis ne peut pas répondre automatiquement que le permis appartient à son avocat ou à sa banque. C'est un débat très important. L'une des raisons pour lesquelles les provinces ont été obligées de créer des offices de prêt pour permettre aux pêcheurs de rénover leurs bateaux, c'est que les institutions prêteuses ont compris que la valeur économique reposait davantage sur l'aptitude de l'emprunteur à pêcher du poisson -- c'est-à-dire sur son permis. Cependant, comme le permis est au nom d'un particulier, il ne peut pas servir de garantie de prêt dans une institution ordinaire. Il devenait donc difficile d'emprunter et les gouvernements sont intervenus. Ils étaient disposés à ne pas prendre de garantie et à prêter sur la production.

Étant donné le coût de la pêche, dites-vous que cinq ou six personnes clés ont prêté de l'argent à des pêcheurs pour qu'ils puissent se gréer et obtenir un permis. Je ne sais pas s'il s'agit de cinq, six ou seize personnes, mais il y a beaucoup de situations comme celle-là où des pêcheurs s'endettent pour pouvoir pratiquer leur métier. La règle veut que celui qui a prêté de l'argent a pris pour acquis qu'en personne honnête, l'emprunteur va le lui rembourser, puisque le prêteur n'a aucun moyen de saisir le permis à titre de garantie financière.

Le sénateur Stewart: À ce que je sache, la situation n'est pas tout à fait comme vous le dites. Selon votre interprétation, le directeur de banque a gentiment financé le bateau, le gréement, et cetera. Ce que j'ai pu comprendre, bien que je puisse me tromper, c'est qu'il y a vraiment cinq ou six entrepreneurs, peu importe le nombre, et que les autres, ceux qui vont en mer, sont en quelque sorte leurs agents.

M. Bulmer: Le permis est certainement au nom de l'agent qui va en mer.

Le sénateur Stewart: Bien entendu. Ça ne fait aucun doute.

M. Bulmer: Voilà la véritable valeur économique. La valeur économique, c'est le thon que ce permis permet de pêcher.

Le sénateur Stewart: Oui, mais en réalité, le propriétaire bénéficiaire est peut-être quelqu'un qui n'a jamais pêché le thon.

M. Bulmer: Je suis sûr que pour un observateur, le véritable propriétaire bénéficiaire, c'est la banque. Si le pêcheur capture pour 20 000 $ de thon, je vous gage que son premier paiement s'en va, comme pour beaucoup d'entre eux, à la Banque de Nouvelle-Écosse à qui il doit 15 000 $. J'en reviens à l'idée que si le permis devait être saisi, ce n'est pas la banque ou le propriétaire bénéficiaire, comme vous dites, qui pourrait le faire. La seule instance capable de mettre la main sur ce permis est celle qui a consenti ce droit à un particulier, c'est-à-dire le gouvernement du Canada.

Le président: Comme question supplémentaire, savez-vous s'il y a jamais eu saisie d'un permis? Je n'ai jamais entendu dire que le MPO ait saisi le permis d'un pêcheur en fauteuil, d'un pêcheur absent ou d'une personne qui ne va pas elle-même à la pêche.

M. Bulmer: Je n'en connais pas de cas.

Le président: Moi non plus. Je ne pense pas qu'une chose comme celle-là se produise.

M. Bulmer: Je ne veux pas donner l'impression que cela ne concerne que la pêche au thon. On m'a parlé de situations semblables à l'Île-du-Prince-Édouard au sujet de la pêche au homard. Certains pêcheurs à succès deviennent les banquiers d'un très grand nombre de petits pêcheurs de homard.

Pour bon nombre de pêches, le gouvernement a pour ligne de conduite que le propriétaire, entre guillemets, est censé être celui qui exploite son bateau. Une autre ligne de conduite, qui n'est peut-être pas mise en application, tend à garantir que le titulaire du droit est la personne qui en tire matériellement un revenu.

Le sénateur Robertson: C'est intéressant parce que cela contredit certains renseignements que le ministère des Pêches nous a donnés la dernière fois qu'il a comparu. Il faudra peut-être y revenir.

J'aimerais commencer par une question très générale. Comment entrevoyez-vous l'avenir des pêches au sein de l'économie canadienne? Que pensez-vous de ce secteur en général et de sa portée sur les gens et sur notre économie?

M. Bulmer: Au point où nous en sommes, je suis plutôt pessimiste car malgré la crise qui n'en finit pas dans les pêches, nous n'en avons pas tiré de leçon. Il faut que les gouvernements fédéral et provinciaux décident si ce secteur doit procurer de la richesse à ceux qui font la récolte, à ceux qui la transforment ou aux investisseurs, ou s'il constitue un motif social de maintenir à certains endroits des communautés et des populations, de ne pas permettre de concentration, et cetera. Il y a beaucoup de personnes dans le secteur des pêches qui ne font à peu près pas d'argent. Pourtant, le gouvernement modifie constamment son rôle et trouve maintenant nécessaire de prendre sa part du rendement de la pêche à la morue.

Revenons à il y a à peine cinq ans, lorsque le marché permettait à l'industrie de faire un certain revenu. On pouvait de plus se tourner vers l'APECA, vers un office de prêt provincial et vers Industrie Canada. Il y avait ici en ville des programmes de soutien à la commercialisation. Il n'y a plus rien. Nous sommes passés de ce que j'appelais il y a cinq ans «un dollar de plus» à ce que j'appelle maintenant «un dollar partagé».

Prenons la pêche au crabe, la pêche lucrative comme certains se plaisaient à dire. C'est une pêche visée par ce système de quotas individuels. Les quotas ne sont pas transférables. Impossible de racheter Harry, parce qu'il partage son quota avec d'autres. Il existe 130 permis dans le golfe, chacun ayant une certaine part du quota de pêche.

Ils ont conclu une entente ici il y a une dizaine de jours. Ils vont assumer la totalité des frais de gestion de la pêche au crabe. Les scientifiques, les gestionnaires et la mise en application seront payés à même le produit de la pêche au crabe. Ils se sont entendus sur la création d'un fonds auquel seront versés 15c. la livre des prises débarquées. Ce sera un fonds social pour venir en aide aux membres de l'équipage ou aux travailleurs d'une usine de transformation du crabe qui auraient perdu leur emploi.

D'après les journaux de la fin de semaine, M. McKenna aurait tenu les propos suivants aux exploitants des usines de crabe du Nouveau-Brunswick: «Ou bien vous fournissez 16 semaines de travail à vos employés, ou bien je vous retire votre permis de transformation du crabe pour le donner à quelqu'un d'autre qui le fera». Cela se produit à une époque où les pêcheurs qui touchaient 4 $ la livre de crabe il y a quatre ans n'en ont obtenu, l'année dernière, que 2,50 $. Leurs concurrents, les pêcheurs de l'Alaska, ont vu le prix du crabe des neiges, crustacé identique, glisser à 60c. U.S. la livre. C'est ce qu'on paie en Alaska cette année. Le marché est mou, saturé.

La question n'est pas réglée au Canada. Je n'ai pas hâte de connaître la décision. Voilà un groupe de personnes qui, au lieu de toucher 4 $ la livre, en obtiendront probablement à peu près le quart. Il leur faudra pourtant assumer toutes ces nouvelles dépenses. Je peux vous affirmer qu'en 1997, la pêche lucrative au crabe est bel et bien chose du passé, et je pourrais vous donner quantité d'exemples.

Pour en revenir à votre question, la philosophie n'a pas changé. Je vous avoue que je suis très pessimiste et qu'à mon avis, les gouvernements continueront à envisager la pêche comme un moteur du développement régional et adopteront des politiques en vue de maximiser l'emploi et de partager la richesse. Tant pis pour les marchés et tant pis pour la rentabilité de la récolte et de la transformation.

On ne peut pas exploiter une usine de transformation du crabe quand, au départ, l'objectif est de fournir 16 semaines de travail. Quel est le rapport avec ce que les Japonais demandent ou sont prêts à payer ou avec la décision de produire des pattes de crabe ou de la chair de crabe? Comment exploiter une usine quand votre premier ministre vous menace au départ de vous retirer votre permis d'exploitation?

Il n'y a pas de logique là-dedans et je ne peux donc pas être très optimiste quant à savoir si nous avons appris notre leçon. Il ne sert à rien de vous apporter une quantité de livres qui brossent le tableau des 20 dernières années.

Le sénateur Robertson: Votre réponse ne m'étonne pas, sauf qu'elle est peut-être un peu plus décourageante que ce à quoi je m'attendais.

Y a-t-il dans le monde un modèle que vous recommanderiez pour le secteur canadien des pêches? Existe-t-il ailleurs un modèle qui repose sur une économie des pêches qui soit viable? Pouvez-vous nous donner un exemple de ce qui pourrait fonctionner pour nous?

M. Bulmer: Je ne pense pas qu'il existe de baguette magique qui puisse renverser la situation en un tournemain. Je ne pense pas qu'on puisse établir des QIT, faire en sorte qu'ils soient transférables dans toutes les pêches et les mettre à la disposition de tout avocat torontois. Ce n'est pas une solution pour le Canada. Nous avons besoin, pour savoir où aller, d'un objectif de nature plus commerciale et qui oriente notre ligne de conduite.

Je vais vous donner un bref aperçu du modèle islandais. C'est un tout petit pays dont le secteur des pêches a à peu près la taille de celui de Terre-Neuve. Il n'a pas de pétrole à subventionner. Ce secteur est aussi florissant qu'il y a des centaines d'années, au temps des Vikings, comme l'était celui du Canada atlantique, et il procure un revenu à peu près égal à celui des États-Unis ou du Japon. L'Islande doit sa réussite à la morue et à sa gestion des pêches. Chaque pêche est contingentée. Le système permet à ceux qui détiennent un quota de décider de le remplir à leur guise, au moyen d'un bateau à rame ou d'un chalutier-congélateur. Le gouvernement ne prend pas ces décisions à la place des pêcheurs. Il leur dit que s'ils sont prêts à investir, ils peuvent pêcher quand cela leur convient et selon le degré d'investissement technologique qu'ils voudront. Le gouvernement les a toujours soutenus sur le marché. Si seulement nous pouvions commercialiser la morue comme les Islandais!

Certains peuples sont parvenus à soutenir un système économique fondé sur les pêches et j'estime que nous devrions adopter quelques-uns de leurs objectifs et mettre au point une solution canadienne en vue de les atteindre. Je ne suis pas ici pour suggérer d'imposer l'exemple de la Nouvelle-Zélande à notre secteur des pêches.

Le sénateur Landry: Qu'est-ce qu'un pêcheur? Est-ce qu'on naît avec le mot pêcheur imprimé sur le front?

Dans le nord du Nouveau-Brunswick, un pêcheur peut posséder une usine et détenir un permis de pêche. Cela a aussi causé des problèmes dans l'Île-du-Prince-Édouard, comme vous l'avez mentionné. Les pêcheurs exploitent une usine, la font fonctionner pendant 12 semaines puis la ferment. Ils sont obligés de le faire. Pour pouvoir posséder une usine, certains se tournent vers d'autres espèces afin de continuer.

Le pire c'est que depuis deux ans -- mais personne ne peut le prouver -- les pêcheurs qui sont propriétaires d'une usine font de l'écrémage et exigent des prix impossibles parce qu'ils offrent une qualité bien supérieure à tout ce que les autres peuvent offrir. Nous devons y voir.

M. Bulmer: C'est un bon point. J'aurais dû moi-même le soulever mais je vous remercie.

Votre crainte, c'est certainement l'idée qu'on fixe des quotas et que ce soit finalement les transformateurs qui les détiennent. On s'imagine qu'un pêcheur qui a fait de l'argent peut devenir transformateur du jour au lendemain.

J'estime, sénateur Landry, que la moitié des usines de transformation du crabe sur la côte nord du Nouveau-Brunswick appartiennent à des pêcheurs. Ce sont eux les entrepreneurs et les capitalistes.

Hier, à Halifax, j'étais à une réunion avec Marcel Comeau de Southwest Nova, une entreprise qui a beaucoup de succès et qui est le plus gros employeur de toute la région. Son père était pêcheur de homard. C'est de là qu'ils ont commencé. Ils pêchaient puis ils sont devenus transformateurs. Le président du conseil d'administration est Cliff Doyle, de James Doyle Industries, sur la côte ouest de Terre-Neuve. Cliff a été pêcheur, comme son père, et ils exploitent maintenant plusieurs usines de transformation de la crevette et du poisson de fond, entre autres.

Il n'y a certainement pas eu d'obstacles d'imposés aux pêcheurs à l'esprit d'entreprise et ayant le goût du commerce, qui avaient un peu de capital et se sont dits: «Dirigeons-nous vers le marché et s'il y a des bénéfices à faire du côté de la commercialisation et de la transformation du poisson, allons-y et investissons notre argent de la pêche». Ce que le gouvernement a toujours vu d'un mauvais oeil, c'est l'inverse, c'est-à-dire que les compagnies veuillent se lancer dans la pêche.

L'envers de la médaille, c'est que lorsque des pêcheurs décident de faire de la transformation, les transformateurs qui dépendaient d'eux voient disparaître leur matière première. N'est-ce pas, sénateur? Selon le dirigeant de Bell Bay, par exemple, alors qu'il pouvait auparavant compter sur 17 bateaux de pêche au crabe, il n'en reste plus que trois parce que les pêcheurs sont tous devenus transformateurs.

Il y a du bon et du mauvais. C'est ça, le commerce -- gagner ou perdre. Toutefois, comme je le disais, le gouvernement pense en quelque sorte que c'est merveilleux si les pêcheurs deviennent transformateurs, mais que c'est un péché grave si les transformateurs veulent s'assurer l'accès à la matière première en possédant un permis de pêche.

Le sénateur Landry: Pour M. McKenna, les usines deviennent trop nombreuses et ne peuvent assurer qu'un certain nombre de semaines. À l'heure actuelle, on transforme le crabe du Rhode Island, mais les pêcheurs ne le font pas. Ils transforment uniquement leurs prises.

M. Bulmer: C'est vrai. Les usines appartenant aux pêcheurs transforment leur propre matière première. Ils doivent d'abord la pêcher.

Le sénateur Landry: Certains des pêcheurs qui avaient un permis pour le crabe ne vont même plus en mer et ceux qui pêchent encore se lancent dans l'écrémage.

Le sénateur Stewart: Que voulez-vous dire par «écrémage»?

Le sénateur Landry: Les Japonais pensent avec les yeux et la bouche. Le produit doit être parfait. S'il manque une patte, le prix baisse. Pour ceux qui font dans la qualité, le crabe qui n'est pas de la bonne couleur ou à qui il manque une patte est rejeté. Dans le fond de la mer, ce sont en majorité des éclopés. Ces transformateurs ne prennent que ce qu'il y a de mieux tandis que nos pêcheurs ramènent toutes leurs prises. On m'en a montré un exemple cet été quand l'un de nos bateaux et l'un des leurs pêchaient côte-à-côte dans une zone. Nous sommes rentrés avec 18 000, eux avec 11 000. La différence est dans ce qu'ils avaient rejeté.

Il faut que ça change. Pour donner plus de poigne à la loi, je pense que chaque bateau devrait avoir son observateur même si ce sont les pêcheurs qui doivent payer ces observateurs.

Le président: Les crabes qu'ils rejettent, est-ce qu'ils meurent ou est-ce qu'ils survivent?

Le sénateur Landry: Certains survivent, mais pas les blancs à carapace molle. Ceux qui survivent ont quasiment la taille du homard qu'on trouve au nord de l'île. Ce sont les mêmes eaux. L'un les rejette, l'autre les attrape.

M. Bulmer: Il est évidemment difficile dans toutes les pêches de faire respecter le règlement. À mesure que le marché se durcit, les frais augmentent. Une fois tout payé, il faut quand même réussir à vivre. Les gens se sentent de plus en plus obligés de rapporter la meilleure taille et la meilleure qualité, ce qui pose le problème de la réglementation.

À mon avis, il pourrait y avoir ici un certain déséquilibre en ce qu'on est probablement davantage tenté de voler le poisson du gouvernement. Comprenez-vous? Avec un quota global, on ne fait que tricher le MPO. Quand cinq ou six personnes se partagent un quota, celui qui se met à voler plus souvent qu'à son tour ne vole pas le poisson du gouvernement mais celui de son voisin. La pression est alors plus forte. Nous avons constaté, surtout pour le homard de l'Île-du-Prince-Édouard, que des groupes de pêcheurs embauchent leurs propres gardiens. Les moyens de contrôle que leur procure le gouvernement ne suffisent pas et ils veillent eux-mêmes à leurs affaires parce que la ressource se raréfie. C'est comme piquer. Offrez une ligne 1-800 et les fraudeurs seront dénoncés.

Le sénateur Landry: Dans le nord du Nouveau-Brunswick, si vous dites «le crabe du gouvernement» on va vous tirer dessus. Là-bas ils disent «notre crabe».

M. Bulmer: Si ça leur fait plaisir.

Le président: Vous avez parlé de séparation de la flotte, une formule par laquelle le gouvernement permet aux pêcheurs de devenir transformateurs alors qu'il trouve très néfaste que les transformateurs se lancent dans la récolte. Le MPO a-t-il jamais tenté d'expliquer ou de justifier son attitude?

M. Bulmer: Non. Il s'est simplement donné pour politique de répartir le plus grand nombre de bateaux entre les mains du plus grand nombre de personnes, et de s'opposer à la concentration des entreprises.

Le sénateur Stewart: Ma question découle de l'exemple qu'on a donné au sujet du prix du crabe des neiges. Je crois bien ne pas me tromper en disant que l'augmentation de l'offre de crabe sur le marché est en grande partie attribuable à la hausse des prises au large de l'Alaska. Puisque nous vendons sur les marchés étrangers, qu'il s'agisse du homard, du poisson de fond ou du crabe, que savons-nous de l'offre mondiale selon les diverses espèces? Vous avez mentionné que pour certains transformateurs, la matière première était importée. Cela fait partie de mon entrée en matière. On s'est énormément inquiété au sujet du poisson de fond dans les stocks chevauchants, ce qui laisse entendre que dans ces stocks, les espèces sont très menacées. Quelle est la situation dans l'Atlantique Nord en ce qui concerne l'approvisionnement des principaux stocks?

M. Bulmer: D'abord, en ce qui concerne l'offre internationale, la pêche constitue un commerce international depuis des centaines d'années. L'armée napoléonienne s'est rendue jusqu'à Terre-Neuve pour y sécher la morue salée dont le commerce était traditionnel. De nos jours, tous ceux de ce secteur, gros, moyens ou petits, ont des antennes dans le monde entier. C'est encore plus vrai, bien sûr, avec l'amélioration des communications. Voilà une source de renseignements sur les quotas et ceux qui les possèdent.

Deuxièmement, à Rome, la FAO surveille tout cela en tenant compte des débarquements par pays et par espèce ainsi que des quotas qui sont établis dans le monde. Voilà une source centrale d'information.

La troisième source, sans doute la plus sûre, c'est votre clientèle. C'est peut-être étonnant, mais dans un domaine comme le crabe, le Japon est un marché tellement international que si vous parlez à une demi-douzaine de vos clients japonais, vous verrez qu'ils savent exactement quelle quantité de crabe royal ils ont achetée en Alaska et quelle quantité ils vont obtenir de Russie. Vous vous adressez à vos clients et en moins d'une heure vous êtes au courant de l'offre dans le monde entier. C'est la même chose pour le homard et la plupart des autres produits.

Chaque année, à Londres, il y a un forum mondial sur le poisson de fond auquel assiste tout le gratin du commerce de poisson de fond. Ils s'échangent des documents sur les volumes attendus de la Norvège, de la mer de Béring, de la Russie, du Canada et de l'Alaska. C'est un énorme réseau, très à jour sur la production. Il est tellement consulté que les prix sont fixés presque quotidiennement en fonction de l'offre et de la demande. Si vous êtes à New York, dans le commerce du saumon, il suffit de prendre le téléphone pour atteindre la Norvège, le Nouveau-Brunswick ou le Chili. Celui qui touche votre petite ristourne va mettre votre saumon frais dans un avion à destination de New York et il sera dans votre entrepôt 24 heures plus tard. Pour un demi-cent, on va vous remplir la moitié d'un avion où que ce soit dans le monde. L'offre mondiale est fort bien connue. Elle est quantifiée par les gouvernements ou le réseau commercial.

En ce qui concerne les stocks chevauchants de l'Atlantique Nord, je dois m'en remettre à nos scientifiques qui font la collecte des données. À ce que je sache, très loin dans le nord-est de l'Atlantique, il y a abondance de poisson de fond. La Norvège et la Russie se partagent la plus grande partie de ces stocks. C'est de là que provient en majeure partie la morue qui passe au large des côtes canadiennes. Les stocks islandais semblent se régénérer et leurs quotas commencent à augmenter.

En contournant l'Islande, si l'on descend le long du Groenland jusqu'au nord-est de Terre-Neuve, nos scientifiques ne voient aucun signe d'un recrutement majeur dans les stocks de morue du Nord rendus à un état critique. C'est très inquiétant. Plus au Sud, à l'embouchure du golfe, dans la zone 3PS, c'est à se demander pour l'instant si la pêche pourra jamais rouvrir.

En descendant au large du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, on constate que là aussi, l'aiglefin, la morue et la goberge semblent être dans une certaine phase de reprise parce que les stocks sont plus nombreux et comprennent des jeunes. Du point de vue de la ressource, certaines zones semblent prometteuses mais pour l'instant, comme je l'ai dit, l'état critique des stocks au large de Terre-Neuve et du Groenland ne laisse aucun optimisme.

Le sénateur Stewart: Vous faites une distinction utile et qui m'a échappé entre l'offre et les stocks. Quand j'ai employé le mot «offre», vous l'avez interprété dans le bon sens au contraire de moi. Vous avez pensé à l'approvisionnement qui arrive sur le marché et non aux stocks eux-mêmes. Avec l'efficacité des techniques de récolte actuelles, il se peut que l'offre soit abondante aujourd'hui mais qu'il ne reste plus de stocks demain.

M. Bulmer: Parfaitement.

Le sénateur Stewart: Dans la dernière partie de votre réponse, vous avez traité de ce que je voulais vraiment savoir, l'état des stocks, et vous avez parlé du poisson de fond. Qu'en est-il du crabe de l'Atlantique dans le golfe? Quelle est la situation?

M. Bulmer: D'après nos scientifiques, nous avons probablement atteint ou allons atteindre le creux d'un cycle de ralentissement. Ces deux dernières années, on a surtout pêché de vieux crabes, ceux qu'on dit presque de la dernière mue. Ils seraient morts de toute manière. Ces crabes ne peuvent plus muer et grossir. Le vieux crabe devient alors moussu, comme on dit. Sa carapace n'est pas aussi belle, et ainsi de suite, d'où quelques-unes des questions que le sénateur Landry a soulevées à propos des sujets parfaits qu'on apporte sur le marché et des autres qu'on ne veut peut-être pas y apporter.

Le quota est de 15 400 tonnes dans le golfe, dont 12 000 applicables aux 130 permis traditionnels. Le reste est partagé entre l'Île-du-Prince-Édouard, environ 750 tonnes, les Autochtones, et cetera. Ce sont 15 400 tonnes en regard d'environ 16 800 l'année dernière et de 21 000 il y a deux ans. Comme vous l'avez dit, le cycle est à la baisse.

Si l'on remonte à huit ou neuf ans, on peut voir un quota aussi bas que 9 000 tonnes. Je m'y intéresse depuis 18 ans et, sur toutes ces années, le plus faible quota pour le crabe a été de 9 000 tonnes dans le golfe.

En ce qui concerne le homard, toutes sortes de théories circulent entre les scientifiques et les pêcheurs. C'est une pêche contrôlée depuis longtemps. Nous possédons des données de 100 ans sur les débarquements. Il y a à peu près trois ans, nous avons atteint le record du siècle, qui équivaut à 1889. Si l'on prend les 50 années du milieu -- c'était environ 48 000 tonnes -- on obtient 24 000 tonnes. Ces trois dernières années, le quota a baissé. Est-ce à cause de la pêche, du système? Est-ce lié à un cycle biologique qui suit simplement son cours?

Les pêcheurs de l'Île-du-Prince-Édouard avec qui je m'entretiens prétendent que c'est lié à une pénurie de poissons de fond qui consomment une énorme quantité de larves de homard. En l'absence de grosses morues, on peut s'attendre à ce que les larves survivent en plus grand nombre. Est-ce que nous nous acheminons vers une nouvelle relation positive-négative où, s'il y a de la morue dans le golfe, le homard diminue? Il faut encore une fois appeler les scientifiques à la rescousse. Ils font de leur mieux, les pauvres, mais ça reste encore un peu de la magie noire.

Le sénateur Landry: Des pêcheurs m'ont dit que les petits homards qu'ils rejettent n'atteignent jamais le fond.

M. Bulmer: La morue les mange avant qu'ils descendent.

Le sénateur Landry: La trappe d'évacuation est utile en ce sens, mais le petit homard ne veut pas sortir.

M. Bulmer: En fait, les scientifiques font de leur mieux pour comprendre et les gestionnaires des pêches, de leur mieux pour fixer le bon quota.

Cela me dérange toujours d'entendre dire qu'il y a une espèce de dessein politique pour mettre les pêches de l'Atlantique au pilori. C'est du révisionnisme. Tout le monde a toujours voulu avoir un secteur des pêches durable et pratiquer la conservation. Nous consacrons beaucoup d'argent à cette fin. Nous faisons de notre mieux. Toutefois, nous sommes loin d'être parfaits. Que nous soyons dans l'industrie, les sciences ou la gestion des pêches, nous faisons tous l'impossible pour pratiquer cette magie noire. Je suis outré quand je vois dans un journal quelqu'un qui affirme savoir exactement pourquoi la pêche au homard a diminué de 9 p. 100 l'année dernière dans la région atlantique. Je n'y crois rien.

Le président: Vous venez d'employer une expression formidable, «pratiquer cette magie noire».

Le sénateur Robertson: J'aimerais revenir sur l'impression que j'ai eue que vous êtes en faveur d'une pêche fondée sur le droit de propriété, mais avec réserve puisque vous dites «dans la mesure où cela améliorerait l'efficacité de la récolte et les conditions d'approvisionnement». Qu'entendez-vous par efficacité?

M. Bulmer: Je veux parler de rentabilité, madame. Il faut donner aux gens la possibilité d'être aussi rentables que possible.

Dans les pêches à quota global, nous fonctionnons selon la longueur du bateau. Le quota est de tant pour un certain type de bateau jusqu'à concurrence de 45 pieds, puis de tant pour des bateaux plus gros mais en deçà de 65 pieds, et cetera. On en arrive ainsi à ces bateaux de 44 pieds 11 pouces au ventre rond. Avec juste un pouce en moins, ils sont si larges et si profonds qu'on se demande comment ils peuvent flotter. On y installe le moteur le plus puissant possible, ce qui leur permet de traîner le chalut le plus gros possible.

Il y a des chalutiers au large de South West Nova. Quelqu'un m'a dit qu'ils sont de beaucoup supérieurs à ceux que National Sea a jamais pu avoir pour ce qui est de leur puissance de capture. Quant on peut avoir suffisamment de chevaux-vapeur pour tirer le plus gros des moteurs, le fait que le bateau ne mesure que 65 pieds ne constitue que l'un des facteurs de sa capacité de pêche.

On peut donner à quelqu'un un quota de 100 tonnes et lui dire de faire une pêche rentable. Le meilleur exemple, c'est la pêche au flétan dont j'ai parlé en Colombie-Britannique. En vertu des quotas globaux, la pêche au flétan durait quatre jours. Deux équipages pêchaient sans arrêt pendant 24 heures. Sur certains bateaux, on ne prenait même pas le temps d'éviscérer le poisson. Quand une ligne mordait d'un côté, on coupait le poisson et on le lançait dans la cale avec l'hameçon, puis on se précipitait de l'autre côté en sachant qu'on n'avait que quatre jours pour prendre tout le flétan possible.

Tout devait être débarqué en quatre jours. Bien sûr, on ne vendait frais que 2 p. 100 des prises, le reste devant être congelé. Puis on a établi des quotas. Les gens peuvent maintenant pêcher pendant neuf mois. Ils s'occupent eux-mêmes de la mise en marché et leur revenu a grimpé de 40 p. 100. Le poisson est vendu frais. Par gros temps, les pêcheurs ne risquent plus de perdre la vie ou un membre en prenant la mer. S'ils croient que les prix du marché sont meilleurs en décembre pour le flétan, ils font un peu plus d'effort pour en profiter.

Laissez-moi vous dire que les transformateurs sont probablement les plus malheureux de cette pêche parce qu'ils n'ont plus 98 p. 100 des prises à traiter et à congeler. Il s'est créé un tout nouveau marché du flétan et son rendement est aussi tout neuf. Si j'étais économiste, je ne manquerais pas de dire que cette pêche est devenue rentable. Les pêcheurs n'ont plus besoin de bateaux énormes avec un équipage nombreux pour pêcher au plus vite et offrir finalement un produit congelé au rendement du marché le plus faible en regard de leurs dépenses.

Le sénateur Robertson: J'ai une autre question sur la pêche reposant sur le droit de propriété. Si je vous ai bien compris, certaines objections à cette formule seraient fondées. Pourriez-vous reparler brièvement de cet aspect?

M. Bulmer: D'abord, nous ne disons pas que c'est une formule à toute épreuve. Dans certaines pêches, comme le homard, il y a des mécanismes de contrôle. Chaque permis est pour 275 cages. Il ne s'agit pas de dire au titulaire du permis que son bateau doit mesurer 100 ou 40 pieds de longueur, parce que la pression sur les stocks est contrôlée par le nombre de cages qu'il peut déposer au fond de l'eau. Il serait insensé d'ajouter à cela le quota individuel. Il y a des pêches pour lesquelles cette méthode de gestion ne convient sans doute pas.

Ce que les gens craignent, c'est la concentration des entreprises. Dans certains cas, il s'agit d'une préoccupation légitime et une politique de contrôle aurait du bon. On peut stipuler qui peut posséder une entreprise et jusqu'où la concentration peut aller. Le MPO doit faire son travail et tout prévoir dans une politique cadre. Il doit se préoccuper des mesures d'application et de l'écrémage.

Je ne suis pas d'accord avec l'idée du sénateur Landry de placer un observateur sur chaque bateau, car s'il y avait dix bateaux de pêche à un mille de distance l'un de l'autre et que l'un attrapait des poissons de telle longueur et que tous les autres avaient des prises de diverses longueurs, qu'est-ce qui se produirait? Il serait probablement inexact, du point de vue statistique, de supposer que tous les poissons de ce bateau sont de même longueur.

On pourrait probablement trouver un mécanisme basé sur un pourcentage afin d'établir s'il y a de la fraude, et ainsi de suite.

À propos, de plus en plus de prises passent par la surveillance à quai, entre les mains d'un contrôleur indépendant qui n'est pas au service du pêcheur ni du transformateur. C'est un intermédiaire. Il enregistre le poids et la taille des poissons. Cela entraîne peut-être des frais de mise en application supplémentaires, mais j'estime qu'ils ne sont pas excessifs.

Le sénateur Robertson: Est-ce que les tribunaux tendent à considérer les permis de pêche traditionnels comme un bien? On m'a donné un exemple d'interprétation en vertu de la Loi sur la faillite, mais un permis de pêche est-il perçu comme un bien devant la justice?

M. Bulmer: Cela devient compliqué. Je crois savoir que sur la côte ouest, le pêcheur achète un permis de pêche personnel mais le permis concernant l'espèce va avec le bateau. Si vous achetez un bateau, vous pouvez obtenir le permis. Toutefois, dans l'Atlantique, c'est le pêcheur qui possède le permis, et il peut faire faillite. En principe, le permis n'a pas de valeur économique même si, comme vous le dites, le pêcheur en devient indirectement propriétaire.

En fait, je sais que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a tenté d'imposer cela en vertu de son office de prêt. Pour obtenir un prêt, le pêcheur devait donner son permis en garantie. S'il ne remboursait pas et que son bateau était saisi, le permis ne pouvait pas être saisi. Cette mesure a été invalidée lors d'une contestation judiciaire.

Si vous faites faillite, que vous perdez votre bateau et ne remboursez pas votre office de prêt, vous gardez quand même en poche votre permis de pêche.

Le président: Je signale aux membres du comité que des visiteurs ont décidé de venir voir pendant quelques minutes comment fonctionne un comité sénatorial. Ils ont choisi l'un des meilleurs, soit dit en passant. Ce sont des étudiants du Forum pour jeunes Canadiens.

Vous êtes les bienvenus. J'espère que nos délibérations vont vous intéresser.

Le sénateur Petten: Apparemment, on craint que les QIT dérangent les économies locales et les collectivités. Si quelqu'un était transféré dans une autre zone côtière, cette crainte serait-elle légitime étant donné que le permis appartient à l'individu et non à la collectivité?

M. Bulmer: Si la politique prévoit le changement de région, c'est certain. La possibilité existe.

Je devrais apporter quelques précisions. Je ne pense pas, encore une fois, que cette pêche pourrait résister à une approche communautaire selon laquelle le permis serait attribué à la collectivité ou, encore, on viendrait dire à la collectivité que son port aura 14 permis de pêche.

Si vous voulez mon avis, ce n'est même pas envisageable. En ce qui concerne les ports pour petites embarcations, savez-vous dans quelle mesure la pêche commerciale et la pêche dans des petits bateaux dépendent depuis longtemps, au Canada, de l'entretien du quai afin qu'ils puissent s'amarrer et débarquer leurs prises? Au fur et à mesure des compressions budgétaires, ce n'est plus le cas.

Je ne peux pas imaginer un seul jour au cours des 15 dernières années où on aurait débarqué le poisson dans autant d'endroits qu'en 1995. Compte tenu de l'économie des pêches -- de l'obligation de payer -- je ne pense pas que le secteur puisse se permettre d'entretenir les 1 300 ports pour petites embarcations du Canada atlantique. J'ignore si l'on y songe ou si l'on s'en inquiète. Je ne sais même pas si les pêcheurs ont commencé à s'y intéresser. Pourtant, je vous dirai que c'est l'une des réalités économiques auxquelles il faudra s'atteler.

Je pense, en effet, que si les quotas devaient se déplacer d'un endroit à l'autre, cela aurait des conséquences. Cependant, beaucoup d'autres choses auront aussi des conséquences dans la prochaine décennie sur l'endroit où les prises seront débarquées. Le gouvernement de Terre-Neuve est en train de créer un office. Ils ont décidé que la moitié des usines de transformation de la province sont de trop. Il y en a à peu près une par municipalité. On peut s'attendre à ce que d'ici cinq ans, s'il y a un programme pour fermer la moitié des usines, la moitié des municipalités n'auront plus de base économique pour payer leur patinoire et le ramassage des déchets. Le moteur économique numéro un de ces municipalités, c'était le bateau, le poisson, le filet, l'essence, l'usine, le forgeron et le camionneur. Toute cette activité économique secondaire, les municipalités la devaient au débarquement d'une livre de poisson. Si la décision est prise de fermer certaines usines, vous verrez les gens se rendre au travail en voiture, en autobus, ou modifier leur mode de vie. Voilà ce qui nous attend dans le secteur des pêches à moins de trouver le moyen de le conserver tel qu'il est et de lui accorder assez d'argent pour qu'il n'ait jamais besoin de changer. Sinon -- et cela ne me semble pas être en train de se produire -- nous devons nous attendre à des changements assez radicaux dans la région de l'Atlantique et nous prétendons simplement que cette conséquence, découlant du système de quotas, est l'une de celles, nombreuses, qu'il nous faut examiner.

Le sénateur Robertson: La plupart de ceux d'entre nous qui sommes de la région de l'Atlantique n'ont jamais considéré les villages de pêcheurs comme des municipalités à industrie unique au même titre que l'industrie minière, entre autres. Je pense que nous allons devoir changer d'attitude, comme lorsqu'une mine ferme et que nous disons que c'est dommage parce que les gens devront déménager ou se trouver un autre travail. Nous n'avons jamais envisagé la question de cette façon. On a toujours repoussé cette idée à propos des pêches, mais le moment est venu. Je suis d'accord avec vous que la situation est maintenant différente.

Le sénateur Petten: Pour poursuivre cette idée, songeriez-vous à appuyer le principe de l'autogestion des pêches par la communauté comme solution de rechange à la privatisation?

M. Bulmer: Non, sénateur. Ce serait pour moi une autre étape vers la collectivisation. Il faudrait avoir la sagesse de Salomon pour gérer tout cela. Prenons les 10 000 tonnes qu'on prévoit pêcher dans la zone 3PS. Il faudrait établir quels sont ceux qui pourront pêcher et quelles proportions seront attribuées aux filets maillants et aux engins mobiles. Il faudrait leur dire: «Cinq d'entre vous vont débarquer 50 tonnes ici et cinq autres, 50 tonnes là». Ensuite il faudrait essayer d'ouvrir une usine et de la faire fonctionner pour une demi-journée. Ça ressemblerait au système de groupage actuel de l'IE, et les gens ne voudraient même pas travailler pour une journée de pêche. À mon avis, on ne ferait qu'ajouter un autre degré de complexité à la gestion. Si votre objectif est de protéger en quelque sorte toutes les municipalités, alors oui; mais si c'est pour faire du commerce et pour que la pêche contribue sous forme d'impôts nets à l'économie canadienne, la notion de quotas communautaires pour la pêche côtière est rétrograde.

Le sénateur Petten: Vous avez sûrement entendu dire que si la pêche reprend dans deux ou trois ans ou que sais-je -- et nous espérons tous une reprise -- nous n'emploierons alors que le tiers ou la moitié de ceux qui travaillaient auparavant dans ce secteur. Qu'en pensez-vous?

M. Bulmer: Encore moins de personnes. Dans les médias, on a parlé de la moitié en attribuant le chiffre à toutes sortes de sources. Quelqu'un l'a probablement inventé. Je ne pense pas que quiconque le connaisse, mais ce sera moins. Le chiffre sera inférieur parce que pendant la transition, le gouvernement a racheté une foule de permis. D'après M. Cashin, il aurait réduit la capacité de pêche d'environ 9 p. 100 pendant cette période. C'était en soi une étape vers le changement et la réduction du nombre de travailleurs. Je le répète, si nous devons assumer la totalité des coûts, il faut alors viser la rentabilité, ce qui est un argument en faveur de la réduction de la capacité aussi bien en mer qu'à terre.

Le sénateur Landry: Quand vous avez parlé de la pêche de quatre jours sur la côte Ouest, il me semble que c'était la preuve qu'un changement peut être bénéfique pour l'industrie. Lorsque les permis de pêche au homard étaient attribués aux pêcheurs plutôt qu'aux bateaux, je m'y étais opposé il y a 20 ans, à l'époque de Roméo LeBlanc. Dans une lettre que j'avais alors écrite, je disais que cela se résumait à aider les bons à rien de l'industrie parce que, pour les pêcheurs responsables, peu importe à quoi le permis est rattaché. Nous avons perdu de l'argent. Il y a des pêcheurs qui se sont emparés d'un permis et qui disent: «Je garde le permis; faites ce que vous voulez de mon vieux bateau».

Le sénateur Stewart: Comme l'a dit notre témoin, nous avons la zone économique de 200 milles depuis presque 20 ans. Très peu de temps après que le Canada en ait fait l'acquisition, quelques-unes des grosses pêcheries étaient en très grave difficulté. Je ne sais pas dans quelle mesure on peut faire abstraction du marché mondial quand on vend notre poisson à l'étranger, mais supposons qu'on le puisse. Si c'était à recommencer, que ferions-nous? Autrement dit, qu'avons-nous fait que nous n'aurions pas dû faire ou qu'il ne faudrait pas répéter? Est-ce que c'était une question de concurrence excessive ayant eu pour effet d'inonder le marché et de réduire les prix et les bénéfices? Est-ce parce que nous avons adopté des techniques néfastes pour les stocks ou pris tout le poisson attrapé dans le filet au lieu de pêcher à l'hameçon une espèce particulière comme au bon vieux temps? Pouvez-vous nous dépêtrer?

M. Bulmer: Sans vouloir m'aventurer dans toutes les conséquences de la pêche, je dirais que l'objectif primordial depuis l'entrée en vigueur de la zone de 200 milles a été d'accroître au maximum l'emploi dans ce secteur. Les gens disaient couramment que les employeurs étaient leur «dernier recours». Dès le début et jusque vers le milieu des années 80, quiconque se présentait en disant: «Je vais créer 50 emplois et tout ce dont j'ai besoin c'est d'une subvention et d'un peu d'aide pour démarrer». C'est ainsi que la puissance s'est bâtie. On ne s'est jamais demandé d'où proviendrait la matière première. Le sommet a été atteint en 1987. Le maximum des prises débarquées ou le volume total s'est accru de 27 p. 100 au Canada entre 1978 et 1987. C'était carrément grâce à la zone de 200 milles.

Bien entendu, les usines de transformation du poisson d'ordre fédéral ont augmenté pendant cette période de 509 à un peu plus de 1 000. Peu importe que les 509 aient été probablement supérieures du point de vue de la technologie, de la congélation et ainsi de suite.

L'élément crucial, c'était les emplois. Tout en découle.

Quel a été le rôle de l'assurance-chômage? Les prestations d'A-C et de supplément du revenu ont-elles stimulé l'emploi? Pour une usine qui avait l'habitude de fonctionner pendant 30 semaines, quel a été l'effet de l'ouverture de quatre autres usines qui devaient se partager la ressource? Celui dont l'usine fonctionnait pendant 30 semaines a dû réduire ses activités à 12 ou 15 semaines parce que la ressource n'était plus assez abondante.

Quand on se met à utiliser la matière première dans le but de créer le plus d'emplois possibles, cela donne lieu à toutes sortes de politiques secondaires comme sur la pêche, la répartition, les subventions. Et cela se répercute sur tous les aspects des pêches.

Le sénateur Robertson: Compte tenu de la réduction des stocks et de tous les problèmes du secteur, pouvez-vous me dire quelles ont été les conséquences du libre-échange sur l'économie? Est-ce que nos usines produisent assez de valeur ajoutée ou pourrait-on faire mieux?

M. Bulmer: L'industrie des pêches est orientée à 80 p. 100 sur l'exportation. Environ 60 p. 100 est destiné aux États-Unis. Je répondrai d'abord que nous sommes libres-échangistes dans le monde entier car, puisque nous exportons 80 p. 100 de notre produit, nous ne pouvons pas nous opposer à une fermeture de marché que ce soit aux États-Unis, en Europe ou ailleurs. Nous faisons du libre-échange.

Parlons maintenant de l'Accord de libre-échange. Nous réalisons 60 p. 100 de notre commerce aux États-Unis. Il n'y a aucun doute que nous aurions intérêt à faire davantage de valeur ajoutée parce que le tarif est en train d'être aboli. Dans les années 70, les grosses compagnies ont toutes ouvert des succursales aux États-Unis et y ont développé des entreprises à part entière parce que les produits à valeur ajoutée étaient assujettis à un tarif mais non la morue en bloc. On pouvait l'exporter à soi-même aux États-Unis sans payer de tarif et la transformer là-bas en bâtonnets. Autrement dit, nous avons sans doute perdu l'occasion de monter ici des usines à valeur ajoutée, parce que ça ne coûte pas plus cher de transporter par camion des bâtonnets de poisson que de s'exporter à soi-même le poisson en bloc. Notre industrie aurait pu profiter plus tôt du libre-échange avec les États-Unis. Actuellement, on fait venir le hareng du nord-est des États-Unis pour le transformer ici, comme dans le cas de Connors au Nouveau-Brunswick. Ils doivent pendant une longue partie de l'année avoir accès à la matière première. En Nouvelle-Écosse, l'industrie du poisson salé importe des États-Unis de la goberge de bonne taille pour la saler et sécher en vue de l'exporter ensuite en Espagne, au Portugal et ailleurs.

Je ne trouve pas d'exemple où l'Accord de libre-échange n'ait pas été profitable à l'industrie canadienne des pêches. Sur la côte ouest, on dépendait énormément de la mise en conserve. L'industrie ne s'est pas déplacée aux États-Unis à cause, bien sûr, de l'importance de l'Alaska dans la mise en conserve du saumon. L'Ouest était donc axé sur le Royaume-Uni, l'Australie, et cetera. Depuis la conclusion de l'accord, jusqu'à 20 p. 100 de l'industrie du saumon se fait sous une autre forme. On vend maintenant aux États-Unis. Les transformateurs dépendent moins de l'ancienne technique. Il y a tout un nouveau commerce américain du saumon canadien. Je suis persuadé que c'est en grande partie grâce à l'abolition du tarif sur tous ces divers produits en vertu de l'ALÉNA.

Malgré le peso, j'incite mes gens à demeurer concentrés sur le Mexique qui présente de formidables possibilités. Nous n'achetons pas la moindre livre de thon du Mexique. Ils sont les plus gros producteurs au monde de thon en conserve. Nos importateurs pourraient développer là-bas tout un nouveau commerce à deux voies.

Le président: Monsieur Bulmer, vous avez dit que la pêche au homard est l'une de celles qui n'ont pas besoin des QIT. D'autres ont aussi utilisé cet exemple, mais j'ignore s'ils sont conscients du fait que c'est l'une des rares pêches qui n'est pas assujettie au TAC ou total des prises admissibles. Ce serait difficile sans cela d'avoir un QIT.

Vous avez aussi affirmé que ce serait de la magie noire que de chercher à évaluer la biomasse. J'aimerais rappeler ce qui s'est produit dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse lorsque les QIT sont entrés en vigueur en 1989. Tout semblait très bien se passer jusqu'à ce que, en septembre, les scientifiques découvrent que le total des prises admissibles ne correspondait pas à ce qu'ils avaient prévu. Par conséquent, en septembre, le MPO a réduit les quotas. Il s'est trouvé, en fait, à récompenser les pêcheurs visés par un QIT qui s'étaient précipités sur le poisson, et à punir ceux qui avaient passé les neuf premiers mois à faire de la surpêche.

Je me demande si ce ne serait pas l'un des inconvénients de ce que visent les QIT -- la sécurité d'accès au poisson dans un but d'équilibre et pour que la pêche devienne une activité plus rentable. Compte tenu des QIT et de ce que c'est que de pratiquer la magie noire ou de ne pas savoir combien il y a de poisson, est-ce que cette pratique est avantageuse? Si le MPO peut en tout temps réduire les quotas, les pêcheurs ne vont-ils pas se précipiter pour attraper du poisson malgré les QIT?

M. Bulmer: Je ne pense pas, du moins je l'espère, que qui que ce soit dans le secteur puisse ignorer que nous en sommes à la conservation et au caractère durable des pêches à long terme. Si cela oblige les gestionnaires des pêches à prendre en pleine saison une décision aux conséquences économiques négatives pour le pêcheur ou le transformateur, ces derniers devront s'y faire.

Le président: Personne ne peut être en désaccord.

M. Bulmer: En effet. Par conséquent, ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain à la seule idée qu'on puisse parfois, en pleine saison, être obligé de fermer la pêche de sorte que le pêcheur qui n'aurait pas déjà pris son quota serait le grand perdant. Je l'ai dit, ce sont la conservation, la durabilité à long terme et les bienfaits des QIT qui permettront au commerce de se poursuivre d'année en année.

S'il y a des entités économiques dans la région en cause, bien sûr qu'elles en subiront les conséquences. Mais si la santé financière est assez bonne pour supporter un phénomène ponctuel de ce genre afin qu'il puisse toujours y avoir des quotas dans cinq ans, il me semble que tout commerçant, y compris les pêcheurs, devrait estimer que c'est judicieux.

Laissez-moi revenir sur le terme «magie noire». Il ne s'agit pas ici de la biomasse ou de la science. Vous avez tout mis dans le même panier. Ne me faites pas dire que les scientifiques ne savent pas ce qu'ils font. Je dis plutôt qu'ils font de leur mieux. Les gestionnaires des pêches s'inspirent ensuite du savoir scientifique pour répartir de leur mieux les quotas et faire en sorte que tout fonctionne. Les responsables de l'application du règlement s'acquittent à leur tour de leur travail. Même les politiciens, qui veulent avant tout des emplois et la croissance économique, ne vont pas se lever et dire «À bas la pêche, cette année». Tous ces concepts plus ou moins précis mis ensemble, c'est alors qu'on peut parler de magie noire. Un jour on se réveille et on s'aperçoit que la pêche à la morue du Nord pose un problème. Chacun veut en rendre responsable tel engin, tel politicien ou telle décision. Je prétends que, si c'était si simple, nous n'aurions pas fait tant d'erreurs. C'est parce que tous ces cercles finissent par se chevaucher et s'additionner que, finalement, nous faisons l'impossible pour gérer une pêche durable. Néanmoins, cela demeure une science très peu précise. Ce n'est pas de la chirurgie cardiaque.

Le président: Cette fin de semaine, dans le Chronicle Herald de la Nouvelle-Écosse, il était question d'un colloque tenu à Halifax. L'article constituait un point de vue sur la question des quotas. D'après cet article, un certain Arthur Bogason, d'Islande, serait venu à Halifax pousser les hauts cris afin d'avertir nos collectivités côtières que ce qui s'est produit en Islande risque de se produire au Canada. Il voulait parler de l'imposition des QIT dans son pays. Je vous cite un passage:

Entre-temps, certaines collectivités côtières ont perdu entièrement accès à leur pêche traditionnelle et, pour la première fois, certains de leurs membres s'en vont en ville et deviennent des assistés sociaux.

C'est un avertissement selon lequel la concentration des quotas entre les mains de quelques-uns et la consécration de l'efficacité vont faire fermer des villages. C'est un peu l'orientation que prend le comité. Nous voulons savoir s'il y a eu un débat véritable afin de déterminer si c'est ce que veulent les Canadiens. Voulons-nous des communautés de pêcheurs dans la région de l'Atlantique et dans l'Ouest? Est-ce en train de se produire sans que les Canadiens aient voix au chapitre? Tout au long de notre histoire, les pêches ont toujours été perçues comme une ressource appartenant à l'ensemble des Canadiens. L'un des sujets que nous débattons, outre la rentabilité de la pêche, c'est de savoir avec quelle rapidité et efficacité un pêcheur peut attraper du poisson. Avec quelle rapidité la communauté va-t-elle disparaître? Le milieu a-t-il quoi que ce soit à dire ou est-ce qu'il faut laisser les pêcheurs entièrement libres de décider de quelle manière ils vont pêcher et de l'endroit où ils voudront que leur poisson soit transformé? S'ils décident d'aller dans une autre localité où il y a peut-être de meilleures écoles ou de meilleures bibliothèques, est-ce que cela fera l'affaire des communautés? C'est plutôt philosophique comme question.

M. Bulmer: Je ne suis pas arrivé dans le secteur des pêches en provenance de l'Atlantique. Je suis originaire de la vallée de l'Outaouais, d'une ferme de subsistance de 100 acres. Je suis né dans les années 50, après la guerre. À l'époque, on pouvait presque gagner sa vie avec 12 vaches, 14 cochons et 100 poules. On mangeait tout ce qu'on produisait et il restait même un peu d'argent. Pourtant, ces collectivités ne pouvaient pas donner du travail à un soudeur. Il y avait un marchand de machines agricoles et un entrepôt frigorifique pour les poulets.

Cependant, au fil du changement, ce genre d'agriculture n'a plus été viable au Canada. On pourrait sans doute en dire autant des villes ferroviaires. Personne n'aime le changement. C'est dans la nature humaine. Telle est la première réaction, que vous soyez chef d'entreprise ou quoi que ce soit. On est contre. Dans une optique à long terme, toutefois, je ne pense pas qu'avec des quotas communautaires ou une baguette magique on puisse arrêter le changement au sein des collectivités de l'Atlantique et dans le secteur des pêches, quant à savoir qui va y demeurer ou non. C'est comme mon père qui a dû un jour aller travailler à l'usine parce que sa centaine d'acres ne lui permettait plus de gagner assez d'argent pour élever sa bande d'enfants et leur faire faire des études.

Le président: Je suppose qu'à la longue, si l'on s'en tient à vos propos, il faudra songer à déplacer les habitants des communautés côtières vers des villes comme Halifax, St. John's, voire Moncton.

M. Bulmer: C'est peut-être une question de génération. Il se peut, monsieur le président, que la génération actuelle puisse continuer à vivre de la pêche, mais les enfants ne pourront pas suivre l'exemple de leurs parents. Avec les années, tout se met à changer. Les statistiques nous apprennent déjà qu'à Terre-Neuve, l'âge moyen des pêcheurs augmente et les jeunes ne sont pas aussi nombreux à embrasser le métier. Les jeunes se disent que ce n'est plus pour eux, que leur père en a vécu mais qu'eux-mêmes doivent faire autre chose. Ils travaillent dans le forage des puits de pétrole et ainsi de suite.

Tout change au fil du temps et il en va de même pour les pêches. Beaucoup de secteurs qui étaient traditionnels au Canada ont dû se plier au changement.

Le président: Nous vous comprenons, monsieur. Merci de nous avoir fait profiter de vos vastes connaissances en la matière. Merci également des idées que vous nous avez présentées. Si jamais le comité avait d'autres questions, vous accepteriez peut-être de revenir.

M. Bulmer: J'en serai toujours très heureux.

Le président: Sénateurs, le greffier vous a distribué les prévisions budgétaires de nos travaux. Le comité de direction s'est réuni la semaine dernière et les a adoptées. Si vous êtes d'accord, je les déposerai auprès du comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration.

Le sénateur Stewart: Proposé.

Le président: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Le président: Adopté.

La séance est levée.


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