Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 14 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 27 novembre 1996
Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 23 pour examiner, pour en faire rapport, l'importance croissante de la région Asie-Pacifique pour le Canada, en prévision de la prochaine conférence sur la coopération économique en Asie-Pacifique qui doit se tenir à Vancouver à l'automne 1997, l'Année canadienne de l'Asie-Pacifique.
Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous poursuivons nos travaux sur les relations qui existent entre le Canada et la région Asie-Pacifique. Nous recevons cet après-midi des témoins représentant deux organisations différentes: un témoin du Conference Board du Canada et des témoins du Canadian Shippers' Council. Nous entendrons d'abord M. Charles A. Barrett, vice-président à la recherche en gestion du Conference Board du Canada. Si vous me le permettez, étant donné les contraintes de temps, je ne vais pas consigner au compte rendu les états de services exceptionnels de M. Barrett.
Monsieur Barrett, nous sommes maintenant prêts à entendre votre allocution d'ouverture.
M. Charles A. Barrett, Ph.D., vice-président, Recherche en gestion, Conference Board du Canada: Permettez-moi tout d'abord de vous dire que le Conference Board est très heureux de cette occasion de comparaître devant le comité et de contribuer à ses travaux qui consistent à examiner l'importance croissante de la région Asie-Pacifique pour le Canada.
Comme vous le savez sans doute, le Conference Board est le plus important institut de recherche indépendant en gestion et en économie appliquée du Canada. Nous avons pour mission d'aider nos membres -- des cadres supérieurs des grandes sociétés et institutions du secteur public du Canada -- à prévoir les changements économiques à l'échelle internationale et à y faire face. Compte tenu de l'intégration rapide de l'économie mondiale, nous nous sommes tout naturellement attachés à étudier les liens économiques du Canada avec d'autres parties du monde, dont les économies dynamiques en voie d'éclosion de la région Asie-Pacifique. Au cours des 10 ou 15 dernières années, nos recherches ont surtout porté sur divers aspects des relations économiques du Canada avec la région Asie-Pacifique.
Vous trouverez en annexe à mon exposé une liste complète des rapports du Conference Board liés à la région Asie-Pacifique. Nous avons apporté également quelques rapports qui, nous le croyons, seront particulièrement pertinents aux travaux du comité cet après-midi et, bien entendu, nous nous ferons un plaisir de mettre cette information à votre disposition pour vous aider.
Nous participons directement au processus de l'APEC depuis 1992. Pour le compte de l'ACDI, nous avons organisé la participation du Canada aux quatre réseaux du Groupe de travail en matière de développement des ressources humaines. Depuis 1994, nous servons également d'institution internationale de coordination et présidons le Réseau de gestion des affaires, une des quatre tribunes du Groupe de travail de l'APEC et le groupe chargé de développer une capacité de formation en gestion au sein des économies de l'APEC.
Comme vous le savez sans doute, le Conference Board se doit de conserver son indépendance et d'adopter une attitude non dirigiste dans ses travaux. Conformément à ce rôle, les remarques que je vais faire cet après-midi devant le comité porteront réellement sur ce que nous avons appris par le biais de notre recherche et de notre participation au processus de l'APEC. Je ne me propose pas de formuler des recommandations précises sur la politique étrangère du Canada à l'égard de la région Asie- Pacifique.
Je tiens à aborder cinq thèmes interdépendants cet après-midi. Le premier d'entre eux, qui constitue réellement une mise en contexte, est l'impact de la globalisation sur l'économie canadienne. Puis, je parlerai de l'importance croissante de la région Asie-Pacifique dans le monde et pour le Canada. Je vous toucherai ensuite un mot de l'expérience des entreprises canadiennes dans la région, parlerai brièvement de l'importance de l'APEC et aborderai, pour finir, certaines autres considérations.
Pour vous situer, permettez-moi de vous dire quelques mots sur la globalisation. Le secteur du commerce international revêt bien entendu une grande importance pour le Canada; les exportations comptent maintenant pour plus de 40 p. 100 de la production canadienne. Cette augmentation rapide des dernières années est survenue en réponse au processus de libéralisation du commerce qui s'est intensifié tout au long des années 80 et 90. Il en est résulté une croissance substantielle de la concurrence pour les producteurs de tous les pays, mais cela s'est avéré d'une importance toute particulière pour des économies ouvertes comme celle du Canada.
La composition des exportations canadiennes continue de refléter nos avantages comparatifs et, en particulier, notre forte base de ressources naturelles, mais il importe également de se rappeler que les exportations canadiennes ont régulièrement gagné en valeur ajoutée et offrent de plus en plus une gamme de produits et de services spécialisés à fort coefficient de main-d'oeuvre qualifiée. Le commerce extérieur, bien entendu, a également été le moteur de la croissance économique au Canada depuis la récession des années 90; par exemple, l'an dernier, les exportations, en raison de leur augmentation, ont contribué pour plus de la moitié de toute la croissance au Canada.
La globalisation s'est également fait sentir sur l'investissement étranger direct. Comme vous le savez, les entreprises multinationales comptent pour une part croissante de l'activité économique mondiale. La croissance de l'investissement étranger direct à l'échelle mondiale a dépassé la croissance du commerce international et celle de la production mondiale. En fait, les entreprises transnationales sont devenues l'élément majeur -- si ce n'est le principal élément -- de la libéralisation de l'investissement et du commerce. Dans les trois grandes régions du monde, ce sont de plus en plus les besoins du milieu des affaires qui poussent les pouvoirs publics vers la libéralisation, plutôt que le contraire.
Je ne vais pas lire mon exposé en détail, mais j'y dis quelques mots de la mise au point de processus de gestion et de stratégies intégrées dans les économies transnationales auxquels, je pense, vous vous familiariserez. Je parle également un peu de ce que cela signifie pour le commerce interne croissant, ou le commerce entre parties liées, ce qui, soit dit en passant, est particulièrement important dans le cas du Canada.
Au tournant du siècle, c'est au Canada principalement que les États-Unis investissaient directement et, malgré la croissance d'entreprises transnationales vraiment mondiales basées aux États-Unis au cours des 30 dernières années, le Canada demeure encore un site important pour l'investissement américain. Cependant, au cours des dernières années, nous sommes passés de la troisième à la huitième place comme site d'investissement étranger direct, et cela en grande partie en raison de l'importance croissante de l'Asie. Cela n'est pas négligeable parce que, au Canada, nous continuons de dépendre de la technologie et des capitaux étrangers pour notre croissance économique, notre niveau de vie et notre productivité futurs.
Si je devais résumer cette mise en contexte, je dirais ceci: au cours du prochain siècle, le rôle du Canada dans l'économie mondiale différera grandement du rôle qu'il y a joué dans le passé. Compte tenu des limites que pose notre petite économie nationale, les entreprises canadiennes doivent desservir un marché mondial beaucoup plus vaste et, à la différence du passé où l'investissement au Canada était concentré sur l'exploitation de nos ressources naturelles pour l'exportation et sur un nombre limité de grands secteurs manufacturiers comme les pièces et véhicules automobiles, dans l'avenir, l'attrait du Canada comme site d'investissement en usine et en équipement lui viendra d'un vaste éventail d'industries et de sa capacité à desservir des marchés non seulement dans une économie nord-américaine intégrée mais également ailleurs.
Fait également important, le Canada est devenu une importante source d'investissement indirect à l'étranger depuis les années 70; en fait, la valeur de cet investissement équivaut maintenant à environ 18 p. 100 de notre PIB, presque autant que la valeur de l'investissement direct étranger au Canada, qui se situe aux alentours de 22 p. 100 du PIB. Bien que naturellement l'investissement canadien à l'étranger soit également concentré aux États-Unis, les Canadiens investissent de plus en plus dans d'autres parties du monde et en particulier dans la région Asie-Pacifique.
Voilà ce que j'avais à dire au sujet du Canada. Permettez-moi maintenant de parler de l'importance de la région Asie-Pacifique dans l'économie mondiale et pour notre pays. De toute évidence, la région Asie-Pacifique a consolidé sa position de région la plus dynamique de l'économie mondiale. La croissance rapide enregistrée dans la région a entraîné une augmentation des niveaux de vie et des revenus, une dépendance moins grande à l'égard des vieilles régions industrielles pour les marchés, les capitaux et la technologie, et, je dirais, une augmentation de l'influence sur la marche de l'économie mondiale.
De toute évidence, la région Asie-Pacifique est la région du monde qui a connu la croissance la plus rapide. Au cours des 25 dernières années, sa part de la production mondiale a doublé, représentant maintenant environ le quart. Les 18 économies membres de l'APEC comptent pour plus de la moitié du PIB mondial et, dans l'ensemble, la performance de cette région continue de supplanter les vieilles régions industrielles de l'Amérique du Nord et de l'Europe de l'Ouest, en dépit des ralentissements survenus en Asie ces dernières années, l'économie japonaise étant essentiellement en récession, celle de la Chine atteignant une croissance d'un niveau plus tolérable, et malgré certains signes de ralentissement à court terme dans certaines des économies de l'Asie du Sud-Est.
La forte croissance dans la région a valu à chacune de ces économies des gains importants et à la région dans son ensemble un poids économique de plus en plus grand. Le niveau de vie et le revenu par habitant dans les nouveaux pays industriels ou «tigres» comme on les appelle sont maintenant comparables à ceux de certains membres de l'Union européenne. La Corée sera bientôt le premier d'entre eux à se joindre à l'OCDE et, si les tendances actuelles se poursuivent, elle atteindra bientôt le niveau de vie du Canada; dans certains cas, si l'on se fie aux statistiques officielles, le PIB par habitant dépasse déjà celui du Canada.
La Banque mondiale prédit que la Chine sera la troisième puissance économique mondiale d'ici l'an 2000; en fait, elle l'est peut-être déjà, si l'on prend la parité des pouvoirs d'achat comme mesure de comparaison de la taille économique.
Il importe également de souligner que la croissance asiatique est de plus en plus centrée sur l'Asie. Le commerce et l'investissement croissent très rapidement en Asie elle-même, et cette intégration régionale et sous-régionale a été le fait des forces du marché et du secteur privé. Des institutions régionales comme l'APEC sont vraiment une réponse aux forces du marché et vice versa.
Au fur et à mesure qu'elle prendra de l'expansion, l'Asie deviendra plus confiante et s'affirmera davantage. Elle dépend de moins en moins de l'Amérique du Nord et de l'Europe de l'Ouest, et il existe un net désir de disposer d'institutions mondiales plus asiatiques par nature. C'est tout à fait évident dans l'évolution de l'APEC.
La région Asie-Pacifique intéresse de plus en plus les entreprises canadiennes. L'investissement et le commerce du Canada avec la région augmentent plus rapidement qu'avec toute autre région, l'Amérique du Nord exceptée, et les gouvernements canadiens ont clairement fait de l'établissement de relations économiques avec la région une priorité.
L'APEC compte pour 90 p. 100 des exportations canadiennes et pour 80 p. 100 de nos importations. Cela montre certes l'importance de nos échanges avec les États-Unis, mais si l'on regarde nos échanges hors de l'Amérique du Nord, l'importance de la région Asie-Pacifique devient également manifeste. Nos exportations vers l'Asie comptent pour la moitié de notre commerce outre-mer, chiffre qui a doublé au cours des 30 dernières années.
Mais pour savoir vraiment ce qui se passe, il faut regarder plus loin que les statistiques du commerce. Par définition, l'intégration nord-américaine a conduit à une plus grande concentration du commerce de produits canadiens avec les États-Unis. Nos échanges avec l'Asie sont surtout constitués par les exportations traditionnelles de ressources naturelles qui sont vendues sur les grands marchés en vertu de contrats à long terme. Cela masque cependant ce qui se passe dans les autres catégories du commerce; on ne voit pas à quel point augmentent et se diversifient les exportations canadiennes vers la région, y compris les exportations à haute valeur ajoutée.
En outre, il se peut que le potentiel commercial du Canada dans la région se fonde autant sur notre savoir-faire technique que sur notre commerce de produits, et ce fait peut ne pas être entièrement reflété dans les données limitées sur les échanges de services. Bien entendu, il est plus difficile de recueillir des données sur les échanges de services que sur les échanges de produits, pour lesquels la documentation des douanes permet de remonter facilement la filière. Enfin, il semblerait qu'au moins pour certaines économies de la région Asie-Pacifique, les échanges entre le Canada et la région soient sous-évalués étant donné que ceux-ci se font par le biais des États-Unis.
Il est vrai que le commerce des marchandises qu'effectue le Canada est de plus en plus concentré aux États-Unis, mais on ne peut pas en dire autant dans le cas de la part grandissante des placements directs du Canada à l'étranger. Pour environ la moitié de leur valeur globale, ces placements se font à l'extérieur de l'Amérique du Nord et la part des investissements canadiens qui aboutissent dans la région de l'Asie-Pacifique a augmenté au cours des dernières années. Si l'on s'en tient aux dix dernières années et aux économies de l'APEC, à l'exclusion de celles de l'Amérique du Nord, on constate que la proportion des placements canadiens directs dans ces économies a augmenté de 8 à 11 p. 100.
Les intérêts que nous avons dans la région sur les plans du commerce et de l'investissement reflètent les avantages comparatifs dont nous avons toujours joui. Les secteurs des ressources dominent les exportations, mais le Canada excelle également dans d'autres domaines, par exemple l'agroalimentaire, la transformation des aliments et toute une gamme de services spécialisés fondés sur la matière grise, allant de l'architecture et la planification urbaine en passant par l'éducation et la formation ainsi que la gestion de grands projets et la technologie de la télédétection.
Il y a lieu de souligner l'importance des besoins de l'Asie en grands équipements, surtout pour ce qui est des télécommunications, de l'énergie et des transports, tous des domaines où le Canada excelle. Il y a également les secteurs qui étaient autrefois la chasse gardée des administrations publiques ou qui étaient fort réglementés, de sorte que les possibilités de participation étrangère étaient limitées. La situation change et, aujourd'hui, les investissements privés et la participation étrangère sont de plus en plus les bienvenus.
Ce sont des secteurs où le marasme risque de s'installer aujourd'hui au Canada pour des raisons démographiques ou à cause de l'évolution de la structure de l'économie canadienne. De plus, ce sont des secteurs exposés aux mesures de déréglementation au Canada et c'est pourquoi il y a des pressions qui s'exercent sur les marges ainsi que sur les coûts.
J'aimerais passer maintenant des intérêts des entreprises canadiennes en Asie-Pacifique aux situations concrètes que connaissent les organismes canadiens dans la région. Il est évident selon moi que l'intérêt à l'égard de l'Asie a augmenté considérablement, mais, en pratique, les résultats ont été mitigés. Il est vrai que la question est complexe et qu'il faut faire preuve de prudence en interprétant les données, mais les faits démontrent bel et bien que tandis que les liens commerciaux du Canada avec la région se multiplient, notre part du marché connaît une baisse.
Il n'y a aucun doute que les marchés de l'Asie-Pacifique sont difficiles. Le Conference Board a entrepris deux ou trois séries de sondages pour connaître les intentions des entreprises canadiennes en ce qui concerne l'investissement en Chine, le plus grand marché de la région, et nous avons pu en dégager le fait que seulement 40 p. 100 des entreprises qui ont investi en Chine au cours des dernières années y ont tiré des bénéfices. Même les entreprises pour qui la Chine représente un important engagement stratégique et qui s'y trouvent depuis longtemps, comme Nortel, n'ont pas encore touché un rendement qui en vaut vraiment la peine.
Les risques commerciaux sont nombreux et considérables, vu les complexités du milieu asiatique, les différences de culture et les règlements gouvernementaux en constante évolution. Il est possible d'atténuer ces risques en procédant à une planification d'entreprise soignée. Il est essentiel de repérer un associé local qui fera l'affaire et il faut également de la patience et une perspective à long terme. Dans toute l'Asie, pour mener des affaires, il est essentiel de nouer des relations personnelles à long terme -- ce que les Chinois appellent «GuanXi» -- et il est très évident que les méthodes nord-américaines centrées sur la tâche à accomplir ne donneront tout simplement pas les résultats voulus.
Il y a des exemples d'entreprises canadiennes qui ont reconnu l'importance du rôle que des Canadiens d'origine asiatique peuvent jouer pour les aider à comprendre et à multiplier leurs relations d'affaires en Asie. Il peut être difficile de quantifier la contribution que ces personnes peuvent apporter, mais il n'y a aucun doute qu'elle peut être considérable. D'autres pays ont reconnu ce fait. Par exemple, le ministère australien des Affaires étrangères et du Commerce a achevé il y a environ un an une étude détaillée portant sur les réseaux d'affaires chinois en Asie -- Overseas Chinese Business Networks in Asia -- qui a porté sur le rôle important que les milieux chinois d'outre-mer jouent dans l'expansion du commerce international de la Chine.
Dans le même ordre d'idées, les réactions que nous entendons souvent de dirigeants d'entreprise canadiens nous portent à croire qu'il serait bon de penser à augmenter la durée des séjours des délégués commerciaux affectés à des postes dans les marchés de l'Asie pour qu'ils deviennent plus conscients de la nature des relations d'affaires dans ce milieu et qu'ils deviennent plus efficaces et obtiennent de meilleurs résultats pendant leur mission.
Ce que je tiens surtout à faire remarquer, c'est qu'il faut que les entreprises canadiennes, surtout les PME, acquièrent des compétences en gestion inter-culturelle avant d'envisager d'aller brasser des affaires en Asie. Nos relations économiques avec l'Asie sont caractérisées par de nombreux types de jumelages d'entreprises. Il faut se garder de trop généraliser, mais un cheminement assez ordinaire consisterait à passer de l'exportation directe du Canada à l'établissement de réseaux de distribution locaux puis du transfert de technologie à l'établissement d'un partenariat à long terme ou d'une coentreprise avec une organisation locale.
Un tel cheminement peut prendre beaucoup de temps et les différentes étapes du processus exigent des compétences et des connaissances interculturelles de plus en plus raffinées. Par exemple, les principales difficultés des entreprises qui en sont à l'étape de l'établissement d'une pratique locale concernent ordinairement la gestion des ressources humaines et le processus de localisation. Leurs besoins sont manifestement très différents de ceux d'un exportateur qui envisage de se lancer pour la première fois dans le marché asiatique.
Nous avons examiné dernièrement les investissements communautaires d'entreprises canadiennes en Asie et je fais remarquer dans mon mémoire que l'expérience de la société Inco en Indonésie constitue une intéressante étude de cas. L'approche mettait l'accent sur le développement des collectivités par l'investissement dans l'infrastructure locale et l'amélioration du sort des travailleurs. Inco a réussi sur ces plans et les principaux facteurs de succès tenaient au fait qu'elle est devenue une partie intégrante de la collectivité locale, qu'elle a adopté une philosophie selon laquelle la responsabilité d'entreprise est un investissement stratégique à long terme et qu'elle a veillé à ce que ses méthodes de recrutement et de formation des employés de la région tiennent compte de la culture et des coutumes locales.
J'aimerais vous parler maintenant de l'importance de l'APEC. Mon mémoire contient certains renseignements de base qui ne vous seront pas étrangers. Je mentionne que l'APEC a vu le jour en 1989 sous forme de mécanismes d'échange informels et a évolué depuis pour devenir une institution multilatérale qui encourage la libéralisation du commerce, la facilitation des échanges et la coopération économique entre ses économies membres. Je mentionne la Déclaration de Bogor de novembre 1994 en vertu de laquelle les dirigeants se sont engagés à instaurer un régime de libéralisation du commerce et des investissements au plus tard en 2010 dans le cas des économies développées et en 2020 dans celui de l'ensemble de l'APEC.
Je mentionne également le Programme d'action d'Osaka de 1995 et le plan d'action à deux volets qui a été mis au point pour parvenir au libre-échange; le volet I porte sur la libéralisation et la facilitation du commerce et des investissements et le volet II porte sur le programme de coopération technique exécuté par l'intermédiaire des dix groupes de travail de l'APEC.
Dans le cadre de la réunion ministérielle et du sommet économique des chefs qui viennent d'avoir lieu à Subic Bay, les économies membres ont présenté des plans d'action individuels visant à mettre en oeuvre le Programme d'action d'Osaka, tandis que les forums de l'APEC ont déposé des plans d'action collectifs pour appliquer le volet II. Le Canada participe activement à ce processus et je tiens surtout à mentionner l'importance de ce qui est appelé le rapport «eco-tech» qu'a rédigé le Canada et dans lequel sont décrites toute la gamme des mesures de coopération technique adoptées dans l'ensemble de l'APEC.
Le défi selon moi consiste toujours à trouver un moyen d'encourager tous les membres de l'APEC, avec leurs différentes structures économiques, leurs différents niveaux de développement et leurs différentes traditions culturelles et politiques, à s'entendre sur un plan d'action pratique pour la libéralisation du commerce. L'approche à la libéralisation du commerce au sein de l'APEC est assez différente de l'approche traditionnelle suivie dans le cadre du GATT ou de l'OMC et repose sur la notion de l'«unilatéralisme concerté» et sur un plan d'action collectif.
La principale question est de savoir jusqu'où on peut aller en pratique en recourant à cette approche de l'«unilatéralisme concerté». Son succès dépendra de sa capacité de tenir compte de tous les aspects, de l'élaboration d'éléments de comparaison entre les différents plans d'action individuels et de la mise au point d'un mécanisme quelconque de règlement des différends.
D'un point de vue canadien, il est évident que l'OMC est toujours l'organe principal de la libéralisation multilatérale du commerce. L'OMC offre un cadre d'action complet permettant de s'occuper des questions d'orientation et dispose également de ressources et de compétences considérables. L'APEC, en revanche, est un organisme très modeste doté d'un budget restreint et d'un petit secrétariat qui est composé de personnes déléguées par les économies membres et qui ne constitue pas un secrétariat professionnel.
Je crois que dans l'ensemble on s'accorde de plus en plus pour dire que les possibilités de l'APEC reposent en sa capacité de faciliter le commerce et l'investissement plutôt que de mener la libéralisation du commerce et de l'investissement. Plusieurs projets pratiques sont en cours au sein des dix groupes de travail dans le but d'encourager le jumelage d'entreprises dans la région par des moyens qui vont de la simplification des formalités de dédouanement et la création d'un visa d'affaires de l'APEC en passant par des programmes de formation dans le domaine de l'assurance à l'exportation. J'estime également que la série de projets de coopération technique qui sont en cours offrent un mécanisme permettant de partager des idées et les expériences et de renforcer les liens dans toute la région. De telles mesures permettront graduellement de faciliter les relations sur les plans du commerce et de l'investissement.
Toutefois, cela étant dit, on serait malavisé de faire peu de cas des possibilités que présente l'APEC pour promouvoir la libéralisation du commerce. Le modèle de l'APEC est très différent de l'approche traditionnelle au commerce international, et le Canada préconise depuis plus de cinq ans un régime de commerce international qui soit transparent et fondé sur des règles. Je reviens à ce que je disais tout à l'heure: au fur et à mesure que le rôle et le poids de l'Asie-Pacifique dans le monde augmenteront, des pressions s'exerceront naturellement pour que les institutions multilatérales assument davantage un caractère «asiatique». Il en résultera sans doute une approche moins transparente et davantage axée sur les relations, dans le genre de celle qui caractérise l'APEC à l'heure actuelle.
C'est là un fait qui ne plaît peut-être pas aux Canadiens, mais j'ai voulu signaler un scénario dont il faut être conscient, à mon avis.
L'APEC n'a pas encore défini ses propres méthodes de médiation des différends et, là aussi, si elle y parvient, il pourrait s'agir d'une méthode très différente, d'une méthode asiatique, plutôt que de quelque chose avec lequel nous sommes familiers dans nos institutions traditionnelles d'après-guerre.
Enfin, les entreprises ont un rôle consultatif très important à jouer. La méthode de l'«unilatéralisme concerté» ne peut fonctionner que si des moyens pratiques sont mis au point pour mesurer les équivalences des engagements des membres individuels. Les responsables gouvernementaux canadiens doivent produire des renseignements précis sur les barrières auxquelles se heurteront les entreprises canadiennes qui veulent pénétrer les marchés asiatiques.
Je pourrais ajouter en passant que, selon moi, les entreprises canadiennes ne sont pas très au courant en général des aspects institutionnels de l'APEC et ne s'y intéressent peut-être pas beaucoup, mais il se peut très bien que cette situation change.
Permettez-moi d'aborder quelques autres points. Je veux signaler encore une fois le fait que, selon moi, l'Asie-Pacifique continuera à être la région la plus dynamique dans l'économie mondiale. L'importance et l'influence de la région grandiront et les revenus et la qualité de vie de ses citoyens s'amélioreront. Il va certainement y avoir des défis politiques, économiques et sociaux, mais j'estime que dans l'ensemble le scénario le plus probable en est un où l'on verra la confiance en soi augmenter dans la région d'une manière qui permettra à ses membres de relever ces défis avec succès.
Quels sont les risques? Où les choses risquent-elles de tourner mal? Bien que le pronostic le plus probable soit positif, il faut selon moi être conscient du fait qu'il y a des forces qui poseront un défi aux progrès futurs dans la région. J'en mentionne quatre dans le mémoire. La première est la pression démographique; la deuxième est la détérioration du milieu; la troisième est les tensions qui surgiront dans la région à cause des disparités sur le plan des pouvoirs et des classes d'idéologie; la quatrième est les limites imposées à l'intégration intérieure et régionale.
Quand je pense à ces quatre forces, celle qui revêt vraiment le plus d'importance est la question de l'instabilité politique et du défi posé à la paix et à la sécurité, qui ont de toute évidence une influence directe sur les risques associés à la conduite des affaires, sans parler de l'intérêt général du Canada dans la région. Ici, bien sûr, le rôle de la Chine est critique, surtout celui de la stabilité politique interne de ce pays ainsi que ses rapports avec Hong Kong et Taïwan, en plus de son rôle général dans la région. La Chine continue à être -- et sera peut-être toujours -- une source d'inquiétude considérable, surtout en Asie du Sud-Est.
Il y a à mon avis un lien étroit entre les dimensions économiques et politiques de nos relations en Asie-Pacifique. D'une part, les cadres de coopération économique dans la région, notamment l'APEC, peuvent jouer un rôle dans la mise en place d'un cadre politique régional qui contribuera à la stabilité future. D'autre part, les tendances de la croissance économique dans la région auront elles-mêmes des conséquences pour la répartition du pouvoir politique, parce que plus la richesse augmente, plus les dépenses militaires augmentent également. La répartition inégale de la richesse en Asie est une source possible d'instabilité, une source de rivalité et de conflit.
Pour terminer, il est indéniable que de plus en plus d'entreprises canadiennes se tournent vers les pays de l'autre côté du Pacifique. Cette fascination que l'Asie exerce sur elles s'intensifiera si l'Asie continue de dépasser le reste du monde sur le plan économique et c'est à mon avis ce qu'elle fera. L'Asie est certes une terre que l'on connaît de mieux en mieux, mais elle n'est pas faite pour les timorés. Le milieu d'affaires là-bas est très différent de celui au Canada à cause de la structure économique, des pratiques commerciales et de la culture. C'est un milieu d'affaires très exigeant.
Malgré l'allure que ne cesse d'afficher le marché asiatique, dont les possibilités sont énormes, les entreprises canadiennes seraient bien avisées de peser avec soin tous les facteurs qui peuvent influencer les risques et le rendement. Là encore, je ne peux trop insister sur l'importance des connaissances interculturelles et de l'acquisition des compétences commerciales appropriées. Même les entreprises canadiennes qui n'envisagent pas d'exploiter le marché asiatique auraient certainement intérêt à comprendre ce qui se passe de l'autre côté du Pacifique, si vous acceptez mon hypothèse que l'Asie va inévitablement jouer un rôle plus important sur la scène mondiale et exercer une grande influence sur l'orientation future des institutions internationales.
De leur côté, les gouvernements canadiens pourraient juger bon d'élargir et d'approfondir leurs politiques concernant nos relations avec l'Asie. On a eu tendance au cours des dernières années à mettre l'accent sur les relations économiques, ce qui est compréhensible vu les possibilités qu'offrent les marchés asiatiques, mais il est important de ne pas oublier que d'autres aspects des relations sont étroitement liés au succès économique que la région pourra continuer à connaître et aux qualités de celle-ci qui la rendent attrayante aux entreprises canadiennes. Il y a manifestement beaucoup de gens au Canada qui aimeraient que l'on tienne compte d'autres aspects de nos relations avec l'Asie, vu l'importance des relations économiques du Canada avec la région.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Barrett. J'invite le sénateur Carney à poser les premières questions.
Le sénateur Carney: Le point que j'aimerais aborder concerne un sujet principal et un sujet secondaire et vous y avez touché à la page 10 où vous dites qu'il faut que les institutions multilatérales acquièrent un caractère qui est davantage asiatique. Vous avez très bien expliqué le fait qu'au Canada et en Europe, nous sommes des partisans convaincus d'un système de commerce international qui est transparent et fondé sur des règles; c'est certainement ce que nous avons toujours connu et ce qui nous plaît le plus. Vous signalez ensuite que l'APEC doit devenir davantage asiatique et adopter des approches différentes. Pourriez-vous nous donner quelques exemples concrets?
Dans l'étude concernant l'Europe que nous avons effectuée dernièrement, nous avons appris que l'Europe commence à peine à devenir consciente de toutes les possibilités qu'offre l'Asie. Nous avons constaté que l'Europe est très repliée sur elle-même et ne fait que commencer à s'intéresser aux possibilités qu'offre l'Asie-Pacifique ou à en être consciente. Compte tenu de ce fait, pensez-vous que le Canada pourrait peut-être jouer un rôle d'intermédiaire? Dans l'affirmative, il serait important que nous le mentionnions dans notre rapport.
Pourriez-vous nous donner un exemple de ce qu'il faut faire pour adapter les institutions multilatérales, les relations commerciales et le commerce unilatéral pour qu'ils deviennent davantage asiatiques? Pouvez-vous nous donner quelques concepts pratiques et ensuite indiquer comment le Canada peut être un intermédiaire entre ces deux modèles très différents?
M. Barrett: Comme vous avez peut-être pu le constater, je cherchais dans mon mémoire à faire ressortir un dilemme et je suis persuadé qu'un tel dilemme existe. En ce qui concerne des exemples pratiques, je m'en remettrais à l'expérience que j'ai acquise au sein du processus de l'APEC, que je décrirais comme étant très «asiatique». Il se peut que la même chose se produise dans d'autres tribunes internationales, mais tout dépend beaucoup du consensus; ce qui se passe dans les coulisses est plus important que ce qui se passe en assemblée plénière et les relations avec les principaux intervenants constituent un facteur pratique de grande importance pour faire bouger les choses.
Je sais, en songeant tout simplement à mes collègues au sein de l'APEC, que les Asiatiques préfèrent se rendre à Singapour plutôt qu'à Genève. Le dilemme tient au fait qu'il est manifestement dans l'intérêt du Canada, dans sa situation d'économie qui dépend beaucoup du commerce et de moyenne puissance ayant une influence limitée, d'avoir un système transparent et fondé sur des règles. Au cours des dix dernières années, nous nous sommes certainement employés à y parvenir et à nous protéger contre l'unilatéralisme concerté de la part des États-Unis.
J'ignore si l'APEC finira un jour par influencer le système, mais j'ai voulu faire valoir qu'au fur et à mesure que l'Asie acquiert de plus en plus d'importance, elle voudra exercer plus d'influence sur le système et elle le fera notamment pour des choses comme le règlement des différends et la médiation du commerce.
Permettez-moi de vous donner un exemple concret d'un conflit de cultures. Dans le cas des États-Unis et de la Chine, leurs relations commerciales bilatérales sont nettement caractérisées par un conflit de cultures où il y a, d'une part, le poids des États-Unis et la notion de la primauté du droit et, d'autre part, la culture de la Chine qui est fondée sur le compromis et les solutions pragmatiques. Je ne peux pas vous brosser un tableau détaillé de ce qui résultera de ce conflit, mais je vois clairement qu'il y a là un dilemme pour le Canada.
Je vois également une occasion -- et vous l'avez évoquée en quelque sorte dans votre question, sénateur Carney -- dans le fait que le Canada peut sans doute avoir un pays dans les deux mondes. Nous avons quelque chose à apporter à la table de l'APEC à cause de notre compétence à titre d'intermédiaire qui est également une moyenne puissance. Notre influence est limitée, mais j'estime que nous avons également des compétences sur le plan du rôle que nous pouvons jouer dans ce contexte en tant que moyenne puissance. Nous avons des compétences à cause de la langue anglaise que nous maîtrisons -- et la langue est un facteur de base pour un grand nombre des membres asiatiques de l'économie -- et je pense que nous jouissons également de confiance et de crédibilité. Si nous pouvons mettre ces qualités à profit pour comprendre la culture asiatique et la façon de faire asiatique, peut-être que nous pouvons jouer un rôle d'intermédiaire entre le monde de l'Atlantique et le monde du Pacifique.
Le président: Est-il exact de dire qu'il y a cette culture économique asiatique, ou y a-t-il en fait une grande diversité à l'intérieur de l'Asie?
M. Barrett: Absolument, sénateur; bien sûr, vous avez parfaitement raison. Lorsque je parle de «culture asiatique», dites-vous que je simplifie. Je ne veux certainement pas laisser entendre qu'elle est monolithique. Ce n'est pas du tout le cas.
Le sénateur Andreychuk: Vous avez mentionné le dilemme que représente l'adoption de nos méthodes ou l'adaptation des leurs dans l'OMC, mais la difficulté ne tient-elle pas en ce moment au fait qu'il y a certains membres de l'establishment asiatique qui veulent que ce soit leurs méthodes ou rien du tout? Si nous pouvions parvenir à un compromis, j'estime que c'est là une chose que le système international connaît bien; mais ce que nous voyons, surtout dans le cas de la Chine, c'est simplement une attitude où l'on dit: «C'est notre façon de faire ou c'est rien du tout.» Voilà un dilemme qui est quelque peu différent; comment nous en sortir?
M. Barrett: Je suppose que vous faites allusion à l'attitude de la Chine après la première série de négociations de l'OMC et au scénario où la Chine pourrait en fin de compte dire: «Bon, très bien, ce sont nos méthodes que nous adopterons, merci beaucoup.» Le dilemme tient au fait que la Chine est certainement un intervenant de taille et se considère depuis longtemps comme étant le moyen empire, le centre du monde; et au fur et à mesure que la Chine acquerra plus de poids économique, elle se comportera de plus en plus comme une grande puissance. La conclusion que l'on peut en tirer est le fait que si une moyenne puissance solidement enracinée dans les traditions de l'Occident peut elle aussi devenir compétente pour transiger avec l'Asie, alors je pense que nous pouvons jouer un rôle utile et un rôle constructif.
Le sénateur Andreychuk: Je dirais que vous nous laissez le dilemme sur les bras.
Le sénateur Grafstein: Le terrain de jeu est tellement vaste que c'est très difficile pour une petite, une moyenne ou même une grande entreprise de décider stratégiquement où elle doit appliquer ses ressources, surtout lorsqu'il est clair que la possibilité d'un rendement immédiat n'est pas aussi élevée que les gens seraient portés à le croire. Voici ce que quelqu'un a déjà dit au sujet de la Chine: «Si je parvenais tout simplement à vendre une épingle à chaque habitant de la Chine, je serais milliardaire.» Le problème tient au fait qu'ils n'ont pas nécessairement besoin d'épingles.
Le Conference Board, dans son examen de cet immense marché en expansion, a-t-il élaboré des modèles de l'activité commerciale qu'il faut mener en priorité dans un contexte sectoriel et dans un contexte national? Je crois que vous connaissez le Canada mieux que quiconque du point de vue des affaires. Avez-vous établi qu'il y a des relations naturelles. Disons qu'il y a 50 choses à faire mais que nous n'avons de l'argent que pour cinq: où faudrait-il concentrer notre attention pour parvenir à la croissance voulue? Pouvez-vous nous donner une orientation générale qui nous permettra d'arriver au but souhaité, parce que nous espérons que notre rapport sera utile pour autre chose que simplement la transparence du point de vue de l'APEC. Plus précisément, avez-vous élaboré un modèle sur ce plan-là, un modèle pays par pays ou un modèle régional qui pourrait servir de base de données pour les gens qui désirent pénétrer ce marché?
M. Barrett: Si vous voulez parler d'une sorte de livre de recettes qui nous permettrait d'accorder la priorité à des marchés et à des secteurs nationaux dans un sens normatif, la réponse est non. Je ne suis pas convaincu que c'est ce qu'il convient de faire et je ne suis pas convaincu non plus qu'une telle façon de procéder serait correcte. Toutefois, cela étant dit, il y a des pistes de réflexion que l'on peut proposer pour contribuer au processus. Premièrement, nous connaissons le comportement des entreprises canadiennes parce que nous avons des contacts assez fréquents avec elles et nous pouvons affirmer qu'à leurs yeux, l'Asie est un marché régional. Si quelqu'un traverse le Pacifique pour aller à Singapour, il pourra se rendre également en Malaisie. C'est un exemple évident. Il y a certainement des marchés nationaux particuliers et des sous-marchés régionaux à l'intérieur de l'Asie, mais une fois qu'ils ont traversé le Pacifique, les gens ont tendance à s'arrêter systématiquement aux autres marchés de la région.
En ce qui concerne la Chine et sa situation de marché le plus important, l'un des plus grands problèmes en Chine est bien sûr le manque d'intégration à l'intérieur de l'économie, autant sur le plan de son infrastructure limitée que sur celui des différentes applications des pratiques et des politiques commerciales dans les différentes parties. Il en résulte que lorsque l'on considère le marché chinois, on a tendance à s'arrêter aux aspects régionaux ou sous-régionaux.
En ce qui concerne les priorités sectorielles, je crois que nous pouvons mettre le doigt avec assez de certitude sur les domaines qui présentent des occasions pour le Canada et, comme je l'ai fait remarquer dans le mémoire, un grand nombre d'entre eux correspondent à ce que j'appelle les «services de savoir-faire». Sauf quelques exceptions, le Canada n'est pas nécessairement à la fine pointe de la technologie, mais grâce à notre savoir-faire, que ce soit pour construire ou faire fonctionner un hôpital ou que ce soit dans le domaine de la planification urbaine ou des services environnementaux, il y a des créneaux que l'on peut repérer avec assez de certitude et plusieurs d'entre eux sont décrits dans le rapport que le Conference Board a préparé.
Le sénateur Grafstein: À titre d'exemple, il est question dans The Globe and Mail d'aujourd'hui d'une bataille intéressante que se sont livrée deux compagnies canadiennes pour une ressource en Indonésie et de ce qu'il a fallu faire pour mener l'entreprise à bon terme. Ce n'est peut-être pas là la méthode que les Canadiens ont coutume d'adopter pour mener des affaires, mais il faut certainement se réjouir du fait qu'au moins la lutte mettait en cause deux entreprises canadiennes plutôt qu'une tierce partie.
Mon problème, c'est de parvenir à un rapport qui sera utile plutôt qu'à un rapport qui ne constituera qu'un compendium. N'avons-nous pas un avantage concurrentiel naturel, national, en ce qui concerne la mise en valeur des ressources? Les entreprises canadiennes font-elles leur possible en Asie, non seulement pour la mise en valeur des ressources mais aussi pour offrir des services et ainsi de suite? Je songe à toutes les entreprises complémentaires qui se lancent dans les activités de mise en valeur des ressources; et je poserais la même question dans le cas de l'exploitation minière et des pâtes et papiers. Nous avez-vous préparé quelque chose en ce sens ou est-ce que vous pourriez le faire?
M. Barrett: Nous avons en fait des données de base sur les investissements canadiens en Asie; le placement le plus important de cette nature dans la région concerne les ressources et il s'agit de l'investissement de la société Inco en Indonésie. Cependant, sénateur, en toute déférence, je serais porté à aborder le sujet d'un autre angle; je reviendrais à la question des compétences. S'intéresser aux secteurs est un rôle important, compte tenu du fait qu'il peut y avoir des créneaux dans d'autres secteurs, mais il me semble qu'il y a des thèmes communs qui reviennent lorsqu'il est question de compétences.
Je connais plusieurs entreprises nord-américaines qui sont établies en Chine. Comme elles pourront vous le dire, une fois que l'on y est établi, il y a de graves problèmes sur le plan des ressources humaines et de la gestion... et les gens là-bas sont intéressés à en parler parce qu'ils fonctionnent dans un milieu entièrement différent; il n'est pas du tout question de stratégie. Il y a des problèmes très terre-à-terre, par exemple comment faire pour mettre à la disposition de vos travailleurs et de leurs familles les logements et les écoles qu'il leur faut et des choses de cette nature.
Étant une institution dont l'activité consiste à vendre des connaissances, nous devons savoir quels types de connaissances nous pouvons offrir à nos membres. Il s'agit moins de repérer pour eux une technologie particulière, ou même un secteur, que de veiller à ce qu'ils disposent des compétences et du savoir-faire nécessaires pour pénétrer un marché... et j'aurais cru que des renseignements de ce genre pourraient également être utiles pour les gouvernements qui cherchent à pénétrer le marché.
Le sénateur Carney: Hier, des représentants de plusieurs groupes sont venus témoigner, notamment de l'Institut Nord-Sud. Ils nous ont fait remarquer qu'une partie de notre culture comprend les droits humains et les droits individuels et que cette question -- et je songe au Code lorsque je parle de «droits humains» -- devrait faire partie intégrante de notre politique commerciale, plutôt que d'être abordée en marge d'activités de la nature de celles qui ont lieu lorsque des ONG interviennent ou que des conférences en tête-à-tête sont organisées.
Êtes-vous du même avis ou voyez-vous un problème dans cette attitude? J'essaie de faire un lien entre ce que nous avons entendu hier et ce que nous entendons aujourd'hui.
M. Barrett: Heather Gibb, de l'Institut Nord-Sud, collabore beaucoup avec nous dans le processus de l'APEC. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos collègues de l'Institut Nord-Sud. J'aborde cette question très indirectement dans les deux ou trois dernières pages de mon mémoire et il s'agit de les lire attentivement car le sujet n'est pas traité de manière explicite.
Il y a plusieurs points que j'aimerais aborder. Premièrement, j'estime que l'engagement constructif est vraiment la seule façon intelligente de procéder. On ne peut rien accomplir ni influencer aucun processus si on ne fait pas affaire avec les gens. Deuxièmement, en prenant l'exemple de la Chine, je crois savoir qu'à chaque réunion entre des responsables canadiens et des responsables chinois, la question est soulevée en privé, mais elle est soulevée dans un contexte où la diplomatie discrète est le mot d'ordre.
Il est important au niveau stratégique de tenir compte de toute une gamme de questions; à mon avis, nous sommes peut-être allés trop loin vers l'extrême qui consiste à ne pas reconnaître une multiplicité de dimensions, mais j'estime qu'on ne peut vraiment pas exercer d'influence constructive en sermonnant nos partenaires transpacifiques. Je ne dirais pas cependant que cette culture est libre de valeurs. Je ne dirais pas que c'est le cas. Mes valeurs concordent tout à fait avec ma culture, mais je suis persuadé que des cultures différentes ont des critères différents.
Le sénateur Carney: Ainsi, compte tenu de toutes vos contraintes, vous ne partagez pas l'opinion selon laquelle les droits humains devraient faire partie intégrante de notre politique commerciale; vous les sépareriez en invoquant le principe de l'engagement constructif et ainsi de suite?
M. Barrett: J'estime que les droits humains devraient certainement faire partie de nos relations, mais je dirais que c'est par la diplomatie discrète qu'il faut les aborder.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Barrett. Votre exposé a été très instructif.
Nous allons passer maintenant au Canadian Shippers' Council. Nous avons M. Malcolm S. Hackett, président et directeur, Gestion de la distribution et des stocks; M. Marc J. Leblanc, gestionnaire, Logistique et service à la clientèle; M. Graham Allen, gestionnaire, Transport maritime, et M. Walter Mueller, secrétaire.
Vous avez la parole, monsieur Hackett.
M. Malcolm S. Hackett, président et directeur, Gestion de la distribution et des stocks, Canadian Shippers' Council: Monsieur le président, je vais aborder d'abord dans mon exposé une question terre-à-terre qui concerne un grave obstacle susceptible de nuire à notre commerce dans la région de l'Asie-Pacifique; c'est un sujet que nous ne connaissons que trop bien. Je vais en faire un tour d'horizon aussi rapidement que possible et j'essaierai ensuite dans mon résumé de vous décrire clairement les problèmes.
Comme je l'ai mentionné, nous nous inquiétons d'une entrave qui peut sérieusement compromettre notre commerce avec l'Asie-Pacifique. L'origine de cet obstacle est une situation qu'encourage la loi canadienne et c'est là la raison d'être de nos doléances. Je parle des cartels de fixation des prix dans l'industrie du transport.
La région du Pacifique ne cesse d'acquérir de l'importance pour les exportateurs canadiens -- nous en sommes tous bien conscients ici -- et la croissance prévue du marché dépassera de manière spectaculaire tout ce que l'on peut voir ailleurs dans le monde. Pour vous donner un exemple, ma propre entreprise, Inco, a un investissement de 10 milliards de dollars dans l'est du Canada, dont le succès dépendra dans une grande mesure de notre capacité d'augmenter radicalement notre pénétration du Japon, de la Chine -- surtout de la Chine -- et d'autres pays de la région du Pacifique. Il s'agit donc d'une question qui revêt une grande importance pour ceux d'entre nous dont une bonne part des activités concernent l'exportation.
Vu que nous nous tournons tous vers cette partie du monde pour assurer notre croissance au cours des quelques années à venir, il faut que le Canada dispose d'un système de transport économique et il faut que ce système soit libre des cartels de fixation des prix dans le secteur des transports que je viens de mentionner. Nous avons là devant nous un problème de taille, un problème persistant, un problème vraiment grave.
La navigation de ligne -- et il faut entendre par là des navires qui ont des horaires à respecter -- est constituée en fait -- si vous me permettez de le préciser au cas où vous n'en seriez pas conscients -- des transporteurs maritimes ou des groupes de transporteurs maritimes qui offrent des services à horaire fixe pour le transport de marchandises conteneurisées. Voilà un point important à retenir. Le problème tient au fait que ces transporteurs fonctionnent pour la plupart à la manière de cartels, qui sont légalisés au Canada et ailleurs dans le monde, mais qui, au Canada, à cause de la Loi dérogatoire de 1987 sur les conférences maritimes, sont soustraits à l'application des dispositions de la Loi sur la concurrence. Une telle situation a des conséquences non seulement pour les membres des cartels mais aussi pour les lignes qui n'en font pas partie car ces dernières suivent automatiquement les tendances ou les niveaux établis par les membres des cartels.
Nous sommes ici pour vous parler de la région du Pacifique; l'élément central là-bas du système des cartels est une organisation appelée Canada Westbound Rate Agreement, ou CWRA. La navigation de ligne en général et les transporteurs du CWRA en particulier sont d'une importance critique pour le commerce canadien de demain et surtout pour l'avenir des entreprises dans la région de l'Asie-Pacifique. Ensemble, ils transportent la grande majorité des marchandises exportées du Canada vers cette région.
On a tort de pas tenir compte du rôle que jouent les frais de transport dans la livraison des marchandises à nos clients. Cependant, on est facilement porté à le faire, surtout dans mon propre secteur, où il y a un produit de grande valeur, le nickel, et où le montant consacré au transport est relativement petit, mais pour bien d'autres produits ce montant peut représenter la moitié du coût total. Dans le cas par exemple du kaolin et de certains produits ligneux, ce facteur devient très important; il faut comprendre donc que le fait qu'il est entre les mains d'un cartel de transport est un grave problème pour nous. La situation devient surtout critique lorsque des surprimes, fixées par les lignes de navigation et échappant aux dispositions de la Loi dérogatoire sur les conférences maritimes, sont imposées aux expéditeurs d'une manière complètement improvisée et pour des raisons les plus farfelues. Une telle situation nuit à notre capacité de mener efficacement des affaires dans ces régions; cependant, fait plus important pour le Canada -- et je parle en connaissance de cause parce qu'elle a influencé directement mes propres décisions --, elle peut nuire à ce point aux exportations que nous pouvons nous mettre à chercher des fournisseurs ailleurs.
L'Indonésie est un bon exemple: si le transport nous cause trop de problèmes, nous pouvons très bien changer de source d'approvisionnement. En tant que Canadiens, ce n'est pas ce que nous voulons faire; il faut comprendre donc que cette question des surprimes, associée surtout au fait que la fixation des prix est légalisée, représente un grave problème pour nous.
Vous voudrez sans doute savoir quel est l'impact du système des cartels sur les tarifs de transport de marchandises. C'est une question que nous trouvons complexe, mais heureusement nous disposons d'une étude qui a été effectuée dernièrement aux États-Unis. Nous pouvons vous en donner les détails ainsi que des exemplaires, si vous le désirez, mais qu'il suffise de dire que d'après cette étude, les cartels ont l'effet d'augmenter les frais de transport d'environ 18 p. 100. Dans le cas de la société Inco, par exemple, cela veut dire que nous payons entre 7 et 10 millions de dollars de plus par année pour couvrir nos coûts de transport. Bien franchement, plutôt que de donner cet argent aux lignes de navigation, il vaudrait sans doute beaucoup mieux de le verser même comme une taxe. Dans notre cas, 18 p. 100 représente environ 7 à 10 millions de dollars, selon la méthode de calcul. Ce sont donc des quantités considérables et l'impact est tout aussi important dans le cas des secteurs d'activité de mes collègues.
Le problème le plus grave concerne le très grand nombre de petites et de moyennes entreprises au Canada qui exportent, ou qui essayent d'exporter, et qui sont à l'origine de tant d'emplois. Elles ont un problème très grave. Nous ne sommes pas ici pour représenter nos propres compagnies, Noranda et J.M. Asbestos et Inco, mais plutôt pour représenter cette multitude de petites entreprises qui sont si importantes pour notre pays.
Il n'y a aucun doute que la Loi dérogatoire sur les conférences maritimes a eu une incidence importante sur le succès -- ou l'échec -- des efforts d'expansion du commerce canadien dans la région du Pacifique; c'est surtout le cas des petites et des moyennes entreprises.
Les expéditeurs canadiens et le Canadian Shippers' Council ont de très sérieux problèmes avec le CWRA depuis de nombreuses années. Je vous rappelle qu'il s'agit de l'organisation de fixation des prix pour les expéditions vers le Pacifique depuis le Canada. Par exemple, on ne nous accorde que de très courtes périodes de validité, de sorte que nous avons de la difficulté à proposer des prix CAF. L'ampleur des surprimes nous cause des difficultés, que j'ai déjà mentionnées et que j'expliquerai plus à fond dans un instant... d'une manière convaincante, je l'espère. Nous éprouvons également des problèmes à cause d'un aspect important de la Loi dérogatoire sur les conférences maritimes, celui qui nous donnerait des consultations sérieuses. Avant de procéder à une augmentation des tarifs, il devrait y avoir des consultations sérieuses. Bien franchement, ces consultations sont souvent risibles, et là encore nous pourrions donner de nombreux exemples. Des discussions ont eu lieu à maintes reprises avec ce cartel particulier, ainsi qu'avec d'autres, mais elles n'ont mené nulle part. Entre-temps, les expéditeurs canadiens ne cessent d'être en butte à des pratiques abusives et à l'exploitation.
Un exemple qu'il convient sans doute d'évoquer ici est le fameux droit de services maritimes, dont on a beaucoup parlé dernièrement et qui fait partie des frais d'exploitation des lignes. Le CWRA a proposé, ou plutôt nous a fait savoir, qu'ils allaient imposer une surprime pour le droit de services maritimes. Selon nous, il devrait s'agir d'un élément des coûts d'exploitation et il devrait en être question lors des discussions ordinaires sur la modification des tarifs; mais non, ils en ont fait une surprime. Voilà qui était déjà assez grave, mais en plus, la surprime elle-même s'est élevée à environ deux fois le montant qui convenait selon nos calculs pour le droit de services maritimes.
Ce sont là deux situations vraiment inacceptables, parce que de telles mesures ne sont devenues en fait qu'un autre moyen d'augmenter les recettes.
Un autre exemple, spectaculaire celui-là, est le droit que le CWRA a imposé et qui s'appliquait à certaines lignes partant exclusivement des États-Unis. Heureusement, nous avons réussi de peine et de misère à convaincre le cartel que nous allions traîner cette affaire jusqu'à Ottawa et en faire tout un plat; après beaucoup de discussions et d'échanges, ils ont enfin de décider d'y renoncer. Dans les documents que nous vous avons fournis, on donne des détails sur 13 autres droits demandés, tous des surprimes, dont la portée des impacts peut varier; si on en fait le total, ces frais peuvent dépasser et dépassent bel et bien dans certains cas le tarif-marchandises de base, situation qui n'a aucun sens.
Il ne faut pas oublier que le tarif-marchandises lui-même est exempté aux termes de la Loi dérogatoire sur les conférences maritimes; ce n'est pas le cas des surprimes. Par conséquent, si j'étais transporteur, je ne demanderais pas le tarif-marchandises de base; je ne ferais que multiplier les surprimes. Voilà le problème que nous avons devant nous et c'est une situation qui nous préoccupe beaucoup.
Malgré les doléances que nous ne cessons de leur répéter depuis des années, les législateurs canadiens se sont montrés vraiment réticents à prendre des mesures pour protéger efficacement les expéditeurs. J'en ai certainement été témoin depuis les quatre ans que j'ai le privilège d'habiter au Canada en tant qu'immigrant reçu, ayant été muté ici par Inco. Toutes les mesures de protection visent les transporteurs, mais ce sont les expéditeurs qu'il faut protéger des conférences. On dit en guise d'excuse que le Canada refuse d'agir tant qu'un autre important pays commerçant ne prendra pas des mesures comparables. C'est une attitude qui me déçoit quelque peu.
J'ai été chargé à une conférence l'année dernière, il y a presque exactement un an, de participer à un débat pour juger de l'avenir des conférences. J'ai invoqué ce que j'espérais être des arguments irréfutables justifiant de mettre complètement fin aux mesures qui consistent à soustraire les conférences aux règles de la concurrence. La personne qui a pris la parole après moi était notre bon ami et collègue, le sous-ministre des Transports, M. Nick Mulder, qui a dit, debout là, qu'il souscrivait sans réserve à tout ce que je venais de dire pour défendre les expéditeurs canadiens. «Cependant, a-t-il ajouté, ce qui reste à déterminer, c'est le moment d'agir, et il faut vraiment dans notre cas qu'un autre grand pays prenne l'initiative.» Ce sont les exportateurs canadiens qui sont en cause; il ne faut pas attendre que d'autres pays prennent l'initiative et c'est pourquoi il s'agit selon moi d'un dossier qui devrait intéresser le comité et nous devons nous prononcer là-dessus.
Entre-temps, les groupes d'expéditeurs aux États-Unis et en Europe exercent des pressions pour que soient instituées des réformes en profondeur dans leur secteur du transport maritime. Aux États-Unis, un consensus est certainement en train de s'établir quant au Shipping Deregulation Act de 1995, tandis qu'en Europe -- et je suis un membre actif du European Shippers' Council parce que Inco est également un important exportateur d'Europe --, nous avons lancé une campagne paneuropéenne pour faire abolir l'exemption générale dont jouissent les cartels de lignes de navigation lorsqu'il est question de fixation des prix. Au Japon, le Japan Shippers' Council exerce également des pressions énergiques pour que soit revu de fond en comble la loi de transport maritime de ce pays. Dans tous les cas, c'est l'immunité antitrust qui est au centre de tous ces efforts de déréglementation.
Si nous sommes venus témoigner devant vous aujourd'hui, c'est d'abord pour sensibiliser vos membres aux problèmes que connaissent les expéditeurs canadiens sur le plan des échanges, surtout dans la région de l'Asie-Pacifique, et aux problèmes que présente en fait pour eux l'entrave au commerce -- il s'agit d'une véritable entrave -- que crée le système des cartels. Ensuite, nous sommes très reconnaissants de l'occasion qui nous est offerte en même temps de solliciter énergiquement votre appui au sein du gouvernement canadien pour faire disparaître ce qui est à nos yeux un vestige anachronique de l'Empire britannique. Le système des cartels vient de l'Empire britannique et c'est un vestige anachronique qui persiste et qui a des effets sur nous en tant qu'exportateurs canadiens.
Nous sollicitons respectueusement votre appui pour faire disparaître cette législation, c'est-à-dire la Loi dérogatoire de 1987 sur les conférences maritimes. Si toutefois vous ne vous sentez pas en mesure d'agir en ce sens, nous vous demandons, avec autant d'instance, d'appuyer certaines modifications qui pourraient être apportées au règlement pour nous permettre de nous défendre un peu contre ces cartels.
Nous serons très heureux de répondre à vos questions. C'est un dossier auquel nous attachons beaucoup d'importance. Le temps que nous y consacrons au nom de nos entreprises n'est certainement pas gaspillé parce qu'il s'agit d'une campagne dont l'issue est importante pour beaucoup de gens et aura des effets sur eux.
Le sénateur Grafstein: Puisqu'il semble s'agir d'un problème systémique dans le régime commercial mondial tel que nous le connaissons, les expéditeurs d'ici et d'ailleurs ont-ils pris des mesures pour en saisir l'OMC? Pour être encore plus précis, y a-t-il à l'OMC des recours permettant de s'attaquer à ce problème, pour en faire un dossier mondial, plutôt qu'un dossier intérieur qui pourrait, je suppose, provoquer une fuite dans le système canadien de transport maritime?
M. Hackett: Voilà une question très pertinente. J'aimerais bien que l'OMC se penche sur ce dossier, mais, à ma connaissance, on ne s'y est guère intéressé là-bas. Tous nos efforts ont été dirigés vers la direction générale de la concurrence à Bruxelles. C'est un travail auquel j'ai consacré beaucoup de temps. Ma compagnie a dépensé beaucoup d'argent pour se défendre, avec succès dans certains cas au moins, contre ces grands cartels d'Europe et des États-Unis, qui multiplient leurs droits à outrance en augmentant les tarifs de 60 à 70 p. 100 par année, et bien au-delà de la limite. Chaque compagnie a contribué d'importantes sommes et nous avons fait appel à des professionnels pour mener la bataille à Bruxelles. Nous avons réussi, non pas sur tous les plans, mais du moins en partie, et les expéditeurs ont pu pour la première fois faire un grand pas en avant.
Toutefois, l'OMC est une piste que nous n'avons pas explorée et j'avoue que c'est une chose que nous avons peut-être omis de faire, ici et en Europe, surtout. Aujourd'hui cet organisme est bien implanté et il commence à avoir de l'influence. Je conviens qu'il s'agit là d'un point qui mérite toute notre attention; s'il était possible de mettre quelque chose en marche là-bas à l'initiative du Canada, nous nous en réjouirions certainement tous.
Le sénateur Grafstein: Dois-je comprendre que ce mécanisme... je parle de «mécanisme» parce que «cartel» est un mot que personne n'aime entendre.
M. Hackett: Je dois avouer que c'est pour cette raison que je l'ai employé. Le terme qui convient est conférence.
Le sénateur Grafstein: Vous n'avez pas ménagé les susceptibilités. L'idée d'un cartel ne plaît à personne; c'est un système que nous avons déjà essayé et ces cartels ont tendance à être inefficaces et contraires aux bonnes pratiques commerciales et ainsi de suite. Nous sommes tous au courant de cette formule et de l'obstacle qu'elle crée à la libéralisation des échanges. Cependant, a-t-on créé cette exemption dans le but précis de protéger des emplois canadiens qui pourraient être exposés aux fluctuations du rendement sur le plan des expéditions? Pour quelle raison d'intérêt public les gouvernements -- au Canada, aux États-Unis, au Japon, en Europe -- ont-ils adopté cette exemption? Quel était le bien commun que l'on cherchait à protéger?
M. Walter Mueller, secrétaire du CCE, Canadian Shippers' Council: Le système remonte une centaine d'années au moins. Il a vu le jour en Angleterre à l'époque où les voiliers et les navires à vapeur se côtoyaient. L'idée était de protéger les voies de trafic maritime entre les différentes parties du monde. Le transport maritime à cette époque-là était complètement différent de ce qu'il est aujourd'hui. Les conférences ont beau vous dire que les navires ne viendraient pas mouiller dans les ports canadiens s'il n'y avait pas au Canada la Loi dérogatoire sur les conférences maritimes, c'est à notre avis de la pure foutaise, car nous savons pertinemment, par exemple, que dans l'Atlantique nord, la conférence qui dessert le Canada à partir de la côte est transporte des cargaisons composées à 65 p. 100 de marchandises provenant du Midwest américain, où les transporteurs fonctionnent comme des entreprises non associées à une conférence. Même si la Loi dérogatoire sur les conférences maritimes n'existait pas, il ne fait aucun doute que ces transporteurs viendraient toujours à Halifax et à Montréal, si ce n'est que pour transporter les 65 p. 100 de leurs cargaisons qui viennent des États-Unis.
Le sénateur Grafstein: Vous dites donc que si ce mécanisme de protection était modifié en profondeur, une telle mesure ne provoquerait pas la détérioration de l'emploi au Canada et de l'investissement canadien dans le secteur du transport, ou elle ne nous mettrait pas en désavantage sur le plan international, pour ainsi dire?
M. Marc Leblanc, gestionnaire, Logistique et Service à la clientèle, Canadian Shippers' Council: Il y a une chose que vous devriez savoir, surtout au sujet de la composition du CWRA: il ne comprend aucune compagnie canadienne; ce sont toutes des compagnies étrangères. Elles emploient des gens au Canada, mais il n'y en a aucune qui soit une entreprise canadienne.
Le sénateur Grafstein: Donc nous ne protégeons pas des emplois canadiens au moyen de cette loi?
M. Leblanc: Je ne peux nier que ces compagnies emploient des Canadiens; c'est certain qu'elles emploient des gens dans leurs bureaux au Canada.
Le sénateur Carney: Je ne sais plus à quoi m'en tenir dans cette affaire. Je croyais avoir reçu réponse à ma question, car j'examinais la partie de notre document d'information produit par la Bibliothèque du Parlement où il est question des conséquences pour le commerce canadien avec l'Asie-Pacifique, et notre document d'information dit que le Canada Westbound Rate Agreement est le principal instrument pour ce qui est des expéditions par cargo de ligne. La question qui m'était venue à l'esprit était si oui ou non nous étions exposés à un certain désavantage dans le Pacifique vis-à-vis d'autres expéditions de marchandises vers la région de l'Asie-Pacifique, et j'ai cru comprendre d'après votre réponse que c'était bel et bien le cas.
M. Hackett: Potentiellement, oui.
Le sénateur Carney: Potentiellement ou réellement? Nos activités commerciales se multiplient de l'autre côté du Pacifique.
M. Hackett: Je peux vous donner des exemples de ces situations. Bien sûr, mes collègues ont leurs opinions là-dessus et il est inévitable que certaines de ces questions revêtent un caractère personnel selon les compagnies que nous représentons. Dans le cas de ma propre compagnie, nous acheminons du nickel de l'Afrique du Sud vers certaines destinations parce que nous pouvons l'acheter à très bon marché en Afrique du Sud et que nous pouvons aussi le faire expédier à très bon marché depuis ce pays, et nous l'expédions en Corée. Ce que nous faisons là-bas a bien sûr un effet sur nous ici. Il s'agit en ce moment d'un effet constructif, parce qu'il y a une pénurie de ce produit.
Voilà un exemple direct et positif d'une situation où il vaut la peine pour nous de nous approvisionner ailleurs à cause des frais de transport. Lorsque notre marge bénéficiaire devient très mince, ce qui est le cas pour certains produits, les frais de transport peuvent peser dans la balance; il y a donc une entrave à notre commerce sur ce plan-là.
Le sénateur Carney: Je crois savoir qu'il y a aujourd'hui une plus grande quantité de marchandises qui traversent le Pacifique que l'Atlantique. Compte tenu de ce fait, pouvez-vous nous donner des exemples concrets, pour notre rapport, de biens ou de produits précis qui présentent un désavantage pour nous?
M. Hackett: J'ai mentionné le nickel, donc il doit y avoir d'autres produits.
Le sénateur Carney: Je crois que c'est le cas du charbon, n'est-ce pas?
M. Leblanc: Je ne saurais le confirmer. Je pourrais vous parler de mon propre secteur, celui de l'amiante. À l'heure actuelle, 52 p. 100 de nos ventes sont vers l'Asie. Toute notre production provient du Québec; 52 p. 100 de nos ventes sont vers l'Asie. D'ici à l'an 2000, la proportion devrait grimper à 60 p. 100 et d'ici à l'an 2010, elle devrait atteindre 75 p. 100.
Le sénateur Carney: Vous ne semblez pas avoir de problème de concurrence.
M. Leblanc: J'allais en parler. Notre survie dépend en fait de l'Asie et si nous ne pouvons pas obtenir ces chiffres, nous devrons fermer. Comme vous le savez probablement, alors que nous avons de grandes difficultés en Europe et dans d'autres endroits du globe, l'Asie est la seule région où nous arrivons encore à conserver un marché. Toutefois, nous faisons face à une très forte concurrence de la part de la Russie, de l'Afrique du Sud et du Zimbabwe. Le Zimbabwe et l'Afrique du Sud exportent à partir du port de Durban en Afrique du Sud; comme le disait mon collègue, ils peuvent expédier de l'amiante en Corée, à 60 dollars américains la tonne. À partir d'ici, le prix le moins élevé que nous pouvons pratiquer actuellement pour les conteneurs est de 90 dollars américains la tonne.
Le sénateur Carney: Que voulez-vous dire par «à partir d'ici»?
M. Leblanc: À partir de Montréal. Comme vous pouvez le voir, je suis en position d'infériorité. Nous avons perdu des ventes, étant donné que dans notre industrie, un écart de 30 dollars américains la tonne est important. Nous sommes donc désavantagés de ce point de vue en ce qui concerne les coûts de transport seulement. Il ne s'agit pas de la valeur réelle du produit; il s'agit des coûts de transport. Ce qui est intéressant, c'est que le transporteur à partir de Montréal est également le transporteur à partir de l'Afrique du Sud.
Le sénateur Grafstein: L'un fait partie d'une conférence et l'autre non?
M. Leblanc: Il s'agit d'une conférence à partir du Canada, mais pas à partir de l'Afrique du Sud.
Le président: Aimeriez-vous citer d'autres exemples?
M. Leblanc: Nous faisons également face à la concurrence du Brésil. Croyez-le ou non, le Brésil peut faire des expéditions en Extrême-Orient à bien meilleur marché que nous ne le pouvons à partir du Canada; les Brésiliens partent de l'Amérique du Sud jusqu'en Afrique du Sud et poursuivent vers l'Asie. Ils peuvent faire des expéditions à des prix plus bas que les nôtres, sans compter l'existence d'une grande mine d'exportation au Brésil.
Le sénateur Grafstein: Quelle est la différence en millage?
M. Leblanc: En milles nautiques, la distance est plus importante qu'à partir du Canada. Pour je ne sais quelle raison, les lignes maritimes de cette région pratiquent des taux de fret beaucoup plus bas que ceux pratiqués à partir d'ici.
Le président: Votre réponse suscite une question. Je croyais que la raison pour laquelle le gouvernement du Canada ne voulait pas agir à cet égard, à moins qu'un ou plusieurs autres pays importants n'agissent, c'était parce qu'il existe un genre de processus universel auquel le Canada ne voulait pas se soustraire; or, vous dites maintenant que ce n'est pas le cas, mais que ce sont certains pays seulement qui font partie de ce système de cartel. Est-ce bien cela?
M. Leblanc: Ce cartel particulier fonctionne seulement à partir du Canada, mais il fait partie également d'un autre organisme appelé le Trans-Pacific Westbound Rate Agreement, le TWRA; il s'agit en fait de la même entité qui fonctionne à partir de l'Amérique du Nord jusqu'en Asie. Il n'y a pas nécessairement de cartel dans tous les pays du monde pour l'Asie. Les cartels ne sont pas un phénomène universel. Ils n'existent que lorsque leurs dirigeants pensent pouvoir faire un choix et réaliser de meilleures recettes.
Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit que le Canada ne prend pas de mesures pour ne pas perturber un certain processus international.
M. Hackett: Ce n'est pas ce que nous disons.
M. Leblanc: C'est ce que le gouvernement prétend. En fait, ce que le gouvernement dit c'est que, tant que les États-Unis ne s'en débarrasseront pas, il ne prendra aucune mesure.
Le président: C'est exactement la question que je voulais poser, car, dans son témoignage, M. Hackett a parlé d'un autre grand pays commerçant. J'imagine que vous vouliez parler des États-Unis dans ces cas-là?
M. Hackett: M. Mulder m'a en fait dit: «Les États-Unis, le Royaume-Uni ou Bruxelles».
M. Mueller: Une commission d'examen de la Loi sur les transports nationaux s'est penchée sur la Loi dérogatoire sur les conférences maritimes et a recommandé que cette loi soit abolie dès que les États-Unis prendront pareille mesure. Ces recommandations ont été présentées au comité des transports de la Chambre des Communes. Ce comité les a examinées sous un autre angle et la portée de l'expression est devenue plus vaste: «Si soit les États-Unis, soit d'autres grands pays commerçants, prennent pareille mesure».
Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit que l'expédition à partir du Canada revient à 90 $ la tonne et, à partir de l'Afrique du Sud, à 60 $ la tonne. Si la dérogation prévue par la Loi dérogatoire sur les conférences maritimes était abrogée, y aurait-il d'autres coûts? Y aurait-il toujours une disparité et serait-elle fondée sur autre chose? En d'autres termes, le taux de 90 $ baisserait sans nécessairement arriver à 60 $?
M. Leblanc: Si aucune collusion n'était possible, je pourrais certainement arriver à un taux plus bas, peut-être pas 60 $ la tonne, mais à un taux s'en rapprochant.
Le sénateur Andreychuk: Ils auraient toujours un avantage concurrentiel?
M. Leblanc: Oui, car ils n'ont pas de cartel à partir de l'Afrique du Sud.
M. Hackett: Dans cette situation, vous diriez à la ligne maritime desservant le Canada: «Si vous voulez faire affaire ici, vous devez m'offrir un taux égal à celui de l'Afrique du Sud ou un taux s'en rapprochant.» Dans un régime de cartel, c'est impossible.
Le sénateur De Bané: Deux éléments semblent indiquer que les conférences ne sont pas si puissantes. Tout d'abord, l'augmentation réelle des taux au cours des dix dernières années a été tout à fait modérée. Ensuite, elles ont souvent annoncé des augmentations de taux, mais n'ont pas été en mesure de les maintenir. Vous semblez avoir beaucoup de pouvoir, parce que, bien qu'elles aient annoncé ces augmentations peut-être quatre ou cinq fois dans l'année, de toute évidence, vous ne vous êtes pas laissé intimider et elles n'ont pas été en mesure de maintenir leurs prix. Par conséquent, il suffit d'examiner les dix dernières années pour s'apercevoir que les augmentations de prix ont été très modérées.
M. Leblanc: Pour commencer, si vous voulez examiner un cycle de dix ans, je peux vous donner les prix que je pratiquais pour mon produit il y a dix ans; ils étaient plus élevés qu'aujourd'hui.
Le sénateur De Bané: C'est le résultat de l'examen de ces prix par le gouvernement.
M. Leblanc: Je veux dire qu'il y a dix ans, le prix de la tonne d'amiante était plus élevé en Asie. Je ne parle pas ici des coûts de transport, mais simplement de notre produit. Le cycle économique était tel que, en raison de la concurrence et cetera les prix étaient abaissés. En d'autres termes, leurs taux, comme pourcentage de nos coûts de transport, ont en fait augmenté ces dix dernières années, parce que la valeur de notre produit a diminué.
Si l'on examine la situation des cinq dernières années, on s'aperçoit qu'ils se sont emparés d'une part beaucoup plus importante du marché. Il y a de moins en moins de lignes hors conférence pour ce qui est des échanges avec de la région de l'Asie-Pacifique. Un nouveau phénomène est apparu: beaucoup de transporteurs partagent un seul navire; il y a donc plusieurs transporteurs sur un seul navire, ce qui favorise également cette collusion.
Le sénateur De Bané: Êtes-vous en train de dire que puisque la demande pour l'amiante est moins forte et que le prix de l'amiante a baissé, ils devraient également abaisser leurs taux?
M. Leblanc: En fait, ces dix dernières années, la demande pour l'amiante a augmenté en Asie. C'est la concurrence de la Russie qui pose un problème.
Le sénateur De Bané: Vous établissez toutefois un rapport entre le prix du marché de l'amiante et le prix qui vous est imposé pour le transport. Avec tout le respect que je vous dois, c'est à mon avis une fausse conclusion.
M. Hackett: Ces dix dernières années, les navires sont devenus beaucoup plus efficaces; ils sont beaucoup plus grands et leur équipage est moins nombreux, puisqu'il se compose de 14 ou 17 personnes dans le cas d'un navire transportant 6 000 conteneurs; il y a 10 ans, il fallait quatre navires pour transporter 6 000 conteneurs. Ces genres de questions n'ont pas eu d'effet, mais il serait faux de dire que les expéditeurs sont impuissants; bien sûr, nous avons une certaine influence. Si nous nous retirons du marché, car ce n'est tout simplement pas rentable pour nous de faire de telles expéditions, et cela arrive à l'occasion, les lignes maritimes viennent nous annoncer qu'elles vont baisser leurs taux. Mais ce sont les expéditeurs marginaux et moyens qui en souffrent et notamment les innombrables petits expéditeurs. Je ne cesse de me dire que mon rôle consiste en partie à représenter les petits expéditeurs, mais le fait est que, conjointement, les petits expéditeurs sont, dans de nombreux cas, plus importants que les gros.
M. Mueller: J'aimerais vous donner un exemple. Au cours des dix dernières années les coûts d'exploitation des lignes maritimes ont chuté considérablement suite à la modernisation et à la rationalisation. Les taux de fret, toutefois, se sont encore accrus et ont tendance à fluctuer en fonction du volume des échanges.
Le sénateur De Bané: Si je suis votre raisonnement, en utilisant l'exemple de Coca-Cola, il est évident que leurs embouteilleurs sont plus efficaces aujourd'hui qu'il y a 15 ans, mais cela n'a pas empêché le prix de monter.
M. Mueller: Il y a dix ans, la plupart des lignes maritimes perdaient de l'argent alors qu'aujourd'hui c'est le contraire. Si vous prenez l'exemple qui a été présenté ici au sujet du CWRA, il se peut que le taux de fret réel soit inférieur ou légèrement supérieur à ce qu'il était il y a dix ans, mais nous avons maintenant tout un éventail de surcharges distinctes qui s'ajoutent au taux de fret dans bien des cas.
M. Hackett: Je me trompe peut-être, sénateur, mais j'ai l'impression que l'analyse que vous avez porte peut-être sur le taux de fret maritime sans tenir compte peut-être de toutes les surcharges supplémentaires qui sont imposées.
Le président: Je suppose que l'on s'est penché sur ces phénomènes. Ai-je raison? Dans l'affirmative, vous pourriez vous fournir ultérieurement des données qui appuieraient un point de vue ou l'autre?
M. Mueller: Comme nous l'avons dit, nous avons une étude sur les coûts de transport pour l'industrie agricole américaine que nous avons utilisée comme exemple; on y parle de 18 p. 100 de l'ensemble des coûts de transport. Le Canadian Shippers' Council ne possède pas d'étude sur l'évolution réelle des coûts de transport au Canada à partir d'une gamme de produits régionale à une gamme de produits.
Le président: Vous avez de toute évidence fait des efforts pour changer la situation et si rien ne se fait c'est que le Canada ne veut pas faire cavalier seul; mais est-ce que je me tromperais en supposant qu'il y a à Ottawa un puissant lobby efficace de propriétaires de navires ou d'exploitants de lignes?
Le sénateur Grafstein: Et à Washington.
M. Hackett: Et à Bruxelles. Je sais fort bien qu'il existe un puissant lobby comprenant à la fois des avocats et des gens qui se consacrent précisément à cette tâche.
Le président: Mais il y a aussi un lobby efficace au Canada si je ne m'abuse?
M. Hackett: Je ne peux répondre dans le cas du Canada.
M. Mueller: Eh bien! Les conférences ont créé un lobby assez fort et je crois qu'un de vos sénateurs y a beaucoup participé en ce qui a trait au transport.
Le président: Pas un membre de notre comité?
M. Mueller: Il a déjà fait partie de la firme Stikeman, Elliot.
Le sénateur De Bané: David Angus.
M. Mueller: Son entreprise a travaillé longtemps pour les conférences.
Le président: Nous n'aurons donc pas besoin d'aller très loin pour trouver un témoin.
M. Mueller: J'aimerais citer deux ou trois déclarations de John Snow, le premier dirigeant de CSX Corporation, qui possède Sea-Land Services. Sea-Land est le plus grand transporteur de conteneurs aux États-Unis et compte parmi les plus importants dans le monde. Dans une récente entrevue qu'il a accordée à Jane Boyes, voici ce qu'il a dit:
... les conférences empêchent l'industrie de prendre de sages décisions fondées sur les coûts et perturbent l'économie d'entreprise de même que le fonctionnement du marché.
M. Snow est également le premier dirigeant, indirectement, de l'une de ses filiales; il est donc un transporteur très important. Selon Mme Boyes, le point le plus important est le suivant:
... M. Snow estime également que les conférences empêchent les transporteurs et leurs clients d'établir des partenariats mutuellement avantageux. «Le système des conférences jette un voile entre les expéditeurs individuels et les transporteurs individuels.»
Et je crois qu'il résume là la situation.
M. Hackett: Cela décrit exactement notre situation.
M. Mueller: Sea-Land a participé au processus qui s'est déroulé aux États-Unis dans le cas de l'Ocean Shipping Deregulation Act. La loi est passée par la Chambre des représentants et s'est rendue au Sénat, mais les élections ont empêché qu'elle fasse l'objet d'un vote. Si la loi avait été adoptée, leur règlement semblable au nôtre, qui régit le transport maritime, aurait été abrogé.
Le président: Je n'avais pas pensé qu'il existait toujours un important vestige du mercantilisme, mais c'est bien le cas.
La séance est levée.