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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 20 - Témoignages - Séance de l'après-midi


VANCOUVER, le jeudi 6 février 1997

Reprise de la séance.

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 14 heures pour examiner l'importance croissante de la région de l'Asie-Pacifique pour le Canada, et faire rapport sur la question, en prévision de la conférence de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) qui se tiendra à Vancouver l'automne prochain, l'année 1997 étant l'année de l'Asie-Pacifique au Canada.

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous allons commencer cet après-midi par un groupe de l'Alliance des manufacturiers et exportateurs du Canada. Nous recevons Mme Sandy Ferguson, et je lui demanderais de nous présenter ses collègues. Comme vous pourrez le constater, c'est un groupe diversifié.

Mme Sandy Ferguson, vice-présidente, Alliance des manufacturiers et exportateurs du Canada: Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de comparaître devant votre comité aujourd'hui. Hier et ce matin, vous avez eu l'occasion d'entendre différents intervenants, notamment des représentants des milieux d'affaires que nous représentons également ici aujourd'hui. L'Alliance des manufacturiers et exportateurs du Canada a été créée à la suite de la fusion récente de l'Association des manufacturiers canadiens et de l'Association des exportateurs canadiens. Notre association représente les intérêts des manufacturiers et de ceux qui font du commerce international.

Nous avons le mandat d'améliorer la compétitivité de l'industrie canadienne et d'augmenter la croissance des exportations. Nous offrons toute une gamme de services très variés, notamment la défense des intérêts et des activités de lobbying. Nous avons plus de 3 000 membres au Canada, dont environ 250 sont parmi les principaux manufacturiers et exportateurs à valeur ajoutée ici dans la province de la Colombie-Britannique.

Vous avez déjà entendu aujourd'hui le témoignage de Win Stothert et de John MacDonald, deux de nos membres, de sorte qu'on vous a déjà parlé de la technologie. Notre groupe mettra l'accent sur certains autres secteurs d'importance pour l'économie de la Colombie-Britannique.

La division de la Colombie-Britannique est reconnaissante d'avoir l'occasion de s'adresser à votre comité. Vous entendrez l'alliance en Ontario le mois prochain, mais nous croyons, comme la plupart des gens de la Colombie-Britannique, que notre organisation ici a des caractéristiques distinctes et uniques qui représentent le caractère unique de la Colombie-Britannique.

Dans mon introduction, je me limiterai à quelques remarques que je vais faire à titre de vice-présidente de l'alliance. J'aimerais ensuite laisser la parole à nos membres, dont l'expérience et les intérêts dans le domaine sont très variés. Ils représentent différents secteurs et des entreprises de différentes tailles, de sorte qu'ils pourront vous donner une bonne idée de ce que fait la Colombie-Britannique dans le domaine du commerce international.

Au cours de la dernière journée et demie, avez-vous été inondés de statistiques et de données sur nos exportations vers la région de l'Asie-Pacifique?

Le président: Je pense que l'on peut dire que nous avons toute cette documentation sur papier.

Mme Ferguson: En ce qui concerne le commerce, l'économie de la Colombie-Britannique est assez différente de celle du reste du Canada. Les États-Unis représentent environ 50 p. 100 de notre marché par rapport à 80 p. 100 dans le reste du Canada. Les pays de la région du Pacifique, la région de l'Asie-Pacifique, représentent environ 37 p. 100 du commerce total de notre province, qui s'élève à environ 26,9 milliards de dollars, dont 607 millions de dollars sont ce que nous appelons des produits à valeur ajoutée exportés vers les pays de la région du Pacifique. Nous sommes toujours axés sur les produits de base et les ressources dans notre province. Il est important de se rappeler qu'une bonne partie de notre croissance, bon nombre de nos nouveaux emplois et une bonne partie de nos innovations proviennent des petites et moyennes entreprises. En Colombie-Britannique, c'est la plupart d'entre nous, sauf pour les grandes sociétés de ressources naturelles.

Bien qu'il soit vrai que nous sommes la porte d'entrée sur l'Asie-Pacifique, en moyenne nos entreprises ont tendance à être plus petites, à moins compter sur l'aide gouvernementale et à être peut-être plus axées sur les services que les entreprises du centre du Canada.

On a par ailleurs un sentiment d'isolation, qui est réel et qui est vrai, par rapport au centre dans le domaine de l'économie et des politiques, comme l'a soulevé le sénateur Carney, qui est une excellente observatrice de la Colombie-Britannique. Il faut le reconnaître, c'est une question qui doit être abordée. Je n'en dirai pas davantage à ce sujet.

Votre comité sénatorial voyage dans tout le pays en partie pour promouvoir l'année de l'Asie-Pacifique au Canada et faire des recommandations relativement à la conférence prochaine de l'APEC. Il s'agit d'une occasion unique pour nous, en Colombie-Britannique, de briller. L'APEC ne devrait pas se limiter à un petit noyau d'entreprises et d'intervenants d'élite qui se trouvent surtout dans le centre du Canada. Les thèmes de l'entreprise, des jeunes et de la culture ont soulevé des attentes pour ce qui est des retombées en général. Au cours de la prochaine année, il sera très important d'avoir un processus transparent et que tous les intervenants aient l'impression d'être inclus dans le processus.

L'automne dernier, nous avons eu une table ronde très intéressante au cours de laquelle nous avons parlé de la façon dont nous pourrions améliorer la compétitivité de la Colombie-Britannique en nouant des alliances avec la région de l'Asie-Pacifique. À l'exception de quelques grandes entreprises, presque tous nos intervenants sont des petites et moyennes entreprises. Toute la question entourant l'éducation et la formation a été un thème majeur: que faisons-nous pour former et aider nos exportateurs? Malgré le fait que nous soyons inondés d'information, il y a beaucoup de confusion. Les gens ne savent pas très bien où s'adresser et qui offre quoi.

Le financement est toujours une question clé. L'alliance a fait beaucoup de travail pour voir comment nous pourrions assurer un meilleur appui financier. La Société pour l'expansion des exportations a fait des progrès extraordinaires pour ce qui est de l'appui qu'elle offre. Nous voulons voir davantage ce genre de choses. Nous devons continuer à travailler avec les institutions financières et encourager des programmes gouvernementaux qui peuvent offrir une bonne infrastructure à nos entreprises.

Le coût pour faire des affaires en Colombie-Britannique est élevé. Nous avons les taux d'imposition les plus élevés du pays. C'est la seule province qui ait un impôt sur les machines et le matériel aussi punitif pour l'investissement. Nous avons besoin d'investissements si nous voulons poursuivre nos activités commerciales.

Je ne parlerai pas de la question de l'accès aux marchés. Nous en parlons dans notre rapport. Les représentants des entreprises présents aujourd'hui vous parleront de leurs expériences visant à améliorer leur accès aux marchés dans la région de l'Asie-Pacifique. Les missions commerciales à l'étranger sont efficaces pour ouvrir des portes aux entreprises, même si on remet en question leur efficacité pour les petites et moyennes entreprises. Il faudrait examiner les retombées directes pour chaque entreprise.

Les délégués commerciaux au Canada ont joué un excellent rôle. Nous avons un excellent service à l'étranger, mais il y a de la place pour l'amélioration; notamment, on pourrait garder les délégués commerciaux en place plus longtemps. En Asie, au bout de trois ans, on commence à peine à se faire un nom. En trois ans, on commence à peine à entendre, savoir et découvrir ce qui se passe. Quatre, cinq ou même six ans, ce n'est pas une période trop longue dans ces marchés.

J'aimerais maintenant vous présenter M. Brian Young, le vice-président de la Division internationale du Groupe UMA, une entreprise de génie-conseil au Canada. J'ai distribué des exemplaires du curriculum vitae de Brian. Aujourd'hui, il porte deux chapeaux. Il est représentant du Groupe UMA et président du comité des exportations de Consulting Engineers of British Columbia.

M. Brian Young, vice-président, Division internationale, Groupe UMA; président du comité des exportations de Consulting Engineers of British Columbia: Monsieur le président, comme Mme Ferguson l'a mentionné, je porte deux chapeaux. Lorsque je me suis préparé à venir vous rencontrer, j'ai eu l'occasion d'aborder avec un certain nombre de nos collègues exportateurs de Consulting Engineers of British Columbia certaines des questions et des expériences qu'ils voulaient vous transmettre. Je ne vous présenterai donc pas ici nécessairement le point de vue du Groupe UMA. Je tenterai plutôt de consolider une expérience diverse, non seulement en Asie, mais aussi ailleurs. Je sais que vous vous intéressez surtout à l'Asie, mais bon nombre de nos préoccupations relatives aux activités d'exportation peuvent tout aussi bien s'appliquer à d'autres régions du marché.

Une des questions qui ont fait l'unanimité lorsque nous avons abordé ce programme, c'est que le gouvernement est sur la bonne voie en séparant le commerce d'autres objectifs, les objectifs de justice sociale et les objectifs environnementaux. Nous nous en réjouissons. Nous encourageons le gouvernement à continuer sur cette voie.

Avant d'aborder des points bien spécifiques, il conviendrait peut-être de vous donner un aperçu du secteur du génie-conseil. Je sais que vous entendrez les témoignages de différents représentants de l'éventail social. Mes observations aujourd'hui porteront sur l'industrie du génie-conseil, et peut-être que si je vous donne un aperçu de ce secteur, particulièrement en Colombie-Britannique, vous les garderez à l'esprit lorsque vous entendrez mes remarques, car elles ne refléteront pas nécessairement la position des manufacturiers.

Le secteur du génie-conseil est surtout axé sur les étapes initiales des projets. Nous faisons beaucoup d'études de pré-investissement. Nous travaillons alors à l'étape de la conception. Le projet n'a pas encore été lancé. Nous avons à un moment donné un rôle à jouer à l'étape de la mise en oeuvre, mais notre rôle principal est à l'étape de la conception. Dans une certaine mesure, nous sommes des pionniers dans le processus du développement.

En 1995, les services d'exportation dans le secteur du génie-conseil au Canada totalisaient environ 2,6 milliards de dollars. La part de la Colombie-Britannique, soit environ 15 p. 100, s'élevait à 390 millions de dollars.

Parmi les pays de l'OCDE, le Canada se place au quatrième rang pour ce qui est du volume des honoraires d'expertise dans les exportations. Si on traduit ce volume en volume par habitant, nous arrivons en deuxième place, derrière la Hollande.

Les coûts du génie-conseil représentent habituellement entre 5 et 10 p. 100 de la valeur en capital des projets. Si on traduit les revenus d'honoraires que nous avons exportés en 1995 en valeur en capital, on s'aperçoit que nous sommes un secteur qui doit être reconnu: entre 26 et 30 milliards de dollars en valeur en capital sont générés par les compétences et les capacités des ingénieurs ici au pays.

Toutes les entreprises d'experts-conseils en Colombie-Britannique qui exportent sont en fait actives dans les pays de l'Asie. D'autres couvrent les pays de la région du Pacifique via l'Amérique latine, et il y a un intérêt certain dans les pays de l'Europe de l'Est et de l'Afrique. Nous avons du mal à mettre le doigt sur des problèmes communs spécifiques. Souvent, lorsqu'une entreprise a des difficultés, c'est peut-être une question de mauvais jugement ou de mauvaise préparation. Par conséquent, je ne suis pas certain que nous ayons un très grand nombre de problèmes bien identifiés.

Nous avons cependant deux grandes préoccupations territoriales. L'une est la Chine et l'autre l'Indonésie. Nous avons des problèmes à concilier le commentaire officiel et le commentaire non officiel au sujet des échanges avec la Chine. De nombreuses pressions s'exercent sur le secteur privé pour qu'il fasse du commerce avec la Chine. Le pays n'a aucun code fiscal, aucune loi commerciale et est plutôt instable. Les contrats ne valent rien lorsqu'ils sont signés.

Ma propre société tente depuis environ huit ans de s'établir en Chine et d'y faire des affaires. Nous n'avons rien gagné, si ce n'est beaucoup de peines, d'ennuis et de pertes financières. Nous avons tenté toutes sortes d'initiatives pour mettre à l'essai différentes approches, et ce, sans succès.

L'an dernier, nous avons pris la décision consciente de nous retirer de la Chine, de ne pas retourner dans ce pays tant qu'il n'y aurait pas une protection fondamentale des droits commerciaux.

Lorsqu'on voit ce qui arrive aux plus grandes entreprises -- je pense immédiatement à des entreprises comme McDonald -- j'estime que nous sommes tout à fait justifiés. Je parle avec certains de mes collègues, et pas seulement dans le secteur du génie-conseil. Officieusement, ils ont de très graves réserves, mais officiellement ils disent: «Oui, nous allons en Chine. Nous tentons de faire des affaires en Chine.» Lorsqu'on va vraiment au fond des choses, on a l'impression que le gouvernement les pousse indirectement. Ils se sentent obligés de faire quelque chose.

À long terme, cela n'est pas sain pour les objectifs d'exportation du Canada. Je n'ai pas de solution toute faite. Cependant, je soulève la question comme étant une préoccupation générale, et non pas uniquement du groupe UMA. Il semble qu'il y ait un problème de communication concernant les objectifs et les réalités.

Pour diverses raisons, nous avons les mêmes préoccupations au sujet de l'Indonésie. Le fiasco dans l'affaire Bre-X a rendu tout à fait transparentes certaines des pratiques du gouvernement de ce pays qui reviendront hanter ceux qui détiennent le pouvoir aujourd'hui. Je crois que 50 p. 100 de la population a moins de 25 ans; la plupart sont sans emploi et bon nombre analphabètes, contrairement à l'autre moitié de la population. Pour moi et pour d'autres cela semble être un passeport pour l'agitation civile. En fait, nous commençons déjà à constater que c'est le cas. Ceux qui investissent dans ce pays n'auront pas la vie facile plus tard. Certains de mes collègues, avec lesquels j'ai tendance à être d'accord, ne seraient pas surpris si une guerre civile éclatait là-bas au cours des cinq prochaines années.

Nous avons une politique gouvernementale qui a tendance à encourager la pénétration de ce marché, et pourtant la situation est très volatile, très instable, et nous sommes d'avis que cela représente un risque considérable pour les investisseurs canadiens.

Nous assistons à un revirement important du financement des projets qui auparavant étaient assurés par le secteur public et pour lesquels il y a de plus en plus de possibilités dans le secteur privé. En 1995, le secteur du génie-conseil en Colombie-Britannique générait 37,5 p. 100 de ses recettes à partir du secteur privé étranger. Je réalise que cela comprend les États-Unis. Certains de nos membres, en raison de leur structure d'entreprise, ont tendance à traiter les États-Unis comme une province canadienne, mais d'autres les considèrent comme un marché d'exportation. Le pourcentage élevé reflète l'inclusion des États-Unis.

Cette augmentation subite du financement provenant du secteur privé crée des possibilités pour les investisseurs sur les marchés naissants. Typiquement, ces investisseurs sont beaucoup moins avertis que leurs homologues du monde occidental. On demande aux experts comme les nôtres de faire des études de pré-investissement, et l'incitatif merveilleux, c'est que, si le projet va de l'avant, ils seront payés. Ce que l'on oublie ici, c'est que c'est notre métier que de donner des conseils de pré-investissement; nous y avons investi beaucoup d'argent, et c'est un travail pour lequel nous devrions être remboursés. Essentiellement, c'est notre produit.

Le programme bilatéral de l'ACDI devient de moins en moins pertinent pour les entreprises d'ingénierie. Nous faisons partie de ce qu'ils appellent le secteur à but lucratif, et on a tendance à s'éloigner de ce qui demande considérablement d'ingénierie.

Le programme de coopération industrielle de l'ACDI est un outil important qui permet aux secteurs de la fabrication et de la construction de miser sur l'accès aux marchés d'exportation. Ce programme a également été exploité par les experts-conseils. Nous estimons que dans le climat mondial des capitaux, qui change constamment, il est déconnecté de certaines des réalités du marché. Je reviens ici à la question du risque auquel, en tant que secteur du génie-conseil, nous nous exposons lorsque nous faisons des études de pré-investissement que nous finançons nous-mêmes pour les investisseurs du secteur privé, particulièrement sur les marchés naissants.

Nous aimerions que le gouvernement repense sa politique dans ce domaine. Les ambassades jouent un rôle très important pour nous. Elles permettent au Canada d'avoir pignon sur rue. Malheureusement, le calibre du personnel qui se succède n'est pas toujours constant. Cela envoie le mauvais message. Il serait inapproprié pour moi de mentionner le changement incroyable au niveau de notre réputation au Mexique. C'est époustouflant. Il y a deux ou trois ans, il y avait là-bas une équipe dynamique, axée sur le commerce. Elle semble s'être évaporée. Il est regrettable qu'un de nos principaux partenaires commerciaux dans l'ALÉNA nous considère comme un allié parce qu'il semble que nous ayons un «ennemi» commun. Cela ne nous aide pas lorsque nous avons une représentation inefficace.

Le contraste entre les ambassades est extraordinaire. Le principal problème, c'est le manque d'uniformité au sein de la délégation. Si les équipes étaient constamment médiocres, au moins le pays aurait la possibilité de se familiariser avec le service qui est offert. Cependant, si on passe d'une équipe très dynamique à une équipe très passive, cela ne nous aide pas beaucoup. Nous aimerions que le ministère des Affaires étrangères s'attaque à certains de ces problèmes qu'on retrouve un peu partout dans les pays d'Asie.

L'exportation est de plus en plus une nécessité pour la survie des sociétés d'experts-conseils. Nos marchés diminuent au Canada. Si nous voulons croître dans ce secteur, nous devons nous mondialiser. Bon nombre de mes collègues dans le secteur du génie-conseil établissent encore leurs stratégies internationales autour de projets. Ma société est en train de s'éloigner de ce concept pour se concentrer davantage sur les projets axés sur l'investissement. Ces derniers sont naturellement importants pour notre survie financière, mais nous songeons à acquérir des entreprises locales, à embaucher du personnel local, qui feront partie du Groupe UMA. En d'autres termes, nous cherchons à devenir une société mondiale.

Le gouvernement pourrait à notre avis prendre l'initiative d'encourager les gens à faire cela. Nous profitons du programme Renaissance Europe. Je crois que c'est la voie que les entreprises canadiennes doivent prendre. Nous aurons besoin de l'appui du gouvernement à mesure que nous chercherons à exploiter cette possibilité.

Le Groupe UMA est une entreprise d'ingénierie assez importante, qui possède des intérêts dans le domaine de la construction. Cette année, nos recettes s'élèveront à plus de 150 millions de dollars, dont environ 75 millions proviendront de la construction. Le reste provient des services de technologie ou d'ingénierie. Nous travaillons à l'étranger depuis environ 30 ans. Nous dépendons considérablement du financement de l'ACDI pour notre expérience de base, mais nous tentons de nous sevrer, car nous considérons qu'il y a de moins en moins de possibilités pour nous de ce côté-là.

Cela étant dit, j'aimerais mentionner certaines recommandations spécifiques qui sont sorties de nos discussions. Nous aimerions qu'une nouvelle procédure soit établie au ministère des Affaires étrangères concernant la sélection du personnel affecté dans les ambassades, particulièrement dans les bureaux commerciaux, afin d'assurer une norme de service uniforme. Nous reconnaissons qu'il y a des problèmes liés à la distribution du personnel. La gestion des ressources humaines n'est pas aussi souple dans la fonction publique que dans le secteur privé, et nous reconnaissons cet obstacle. Ces bureaux commerciaux sont très importants, car ils nous donnent pignon sur rue, et nous croyons que nous avons le droit de nous attendre à une certaine uniformité à cet égard.

Le financement des projets à but lucratif dans le cadre des programmes bilatéraux de l'ACDI devrait passer par les fonds de fiducie de l'institution de financement international. Ce serait un financement à modalités contraignantes, de sorte que seul le Canada pourrait en profiter. Cela serait l'une des façons les plus efficaces de compenser les activités d'aide technique par l'achat de produits et de divers services. Ce système serait beaucoup plus efficace que celui qui est en place à l'heure actuelle.

Le gouvernement du Canada devrait revoir ses programmes à frais partagés par l'intermédiaire de l'ACDI et de ses divers ministères pour faire en sorte que les experts-conseils puissent tout au moins recevoir un profit modeste assorti d'une augmentation de remboursement. À l'heure actuelle, la formule de partage des coûts varie d'un organisme à l'autre, mais le fait qu'il y ait partage des coûts présente de nombreux risques pour le secteur des experts-conseils.

Comme je l'ai déjà mentionné, la marge de profit de notre secteur n'est pas très élevée. Nous ne faisons pas d'énormes réserves de profits sur lesquelles nous pouvons spéculer pour les revenus futurs. Les manufacturiers et le secteur de la construction au Canada ont une marge de profit énorme, jusqu'à 10 ou 15 fois le montant investi, selon le genre de projet.

Nous estimons que nous méritons une considération spéciale pour ce qui est de l'appui de l'ACDI, mais en même temps nous voudrions encourager l'ACDI à conclure des contrats qui sont beaucoup plus exigeants, qui exigeraient même le remboursement total du montant avancé pour un projet qui va de l'avant et qui est mis en oeuvre. À l'heure actuelle, cela se limite essentiellement à un demi de 2 p. 100 de la valeur d'un contrat. Cela est négligeable et ne génère pas beaucoup de revenus pour l'ACDI.

Les crédits d'impôt à la recherche et au développement sont sans doute justifiés pour des entreprises qui entreprennent des études de pré-investissement pour des clients à l'étranger lorsqu'ils ne profitent pas des services de promotion commerciale du gouvernement canadien, particulièrement des services financiers.

L'aspect exportation des services d'experts-conseils génère une richesse nette pour le Canada. Le Canada est une économie basée sur les services, et bon nombre de ces services sont des services internes. Nous contribuons à la richesse et nous aimerions avoir un ou deux incitatifs. Lorsque nous spéculons avec nos ressources, ce serait bien d'avoir un certain rendement. Cela étant dit, monsieur le président, je termine mon plaidoyer.

Mme Ferguson: À la suggestion du président, nous avons pensé vous présenter d'abord tous nos exposés et réserver toutes les questions pour la fin, à moins que quelqu'un n'ait un point important à soulever maintenant.

L'intervenant suivant, M. Clem Pelletier, est diplômé de l'Université de la Saskatchewan. En Colombie-Britannique, bien des gens proviennent des Prairies, et c'est notamment mon cas. M. Pelletier a un baccalauréat en chimie. Il a travaillé aux États-Unis et au Canada pendant un certain nombre d'années. Il a travaillé pour de grandes multinationales et est maintenant président d'une entreprise dynamique et active, Rescan Group Inc. Il vous parlera plus en détail de divers programmes et projets de son groupe, qui compte des ingénieurs en environnement, des chimistes, des géologues, des biologistes et des hydrologistes. En Colombie-Britannique, nous avons de nombreux petits exportateurs de services qui sont très actifs, et l'entreprise de M. Pelletier vous donnera une bonne idée des alliances stratégiques qui sont en train de se nouer, de certaines stratégies innovatrices et de certains défis et obstacles réels auxquels doivent faire face ces entreprises qui veulent s'élargir et passer à l'étape suivante.

M. Clem Pelletier, président, Rescan Environmental Services Ltd.: Monsieur le président, honorables sénateurs, je suis très heureux de comparaître devant le comité aujourd'hui pour vous donner mon avis sur le rôle que peut jouer le gouvernement canadien pour surmonter les barrières commerciales et aider les petites entreprises désireuses de participer au commerce extérieur.

Je suis un agriculteur de la Saskatchewan et je parle français. J'ai déjà travaillé pour une grande société. J'ai débuté chez Inco, à Thompson et j'ai ensuite déménagé en Colombie-Britannique. Je représente une petite entreprise, car nous ne sommes pas une grande société comme UMA.

En 1981, j'ai créé la société Rescan, acronyme pour Ressources Canada, laquelle offre des services dans l'industrie minière.

Pourquoi ai-je renoncé à un bel avenir au sein d'une grande société? Je mourais d'envie d'être mon propre patron. Toutefois, je n'avais pas idée du nombre de problèmes auxquels je serais confronté après avoir renoncé au confort d'une grande société.

J'ai financé mon entreprise grâce à un petit prêt consenti par la Banque Toronto-Dominion, laquelle a exigé en nantissement une deuxième hypothèque sur ma maison. J'ai également dû attribuer mes comptes débiteurs. Je pensais que la banque faisait tout son possible pour me mettre des bâtons dans les roues lorsque j'ai créé cette entreprise. Je dois dire que nos rapports se sont améliorés aujourd'hui. La banque m'a vraiment aidé, mais j'ai eu beaucoup de difficulté à lancer ma propre entreprise, et c'est ce dont j'aimerais vous parler aujourd'hui. J'ai écouté les propos de M. Young. Nous partageons bon nombre d'intérêts, mais je tiens à parler surtout de la petite entreprise.

Rescan se compose de deux sociétés, Rescan Environmental Services, qui est en activité depuis 16 ans à partir de Vancouver, et Rescan Engineering, en activité depuis trois ans. Le chiffre d'affaires combiné de l'entreprise atteint environ 16 millions de dollars par an. La société emploie 130 professionnels et employés de soutien à Vancouver.

Des deux sociétés, Rescan Environmental Services est la plus active sur les marchés étrangers depuis sa constitution en société en 1981. Son premier projet important était un projet minier entrepris aux Philippines en 1981. Depuis, nous avons mené nos activités dans cinq continents et sommes actuellement très actifs en Asie du Sud-Est, en Amérique du Sud et, dans une moindre mesure, au Moyen-Orient. Nous avons dernièrement ouvert des bureaux à Lima, au Pérou, et à Antofagasta, au Chili. Dans ce pays, nous avons construit un laboratoire environnemental dans le cadre d'une coentreprise avec une autre société vancouveroise, et, pour mener à bien ce projet, nous avons obtenu de l'aide du gouvernement, par le biais de l'ACDI, pour la première fois. Nous avons bâti notre entreprise sans recevoir d'aide de quiconque.

L'ACDI nous a fourni des fonds pour faire une étude de marché et nous a ensuite fourni de l'aide au titre du transfert de la technologie canadienne, pour la formation locale. Cela nous a été très utile. En cette occasion, les responsables de l'ACDI ont communiqué avec nous et nous ont dit qu'ils souhaitaient nous aider, puisque nous n'avions jamais reçu la moindre aide par le passé. Cela a été très utile.

Pour les petites entreprises, la mobilisation et le maintien des capitaux dans la société constituent un des principaux problèmes. Il nous faut des capitaux pour élargir nos activités et créer des emplois. C'est sur ce point que porteront mes remarques.

Lorsqu'on conclut un partenariat avec un pays étranger, surtout en Asie, il faut examiner son bilan. La question des bénéfices non répartis des petites entreprises est l'un des principaux problèmes qui se posent dans les coentreprises étrangères. Par rapport à d'autres pays, les sociétés privées canadiennes ont en général des bénéfices non répartis moins importants. C'est dû tout simplement à la fiscalité canadienne. Dans bon nombre de pays d'Asie, le taux d'imposition des sociétés est de 10 à 15 p. 100, de sorte que les entreprises ont accumulé un capital important.

Compte tenu du régime de l'impôt sur les sociétés en vigueur au Canada, des primes importantes sont versées aux propriétaires. Le taux d'imposition réel des sociétés dans notre pays est de 45 p. 100, ce qui signifie que 45 cents par dollar vont au gouvernement, et l'actionnaire perçoit ensuite des dividendes sur les 55 cents qui restent au taux d'imposition des dividendes de 37 p. 100, ce qui donne un taux d'impôt réel de près de 65 p. 100.

Les petites entreprises ne procèdent pas ainsi. Au Canada, couramment, les bénéfices sont versés aux actionnaires et le taux d'imposition maximal des particuliers en Colombie-Britannique est de 54,7 p. 100. Effectivement, cela représente un avantage de 10 p. 100. Dans ce cas-là, la gestion est axée sur l'aspect fiscal plutôt que commercial. Par conséquent, les petites entreprises canadiennes n'accusent que bien peu de bénéfices non répartis. Par rapport à leurs concurrents étrangers, les entreprises canadiennes sont financées grâce à un rapport actif/passif plus élevé. Le passif est d'ordinaire constitué de prêts contractés auprès des actionnaires et des banques. Pour les petites entreprises, l'impôt est de 22 p. 100 sur 200 000 $ de bénéfices non distribués imposables. Pour une entreprise dont le chiffre d'affaires se situe en 10 et 20 millions de dollars, 200 000 $ c'est bien peu. C'est presque négligeable. Le reste des bénéfices est réparti de sorte que le bilan de l'entreprise accuse des bénéfices non répartis minimes. Un partenaire étranger avec qui l'on négocie a du mal à comprendre qu'une entreprise puisse accuser des bénéfices non répartis si faibles. Récemment, je me suis rendu en Corée avec Équipe Canada et j'ai pu le constater. Comme solution possible, on pourrait établir le taux d'imposition des sociétés à 33 p. 100 au maximum et le taux d'imposition maximum sur les dividendes touchés par les particuliers pourrait être fixé à 28 p. 100, ce qui représenterait un taux d'imposition intégré maximum de 50 à 55 p. 100, ce qui est l'équivalent du taux d'imposition maximum des particuliers.

Ainsi, l'entreprise serait gérée non plus suivant les impératifs de la fiscalité mais suivant les impératifs commerciaux. En conséquence, les capitaux disponibles dans l'entreprise augmenteraient. Actuellement, le régime fiscal en vigueur au Canada n'incite absolument pas à maintenir des fonds dans l'entreprise. Il s'agit de constituer dans les petites entreprises une masse de capitaux considérable afin qu'elles puissent croître, créer des emplois et être plus intéressantes du point de vue d'éventuels partenaires étrangers lors d'entreprises en coparticipation.

En Corée, Hyundai s'est montrée intéressée à participer avec Rescan à un projet aéroportuaire. Ayant pris connaissance de notre résultat net, les dirigeants de la société coréenne ont constaté que nos bénéfices non répartis s'élevaient à 600 000 $, ce qui est négligeable. Nous avons dû expliquer pourquoi avec 16 millions de dollars de revenus, nous n'avions qu'une si petite somme en bénéfices non répartis. Ensuite, j'ai dû expliquer comment nous devons d'abord verser les bénéfices aux actionnaires avant qu'ils nous reviennent. Nous ne gardons pas cet argent et nous le distribuons pour réduire la somme d'impôts à verser. Ensuite, les actionnaires prêtent cet argent à l'entreprise. La gestion de l'entreprise se fait grâce aux prêts consentis par les actionnaires. Toutefois, en apparence, le résultat net est peu attrayant.

Je voudrais maintenant parler des REÉR dont les fonds enregistrés pourraient servir aux petites entreprises. Par le biais des REÉR, il s'est créé des fonds mutuels gigantesques qui monopolisent notre argent. Dans l'avenir, nos enfants auront sans doute à travailler à leur propre compte dans leur propre entreprise. Comment leur permettre de se lancer? Ce ne sont pas les banques qui vont les financer et ils viendront s'adresser à leurs parents. Par conséquent, pourquoi ne pas permettre à un REÉR d'être investi pour faire prospérer une entreprise familiale? Dans ma propre entreprise par exemple, les REÉR de toute la famille combinée auraient eu un rendement bien supérieur s'ils avaient été investis dans notre entreprise et en même temps, cela nous aurait aidés.

Les banques et les fonds mutuels contrôlent des sommes gigantesques au Canada et dans certains cas, ces sommes sont investies à l'étranger pour créer des emplois dans d'autres pays alors qu'on refuse de les mettre à la disposition des petites entreprises canadiennes.

Le gouvernement pourrait nous aider à concurrencer les entreprises étrangères en réduisant le coût énorme que représentent les amendes imposées par la loi si la paperasse n'est pas prête à temps. Je songe ici à la TPS, aux feuillets T4, T5, aux cotisations au RPC et à l'assurance-chômage et aux renseignements exigés par Statistique Canada. Dans notre entreprise, il nous faut du personnel si nous voulons nous conformer à tout ce que le gouvernement canadien exige.

Par exemple, pour illustrer ce que je dis, j'ai ici un bulletin concernant les dépenses de déplacement en automobile ou autrement. C'est ce qu'il faut connaître si l'on veut pouvoir attirer des employés grâce à certains encouragements. Voilà toute la panoplie à laquelle il faut se conformer.

Si le régime fiscal canadien était mieux adapté, et s'il y avait moins de paperasserie, les petites entreprises y gagneraient sur le plan du commerce extérieur. Environ 80 p. 100 de nos revenus viennent de sources extérieures mais au prix de grandes difficultés.

Mme Ferguson: Vous pourriez peut-être nous dire avec quels pays d'Asie vous faites le plus affaire.

M. Pelletier: Pour l'instant, c'est surtout en Indonésie, et notre situation est un peu différente de celle du groupe UMA. Nous avons très bien réussi en Indonésie. Nous travaillons avec Placer Dome et d'autres grandes sociétés comme Inco. J'hésiterais avant d'établir une entreprise en Indonésie car je me rallie à ce que nous ont dit M. Young et les représentants du groupe UMA.

Nous faisons affaire dans d'autres régions. On constate l'émergence d'un nouveau marché au Vietnam. Les ambassades font du très bon travail pour nous. Ils donnent aux petites entreprises l'occasion d'obtenir des chambres d'hôtel confortables à des tarifs de rabais. Cela semble un détail mais pour nous, cela compte. Si vous vous rendez à Séoul et si vous restez à l'Hôtel Sheraton ou à un autre hôtel de cette qualité, il peut vous en coûter 250 $. Si c'est l'ambassade qui s'occupe des réservations, il ne vous en coûtera que 80 $. C'est une épargne appréciable.

Mme Ferguson: Un grand nombre des membres de notre association ont dit la même chose. Cela semble un petit détail mais c'est un sérieux coup de pouce pour les entreprises.

Nous avons entendu les dirigeants d'une entreprise de taille moyenne, ceux d'une entreprise de services de taille moyenne et ceux d'un petit exportateur de services. Passons maintenant à l'expérience d'une grande entreprise de Colombie-Britannique, une de nos principales entreprises, la Western Star Trucks. Son chiffre d'affaires n'est pas de 10 millions de dollars, ni de 100 millions de dollars; il frise le milliard.

Cette compagnie est très importante pour la Colombie-Britannique à cause des petites entreprises sous-traitantes qui font affaire avec elle et qui à leur tour exportent en raison des activités de ce grand manufacturier. Les représentants de la Western Star nous parleront de la fabrication de produits plutôt que de la prestation de services.

Je vous présente M. Kevin White, qui fera l'exposé en remplacement de Michael Harvey, qui devait le faire. Kevin White s'est joint à l'équipe de Western Star en juillet 1995 et il en est le gestionnaire des opérations internationales. Il a 15 ans d'expérience dans les ventes et dans la gestion. À l'extérieur de l'Amérique du Nord et de l'Australie, la Western Star Trucks vise à augmenter ses exportations dans les pays et sur les marchés où il y a une demande pour des véhicules à utilisation intensive et de première qualité. Le Canada a l'expérience de ce créneau du marché comme vous le constaterez au cours de votre tournée.

La compagnie Western Star s'est récemment portée acquéreur de ERF, qui est une compagnie britannique, et elle avait auparavant acheté la compagnie Orion Bus Industries de Mississauga en Ontario. Cette entreprise ne cesse de croître et une grande partie de sa croissance provient de ses ventes sur les marchés d'exportation.

M. Kevin White, directeur des ventes, Western Star Trucks: Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous ai fait distribuer un jeu de documents qui contiennent des notes détaillées de même que la copie des acétates.

Je vous remercie de me donner l'occasion de venir vous parler d'un volet très prospère de notre entreprise. Comme dans le cas de tout ce qui évolue rapidement, nous avons pu constater bien des débouchés mais aussi bien des obstacles. Ce que j'ai à vous dire est plutôt simple. Je veux vous parler d'abord de qui nous sommes et de ce que nous faisons. Nous faisons affaire dans bien des pays mais pourquoi particulièrement en Asie? Nous voudrions également parler des rôles que le gouvernement peut jouer pour venir en aide à une entreprise comme la nôtre. Nous voudrions parler de ce qu'il faut faire des responsabilités qu'il nous faut assumer en tant que personne morale au Canada.

La Western Star Trucks Holdings comprend trois organisations. Tout d'abord, la Western Star Trucks Inc., située à Kelowna, est cotée à la Bourse de Toronto. Cette année, la Western Star Trucks Holdings s'attend à des revenus de plus d'un milliard de dollars, ce qui permet de nous classer parmi les 20 premières entreprises de Colombie-Britannique. Nous avons trois usines. L'une d'elles, où sont construits nos camions classiques, est située dans la très belle région de Kelowna. Nous avons acheté ERF, le dernier fabricant indépendant de camions en Angleterre. Un an auparavant, nous nous sommes portés acquéreurs de Orion Bus de Mississauga qui a des points de ventes à Oriskany, dans l'État de New York.

Notre entreprise construit, à la demande, des véhicules de classe A, classiques et à cabine avancée. L'acquisition de ERF nous permet d'offrir désormais des camions à cabine avancée sans capot qui intéressent particulièrement les Européens et les Japonais.

Notre camion classique a été transformé pour pouvoir offrir un dérivé militaire et depuis quelques années, nous avons des contrats d'équipement militaire au Canada. Tout récemment, nous avons expédié 64 véhicules à utilisation intensive, des 6x6, que nous avons acheminés de Kelowna vers les entrepôts militaires canadiens.

Grâce à Orion Bus Industries et ERF, nous fabriquons maintenant les autobus urbains que l'on voit circuler à Vancouver et dans le Lower Mainland. Les autobus interurbains proviennent de notre usine ERF.

Dans le contexte international, nous sommes plutôt jeunes. Avant 1994-1995, nous nous contentions de saisir les occasions qui s'offraient à nous et nous n'étions pas en quête de marchés, n'ayant pas de cibles bien cernées, bien organisées. Cette année, nous avons l'intention de vendre à l'extérieur du Canada 2 600 camions, notamment aux États-Unis, en Australie, en Amérique latine, en Afrique et au Moyen Orient. Nos produits sont acheminés vers presque tous les pays du monde mais les États-Unis nous achètent 1 500 unités, l'Australie encore 400, et les autres pays, le reste.

Le changement de cap s'est produit quand Terrence Peabody a acheté l'entreprise à l'extrême limite avant la fermeture des portes de l'usine de Kelowna. Il y a eu une véritable volte-face depuis que nous avons cerné un objectif et que nous mettons l'accent sur le marché international.

Nous sommes une personne morale, implantée au Canada, et nous essayons d'évaluer ce que nous faisons pour l'économie canadienne en tant qu'exportateur. Les véhicules que nous construisons à Kelowna comportent plus de 50 p. 100 de produits canadiens. C'est le cas par exemple, des cabines de conduite, des modifications au longeron et du câblage. Nous employons 1 800 personnes directement au Canada et 800 autres aux États-Unis, 800 en Grande-Bretagne, de même que 50 en Australie et 50 dans d'autres pays. Nos comptables ont calculé que les emplois indirects correspondaient à cinq fois les emplois directs. Autrement dit, nous comptons pour 9 000 emplois au Canada.

En outre, un des avantages, une des retombées de la vente de nos produits sur les marchés mondiaux est le fait que nos véhicules font la démonstration de produits d'autres fournisseurs. Par exemple, ce n'est pas nous qui construisons la benne des camions basculants. C'est une autre entreprise canadienne qui s'en occupe, car nous sommes en partenariat avec une entreprise du nom de Dell, située à Coquitlam en Colombie-Britannique. Ainsi, la compagnie Dell a sa chance de commercialiser ses produits à l'échelle du monde. Nous avons établi des partenariats avec bien d'autres organisations canadiennes pour continuer d'accroître le contenu canadien des véhicules que nous exportons.

En outre, étant donné que nos produits sont hors série, la technologie y prend une part considérable car nous essayons d'appliquer les nouvelles technologies aux marchés à créneaux. Par exemple, si une mine a un besoin particulier, mais si cela fait appel à une utilisation intensive, par exemple des remontées très à pic pour les camions, nous individualisons nos véhicules pour les adapter à l'altitude où ils sont utilisés, au degré d'utilisation intensive auquel ils sont soumis et plus particulièrement au genre de caisson que l'on souhaite installer à bord du véhicule. Nous pouvons ainsi présenter sur les marchés internationaux des applications technologiques canadiennes fort intéressantes.

Pourquoi l'Asie? Bien entendu pour un exportateur la croissance que ce continent connaît du point de vue de la consommation des biens et services est fort attrayante. On outre, pour le développement de ces pays en développement, l'infrastructure nécessaire est gigantesque. Il faut donc des camions pour aider à l'établissement de l'infrastructure où que ce soit dans le monde. On a calculé qu'en Asie la mise en place de l'infrastructure coûterait plus de 1,4 billions de dollars canadiens. Nous voudrions une petite partie de ce chiffre d'affaires.

Je voudrais soumettre aux membres du comité un schéma des marchés que nous avons en Indonésie et vous constaterez ce que nous avons fait dans le passé comme exportateur, alors que nous avons pu profiter de certaines situations et réunir la technologie nécessaire pour répondre aux exigences spécifiques de certains clients. Voilà exactement ce que doivent faire les exportateurs. C'est comme pour n'importe quelle transaction. Il faut d'abord comprendre les besoins du client et ensuite lui fournir un produit qui permettra d'y répondre.

Notre principal client à l'exportation, Freeport Mines, se trouve en Indonésie. Il s'agit d'un créneau pour nous. Il s'agit d'une entreprise qui exploite des mines de cuivre et d'or et qui fait la mise en valeur des ressources. Western Star a d'abord construit des véhicules robustes destinés à une utilisation intensive en forêt. Nous avons aussi conclu un partenariat avec une organisation multinationale, la Société Freeport de Houston. Étant donné notre partenariat avec la société minière d'Indonésie, nous avons aussi pu nouer des contacts avec un négociant local qui facilite nos transactions avec la mine pour ce qui est de la fourniture de pièces et de service après vente. J'expliquerai un peu plus tard pourquoi nous croyons qu'il est important pour un exportateur canadien de nouer des partenariats et je parlerai aussi du rôle que nous entrevoyons pour le gouvernement.

Western Star s'est doté d'une structure de commercialisation souple. Nous pouvons réagir aux demandes de nos clients et nous avons aussi des directeurs des ventes régionaux. Nous sommes en train de nous doter d'un réseau international de concessionnaires. Nous voulons nouer des alliances stratégiques avec des entreprises du secteur des ressources, particulièrement au Canada.

À l'heure actuelle, nos efforts en Asie sont concentrés en Thaïlande, au Myanmar et en Malaisie. C'est dû surtout au fait que nous avons tenté de nouer des partenariats avec des concessionnaires locaux et nous nous sommes modelés sur le réseau de concessionnaires de Caterpillar. Nous cherchons de façon délibérée des moyens de pénétrer le marché asiatique. Nous avons fait plusieurs tentatives en Chine, toutes en vain pour les raisons qu'a déjà évoquées Sandy et qui concernent les règles qui gouvernent là-bas les relations commerciales. Nos efforts sont venus près d'aboutir mais nous ne nous sentions pas à l'aise puisque nous n'aurions pas eu tout le contrôle souhaité sur la situation et cette confiance mutuelle si nécessaire aux bonnes relations commerciales dans cette zone faisait défaut. Nos efforts n'ont pas été couronnés de succès en Chine. À l'heure actuelle, nous avons formulé une proposition, mais il est encore trop tôt pour que nous nous réjouissions et nous procédons avec prudence.

Nous visons aussi une région de la Mongolie parce qu'il s'agit d'un secteur axé sur les ressources naturelles très semblables à ce que nous connaissons en Amérique du Nord. Le secteur du pétrole et du gaz y est relativement jeune et il y a peu de concurrents pour des camions de classe A sur ce marché. Le financement est bien sûr un facteur clé, c'est-à-dire la façon dont nous serons payés, mais nous cherchons là aussi à nouer des partenariats.

Quant au rôle du gouvernement, nous souhaiterions qu'il continue ses efforts pour obtenir l'élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires. C'est une condition préalable. Il y a aussi toute la question des normes environnementales et de sécurité routière. En tant que fabricant nord-américain, nous avons dû construire des produits qui répondent aux politiques et aux normes nord-américaines en matière d'environnement. Les fabricants des pays du tiers monde ou des pays en développement n'ont pas à satisfaire aux mêmes exigences réglementaires.

Lorsque je me suis rendu au Brésil récemment, j'ai vu tous les dommages qui peuvent être imputés aux fabricants de camions dont les moteurs crachent des polluants dans l'atmosphère, faute de règlements. C'est déplorable de voir toutes les saloperies que crachent ces véhicules tout simplement parce qu'ils sont dotés de moteurs anciens. Il faudrait en priorité tenter de les convaincre d'adopter les mêmes normes que les fabricants nord-américains ou européens.

Par ailleurs, cela peut présenter un avantage pour un fournisseur ou un constructeur canadien puisque nous satisfaisons déjà à ces exigences. Nous espérons que vous continuerez d'exercer des pressions sur d'autres pays pour qu'ils adoptent des normes plus rigoureuses en matière d'environnement et de sécurité routière.

L'accès au capital et aux sources de financement est une question tout aussi importante. Nous aimerions que vous continuiez vos efforts à cet égard. Nous avons eu d'excellentes expériences avec la SEE. La SEE a jouer un rôle clé dans notre développement parce qu'elle nous a permis de pénétrer certains marchés où nous aurions eu des difficultés si nous avions dû agir seuls. Là où nous en sommes dans notre développement, nous avons de la difficulté à obtenir de l'information sur les débouchés et sur les projets. Il est très difficile de se retrouver dans la masse d'information que diffuse le gouvernement à l'intention des fabricants canadiens. S'il y avait moyen de présenter cette information dans un format facile à consulter, cela nous serait très utile.

Nous souhaiterions que l'ACDI mette en place davantage de programmes d'aide liée. Les programmes d'ajustement structurel nous offrent de moins en moins de débouchés et il y a de plus en plus de programmes d'aide à des conditions de faveur. En tant que fabrication de biens durables, nous souhaiterions qu'il y ait davantage de programmes d'ajustement structurel prenant la forme d'une aide liée. Il faudrait que l'information mise à la disposition des exportateurs soit mieux définie et présentée dans un format facile à comprendre.

Quant au marché intérieur, il est important de fournir des informations fiables en temps opportun à la clientèle commerciale. Les ressources sont minces dans les milieux d'affaires. M. Pelletier vous a montré les documents qui expliquent comment gérer une petite et moyenne entreprise exportatrice. Nous nous trouvons dans la même situation. Bien que nous soyons une grande société, notre service d'exportation est très étriqué. Si nous devons essayer de trier des masses d'information, nous avons du mal à repérer les débouchés les plus prometteurs. Si cette information pouvait être simplifiée, cela nous faciliterait grandement la tâche.

Pour ce qui est d'un contenu canadien plus considérable dans des projets financés par des intérêts canadiens, nous sommes un cas unique sur le marché canadien en ce sens que nous sommes véritablement une entreprise canadienne dont les activités de fabrication sont situées au Canada et dont les bénéfices sont réinvestis ici. Nous avons trois grands concurrents dans la fabrication de camions au Canada mais au bout du compte, leurs fonds sont rapatriés en Allemagne ou aux États-Unis. Nous aimerions bien pouvoir tirer profit de cette distinction pour négocier de meilleurs partenariats avec d'autres entreprises canadiennes lorsque le gouvernement finance en partie un projet donné.

Nous devons essayer de créer des partenariats entre les entreprises canadiennes afin de décrocher davantage de contrats à l'étranger.

Mme Ferguson: J'aimerais faire un bref commentaire au sujet de la Chine puisque d'autres y ont fait allusion à quelques reprises et que je suis certain que vos autres témoins vous en ont parlé ces derniers jours. Mon analyse est colorée par l'intérêt de nos membres et j'ai fait des généralisations, alors n'oubliez pas qu'il y a de nombreuses exceptions.

La plupart de nos entreprises n'ont pas eu beaucoup de succès lorsqu'elles ont tenté de pénétrer le marché chinois. Certaines des très grandes entreprises réussissent assez bien mais dans l'ensemble les PME et Western Star ont trouvé que c'était un marché sur lequel il est très difficile de percer. Il y a des exceptions quand les entreprises ont recours à des intermédiaires commerciaux ou à des experts déjà implantés là-bas. Certaines de nos entreprises ont aussi constaté que c'était un atout d'avoir dans leur rang des Canadiens d'origine asiatique ayant des liens encore très forts avec la Chine ou Hong Kong. Toutefois, ce sont des exceptions et nous avons eu des difficultés. Par exemple, quand certaines délégations suscitent un intérêt très grand pour la Chine, il y a quand même une certaine réticence parce que nous savons que des efforts beaucoup plus appuyés n'ont pas donné les résultats escomptés.

J'aimerais vous présenter M. Dan Wong qui est directeur des relations d'entreprise pour Dairy World. Dairy World est la plus importante entreprise alimentaire de l'Ouest et la plus importante coopérative laitière. Comme vous le savez, le secteur de l'agriculture au Canada est très complexe.

Dairy World compte environ 3 000 employés et environ 2 100 cultivateurs membres. L'entreprise appartient aux cultivateurs qui produisent la matière brute. Au Canada, Dairy World compte des membres de la Colombie-Britannique jusqu'en Ontario.

Je vais demander à Dan de vous décrire l'expérience de Dairy World et ses projections pour ce qui est de l'Asie.

M. Dan Wong, directeur des relations d'entreprise, Dairy World: Merci, honorables sénateurs, de cette occasion que vous me donnez de comparaître aujourd'hui pour vous parler des activités commerciales internationales d'un secteur qui a eu très peu d'expérience de ce genre dans le passé.

Dairy World Foods est une entreprise établie de longue date dans l'Ouest. Elle vend des produits de marque que connaissent certainement ceux d'entre vous qui êtes de l'Ouest, notamment Dairyland, mais aussi des marques connues à l'échelle nationale comme Yoplait et Legend. Nous sommes aussi un important exportateur de produits laitiers de l'Ouest bien que nous n'ayons encore que peu d'expérience de l'exportation.

J'aimerais vous décrire tout particulièrement nos activités en Asie. Bien que l'exportation et les activités commerciales internationales comptent pour une part encore faible des activités des entreprises d'aliments laitiers, dans l'ensemble elles revêtent une importance absolument critique pour la survie à long terme du secteur laitier au Canada. Permettez-moi d'expliquer pourquoi.

Vous êtes sans doute nombreux à savoir que l'industrie laitière au Canada est en pleine transition. La gestion de l'offre et la libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis ont déjà fait couler beaucoup d'encre. Le fait est que l'industrie laitière vit une mutation trop rapide pour certains, trop lente pour d'autres. En plus des défis dont parlent les médias, nous en avons d'autres tout aussi graves à relever. Le principal défi que nous devons relever tient au fait que l'industrie laitière au Canada est une industrie arrivée à maturité. Le marché au Canada est arrivé à maturité. Les Canadiens ne consomment pas plus de produits laitiers aujourd'hui que dans le passé. D'ailleurs, pour de nombreuses catégories de produits, ils consomment moins de produits laitiers. Ainsi, il y a de très sérieuses limites à notre capacité de prendre de l'expansion sur le marché intérieur.

Les accords commerciaux internationaux, dont l'accord du GATT négocié lors de la ronde de l'Uruguay, ont entrouvert la porte aux produits laitiers exportés par d'autres pays vers le marché canadien. L'Accord de libre-échange nord-américain interdit l'utilisation de politiques valables dans le passé pour exporter des produits laitiers du Canada. Dans le passé, grâce à la politique laitière du Canada, des prélèvements payés par les producteurs permettaient de financer l'exportation de produits laitiers excédentaires. Tout cela a changé. Les règles ont changé. Cela nous est dorénavant interdit et pourtant nos débouchés sur le marché intérieur ou bien stagnent ou bien se rétrécissent. Voilà pourquoi nous essayons tous de peine et de misère à nous adapter aux nouvelles règles commerciales.

C'est dorénavant chose admise que le futur succès de l'industrie laitière canadienne dépendra de notre accès au marché international. Toutefois, il y a certaines réalités auxquelles nous devons nous adapter. D'une part, les politiques actuelles applicables dans le secteur laitier au Canada font qu'il nous est impossible de soutenir la concurrence internationale au niveau des prix. D'autre part, les producteurs et les transformateurs laitiers canadiens ont une excellente réputation pour la qualité de leurs produits. Le fromage cheddar, par exemple, est une spécialité canadienne et notre propre marque de fromage cheddar, le fromage Armstrong, a remporté en 1994-1995 le prix du meilleur fromage cheddar au monde: une compétition internationale qui s'est tenue au Wisconsin a mis en compétition quelque 500 fromages différents.

En Colombie-Britannique, nous avons en plus l'avantage d'être la porte vers la zone du Pacifique. C'est un atout important pour notre organisation puisque nos produits laitiers pourraient trouver de nombreux débouchés nouveaux dans la région Asie-Pacifique. L'Asie n'est pas normalement perçue comme une forte consommatrice de produits laitiers. Quand on songe à la taille de la population et au fait que la consommation de produits laitiers s'accroît au fur et à mesure qu'augmentent les revenus personnels, on voit bien l'importance de futurs débouchés en Asie. D'ailleurs, l'augmentation est déjà visible.

En 1990, avant la libéralisation des lois commerciales au Japon, toutes les crèmes glacées consommées au Japon provenaient de sources japonaises. Depuis l'ouverture du marché japonais, 15 p. 100 de toutes les crèmes glacées consommées au Japon sont importées et nous avons le bonheur d'avoir pu obtenir une part de ce marché.

Le Canada doit adopter pour stratégie de mettre l'accent sur des produits à valeur ajoutée destinés à l'exportation. Comme je l'ai dit, nous ne sommes pas compétitifs pour ce qui est des prix. Inutile d'essayer de gagner la bataille des prix contre l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou les États-Unis. Nos efforts seraient voués à l'échec. Notre société, Dairy World Foods, met davantage l'accent sur les exportations bien que ces dernières représentent une part encore modeste de notre activité. Les principaux produits que nous exportons sont la crème glacée, le yogourt glacé, les desserts congelés, les jus, les boissons et le beurre et nous sommes très confiants de pouvoir exporter du fromage sauf que les restrictions commerciales frappant le fromage sont restées en place plus longtemps.

Nos principaux marchés sont le Japon et d'autres pays de la zone Asie-Pacifique et plus particulièrement Taïwan, Hong Kong et les Philippines. Nous avons une clientèle étonnamment importante parmi les navires de croisière américains qui sillonnent les eaux de la côte Ouest. Nous souhaiterions accroître l'importance de ce volet de notre activité. Les membres du comité seront peut-être étonnés d'apprendre que la majorité des produits laitiers vendus à ces navires de croisière sont actuellement achetés à Seattle et expédiés vers le port de Vancouver où ils sont chargés sur les navires de croisière. À notre avis, il n'y a aucune raison pour qu'il en soit ainsi. Au risque de laisser croire que c'est l'intérêt qui me fait parler ainsi, je me permets de dire que les sociétés canadiennes devraient fournir la totalité de ces produits laitiers.

Ce qu'il importe de comprendre c'est que même si le volume des exportations de produits laitiers en provenance du Canada demeure relativement faible, le potentiel de revenus est considérable. Dans notre entreprise, les ventes à l'exportation représentent moins de 1 p. 100 de notre volume brut. L'année dernière qui, il faut en convenir, n'a pas été une bonne année à l'échelle nationale, elles ont constitué 20 p. 100 de notre revenu net.

Cependant, il y a des obstacles très sérieux à surmonter. Compte tenu de la nature de l'industrie en cause, bon nombre de ces obstacles découlent de la politique nationale. L'exportation demeure une activité que connaissent mal la plupart des fournisseurs de produits laitiers, et en particulier les décideurs de la politique laitière du Canada. Depuis un an et demi, on a cependant noté des progrès sensibles dans ce domaine. La Commission canadienne du lait a inauguré des programmes très novateurs pour rendre le lait, la matière brute de tous les produits laitiers, accessible aux exportateurs à un prix se rapprochant du prix mondial. Cependant, ces programmes demeurent lents et fastidieux, au point que le «programme facultatif d'exportation» comme on l'appelle, qui est une bonne idée en théorie, n'a été utilisé qu'une fois. Notre entreprise s'en est servie pour vendre à un client du Japon une nouvelle crème glacée dont nous sommes très fiers, mais il n'en reste pas moins que ce programme qui existe maintenant depuis 18 mois n'a eu qu'une seule application réussie. Le processus lui-même aurait intérêt à être rationalisé pour devenir plus accessible.

En général, les principes sous-jacents à ces programmes sont rétrogrades et, à certains égards, nous avons mis la charrue devant les boeufs. Sans entrer dans le détail, voici comment le programme fonctionne. C'est à vous de dénicher un client et de négocier les termes d'une entente pour lui fournir un produit quelconque. Cela fait, vous devez aller voir la Commission canadienne du lait et négocier un prix vous permettant de concurrencer les autres fournisseurs que ce client pourrait avoir. En l'occurrence, c'est vraiment mettre la charrue devant les boeufs. On ne peut pas espérer conclure des marchés, particulièrement sur la scène internationale, quand on ignore le prix de son produit. C'est une façon très compliquée de faire des affaires.

Et, ce qui n'a rien d'étonnant, la politique nationale dicte la disponibilité du produit pour l'exportation. Depuis toujours, la théorie de la gestion de l'offre voulait qu'on ne produise pas de surplus. Par conséquent, nul besoin de s'inquiéter des exportations ni des importations. Comme je l'ai mentionné, les règles ont changé et nous nous trouvons maintenant dans la situation où les exportateurs commerciaux de produits laitiers font concurrence à une société de la Couronne, la Commission canadienne du lait.

En septembre 1996, en raison d'une pénurie de lait, la Commission canadienne du lait a abandonné l'un des programmes conçus pour faciliter les exportations commerciales. Le plus irritant, c'est que s'il n'y avait plus de lait, c'est parce que la Commission canadienne du lait avait vendu une quantité considérable de beurre et de poudre de lait écrémé à ses clients traditionnels en Tunisie, à Cuba et en Algérie. Personne ne minimise l'importance de cette activité dans le passé, mais celle-ci avait pour but de retirer du marché canadien les produits excédentaires. Lorsqu'on essaie de bâtir des marchés commerciaux, il est extrêmement frustrant d'être dans l'impossibilité d'obtenir un produit parce que la société de la Couronne l'a vendu.

De façon générale, on connaît mal à Ottawa les occasions d'exportation de produits laitiers qui existent dans la région de l'Asie-Pacifique. Le Québec et l'Ontario tendent à regarder davantage vers l'Europe que vers l'Asie. Étant donné que ces programmes sont administrés depuis Ottawa, nous devons parfois prendre les grands moyens pour enfoncer notre message dans le crâne des fonctionnaires pour les convaincre de l'existence des débouchés qui se trouvent de l'autre côté du Pacifique.

Quant aux facteurs mentionnés par les conférenciers précédents, ils s'appliquent aussi à nous en totalité ou en grande partie.

Il nous est déjà arrivé que notre crème glacée fonde sur les quais au Japon. L'expérience nous a appris qu'il fallait traiter avec les maisons de commerce. Il faut bâtir des relations sur plusieurs années avant de pouvoir court-circuiter les méandres bureaucratiques qui existent outre-mer. Autrement, il est extrêmement difficile d'acheminer des produits périssables jusqu'à leurs marchés ultimes.

Au Canada, on nous attaque pour nos lois commerciales à l'égard des produits laitiers et, pour notre part, nous critiquons d'autres pays comme les États-Unis pour les leurs, mais il n'en reste pas moins que la législation commerciale relative aux produits laitiers dans le monde entier est nébuleuse et, dans certains cas, carrément bizarre. Les tarifs sont élevés au Japon. Pour exporter du fromage, il faut payer un tarif passablement élevé. Une fois votre produit arrivé sur place, il vous est interdit de le vendre. Vous pouvez le vendre à un autre fabricant qui, à son tour, va l'emballer dans des paquets destinés aux consommateurs, et apposer sa propre étiquette pour ensuite le vendre.

De nombreux pays, y compris les États-Unis, se servent de normes techniques en guise de barrières non tarifaires. Ainsi, ils peuvent rejeter un produit en invoquant son contenu bactériologique, ou quelque chose du genre. Il s'agit strictement de jouer sur les chiffres et les pays en question se servent de ce stratagème pour empêcher certains produits de pénétrer leurs marchés.

Nous reconnaissons l'importance des marchés internationaux pour la viabilité à long terme de l'industrie laitière canadienne. Nous devons oeuvrer de façon plus intelligente chez nous pour faire un meilleur travail à l'étranger. Il faut que nos politiques tiennent compte des débouchés internationaux, non pas en tant qu'ajout à la politique intérieure, mais en tant que partie centrale de cette politique. Nous devons explorer plus avant l'intégration des intérêts des décideurs politiques et des exportateurs commerciaux de produits laitiers pour progresser ensemble dans la même direction et ne pas se faire mutuellement concurrence.

Le président: Madame Ferguson, vous nous avez communiqué des renseignements très précis sur une gamme intéressante d'exportations. Nous sommes quelque peu en retard et je crains que si nous permettons des questions générales sur des sujets aussi divers, nous ne puissions nous rattraper.

Je demanderais donc aux sénateurs de s'abstenir de poser une question qui exigerait une réponse de chacun de nos quatre témoins. Je leur demanderais également, ainsi qu'à nos témoins, d'être aussi concis que possible.

Le sénateur St. Germain: Madame Ferguson, je vous remercie, ainsi que votre délégation, de votre exposé diversifié.

Monsieur White, de nombreux témoins nous ont dit qu'il faudrait laisser les délégués commerciaux en poste plus longtemps de sorte que je suis certain que le président inclura une recommandation en ce sens dans notre rapport.

Plusieurs d'entre eux nous ont aussi dit que le soutien à la défense était crucial si nous voulions livrer une concurrence réussie aux Américains. Dans quelle mesure cela est-il important pour la rentabilité et la viabilité de votre entreprise? Sans cela, auriez-vous survécu?

M. White: Les efforts qui nous ont valu le plus de publicité concernaient le Koweit. Nous avions la possibilité d'y vendre plus de 2 000 véhicules militaires. C'était il y a cinq ans environ. Aujourd'hui, nous avons dépensé des sommes considérables, des millions de dollars, et pourtant nous n'avons reçu aucune commande de ce pays. Quant aux produits dérivés que nous avons conçus et fabriqués, nous avons pu les vendre à l'armée canadienne et ils sont effectivement utilisés aujourd'hui.

Le problème au Koweit était lié au fait que les attentes étaient très élevées. La réalité de ce marché et le jeu des influences politiques ont créé des obstacles, et nous attendons toujours notre première commande. L'Allemagne a vendu des unités fabriquées au Koweit, notamment Mercedes, et la Russie également. Vous pouvez vous-même évaluer l'infrastructure politique nécessaire pour réussir à vendre ces unités là-bas.

J'aimerais commenter la durée du séjour en pays étranger de nos délégués commerciaux. Dès lors qu'on a présenté notre produit à un délégué commercial ou à un ambassadeur, et que cette personne le connaît bien, le fait qu'elle soit mutée deux ans plus tard suscite des difficultés. Il faut recommencer le même processus de façon répétée. Il y a sur le terrain des gens très compétents, mais lorsque arrive le moment où ils comprennent la nature de votre entreprise, ils sont mutés.

Le sénateur Carney: Tous les renseignements que nous ont communiqués les membres de ce groupe expliquent pourquoi nous exportons autant vers l'Asie à partir de la Colombie-Britannique. Les entreprises de cette province réussissent fort bien à se positionner sur ce marché.

Monsieur Young, au sujet de cette «fatigue chinoise», de la pression pour le travail en Chine et des attentes à ce sujet, nous avons reçu deux suggestions qui pourraient aider les petites entreprises qui font affaire en Asie et plus particulièrement en Chine. Il y aurait notamment un régime d'assurance privé qui offrirait à une entreprise comme la vôtre qui avance des sommes avant l'investissement de s'assurer d'être payée à un moment donné. Deuxièmement, il devrait y avoir ce que j'appelle une lettre de confort, c'est un terme à moi et non à eux, entre le Canada et la Chine pour garantir que les contrats seront respectés.

D'aucuns ont dit que les contrats ne valent rien. Il y a cette citation fameuse: «Un contrat n'est qu'une pause dans les négociations». Serait-il utile que nous recommandions la création d'un régime d'assurance qui vous paierait pour tout le travail que vous faites? Serait-il utile qu'une lettre de confort ou un arrangement de ce genre soit négocié entre les gouvernements pour encourager le respect des contrats?

M. Young: Il existe déjà des polices d'assurance contre certains risques comme le défaut de payer du client et des risques politiques. La SEE offre des polices de ce genre, de même qu'un organisme affilié à la Banque mondiale, à Washington. Il est sûr que la garantie d'être payé entre en jeu. Mais d'un point de vue philosophique, on aurait tort d'essayer de s'établir dans un marché simplement parce qu'on sait qu'en payant les primes d'assurance, on sera payé.

Le sénateur Carney: Ceux qui ont fait cette suggestion offraient des services d'architecture.

M. Young: Ils pourraient acheter cette assurance. Elle est coûteuse. Je ne connais pas les primes pour le marché chinois, mais je présume qu'elles peuvent alourdir sérieusement un bilan. Même si on a accès à ce genre d'assurance, il n'est pas sensé pour nous de continuer à essayer de nous implanter sur ce marché à cause des autres risques, qui ne sont garantis par aucune assurance et qui finissent par anéantir l'intérêt qu'on peut avoir pour ce marché.

Le sénateur Andreychuk: J'ai été un peu intriguée par vos commentaires au sujet des dispositions relatives aux REÉR pour les petites entreprises familiales. Est-ce que vous avez écrit quelque chose de plus complet à ce sujet? C'est quelque chose de nouveau et d'intrigant pour moi, particulièrement étant donné que le gouvernement a agi avec prudence pour ce qui est des autres façons d'utiliser les REÉR.

Ma question s'adresse à M. Wong. J'ai passé quelque temps à Genève, pendant les négociations de l'Uruguay Round et je n'entendais alors parler que de la position du Canada au sujet du yogourt et des flancs de porc. Quelle part de vos problèmes découle du fait que le marché progresse plus vite que les politiques gouvernementales?

Je garde à l'esprit qu'on veut arriver à un équilibre entre le secteur laitier et les autres secteurs agricoles et qu'on veut répondre aux préoccupations des provinces et des régions. Dans quelle mesure est-ce un problème interne au Canada?

M. Wong: Je vous dirais qu'il s'agit en fait du coeur du problème. Cela dit, les divers intérêts représentés autour de la table, tant dans les grandes tribunes commerciales qu'au sein de l'industrie, sont tous légitimes. Ce qui nous manque dans tout cela, c'est la possibilité de mettre au point une stratégie cohérente prenant en compte tous ces facteurs. Il y a des stratégies importantes pour les producteurs laitiers qui font absolument fi des transformateurs et des fournisseurs de produits finaux.

L'inverse est également vrai, et le rôle de la Commission canadienne du lait et des offices de commercialisation provinciaux a une longue histoire; ces organismes ne s'adaptent pas très vite aux nouvelles réalités, ce qui n'est pas étonnant. Cela ne signifie pas qu'ils ne peuvent pas jouer un rôle important, mais les pressions exercées viennent de tous les côtés, simultanément, notamment des instances politiques. Il est difficile de réagir à tout cela en créant une stratégie qui, au bout du compte, mettra de l'argent dans les poches de tous. Je ne saurais dire dans quelle mesure ce dont vous parlez nous crée des problèmes, mais il en crée certainement.

Le président: Monsieur Wong, si j'ai bien compris, l'industrie laitière canadienne craint la concurrence des États-Unis. Comment se fait-il que vous puissiez concurrencer efficacement les États-Unis sur le marché japonais de la crème glacée?

M. Wong: Certains propos tenus par l'industrie pourraient vous faire croire que l'industrie laitière canadienne craint la concurrence des États-Unis. Bien entendu, s'il y avait une guerre de prix pour les denrées laitières, avec les États-Unis ou d'autres pays, nous perdrions pour toutes sortes de raisons, que ce soit la lourdeur de nos politiques actuelles ou le fait que le marché canadien ou la taille de l'industrie canadienne sont trop modestes pour nous permettre de réaliser des économies d'échelle de classe mondiale. Mais cela ne fait que nous encourager à nous concentrer sur les débouchés internationaux, «à valeur ajoutée». Nous ne disons pas que nous ne vendrions pas de lait à Hong Kong ou à Taïwan si nous pouvions obtenir le prix que nous souhaitons, mais cela ne nous intéresse pas particulièrement.

Ce qui nous intéresse, toutefois, c'est de vendre de la crème glacée à l'un de ces pays parce que nous avons ainsi davantage notre destin en main. Tout d'abord, nous pouvons tabler sur la réputation du Canada comme source de produits de grande qualité. Deuxièmement, la valeur ajoutée à ces produits découle en grande partie de notre capacité d'écouter nos clients. Les produits de crème glacée vendus au Japon sont formulés pour répondre aux demandes de la clientèle japonaise.

Enfin, on a davantage de contrôle sur nos prix puisque c'est nous-mêmes qui ajoutons la valeur au produit, plutôt que de simplement prendre le produit sur le marché pour l'exporter.

Le président: Merci beaucoup. Ce témoignage a été très intéressant, à la fois diversifié et précis, madame Ferguson. Il nous a été très utile.

Mme Ferguson: Merci de nous avoir invités.

Au début, j'ai dit que vous ne vouliez sans doute pas de présentation de statistiques. J'ai toutefois des chiffres sur l'emploi et l'investissement qui pourraient vous intéresser. J'en laisserai des exemplaires au comité.

J'aimerais demander à votre adjoint de copier également notre rapport du B.C. Issues Round Table, qui traite de la façon dont la Colombie-Britannique pourrait conclure des alliances pour être plus concurrentielle.

Le président: Les témoins suivants sont de la Société NOVA. J'ai entendu leur témoignage à Ottawa, lorsqu'ils ont comparu devant deux ou trois comités différents et ils m'ont chaque fois impressionné. J'ai même souhaité avoir davantage d'argent, pour pouvoir acheter des actions de cette société.

Nous recevons aujourd'hui le vice-président, Relations gouvernementales, M. Gerry Finn. Je vais lui demander de nous présenter les gens qui l'accompagnent, puis de nous faire son exposé.

M. Gerry Finn, vice-président, Relations gouvernementales, NOVA Corporation: Monsieur le président, voici M. Rick Milner, un vice-président exécutif des services internationaux de gaz de NOVA, et M. Dave Sansom, un vice-président qui s'occupe des produits chimiques chez NOVA. Nous vous remercions de l'invitation que vous nous avez faite.

La région de l'Asie-Pacifique, étant donné sa croissance projetée, nous intéresse tout particulièrement. Les stratégies d'entreprise de NOVA se sont donc concentrées en grande partie sur ces régions. C'est pourquoi nous voulions comparaître devant le comité. Si nous pouvons vous convaincre que la gestion actuelle de NOVA est toujours digne de votre admiration, nous en serions ravis, et si certains de vos collègues sont plus riches que vous, monsieur le président, et qu'ils souhaitent investir dans notre entreprise, nous accueillerons chaleureusement ces nouveaux actionnaires.

Nous prendrons environ 20 minutes pour vous présenter un survol des activités de l'entreprise puis nous répondrons volontiers à vos questions. Je vais d'abord vous présenter brièvement la Société NOVA.

Nous avons trois secteurs d'activité. MM. Rick Milner et Dave Sansom vous décriront respectivement les services internationaux de gaz et le secteur des produits chimiques, en parlant plus précisément de nos activités dans la région de l'Asie-Pacifique. Ils vous décriront ce que nous avons fait là-bas, nos projets, et ce que nous avons constaté lorsque nous étions là-bas.

Enfin, nous aimerions vous parler de nos attentes au sujet de l'entente commerciale de l'APEC, qui est, je crois, l'une des principales raisons de vos travaux ici.

NOVA est une entreprise de services de gaz naturel et de produits pétrochimiques dont le siège social est à Calgary. Nous vivons tous les trois à Calgary. Nous sommes une entreprise relativement importante pour le Canada, mais relativement petite à l'échelle internationale. En fait, nous sommes presque une entreprise canadienne typique puisque nous avons commencé avec une ressource naturelle, le gaz, puis nous avons diversifié nos activités. NOVA comprend en fait trois entreprises. Il y a d'abord les activités de transport du gaz, qui a lancé NOVA. Ce secteur a maintenant environ 13 000 à 14 000 milles de tuyaux dans le sol, surtout en Alberta. Notre gazoduc en Alberta transporte 80 p. 100 du gaz naturel commercialisé au Canada. Environ 18 p. 100 de tout le gaz naturel produit en Amérique du Nord chaque année coule dans nos gazoducs. Ces 14 000 milles de tuyaux desservent 1 000 petits points de service en Alberta. Des petits puits de gaz sont raccordés à notre gazoduc.

Les connaissances et les compétences que nous avons acquises en plus de 40 ans dans le domaine des gazoducs en Alberta ont mené à la création de notre deuxième secteur d'activité, NOVA Gas International, dont M. Rick Milner est le vice-président exécutif. Nous avons ici utilisé notre compétence en matière d'exploitation de gazoduc et de génie, nous l'avons développée et vendue à travers le monde. Nous avons participé à environ 300 projets dans 50 pays. Voilà la base de notre deuxième secteur d'activités.

Le troisième est celui des produits chimiques, dont s'occupe M. Dave Sansom. Le secteur des produits chimiques de NOVA est l'entreprise pétrochimique la plus importante du Canada, et l'une des cinq plus grandes d'Amérique du Nord. Le produit pétrochimique de base est l'éthylène, produit dans plus de 60 complexes partout dans le monde. Tous les pays importants en ont. Notre complexe de production d'éthylène situé près de Red Deer, en Alberta, est le deuxième au monde pour ce qui est des coûts de production. Le seul endroit où ces coûts sont inférieurs se trouvent en Arabie Saoudite, où le gaz est transporté dans l'usine à un coût inférieur à celui du marché. Non seulement nous sommes les deuxièmes pour les coûts, mais nous sommes en train de construire au même endroit ce qui sera sans doute le plus grand complexe de production d'éthylène, qui sera opérationnel en l'an 2000. À ce moment-là, c'est nous qui aurons les coûts les plus faibles, en plus d'avoir le plus grand complexe au monde, construit avec des ressources canadiennes.

NOVA est le plus important actionnaire de Methanex, le plus important producteur mondial de méthanol. Son siège social est ici, à Vancouver, mais la plupart de ses usines sont à l'étranger.

Voilà donc les trois secteurs d'activité de NOVA. Nous voudrions vous parler plus particulièrement des produits chimiques et du secteur international. MM. Sansom et Milner prendront chacun quelques minutes pour vous parler des activités de leurs secteurs, en s'intéressant particulièrement aux activités en Asie-Pacifique.

M. Dave Sansom, vice-président, Produits chimiques, NOVA Corporation: M. Finn a déjà dit que nous sommes la plus importante société pétrochimique du Canada. Nos activités en Asie-Pacifique sont également importantes. J'aimerais vous parler des deux secteurs où nous concentrons surtout nos activités depuis 1984: la vente de résines plastiques de polyéthylène dans cette région et la vente de licences et de procédés de production de polyéthylène.

Nous exportons chaque année 100 000 tonnes métriques, ou environ 20 p. 100 de la production de polyéthylène de Joffre en Asie-Pacifique. Pour ceux qui ne connaissent pas les tonnes métriques, il s'agit de 100 millions de kilogrammes, et pour ceux qui sont nés avant 1960, 220 millions de livres. Nous avons des bureaux de vente à Singapour, Beijing et Tokyo. Nous avons en outre assez bien réussi à vendre nos procédés de production. Il y a trois usines de taille mondiale dans la région de l'Asie-Pacifique, en Corée du Sud, en Chine et en Inde. Je me suis occupé personnellement de la vente de cette technologie, il y a quelques années. Nous construisons actuellement en Inde deux autres usines et nous venons de vendre une licence en Ouzbékistan.

L'Amérique du Nord elle-même, qui est notre principal marché, ne connaîtra, au cours des prochaines années, qu'une croissance d'environ 4 p. 100 par an et la croissance de l'Asie, elle, va doubler ce pourcentage et s'établir à environ 7 p. 100. D'ici l'an 2002 nous prévoyons que nos ventes de résines plastiques doubleront. M. Finn a parlé d'une usine d'éthylène que nous avions l'intention de construire et qui ouvrirait ses portes en l'an 2000. L'éthylène ne se transporte pas sur de grandes distances, et nous devons donc en tirer des dérivés. Nous prévoyons également d'augmenter notre capacité de production de polyéthylène et espérons doubler le volume actuel de nos ventes sur le marché asiatique, pour atteindre 440 millions de livres.

Nous continuerons, en outre, à essayer de vendre notre technologie; nous pensons en effet qu'elle ne nous fera pas nécessairement concurrence, mais élargira notre marché. Nous chercherons également des débouchés de qualité supérieure pour placer des capitaux dans des projets de chimie, ce que devraient nous permettre notre technologie, notre connaissance des installations et notre avantage en matière de coût. Pour avoir des intérêts financiers en Asie, il nous faudra augmenter considérablement notre commercialisation dans le monde. Cette situation n'est toutefois pas sans également nous causer quelques soucis, dont je voudrais vous parler et qui découlent de notre vente de résine et de la vente de technologie que nous avons faites à ce jour. C'est là que je vais vous parler un peu plus de moi-même, car j'y ai joué un rôle.

Ce qui nous inquiète, c'est le fait qu'il n'existe pas de normes internationales de sécurité, de santé, d'environnement et de gestion du risque. NOVA adopte soit les normes canadiennes, soit les normes locales, mais toujours les normes les plus élevées. Dans toutes nos activités sur le marché international, nous avons milité en faveur d'une éthique responsable, mais nous constatons avec angoisse que dans les ententes internationales les normes sur la sécurité et l'environnement sont absentes. Il y a tendance à lier celles-ci aux ententes commerciales.

Ce qui pourrait constituer une perspective intéressante, ce serait de se pencher, au plan international, sur les questions d'environnement dans le cadre d'une entente multilatérale sur l'environnement qui traiterait des principaux problèmes de l'environnement dans le monde, et d'un pays à l'autre. Pour éviter la confusion des intérêts politiques qui débouchent sur des barrières non tarifaires au commerce, les gouvernements doivent clairement coordonner l'adoption de normes saines et sûres en matière d'environnement et de gestion des risques, par l'intermédiaire d'un organisme tel que l'ISO, l'Organisation internationale de normalisation.

Pour avoir des intérêts financiers dans un certain nombre de pays étrangers, en particulier en Asie, les obstacles que nous voyons vont au-delà des questions de sécurité et d'environnement; elles sont liées aux droits de la personne, aux principes d'éthique professionnelle et aux comportements politiques, qui sont également de plus en plus liés au commerce, parce que nous sommes en concurrence avec d'autres entités dont le code d'éthique diffère du nôtre.

Nous voudrions que le Canada déploie une activité plus intense sur toute cette question de l'éthique et des droits de la personne, questions sur lesquelles devraient se pencher les comités internationaux composés de représentants des gens d'affaires et des gouvernements, peut-être sous l'auspice d'un organisme semblable aux Nations Unies. Un code international de conduite qui comporterait des mécanismes de règlement des différends imposerait certains comportements tant aux gens d'affaires qu'aux fonctionnaires.

Nous collaborons actuellement avec plusieurs sociétés basées au Canada afin d'élaborer un code de conduite, défi que notre ministère des Affaires étrangères, à Ottawa, nous a lancé et que nous nous sommes empressés de relever. Le code serait applicable à tous les pays et obligerait tant les sociétés que les gouvernements, y compris leurs organismes, à respecter certaines normes et pratiques. Nous encourageons vivement le gouvernement canadien à promouvoir davantage un tel code d'éthique qui compléterait le commerce international au lieu de le compliquer.

M. Rick Milner, vice-président exécutif, Services internationaux de gaz naturel, NOVA Corporation: Monsieur le président, honorables sénateurs, dans les quelques minutes dont je dispose, je vais essayer de cerner les problèmes auxquels nous nous heurtons dans ce que nous appelons nos services internationaux de production et de distribution de gaz naturel. À cet égard, NOVA pense plus particulièrement à trois régions du monde extérieures au Canada et aux États-Unis, à savoir le Mexique, l'Amérique du Sud et la région de l'Asie-Pacifique, et dans cette dernière plus particulièrement à l'Asie du Sud-Est.

Voilà une vingtaine d'années que nous sommes sur le marché international des services de gaz naturel. Au début, et jusqu'à il y a environ cinq ans, nous nous occupions surtout de consultation. M. Finn a mentionné la gestion de projets, l'ingénierie et les services de consultation ou les produits de nature similaire. Pendant cette période, nous nous sommes également occupés de ce que j'appellerais la technologie des gazoducs et des transferts des services gaziers. Nous avons, avec ces services de consultation, transféré, dans une grande mesure, notre expérience et nos connaissances dans ces régions, comme en témoigne la relation que nous avons avec Petronas en Malaisie. Nous étions sur les lieux dès le début et avons contribué au développement du réseau gazier de cette péninsule.

Nos services de consultation comprenaient également, comme élément important, des activités de formation et de vastes programmes avec des ressortissants dans ces divers pays, en assurant cette formation tant sur les lieux qu'en amenant de grands groupes dans nos installations et en leur assurant une formation sur notre propre système de transmission du gaz naturel.

Cette expérience de 20 ans de consultation nous a permis de mieux comprendre la région appelée Asie-Pacifique et de mieux savoir ce que nous pourrions en retirer du point de vue de NOVA. Ces services de consultation constituent toujours encore une corde très importante à notre arc, car ils nous permettent d'établir des liens. Quand nous avons commencé à explorer cette région, nous nous sommes rendu compte qu'il nous fallait beaucoup de patience, et je crois que nous en avons fait preuve; en effet, les activités ou transactions ne se font pas du jour au lendemain, mais nous savons ce que nous voulons faire, et les occasions ne manquent pas.

Il y a quatre ou cinq ans, NOVA a réévalué sa stratégie. Sur le marché international du gaz naturel, nous avons jugé que, si important que soient les services de consultation, ce qui était plus important encore, c'était d'être l'investisseur et l'exploitant de l'infrastructure que nous construisions. En Amérique du Nord ainsi qu'au Mexique, en Amérique du Sud et en Asie-Pacifique, NOVA cherche des débouchés d'investissement; si nous réussissons dans notre stratégie, nos entreprises s'établiront dans ces pays. Nous voyons là des investissements à long terme et, conséquemment, nous devons continuer à acquérir des informations et des connaissances solides sur ce qui se passe dans ces régions.

En Asie du Sud-Est nous nous sommes particulièrement attachés à des pays comme la Malaisie, la Thaïlande et l'Indonésie, sans perdre de vue un pays comme le Vietnam, entre autres, où une expansion remarquable n'est nullement exclue. Nous avons également une expérience de consultation en Chine, et je serai heureux de répondre aux questions que vous pourriez me poser là-dessus. Nous sommes actuellement en plein milieu d'un programme de transfert de technologie sur six ans avec la China National Petroleum Corporation, qui a été fondée par l'ACDI; bien qu'il ne s'agisse pas d'un programme de grande envergure, cette expérience nous place en position favorable pour observer ce qui se passe dans ce pays. Nous avons reçu une aide précieuse des ambassades et des services commerciaux des consulats dans les pays dans lesquels nous oeuvrons. Nous utilisons activement ces services pour acquérir des informations et une meilleure compréhension du pays, ce qui nous permettra d'en savoir davantage que nos concurrents sur ce qui s'y passe.

Cette région du monde -- l'Asie-Pacifique, en particulier l'Asie du Sud-Est -- connaît une expansion économique rapide et remarquable. D'après les prévisions, la production d'électricité devrait augmenter de façon phénoménale. Le gaz naturel est devenu un combustible fossile de choix pour ces populations, qui disposent de sources abondantes de ce combustible et cherchent donc à l'acheminer vers leurs marchés, soit pour répondre à leurs besoins d'énergie, soit pour d'autres secteurs.

Toutes les grandes sociétés de ressources énergétiques du monde rivalisent pour se placer sur ce marché, qui est très compétitif en raison de la croissance économique, des besoins en expertise et capitaux ainsi que de l'évolution vers la privatisation. L'infrastructure nécessaire va de la tête de puits au consommateur proprement dit. Notre champ de compétence n'est pas en aval, dans l'exploration et la production: ce que nous faisons, c'est prendre le gaz du producteur, le recueillir, le transformer, l'acheminer et le transformer en énergie et le distribuer.

La recherche d'occasions d'investissement en Asie du Sud-Est et en Asie-Pacifique ne va pas sans problème. Mon collègue a parlé de quelques-uns des obstacles auxquels l'industrie des produits chimiques se heurte. J'ai pensé en mentionner certains auxquels nous sommes confrontés tous les jours. Il y a des problèmes qui ne constituent pas ce que j'appellerais des facteurs normaux de commerce et d'exploitation.

Évidemment, nous voulons faire des profits et augmenter la valeur des actions pour les actionnaires mais, ce faisant, nous devons faire très attention à d'autres facteurs que d'aucuns ont qualifiés de questions «douces». Celles-ci se retrouvent souvent en filigrane des relations entre les pays là-bas, et entre notre pays et la région en question.

Une des questions est celle de la sécurité des employés et de leurs familles. Quand nous investissons, nous devenons des citoyens permanents. Nous n'envoyons pas seulement des produits, nous envoyons nos gens avec leurs familles. La sécurité à l'intérieur de la région est un facteur très important. La sécurité d'un avoir et d'un investissement, une fois que nous avons fait l'investissement, est importante. Nous devons penser au risque d'expropriation, de suspension des mouvements d'argent et de trésorerie et à d'autres éléments qui pourraient avoir une incidence sur la sécurité de nos investissements.

Il y a un besoin énorme de créativité dans le financement. Les marchés financiers privés, les banques de développement et les organismes de crédit à l'exportation doivent devenir des partenaires plus importants afin de pouvoir combler les besoins énormes de financement auxquels sera confrontée cette partie du monde. Je ne suis pas un expert dans le domaine énergétique. Cependant, pour vous donner une idée, en Asie du Sud-Est, sept ou huit pays de l'ASEAN ont prévu que, au cours des 10 prochaines années, ils auront besoin de 200 000 mégawatts d'énergie électrique. En moyenne, chaque mégawatt coûte environ un million de dollars à installer. Donc, au cours des sept ou huit prochaines années, cela coûtera 200 milliards de dollars. Les prévisions de la Chine sont de 400 000 mégawatts. Même si ce ne sont que des prévisions, cela montre l'importance du capital dont devra disposer le reste du monde pour aider ces gens à développer leurs économies.

Quand nous évaluons les occasions d'investissement, nous tenons compte des pratiques en matière de sécurité, de santé et d'environnement. Être un investisseur sur le terrain a l'avantage de nous permettre d'influer sur le développement. Nous n'avons pas besoin d'exercer une influence de l'extérieur, puisque nous sommes là. Nous l'avons fait avec un certain succès. Cela dépend souvent du niveau auquel ces pays sont rendus dans le développement de meilleures normes. Les gens doivent savoir qu'ils ne sont pas tous au même niveau. Ils sont à des points différents sur la courbe et plus les investisseurs dans ces pays et d'autres organismes auront d'influence plus ça va aider.

Nous pensons que les lois, les règles et les règlements ne sont pas clairs. Venant d'un milieu d'affaires réglementé, au Canada, c'est très difficile pour nous. L'existence ou l'absence de règlements tient souvent au fait que les industries ont été contrôlées par le gouvernement. Le gouvernement possédait 100 p. 100 des intérêts. Il n'avait pas besoin de règles. Lorsqu'on commence à privatiser l'infrastructure et qu'on invite des investisseurs tels que NOVA et d'autres à la table, on doit avoir des règles de base pour que les investisseurs puissent croire en un avenir à long terme et puissent croire que les règles du jeu seront plus ou moins permanentes. C'est une autre question très importante pour nous.

M. Finn a parlé de problèmes de société: les droits de la personne et les normes du travail. C'est une autre question sur laquelle nous nous penchons. C'est très important pour nous et cela influe sur notre façon d'aborder certains pays.

Les pratiques en matière d'éthique et de conduite des affaires sont d'autres questions auxquelles nous faisons face tous les jours. Nous les avons à l'esprit avant de songer à faire un investissement. Nous y pensons quand nous remarquons une occasion d'affaires. La première fois qu'on va dans un pays, il faut faire face à ce genre de relations et elles influencent la façon de communiquer avec les partenaires locaux, les représentants locaux et les gouvernements locaux. Ce sont des éléments très importants et très révélateurs quand il s'agit de décider si oui ou non nous allons investir.

Les différents pays sont à des niveaux différents de développement pour ce qui est des politiques et des normes. Parfois, on a l'impression qu'il y a de grands écarts entre les normes canadiennes et nord-américaines et celles des pays dont nous discutons. Ces écarts diminuent, mais il faudrait accélérer le processus.

Quand des entreprises comme NOVA travaillent au niveau international, elles sont étudiées au microscope, pour ainsi dire. Nous sommes sous le microscope de nos propres conseils d'administration et de nos actionnaires. Ils veulent savoir pourquoi nous travaillons dans ces pays, et ils veulent savoir comment nous entendons accroître la mise des actionnaires dans ces pays. Nous sommes sous le microscope de nos employés. Nous sommes sous le microscope des groupes d'intérêts spéciaux. Nous sommes sous le microscope du gouvernement canadien qui se demande ce que le secteur privé canadien fait dans certaines de ces parties du monde.

Voilà les commentaires que je voulais faire.

M. Finn: Avant de finir, j'aimerais dire quelques mots à propos de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique ou de la région de libre-échange. Les détails se trouvent dans un mémoire que nous vous avons fourni, mais j'aimerais quand même faire quelques observations.

Nous appuyons fortement l'Organisation mondiale du commerce et, conformément à ce que vous avez déjà entendu, nous aimons l'idée de la normalisation et des règles. L'OMC est le meilleur véhicule pour faire cela. Toute entente commerciale, négociée autrement, devrait être conforme au GATT.

La forte prolifération d'ententes commerciales nous inquiète quelque peu. Nous nous demandons pourquoi nous avons besoin de tant d'ententes bilatérales, multilatérales et plurilatérales, compte tenu surtout du fait que ces nouvelles ententes sont souvent assorties d'ententes auxiliaires qui engendrent la nécessité d'organismes tels qu'une commission de l'environnement ou une commission du travail. Il doit y avoir une certaine rationalisation à laquelle il faudrait penser.

L'autre question importante reprend ce que MM. Sansom et Milner ont dit. Les ententes commerciales sont inutilement compliquées si elles incluent des questions liées aux normes du travail, à l'environnement, à l'éthique et aux droits de la personne. Cela ne veut pas dire que ces questions ne sont pas importantes et ne devraient pas faire partie des ententes multilatérales conclues parallèlement aux ententes commerciales, mais on ne devrait pas compliquer les ententes en y incluant toutes ces questions.

Dans notre mémoire, nous mentionnons six points précis que nous aimerions retrouver dans la région de l'APEC. Ces éléments figurent dans une entente type du GATT, où on reconnaît mutuellement les normes de chacun des pays. Si tous les pays les adoptaient, on n'aurait pas à respecter des normes différentes partout.

L'élimination des subventions, la protection de la propriété intellectuelle, la libre circulation des gens, les services, les investissements et un mouvement vers des normes communes partout au monde devraient faire partie de toute entente commerciale de l'APEC.

Nous sommes maintenant prêts à toute question que vous pourriez avoir.

Le sénateur Austin: Votre exposé m'a beaucoup intéressé. En ce qui a trait aux normes de conduite, a-t-on remarqué que les entreprises américaines doivent respecter une loi anticorruption? Cette loi a été adoptée après le scandale de Lockheed au Japon dans les années 70. Pensez-vous qu'un code de conduite adopté par le Congrès américain a empêché les entreprises américaines de quelque façon que ce soit de faire concurrence avec vous?

M. Milner: Monsieur le président, il s'agit du Foreign Corrupt Practices Act (Loi sur les pratiques frauduleuses à l'étranger). NOVA doit respecter cette loi parce qu'elle est une société cotée en bourse qui compte des actionnaires aux États-Unis et au Canada, partout au monde, et parce qu'elle est enregistrée aux États-Unis. Cette loi soulève des questions très personnelles, de mon point de vue, parce que chaque représentant de la société doit faire un examen de conscience en ce qui a trait à ces questions. La question est la suivante: à part les États-Unis, est-ce que d'autres pays s'y conforment? Ce n'est pas une question de sociétés américaines versus les sociétés canadiennes. Nous avons le même degré de vigilance et de responsabilité. Les dispositions de cette loi sont justes et n'ont pas entravé notre développement. Nous sommes relativement nouveaux dans le secteur, nous avons commencé à mettre l'accent sur l'investissement il y a environ quatre ou cinq ans, et nous avons obtenu beaucoup de succès en Amérique du sud. Nous n'avons pas fait d'investissements sur le terrain en Asie du Sud-Est. Nous nous y efforçons, et nous ne croyons pas que nous serons frustrés dans nos ambitions tant que tout le monde respectera les mêmes règles.

Le sénateur Austin: Le Parlement fédéral devrait-il adopter une loi semblable à la Loi anti-corruption américaine? Vous dites que nos entreprises internationales se conforment déjà à ces normes. Moi aussi, j'ai noté la même chose. Avons-nous besoin d'insister davantage sur ce point en nous dotant d'une politique nationale afin de promouvoir l'adoption d'un code international de conduite?

M. Milner: Du point de vue de notre entreprise, nous en sommes déjà là. Cette question ne nous gêne pas. Dans l'ensemble, la loi est équitable puisqu'elle applique un critère de la personne raisonnable quant à ce que vous savez ou devriez savoir. Personnellement, je crois que ce serait approprié de le faire.

Le sénateur Austin: Est-ce que nos grandes entreprises discutent de ce code de conduite avec nos concurrents européens? A-t-on établi des rapports avec les entreprises européennes ou bien est-ce qu'on reste silencieux sur cette question?

M. Sansom: Oui et non. On discute de cette question de façon assez suivie. Tout à l'heure, j'ai dit que nous faisions partie d'un groupe d'entreprises qui participent à l'élaboration d'un code de conduite. La Société Shell fait partie de ce groupe, et cette entreprise fait des affaires à travers le monde, surtout en Europe. Shell souscrit au concept et examine la possibilité de l'adopter. Il existe d'autres initiatives également, comme Transparency International, qui a vu le jour en Europe et s'étend dans les pays de l'Ouest, et qui essaie d'élaborer un code de conduite relatif à l'éthique commerciale. Est-ce que toutes les entreprises de tous les pays d'Europe sont rendues au même point? Non.

Le sénateur Austin: Dans la même optique, il y a de grandes entreprises dans les pays asiatiques, en Chine, au Japon et en Indonésie. Ces entreprises s'intéressent-elles également à l'élaboration d'un code international de conduite? Sont-elles vos alliées naturelles?

M. Sansom: Non. Voilà le problème en partie. Nous luttons à armes plutôt égales lorsque nous faisons affaire ou lorsque nous sommes en concurrence avec les États-Unis en Asie du Sud-Est. Je ne viserai pas l'Europe, mais les chances ne sont pas égales pour les autres pays du monde qui essaient de s'établir en Asie, soit au sein de ces pays ou de l'extérieur. Cela explique notre préoccupation en ce qui concerne le concept de codes de conduite vraiment internationaux, vraiment intergouvernementaux et inter-entreprises.

M. Milner: Ces dix dernières années, nous avons fait pas mal de progrès dans ce domaine, peut-être grâce à la Foreign Corrupt Practices Act, mais nous avons constaté une amélioration des pratiques commerciales pendant cette période, même au moment où nous faisions de la consultation. Il existe toujours un écart énorme, mais partout où on va, il est moins apparent qu'il était il y a 10 ou 15 ans. Il y a une amélioration au sein des organismes et des groupes auxquels M. Milner a fait allusion. Trouver un moyen de réduire cet écart va certainement nous aider grandement.

Le sénateur Austin: Je constate que, au fur et à mesure que les marchés financiers mondiaux se développent, les normes auxquelles il faut répondre pour obtenir du capital, que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe, ont tendance à améliorer la transparence de ces entreprises et de leurs pratiques. Quand une entreprise est inscrite à la Bourse de New York ou à une bourse européenne, elle est assujettie à un code de conduite complètement différent. Peut-être que ces événements vont entraîner une amélioration des pratiques internationales.

Le sénateur Carney: Je suis tout à fait d'accord avec votre exposé, mais vos observations en ce qui concerne cette question d'éthique et du code de conduite semblent contredire ce que vous avez précisé dans votre mémoire, c'est-à-dire que vous ne croyez pas que les questions d'éthique et des droits de la personne devraient être liées au commerce puisqu'une telle approche embrouille les questions commerciales et les droits de la personne.

À n'en pas douter, il existe un lien entre les normes internationales et un code de conduite des affaires -- les normes relatives au travail des enfants, à la sécurité et toutes ces autres questions afférentes. Comment expliquez-vous votre déclaration?

M. Sansom: Je voulais dire que ces normes ou ces codes de conduite en particulier ne devraient pas être liés à des ententes commerciales précises, mais qu'il faut les voir comme un volet séparé et distinct du commerce. Ce sont normalement des principes obligatoires qui doivent faire l'objet d'une décision multilatérale. En ajoutant de tels éléments à une entente commerciale précise, on complique énormément les arrangements. Nous admettons que ces éléments constituent des questions commerciales. La possibilité de faire concurrence change lorsqu'il faut composer avec des normes différentes et une éthique différente. Nous n'avions aucunement l'intention de vous donner l'impression que ces choses-là ne sont pas des questions commerciales. Elles en sont.

Le sénateur Carney: Nombreux sont ceux qui appuient cette position. Il faut régler ces questions dans un contexte international. Pourrions-nous modifier votre déclaration écrite pour dire: «Néanmoins, nous ne croyons pas qu'on doive lier la question de l'éthique et des droits de la personne à des ententes commerciales précises puisqu'une telle approche embrouille les questions commerciales et les droits de la personne»?

Si vous voulez ajouter quelque chose à votre mémoire à la lumière de ce débat, je suis certaine que le président acceptera un paragraphe révisé. Il s'agit d'un point important et le procès-verbal devrait être clair.

Le sénateur De Bané: Vous avez soulevé un autre point dans la même phrase. Vous dites qu'il ne faut pas lier les droits de la personne au commerce.

M. Finn: L'ALÉNA comporte des accords auxiliaires relatifs au travail et à l'environnement. La façon de lier ces éléments est appropriée, mais ces choses-là sont liées et ne font pas partie intégrante de l'une entente commerciale.

Si une entente commerciale qui cherche à énoncer les règles régissant comment vous allez commercer assimile également les règles internationales en ce qui concerne la sensibilisation aux droits de la personne et la protection de ces mêmes droits, les questions environnementales et d'autres questions liées au travail, vous allez vous retrouver avec tellement d'objectifs de politique et d'ententes internationales que vous allez compliquer inutilement le commerce. Vous créerez quelque chose que vous cherchez à éviter. Vous essayez de libéraliser le commerce et de faciliter le mouvement des gens et des ressources ainsi que la protection de la propriété intellectuelle. En regroupant toutes ces choses ensemble, vous risquez de semer la confusion et d'ouvrir la porte aux obstacles non tarifaires. Il faut surtout trouver un moyen de créer des accords multilatéraux parallèles aux ententes commerciales, pour que l'entente commerciale soit une entente parallèle parmi d'autres. Le commerce ferait l'objet d'une entente, les droits de la personne feraient l'objet d'une deuxième entente et le travail ferait l'objet d'une autre entente. De cette façon, vous sauriez exactement ce que vous voulez faire dans chacun des domaines, et vous pourriez discuter de la façon de les lier. C'est donc là l'approche que nous préconisons; nous préférerions ne pas les inclure dans une seule entente.

Le sénateur De Bané: Permettez-moi de vous rappeler ce que l'ancien premier ministre Harcourt nous a dit hier en discutant de ces questions. Il a dit qu'il ne faut pas être arrogant à l'égard de ces pays en leur imposant notre éthique commerciale ainsi que tous les autres droits que nous avons pris un certain temps à admettre nous-mêmes.

Mettant de côté cette liste de souhaits pour l'instant, vous dites, à la page 4 de votre mémoire, au paragraphe relatif à la collaboration entre gouvernement et industrie, qu'on pourrait accroître cette participation et améliorer certaines choses. Le gouvernement et l'industrie doivent collaborer. Vous dites que la mission d'Équipe Canada a été très utile, mais qu'une participation accrue s'impose. Vous citez un exemple et je ne le comprends pas très bien. Pourriez-vous nous fournir une explication de ce que vous cherchez? À quelle sorte d'amélioration pensez-vous au juste?

M. Finn: Ces autres codes de conduite me préoccupent en particulier. Nous avons fait progresser le commerce là où il en est aujourd'hui grâce à la collaboration entre l'industrie et le gouvernement; tout cela est maintenant enchâssé dans l'Organisation mondiale du commerce. Si nous examinons l'accord APEC, nous pourrions dire qu'il fait avancer le processus commercial non seulement parce que les gouvernements vont réussir à créer une zone de libre-échange parmi ces 18 pays, mais aussi parce qu'ils travaillent beaucoup plus fort pour faire participer l'industrie.

Si on applique ce modèle aux questions parallèles, c'est-à-dire aux droits de la personne, au travail et à l'environnement, des discussions multilatérales s'imposent. Il faut prévoir de telles discussions multilatérales pour éviter le problème évoqué par le premier ministre Harcourt: l'arrogance des Nord-Américains qui désirent imposer leurs normes aux autres. On pourra l'éviter en prévoyant des discussions multilatérales auxquelles participeront tous les 18 États membres de l'APEC pour essayer de déterminer les pratiques relatives au travail et à l'environnement ainsi que les codes des droits de la personne.

La seule façon réaliste d'y arriver, c'est d'amener le gouvernement à prendre l'initiative parce que le processus de l'APEC en soi ainsi que l'OMC sont des organismes gouvernementaux ou quasi gouvernementaux. Si le gouvernement prenait les choses en main et travaillait de concert avec l'industrie, il y aurait une meilleure collaboration entre le gouvernement et l'industrie.

Le sénateur De Bané: Dans votre mémoire, vous dites que cela pourrait amener le gouvernement canadien à fournir plus d'aide aux entreprises travaillant en Asie-Pacifique en leur accordant plus de financement. Ne croyez-vous pas que la priorité pour votre entreprise ainsi que pour tous les Canadiens c'est de diminuer le déficit et non pas d'augmenter les fonds que pourrait verser le gouvernement à NOVA ou à d'autres entreprises? C'est ce que nous ont dit d'autres représentants du monde des affaires ici aujourd'hui. Vous dites maintenant que le gouvernement devrait vous fournir davantage de fonds. S'agit-il vraiment de cela?

M. Milner: Il ne faut pas oublier le contexte dans lequel je l'ai dit: il s'agit de voir ces pays en voie de développement et de comprendre le fardeau financier énorme qu'ils devront assumer pour faire progresser leurs économies pendant les 10 ou 15 prochaines années. NOVA ne cherche pas à emprunter pour mieux faire fructifier ses investissements. Ça, je puis vous l'assurer. Dans la plupart des cas, ces pays demeurent propriétaires de certaines de ces ressources. Afin d'exploiter ces ressources, ils ont besoin de capitaux. À l'heure actuelle, l'Indonésie essaye d'aménager son propre réseau gazier dans la péninsule et cherche du financement auprès de la Banque asiatique de développement, banque à laquelle participe le Canada, pour son expansion future. L'Indonésie fait aussi appel aux services de la Banque mondiale, où le Canada assure aussi une participation, afin de pouvoir emprunter des fonds directement auprès d'autres pays pour développer son infrastructure.

Nous n'exportons pas de biens, nous exportons des ressources intellectuelles. Les pays qui veulent payer pour ces ressources doivent souvent chercher ailleurs le financement nécessaire à leur expansion. Nous ne supplions pas, nous proposons que ces pays, qu'il s'agisse du Canada, des États-Unis ou de tout autre pays de l'OCDE, aident les pays moins développés à assurer leur croissance. Certains de ces pays ont d'énormes problèmes de déficit. L'APEC fera face à un défi intéressant lorsqu'il faudra traiter avec ce transfert d'énormes capitaux, transfert qui permettra à certains des membres d'assurer leur croissance, et c'est de là que viendra l'appui du gouvernement. Il n'ira pas directement à une industrie comme NOVA qui pourra ensuite investir.

Le sénateur Grafstein: Nous avons entendu dire hier que la formation de capitaux dans les pays riverains du Pacifique se fait plus rapidement qu'au Canada à cause des taux d'épargne. Les taux d'épargne sont parfois le triple et même le quadruple des nôtres, et c'est une des surprises que nous avons eues lors des témoignages d'hier. Leur formation de capitaux s'accomplit beaucoup plus rapidement que la nôtre. J'ai l'impression que ces pays, et surtout la Chine, se servent astucieusement de nos capitaux pour aider au transfert technologique plutôt que d'avoir à payer pour cette technologie comme le ferait une entreprise normale.

Il y a divers sons de cloche à propos de l'ACDI. À la page 3, vous dites que vous avez eu du succès dans deux de vos démarches auprès de l'ACDI. L'ACDI devrait-elle occuper cette sphère d'activités? Pourquoi ne devrions-nous pas privatiser le secteur de l'ACDI qui s'occupe directement de transactions commerciales? Pourquoi le gouvernement fédéral devrait-il indirectement subventionner l'ACDI? Cet organisme n'est plus une société de développement et il fournit maintenant un financement indirect aux transactions commerciales. Pourquoi ne pas mettre tout cela sur une base commerciale et diminuer ainsi notre déficit?

M. Milner: Je ne peux que vous dire que c'est ce qui se passait dans le temps où l'ACDI était un facteur. Dans les deux cas que nous avons cités dans notre mémoire, l'ACDI a servi à transférer de la technologie. Ce que nous avons transféré, cependant, n'était pas un produit que le pays récipiendaire a pu nécessairement exploiter à son avantage et en tirer un profit. Nous avons transféré notre expertise canadienne en matière de pipeline et l'ACDI a servi d'intermédiaire avec la Chine. Nous l'avons aussi fait au Pakistan en créant des programmes de formation énormes pour permettre à leurs gens d'améliorer leurs connaissances et la prestation de leurs services. De ce point de vue, la seule autre façon de faire profiter cette région de nos ressources et de notre expertise serait de faire le travail nous-mêmes parce que cela ne pourrait se faire autrement.

Le sénateur Grafstein: Je ne propose pas que NOVA le fasse. Je me demande si ce genre de financement pourrait ou non être confié au secteur privé pour lever des fonds précisément pour cette fin plutôt que de laisser NOVA le faire. Je songe à une entreprise bancaire fonctionnant en vertu des principes du secteur privé plutôt que ceux du secteur public.

M. Milner: Traditionnellement, l'ACDI a toujours facilité ce genre de transfert de connaissances et d'information. Lorsque l'opération prend une tournure plus commerciale, il est évident qu'on peut faire appel à d'autres marchés de capitaux et à d'autres banques de développement. La méthode de l'ACDI n'est intéressante que lorsqu'un gouvernement étranger ou qu'une société d'État d'un gouvernement étranger cherche à obtenir un transfert technologique ou de l'aide dans le domaine de la formation et cette méthode est très bien définie et très bien comprise.

Lorsqu'il s'agit d'aller au-delà de cela, on peut assez compter sur les marchés de capitaux. Dans certaines circonstances, il faut l'appui offert par les organismes experts en matière de crédit ainsi que l'appui des banques de développement pour mener à bien l'opération de financement. Il y a beaucoup de capitaux qui cherchent preneur.

Pour m'éloigner un peu de votre question sur l'ACDI, on dit dans les milieux financiers que bon nombre de ces pays sont à «l'article de la mort». Ils entreprennent à peine la réforme de leur économie pour en assurer la croissance. Jusqu'ici, ces pays ne jouissent pas encore de la confiance totale des marchés internationaux de capitaux et ne peuvent donc pas prétendre à leur plein appui.

À notre avis, l'ACDI devrait se concentrer sur le transfert de technologie et de ressources intellectuelles. Pour le reste, nous nous tournerons vers les autres marchés de capitaux.

Le sénateur Andreychuk: Si je vous comprends bien, vous croyez que les relations d'affaires devraient rester les mêmes, mais vous voudriez que tout cela se fasse dans le cadre de pratiques commerciales équitables, et l'Organisme mondial du commerce veillerait probablement au respect de ces normes internationales. En passant, je suis pour. Dans votre mémoire, vous encouragez le gouvernement canadien à voir ce qu'il peut faire pour créer un tel code de conduite qui viendrait compléter le commerce international plutôt que le compliquer. Puis-je en déduire que le monde des affaires progresse beaucoup plus rapidement et devient de plus en plus compliqué? Nous avions l'impression que l'Organisation mondiale du commerce réussirait à créer ces conditions qui permettraient au commerce de prendre de l'expansion.

De plus, j'espère que vous ne dites pas que les droits de la personne ne sont liés qu'au commerce et qu'ils devraient faire partie d'une stratégie de politique étrangère, de gouvernement à gouvernement, au niveau de toutes les autres relations parallèles qu'entretiennent les gouvernements hors des cercles commerciaux.

M. Sansom: Il s'agit d'une question d'affaires étrangères, de gouvernement à gouvernement, et les entreprises travaillent de concert avec le gouvernement pour offrir leur appui à ce niveau. Quelle est la bonne tribune? Je ne suis pas sûr que ce soit l'Organisation mondiale du commerce, les Nations Unies ou tout autre organisme, mais nous croyons qu'il s'agit d'une question englobante qui concerne les échanges entre pays au niveau de leurs affaires étrangères.

Le sénateur Andreychuk: À ne pas abandonner.

M. Milner: À ne pas abandonner. Nous comptons sur votre comité et sur beaucoup d'autres pour essayer de convaincre notre gouvernement de continuer à faire diligence à cet égard.

Le sénateur Andreychuk: Tandis que les gouvernements se préoccupent de cette question, il reste à résoudre les questions entourant la propriété intellectuelle -- comment assurer cette protection et quel sera notre succès au niveau international. Comment cette question s'inscrit-elle dans ce que vous faites? Comme vous l'avez souligné, vous vous aventurez dans des pays où il n'y a pas de codes de conduite parce que tout était régi auparavant par leurs gouvernements; cependant, maintenant, ils s'orientent vers la privatisation. Nous savons ce qui s'est passé dans le cas des cassettes de magnétophone Guess. La question de la propriété intellectuelle présente un certain flou. Quelle précaution devez-vous prendre avant de vous lancer dans ces pays?

M. Sansom: La question de la propriété intellectuelle concerne surtout nos ventes de technologie, qu'il s'agisse de technologie en matière de pipeline ou de fabrication de polyéthylène. Nous avons signé assez librement des contrats avec des gens qui protégeront cette technologie pendant maintes années à venir. Notre technologie est si massive et si évidente qu'on ne peut la cacher. Lorsqu'on implante une usine de polyéthylène, inutile de nier son existence. On n'évolue pas dans le même milieu que les jeans, les montres ou les cassettes Guess. Nous croyons que notre situation est quand même différente.

De plus, l'industrie chimique est une industrie relativement fermée -- nous avons une assez bonne idée de ce que font nos concurrents. Nous savons si oui ou non ils ont ajouté de nouvelles technologies.

M. Finn: Cependant dans le cadre de l'ALÉ, de l'ALÉNA et du GATT, et dans notre mémoire, nous avons dit qu'à notre avis il faut avoir une bonne protection de la propriété intellectuelle. Même si notre industrie ne souffre pas forcément autant que certaines à cause du non-respect de la propriété intellectuelle -- et il faut dire aussi qu'il est plus difficile de faire cela dans notre domaine que dans d'autres -- nous continuons de croire que des codes internationaux rigoureux pour protéger la propriété intellectuelle sont nécessaires. Les récentes négociations de l'Uruguay Round du GATT ont porté sur la protection de la propriété intellectuelle. Il faut prévoir un ensemble de règlements que tout le monde doit respecter et il faut prévoir un mécanisme de règlement des différends.

Nous disons aussi qu'il faut en faire autant dans le cadre d'un accord commercial de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique. Il faut prévoir clairement une protection très forte de la propriété intellectuelle. Si le code n'est pas respecté, il faut avoir recours à un mécanisme de règlement des différends.

Le sénateur Andreychuk: J'aime bien votre position au sujet des questions d'éthique et des droits de la personne. Certains témoins nous ont dit que le gouvernement du Canada doit suivre l'exemple des autres pays s'il veut que les entreprises canadiennes soient compétitives. Nous n'avons pas demandé ce que cela voulait dire, mais je pense que tout le monde a très bien compris. Quelle serait votre réaction si le gouvernement devait adopter une telle approche?

M. Milner: Si je comprends bien, vous voulez savoir commet nous réagirions si le gouvernement du Canada devait s'imposer pour s'occuper directement de cette question?

Le sénateur Andreychuk: Certains témoins nous ont dit que les pratiques de certaines sociétés laissent à désirer, et que les gouvernements sont au courant de cela et acceptent de telles pratiques. Puisque nous insistons sur la transparence, nous sommes moins compétitifs. L'avantage compétitif ne tient pas uniquement aux qualités du produit. On peut avoir un excellent produit, mais perdre le contrat pour d'autres raisons. Le gouvernement du Canada doit comprendre cela et adopter certaines pratiques utilisées par les autres gouvernements pour aider les entreprises. J'ai tenu pour acquis qu'on parlait de quelque chose de négatif.

M. Sansom: Le gouvernement du Canada ne doit pas abaisser ses normes d'éthique. Le gouvernement du Canada, de même que le secteur industriel canadien, peuvent donner l'exemple au reste du monde. Si le gouvernement peut nous aider à comprendre les pratiques utilisées dans d'autres pays et comment surmonter nos inquiétudes, ce serait très bien, mais il faut que le Canada collabore à la mise en place d'un code de conduite.

M. Milner: Pour NOVA Gaz et NOVA Gaz International, l'important c'est de constater que le Canada et l'Amérique du Nord ont des normes, à cause du débat qui a entouré l'adoption de la Foreign Corrupt Practices Act. Les employés des entreprises sont maintenant tenus de se conformer à ces normes. Nous apprécions beaucoup l'aide que nous offrent les diverses ambassades partout au monde, qui nous permet de mieux comprendre la situation dans les différents pays. Les normes suivies par les ambassades sont très élevées. Les nôtres aussi. S'il faut abaisser ces normes afin de rester en affaires, alors il faudrait se retirer des affaires. L'économie au Canada et en Amérique du Nord est très grande et nous permet de continuer à faire les investissements et d'être prospères. Il n'est pas nécessaire d'abaisser les normes.

D'un autre côté, certains pays sont en période de transition et n'ont pas fait autant de progrès que nous l'aurions souhaité. Ils sont toujours aux prises avec certaines questions fondamentales qui nous inquiètent beaucoup, mais ils font des progrès. Les tribunes que nous avons mentionnées permettront de faire des progrès et de combler certaines lacunes.

Le sénateur St. Germain: Tenez-vous compte de questions comme les droits de la personne, le travail des enfants, et cetera, lorsque vous prenez ces décisions?

M. Milner: Certainement. Nous y pensons à l'interne. Nous avons eu l'occasion de travailler dans certains pays, mais nous avons refusé, car après avoir discuté avec nos propres dirigeants et avec le gouvernement canadien, nous avons choisi de ne pas y aller, même si d'autres l'ont fait. Pour que nous soyons à l'aise, il faut que certaines normes soient respectées. Nous ne sommes pas obligés de faire des affaires dans tous les coins du monde si nous n'y sommes pas à l'aise.

Le sénateur St. Germain: D'aucuns disent que certains pays occidentaux sont disposés à traiter avec des dictateurs de gauche et non pas avec des dictateurs de droite. Cette question a-t-elle été soulevée dans vos délibérations?

M. Milner: Nous n'avons pas discuté directement de la gauche ou de la droite. Il existe des normes. Je pourrais peut-être répondre à la question en vous racontant une anecdote. Nous traitons avec des partenaires dans les régions dont les normes environnementales, éthiques et déontologiques sont semblables aux nôtres. Cependant, ils pourraient être engagés dans une région où nous refusons de travailler. Étant donné que ce sont des voisins, nous leur avons dit ouvertement que nous refusons d'aller dans certains pays, et nous leur avons demandé pourquoi ils y travaillent. Dans certains cas, leur réponse est très simple, et dans d'autres, elle est très complexe. Ils sont là pour aider les citoyens de ces pays à se développer. Les gouvernements et les dirigeants changent, mais la population sera toujours là, et si elle a besoin d'aide, ils peuvent l'aider. Ce sont des chefs d'entreprises assez chevronnés qui le disent. C'est ainsi qu'ils justifient leur présence sur ces marchés. Que le gouvernement soit de gauche ou de droite, ils peuvent toujours le faire. Nous restons à l'écart, à des milliers de kilomètres outre-mer, et nous nous demandons pourquoi ces gens-là le font. Nous y réfléchissons beaucoup et, dans certains cas, nous ne nous engageons pas, même si nous écoutons attentivement les conseils que l'on nous donne.

Le président: Les témoins de NOVA nous ont beaucoup aidés. Je n'ai pas été déçu. Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, nous recevons maintenant M. Jan W. Walls, qui est titulaire de diplômes universitaires en langues et littératures chinoise et japonaise. Il a d'abord enseigné à l'Université de la Colombie-Britannique et à l'Université de Victoria. Pendant quelque temps, il a été premier conseiller chargé des affaires culturelles et scientifiques à l'Ambassade du Canada à Beijing. De 1985 à 1987, il a été vice-président principal de la Fondation Asie-Pacifique du Canada, qui venait d'être créée. Actuellement, il est directeur fondateur du nouveau programme Asie-Canada à l'Université Simon Fraser, un programme d'étude interdisciplinaire de matière secondaire ou un programme intensif de matière secondaire menant à un diplôme et destiné aux étudiants du premier cycle qui veulent compléter leur champ de concentration traditionnel avec des compétences de base en langues et culture asiatiques, ainsi qu'une compréhension du patrimoine asiatique canadien.

J'apprends que M. Walls est un témoin très intéressant et éminemment informé dans le domaine des relations interculturelles.

M. Jan Walls, directeur, Programme Asie-Canada, Université Simon Fraser: Permettez-moi d'abord de rappeler à mes collègues que le Canada a été découvert au moins deux fois. La première découverte du Canada, à ma connaissance, a été le fait des personnes qui ont immigré ici en provenance de l'Asie à l'époque glaciaire. Ces personnes ont traversé à pied le détroit de Béring et ont découvert le Canada. Je ne sais pas si elles l'ont fait à dessein en cherchant de nouveaux territoires ou si elles l'ont fait par hasard en essayant de fuir le mouvement glacial. Quoi qu'il en soit, la première découverte a été celle des ressortissants de l'Asie qui sont maintenant nos Premières nations.

La deuxième découverte a eu lieu quelques milliers d'années plus tard, lorsque les Européens sont arrivés, non pas parce que le Canada était leur destination, mais parce qu'ils cherchaient un raccourci pour accéder aux richesses de l'Asie.

De nos jours, bon nombre de nos collègues dans toutes les régions du pays cherchent des raccourcis vers les richesses de l'Asie. À mon avis, cela est important, non seulement du point de vue purement interculturel, mais aussi du point de vue pragmatique en ce qui concerne nos intérêts économiques, car nous cherchons encore divers raccourcis pour accéder aux richesses de l'Asie.

Je voudrais dire quelques mots sur ce que je considère comme «le quatrième pouvoir» -- à savoir les citoyens inter-culturellement compétents pour des relations nationales et internationales. La distinction entre la compétence inter-culturelle à des fins internationales et la compétence inter-culturelle pour la survie quotidienne dans notre propre pays devient de plus en plus théorique à mesure que notre population se diversifie.

La meilleure façon d'illustrer l'importance du phénomène est de décrire les trois chapeaux que je porte. J'essayerai de vous contaminer avec mon enthousiasme à l'égard des trois rôles que je joue. Mon premier rôle est classique, en tant que professeur à l'Université Simon Fraser travaillant avec des étudiants du premier cycle et des cycles supérieurs. Je suis directeur du programme Asie-Canada. Ce programme a été créé pour donner aux étudiants inscrits dans les disciplines ordinaires la possibilité d'acquérir une compétence culturelle de base dans les langues et les cultures de l'Asie. Je ne le dis pas de façon péjorative, car je respecte les disciplines et les départements classiques, qu'il s'agisse de l'économie, de l'histoire, de la science politique ou de l'administration des affaires. Nous avons des brochures si cela vous intéresse. C'est un aspect très important, non seulement pour créer un autre centre d'excellence marginalisé s'occupant d'obscures études orientales, mais aussi pour nous intégrer parmi les grands de ce monde. Voilà pourquoi je parle de l'importance des départements classiques au sein de l'université.

Mon deuxième chapeau est celui de directeur du Centre David Lam pour la communication internationale, où je travaille avec les gens de carrière. Il s'agit de gens d'affaires, de professionnels et de fonctionnaires qui, en raison du trafic et du commerce croissants avec des collègues qui semblaient auparavant très éloignés de l'autre côté du Pacifique, se retrouvent maintenant, pour la plupart, à neuf heures à peine d'ici et même moins parce que nous communiquons grâce au réseau Internet, au téléphone et au télécopieur. Nous faisons des affaires avec eux chaque jour. J'assure la formation de gens d'affaires, professionnels et fonctionnaires qui ont besoin d'acquérir une compétence inter-culturelle pour mener des activités qui ne sont plus obscures, mais tout à fait ordinaires.

Le Centre Lam a été créé en 1989 et, en 1990, nous avons commencé à former des gens d'affaires. À ce jour, 2 500 personnes des milieux d'affaires, professionnels et gouvernementaux ont ainsi acquis divers niveaux de langue et de culture de l'Asie de l'Est. Nous en sommes très fiers, car cela signifie qu'il y a 2 500 personnes qui ne traitent plus avec «l'impénétrable Orient» -- c'est ainsi que j'ai connu cette région du monde quand je suis entré à l'université --, mais avec des gens possédant une combinaison intéressante de similitudes et de différences.

Nous avons besoin de diversité non seulement dans la région du Pacifique mais au Canada même. Il est beaucoup plus facile de voir les différences que de voir les similitudes, qu'il s'agisse de notre habillement, de la forme de notre nez ou de la couleur de nos cheveux. Depuis 2 000 ans, la première phrase que tout étudiant en chinois mémorise est la suivante «Ren zhi chu, Xing ben shan», ce qui veut dire qu'à la naissance, les êtres humains sont essentiellement bons. «Xing xiang jin», ce qui veut dire que de par leur nature, ils sont très proches et ont beaucoup de choses en commun. «Xi xiang yuan», ce qui signifie qu'en raison des expériences de vie différentes, ils semblent éloignés les uns des autres. Des expériences différentes créent des habitudes différentes, et des habitudes différentes créent des mentalités différentes, et c'est ainsi que naît la différence. Celle-ci provient uniquement des expériences différentes.

Aujourd'hui, grâce au progrès dans la technologie des transports et des communications, nous partageons de plus en plus nos expériences. Celles-ci deviennent de moins en moins différentes. Toutefois, nous partons d'une base différente pour en arriver à des similitudes et à des modes de vie communs. Très souvent, le point de départ est ethnolinguistique, même si les expériences de vie sont essentiellement semblables. Les Chinois ont une autre façon intéressante de décrire ce phénomène. Ils l'appellent «Shu tu tong gui», c'est-à-dire des chemins différents menant au même but.

Pour bien fonctionner, n'importe quel système, qu'il s'agisse d'un système social, d'une civilisation, d'une entreprise ou d'un ministère, doit se tenir au courant et s'occuper de tous les domaines. Il y a des domaines dont on a tendance à s'occuper en priorité, d'autres qui peuvent attendre, mais en fin de compte, il faut s'occuper de tous les domaines. C'est ainsi que se passent les choses dans les cultures. De quoi va-t-on parler pour commencer? Qui va dire quoi à qui, et dans quel ordre? C'est la seule différence. Nous avons donné de la formation à 2 500 personnes. Nous comptons les gens au fur et à mesure, car parfois les gens reviennent pour un second ou un troisième cours. Il y a 2 500 personnes qui ont subi un lavage de cerveau grâce à ces cours, et nous considérons que c'est une contribution majeure pour l'élaboration de ce que j'appelle «des citoyens interculturellement compétents».

Le troisième chapeau que je porte est celui d'un bénévole dans le domaine de l'action directe. J'organise en collaboration des activités multiculturelles et interculturelles qui font appel à la participation de Canadiens d'origine asiatique ou de gens d'Asie. Je consacre beaucoup de temps à cette activité bénévole. En fait, si je n'ai pas un exposé très long aujourd'hui, c'est que jusqu'à la dernière minute, j'étais occupé à préparer des surtitres anglais pour une conférence organisée par la Vancouver Opera Society et qui aura lieu dans deux semaines. C'est un opéra de Beijing. Pour la première fois dans son histoire, la Vancouver Opera Society présente un opéra de Pékin. C'est la première fois qu'on s'écarte de la tradition européenne et je tiens à m'assurer que les choses soient bien faites. J'ai donc préparé une traduction anglaise des surtitres pour que les gens puissent non seulement comprendre, mais également, nous l'espérons, apprécier d'une façon plus viscérale ce qui se passe sur la scène.

Je demande le soutien des opinions éclairées. Ce sont des gens qui savent à quel point il est important pour les communautés locales de pouvoir faire les choses par elles-mêmes, mais qui en même temps se rendent compte que certaines infrastructures de base sont nécessaires. En effet, nous avons besoin d'infrastructures pour que les gens comme moi puissent se livrer aux activités auxquelles je me livre.

Le sénateur Stollery: Je me demande combien de langues sont parlées dans les 28 provinces chinoises. Je sais qu'il y a des centaines de dialectes, mais sur le plan des différences tonales, auxquelles correspondent les différents langages, combien y en a-t-il?

M. Walls: C'est une boîte de Pandore que vous ouvrez, et cela me fait chaud au coeur car c'est le sujet auquel j'ai consacré mon baccalauréat, ma maîtrise et mon doctorat. Je suis agréablement surpris d'apprendre que cela vous intéresse. Les gens que nous appelons des Chinois représentent 22,5 p. 100 de l'humanité. Quatre-vingt-treize pour cent d'entre eux appartiennent à l'ethnie Han chinoise, c'est-à-dire qu'ils parlent ce que nous appelons le chinois. Soixante-quinze pour cent de ces 93 p. 100, c'est-à-dire de ce 1,3 milliard de personnes, parlent le mandarin. Quant aux autres 25 p. 100 de ces 93 p. 100 du 1,3 milliard de Chinois, ils parlent un des quatre ou cinq principaux dialectes. Je parle du cantonais, des dialectes de Shanghai, du Fukien et du Hunan. Nous les appelons «dialectes» parce que tous ces gens-là peuvent lire le même texte, mais les différences sont tout à fait comparables à la façon dont nous lisons les chiffres arabes. Si je vous donne une liste de un, deux, trois, quatre, cinq chiffres arabes, vous pourrez les regarder et les lire one, two, three, four, five; ou uno, dos, tres, cuatro, cinco; ou encore eins, zwei, drei, vier, fuenf. Pour nous, ce sont des langues différentes, mais en Chine, tout le langage écrit peut être lu de cette façon, les différences sont au moins aussi grandes que les différences entre l'espagnol, le portugais, l'italien et le français.

Le sénateur Stollery: Il s'agit donc de pictogrammes et ce sont les mêmes pictogrammes, quelle que soit la langue exprimée.

M. Walls: Exactement.

Le sénateur Stollery: Vous avez dit qu'il y en avait six?

M. Walls: Les dialectologues professionnels ne sont pas d'accord. Certains parlent de six, d'autres disent qu'il y en a sept. Les autres 7 p. 100 de ce 1,3 milliard de personnes sont répartis entre environ 55 nationalités minoritaires dont beaucoup parlent des langues qui n'appartiennent même pas à la famille linguistique chinoise, mais plutôt à la famille sino-tibétaine.

Le sénateur Stollery: Savez-vous combien de gens appartiennent au Parti communiste chinois?

M. Walls: Quelque chose comme 3 p. 100 de la population. C'est un pourcentage très faible de la population.

Le sénateur Stollery: Vous voulez dire, 3 p. 100 de 1,3 milliard de personnes?

Le sénateur St. Germain: À peu près l'équivalent de la population canadienne.

M. Walls: C'est une évaluation. Vous pouvez vous référer au site de référence mondial de la CIA sur Internet, c'est une des meilleures sources pour ce genre d'information. Les statistiques pour 1995 sont sur Internet et elles sont très faciles à consulter. Chaque année, les chiffres pour l'année précédente sont annoncés et ce sont des informations très fiables.

D'après mon expérience personnelle, j'imagine que c'est également l'expérience du Conseil commercial Canada-Chine -- des gens qui ont l'occasion de voir beaucoup de choses -- le fait que quelqu'un est inscrit au Parti communiste chinois veut dire à peu près autant que quelqu'un qui se déclare Baptiste quand on lui demande sa religion. C'est ce qu'on pourrait appeler un «Baptiste de complaisance», c'est-à-dire: «si on me pose la question, je suis Baptiste».

Le sénateur Stollery: Dans un régime autoritaire, j'aimerais bien savoir combien de gens ont intérêt à ce que le régime reste en place. Vous m'avez dit qu'il s'agissait d'environ 3 p. 100 de la population, ce qui est assez considérable.

M. Walls: Le fait que 3 p. 100 de 1,3 milliard de personnes appartiennent au parti n'est pas si significatif. J'en connais personnellement beaucoup qui ont adhéré au parti non pas à cause d'un engagement profond, mais parce que c'était la façon la plus facile d'avancer dans leur carrière. Très souvent, il est beaucoup plus facile d'avoir un meilleur emploi quand on est inscrit au parti. Ça ne témoigne pas forcément d'un engagement véritable.

Le sénateur Stollery: C'était également mon impression. Je comprends exactement ce que vous voulez dire.

Le président: On me dit qu'au Canada certaines personnes se sont inscrites à des partis politiques précisément pour la même raison.

Le sénateur Carney: Comme notre invité le sait, j'admire son oeuvre depuis un certain temps. J'ai même tenté de m'inscrire à votre cours de mandarin mais je suis parvenue à la conclusion, sénateur Stewart, qu'il me faudrait quitter le Sénat pendant un certain temps pour pouvoir le faire. Donc, si je suis absente de ce comité, vous saurez que c'est pour une bonne raison.

Le travail que vous faites est très important. J'aimerais parler d'une personnalité interculturelle, d'un citoyen interculturellement compétent car ce soir nous avons un souper de travail avec des Canadiens d'origine asiatique, surtout des femmes qui s'occupent du programme SUCCESS. Au cours de ce souper de travail, nous allons nous pencher sur les problèmes qui surgissent dans nos sociétés à l'arrivée d'un grand nombre d'immigrants asiatiques, nous allons parler des cultures parallèles qui se créent. C'est un souper qui aura lieu ce soir à Richmond. Les gens qui vont à Richmond ont parfois l'impression qu'ils se trouvent à Hong Kong. On a du mal à imaginer que c'est une ville nord-américaine. Cela se traduit par des tensions et un certain stress, et nous devrions tous être des citoyens interculturellement compétents, mais ce n'est pas toujours le cas. Que se passe-t-il lorsque des cultures parallèles se développent dans des endroits comme Vancouver? Est-ce que cela vous préoccupe? Pensez-vous qu'il faudrait réagir? Puisque ce phénomène est le résultat de notre politique étrangère et de nos politiques d'immigration, est-ce que nous devrions faire quelque chose au niveau de nos relations avec l'Asie et de notre politique étrangère?

M. Walls: Si je devais trouver une stratégie pour faire face à ce genre de choses, j'essaierais d'éviter de créer une pluralité de solitudes au sein d'une population métropolitaine de plus en plus diversifiée. Lorsqu'une masse critique qui partage un langage commun, une culture et très souvent des valeurs religieuses communes, se constitue, cette communauté risque de ne pas ressentir le besoin d'avoir des contacts quotidiens avec la communauté d'accueil. Le sujet où je suis le moins incompétent, c'est l'Asie. La question ne se limite pas à l'Asie, mais c'est le seul domaine dont je puisse vous parler.

Il est important de faire ressortir dans les médias les mérites des gens qui peuvent évoluer avec grâce et agilité d'une langue et d'un contexte culturel à un autre, et cela, sans se sentir compromis à l'idée qu'on abandonne un milieu pour appartenir à un autre, que d'une certaine façon, l'un des deux est préférable ou supérieur d'une façon ou d'une autre à l'autre. Cela doit être considéré comme une force positive. Nous devons considérer que nous devenons des Canadiens plus compétents, de meilleurs Canadiens, et non pas que nous perdons notre identité canadienne du simple fait que nous devenons compétents sur le plan interculturel à une époque qui, dans des décennies ou des siècles, sera considérée comme une époque interculturelle.

Le sénateur Carney: Est-ce que cela ne risque pas d'être un mouvement à sens unique, est-ce que vous ne demandez pas surtout que le mouvement se fasse de Caucasien à Asiatique?

M. Walls: Il faut que cela se fasse dans les deux sens. C'est la raison pour laquelle il importe de faire ressortir les activités et les réalisations des gens ordinaires, et non pas seulement des David Lam de ce monde. Il faut faire très attention de ne pas dégoûter les gens en leur citant continuellement l'exemple d'une ou deux personnes dont les actes se détachent de la masse.

C'est un domaine où beaucoup de gens font des choses importantes. Il suffit de voir l'Académie de musique de Vancouver, qui se trouve juste à côté du Musée de Vancouver, et au-dessus de la porte d'entrée, on peut lire «The S.K. Lee College of Vancouver, Canada». S.K. Lee est un sino-Canadien qui est venu de Singapour et qui a fait tout ce qu'il pouvait faire. Il continue à aimer sa culture d'origine, il joue du violon chinois qui s'appelle un erhu et il chante des chansons étranges qui font parfois penser qu'on égorge des chats, mais qui font partie intégrante d'une vieille tradition culturelle. Il soutient de toutes ses forces l'Académie de musique de Vancouver où les gens viennent apprendre des instruments très occidentaux comme le violon, le violoncelle et la trompette.

Il faut insister sur la contribution de gens comme S.K. Lee.

Le sénateur Carney: Récemment, j'ai eu l'occasion d'entendre la Chorale Bach de Vancouver, une chorale d'enfants lors d'une réunion de l'Association parlementaire asiatique qui s'est tenue ici au début de janvier. Il y avait des participants de tout le bassin du Pacifique. Le sénateur Perrault et moi-même, ainsi qu'Anna Terrana, la députée de Vancouver-Est, y avons assisté. En guise de divertissement pour l'Association parlementaire asiatique, on avait fait appel à la Chorale Bach de Vancouver. Les enfants ont chanté en mandarin, ils ont chanté en japonais. Ce qui a impressionné les parlementaires asiatiques, c'est que c'était des enfants caucasiens. Ce n'était pas des enfants japonais qui chantaient en japonais, mais des enfants de onze ou douze ans aux cheveux blonds et aux yeux bleus.

Pensez-vous que nous devrions consacrer plus de ressources à l'infrastructure? Depuis des années, on discute à Vancouver de la possibilité de consacrer plus de fonds à l'enseignement de l'anglais langue seconde. On répète que nous avons toujours assez d'argent pour les cours de langue française, mais jamais suffisamment pour les cours de langue anglaise. Quand vous parlez d'infrastructure, est-ce à cela que vous faites allusion?

M. Walls: Oui. À mon avis, le moment est mal choisi pour demander de l'argent pour quoi que ce soit, mais le moment est venu de dire: s'il vous plaît, réfléchissez-y à deux fois avant de dépouiller des infrastructures qui nous servent à développer et à entretenir la compétence de nos citoyens. Plus que jamais aujourd'hui, cette compétence des citoyens comprend une compétence interculturelle.

Le président: Ce que vous dites me rappelle mes études. J'avais un professeur d'anglais qui disait que l'anglais était une langue lyrique, peut-être un peu comme le gallois, mais que la langue avait perdu ses cadences lorsque la société anglaise avait commencé à devenir plus scientifique et plus commerciale.

On répète souvent à quel point il est important pour la culture commerciale et juridique de l'Ouest d'acquérir certaines connaissances pour favoriser les relations économiques avec la Chine. Est-ce que c'est vraiment une sorte d'impérialisme culturel que nous recherchons? Nous répétons qu'ils doivent absolument observer les règles de droit. Ils doivent se doter de démocratie. Quand j'entends parler des règles de droit, je me souviens tout de suite d'un professeur de droit qui nous disait qu'en insistant trop sur les règles de droit, on fabriquait des sociétés animées d'un esprit de litige, et que ce n'était pas une bonne chose. Que voulons-nous dire quand nous insistons pour qu'ils se démocratisent? L'Europe occidentale était déjà largement industrialisée avant qu'on commence à penser que les femmes pourraient voter intelligemment. Est-ce que c'est de l'impérialisme culturel que nous faisons ici?

M. Walls: Oui et non. Il y a des gens qui ne doutent pas de la complexité du problème que vous avez mentionné. Effectivement, dans la mesure où ils ne doutent pas de la complexité du problème, où ils disent: voilà comment nous faisons les choses, cela fonctionne, nous faisons donc tous la même chose, cela pourrait effectivement être interprété comme de l'impérialisme culturel.

Une autre façon de voir les choses c'est de considérer les réformes de Deng Xiaoping, le leader suprême chinois, et de nous dire que s'il peut parler de socialisme à caractéristiques chinoises, de notre côté, nous pouvons certainement parler de démocratie à caractéristiques chinoises. En effet, étant donné l'orientation de ses réformes, on est forcé de conclure que ce socialisme à caractéristiques chinoises se dirige vers une économie beaucoup plus décentralisée et beaucoup plus axée sur le marché. Il ne s'agit pas forcément d'une démocratie américaine ou d'une démocratie parlementaire canadienne. On n'est pas forcé de choisir l'un ou l'autre de ces modèles. Si c'était indispensable, Singapour serait sur la liste de nos amis contestables, ce qui n'est pas le cas. Singapour a une démocratie tout à fait différente de la nôtre, une démocratie fondée sur des traditions qui se sont développées dans l'Asie de l'Est et du Sud-Est, des traditions paternalistes et autoritaires.

Il est possible de rechercher un système plus démocratique avec des élections directes, et cela, sans insister sur des structures politiques identiques aux nôtres.

Le président: Tout à l'heure, en réponse à une question du sénateur Stollery, vous avez parlé de la structure linguistique de la Chine. Quelqu'un m'a dit que je devrais me représenter la Chine comme une immense banquise. À première vue, c'est énorme, mais en réalité, c'est très mince, peut-être même fragile. On a dit que si la sécurité de la Chine est une préoccupation, c'est parce que cela pourrait s'effondrer très rapidement. Vous qui êtes un expert, qu'en pensez-vous?

M. Walls: Je vous rappelle que mon baccalauréat, ma maîtrise et mon doctorat n'ont pas seulement porté sur les langues et les littératures chinoise et japonaise, mais également sur la littérature médiévale. J'ai également travaillé à l'ambassade canadienne et je me suis occupé de questions plus contemporaines. Nous avons eu des projets de coopération internationale, et j'ai donc une certaine expérience dans ce domaine. J'ai visité toutes les régions de la Chine, à l'exception du Xinjiang et du Tibet. Sur 28 régions, j'en ai visité 26. Quiconque a visité la plupart des régions de la Chine reconnaîtra probablement avec moi qu'il y a en Chine, du nord au sud et de l'est à l'ouest, plus de diversité que dans l'ensemble de l'Europe occidentale. Imaginez ce qui se passerait si on essayait de fondre tous les pays de l'Europe occidentale en un seul? C'est ce qu'on recherche avec la communauté européenne, et ce n'est pas facile. Il s'agira forcément de regrouper d'une façon assez large des gens qui non seulement vivent très près les uns des autres, mais qui ont également des aspirations communes.

Si cela est possible en Europe occidentale, c'est probablement possible également en Chine, mais je pense que cela exigera au cours des années un ajustement très délicat des relations entre les divers éléments.

Quand je parle de la Chine, je vous demande d'imaginer que je mets le mot entre guillemets, parce qu'en effet, cela représente autant de diversité que dans l'Europe occidentale et l'Europe de l'Est mises ensemble. C'est très fragile. Je ne pense pas que cela s'effondrera dans un avenir très proche, parce que je ne pense pas que les dirigeants cèdent suffisamment de contrôle pour que cela se produise.

Le président: Votre réponse sous-entend que le pouvoir est très important.

M. Walls: Effectivement. C'est important pour ce qui, à leur avis, constitue la stabilité de la nation. L'importance de cette stabilité est facile à démontrer.

Le sénateur Grafstein: Pouvez-vous nous parler du taux d'alphabétisation en Chine?

M. Walls: Cela dépend beaucoup de votre définition de l'alphabétisation.

Le sénateur Grafstein: La possibilité de lire 2 000 caractères.

M. Walls: La majeure partie de la population, y compris la plupart des paysans, possède des connaissances de base.

Le sénateur Grafstein: Quelqu'un m'a dit il n'y pas très longtemps que le taux d'alphabétisme en Chine était plus élevé qu'au Canada.

M. Walls: Le taux d'alphabétisme au Japon est beaucoup plus élevé. Je ne sais pas quelle est la situation en Chine.

Le sénateur Grafstein: Nous avons un taux d'analphabétisme chronique qui se situe entre 18 et 36 p. 100. Le taux d'analphabétisme n'est certainement pas aussi élevé en Chine, n'est-ce pas?

M. Walls: Certains diraient peut-être que le taux d'analphabétisme est semblable. Plus on se spécialise dans l'étude de l'alphabétisme, plus on applique ses normes avec fermeté, et certaines personnes souhaitent peut-être faire cela. Je ne vois pas cela comme un problème. Le taux d'alphabétisme en Chine est loin d'être aussi élevé qu'en Corée du Sud, au Japon, à Taïwan et à Hong Kong. Ces pays ont un taux d'alphabétisme de 98 p. 100.

Le sénateur Grafstein: Ai-je raison de conclure que la langue seconde en Chine est l'anglais?

M. Walls: C'était le russe auparavant. Il y a énormément de E zhuan Ying, des gens qui sont passés du russe à l'anglais; les gens qui se sont spécialisés en russe à l'école secondaire tentent maintenant d'acquérir des compétences en anglais pour progresser dans leur carrière.

Le sénateur Grafstein: Hier, on nous a beaucoup parlé de la démocratie à la manière chinoise et on nous a dit que les idées occidentales n'avaient pas leur place dans l'environnement chinois car les différences culturelles sont très grandes. C'est presque comme si les droits naturels de l'homme n'avaient pas leur place dans l'environnement naturel de la Chine. C'est ce que j'ai entendu au cours des deux derniers jours, et, à la suite du voyage que j'ai effectué en Chine, j'en suis venu à la conclusion qu'il y a là-bas une soif d'apprendre l'anglais et de comprendre la culture anglaise, les idées anglaises, de sorte que j'en suis presque arrivé à la conclusion opposée, c'est-à-dire qu'il y a un désir profond d'adopter un système plus démocratique, fondé sur les droits de la personne.

Je ne veux pas être chauvin au sujet de l'anglais, ce que je dis pourrait s'appliquer au français ou à l'allemand, mais la langue anglaise est un moyen pour y arriver. Êtes-vous d'accord là-dessus? Au cours des deux derniers jours, nous avons entendu l'autre aspect de la question: gardez vos distances; n'en parlez pas; c'est leur culture; vous ne devez pas vous mêler de leurs affaires; faites attention en ce qui concerne les droits de la personne; n'intervenez pas; si vous voulez faire des affaires dans ce pays, vous devez comprendre les différences.

Mon expérience a été tout à fait l'opposé. Il y avait presque une soif d'américanisation. La crise de Tiananmen était fondée sur le symbole de la Statue de la Liberté, un symbole très puissant.

Vous dites dans vos notes que toutes les sociétés ont besoin de la règle du droit et de confiance interpersonnelle, ce qui est contraire à ce que nous a dit le président. Dites-nous, à votre avis, ce que nous devrions penser de tout cela.

M. Walls: J'étais à Beijing à la fin du mois d'avril et au début du mois de mai 1989. J'étais à la Place Tiananmen, je me promenais comme des milliers et des milliers d'autres personnes qui se trouvaient à Beijing à l'époque. J'ai parlé à des étudiants, à leurs parents et enseignants. Leurs parents et enseignants qui, à bien des égards, ont des espoirs aussi élevés que ceux des étudiants mais qui sont un peu plus réalistes sur la façon de réaliser et d'articuler ces espoirs, leur disaient d'être bien prudents, car ils risquaient d'avoir des problèmes -- «ne faites pas de provocation publique». Leurs parents ont été un peu choqués lorsqu'ils ont installé ce qu'ils appellent la «déesse de la liberté» qui s'inspire clairement de la Statue de la Liberté.

Il ne s'agit pas de savoir s'ils veulent la démocratie, s'ils veulent quelque chose qui ressemble davantage à ce que nous considérons comme le courant général en Occident, non pas seulement aux États-Unis, mais dans les pays occidentaux. Bon nombre de Chinois aiment et détestent à la fois les États-Unis, et ont le même sentiment à l'égard du Japon. Ils n'ont pas ce sentiment à notre égard, car nous n'avons vraiment jamais tenté de les intimider ou d'occuper leur espace. Ce n'est pas un sentiment d'amour et de haine à la fois, mais plutôt d'amour mêlé d'indifférence. Lorsqu'ils pensent à nous, ils nous aiment, mais la plupart du temps ils ne pensent pas à nous parce que nous ne représentons que un dixième de la population des États-Unis, un dixième de presque tout aux États-Unis, sauf la masse terrestre.

Il s'agit de voir comment le discours se déroulera. Il s'agit d'un défi au niveau du discours, non pas un défi intellectuel ou une question d'impérialisme culturel. Comment définit-on le mouvement vers une structure politique participative? Les Chinois n'ont pas de problème avec une politique de participation du peuple. Ça vient de la base, ça ne redescendra pas. Ils ont des élections directes jusqu'au niveau des comtés dans bien des régions de la Chine à l'heure actuelle. La participation va augmenter.

Nous devons trouver des solutions de rechange à la confrontation publique, à la confrontation des médias. Les situations de confrontation et de litige ont leur place pour faire sortir la vérité, mais à l'heure actuelle, ce n'est pas la meilleure façon d'atteindre l'objectif par les moyens les plus pacifiques possible et dans le délai le plus court possible. Il faut trouver une façon de répondre au besoin de stabilité, tout en se joignant au courant principal dans le monde. Nous devons aider le leadership de la Chine à trouver des façons d'articuler un compromis optimal qui leur permettra de maintenir une stabilité optimale tout en faisant des progrès optimaux, et ces progrès incluent la prospérité et un meilleur niveau de vie.

Le sénateur Grafstein: Est-ce la linguistique?

M. Walls: C'est le discours. Comment exprimons-nous les questions auxquelles vous et moi savons qu'il faut s'attaquer, et comment pouvons-nous le faire de façon à ce que ni vous ni moi ne perdions la face? Je ne veux pas que vous paraissiez avoir perdu la face en public. Nous ne sommes pas engagés dans une bataille gagnant-perdant ici, mais plutôt dans un effort pour trouver des façons non seulement de coexister, mais de coprospérer.

Le sénateur St. Germain: Étant donné sa population qui est très dense, croyez-vous que la Chine respectera un jour les droits de la personne de la façon dont nous les percevons?

M. Walls: Lorsque 22,5 p. 100 de l'humanité lutte pour améliorer ses conditions de vie sur un vingtième du sol de l'humanité, dont la moitié sont des terres à l'abandon, de sorte qu'on parle ici d'un quarantième du sol, il n'est pas possible de permettre la liberté au même degré qu'au Canada si l'on considère la population par rapport à l'espace habitable.

Lorsque nous parlons de droits de la personne, nous parlons de droits individuels. Lorsque les Chinois parlent des droits de la personne, on ne doit pas oublier que le mot «individuel» n'avait pas d'équivalent en chinois, en japonais ou en coréen il y a à peine 100 ans lorsqu'ils ont commencé à traduire la littérature occidentale dans ces langues vers la fin du XIXe siècle. Il n'existait pas de mot pour traduire cette notion occidentale impénétrable de l'individu, car la plus petite unité de l'humanité avait toujours été la famille. Au-delà d'une génération, il n'y a plus d'humanité.

Le sénateur Austin: Je vous demanderais d'examiner les attitudes des Chinois face à leur nouveau rôle international et plus particulièrement le rapport avec les États-Unis. J'ajouterai, en post-scriptum, ce que les dirigeants chinois me disent constamment, c'est-à-dire que les États-Unis ont une politique d'endiguement de la Chine. Ils tentent de réprimer et de canaliser la croissance de la Chine dans le monde. Un exemple de cette situation est la résolution du Congrès américain exhortant le comité olympique international de ne pas accorder les Jeux olympiques à la Chine. Les gens l'ont toujours sur le coeur aujourd'hui. Croyez-vous qu'un conflit entre ces deux pays soit inévitable? Un conflit de style Huntington. Croyez-vous que la coopération est possible parce qu'ils peuvent utiliser la même langue?

À votre avis, qu'est-ce qui ressortira dans les rapports entre la Chine et les États-Unis par rapport à leur rôle international?

M. Walls: Je ne suis pas terriblement inquiet concernant les rapports futurs entre les États-Unis et la Chine pour les prochaines années que je peux envisager car, tant que le PIB de la Chine continuera à augmenter même de moitié par rapport à l'augmentation au cours des 10 ou 20 dernières années, la Chine constituera un marché si important non seulement pour les produits américains, mais pour les entreprises conjointes et la collaboration et la coproduction, de sorte qu'il ne serait pas dans l'intérêt personnel commercial économique ou industriel des États-Unis de permettre qu'à elle seule la question des droits de la personne -- parce que c'est habituellement la question sur laquelle le Congrès accroche -- nuise à leurs rapports et les ramène au point où ils étaient avant la fin des années 70.

Dans une certaine mesure, c'est une bonne chose que ces deux pays ne soient pas d'accord sur certaines questions, car, s'il n'y avait aucune pression qui était exercée auprès des dirigeants chinois, ils ne prendraient certainement pas des mesures pour respecter ce que nous appelons les libertés individuelles aussi rapidement que nous l'aimerions.

La question est de savoir comment cela devrait-il se faire, Est-ce que cela devrait se faire publiquement, avec confrontation, avec une motion du Congrès, et en passant par les médias, ou cela devrait-il se faire en coulisses? Ici, nous pouvons en parler publiquement entre nous, mais lorsque nous les rencontrons, nous tentons de ne pas en faire une grande question publique. Encore une fois, il s'agit de ne pas leur faire perdre la face. Lorsqu'on en fait une grande question publique, cela atteint leur dignité et on se retrouve dans une situation de perdant-gagant. S'engager dans une telle lutte de perdant-gagnant n'est pas nécessairement la façon la plus harmonieuse, la plus rapide et la plus efficace d'atteindre notre objectif.

Pour revenir à votre question initiale, je ne suis pas trop inquiet, car je ne pense pas que les dirigeants américains considéreront que ce serait dans leur intérêt économique. L'intérêt économique prévaut aux États-Unis. C'est certainement le cas dans leurs rapports avec nous, et je ne vois pas pourquoi ce serait différent dans leurs rapports avec la Chine également.

Cela étant dit, je ne dirais pas cependant qu'ils ne devraient pas aborder la question des droits de la personne. C'est une question qu'il faut aborder, mais d'une façon qui permette à l'un et à l'autre d'atteindre leurs objectifs. La confrontation publique, dans les médias, n'est pas la seule façon. C'est une méthode qui fonctionne ici, étant donné nos traditions, mais nous ne devrions pas dire que c'est la seule façon de régler le problème.

Le sénateur Austin: Nous avons tendance à traiter les questions commerciales en Amérique du Nord comme s'il s'agissait d'une partie de basket-ball: il y a des gagnants, des perdants, des points, et le public peut voir qui est le perdant et qui est le gagnant, tandis que dans ces transactions internationales, on veut avoir un dialogue.

M. Walls: Un dialogue, et un avantage mutuel.

Le sénateur Austin: La négociation, mais la négociation menée d'une façon qui permette d'en arriver à des résultats plutôt qu'à jeter de la poudre aux yeux.

M. Walls: Vous l'avez exprimé beaucoup mieux que j'aurais pu moi-même le faire.

Le président: Puisque nous nous sommes mis d'accord, nous pourrions peut-être maintenant conclure la séance. Merci beaucoup, monsieur Walls. Votre témoignage a été des plus intéressant et des plus enrichissant.

La séance est levée.


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