Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 29 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 9 avril 1997
Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 23 afin d'examiner, pour en faire rapport, l'importance croissante pour le Canada de la région Asie-Pacifique, en mettant l'accent sur la prochaine conférence pour la coopération économique en Asie-Pacifique qui aura lieu à Vancouver à l'automne 1997, l'Année canadienne de l'Asie-Pacifique.
Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous examinons depuis quelques mois les relations du Canada avec l'Asie-Pacifique. Le comité s'est notamment intéressé à la question des droits de la personne. Cet après-midi, nous accueillons un témoin qui nous sera, je crois, très utile, M. Amitav Acharya.
M. Acharya est professeur agrégé au Département des sciences de l'Université York, et il aussi codirecteur du Joint Centre for Asia Pacific Studies de l'Université de Toronto et de l'Université York.
M. Acharya est né en Inde. Il a obtenu sa maîtrise en sciences politiques d'une université indienne. En 1987, il a obtenu un doctorat en philosophie de l'Université Murdoch, à Perth, en Australie.
Il a fait ses premières armes comme boursier à l'Institut des études de l'Asie du Sud-Est à Singapour, de 1987 à 1989. De 1990 à 1992, il a été chargé de cours au Département des sciences politiques de l'Université nationale de Singapour.
M. Acharya est un spécialiste des relations internationales. Il s'intéresse principalement à la politique et aux relations internationales de l'Asie du Sud-Est et de l'Asie-Pacifique. Il a rédigé de nombreuses monographies ainsi que beaucoup d'articles. Il est, semble-t-il, une véritable autorité sur toute la question des droits de la personne. Je lui demanderai, en guise de préface à son exposé, de nous expliquer en quelques mots pourquoi il est lui-même tellement intéressé par ce sujet, et il pourra ensuite nous présenter son exposé comme tel.
Vous avez la parole, monsieur Acharya.
M. Amitav Acharya, professeur agrégé, Département des sciences politiques de l'Université York, Toronto; codirecteur du Joint Centre for Asia Pacific Studies de l'Université de Toronto et de l'Université York: Honorables sénateurs, c'est pour moi un grand honneur de venir témoigner devant votre comité pour vous présenter mes vues sur les droits de la personne en Asie.
Comme l'a dit le président, je suis codirecteur du Joint Centre for Asia Pacific Studies de l'Université de Toronto et de l'Université York. Au centre, nous sommes très intéressés par les questions relatives aux droits de la personne et à la démographie en Asie. Nous tiendrons d'ailleurs les 16 et 17 mai prochains, en cette année de l'Asie-Pacifique, une importante conférence internationale sur les droits de la personne et de la démocratie, qui réunira des universitaires et des décideurs du Canada, des États-Unis, de la Chine, de l'Indonésie, de la Thaïlande, de l'Inde, de Singapour et de plusieurs autres pays.
Si cette conférence vous intéresse, vous y seriez sûrement les bienvenus. Il s'agit d'une conférence financée par le gouvernement fédéral, c'est-à-dire par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, et toutes les personnes intéressées peuvent y participer.
Je répondrai tout d'abord à la question que m'a posée le sénateur Stewart au sujet des raisons pour lesquelles je m'intéresse aux droits de la personne. Puis je vous présenterai des remarques préliminaires sur le débat concernant les droits de la personne en Asie, et j'ai bien dit «débat». Je ne vous parlerai pas de la situation des droits de la personne dans les différents pays. Pour obtenir des informations à ce sujet, vous devrez vous en remettre à Amnistie internationale, à Asia Watch ou aux nombreuses autres ONG canadiennes qui sont bien plus au fait de ces questions que moi, même si je lis leurs rapports.
Diverses questions liées aux droits de la personne font effectivement l'objet d'un débat en Asie; on s'interroge sur le sens à donner aux droits de la personne, sur le caractère universel de ces droits, sur leur spécificité culturelle, sur la question de savoir si le droit au développement économique est plus important que les libertés civiles ou les droits civils et politiques, sur les conséquences favorables ou défavorables des droits de la personne pour le développement économique et sur le principe voulant que développement économique et droits de la personne aillent de pair. Enfin, les pressions internationales en faveur des droits de la personne, comme celles qu'exerce le gouvernement canadien, sont-elles vraiment utiles et efficaces?
De nombreux débats ont cours en Asie, mais je ne crois pas que l'on ait conclu quoi que ce soit de définitif. Mais j'attire néanmoins votre attention sur cette question qui deviendra un enjeu très important dans la politique étrangère du Canada à l'égard de cette région.
D'abord, je m'intéresse aux droits de la personne. Je me suis intéressé à cette question assez tard dans ma carrière, puisque j'ai commencé par étudier les relations internationales, et principalement l'évolution des institutions multilatérales, les Nations Unies et des organisations régionales telles que l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est. En fait, ma réputation professionnelle s'est édifiée principalement sur les travaux que j'avais faits sur le rôle de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, l'ANASE. En cours de route, je me suis rendu compte de façon accrue qu'il est impossible d'étudier les politiques étrangères, les relations internationales et le multilatéralisme en se limitant aux questions de sécurité, de sécurité militaire, ou en se limitant aux pourparlers entre les États.
On ne peut limiter la politique étrangère aux transactions économiques, aux échanges commerciaux et aux investissements. La théorie des relations internationales nous apprend que les droits de la personne et toutes les questions qui les entourent sont des questions internes pour les États. Elles constituent ce que l'on appelle les affaires internes de l'État, et puisque nous vivons dans un monde qui considère comme sacré le principe de la souveraineté de l'État, nous ne sommes pas censés étudier les droits de la personne. Toutefois, ce monde évolue et aujourd'hui presque tous les grands enjeux de politique étrangère, qu'il s'agisse de ceux du Canada ou de n'importe quel autre gouvernement, comportent une composante sous-jacente de droits de la personne, de même qu'une composante connexe, la démocratie.
Les relations entre les États, d'une part, et la violation des droits de la personne par les gouvernements à l'égard de leurs propres citoyens, d'autre part, sont liées de très près à la politique étrangère, à la position que peut avoir un pays sur l'échiquier international et à son influence. Voilà pourquoi, en tant qu'universitaire spécialisé en relations internationales, je ne puis laisser de côté les questions des droits de la personne et de la démocratie. C'est ce que j'avais également constaté en étudiant les institutions multilatérales.
Vous savez que le Canada joue un rôle actif dans l'édification des institutions de l'Asie-Pacifique. Le Canada est un membre fondateur de deux des institutions multilatérales régionales les plus récentes et les plus éminentes. La première de ces institutions, c'est l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique, ou l'APEC, dont le sommet annuel se tiendra cette année au Canada. La deuxième, c'est le Forum régional de l'ANASE, l'ARF, qui porte sur les questions de sécurité.
Le Canada a joué un rôle important dans la promotion et l'édification de ces institutions, notamment du Forum régional de l'ANASE. Ce n'est pas qu'il ait forcé quelque pays que ce soit à adhérer à ces institutions, mais il a plutôt lancé des idées et joué un rôle de médiateur. La toute première réunion de l'ARF a eu lieu à Bangkok en 1984, et je l'ai suivie de très près. Toutes les discussions menaçaient d'achopper sur la question de la Birmanie. Des pays tels que l'Australie, le Canada, les États-Unis et l'Union européenne, qui sont tous membres de l'ARF, se sont colletés avec les membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, force motrice de l'ARF. Tout au long de cette bataille au sujet de la Birmanie, on se demandait si celle-ci devait être isolée parce qu'elle violait de façon constante les droits de la personne ou si ses voisins et le reste de la famille des nations devaient faire de l'«incitation constructive». C'est un terme qu'on a utilisé aussi dans le cadre de la politique menée par les États-Unis et la Grande-Bretagne à l'égard de l'Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid. Ces menaces ont pesé sur tout le sommet.
Lors de chaque réunion annuelle du Forum régional de l'ANASE, on soulève la question de la Birmanie. En juillet prochain, l'ARF se réunira à Kuala Lumpur, et la réunion sera assombrie sans doute par une nouvelle grande bataille. L'ANASE invite la Birmanie à se joindre à l'association, ce qui rebute certains pays, étant donné la réputation du régime.
Je ne puis étudier cette association, l'ANASE, les intérêts de la politique étrangère du Canada et les institutions multilatérales sans me pencher aussi sur les droits de la personne. Cela m'intéresse du point de vue professionnel.
Je peux me considérer chanceux de n'avoir jamais fait l'objet moi-même de violations des droits de la personne, mais j'ai été associé à des gens qui ne peuvent pas en dire autant. Lorsque vous enseignez dans une université torontoise, dans une ville considérée comme l'une des villes les plus multiculturelles du monde, vous côtoyez des réfugiés et des victimes de violations des droits de la personne qui proviennent de partout dans le monde. En fait, l'un de mes étudiants de deuxième année est un membre du gouvernement en exil de la Birmanie. Il a rempli ses fonctions pendant dix ans à la frontière thaïlando-birmane avant de demander l'asile au Canada. Ces victimes viennent me raconter leur histoire.
Il est donc très important de tenir compte du facteur des droits de la personne dans l'étude des relations internationales. Dans ce rapport que j'ai rédigé à titre d'expert-conseil de l'Agence canadienne de développement international pour aider les fonctionnaires à mieux comprendre toute cette question des droits de la personne en Asie, j'ai énoncé les grandes questions de base.
L'Asie est un des points chauds du monde en ce qui a trait aux droits de la personne. Il nous arrive de là-bas une pléthore de mauvaises nouvelles à ce sujet. La plupart d'entre vous y ont été sensibilisés. En fait, parmi les nombreux prix Nobel de la paix qui ont été accordés à des défenseurs des droits de la personne, trois ont été accordés à des ressortissants de la région asiatique: le Dalaï-lama, Aung San Suu Kyi, qui dirige l'opposition birmane et tout récemment Hose Ramos-Horta et Carlos Belo, du Timor oriental. Cela prouve que l'Asie en général, et le Sud-Est de l'Asie en particulier, mérite notre attention. La situation au Timor oriental et en Birmanie font de ces régions du monde des points chauds lorsqu'on s'intéresse aux violations des droits de la personne.
Des milliers de gens meurent à la suite de violations des droits de la personne. Par conséquent, que l'on pense aux politiques intérieures, à l'aide au développement en provenance de l'étranger ou aux relations internationales, il est impossible de ne pas tenir compte du facteur des droits de la personne et de ne pas lui accorder l'importance nécessaire.
Laissez-moi aborder rapidement trois ou quatre grands thèmes, puis je répondrai à vos questions.
D'abord, comme je l'ai signalé, on se demande aujourd'hui en Asie ce que l'on doit entendre par droits de la personne. Les Occidentaux tiennent ce principe pour acquis. Ils le tiennent pour universel et sont convaincus que les droits de la personne sont des droits dont peuvent se prévaloir tous les être humains du simple fait qu'ils sont humains. Ils croient que l'on ne peut transiger avec ce principe.
Toutefois, en Asie, au fur et à mesure que les économies asiatiques prospèrent, se développe la notion que les droits de la personne ne sont pas aussi universels qu'on voudrait le faire croire. Après tout, les pays occidentaux ont rédigé la Déclaration universelle des droits de l'homme en tenant compte de leurs préférences et de leurs idéaux. Aujourd'hui, puisque nous vivons dans un système international beaucoup plus vaste et complexe, il faudrait peut-être modeler la notion des droits de la personne en tenant compte de ses propres croyances culturelles, de son propre système politique et de son propre niveau de développement socio-économique.
Les pays asiatiques prétendent que les droits de la personne relèvent de la notion de communitarisme, en ce sens que les intérêts de la société dépassent les intérêts des individus. Ils n'aiment pas que l'on mette l'accent sur la liberté individuelle comme on le fait dans bien des sociétés occidentales.
Qui plus est, les gouvernements croient que la stabilité politique et la croissance économique justifient les restrictions imposées aux droits de la personne. Bien que l'on comprenne pourquoi des pays tels que le Canada ou les États-Unis -- c'est-à-dire les pays industrialisés -- observent les normes définies par la Déclaration universelle des droits de l'homme, les pays qui sont toujours en voie de développement et qui connaissent toujours une instabilité interne doivent limiter les droits qu'ils accordent à leurs citoyens afin de maintenir la croissance économique et la stabilité politique.
Certains chefs de gouvernement sont même allés jusqu'à affirmer que la démocratie va à l'encontre du développement. D'autres ont affirmé la primauté des droits économiques, tels que le droit au développement, par rapport aux droits civils et politiques.
L'opinion que se font les pays asiatiques sur la question des droits de la personne a été contestée non seulement par les commentateurs occidentaux, mais aussi par leurs propres sociétés, dans certains milieux, et je pense particulièrement à leurs ONG. En général, les ONG intéressées par les droits de la personne en Asie, et particulièrement en Asie du Sud-Est, région que je connais le mieux, sont des organismes faibles et strictement contrôlés par les gouvernements. Même si les ONG sont très actives dans des pays comme la Thaïlande, les Philippines ou l'Inde, la capacité de ces organismes de s'organiser est très limitée dans des pays tels que l'Indonésie, la Malaysia, ou Brunei, et cetera, et, bien sûr, la Chine et le Vietnam. Quelle que soit leur influence relative ou leur statut, ces ONG ont rejeté la position de leurs propres gouvernements sur les droits de la personne.
La difficulté, c'est que les ONG ne sont pas uniquement faibles sur le plan de l'organisation, mais bon nombre d'entre elles, particulièrement en Asie, dépendent lourdement de l'aide financière de l'Ouest; par conséquent, leurs gouvernements peuvent les discréditer facilement. Dans une région du monde où le nationalisme représente toujours une force très vive en politique, dès lors que vous dépendez pour vos activités de dons étrangers, qu'ils proviennent d'agences gouvernementales étrangères telles que l'ACDI ou qu'ils proviennent d'ONG de l'étranger, il est très facile pour le gouvernement de vous discréditer en affirmant que vous êtes un agent de l'influence étrangère et, par conséquent, un élément de passif pour le gouvernement. Néanmoins, je crois qu'au fil des ans les ONG joueront un rôle de plus en plus actif dans la définition des paramètres du débat sur les droits de la personne.
Un des événements récents les plus intéressants en Asie aujourd'hui, c'est la croissance d'un réseau régional des droits de la personne. Ainsi, dès lors qu'il y a un pays dont le milieu des ONG n'est pas très florissant à cause des restrictions imposées par le gouvernement, ce sont les États voisins qui reprennent le flambeau de la protection des droits de la personne dans leur propre pays. Prenez par exemple la conférence internationale sur le Timor oriental organisée en Malaysia par un groupe d'ONG de l'ANASE. Cette conférence ne pouvait évidemment pas être tenue en Indonésie, puisque les ONG de ce dernier pays sont très faibles et sous la coupe du gouvernement. La première réunion s'est tenue aux Philippines, dont le régime est beaucoup plus ouvert, et la deuxième était censée se tenir en Malaysia, mais un groupe politique associé au parti au pouvoir en Malaysia a réussi à saborder la réunion en freinant tous les efforts déployés et en provoquant de nombreuses arrestations.
Cette régionalisation du milieu des ONG est des plus intéressantes. Ainsi, les ONG thaïlandaises s'intéressent non pas uniquement à ce qui se passe en Thaïlande, mais également à toutes les violations des droits de la personne qui surviennent en Birmanie et au Cambodge; de plus, elles s'inquiètent de la dégradation de l'environnement au Cambodge, au Laos et en Birmanie. Vous voyez qu'elles sont très actives à l'échelle régionale.
Abordons rapidement la situation de la Birmanie et celle du Timor oriental.
Le gouvernement actuel appelle la Birmanie le Myanmar, même si la chef de l'opposition n'accepte pas que ce nom devienne officiellement celui de la Birmanie. Aung San Suu Kyi parle toujours de la Birmanie. Ce pays est une source de préoccupations à l'échelle internationale, y compris pour le Canada, à cause des violations des droits de la personne et de l'effritement de la démocratie.
La crise birmane découle du refus des forces armées birmanes de céder le pouvoir aux représentants dûment élus et de la répression continue des défenseurs de la démocratie, qui exigent que le pouvoir soit remis au gouvernement civil dûment élu. Bien que la chef des forces démocratiques, Aung San Suu Kyi, ne soit plus assignée officiellement à résidence, ce n'est qu'une pure formalité. En réalité, elle est toujours entourée par les forces de sécurité, et on limite son rôle politique. Elle est donc virtuellement toujours assignée à résidence.
Le SLORC, le comité de restauration de la loi et de l'ordre dans l'État, restreint de façon accrue ses mouvements et a adopté comme stratégie de briser peu à peu la résistance des activistes démocrates.
Vous devriez être très conscients de ce que fait le SLORC. Tout en réprimant les droits de la personne, en supprimant les libertés civiles et en refusant de céder le pouvoir aux représentants du peuple dûment élus, le SLORC a adopté une stratégie économique axée sur le marché, c'est-à-dire un nouveau code d'investissement destiné à attirer les investissements étrangers. Résultat: les investissements étrangers inondent le pays en provenance de pays avoisinants, mais aussi de l'Occident.
Le SLORC espère qu'avec le temps, plus les investissements seront nombreux et plus la croissance économique se confirmera, on oubliera le problème des droits de la personne, tout comme cela s'est fait en Chine. Celle-ci a réussi à attirer les investissements étrangers à cause de la taille de son marché, et cette force d'attraction en tant que puissance économique a incité bien des pays occidentaux à oublier le problème des droits de la personne pour mettre l'accent sur les relations commerciales et économiques.
Le gouvernement birman a constaté que cette stratégie offre d'énormes promesses. Tout ce qu'il suffit de faire, c'est d'élaborer un nouveau code d'investissement, de libéraliser l'économie et d'inviter des multinationales étrangères à venir s'implanter. Ce faisant, la population oubliera petit à petit les droits de la personne.
Malheureusement, cette stratégie semble donner des résultats. À ce jour, l'économie birmane a connu une croissance économique admirable. Cette année-ci marque l'année du tourisme en Birmanie, et on invite le monde entier à venir visiter le pays. Il semble que la question des droits de la personne ait été mise en veilleuse, sauf en Birmanie même, où Aung San Suu Kyi continue à réclamer le boycott de la Birmanie et à mener le mouvement d'opposition.
Le gouvernement américain a récemment interdit les visites de représentants du gouvernement birman aux États-Unis, peu importe la raison de cette visite, et la Birmanie semble avoir marqué le coup. Cette mesure concrète est un pas dans la bonne direction. De nombreux comtés et administrations municipales aux États-Unis, comme celle de Berkeley, ont interdit aux entreprises de leur région d'avoir des échanges commerciaux avec la Birmanie.
À la suite de la campagne internationale visant le boycott des entreprises faisant affaire avec la Birmanie, certaines multinationales ont été obligées de se retirer du pays.
Le Timor oriental a défrayé les manchettes pendant presque toute l'année parce que le prix Nobel de la paix pour 1996 a été accordé à deux de ses chefs, Hose Ramos-Horta et l'évêque Carlos Belo. Ramos-Horta était en visite à Vancouver le mois dernier, dans le cadre d'une tournée nord-américaine où il réclame l'autodétermination pour le Timor oriental.
La situation est des plus complexes au Timor oriental. Le problème n'en est pas un uniquement des droits de la personne, mais il en est un également d'autodétermination. Le statut d'ancienne colonie portugaise pour le Timor oriental n'est toujours pas réglé de façon définitive. Le gouvernement indonésien a envahi le Timor oriental et l'a incorporé à son territoire pour en faire une de ses provinces, et l'ancien prévôt colonial du Portugal a refusé de reconnaître la souveraineté indonésienne, tout comme les Nations Unies. Le Portugal appartenant à l'Union européenne, celle-ci a maintenu ses pressions sur l'Indonésie. Toutefois, la question de l'autodétermination n'est toujours pas réglée.
Entre-temps, c'est la présence très visible des forces armées indonésiennes au Timor oriental, à laquelle on ajoute des incidents comme le massacre de Dili en 1991, qui a attiré l'attention du monde sur les violations des droits de la personne.
Ce qu'il est intéressant de noter, c'est que les habitants du Timor oriental sont fort divisés et hésitent entre s'intégrer à l'Indonésie ou déclarer leur indépendance. Un des camps, celui des intégrationnistes, ne voit aucun mal à faire partie de l'Indonésie, alors qu'un autre groupe refuse toute alliance avec l'Indonésie. De part et d'autre on s'entend pour dire qu'il vaudrait mieux éliminer toute présence militaire indonésienne dans la région, ce qui permettrait d'éliminer également toute violation éventuelle des droits de la personne, et que même si le Timor oriental devait continuer à faire partie de l'Indonésie, il ne devrait pas souffrir des violations qui sont perpétrées depuis longtemps dans la province.
Il y a une autre question qui vous intéressera peut-être, et c'est celle des droits dans le domaine du travail.
Les syndicats occidentaux affirment que les gouvernements asiatiques s'arrogent un avantage compétitif inéquitable parce qu'ils gardent les salaires artificiellement bas et refusent à leurs travailleurs le droit de se syndiquer et d'entreprendre des négociations collectives. Vous comprendrez que cela me touche, puisque ma propre université est en grève à la suite de négociations collectives.
Les pressions exercées par les syndicats occidentaux, notamment l'AFL-CIO sur le gouvernement américain et l'administration Clinton, ont incité les gouvernements occidentaux à exiger une clause dite sociale dans les négociations, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. Cette clause sociale permettrait de constituer un ensemble de droits de base dans le domaine du travail, à savoir un salaire minimum, l'interdiction du travail des enfants, et le droit de former des syndicats.
Les États-Unis et d'autres pays occidentaux voudraient que l'OMC se penche sur ces questions, ouvre la discussion là-dessus et, en fait, exige que cette disposition soit inscrite de façon régulière dans les négociations commerciales internationales. Toutefois, lors d'une réunion récente de l'OMC à Singapour, les gouvernements asiatiques se sont opposés farouchement, et même avec succès, à ce que toute clause de ce genre soit insérée dans l'accord cadre de l'OMC.
C'est une question qui ne disparaîtra pas du jour au lendemain, mais que le Canada, comme les autres pays, devra prendre en considération dans toutes ses négociations commerciales futures.
Je vous expliquais plus tôt que si les droits de la personne sont à ce point importants, c'est parce que ce n'est pas là uniquement une affaire intérieure pour le pays qui laisse se produire les violations des droits de la personne; cette question a aussi une incidence sur la coopération internationale. La participation du Canada au Forum régional de l'ANASE ou à l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique est sapée si les droits de la personne deviennent un enjeu très litigieux. Ces deux organismes sont des organisations multilatérales qui sont censées promouvoir le libre-échange commercial et la stabilité régionale. Leurs objectifs principaux, ce sont la sécurité et la prospérité. Or, si les questions des droits de la personne continuent à perturber l'esprit de coopération régionale de ces institutions, c'est le Canada qui y perdra.
Comme vous le savez, le Canada ne joue pas un rôle important en Asie en vertu de sa force militaire ou de sa puissance économique. Le Canada n'est pas une superpuissance et ne peut unilatéralement modifier les politiques des pays de l'ANASE, que ce soit en matière de sécurité, de droits de la personne ou d'échanges commerciaux; toutefois, il peut avoir plus d'influence s'il agit dans le cadre d'institutions multilatérales. Il peut influer sur la stabilité régionale et les liens commerciaux régionaux en mettant de l'avant le concept et la pratique du régionalisme. C'est d'ailleurs ce qui explique l'engagement sérieux du Canada au sein de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique et du Forum régional de l'ANASE.
Toutefois, il faut réfléchir à ce que devrait être la politique canadienne. À vrai dire, je ne sais même pas quels sont les principes sur lesquels se fonde la politique canadienne en matière de droits de la personne. Cette politique est en effet menée partiellement par les événements. Lorsque les forces armées de l'Indonésie tirent sur des manifestants au Timor oriental, le gouvernement canadien le condamne. Lorsque les forces armées chinoises répriment les manifestations de la place Tiananmen, le Canada rompt tout lien économique, et ses relations politiques deviennent tendues.
Il ne convient pas, toutefois, qu'une politique soit aiguillonnée par des événements de ce genre. Le Canada doit plutôt tenir un discours et un dialogue soutenus, continus et normaux sur les droits de la personne. Au lieu d'attendre qu'une crise éclate, il vaut mieux maintenir un dialogue continu et faire comprendre aux intéressés que ce dialogue fait partie de l'interaction diplomatique normale à l'échelle bilatérale et multilatérale que le Canada a avec les différentes régions du monde.
Il est vrai que les gouvernements asiatiques s'irritent de toute critique faite ouvertement et de toute pression exercée par des gouvernements occidentaux au sujet des droits de la personne. Plusieurs chefs de gouvernements asiatiques m'ont dit en entrevue qu'ils accepteraient qu'un pays comme le Canada ouvre le dossier des droits de la personne, dans la mesure où cela se ferait discrètement. Il s'agit de savoir jusqu'à quel point nous voulons être discrets. Faut-il être discrets au point que personne ne le sache? Dans l'affirmative, comment croire que cela puisse résoudre quoi que ce soit?
Laissez-moi faire le parallèle avec la politique d'incitation constructive qui se trouve être la politique officielle de l'ANASE à l'égard de la Birmanie. D'aucuns utilisent en fait la même expression pour décrire la politique de nombreux gouvernements occidentaux à l'égard de la Chine et la politique qu'entretenaient les États-Unis à l'égard de l'Afrique du Sud.
Sous le régime de l'apartheid, l'Afrique du Sud était isolée à l'échelle internationale. Cette politique d'incitation constructive avait été mise de l'avant par le gouvernement Reagan et par celui de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne. Toutefois, ce n'est pas l'incitation constructive qui a apporté la liberté politique à l'Afrique du Sud et mis fin à l'apartheid, mais plutôt les sanctions économiques soutenues et multilatérales.
Dans un article publié par l'archevêque Desmond Tutu que je lisais récemment, ce dernier comparait la situation en Birmanie avec ce qui se passait en Afrique du Sud sous le régime de l'apartheid. Il rejetait le point de vue selon lequel c'est la politique de l'incitation constructive qui a permis de mettre un terme à l'apartheid en Afrique du Sud. Au contraire, il croyait que l'apartheid serait toujours en vigueur n'eussent été les pressions économiques soutenues et accrues exercées par d'autres pays. Il préconisait même d'appliquer des sanctions semblables à l'égard de la Birmanie.
Il se trouve que les pays de l'ANASE, soit l'Indonésie, la Malaysia, Singapour, les Philippines, la Thaïlande, Brunei et le Vietnam, sont des tenants de l'incitation constructive, même si je m'empresse d'ajouter que ces pays ne sont pas tous unanimes là-dessus. Certains pays y croient plus que d'autres, et d'autres pays encore prônent des sanctions.
Certains pays réclament le boycott diplomatique de la Birmanie à tout le moins. Ils disent que si l'on a des rapports économiques avec ce gouvernement, si l'on encourage la stabilité politique et la croissance économique, cela favorisera à long terme l'amélioration de la situation des droits de la personne, tout comme certains commentateurs disent qu'il vaut mieux avoir des rapports économiques avec la Chine, de telle sorte que si le niveau de vie des Chinois augmente, on assistera là-bas à l'éclosion de la démocratie et de la liberté.
Ma pensée se situe quelque peu à mi-chemin entre ces deux écoles. Je ne crois pas que la croissance et le développement économiques suffisent à provoquer l'avènement des droits de la personne et de la démocratie. Une bonne économie peut créer des conditions favorables à l'avènement des droits de la personne et de la démocratie, mais il faut plus que cela.
La question des droits de la personne et de la démocratie ne doit pas être oubliée dans le contexte des relations internationales. Autrement, les gouvernements des pays qui ne sont pas favorables aux droits de la personne ou à la transition démocratique ne feront rien. Ils ne verront aucune nécessité d'agir en ce sens. C'est pourquoi un engagement constructif peut être utile, à la condition qu'il soit assorti d'une politique active, et que cet engagement ne soit pas trop discret, bien au contraire. Il faut avoir des objectifs identifiables, concrets.
Je ne m'oppose nullement à ce que les gouvernements aient des échanges à huis clos. Cependant, au bout de compte, il faut des réalisations concrètes. Il faut des objectifs et des principes définis qui permettent de mesurer les progrès au niveau des droits de la personne. Je ne vois rien de tel dans la politique d'incitation constructive relativement à la Birmanie ou à la Chine.
Même si chaque pays a le droit de faire valoir ses intérêts économiques, il ne saurait y avoir de détachement par rapport aux droits de la personne. L'instabilité politique résultant de la suppression des droits de la personne risque de miner la prospérité économique des pays asiatiques aussi bien que des pays occidentaux parce que si l'on compromet la prospérité économique des pays asiatiques, des pays comme le Canada ratent l'occasion d'exploiter ces possibilités.
Je vais conclure mon exposé en citant Aung San Suu Kyi, la dirigeante de l'opposition en Birmanie, qui a dit qu'à l'heure où l'économique et le politique sont étroitement liés, les décideurs économiques peuvent faire beaucoup pour favoriser l'avènement des changements nécessaires. La croissance économique sans évolution politique fait long feu, et peut faire beaucoup de mal.
Je vais m'arrêter ici pour répondre à vos questions.
Le sénateur Carney: Je vous remercie de votre exposé.
J'aimerais obtenir de vous trois clarifications. Vous dites premièrement que le Canada peut exercer davantage d'influence dans le cadre des institutions multilatérales que s'il agit isolément. C'est une idée que nous avons entendue souvent au cours de nos audiences. Vous dites que nous pouvons exercer davantage d'influence dans le cadre des institutions multilatérales.
On nous a dit que nous ne sommes pas bien représentés dans les institutions multilatérales, que la part de bureaux ou de sièges ou de postes que détient le Canada n'est pas proportionnelle à sa contribution. Êtes-vous d'accord avec cela?
Deuxièmement, si tel est le cas, dans quelle mesure cela confirme-t-il votre thèse selon laquelle nous exercerions davantage d'influence au niveau des institutions multilatérales? Si nous ne sommes pas présents à la table, comment pouvons-nous être efficaces?
M. Acharya: Je disais cela par rapport aux contacts bilatéraux. Le Canada peut se servir de sa présence au sein des institutions régionales multilatérales pour faire avancer la cause des droits de la personne d'une façon plus constructive et probablement plus productive.
Le sénateur Carney: Nous ne sommes pas bien représentés dans des institutions comme la Banque d'Asie; pouvez-vous donc être plus précis? Si nous n'occupons pas de postes, nous ne sommes pas en mesure d'exercer notre influence. Comment pouvons-nous exercer notre influence si nous ne jouons pas de rôle proportionnel à nos contributions à ces institutions?
M. Acharya: Les deux institutions multilatérales qui m'intéressent le plus sont la Coopération économique Asie-Pacifique et le Forum régional de l'ANASE. Le Canada y est représenté exactement de la même façon que les États-Unis. C'est essentiellement un vote par pays, et l'on fonctionne par consensus.
Je ne parle pas des institutions multilatérales internationales comme la Banque mondiale, ou même d'institutions financières régionales comme la Banque asiatique de développement.
On parle beaucoup aujourd'hui des droits de la personne dans ces nouvelles institutions multilatérales. Le Forum régional de l'ANASE a longuement débattu de la Birmanie, et le Canada y est représenté au même titre que tous les autres pays.
Le sénateur Carney: Quand vous parlez d'institutions, j'imagine que vous entendez par là des institutions autres que l'APEC et d'autres groupes; c'est donc clair.
Deuxièmement, pouvez-vous nous dire ce que vous entendez lorsque vous dites que le Canada s'est montré incohérent dans les pressions qu'il a appliquées au niveau des droits de la personne? Vous avez dit que nous avions agi vigoureusement dans des cas comme celui de l'Indonésie, mais que dans le cas de la Chine nous n'avons pas défini aussi clairement nos objectifs relativement aux droits de la personne. Vous avez dit qu'il devrait y avoir une troisième voie. Vous êtes d'accord pour dire qu'il ne faut pas oublier les droits de la personne et que nous devons exercer des pressions en ce sens, mais est-ce que cela n'alimente pas cette perception d'incohérence dans notre politique relative aux droits de la personne?
M. Acharya: Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a eu incohérence. Comparez votre politique chinoise, votre politique birmane et votre politique indonésienne: elles ne sont pas tout à fait les mêmes. Le Canada s'est montré très dur envers la Birmanie comparativement à la Chine. Je ne parle pas des événements consécutifs au massacre de la place Tiananmen, mais de la phase subséquente.
Le Canada a été l'un des deux pays qui ont menacé de couper toute aide au développement à l'Indonésie, ou qui l'ont fait, après la fusillade de Dili, au Timor oriental, en 1991. Ce que j'essaye de dire, c'est qu'à mon avis, la cohérence ne se juge pas seulement selon les réactions à de tels épisodes. La cohérence, c'est maintenir un dialogue régulier et tailler une place normale aux droits de la personne dans ses activités diplomatiques, et la cohérence, ce n'est pas ce que l'on fait lorsqu'il y a un massacre ou des manifestations. Je pense que c'est à ce niveau qu'il faut plus d'efforts.
Le sénateur Carney: Pensez-vous qu'il faut se doter de critères si nous voulons plus de cohérence? Nous sommes en quête de conseils ici. Pensez-vous que l'on peut articuler des critères de cohérence qui permettront au Canada de juger des moyens de pression qu'il doit exercer dans ce domaine, ou pensez-vous qu'il faut procéder au cas par cas?
M. Acharya: Oui, je pense qu'on peut articuler de tels critères. D'abord, on ne parle pas seulement de pressions, mais aussi de dialogue. La pression ici, ce sont des sanctions économiques ou la menace de sanctions économiques et politiques.
Le dialogue, c'est un engagement continu, non seulement avec le gouvernement, mais aussi avec les autres éléments de la société civile au sein de l'État, et c'est également faire connaître les préoccupations du Canada à chaque occasion qui s'offre.
L'un de ces critères pourrait être celui-ci: chaque fois qu'il y a rencontre au plus haut niveau, par exemple au niveau des ministres des Affaires étrangères, au niveau des chefs de gouvernements, ou même au niveau des fonctionnaires, il faudrait que le Canada fasse connaître ses préoccupations relativement aux droits de la personne aux gouvernements dont les états de service dans ce domaine sont peu reluisants à notre avis.
Il arrive que l'on ne parle même pas des droits de la personne au cours de certaines rencontres. Certains pensent -- et j'ignore dans quelle mesure c'est vrai, parce que je n'ai pas assisté aux rencontres entre les représentants du gouvernement canadien et certains gouvernements asiatiques -- qu'on n'a même pas fait état des droits de la personne lors de certaines rencontres récentes, qu'il s'agisse de rencontres au plus haut niveau ou aux échelons les plus bas. C'est la première chose.
Autre chose: il faut articuler un ensemble de principes cohérent qui encourage l'émergence de la société civile et aux termes desquels l'aide au développement serait consacrée aux éléments de la société civile qui sont le plus à même de faire avancer la cause des droits de la personne.
D'après la perception que j'en ai aujourd'hui, les droits de la personne ne prennent de l'importance que s'il y a crise, et ils disparaissent de l'horizon lorsque la vie redevient normale et lorsqu'il n'y a plus de crise. Ce n'est pas très sain, parce que cela énerve les gouvernements de la région lorsqu'il y a une crise, et ces gouvernements ne font rien lorsqu'il n'y a plus de crise.
Le sénateur Carney: Monsieur le président, je sais que vous vous intéressez à la société civile; alors vous-même ou d'autres sénateurs pourrez interroger le témoin à ce sujet.
Dans le contexte de ce que vous dites, monsieur Acharya, que peut faire le gouvernement canadien, en sa qualité de président du sommet de l'APEC cette année et de gestionnaire du programme de l'APEC, pour encourager les gouvernements membres de l'APEC à protéger les droits de la personne et à consolider la primauté du droit, sachant qu'il ne peut pas, comme on nous l'a dit, intervenir directement? Que peut faire le Canada à la rencontre de l'APEC?
M. Acharya: L'APEC est une institution tout à fait nouvelle, et nombreux sont ceux qui croient qu'elle va durer. Mais ce n'est pas tout le monde qui l'a cru. Vous avez parfaitement raison de le dire, il est très difficile d'insérer les droits de la personne dans le programme de l'APEC, mais rien n'empêche le gouvernement du Canada de le faire d'une autre façon. Par exemple, je songe entre autres choses à la création d'une conférence sur les droits de la personne, non pas une conférence intergouvernementale, mais quelque chose que nous appelons le volet II.
Le sénateur Carney: Une conférence des ONG?
M. Acharya: Je n'appellerais pas cela une conférence des ONG. Nous employons cette expression, le «volet II», qui fait intervenir les fonctionnaires à titre privé, les établissements universitaires et les groupes de réflexion, ainsi que des membres d'ONG actives qui pourraient se rassembler. Dans le contexte des questions de sécurité, nous avons une longue tradition de rencontres organisées par les institutions universitaires. On y invite des ONG et des représentants du monde des affaires. De même, on y invite des représentants gouvernementaux, mais uniquement à titre privé, et ils peuvent alors discuter librement de ces questions.
Une telle rencontre pourrait avoir lieu un mois ou deux avant le sommet de l'APEC, et l'on pourrait y discuter des droits de la personne. Cela ne doit pas nécessairement avoir lieu au Canada. Cela pourrait avoir lieu dans un autre pays membre de l'APEC, le Japon ou l'Indonésie par exemple.
Le président: J'aimerais vous interroger sur les fondements de la position que vous êtes en train d'énoncer. Vous avez dit à l'origine qu'il y a ceux qui pensent que ce qui compte pour certains pays, à ce stade-ci de leur histoire, c'est la prospérité économique et la paix intérieure, et je pense ici à la vieille image anglaise du juge de paix, et qui disent que l'introduction prématurée des droits de la personne pourrait compromettre la paix et la prospérité de ces sociétés.
Si l'on regarde l'histoire de l'Angleterre, par exemple, on peut faire valoir que la paix et ensuite la prospérité existaient bien avant que les gens se mettent à parler de droits civils, si c'est le terme qu'on emploie en Angleterre aujourd'hui. Les droits de l'homme, qui sont les précurseurs des droits de la personne, j'imagine, c'est un concept qui remonte à 1789 et à la Révolution française. C'est à ce moment-là que l'on a énoncé ce concept pour la première fois.
Si l'on part de cet exemple, que peut-on reprocher à ces personnes sérieuses dans certains de ces pays qui disent qu'en dépit de leurs bonnes intentions les défenseurs des droits de la personne ne feront qu'encourager la pauvreté et l'anarchie?
M. Acharya: Je vais être très franc avec vous: il y a deux éléments qui ne tiennent pas dans cette politique. Tout d'abord, à l'époque où les pays comme l'Angleterre, les États-Unis et les pays européens en étaient à un stade comparable dans leur évolution économique et à l'époque où ils privilégiaient la paix et la stabilité par rapport aux droits de la personne, ces pays étaient dans un environnement international où les droits de la personne ne comptaient pas. Il n'existait pas alors de normes internationales en matière de droits de la personne.
Aujourd'hui, les gouvernements asiatiques disent la même chose que vous. Ils disent: nous sommes de nouveaux États. Nous ne sommes indépendants que depuis 40 ou 50 ans. Les pays européens ont des siècles d'existence derrière eux. Ils ont connu leurs propres guerres et dissensions. Ils ont connu de longs troubles. Les droits de la personne n'existaient pas à cette époque-là. Qui sont-ils pour nous dire qu'il faut respecter les droits de la personne alors qu'il leur a fallu des siècles d'évolution pour en faire autant?
Je réponds à cela que le monde a évolué. Il existe aujourd'hui des normes de comportement internationales qui sont très différentes de celles qui existaient au XVIIe et au XVIIIe siècles. Les droits de la personne constituent aujourd'hui une norme admise en politique internationale, et c'est pourquoi je pense que l'on peut s'y initier beaucoup plus rapidement. Il faut essayer de s'y adapter plus rapidement.
Ce que je tiens à dire, c'est qu'à mon avis il n'y a pas de corrélation négative entre les droits de la personne et la prospérité. Jusqu'à récemment les gens disaient: voyez l'Asie du Sud-Est. Singapour a très bien réussi. C'est un pays prospère grâce au totalitarisme doux qui y règne. Les dirigeants de Singapour disaient pour leur part: voyez l'Inde, voyez les Philippines. Ces pays jouissent de toutes les libertés civiles, mais sur le plan économique, ils sont loin derrière Singapour.
Aujourd'hui, on constate que la démocratie se porte fort bien aux Philippines et que ce pays jouit d'une croissance économique presque comparable à celle de ses voisins de l'ANASE qui réussissent mieux. Sous Ramos, ce pays jouit à la fois de la démocratie et du développement. De même, l'Inde a connu un très bon développement économique tout en tolérant la démocratie. Il est donc très difficile de soutenir l'idée selon laquelle l'avènement des droits de la personne compromet ni plus ni moins le développement économique. Il est vrai que des pays comme la Corée du Sud, Taïwan et Singapour ont atteint une croissance économique considérable sous des gouvernements totalitaires, mais ce n'est pas nécessairement un paradigme universel. Comme le cas des Philippines le montre aujourd'hui, on peut avoir un régime politique très ouvert en même temps qu'une économie très dynamique.
Même si je vous concède qu'il est nécessaire au début d'imposer des restrictions aux droits de la personne si l'on veut une stabilité politique en même temps qu'une croissance économique, on ne peut pas faire cela pour toujours. Certains pays asiatiques ont maintenant atteint un stade de prospérité. Une certaine prospérité est assurée. En fait, le revenu par habitant de pays comme Singapour dépasse celui de plusieurs pays occidentaux. Dans les années 50 et 60, à l'époque où la vie politique de ce pays était difficile, Singapour pouvait dire qu'il ne pouvait pas se permettre des libertés civiles en grand nombre, mais qu'en est-il aujourd'hui? Pourquoi ce pays conserve-t-il la même politique dans les années 90? C'est pourquoi il y a là une contradiction.
Le sénateur Stollery: Monsieur le président, c'est très intéressant. Je lisais un article l'autre jour où l'on disait que les Nations Unies ont commis l'une de leurs plus grandes erreurs lorsqu'elles ont qualifié d'universelle leur Déclaration des droits de l'homme.
Je trouve que les droits de la personne, cela ressemble beaucoup aux subventions en matière commerciale. Ce n'est pas clairement défini pour moi. Je ne saurais même pas définir clairement moi-même ce que c'est que les droits de la personne.
J'imagine que les Malaysiens diraient -- et je ne dis pas que je suis nécessairement d'accord -- que dans les pays où il existe des tensions inter-ethniques, une personne n'a pas le droit d'aviver les passions ethniques. D'autres répondraient à cela que l'on compromet ainsi la liberté d'expression, et pourtant l'on sait où cela peut mener.
On parle de démocratie. Aux dernières élections américaines de novembre, 48,2 p. 100 des électeurs ont voté, soit la participation la plus faible depuis 1920 et l'avènement du mouvement des suffragettes. Est-ce cela, la démocratie? Dans toutes les autres démocraties du monde, la participation électorale se situe aux alentours de 75 p. 100.
Voici ma question: est-ce qu'il ne faut pas des objectifs clairs? La seule chose que je vois, et qui me semble compatible avec la situation dans les pays asiatiques et en Extrême-Orient, c'est la question d'une magistrature indépendante. Sans une magistrature indépendante qui arbitre les litiges, je ne vois pas comment on peut créer une atmosphère propice aux affaires. Si l'on veut une société régie par la loi, c'est le premier élément qu'il faut. Qu'en pensez-vous?
Plutôt que de s'en tenir à ce terme vague que sont les «droits de la personne», notre comité devrait peut-être porter son attention sur une situation concrète, comme celle de l'Indonésie, ou choisir un autre pays. Je ne préfère pas un pays à un autre, mais ce que nous devons rechercher, c'est une magistrature indépendante, avec tout ce que cela veut dire.
Le président: Je pourrais peut-être ajouter un commentaire à votre question. Vous me direz si mon commentaire est pertinent.
Vous parlez d'une magistrature indépendante. Vous supposez donc l'existence d'un ensemble de lois qu'appliquerait cette magistrature indépendante. Voulez-vous dire qu'il y a deux choses, tout d'abord, un ensemble de lois comme la common law complété par le droit législatif, et deuxièmement, une magistrature indépendante?
Le sénateur Stollery: À titre de clarification, je dirai que même l'Union soviétique était régie par un ensemble de lois. Mais il n'y avait pas là de magistrature indépendante. J'ai la certitude qu'il existe un régime juridique quelconque en Birmanie et en Indonésie. Je peux me tromper, mais ce que dit le sénateur Stewart est peut-être très pertinent. J'ai la certitude que c'est très pertinent parce que tout ce que le sénateur Stewart dit est très pertinent. Peut-être que les deux vont ensemble. Qu'en pensez-vous?
M. Acharya: Je pense que ces questions de l'indépendance de la magistrature et de la primauté du droit sont extrêmement importantes. Je pense que vous avez soulevé là une question très importante et, en fait, il est très utile de considérer la primauté du droit comme un objectif en soi, et il faut donner à cet objectif un statut égal à celui de la promotion des droits de la personne.
Je suis d'accord avec vous pour dire que les droits de la personne, c'est trop vague, c'est trop vaste et c'est trop embrouillé pour en faire la base d'une action ou d'une politique. Cependant, cela dit, si l'on considère la situation en Asie, on retrouve des éléments très hétéroclites. Certains pays admettent la primauté du droit en matière économique. On assure au citoyen que ses investissements seront protégés. On dispose donc de lois très avancées. Dans des pays comme Singapour ou la Malaysia, le droit à la propriété est garanti. La règle de droit s'applique à cet égard. Cependant, en matière politique, la primauté du droit est beaucoup moins sûre, sinon inexistante.
Le sénateur Carney: Vous devriez définir le mot «politique» dans ce contexte.
M. Acharya: Je vais vous donner un exemple.
Jusqu'à récemment, le régime juridique à Singapour autorisait les appels au Conseil privé de Londres. Si vous n'étiez pas heureux d'un jugement de la plus haute cour, la Cour suprême de Singapour, vous pouviez vous adresser au Conseil privé. Puis, ce qui est arrivé, c'est que le principal candidat de l'opposition à Singapour a interjeté appel d'un jugement de la Cour suprême de Singapour auprès du Conseil privé, et il a eu gain de cause. On lui reprochait un acte de corruption et il avait été reconnu coupable par la Cour suprême de Singapour, mais le Conseil privé a statué que sa condamnation était injuste.
Le lendemain, le gouvernement de Singapour a modifié la Constitution et affirmait que l'on ne pouvait plus en appeler au Conseil privé pour des affaires à caractère politique. Le Conseil privé n'est donc nullement compétent en matière politique, il n'est compétent qu'en matière économique et en matière d'investissement.
Je pense que même la règle de droit en soi est importante, mais pour en revenir à votre première question, je ne crois pas qu'il soit possible d'assurer l'indépendance de la magistrature en l'absence d'un régime politique libre et ouvert. Par exemple, qui va nommer les juges? Comment peut-on avoir une magistrature indépendante si le gouvernement est le seul à nommer les juges?
Le sénateur Doody: Ne diriez-vous pas que la magistrature de Hong Kong, qui applique ou interprète ce qui constitue à mon avis une règle de droit très large, équitable et juste, constitue un corps indépendant, même si ses membres sont nommés, tout comme les juges canadiens sont nommés?
Le sénateur Stollery: Le système colonial.
Le sénateur Doody: Personne n'ira vous dire que Hong Kong est une grande démocratie, mais chose certaine, elle dispose d'une magistrature juste et équitable, d'un service de police très compétent et indépendant, et il s'agit là d'une société ouverte qui jouit d'une grande liberté d'expression et qui a une presse libre et ouverte. Il y a toutes sortes de nuances qui interviennent lorsqu'on cherche à définir ce qui constitue une démocratie et l'application de la règle de droit.
M. Acharya: Je crois que la magistrature de Hong Kong est très indépendante, même si les juges sont nommés, mais c'est parce qu'ils ont été nommés par l'autorité coloniale, dont le pays d'origine est une démocratie. Si les juges de Hong Kong sont nommés après juillet 1997 par un régime politique très différent, il se peut fort bien qu'ils perdent leur indépendance. D'ailleurs, toutes les indications que j'ai me disent que la magistrature de Hong Kong a commencé à perdre son indépendance bien avant la cession de la colonie. J'ai rencontré Martin Lee, qui était à Toronto il y a deux jours.
Le président: C'est juste.
Le sénateur Stollery: Monsieur le président, cela confirme ce que je pense personnellement de plus en plus, c'est-à-dire que nous devrions insister sur l'indépendance du pouvoir judiciaire. Je me demande quelle est l'influence politique sur la magistrature à Singapour et en Malaysia. Je sais que l'indépendance des tribunaux n'est que théorique dans d'autres pays d'Asie. J'en suis bien conscient.
Le sénateur Doody a fait une observation qui me semble s'appliquer dans presque tous les cas, à savoir que la disparition d'un régime colonial entraîne toujours l'asservissement du pouvoir judiciaire au pouvoir politique.
Le président: Un instant, sénateur Stollery. Songez aux colonies américaines et aux juges démocratiquement élus.
Le sénateur Stollery: Je ne préconise pas un retour au système antérieur, mais il est bien établi que la Malaysia, Singapour, la Birmanie et l'Inde jouissaient d'un pouvoir judiciaire indépendant. C'est incontestable. Je sais moins bien ce qu'il en est pour les Philippines. Vous avez fait remarquer que les droits civiques sont reconnus en Inde depuis longtemps. C'est ce que le régime colonial a légué au pays, n'est-ce pas?
M. Acharya: Oui.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais parler de la définition des droits de la personne. Les gens d'affaires d'Asie disent que le concept des droits de la personne leur est étranger parce qu'il s'agit d'un concept propre à la civilisation occidentale.
C'est aussi ce que j'ai entendu des dirigeants africains soutenir. Lorsque j'ai étudié ces cultures, je me suis rendu compte que le concept des droits de la personne y existe bien, même si on le désigne peut-être autrement que nous le faisons. Aucune culture ou religion ne donne à un dirigeant politique un droit de vie ou de mort absolu sur un autre être humain. Quoi qu'il en soit, on continue de soutenir en Asie que le concept des droits de la personne est étranger aux cultures asiatiques.
Que pensez-vous de ce que je viens de dire? Le concept des droits de la personne n'existe-t-il pas dans ces cultures même s'il n'est pas désigné de la même façon que le font les Nations Unies?
M. Acharya: Je conçois les droits de la personne comme des droits dont chacun jouit du simple fait d'être humain et sans égard à la culture dont il est issu.
Je suis d'accord avec vous pour dire que chaque culture a sa propre conception des droits de la personne qui cadre tout à fait avec le concept universel. La définition des droits de la personne que je vous ai donnée vaut pour toutes les cultures.
De nombreuses personnes lient effectivement les droits de la personne à la culture et au développement économique. Certains gouvernements asiatiques dont le gouvernement de Singapour conviendraient qu'il faut respecter certains droits de la personne fondamentaux. Si ce gouvernement ne concède pas que les travailleurs ont le droit de se syndiquer, il ne tolère pas la torture. Les intellectuels les plus éclairés de Singapour admettent qu'il existe des droits de la personne fondamentaux. Ils sont cependant d'avis que la liberté individuelle n'a plus de bornes dans les pays occidentaux, ce qu'ils estiment ne pas convenir à leur pays. Cette crainte s'explique en partie par le fait que ces pays sont des sociétés multiethniques. Si la liberté de presse y était reconnue, certains pensent que cela compromettrait la stabilité sociale. Je partage votre point de vue sur la question.
S'il est bien vrai que les droits de la personne sont universels, on ne peut cependant nier qu'ils s'inscrivent dans un certain contexte culturel. Il s'agit de questions très complexes qui exigeraient qu'on y consacre énormément de temps.
Prenons le cas de la situation des femmes dans les sociétés musulmanes. Je n'ai jamais entendu un commentateur musulman dire que l'islam dénigre les femmes. En fait, on nous dit que c'est le contraire, mais nous savons bien que si les livres saints en théorie défendent les droits de la femme, ces droits ne sont pas en pratique reconnus dans les pays de tradition musulmane.
Les gouvernements de ces pays admettent cependant qu'il existe des droits de la personne fondamentaux. Reste à voir comment ces droits sont respectés en pratique. Il s'agit d'une question très complexe.
On a beaucoup étudié la question de la place qu'accordent différentes cultures au respect des droits de la personne et toutes ces études ont abouti à la même conclusion que vous, à savoir que chaque culture reconnaît et respecte la dignité des êtres humains. Il faut simplement s'assurer que les autorités politiques en font autant.
Le sénateur Andreychuk: Comment pourrait-on instaurer un dialogue plus constructif dans ce domaine avec les pays asiatiques? On peut alléguer que nous avons une conception plus moderne des droits de la personne fondamentaux et des droits des femmes -- certains d'entre nous sont cependant déjà convaincus que la torture constitue une atteinte à un droit fondamental --, mais ne serait-il pas possible d'entamer un dialogue qui aurait comme point de départ les droits qui font déjà l'objet d'un consensus?
Je constate qu'avec les Africains, par exemple, il m'est possible de discuter de la situation passée et actuelle des femmes et de faire des rapprochements avec la façon dont leur situation a évolué dans notre culture.
Nous convenons tous que la situation des femmes a évolué et continue d'évoluer. Il s'agirait de savoir si elle évolue dans la même direction ou dans des directions différentes selon les cultures. Nous partons de la prémisse que les femmes possèdent des droits et ont une place dans la société. Nous avons pu établir des dénominateurs communs avec les pays d'Afrique sur la question parce que nous avons entamé un dialogue. Comment le faire avec les pays d'Asie?
M. Acharya: Voilà une question très intéressante et très délicate. Les ONG, les universitaires et les chercheurs de différentes cultures discutent de la question des droits de la personne. Le dialogue est cependant impossible à établir entre les gouvernements parce que chaque gouvernement se retranche dans ses positions, en partie en raison des pressions internes qui s'exercent sur eux.
Je ne peux pas imaginer le gouvernement américain participant à une conférence sur les droits de la personne et admettant que la culture ait quoi que ce soit à voir avec les droits de la personne. Les représentants américains ont recours à des qualificatifs provocateurs et enflammés pour décrire le comportement de certains de leurs alliés même comme Singapour lors des réunions internationales.
Tous les gouvernements aiment se croire au-dessus de tout reproche pour ce qui est du respect des droits de la personne. Je ne sais pas s'il faut attribuer cela à la nature même du jeu politique dans les sociétés occidentales et à la grande influence qu'exercent les organismes civils et les ONG dans le domaine de l'élaboration des politiques. Le genre de dialogue auquel vous songez est possible au niveau des particuliers, mais le dialogue entre les gouvernements est hautement politisé, ce qui constitue une partie du problème. Je ne vois pas comment ce dialogue peut s'engager. Je n'ai tout simplement pas vu beaucoup d'échanges constructifs sur les droits de la personne lors des réunions intergouvernementales.
La discussion au sein de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies n'est pas vraiment constructive parce que tous les gouvernements participants ne font que défendre le point de vue qui plaît à leur population. Chaque gouvernement veut se faire valoir et aucun progrès n'est fait parce que les gouvernements cèdent aux pressions dont ils font l'objet.
Le sénateur Andreychuk: Le Canada a certainement à l'occasion contribué à lancer un dialogue constructif. Je me souviens qu'il y a longtemps, lorsque j'ai participé aux travaux de la Commission des droits de la personne, l'un des chefs de notre délégation a admis pour la première fois que les droits de la personne n'étaient pas toujours respectés au Canada. Il a même ouvertement donné des exemples de violation des droits de la personne en faisant remarquer que le rôle des Nations Unies n'était pas seulement d'amener les pays membres à chercher la paille dans l'oeil de leur voisin, mais aussi à s'interroger sur la façon dont ils respectaient eux-mêmes les droits de la personne. Cette intervention a permis à un dialogue plus honnête de s'établir.
Je sais que la majorité des gouvernements membres des Nations Unies n'ont pas fait leur autocritique dans le domaine des droits de la personne, mais je pense qu'on peut dire que le gouvernement canadien l'a fait à l'occasion.
Vous dites d'une part qu'il faut que le dialogue soit constructif et, d'autre part, que c'est politiquement impossible. Je m'excuse d'être arrivée après que vous ayez eu terminé la moitié de votre exposé parce que j'étais prise ailleurs, mais lorsque je suis arrivée, vous faisiez observer que le gouvernement devait chercher à établir un dialogue constructif soutenu avec les gouvernements d'Asie et ne pas chercher à établir avec eux un dialogue seulement en cas de crise. Vous nous dites maintenant qu'il est cependant impossible de le faire pour des raisons politiques. Que devons-nous penser?
M. Acharya: Mon observation vaut surtout pour les tribunes multilatérales. À quelqu'un qui me demande: «Peut-on défendre à une conférence internationale sur les droits de la personne le point de vue selon lequel la conception qu'on se fait des droits de la personne varie selon les cultures et la position voulant que dans les cultures asiatiques, les droits collectifs ont préséance sur les droits individuels?», je répondrai qu'on pourrait le faire dans une conférence bilatérale. On pourrait aussi le faire dans une tribune multilatérale.
L'un des grands obstacles au dialogue avec les pays d'Asie sur les droits de la personne, c'est qu'ils se méfient des pays occidentaux. Bon nombre d'entre eux croient à raison que les pays occidentaux ne sont pas sans reproche en ce qui touche aux droits de la personne et aux principes démocratiques. On reproche souvent aux États-Unis d'avoir soutenu toutes sortes de dictateurs pendant la guerre froide et de défendre maintenant les principes démocratiques et les droits de la personne.
À titre d'exemple, lorsque les Algériens ont élu démocratiquement un parti islamique lors d'élections démocratiques véritables, les États-Unis n'ont pas dénoncé le putsch militaire qui a renversé ce gouvernement. Je crois que l'un des commentateurs de Singapour a spécifiquement donné l'exemple de l'Algérie.
Pourquoi les États-Unis défendraient-ils le Koweit lorsque le Koweit et l'Arabie Saoudite sont parmi les régimes dont le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils sont très fermés? Les pays asiatiques mettent en doute la sincérité des pays occidentaux dans le domaine des droits de la personne, estimant qu'ils défendent avant tout leurs intérêts économiques. Ce qu'il faut, c'est établir un climat de confiance et je crois qu'il conviendrait aussi de tenir une conférence à laquelle participeraient des représentants des pays asiatiques et des pays occidentaux.
L'exemple que vous donnez est fascinant. Si le gouvernement admet que certains problèmes se posent au Canada dans le domaine des droits de la personne, je crois qu'on fera d'autant plus confiance au Canada la prochaine fois qu'il parlera du sujet.
Le premier ministre de la Malaysia, Mahathir Mohamad, a demandé la création d'un US Watch. Le rapport du gouvernement de la Chine sur les droits de la personne contient une partie qui porte sur les États-Unis. Les pays d'Asie voudraient donc qu'il y ait réciprocité dans le domaine des droits de la personne, et je crois que c'est très sain.
Le Canada pourrait peut-être promouvoir ce genre d'approche novatrice et saine.
Le sénateur Kinsella: Pour ramener les choses à un niveau plus concret, combien de pays d'Asie sont signataires de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948?
M. Acharya: Je l'ignore, mais je peux vous dire ce qu'il en est au sujet de deux des trois principaux pactes, soit le pacte international relatif aux droits civils et politiques et le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Seuls deux pays de l'Asie du Sud-Est en sont signataires. Les Philippines en sont un. Je ne sais pas combien de pays d'Asie même en sont signataires.
Le sénateur Kinsella: Ne convenez-vous pas qu'autant la Déclaration universelle des droits de l'homme que les deux pactes internationaux que vous venez de mentionner font désormais partie du droit coutumier international?
M. Acharya: Je n'irais pas jusqu'à dire que cela vaut pour les pays de l'ANASE. Je crois personnellement que c'est le cas, mais certains gouvernements d'Asie contestent la légitimité de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Le sénateur Kinsella: Ne pensez-vous pas qu'il y ait une distinction très importante à faire entre, d'une part, les normes relatives aux droits de la personne qui font maintenant partie du droit international et, d'autre part, les diverses raisons invoquées pour soutenir les droits reconnus aux termes du droit international?
Monsieur le président, voici l'historique. En 1948, l'Assemblée générale des Nations Unies a proclamé la Déclaration universelle des droits de l'homme à Paris. Il ne s'agissait que d'une proclamation de l'assemblée générale. Peu après, l'UNESCO a rassemblé les grands penseurs du monde pour réfléchir à la question, chacun reconnaissant que la communauté internationale avait ratifié et proclamé une norme en matière des droits de la personne. Malgré leurs idéologies et leurs systèmes politiques très divers, les pays du monde s'étaient entendus pour proclamer une déclaration constituant une norme en matière des droits de la personne.
Les grands penseurs rassemblés par l'UNESCO ne sont pas parvenus à s'entendre sur une raison justifiant le fait que le droit à la vie et le droit à être jugé par un tribunal indépendant constituent des droits de la personne. Toutes sortes de raisons ont été avancées. Voilà pourquoi je pense qu'il est très important d'établir une distinction entre la norme, d'une part, et la liberté nécessaire aux gens, d'autre part, pour trouver une justification historique à la norme. Le gouvernement canadien ferait fausse route en proposant des mesures qui iraient à l'encontre de la norme qui fait partie du droit international. Je songe notamment aux deux pactes que vous avez mentionnés.
Revenons au sujet qui intéresse le comité, c'est-à-dire à la politique étrangère et à nos relations avec les pays d'Asie. Pensez-vous que le Canada devrait presser les pays d'Asie à adhérer et à ratifier les deux pactes internationaux, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que le protocole optionnel qui y est annexé?
M. Acharya: N'étant pas un spécialiste du droit international, je ne peux pas vraiment vous dire qu'elle est l'incidence des pactes. Si je comprends bien, le fait de signer un pacte ne signifie pas nécessairement qu'on le respecte.
En effet, certains pays garantissent les droits de la personne dans leur constitution, ce qui ne les empêche pas de les bafouer. À titre d'exemple, l'Indonésie a été l'un des premiers pays parmi les pays en développement à inscrire dans sa constitution de 1947 l'ensemble des droits de la personne, constitution qui, depuis lors a été abrogée. Elle a été remplacée par une autre constitution. Le fait que ces droits soient inscrits dans la constitution ne signifie pas que l'Indonésie les respecte.
La règle de droit et l'indépendance de la magistrature importent beaucoup. Ce sont en effet les tribunaux qui pourraient faire respecter tant la constitution que les normes juridiques internationales. Or, les tribunaux ne sont pas indépendants.
Dans les tribunes internationales, les gouvernements disent ceci: «Nous avons signé les pactes et nous avons signé la déclaration internationale; nous respectons les droits de la personne.»
Le sénateur Kinsella: Nous avons progressé depuis la déclaration de 1948 et un certain nombre de pays ont ratifié les pactes en 1966. Ce n'est cependant qu'en 1976 que suffisamment de pays avaient ratifié les deux pactes pour que ceux-ci entrent en vigueur. Le pacte relatif aux droits civils et politiques comporte un mécanisme d'application prévu dans le protocole optionnel.
Le protocole relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, comporte également un mécanisme d'application. Ce mécanisme prend la forme d'une vérification sociale qui est progressive. Ne pensez-vous pas que le gouvernement canadien devrait, dans le cadre de sa politique étrangère, promouvoir la ratification de ces deux textes pour qu'on s'entende à tout le moins sur ce que sont les droits de la personne?
Pour ma part, il ne fait aucun doute que les droits énoncés dans ces pactes sont des droits de la personne. Je ne cherche pas une définition plus claire. Nous savons maintenant ce que sont les droits de la personne. Nous savons ce que sont les droits civils, puisqu'ils sont énoncés dans un traité international.
Ne pensez-vous pas que nous devrions promouvoir la ratification des instruments juridiques établis par les Nations Unies dans le domaine des droits de la personne et que nous devrions notamment promouvoir l'élaboration de textes juridiques à caractère régional? Ne devrions-nous pas encourager les pays d'Asie à adopter un pacte asiatique ou multilatéral?
M. Acharya: Je partage tout à fait votre point de vue. Je pense que c'est l'orientation que devrait prendre notre politique étrangère. Je ne suis cependant pas convaincu que cela mettra fin au débat portant sur la définition des droits de la personne.
Le même problème se pose dans le domaine du droit de la mer. Les pays de l'Asie du Sud-Est adorent la Convention sur le droit de la mer des Nations Unies, parce que celle-ci leur confère beaucoup plus de droits qu'ils n'en avaient autrefois, mais il n'y a pas deux pays qui s'entendent sur le sens de certaines des dispositions de cette convention.
Dans le cadre du programme sur la mer de Chine méridionale, le Canada cherche à faire en sorte qu'on s'entende sur la signification des dispositions de la convention que les pays de la région ont ratifiée.
La question que vous avez posée au sujet d'une convention régionale est intéressante et je pense qu'elle mériterait qu'on s'y attarde. Toutes les régions du monde sauf l'Asie ont une tribune régionale où l'on discute des droits de la personne. Même l'Afrique en a une. Elle n'est pas très puissante, mais elle existe. Les pays d'Asie ne sont jamais parvenus à créer un tel mécanisme bien qu'ils aient essayé de le faire périodiquement.
Pourquoi n'y sont-ils pas parvenus? Je me suis souvent posé la question. C'est en partie parce que l'Asie est si grande et si diverse. L'Asie du Sud n'est pas l'Asie du Sud-Est et l'Asie du Sud-Est n'est pas l'Asie du Nord-Est.
C'est aussi en raison du fait que ces pays sont eux-mêmes très divers, leurs sociétés étant multiethniques. S'ils se dotaient d'un mécanisme régional en matière de droit de la personne, qu'adviendrait-il si les minorités ethniques se plaignaient de leur sort comme elles peuvent le faire en Europe?
Les gouvernements d'Asie sont aussi divisés sur la question même des droits de la personne. Lorsque je dis qu'il y a une conception asiatique des droits de la personne, je ne voudrais pas donner l'impression que la conception du gouvernement de Singapour est la même que celle du gouvernement des Philippines ou que celle du gouvernement de Chine. Certains gouvernements asiatiques sont très progressistes et axés vers l'avenir tandis que d'autres sont très conservateurs et défendent le statu quo.
Il est intéressant de constater que lorsque les pays de l'ANASE participent à une réunion internationale, ils font fi de leurs divergences. Ils considèrent qu'ils doivent se serrer les coudes comme s'ils participaient à des négociations collectives, de crainte d'être supplantés par les Américains et les Européens. Il s'agit d'une tactique de défense. Si on peut les assurer que ce ne sera pas le cas, ils seront sans doute plus ouverts au dialogue et à la discussion.
Il a été récemment proposé de créer une Commission régionale des droits de la personne en Asie du Sud-Est. En 1992, les ministres des Affaires étrangères des pays de l'ANASE se sont entendus pour créer un tel organisme, mais ils se sont très vite rendu compte que c'était une erreur. Il n'a plus été question depuis lors de ce mécanisme régional. Les représentants des ministères des Affaires étrangères auxquels j'ai parlé m'ont dit que l'idée était mauvaise et qu'on avait décidé de ne pas y donner suite.
Vous pouvez aussi discuter des Commissions nationales sur les droits de la personne. En Asie du Sud-Est, de telles commissions existent en Indonésie et aux Philippines.
Lorsque l'Indonésie a créé sa Commission des droits de la personne, de nombreuses personnes ont été sceptiques. Elles pensaient que le gouvernement en nommerait les membres et que celle-ci ne serait pas indépendante. Or, la commission s'est montrée très indépendante.
Le vice-président de la Commission des droits de la personne de l'Indonésie sera à Ottawa la semaine prochaine pour participer à une conférence de l'ACDI. Nous essayons de l'inviter à notre conférence. La commission a été étonnamment active.
Le Canada peut aussi faire profiter de son expérience dans le domaine les Commissions régionales ou nationales des droits de la personne. Le Canada peut continuer à favoriser la création d'une Commission régionale des droits de la personne qui aurait sinon de véritables pouvoirs juridiques, à tout le moins des pouvoirs consultatifs, ou la création d'un groupe d'experts. Il existait autrefois au sein de l'APEC un groupe d'experts qui conseillait les pays membres sur le commerce. Un groupe semblable pourrait peut-être conseiller les gouvernements de la région sur les droits de la personne et les principes démocratiques.
On pourrait aussi présenter le respect des droits de la personne comme l'une des caractéristiques d'une bonne intendance. Si bonne intendance et respect des droits de la personne ne sont pas synonymes, il n'en demeure pas moins que dans les deux cas il est question de reddition de comptes.
Le président: Vous avez dit plus tôt que des sanctions économiques multilatérales soutenues avaient été nécessaires dans le cas de l'Union d'Afrique du Sud. Préconisez-vous l'adoption de telles sanctions à l'égard de l'Indonésie? Pensez-vous que ce serait réaliste?
M. Acharya: Je ne considère pas le Timor oriental de la même façon que l'apartheid. Une situation plus comparable serait celle de la Birmanie. Je ne pense pas que l'on puisse simplement espérer changer la situation dans ce pays grâce à un engagement constructif. Je conviens avec Aung San Suu Kyi qu'il faut exercer aussi des pressions économiques.
Le Timor oriental en Indonésie, c'est une autre situation. Cela fait partie du problème des droits de la personne en Indonésie. Il y a d'autres gens qui souffrent en Indonésie, bien qu'il y ait eu beaucoup d'atrocités au Timor oriental. N'oublions pas qu'il s'agit là d'un grand pays. En fait, le système indonésien est à certains égards plus ouvert qu'on ne l'aurait cru et permet à des organisations non gouvernementales de se développer beaucoup plus que dans d'autres pays voisins.
Je ne dirais pas que l'autodétermination du Timor oriental justifie des sanctions économiques, non. L'autodétermination est une question politique, diplomatique qui doit être négociée sur ces plans-là.
Le président: J'ai l'impression qu'en faisant allusion à l'Indonésie, j'ai saboté ma propre question.
Si l'on revient à la situation dans l'Union d'Afrique du Sud, nous avions une économie qui dépendait fortement des exportations vers certains pays tels que les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni, qui avaient tous accepté d'imposer des sanctions.
Est-il plus réaliste de penser que dans le cas du «pays A» d'Asie du Sud-Est ou de l'Asie-Pacifique, il y aura des sanctions économiques multilatérales durables? N'est-ce pas rêver? Par exemple, les États-Unis d'Amérique vont-il participer à des sanctions économiques multilatérales soutenues vis-à-vis de l'un ou l'autre de leurs principaux partenaires économiques asiatiques? Je ne le pense pas.
Je vois que vous hochez la tête.
M. Acharya: Je suis d'accord avec vous.
Le président: Alors, aussi bien ne pas y penser pour le Canada.
M. Acharya: Si, au contraire. Ce dont je parle, ce n'est pas nécessairement du genre de pression soutenue que l'on a exercée sur l'Afrique du Sud mais de quelque chose de peut-être moins radical, plutôt que de laisser complètement tomber et de ne rien faire.
Là encore, je pense à la Birmanie. Je ne parle pas de l'Indonésie parce que j'estime que la situation indonésienne est tout à fait différente. D'autre part, l'économie de l'Indonésie est beaucoup plus importante que celle de la Birmanie. Cela s'applique mieux à la Birmanie parce que là les violations sont plus flagrantes qu'en Indonésie.
Le président: Le problème que je vois est le suivant. Il y a des gens -- sans doute pas parmi les membres du comité -- qui disent que nous ne devrions avoir d'échanges commerciaux avec aucun pays qui ne respecte pas les mêmes principes que nous en matière de droits de la personne, peu importe les conséquences, même si cela signifie la fermeture d'un port dans notre pays.
Le sénateur Stollery: Ça ne donne aucun résultat de toute façon.
Le président: C'est là la question. À quoi ça sert? C'est ce que j'essaie de vous demander.
M. Acharya: Je pense que ce serait contre productif. Essayer de juger d'autres pays en fonction des normes canadiennes est tout simplement impossible.
Le président: Voici un commentaire qui peut nous être utile.
Le sénateur Kinsella: En définitive, ne convenez-vous pas que la meilleure sanction en matière de droits de la personne est l'opinion publique internationale ou l'opinion morale internationale et qu'ainsi le Canada doit rester engagé dans l'opinion publique morale internationale?
Le président: Mais l'opinion publique morale tend à s'exprimer de façon épisodique. C'est comme réciter le credo des apôtres -- c'est très bien, mais six jours par semaine et le dimanche après-midi, cela ne signifie plus rien.
M. Acharya: Puis-je ajouter que l'opinion internationale et les pressions internationales ont dans certains cas donné des résultats en Asie du Sud-Est. Par exemple, la création de la Commission internationale des droits de la personne de l'Indonésie est le résultat direct de la condamnation internationale des répressions au Timor oriental et des pressions qui ont été exercées sur le gouvernement indonésien. C'est un cas évident où les pressions internationales ont été efficaces, du moins dans une certaine mesure.
Le président: Est-ce que je me trompe ou est-ce que vous avez bien dit que le Canada ne devrait pas essayer de mettre les droits de la personne au programme officiel de la conférence de l'APEC à Vancouver? C'est bien cela?
M. Acharya: Cela ne marcherait pas. Cela ne marchera jamais. Je veux simplement considérer le côté pratique de la chose. Il ne s'agit pas d'une position morale.
Le président: C'est ce qui nous intéresse. Nous voulons des conseils pratiques.
M. Acharya: Non, cela ne marchera pas.
Le sénateur Kinsella: Monsieur le président, quand vous parlez de mettre cette question au programme, pensez-vous à un point distinct de l'ordre du jour qui s'intitulerait: «Droits de la personne. Discussion»?
Le président: Je ne sais pas s'il y aurait une autre solution. Y aura-t-il des pourparlers en coulisse? Est-ce la solution de rechange que vous proposez?
Le sénateur Andreychuk: Non, mais je pense que lorsque l'on parle de dialogue, de compromis et de deux pays qui veulent collaborer ou de dix pays qui pourraient collaborer, notre programme doit être présenté tout autant que le leur. Nos valeurs doivent être représentées autant que les leurs. En acceptant de dire que les droits de la personne ne seront pas à l'ordre du jour, on abandonne quelque chose qui est très canadien.
Pour cela, j'espère que notre premier ministre viendra armé d'un certain nombre de points et de perspectives canadiennes.
Le président: En mettant les droits de la personne à l'ordre du jour?
Le sénateur Andreychuk: Si c'est nécessaire, cette question devrait faire partie du dialogue mais sans qu'elle soit considérée comme un point distinct.
Le président: Pourquoi voulez-vous tellement la cacher?
Le sénateur Kinsella: Parce qu'il est impossible de l'aborder de cette façon.
Le sénateur Andreychuk: D'autres pays ont dit qu'ils ne voulaient pas que cela figure à l'ordre du jour comme tel. Si nous acceptons cela, très bien, mais il ne faudrait pas non plus que notre premier ministre dise qu'il n'en parlera pas au cours de la discussion quand ce serait nécessaire.
Je ne pense pas que les droits de la personne doivent figurer parmi les points à l'ordre du jour. Je crois que cela doit faire partie de la perspective canadienne.
M. Acharya: Il n'y a rien qui empêcherait le ministre d'avoir dans son discours à la séance plénière un paragraphe sur les droits de la personne. Cela ne peut être une position négociable.
Le président: Monsieur Acharya, je tiens à vous remercier beaucoup de cet échange très animé et réfléchi. Ce que vous nous avez dit nous est très utile et je sais que nous continuerons à débattre de ces questions.
La séance est levée.