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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 3 - Témoignages


Ottawa, le jeudi 28 mars 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-8, Loi portant réglementation de certaines drogues et de leurs précurseurs ainsi que d'autres substances, modifiant certaines lois et abrogeant la Loi sur les stupéfiants en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je déclare ouverte la séance du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles chargé d'examiner le projet de loi C-8. Nous allons entendre ce matin des représentants de l'Association du Barreau canadien ainsi que de la Criminal Lawyers' Association of Ontario. Nous allons, je crois, d'abord entendre Mme Tamra Thomson, directrice, Législation et réforme du droit; ensuite, M. John Conroy, président, comité sur l'emprisonnement et la libération. Nous entendrons ensuite le représentant de la Criminal Lawyers' Association, M. Irwin Koziebrocki, trésorier.

Veuillez commencer, madame Thomson, tout en sachant que nous espérons que vos exposés nous laisseront beaucoup de temps pour poser des questions.

Mme Tamra Thomson, directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien: Merci, madame la présidente. L'Association du Barreau canadien est heureuse de comparaître devant vous. C'est notre première comparution devant ce comité depuis que vous en avez été élue la présidente. Nous vous adressons tous nos voeux pour vos nouvelles fonctions et sommes heureux de pouvoir travailler avec vous.

L'Association du Barreau canadien est un organisme national qui représente plus de 34 000 juristes, avocats, notaires, professeurs de droit, étudiants et juges dans l'ensemble du Canada. C'est avec plaisir que nous comparaissons aujourd'hui au nom du comité sur l'emprisonnement et la libération de la section nationale du droit pénal de l'association.

La section nationale du droit pénal compte plus de 1 200 membres qui représentent les avocats de la défense ainsi que les procureurs de la Couronne. Les premiers objectifs de l'Association du Barreau canadien sont l'amélioration du droit et de l'administration de la justice; les observations que nous faisons aujourd'hui devant le comité sénatorial s'inscrivent dans ce contexte.

Je cède maintenant la parole à M. John Conroy, président du comité sur l'emprisonnement et la libération, et lui demande de faire des observations sur le fond du projet de loi.

M. John Conroy, président, comité sur l'emprisonnement et la libération, Association du Barreau canadien: La profession d'avocat est souvent très pernicieuse. Comme vous venez de l'entendre, nous sommes des procureurs, des avocats de la défense et des juges. Nous nous occupons de très près des poursuites et de la défense des personnes accusées d'infractions relevant de ce genre de mesure législative. Vous trouverez dans les documents que nous vous avons distribués une lettre de l'Association du Barreau et le mémoire que nous avons présenté en mai 1994, lorsque ce projet de loi portait l'appellation C-7, ainsi que quelques documents supplémentaires à titre d'information générale. Vous allez trouver deux articles, l'un rédigé par l'American Bar Association, l'autre de Zimmer and Morgan, «Exposing Marijuana Myths: A Review of the Scientific Evidence», datant d'octobre 1995.

Dans notre premier mémoire, nous avons déclaré que cette mesure législative ne convient absolument pas, qu'elle se traduira par davantage de criminalisation et d'incarcération au lieu de se concentrer sur la réduction des effets nuisibles. Nous prétendons que l'adoption d'une approche visant la réduction des effets nuisibles, plutôt que d'une approche favorisant la criminalisation, sert l'intérêt du public. Cela se traduira, bien sûr, par moins de travail pour les avocats si nous réussissons à vous convaincre que telle est la voie que nous devrions suivre. Nous croyons qu'il vaut mieux, en ce qui concerne le public, s'écarter de l'approche adoptée depuis 73 ans.

Dans nos documents, notamment le mémoire de mai 1994, vous verrez beaucoup de statistiques indiquant tout d'abord que l'Association du Barreau déclare ouvertement depuis 1974 qu'elle est en faveur de programmes d'entretien à l'héroïne, qui sont un modèle de réduction des effets nuisibles. Depuis 1978, nous sommes pour la décriminalisation de la possession simple de marijuana, de sa culture, ainsi que des échanges sans but lucratif à des fins personnelles. Nous avons pris cette position depuis déjà longtemps.

D'après des statistiques récentes, la grande majorité des personnes reconnues coupables d'infractions en matière de drogues le sont pour simple possession de drogue. En 1990, 50 p. 100 des personnes reconnues coupables l'ont été pour simple possession de marijuana, et 33 p. 100 d'entre elles sont allées en prison.

En outre, des sondages sur les consommateurs canadiens de drogues indiquent qu'il y en a un grand nombre, mais qu'un faible pourcentage d'entre eux seulement sont accusés et reconnus coupables, si bien que la loi n'est pas uniformément appliquée. Les statistiques américaines révèlent que la situation est encore pire aux États-Unis.

Nous soutenons que c'est de la folie que de continuer dans cette direction. À notre avis, vous devriez écouter les personnes qui travaillent dans ce domaine, non seulement les membres du barreau, mais aussi les forces de police.

Vous verrez que notre mémoire de mai 1994 reproduit les propos de plusieurs anciens agents des brigades de stupéfiants, du Canada et d'ailleurs, ainsi que ceux du chef de la police d'Ottawa. Les gens qui travaillent dans ce domaine disent qu'une telle approche ne fonctionne pas, qu'elle entraîne plus d'effets nuisibles que positifs; au lieu d'avoir recours au droit pénal pour dissuader les gens de l'usage des drogues, nous devrions axer nos efforts sur les effets nuisibles que peuvent causer les drogues individuelles et tenter de diminuer de tels effets dans une perspective de politique sociale et de santé.

C'est ce qui s'est fait dans de nombreux pays d'Europe, aux Pays-Bas notamment, mais aussi dans le cadre de divers projets instaurés en Angleterre, en Italie, en Espagne et en Allemagne. Cela semble fonctionner, puisque ces pays ne connaissent pas certains des problèmes auxquels nous sommes confrontés.

J'aimerais aborder un point sur lequel nous nous attardons dans notre lettre et dans notre mémoire, soit la question des casiers judiciaires. Je sais que ce point a été soulevé à plusieurs reprises.

En ce qui concerne l'article du projet de loi relatif à la possession de moins de 30 grammes de marijuana, on a dit que puisqu'il s'agit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, les contrevenants ne seront pas soumis aux dispositions de la Loi sur l'identification des criminels. Il ne sera pas utile de prendre leurs empreintes digitales ou leur photo; par conséquent, ils n'auront pas de casier judiciaire «retrouvable». A notre avis, c'est inexact. La Loi sur le casier judiciaire continue de s'appliquer. De tels contrevenants auront un casier judiciaire. Il est difficile d'imaginer qu'une personne puisse mentir à la frontière, disant qu'elle n'a pas de casier judiciaire, ou encore qu'un avocat au tribunal, auquel le juge demanderait si son client a un casier judiciaire, puisse répondre: «Pas de casier judiciaire retrouvable, Votre Honneur.» Soit on a un casier judiciaire, soit on n'en a pas.

Jusqu'à présent, nos gouvernements ont essayé à trois reprises de décriminaliser la marijuana, c'est-à-dire de supprimer l'ouverture d'un casier judiciaire. En 1972, suivant les recommandations de la Commission Le Dain, le gouvernement Trudeau a introduit le concept d'absolution inconditionnelle ou conditionnelle et l'a présenté comme un moyen permettant de ne pas ouvrir de casier judiciaire. Bien sûr, la Loi sur le casier judiciaire s'appliquait toujours et beaucoup de provinces ont rapidement modifié leurs lois pour faire en sorte que même si une personne obtenait une absolution, elle avait toujours un casier judiciaire; cela n'a donc pas fonctionné.

En 1975, le gouvernement Trudeau a présenté le projet de loi S-19. Le Sénat l'a modifié lorsqu'il en a été saisi. Ce projet de loi prévoyait, comme celui-ci, que la simple possession serait punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire seulement. En fait, c'était uniquement un moyen permettant de condamner par procédure sommaire. On retrouve encore dans ce projet de loi un article sur ces actes criminels.

Le Sénat a renvoyé un amendement à l'effet que si une personne recevait une absolution après avoir plaidé coupable ou avoir été jugée coupable par procédure sommaire, elle serait réputée comme étant pardonnée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. Ce projet de loi a expiré au Feuilleton et n'a donc jamais eu force de loi. C'était la deuxième fois que l'on tentait une telle décriminalisation, même s'il ne s'agissait pas vraiment de décriminalisation, car là encore, la Loi sur le casier judiciaire continuait de s'appliquer.

Nous remarquons ici que le projet de loi C-8 prévoit, comme c'est le cas depuis de nombreuses années, que la possession est punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Nous nous demandons pourquoi nous continuons sur cette voie tant d'années après. Cela ne reflète pas les peines effectivement imposées par les tribunaux et la police et ne s'en rapproche pas non plus.

Alors que la loi a été très sévère à partir de 1961 et que la plupart des modifications qui y ont été apportées par la suite l'ont améliorée, surtout en ce qui concerne la simple possession, les taux d'usage de la marijuana à tout le moins, ont connu un sommet en 1979 avant de commencer à décliner. Ce n'est que très récemment, en 1990, qu'ils ont commencé à augmenter de nouveau. Il ne semble pas qu'il y ait de rapport entre les taux d'usage et les peines prévues par la loi, que ces peines soient sévères ou apparaissent moins lourdes. Les taux d'usage dépendent d'autres facteurs.

Point important, ce projet de loi ne vise pas les personnes qui ont été reconnues coupables dans le passé et qui ont donc un casier judiciaire. Il n'en est absolument pas fait mention. Beaucoup de Canadiens souffrent encore considérablement aujourd'hui de cet état de fait.

J'aimerais vous raconter brièvement une histoire récemment portée à mon attention, celle de Billy Morash. Billy a rencontré une femme aux États-Unis alors qu'il travaillait dans ce pays. Ils ont décidé de se marier. Peu de temps avant leur mariage, l'administration américaine Reagan/Bush a décidé de modifier son approche et d'instaurer le principe de tolérance zéro. Après de nombreuses visites aux États-Unis, Billy a été arrêté à la frontière et n'a pas pu entrer aux États-Unis, sous prétexte qu'il y a bien longtemps, soit en 1978, il avait plaidé coupable à une simple possession de hachisch. Il n'avait pas d'avocat, s'était défendu lui-même et avait donc dû payer une amende de 100 $. Depuis 1991, je crois, il ne peut pas entrer aux États-Unis. Sa femme vit à Albany (New York) où elle exerce la médecine. Elle lui rend visite les fins de semaine. Ils ont eu un bébé en juillet dernier. Cette famille est maintenant séparée uniquement en raison de l'attitude américaine actuelle à propos de la simple possession de marijuana.

On essaye de remédier à cette situation, ce qui est très complexe. Billy a obtenu un pardon, mais cela ne suffit pas pour les États-Unis. On pense qu'une absolution permettrait de régler le problème. Doit-il demander la révocation de son pardon, interjeter appel pour cette très ancienne cause et essayer de demander aux tribunaux une absolution de manière à réunir sa famille? Il nous semble, avec tout le respect que nous vous devons, que c'est un fardeau très exagéré qui pèse sur Billy suite à cette très ancienne infraction. Nous vous demandons de prendre cela en compte.

On justifie souvent ce projet de loi en disant que nous devons respecter nos obligations internationales. Nous prétendons que le Canada devrait jouer un rôle de chef de file et se retirer de bien de ces traités internationaux. Nous devrions suivre l'exemple de certains pays d'Europe plutôt que de subir les pressions des États-Unis en matière de lutte contre les drogues.

Nous devrions avoir une politique canadienne qui vise véritablement à réduire les effets nuisibles. Nos traités internationaux, la Convention de 1988 en particulier, renferment des dispositions relatives en particulier à la simple possession, permettant aux gouvernements, sous réserve de leurs limites ou pouvoirs constitutionnels, de prévoir des politiques sur l'usage des drogues qui ne visent pas l'interdiction totale et la déclaration de culpabilité, mais qui sont orientées sur l'éducation, la réadaptation, la réinsertion et autres choses du genre. Ces approches sont beaucoup plus constructives que le recours au droit pénal.

Nous vous donnons les grandes lignes notre position à propos de ce projet de loi, mais nous tenons à dire que l'ancienne approche n'a tout simplement pas fonctionné au fil des ans et qu'il faudrait en adopter une nouvelle. Nous vous demandons d'examiner la politique adoptée à propos des produits du tabac. Le Canada a bien réussi à éduquer les gens à diminuer la consommation du tabac sans avoir recours au droit pénal et nous espérons que les efforts visant à réduire la publicité, à décourager l'usage, et cetera, se poursuivront. Cette approche pourrait être également adoptée dans le domaine des drogues, sans que l'on ait recours au droit pénal.

J'aimerais faire part aux honorables sénateurs de certains points qui nous préoccupent en ce qui concerne ce projet de loi. Nous remarquons que l'article 4, qui traite de la possession d'une substance inscrite à l'annexe 2, même s'il est très rare d'accuser quiconque de simple possession de cannabis par voie d'acte d'accusation, prévoit une diminution de la peine qui passe de sept ans à cinq ans moins un jour. Bien que nous soyons en général favorables à l'allégement des peines pour ce genre d'infractions, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que cet amendement finira simplement par empêcher l'inculpé de se prévaloir du droit de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue est un emprisonnement de cinq ans, ainsi que le prévoit la Constitution.

Nous nous demandons si le gouvernement commence à s'opposer au principe de jurys rationnels, éclairés. Le projet de loi C-42 a rendu hybrides bien des infractions au Code criminel afin de permettre à la poursuite de choisir un procès par voie sommaire. Les peines prévues pour les infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité ont augmenté de telle façon qu'elles se rapprochent beaucoup, dans certains cas, des peines prévues par voie d'acte d'accusation, si bien que la Couronne procède inévitablement de cette façon. Il en résulte que l'inculpé n'a plus droit à un procès avec jury. Pour des raisons économiques, pour réduire les coûts, il semble que l'on se débarrasse du jury plutôt que d'augmenter la participation du public dans le système de justice pénale. À notre avis, nous ne devrions pas avoir moins de jurys, mais plus.

Nous remarquons également que, pour une raison ou pour une autre, le paragraphe 4(6) qui vise des drogues inscrites à l'annexe 3 comme les amphétamines, le LSD et les barbituriques, prévoit une peine maximale de trois ans. Nous nous demandons pourquoi les peines maximales prévues pour les drogues de cette nature, dont les effets nuisibles réels ou éventuels ont toujours été considérés comme plus graves, sont moins lourdes que celles prévues pour la marijuana, considérée comme la drogue la moins dure.

Nous prétendons que toute cette approche est fallacieuse. Nous devrions envisager la décriminalisation, des programmes d'entretien à l'héroïne et d'autres approches qui sont plus efficaces et privilégier le traitement et la santé. À notre avis, il faudrait procéder à un examen complet de toute cette question, ainsi qu'à un examen particulier de chaque drogue avant l'adoption de ce projet de loi. Merci.

M. Irwin Koziebrocki, trésorier, Criminal Lawyers' Association of Ontario: Madame la présidente, je représente la Criminal Lawyers' Association qui regroupe des avocats exerçant essentiellement le droit pénal dans la province de l'Ontario. Nous comptons près de 1 000 membres. Dans le cadre de nos fonctions, nous nous prononçons également sur les mesures législatives proposées. À plusieurs occasions, nous avons comparu devant le Sénat et la Chambre des communes et avons eu des consultations avec le ministère de la Justice à propos de mesures législatives en matière de droit pénal.

Je fais partie de l'exécutif de notre association, puisque j'en suis le trésorier et que je préside également le comité de la législation. Je pratique le droit criminel depuis près de 20 ans; au début de ma carrière, j'ai été procureur de la Couronne au ministère du Procureur général, Bureau des avocats de la Couronne (droit criminel), et depuis quelque temps, j'exerce la profession d'avocat de la défense à titre privé.

Pour la Criminal Lawyers' Association, cette loi particulière vise à codifier la loi actuelle relative aux stupéfiants et aux drogues contrôlées. Nous convenons qu'une telle codification s'impose, compte tenu des diverses lois existantes. Nous comprenons également que le projet de loi C-8 ne vise pas à faire un examen de la législation sur les drogues, ni non plus à faire une étude de la pertinence d'une telle loi et de la politique sociale, bien que, à l'instar de l'Association du Barreau canadien, nous pensions qu'il conviendrait de procéder à un tel genre d'examen.

Il se peut bien que l'on décide de procéder à un tel examen avant l'adoption de cette mesure législative, mais j'imagine que ce serait prendre nos désirs pour la réalité, vu les circonstances.

Ceci étant dit, il nous semble que cette mesure législative pose d'importantes questions compte tenu de la nature de la catégorisation prévue dans le projet de loi et des divers pouvoirs conférés à la police et aux tribunaux, certains de ces pouvoirs pouvant se traduire par des infractions à la Charte.

En ce qui concerne le classement des substances et les amendes et sanctions dont elles sont assorties, on semble vouloir, dans cette loi, définir la gravité de certaines substances. Le classement devrait, selon nous, se fonder sur la nocivité. Les drogues comme les opiacés et la cocaïne ont certes un effet nocif. Il faut donc les assortir de sanctions très sévères afin de protéger la collectivité. Quant aux drogues comme la marijuana et le haschisch, il y a vraiment lieu de s'interroger sur leur nocivité. On peut se demander pourquoi le simple fait d'avoir en sa possession de petites quantités de ces substances pour sa consommation personnelle continue d'être un crime.

La sévérité des amendes et sanctions est une autre question importante. Ainsi, pourquoi la peine maximale prévue pour le trafic ou la possession aux fins du trafic de trois kilos de marijuana est-elle l'emprisonnement à vie, comme pour le trafic d'héroïne ou de cocaïne? J'ose affirmer que le trafic de marijuana ne mérite pas l'emprisonnement à vie. On semble vouloir classer les substances en fonction de leur degré de nocivité; par conséquent, il faudrait aussi réexaminer le genre de peines imposées.

Dans son mémoire à la Chambre des communes, la Criminal Lawyers' Association a soutenu qu'il fallait changer la nature de la responsabilité en ce qui concerne la possession de marijuana et de haschisch en petites quantités. La société est préoccupée par le fait que ce sont des jeunes qui se retrouvent dans ce genre de situations. Il semblerait que les lois interdisant la possession de marijuana n'aient pas grand effet dissuasif auprès des jeunes. En fin de compte, une condamnation pour la possession de petites quantités de marijuana pourrait sérieusement miner leur avenir. De toute évidence, elle nuira à leurs chances d'emploi. Elle pourrait aussi nuire à leur capacité d'être admis dans des écoles professionnelles. Elle pourrait fort bien les empêcher de faire partie de certaines professions, par exemple des services de police. Il serait plutôt difficile à un jeune homme ou à une jeune femme qui décide à un certain moment donné de sa vie qu'il ou elle veut faire carrière dans les services policiers d'être admis dans cette profession après avoir été condamné pour possession de marijuana durant sa jeunesse. Comme nous l'avons entendu, cette condamnation peut imposer de très lourdes restrictions à la capacité de voyager.

Comme le gouvernement semble vouloir faire des distinctions entre les diverses drogues - par exemple, en modifiant les dispositions relatives à la consommation excessive de substances de manière à, dans le cas de la marijuana, prévoir une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité -, il faudrait aussi se demander s'il y a d'autres moyens d'éviter les condamnations au criminel.

La Chambre des communes a adopté une loi intitulée la Loi sur les contraventions, bien que celle-ci n'ait pas été proclamée. Elle permet de traiter des contraventions qui ne sont pas définies comme étant criminelles comme celles qui sont assorties d'amendes. En d'autres mots, le contrevenant pourrait avoir à payer une amende, mais il est très clair qu'il n'est pas un criminel. C'est ainsi que le Parlement a choisi d'admettre que toutes les substances ne sont pas égales et de préciser qu'il faut quand même pénaliser l'utilisation des substances moins nocives. Toutefois, cette condamnation n'aurait pas autant de conséquences qu'une infraction au Code criminel ou à une loi sur les substances relevant du droit pénal.

Il semble que la marijuana ne soit pas inconnue des jeunes. Alors que je traversais le Centre Rideau hier, je suis passé devant trois jeunes qui discutaient ouvertement des mérites de fumer un joint. La semaine dernière, j'ai demandé à mon fils - qui étudie dans un établissement de bonne réputation à Toronto - s'il pouvait se procurer de genre de substances. Il m'a dit que c'était très facile. Dans les grands centres comme Toronto, on ne dépose plus de chefs d'accusation pour possession de marijuana, alors que, dans les plus petites agglomérations, je soupçonne que de telles accusations sont peut-être plus fréquentes. Les autorités ne semblent pas voir cette infraction de la même manière, selon la région où l'on se trouve. À Toronto, on semble croire que l'on peut mieux employer les policiers à autre chose. Voilà une question à laquelle vous devriez vous arrêter, selon moi.

Certains principes guidant la détermination de la peine sont énoncés à l'article 10 du projet de loi. La présence de cet énoncé est de toute évidence méritoire. Toutefois, l'article 10 ne reconnaît nulle part que la toxicomanie est une maladie. Il faut en prendre conscience. Il prévoit une liste de circonstances aggravantes, mais pas de liste de facteurs atténuants. Le besoin de traitement d'un accusé toxicomane pourrait fort bien représenter un facteur qui atténue la peine. Ce sont des questions auxquelles vous devriez vous arrêter.

Je souhaite souligner certaines questions concernant les perquisitions, fouilles et saisies. Bien que le projet de loi C-8 semble être une codification de nombreuses dispositions de la Loi sur les stupéfiants et d'autres lois, il semble accroître certains droits et pouvoirs des policiers et des tribunaux au détriment des droits et libertés individuels.

Si la personne n'a rien fait de mal, si la personne a légitimement en sa possession les biens dont il est question, que le tribunal juge qu'il convient de rendre ces biens à la personne innocente de délit criminel et s'il n'y a pas d'autre raison de conserver le bien, pourquoi exiger de la personne innocente une forme quelconque d'engagement et lui imposer des conditions telles que si, à un certain moment donné, elle ne respecte pas son engagement, elle se trouvera, dans les faits, à commettre une infraction au Code criminel, pourra en être jugée coupable et avoir un casier judiciaire pour quelque chose de parfaitement légal? Pourquoi prévoir ce genre de dispositions dans cette loi relative à certaines substances lorsque le Code criminel n'en prévoit pas? Le traitement réservé à ce genre de biens ne devrait pas être différent.

Voilà le genre de choses auxquelles il faudrait s'arrêter. D'autres points sont discutables, mais ce sont là les faits saillants que je désirais mentionner. Je vous remercie.

La présidente: C'est nous qui vous remercions.

Le sénateur Beaudoin: Je me réjouis toujours de voir le comité entendre un membre de l'Association du Barreau canadien. Il ne peut se passer de ces témoignages parce qu'au sein de ce comité, il est question du Code criminel, de la Constitution et ainsi de suite. Je suis également heureux de constater que la Criminal Lawyers' Association est représentée.

J'ai une question au sujet de la Charte et une autre au sujet de la division des pouvoirs. En ce qui concerne la Charte, vous avez soulevé certains points au sujet d'articles du projet de loi. De nombreuses causes sont en attente devant la Cour suprême à ce sujet. Il s'agit donc d'une question qu'il faut creuser.

Je crois comprendre que l'Association du Barreau canadien s'estime rassurée par le fait que le ministère de la Justice a émis un certificat attestant que le projet de loi à l'étude ne viole pas la Charte des droits et libertés. Je devrais peut-être poser la question au ministre de la Justice ou aux fonctionnaires de ce ministère. Toutefois, quelle est votre réaction générale? Vous n'avez pas fait ressortir de possibilité.

M. Conroy: Nous sommes d'accord avec la Criminal Lawyers' Association que le projet de loi comporte probablement de nombreux articles qui violent la Charte. Nous n'avons pas préparé à votre intention de mémoire détaillé sur les dispositions relatives aux fouilles, perquisitions et saisies. Cependant, nous estimons que ces dispositions sont déraisonnables.

Je sais qu'il existe dans le projet de loi un article visant ceux qui font pousser de la marijuana dans leur maison, qu'ils ont fortifiée et transformée en serre de culture. S'ils modifient la maison de quelque façon que ce soit pour cultiver la marijuana et qu'ils en sont jugés coupables - encore une fois, nous suivons le modèle américain -, on confisquera leur maison et leur terre. On ne le fait pas dans le cas de l'héroïne ou de la cocaïne, ni si vous tuez ou violez quelqu'un dans votre maison. Par contre, si vous faites pousser la marijuana, vous pouvez perdre vos biens. De telles mesures nous semblent draconiennes et disproportionnées par rapport à la faute. Nous n'allons pas jusqu'à dire que ce projet de loi respecte la Charte des droits, mais nous sommes davantage préoccupés par son orientation générale. C'est pourquoi nous adoptons une position beaucoup plus générale.

Le sénateur Beaudoin: Je suis sûr que mes collègues se pencheront à nouveau sur ce très important point, à savoir si le projet de loi va à l'encontre de divers articles de la Charte.

Ma deuxième question a trait à la division des pouvoirs. Vous dites que le principe invoqué est celui de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement. C'est peut-être vrai, mais il s'agit aussi de droit criminel. Le paragraphe 91.27 s'applique donc. Je ne vois pas, dans votre excellent exposé, de mention de l'affaire Hauser concernant la paix, l'ordre et le bon gouvernement. Vous avez surtout cité la cause de la publicité du tabac qui est, bien sûr, la plus récente.

M. Conroy: Lorsque nous avons rédigé notre premier mémoire, la Cour suprême du Canada n'avait pas encore rendu sa décision dans l'affaire MacDonald concernant la publicité du tabac. L'arrêt, rendu en novembre dernier, résume plutôt bien la question de la division des pouvoirs. Nous sommes d'avis que cette question relève en réalité du domaine de la santé. Nous sommes conscients que les articles 91 et 92 ne traitent pas vraiment de santé comme telle et que la compétence dans le domaine de la santé est partagée entre le gouvernement fédéral et les provinces. Toutefois, pour l'instant, les lois relatives aux stupéfiants ont été maintenues dans l'arrêt Hauser. Nous affirmons que rien n'a atteint une dimension nationale qui justifierait le recours à l'article de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement. La Cour suprême du Canada l'a dit. Elle a examiné le dossier Hauser et a déclaré que, si elle était saisie de l'affaire, elle jugerait probablement qu'elle relève du droit criminel, plutôt que de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement. Si vous voulez discuter tout de suite de l'affaire MacDonald, il me semble clair qu'on n'adopte pas des lois pénales sans raison. Il faut que l'ordre public, la santé publique, la sécurité publique ou les droits d'autrui soient compromis pour qu'on y ait recours. Pour que le gouvernement fédéral puisse légiférer dans ce domaine, il faut que la question de santé publique soit d'une grande importance.

La consommation de tabac et d'alcool a manifestement des effets beaucoup plus nuisibles que les drogues visées dans le projet de loi à l'étude. Il faut se demander pourquoi la province tient un rôle aussi essentiel dans ces domaines et pas dans celui-là. La façon de légiférer accuse un manque total de cohérence, c'est de l'hypocrisie.

Il est difficile de départager avec exactitude les pouvoirs fédéraux et provinciaux dans un dossier comme celui de la santé. Si le projet de loi à l'étude décriminalisait la consommation personnelle de certaines substances, on pourrait alors soutenir que les provinces peuvent prendre en charge les toxicomanes en raison de leur compétence dans le domaine de la santé. Ce serait, à notre avis, l'approche convenable.

Le sénateur Beaudoin: Je tiens à dire officiellement que la question de la division des pouvoirs, dans ce cas-ci, ne me préoccupe pas trop. Je crois que le Parlement du Canada a le droit d'agir ainsi. La Charte m'inquiète un peu plus, mais c'est une autre histoire.

Pour ce qui est de la division des pouvoirs, bien sûr, la santé est de compétence provinciale. C'est une priorité. Il n'y a pas de doute. Toutefois, la lutte contre les stupéfiants relève indubitablement de l'autorité fédérale en vertu du principe de paix, d'ordre et de bon gouvernement et en vertu du paragraphe 91.27. La question de la division des pouvoirs ne m'inquiète pas beaucoup. Si la possession de ces drogues est décriminalisée, elle relèvera à nouveau des provinces, dans une certaine mesure. Je me bornerai à dire, aux fins du compte rendu, qu'en raison de l'affaire Hauser, le contrôle des drogues relève du principe de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement, mais que les crimes relèvent aussi de la compétence fédérale en vertu du paragraphe 91.27. Dans l'ensemble, je ne vois pas beaucoup de difficultés dans ce dossier.

Maintenez-vous toujours la recommandation que vous faites à la page 15 voulant que soient énumérées toutes les substances auxquelles s'appliquent les interdictions?

M. Conroy: Oui. Dans la version précédente du projet de loi - et l'article a été repris dans la nouvelle version, je crois -, il était prévu que les substances analogues aux diverses substances désignées dans la loi pouvaient être subitement visées. Si vous projetez d'interdire quelque chose sous peine d'emprisonnement, nous estimons que les citoyens ont le droit de connaître la loi à l'avance, pour pouvoir agir en conséquence. Il est impensable qu'un produit soit subitement réputé avoir tant de similitude avec d'autres substances qu'il en devienne illégal. Le principe de la légalité exige que nous connaissions à l'avance ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire. À notre avis, il faut définir expressément et à l'avance les substances interdites.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Jessiman: Monsieur Conroy, vous représentez la section nationale de droit pénal de l'Association du Barreau canadien. Le barreau, son conseil exécutif ou ses membres appuient-ils également cette recommandation? Je vous demande en fait si vous représentez uniquement votre section ou tout l'exécutif du barreau. Sont-ils d'accord avec ce que vous dites? Les membres sont-ils d'accord?

Mme Thomson: Le mémoire décrit plusieurs choses qui ont reçu l'aval du conseil de l'Association du Barreau canadien qui est, en quelque sorte, notre parlement. De plus, il existe d'autres points précis qui sont appuyés par la section nationale de droit pénal. Toutefois, avant de se prononcer publiquement, chaque section doit soumettre sa position au comité de législation et de réforme du droit et au conseil exécutif de l'association.

L'exposé que nous faisons aujourd'hui a été approuvé par le plus grand groupe comme étant une position de la section nationale de droit pénal.

Le sénateur Jessiman: A-t-il déjà été question, durant une assemblée générale, de cette question particulière, à savoir si l'on devrait pouvoir acheter de la marijuana ou du haschisch?

Mme Thomson: Oui. Lors de réunions générales, le conseil a de fait adopté une résolution demandant que soit décriminalisée la possession de cannabis.

M. Conroy: En 1974, il demandait que l'on autorise la vente d'héroïne pour traiter les toxicomanes. Le barreau défend cette position depuis longtemps.

Le sénateur Jessiman: N'avez-vous jamais réussi à persuader le procureur général d'une province?

M. Conroy: On entend souvent, surtout en période électorale, des déclarations publiques selon lesquelles il y aura décriminalisation. Cependant, après l'élection, on a invariablement d'autres priorités.

Il semble qu'en raison de la publicité exagérée créée par les médias et des émotions suscitées par de vieux films comme Reefer Madness, et cetera, on ne veuille pas être le premier à franchir ce cap. D'où les tentatives en vue de ménager la chèvre et le chou, de décriminaliser sans décriminaliser. Les experts qui travaillent dans le milieu des drogues et auprès des usagers de drogues affirment que c'est de la folie et que nous devrions changer d'approche. Nous nous y prenons mal.

Vous avez raison: nous n'avons pas réussi à convaincre les élus de changer la loi.

Le sénateur Jessiman: Qu'en pense le barreau américain? Je sais que les élus américains sont absolument contre la décriminalisation. Ils investissent des milliards de dollars dans leur lutte contre la drogue.

M. Conroy: Nous savons que le projet de loi à l'étude ne découle pas d'une politique du gouvernement, mais de la volonté de bureaucrates.

Nous sommes conscients qu'en raison des pressions exercées par les Américains, plusieurs pays signent ces conventions. Les Américains consacrent beaucoup de temps à essayer de convaincre les autres d'adopter des lois qui cadrent avec leur lutte contre la drogue. Ils voient sans aucun doute le Canada comme le talon d'Achille de leur politique en Amérique du Nord. L'énorme influence des États-Unis et toute la question des médias nous empêchent d'adopter une autre approche.

Le sénateur Corbin: J'aimerais que l'on en revienne à l'objet du projet de loi à l'étude, soit que le Canada se conforme aux conventions internationales dont il est signataire. Ce devrait être notre plus grande priorité. De nombreux témoins se sont éloignés de cet objectif fondamental pour faire des incursions dans des domaines et exprimer des préoccupations, certes légitimes, mais dont l'étude relève d'autres tribunes.

Êtes-vous d'avis que les conventions internationales ne cadrent plus avec la réalité et que nous devrions les remettre sur le métier? Certaines d'entre elles datent de 1961. Qui sait pendant combien d'années auparavant on en a discuté. Cela fait-il vraiment partie du problème?

Dans la même foulée, peut-on vraiment exercer un contrôle, pas forcément mondial mais certainement entre parties signataires, si l'approche n'est pas uniforme? Vous semblez dire que nous subissons des pressions de la part surtout des États-Unis. D'après les témoignages que nous avons entendus, au Royaume-Uni, le Home Office craint aussi que le Canada ne soit le lieu privilégié par les laboratoires clandestins pour fabriquer des substances illicites.

Mis à part certaines préoccupations générales de fin de siècle à propos de ce débat difficile, que devrions-nous faire à propos des conventions internationales? Devrions-nous nous en débarrasser et recommencer à zéro? Quelle est la solution que vous préconisez à ce problème mondial?

M. Conroy: Nous préconisons que le Canada se retire de ces conventions. S'il ne le fait pas, compte tenu de la plus récente convention, celle de 1988, il lui est toujours possible de trouver des solutions non criminelles autres que l'interdiction, même dans le cadre de la convention parce qu'elle est assujettie aux limites constitutionnelles d'un pays donné. Si nous exerçons nos pouvoirs en matière de santé, comme nous l'avons fait pour d'autres substances comme le tabac et l'alcool, nous pouvons contourner ces conventions. Nous comprenons que ces conventions sont souvent mentionnées, en ce sens que nous les avons signées et que nous devrions donc nous y conformer. Nous sommes d'avis que nous devrions nous en retirer. Elles sont périmées. Elles ne cadrent pas avec la réalité canadienne et ne font qu'aggraver la situation.

Les Pays-Bas sont signataires d'un grand nombre de ces conventions. Ils ont fait l'objet de plaintes de la part de nombreux pays voisins qui considéraient que les Pays-Bas avaient adopté une attitude trop permissive et que cela entraînerait d'énormes problèmes. Les Pays-Bas ont effectivement décriminalisé la possession personnelle. Ils ont laissé les lois telles quelles, mais ne les appliquent pas. Ils ont opté pour la solution des «cafés», c'est-à-dire des endroits où on ne sert pas d'alcool et qui sont à l'écart des endroits où on peut obtenir de l'héroïne ou de la cocaïne ou d'autres drogues dures. Même si l'utilisation a augmenté dans ce pays, elle est loin de correspondre au taux qu'affichent les pays, y compris le Canada et les États-Unis, où l'utilisation des drogues est interdite.

En 1961, lorsque nous avons signé la Convention unique, l'utilisation de la marijuana n'était pas un grave problème au Canada. C'est vraiment à partir de 1966 que son utilisation a grimpé en flèche. Le nombre de condamnations est passé de 2 000 par année à 40 000. La ligne dure que nous avons dû adopter en vertu de la convention de 1961 n'a absolument pas découragé l'utilisation. Elle a eu exactement l'effet contraire.

Pourquoi continuons-nous à agir ainsi? Nous sommes d'avis que le Canada devrait se retirer et examiner ce que font les Européens. Ils arrivent, dans le cadre des conventions, à trouver des solutions autres que l'interdiction ou ils se retirent des conventions. Nous sommes d'avis que nous devrions faire de même.

Le sénateur Doyle: Monsieur Conroy, pourriez-vous m'indiquer les recherches importantes qui ont été faites ou les pronostics qui ont été faits quant aux conséquences qu'entraînerait l'adoption de la solution que vous recommandez? Quelle serait la réaction de nos cousins américains? Comment cela influerait-il sur les taux de criminalité ici au Canada? Quelles en seraient les conséquences? Nous avons eu beaucoup de temps pour y penser. De la recherche a assurément été faite à ce sujet.

M. Conroy: Je ne suis pas au courant d'études particulières qui ont été faites pour évaluer précisément la réaction des États-Unis. Il ne fait aucun doute qu'il existe d'importants groupes aux États-Unis qui applaudiraient à une telle initiative.

Assurément, la Drug Policy Foundation des États-Unis et d'autres groupes qui travaillent avec cette fondation afin de réduire les effets néfastes seraient heureux de voir le Canada ou un autre pays finalement prendre position contre ce que nous considérons être une mauvaise solution et envisager la question de manière à diminuer les effets néfastes. Je suis toutefois sûr que le gouvernement américain ne serait pas heureux que le Canada adopte cette position. Je me demande si des recherches à ce sujet sont nécessaires, compte tenu de leur position. Je suis sûr que leur réaction serait assez vive. C'est la solution qu'ils ont choisie. Soixante-dix pour cent des prisonniers fédéraux incarcérés le sont à cause de la guerre contre la drogue et la grande majorité d'entre eux sont noirs. Aux États-Unis, un jeune Noir sur trois ågé entre 18 et 35 ans fait l'objet d'une surveillance correctionnelle à cause de la guerre contre la drogue. Nous savons que l'approche qu'ils ont adoptée entraînera d'énormes problèmes au bout du compte.

Le sénateur Doyle: Êtes-vous en train de laisser entendre que le gouvernement américain pourrait réagir comme il l'a fait avec Cuba lorsqu'il a interdit le commerce avec ce pays?

M. Conroy: Nous entretenons tellement de relations différentes avec les États-Unis sur tellement de questions qu'il est difficile de prédire s'ils opteront pour une ligne de conduite analogue à celle qu'ils ont adoptée à l'égard de Cuba ou à celle qu'ils ont adoptée dans l'affaire du Inside Passage en Colombie-Britannique. Je suppose que cela est possible, mais il est à espérer que nous exercerons notre souveraineté et montrerons aux Américains que nous pouvons adopter une solution en matière de drogues qui réduira les effets néfastes et les problèmes qu'entraîne l'usage de drogues. Ils seront alors en mesure de constater que nous avions raison et qu'ils avaient tort.

Le sénateur Pearson: Beaucoup d'entre nous s'intéressent aux incidences internationales. Nous partons du principe qu'il serait utile d'avoir une forme d'entente sur les drogues dures et qu'il est utile de faire la distinction entre les drogues douces comme la marijuana et les drogues dures. Cependant, ces conventions internationales m'intriguent. Vous laissez entendre qu'elles ont été établies à l'insistance des Américains. Y a-t-il des pays qui se sont retirés d'une convention après l'avoir signée? Ces conventions relèvent-elles des Nations Unies?

M. Conroy: Il s'agit de conventions des Nations Unies, mais je ne peux pas vous donner d'exemple d'un pays en particulier qui se soit retiré. Je pense que les Pays-Bas sont toujours signataires d'un grand nombre d'entre elles bien qu'ils aient adopté une approche différente. Je ne peux pas vous répondre de façon précise, mais nous devrions examiner ce qui est en train de se faire en Espagne, en Italie, en Allemagne et en Suisse, car ces pays sont eux aussi aux prises avec ce problème. Ils abordent le problème différemment et sont en train d'adopter une approche différente. Je n'ai pas entendu dire qu'en réaction aux initiatives des Européens, les États-Unis étaient en train d'adopter une ligne de conduite semblable à celle qu'ils ont adoptée à l'égard de Cuba. Il est clair que les Européens sont en train d'adopter une orientation différente.

Vous avez mentionné les drogues dures par rapport aux drogues douces. J'aimerais souligner que le meilleur argument, c'est que nous devrions adopter une approche différente en ce qui concerne l'héroïne. Nous l'avons constaté traditionnellement sur la côte ouest beaucoup plus qu'ailleurs, peut-être.

Le sénateur Jessiman: Et la cocaïne.

M. Conroy: Oui, mais surtout l'héroïne. C'est une drogue qui crée une telle accoutumance chez certaines personnes qu'elles ne reculeront devant pratiquement rien pour s'en procurer. Nous savons qu'une approche axée sur la diminution des effets néfastes et la distribution de doses d'entretien d'héroïne - l'ancien modèle médical provenant d'Angleterre - permet beaucoup plus efficacement de réduire la criminalité et les problèmes de santé qui découlent de l'abus de cette drogue. Il existe de solides arguments qui militent en faveur d'une approche entièrement différente en ce qui concerne l'héroïne de celle adoptée à l'égard des drogues douces plus populaires comme la marijuana. Nous ne préconisons pas de poursuivre la ligne dure à l'égard d'une drogue qui serait catégorisée parmi les drogues dures. Nous savons que nous pouvons réduire les effets néfastes pour le public, les particuliers et leurs familles en décriminalisant l'utilisation de cette drogue, car la criminalisation de cette drogue nous empêche dans bien des cas d'aller vraiment au fond du problème et d'essayer de le régler.

Le sénateur Milne: Votre mémoire est très persuasif. J'hésite à poser cette question à un criminaliste, mais j'aimerais savoir si à votre avis ce projet de loi offre à la Couronne des outils utiles dans la négociation de plaidoyers?

M. Koziebrocki: Sur ce plan, l'avantage, c'est qu'il semble y avoir une plus grande différenciation que par le passé entre une infraction punissable sur acte d'accusation et une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité. Dans certains cas, les paramètres des infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité ont été élargis. Je pense que ce serait un outil utile pour un procureur en ce sens qu'une personne qui est prête à plaider coupable est plus susceptible de le faire si l'infraction est punissable sur déclaration sommaire de culpabilité plutôt que sur acte d'accusation. Par conséquent, une fois que l'on élargit les paramètres des infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité, la Couronne se sent moins contrainte de procéder de cette manière, en ce sens qu'elle sait qu'elle dispose d'une plus grande marge de manoeuvre au niveau de la détermination de la peine. Pour un procureur, je conviens qu'il s'agirait d'un outil utile. Pour un avocat de la défense, c'est un outil relativement utile lorsqu'il souhaite régler ce genre d'affaire.

M. Conroy: Si vous regardez l'approche adoptée par les États-Unis, où des peines plus lourdes sont prévues - comme la confiscation des biens - beaucoup de gens plaident coupables pour éviter ou réduire ces peines draconiennes. La Couronne peut dire: «Si vous plaidez coupable, ils ne saisiront pas votre maison et vos biens.» On veut ainsi inciter la personne à plaider coupable même si elle ne l'est peut-être pas. C'est ce qui se passe aux États-Unis.

Le sénateur Milne: Pouvez-vous m'en dire un peu plus à propos de cette Loi sur les contraventions? Vous dites qu'elle a été adoptée, mais pas promulguée. Pourquoi ne l'a-t-elle pas été et quand a-t-elle été adoptée?

La présidente: Une nouvelle Loi sur les contraventions a été présentée à nouveau à la Chambre des communes. Apparemment, elle franchira l'étape de la première, de la deuxième et de la troisième lectures vendredi et nous reviendra après le congé de Påques. J'ignore s'il s'agit du même projet de loi dont on a parlé plus tôt. Je ne suis pas en mesure de vous le dire. Je n'ai pas vu ce projet de loi.

M. Koziebrocki: Il s'agissait d'une loi adoptée en 1992. Si je me souviens bien, elle n'a pas été promulguée. Je suppose que celle dont nous parlons s'en rapproche beaucoup. Nous devrons attendre jusqu'après Påques.

Le sénateur Lewis: J'aimerais aborder l'article 31 du projet de loi. Il traite des inspecteurs nommés par le ministre pour procéder à la visite d'un lieu. L'article du projet de loi qui renferme les définitions définit «praticien» comme une «personne qui, en vertu des lois d'une province, est agréée et est autorisée à exercer dans cette province la profession de médecin, de dentiste ou de vétérinaire. Y sont assimilées toute autre personne ou catégorie de personnes désignées par règlement.» Nous sommes conscients que des règlements seront établis en vertu de la loi, mais nous en ignorons la teneur.

Hier, nous avons entendu des représentants de la profession médicale qui ont exprimé de graves réserves à propos de l'article 31 du projet de loi. Ils craignent que ce projet de loi nuise aux praticiens. Il me semble que ce projet de loi ne traite probablement pas de ce type de situations parce qu'il donne le droit à un inspecteur de procéder à une visite d'un lieu qui sert vraisemblablement à l'exercice de l'activité professionnelle du titulaire d'une autorisation ou d'une licence réglementaire l'habilitant à faire le commerce de substances désignées. L'alinéa c) prévoit une exception concernant les dossiers sur l'état de santé des personnes en cause.

Vous n'avez peut-être pas eu le temps d'examiner de près cette question, et nous ignorons quelle sera la teneur des règlements. On peut toutefois supposer qu'ils auront pour objet d'indiquer que des titulaires d'une autorisation ou d'une licence réglementaire seront habilités à faire le commerce de substances désignées. Nous ignorons également ce que l'on entend par l'expression «faire le commerce».

M. Conroy: Cela n'inclurait-il pas tous les praticiens?

Le sénateur Lewis: C'est possible. C'est ce que je me demande. Pourtant, cet article ne fait aucune mention particulière des «praticiens».

M. Conroy: Je crois que cela inclurait tous les praticiens.

M. Koziebrocki: Ainsi que les pharmaciens.

Le sénateur Lewis: Oui, c'est exact. L'application de cet article se limitera en fait aux personnes qui deviennent titulaires d'une autorisation ou d'une licence réglementaire. En d'autres mots, si cela n'était pas précisé, il s'appliquerait à tout le monde. Son application semble restreinte aux personnes à qui on pourrait à l'avenir délivrer une licence.

M. Conroy: Il semble de toute évidence se limiter aux personnes titulaires d'une autorisation ou d'une licence réglementaire dans l'exercice de leur activité professionnelle. Il faudra que cette condition existe pour que l'article s'applique.

M. Koziebrocki: Si ce projet de loi vise à rendre illégale la possession de certaines substances, puis à permettre des exceptions en vertu de la loi, il faut alors réglementer ces exceptions d'une certaine façon. C'est l'une des façons de le faire.

Le sénateur Lewis: Nous en parlons sans même savoir quelle sera la teneur de ces règlements.

M. Koziebrocki: J'imagine que les pharmaciens, les médecins et autres personnes de cet acabit seront visés par les règlements d'application.

Le sénateur Lewis: Il pourrait y en avoir d'autres.

M. Conroy: Si ce projet de loi est adopté, il est à espérer qu'il y aura quelque chose de plus dans les règlements pour permettre aux intervenants, notamment aux membres de la profession médicale, à utiliser ces drogues de manière positive et thérapeutique. Rien dans le projet de loi ne semble traiter de ce point, ce qui, à notre avis, est une autre lacune.

Si nous présentons une nouvelle mesure législative en vue de cette nouvelle politique en matière de drogues, pourquoi ne pas inclure ce point? Les règlements d'application de la Loi sur les stupéfiants stipulent - ou stipulaient, tout du moins - qu'un médecin pratiquant peut prescrire un stupéfiant si celui-ci est médicalement nécessaire. Je crois qu'ils doivent toujours avoir un permis de pratiquer ou être autorisés à en faire le commerce pour pouvoir le faire.

La présidente: Je crois que M. Armstrong a répondu clairement à cette question hier, lorsqu'il nous a dit que le fait d'avoir un permis de pratiquer la médecine lui permet également d'administrer des médicaments, y compris des stupéfiants.

M. Conroy: Disait-il qu'il peut aujourd'hui prescrire à un sidéen de la marijuana, par exemple?

La présidente: Non. Il parlait des médicaments palliatifs, comme la morphine, qu'il a le droit d'administrer en tant que médecin pratiquant.

M. Conroy: Nous entendons souvent parler de gens qui veulent à tout prix obtenir de la marijuana en raison de ses effets contre la nausée, dans les cas de sida ou de cancer. Plusieurs personnes m'ont abordé à ce sujet. Le gros problème qui se pose, c'est que l'on ne peut pas légalement avoir une réserve de cette substance, sans compter que les professionnels de la santé répugnent à la prescrire par crainte de ce qui pourrait leur arriver.

La présidente: C'est en partie parce que la profession médicale n'a pas elle-même décrété que ces drogues sont bénéfiques.

M. Conroy: L'automne dernier, l'association qui représente les professionnels de la santé aux États-Unis a adopté une résolution importante en faveur de la décriminalisation de la marijuana à des fins thérapeutiques et médicales. Beaucoup de personnes appartenant ici à la profession médicale sont membres de cette association, laquelle est un organisme international. D'après ce que je comprends, les spécialistes sont tout à fait clairs à ce sujet. La marijuana offre plusieurs possibilités thérapeutiques fort importantes.

Le sénateur Lewis: Les mots «faire le commerce» me fascinent. Il n'est pas question ici «d'avoir en sa possession», mais de «faire le commerce». Cela revient presque à dire que nous ne nous inquiétons pas de savoir si vous avez ces substances en votre possession, mais seulement de savoir si vous en faites le commerce d'une façon ou d'une autre. Il est question ici de personnes qui font des affaires ou exercent une profession.

Le sénateur Milne: Considère-t-on le fait de prescrire des médicaments comme du commerce?

Le sénateur Lewis: Les règlements d'application expliqueront peut-être ce point.

M. Conroy: Souvent, c'est la définition la plus large qui est donnée de manière que l'on puisse ensuite la parfaire devant les tribunaux.

M. Koziebrocki: Vous voulez dire la développer.

Le sénateur Corbin: La version française est extrêmement claire. On y lit «vente et commerce». Cela n'a pour l'instant rien à voir avec l'exercice de la médecine.

M. Conroy: On peut soutenir que le fait de prescrire des médicaments ne veut pas dire en faire le commerce, car vous n'êtes pas payé pour cela. C'est le pharmacien qui est payé, bien que je suppose qu'il s'agisse toujours d'un commerce.

La présidente: Dans certaines régions du pays toutefois, le médecin joue également le rôle de pharmacien. Je peux vous en donner des exemples dans le nord du Manitoba, où l'infirmière est aussi la pharmacienne. Cette question peut devenir beaucoup plus complexe dans les collectivités éloignées que, peut-être, dans nos villes.

Le sénateur Lewis: J'ai l'impression que la loi ne vise pas cela, mais plutôt les trafiquants de drogue en tant que tels.

Le sénateur Bryden: J'aimerais féliciter le barreau à propos de l'approche novatrice et créative qu'il a acquise au fil des ans en tant qu'association professionnelle. Il est très rare qu'en ma qualité d'avocat j'aie l'occasion de féliciter mes propres collègues, car les avocats sont très pernicieux. Depuis que je suis membre de ce comité, c'est la première fois que j'ai l'occasion d'examiner la politique du Barreau à cet égard et je dois dire qu'elle est novatrice et courageuse.

D'après ce que vous avez dit, vous travaillez là dessus depuis au moins 1974. De toute évidence, vous n'êtes pas près de remporter la victoire. Ma question est la suivante: dans une société qui, à mon avis du moins, semble de plus en plus être axée sur l'ordre public, comment un gouvernement peut-il prendre des initiatives dans un domaine comme celui-ci? Avez-vous des propositions à nous faire? Comment préparons-nous le terrain de manière que le gouvernement puisse présenter une loi ou adopter une approche reflétant ce que vous proposez, sans pour autant perdre le pouvoir?

M. Conroy: À mon avis, nous avons un problème systémique dans notre société. Ce que je veux dire, c'est que ce sont les médias, qu'il s'agisse des journaux ou de la télévision, qui transmettent l'information à la plupart des gens. Il est inévitable et compréhensible que les médias se concentrent sur des événements inhabituels et exceptionnels. Par conséquent, nous entendons constamment parler d'événements inhabituels ou exceptionnels et, pour beaucoup d'entre nous, cela devient normal, ordinaire, banal. Ce sont ces événements qui déclenchent la politique officielle ou qui y mettent un frein. Après tout, il suffit souvent qu'un seul événement survienne dans le domaine de la justice pénale pour nous faire reculer pendant plusieurs mois ou plusieurs années. Je crois que cela fait partie du problème.

On peut dire toutefois que dans une grande mesure, nous avons connu certains succès dans les tribunaux ainsi qu'auprès de la police. Alors que la loi suit cette voie depuis 1923, et depuis 1961 en particulier, les tribunaux, à toutes fins pratiques, imposent des peines moins lourdes. En ce qui concerne la marijuana, l'inculpé bénéficie normalement d'une absolution et doit payer une amende de 100 $ ou quelque chose du genre. La police et les tribunaux s'engagent sur cette voie, tandis que le gouvernement fait le contraire. Je crois que cela s'explique en particulier par l'attitude des États-Unis qui ont fait beaucoup d'histoires à ce sujet. Mis à part les sondages publics, qui permettent d'avoir une bonne idée de ce que souhaite le public ou de ce qu'il est prêt à accepter, il est difficile d'agir politiquement.

Je le répète, il faut à mon avis beaucoup de courage pour s'opposer à des pays comme les États-Unis, comme l'ont fait les Pays-Bas. Evidemment, ils n'ont pas gagné en popularité, bien d'autres pays s'inquiétant des répercussions éventuelles de leur décision sur leur territoire.

D'après ce que je comprends des sondages, la plupart des Canadiens ne s'intéressent pas vraiment à la question de la marijuana, parce qu'ils sont mal renseignés à propos d'autres drogues et qu'ils continuent de l'être en raison de l'interdiction en vigueur. Les agents de police eux-mêmes qui doivent parler aux écoliers du problème de la drogue ne peuvent pas souvent dire exactement ce qu'ils pensent vraiment, car ils doivent maintenir le statu quo. Nous avons besoin de changement pour progresser.

À de nombreux égards, le système actuel nous empêche de progresser. D'après ce que je comprends, la plupart de la recherche effectuée aux États-Unis sur la marijuana a subitement été interrompue. On ne fait plus de recherche dans ce domaine depuis le début de la guerre contre les drogues.

On ne peut toutefois s'empêcher de se dire: «Nous connaissons bien la question depuis longtemps, nous avons fait tellement de recherches là dessus que si cela posait maintenant un grave problème de santé publique, on s'en serait aperçu indépendamment de toute cette recherche.» Pourtant, il semble que quelque chose continue de nous empêcher de prendre une décision fort simple, c'est-à-dire de commencer à faire tout le contraire.

Le sénateur Bryden: L'un de vous a dit que cela donne lieu à des absurdités, ce qui entraîne un irrespect considérable de la loi. Lorsque j'étais sous-procureur général, je me souviens que j'avais dû rencontrer la police et les procureurs peu avant la tenue d'un festival rock dans ma province. Nous avions décidé alors que la seule façon de procéder pour contrôler ce qui risquait d'arriver consistait à fermer les yeux sur tout usage de marijuana ou de drogue, car sinon, nous courrions le risque de provoquer une émeute. Le plus absurde dans tout cela, c'est qu'au même moment, l'un des agents qui participait à la rencontre a dû partir, car il poursuivait un jeune de 17 ans accusé d'avoir fumé un joint. À un moment donné, l'élément criminel, le grand public et les jeunes examinent la façon dont nous appliquons nos lois et se rendent compte qu'elle est tellement irrationnelle qu'ils perdent tout respect des lois. Il m'est difficile d'admettre qu'un adolescent qui fume de la marijuana présente une menace à notre société; par contre, il semble que nous soyons totalement impuissants face aux bandes de motards qui exercent un chantage sur les villes.

M. Conroy: En créant des marchés noirs au lieu de les démanteler, nous encourageons les bandes de motards. Les démanteler équivaudrait à leur enlever leurs profits.

Le sénateur Bryden: Il peut être possible de suivre une voie différente de celle des Américains, mais cela prendra du temps. Cela a pris beaucoup de temps - et ce que je vais dire intéressera la présidente - au Canada de suivre une voie différente de celle des Américains à propos des armes à feu.

M. Conroy: Cela peut se faire.

Le sénateur Bryden: On en est arrivé au point où les gens décrivent un Canadien comme étant un Américain armé d'une carte de santé uniquement. Non seulement l'Association du Barreau canadien, mais aussi d'autres groupes, devront concerter leurs efforts pour amener le public à admettre que nous pouvons mettre sur pied un système différent et adopter une approche différente. Quelqu'un a dit qu'aux États-Unis, une personne sur trois qui se retrouve en prison pour abus de drogues est noire. Dans notre propre pays, la situation est très grave en ce qui concerne certaines infractions, non seulement les infractions en matière de drogues, puisqu'une personne sur quatre qui se retrouve en prison est autochtone. Les mentalités doivent donc changer, et non seulement en ce qui concerne les substances interdites.

M. Conroy: Les gens ne s'inquiètent pas trop des conséquences d'une peine de prison. Les peines qui auparavant étaient de six mois au maximum dans les cas de déclaration sommaire de culpabilité durent maintenant un an et 18 mois, ainsi que nous le voyons dans cette mesure législative. C'est comme s'il suffisait d'ajouter six mois ici ou là. D'après les statistiques les plus récentes, il en coûte 44 000 $ par an en moyenne pour garder une personne en prison. Pourquoi ajouter six mois? Est-il prouvé que six mois de plus permettront de mieux régler le problème? À mon avis, c'est tout le contraire. La prison est l'endroit idéal pour modifier sa conscience et se soustraire à l'ennui de la vie. La demande de drogues est probablement plus élevée en prison que partout ailleurs, car le prisonnier veut s'échapper. S'il ne peut le faire physiquement, il doit le faire mentalement. Je crains que nous ne fassions que perpétuer la situation.

La présidente: La question que je souhaite poser traite des conventions internationales. Je dois dire que je suis surprise de vous entendre proposer que nous devrions nous retirer de tous ces accords internationaux. En général, je ne pense pas que ce soit une bonne idée pour un pays comme le Canada. Pourquoi proposez-vous cette solution plutôt que celle adoptée par les Pays-Bas? Ce pays continue à souscrire à ces conventions internationales tout en ayant sa politique maison, qui consiste à réduire les effets nuisibles, approche qui, à mon avis, est raisonnable.

M. Conroy: Ce que nous disons, c'est que si vous pouvez le faire dans le cadre des conventions, allez-y. Je ne suis pas sûr que les Pays-Bas respectent les conventions. Chaque fois que nous proposons ici la décriminalisation ou que nous nous opposons à un projet de loi, on nous rétorque que le Canada doit respecter ses conventions internationales. Ce que nous disons, en fait, c'est que vous pouvez jusqu'à un certain point donner suite à nos propositions dans la mesure où elles sont compatibles avec les conventions, mais d'après notre interprétation des conventions, il est impossible de donner suite à certaines de nos propositions tout en respectant ces conventions. Il faudrait que vous disiez: «Nous allons signer cette convention, mais ne pas y prêter attention et adopter notre propre politique afin de vous montrer qu'il s'agit d'une mauvaise approche.» En toute logique, si nous voulons vraiment adopter une politique entièrement nouvelle, nous devons nous retirer de ces conventions, car elles exigent quelque chose de différent. Nous devrions peut-être nous efforcer d'élaborer d'autres conventions qui soient complètement axées sur la réduction des effets nuisibles.

La présidente: Merci à vous tous d'être venus aujourd'hui. Vous nous avez aidés dans l'analyse de cette mesure législative.

La séance est levée.


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