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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 4 - Témoignages (séance de l'après-midi)


Les travaux reprennent à 14 heures.

La présidente: Honorables sénateurs, nous amorçons la séance de cet après-midi avec deux témoins très intéressants de la ville de Toronto: il s'agit de Wade Hillier, le coordonnateur du groupe de travail du maire sur les drogues, et de Dayle Mosely, l'adjoint du directeur exécutif de la Downtown/Eastside Residents' Association de Vancouver.

Nous commencerons par vous, monsieur Hillier. Vous pourriez peut-être nous faire part du point de vue de la ville de Toronto relativement à ce projet de loi. Nous entendrons ensuite celui de la ville de Vancouver.

M. Wade Hillier, coordonnateur, Groupe de travail du maire sur les drogues, ville de Toronto: Madame la présidente, je vous transmets les excuses de la maire de Toronto qui n'a malheureusement pas pu comparaître devant vous aujourd'hui. La maire s'intéresse particulièrement à cette question. Dans le cadre d'un échange international avec la ville de Francfort, elle a prononcé hier à Toronto un discours sur la question des abus d'intoxicants dans la ville de Toronto et endosse entièrement les observations que je ferai devant ce comité.

Je ne suis pas venu ici aujourd'hui pour vous parler des subtilités de ce projet de loi même si, j'en suis convaincu, d'autres témoins ont comparu devant vous à cette fin. Je ne suis certes pas en mesure de discuter de l'établissement de la liste des substances aux fins de la loi, mais j'espère vous faire part d'un point de vue pratique d'une ville sur cette question.

Toronto est la plus grande ville du Canada ce qui lui permet de jouir des privilèges d'une ville de classe internationale. Cependant, elle doit aussi faire face aux problèmes qui en découlent. Parmi les plus importants se rangent l'abus d'intoxicants et les problèmes qu'il engendre pour les quartiers, la police et les particuliers. Au cours des dernières années, des quartiers de Toronto sont devenus la plaie du trafic illicite de la drogue et de l'activité criminelle qui l'accompagne. Les particuliers sont assiégés dans leurs propres collectivités et craignent pour leur sécurité et celle de leurs enfants.

La réaction à ces craintes a revêtu de nombreuses formes, de protestations par des groupes de résidents jusqu'à des demandes de subvention de groupes communautaires en passant par des descentes de police. Il arrive souvent que le problème se résorbe ou resurgisse dans une autre rue. Au cours des dernières années, nous savons par expérience que les efforts déployés pour débarrasser les quartiers des trafiquants de drogues ne font que déplacer le commerce d'une rue à une autre, alors que les gens sont refoulés d'une rue à la suivante.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous dis cela et qu'est-ce que cela a à voir avec le projet de loi C-8? Je le fais parce que j'estime qu'aujourd'hui nous nous trouvons à un carrefour où nous pourrons peut-être corriger ces situations. Pour ce faire, toutefois, nous devons adopter une formule polyvalente qui englobe la répression de la criminalité, l'éducation, la prévention et la réduction des méfaits. Le projet de loi C-8 vous offre l'occasion d'adopter une approche équilibrée pour régler le problème de l'usage des drogues dans ce pays.

Nous avons trop longtemps concentré nos efforts sur la criminalisation et l'incarcération des trafiquants de même que sur la solution américaine de l'interdiction et de la lutte antidrogue. Le Canada a sa propre stratégie antidrogue qui dispose que la réduction des méfaits et la prévention sont les facteurs clés qui permettront à long terme de réduire l'abus des substances. Le projet de loi C-8 ne semble pas y faire écho. Il semble plutôt s'appuyer sur le maintien de la prohibition et le renforcement des sanctions juridiques contre les utilisateurs.

Cette approche oublie que la lutte antidrogue a échoué. Cependant, il n'est plus acceptable d'aborder la question de l'usage des drogues du seul point de vue légal. Dans des villes comme Toronto, nous sommes aux prises avec toutes sortes d'abus d'intoxicants et nous constatons maintenant que nous devons aussi consentir à collaborer avec tous ceux qui y sont associés, y compris les usagers de drogues. Nous ne pouvons plus désormais les reléguer dans les prisons étant donné que nous ne pouvons plus nous permettre comme seule option l'emprisonnement. Ce n'est plus désormais équitable sur le plan financier. Trop de Canadiens sont aux prises avec le système judiciaire pour des infractions mineures en matière de drogue, qui coûtent aux contribuables canadiens des millions de dollars, alors que nous pourrions tous beaucoup mieux profiter d'une formule qui considère l'usage des drogues comme un problème relevant de la santé publique et de la politique sociale.

Nous, à la ville de Toronto, avons commencé à élargir nos horizons. Récemment, un document intitulé «Innovative Strategies in Substance Abuse, Prevention and Treatment» a été déposé auprès de la commission de la santé de la ville de Toronto. J'aimerais vous faire part de quelques-uns des essais qui ont été effectués dans des villes importantes d'autres pays et qui ont démontré l'inefficacité des solutions traditionnelles à l'abus d'intoxicants. C'est dans les villes que l'usage d'intoxicants se fait sentir le plus et c'est là également que la politique et la législation en matière de drogues ont leur plus grand impact. Nous sommes aux prises avec ce problème dans nos quartiers et nos collectivités.

Je parlerai tout d'abord des programmes d'échange d'aiguilles qui ont joué un rôle important dans la prévention du VIH dans les grosses villes. Toronto et Vancouver ont été les premières en Amérique du Nord à mettre au point ces programmes. Quoique les programmes d'échange d'aiguilles reposent en grande partie sur l'échange de seringues, la fourniture de condoms, l'éducation et la prévention en sont également des composantes importantes. La question la plus controversée peut-être entourant l'échange d'aiguilles consiste à se demander si ces services encouragent l'usage des drogues. D'après les premières études qui ont été effectuées, rien ne prouve que les programmes d'échange d'aiguilles font augmenter le nombre d'usagers de drogues ou de clients qui s'échangent des aiguilles ou modifient le niveau d'usage des drogues au sein des collectivités.

Le rapport coût-efficacité semble bien documenté du fait que l'incidence, par exemple à Toronto, de l'infection par le VIH dans la population des usagers de drogues intraveineuses est d'environ 7 p. 100, par rapport à une incidence de 30 à 50 p. 100 à Chicago et à New York. Si nous considérons le coût de traitement des sidatiques à raison de 119 000 $ américains par malade par année par rapport au coût d'un programme d'échange d'aiguilles comme celui qu'offre la ville de Toronto à raison de 450 000 $ par année, l'analyse coût-efficacité se passe de commentaires.

Je veux maintenant parler des programmes de traitement d'entretien à la méthadone auxquels on a recours pour traiter les symptômes de sevrage aux drogues. Gråce aux effets par action prolongée de la méthadone, une personne devient plus stable et peut mieux fonctionner dans la société. Le traitement d'entretien à la méthadone est offert dans de nombreux pays, y compris le Canada. De nombreuses études ont démontré que l'utilisation de la méthadone a permis de réduire sensiblement le taux de morbidité et de mortalité des usagers de drogues, de même que les niveaux tant de la participation au crime que de la propagation du VIH. Les règlements ont été très restrictifs dans ce pays et les places ont été limitées. Au Royaume-Uni, en Europe et en Australie, la méthadone peut être obtenue dans les cliniques de même que chez certains médecins. À Amsterdam, à Barcelone et à Francfort, la méthadone est distribuée par l'entremise de caravanes. Gråce à la méthadone qui leur est donnée, les toxicomanes peuvent devenir des citoyens productifs et contribuer à la société.

En ce qui concerne la prescription de drogues illicites, les approches globales qui incluent des programmes d'échange d'aiguilles, de counselling, d'emploi et de logement, de concert avec un traitement, ont été mises à l'essai à des endroits comme Merseyside en Angleterre. Les médecins y ont aussi prescrit différents types de drogues pour répondre aux besoins de certains usagers réfractaires à la méthadone. La prescription de drogues est difficile à accepter, mais semble donner des résultats. Par exemple, le gouvernement suisse a entrepris une étude sur la prescription des drogues. En 1994, 700 personnes ont participé au programme et, en 1995, on est passé à 1 000 participants étant donné les résultats préliminaires très positifs de l'étude.

En ce qui concerne les initiatives en matière de répression de la criminalité, les complexités des deux aspects de cette question n'ont toujours pas été officiellement réglées. En fait, les drogues dites dures ne sont encore légalisées nulle part dans le monde. L'expérience tentée à Merseyside montre toutefois comment toutes les parties en cause peuvent collaborer. Les forces policières de Merseyside font figure de chefs de file nationaux dans les activitiés visant à améliorer le règlement des problèmes de drogues. Les policiers de cette localité et d'autres autorités travaillent en étroite collaboration avec les services de santé régionaux pour coordonner la prévention et le traitement des problèmes liés aux drogues.

L'un des principaux éléments de ce soutien des services policiers est le recours à la mise en garde. Aux termes de cette politique, lorsqu'un agent de police découvre une personne qui utilise des drogues illicites, il la conduit au poste de police où la drogue est confisquée et l'incident consigné au registre. La personne est renvoyée à des agences de soutien. Par ces politiques, on vise à éviter les poursuites et l'incarcération éventuelles des usagers de drogues, pour s'attaquer plutôt directement à la consommation.

Aux Pays-Bas, bien que la consommation de drogues n'ait pas été légalisée, on a établi certaines distinctions juridiques entre les substances. Le trafic ou la possession de petites quantités de cannabis a été décriminalisé. Les usagers ne sont pas emprisonnés, mais plutôt suivis et encadrés par un réseau d'organismes qui leur fournissent une aide financière, sociale et médicale. Les autorités néerlandaises soutiennent que cette approche contribue à éliminer les usagers «clandestins». Autrement dit, il n'existe pas une population cachée de toxicomanes parce qu'elle n'est pas la cible des autorités policières. Seuls les gros trafiquants doivent se cacher. De plus, les Néerlandais sont fiers de leurs statistiques nationales, qui font état de taux extrêmement faibles d'homicides et de décès attribuables aux surdoses.

D'autres villes comme Francfort ont joué un rôle capital dans l'adoption de mesures destinées à réduire les méfaits liés aux drogues. Ces initiatives ont mené à l'abolition, en 1992, des lois nationales régissant les instruments pour l'utilisation de drogues illicites, qui avaient eu pour effet de limiter la portée des programmes d'échange de seringues mis sur pied par le gouvernement. De plus, plusieurs autres pays, dont l'Espagne, l'Italie, la France, la Suisse et l'Australie, sont en voie d'apporter des modifications à leurs politiques antidrogue.

En ce qui concerne les mesures de prévention, plusieurs programmes de traitement pour abus de drogues sont offerts à l'échelle internationale comme solution de rechange à l'incarcération. L'idée croît en popularité puisque plusieurs études sérieuses ont laissé entendre que les usagers contraints de suivre un traitement, habituellement sous la menace de sanctions pénales, s'en tirent aussi bien que ceux qui participent volontairement à ces programmes.

La Delancey Street Foundation aux États-Unis est considérée comme l'un des centres les plus efficaces qui offre des programmes de traitement comme solution de rechange à l'incarcération. À l'heure actuelle, environ 1 000 personnes sont logées dans cinq résidences aux États-Unis. Le résident moyen consomme de la drogue de manière excessive depuis 10 ans et a été incarcéré à quatre reprises. Environ 30 p. 100 sont sans abri. Pendant leur séjour au foyer Delancey, d'une durée d'environ quatre ans, les résidents reçoivent un certificat d'équivalence d'études secondaires, ainsi qu'une formation dans plusieurs secteurs de compétence en demande. Outre le traitement pour abus de drogues, on met l'accent sur la formation scolaire et professionnelle de même que sur les relations sociales et humaines.

Pour faire face au nombre croissant d'infractions liées à la drogue, on a créé des tribunaux spéciaux chargés de juger ces cas. Les tribunaux dirigent les contrevenants vers des programmes de traitement communautaires et ce, dans le but de réduire la consommation de drogues et les dommages causés par celles-ci.

Si j'ai pris le temps de vous donner ces exemples, c'est pour vous montrer que le Canada et d'autres pays font preuve d'innovation dans ce domaine et qu'il faudrait continuer dans cette voie. D'autres pays ont démontré qu'il est possible d'accomplir certaines choses si nous sommes prêts à prendre quelques risques et à explorer d'autres avenues pour enrayer la toxicomanie. Bien que Toronto ait fait preuve d'innovation en mettant sur pied, par exemple, le programme d'échange de seringues et le programme de désintoxication à la méthadone, rien n'a encore été fait pour adopter des programmes similaires à ceux de Merseyside.

Le projet de loi C-8 doit nous permettre de prendre d'autres mesures novatrices et d'explorer de nouvelles idées. Il doit nous aider à lutter contre le trafic de la drogue, mais il doit nous permettre aussi de travailler avec les usagers de drogues et de leur offrir les services de santé et sociaux mentionnés plus tôt, sans qu'ils ne craignent de faire l'objet de poursuites.

La ville de Toronto a reconnu qu'on ne peut dissocier la consommation de drogues des questions de santé et sociales. La loi doit nous donner la marge de manoeuvre dont nous avons besoin pour adopter des stratégies innovatrices, tout en tenant compte du fait que ces stratégies impliquent la participation des collectivités, des autorités policières et des usagers.

Je suis heureux que le Sénat prenne le temps d'entendre le point de vue de tous ces intervenants. Nous convenons tous que la criminalisation de la consommation de drogues n'aide pas l'usager, qu'il nous faut adopter des solutions de rechange qui mettent l'accent sur la santé publique, que les coûts assumés par les particuliers, la collectivité et la société en général pour assurer le respect des lois actuelles sont trop élevés et que nous devons nous tourner vers d'autres modèles.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Hillier.

Monsieur Mosely, je vous invite à nous parler de l'expérience de la ville de Vancouver.

M. Dayle Mosely, adjoint du directeur exécutif, Downtown/Eastside Residents Association, Vancouver: Je travaille au sein de la communauté la plus pauvre du Canada depuis huit ans. L'association est formée de gens qui habitent dans cette localité. Nous avons sans doute le taux de consommation de drogues le plus élevé par habitant au Canada. Je siège depuis deux ans au conseil d'administration de la B.C. Coalition for Safer Communities. Je suis membre du comité consultatif provisoire chargé de trouver des moyens de rendre la ville de Vancouver plus sûre. J'agis également à titre de conseiller du procureur général pour les questions touchant les services policiers communautaires. Je fais partie du comité de liaison local qui réunit des membres du service policier et de la communauté, et du comité de direction de la Downtown/Eastside Strathcona Coalition, qui regroupe plusieurs personnes désireuses d'améliorer la qualité de vie au sein de la communauté. Je suis au courant de ce qui se passe dans la région de Vancouver, et à Vancouver en général.

J'ai entendu l'entrevue qu'a donnée le sénateur Carstairs à la radio. Elle semble croire que, même si la drogue constitue un problème, et il s'agit d'une question importante pour les personnes concernées, celui-ci n'est pas très grave. Or, il n'y a rien de plus faux. Je ne peux parler pour les autres villes canadiennes, mais la ville de Vancouver est confrontée à un problème énorme, surtout dans le quartier dans lequel je travaille.

Les dommages causés par l'utilisation de drogues intraveineuses ne cessent de croître à l'échelle internationale depuis l'apparition de l'infection par le VIH. La Colombie-Britannique a enregistré une augmentation du nombre d'utilisateurs de drogues intraveineuses séropositifs, ainsi qu'une augmentation du nombre de décès liés à la drogue. Le nombre d'accusations liées à l'usage de la cocaïne a décuplé entre 1985 et 1991. Nulle part ailleurs les effets de la drogue ne sont-ils plus évidents, plus dévastateurs. Ceux qui travaillent et vivent dans ce quartier en ont assez d'assister à des funérailles. Nous voulons que le carnage cesse.

J'aimerais vous donner quelques statistiques de même que quelques exemples de la situation à laquelle nous sommes confrontés. On dénombre dans la communauté environ 750 cas d'infection par le VIH chez les utilisateurs de drogues intraveineuses, des cas d'hépatite A, B et C, des cas d'infections cutanées et sanguines, des cas d'endocardites, de tuberculose, ainsi de suite. De nombreux habitants et usagers de drogues au sein de la communauté sont atteints de la tuberculose. Il en coûte environ 150 000 $ par année pour soigner chacune de ces personnes, et ce montant ne cesse de croître.

Plus de 300 décès ont été recensés par Vince Cain dans son fameux rapport. Une autre cargaison d'héroïne concentrée est arrivée récemment et, encore une fois, notre communauté a été décimée par ce fléau, alors qu'amis et connaissances disparaissaient. Les foetus sont eux aussi exposés à diverses substances qui entraînent des conséquences à court et à long terme. On estime que 30 p. 100 des enfants nés dans le quartier est du centre-ville sont affectés.

Tous les programmes d'action communautaire sont soumis à des pressions croissantes - services infirmiers, services médicaux, services d'orientation, programmes et services sociaux. La toxicomanie touche également les personnes présentant une déficience intellectuelle, alors que de plus en plus de gens se retrouvent à la rue en raison de la rationalisation des services hospitaliers et de la discrimination dont ils sont victimes sur le plan du logement. En tant qu'organisation, le DERA exploite un foyer de 70 chambres pour les personnes frappées d'incapacité mentale. Je dirais qu'au moins 70 p. 100 des résidents sont séropositifs et font usage de drogues intraveineuses. Un très grand nombre de personnes atteintes d'incapacité mentale consomment de la drogue, contractent une infection par le VIH et meurent.

L'usage de drogues, combiné à l'infection par le VIH, affecte également les Autochtones, qui représentent entre 25 et 30 p. 100 des résidents du quartier. La dernière fois que la population autochtone a été décimée par la maladie, c'était au début du XIXe siècle. De plus en plus de jeunes autochtones, et aussi non autochtones, vivent dans la rue. Victimes d'abus et de négligence, ils sont rapidement exposés aux drogues, développent une dépendance et sont obligés de choisir entre la prostitution ou le vol pour maintenir leur habitude.

En 1995, la police de Vancouver a recensé, dans le quartier est du centre-ville, plus de 450 enfants de la rue ågés de moins de 16 ans. La majorité d'entre eux faisaient usage de drogues. En outre, au cours des 10 dernières années, plus de 40 prostituées ont été tuées.

Les données actuelles indiquent qu'il y a jusqu'à 15 000 utilisateurs de drogues intraveineuses à Vancouver. Personne ne connaît le chiffre exact. Or, il ne cesse d'augmenter. L'année dernière, 1 800 000 seringues ont été échangées dans le cadre du programme d'échange de seringues à Vancouver. Cela correspond au nombre total de seringues qui ont été échangées aux États-Unis. Ce chiffre ne vaut que pour la ville de Vancouver.

La police de Vancouver a plus ou moins abandonné la partie. Elle ne peut rien faire au sujet de la situation. Même si tous les policiers étaient affectés à ce dossier, ils ne viendraient pas à bout du problème.

Notre communauté n'est pas restée passive face à cette catastrophe. Nous avons créé la Downtown/Eastside Strathcona Coalition, qui rassemble des organismes communautaires, des représentants du gouvernement, des fonctionnaires des trois paliers de gouvernement, des représentants des services policiers et des résidents intéressés, en vue d'essayer de trouver des solutions aux problèmes qui affligent le quartier. La coalition comprend également des utilisateurs de drogues intraveineuses. Nous avons mis sur pied un groupe de travail sur l'alcoolisme et la toxicomanie, qui a ensuite agit en qualité de comité consultatif sur les programmes provinciaux de lutte contre l'alcoolisme et la toxicomanie, avant de devenir le Vancouver Eastside Alcohol and Drug Association.

De plus, divers groupes formés de résidents, de fonctionnaires et de professionnels de la santé participent aux programmes suivants - et je n'en nomme que quelques-uns: le Maternity Care for Substance-abusing Women and Children Program; les Multiple Access Model and In-patient Working Groups; le Multi-diagnosis Working Group; le Detox Working Group; le Safe Ride Program; le Vancouver HIV-AIDS Strategic Plan; le Decriminalization Discussion Group; le Task Force on the Coroner's Recommendations; le Needle Exchange Working Group; le Point Project; le Intravenous Drug-user Working Group qui travaille en collaboration avec l'hôpital St. Paul.

La liste est très longue. J'ai moi-même fait partie de quatre ou cinq de ces groupes. Toutefois, j'ai été obligé de me faire remplacer l'année dernière parce que je n'étais plus capable de continuer. Il y avait trop à faire dans ce domaine.

Toute la communauté s'intéresse à cette question parce qu'elle touche l'ensemble des résidents du quartier de même que tous les habitants de la ville. Il ne s'agit pas d'un cas isolé. On relève des introductions par effraction et maints autres problèmes sur tout le territoire.

Un grand nombre d'études et de rapports examinant divers aspects de cette question ont été publiés. Avant de comparaître devant vous aujourd'hui, j'ai rencontré de nombreux résidents du quartier. Je leur ai expliqué ce que proposait le gouvernement fédéral dans le projet de loi C-8, du moins ce que j'ai compris en lisant le document. Nous sommes nombreux à avoir des inquiétudes. Nous sommes inquiets des conséquences qu'aura ce projet de loi sur les programmes d'échange de seringues et les nombreux autres services que nous voudrions offrir. Nous nous demandons si nous serons en mesure de mettre sur pied les programmes de désintoxication établis en collaboration avec le milieu médical, les fonctionnaires gouvernementaux, les résidents de la communauté et les usagers de drogues eux-mêmes. Nous cherchons essentiellement à nous inspirer du modèle Merseyside que mon collègue a mentionné plus tôt.

Nous craignons que le projet de loi C-8 maintienne l'infåme statu quo. Le projet de loi ne propose rien de nouveau. Il ne fait que confirmer ce qui existe déjà. Nous craignons que si le projet de loi est adopté, peu importe les modifications qui y seront apportées, il faudra attendre encore 20 ans avant que quelqu'un ne s'intéresse à ce problème. Nous devons trouver des solutions novatrices dès maintenant. Nous devons pouvoir prendre les mesures qui s'imposent pour éviter que cette épidémie ne ravage notre communauté.

Ce qu'il y a d'ironique dans cette situation, c'est que le DERA a ouvert dans le quartier un bureau qui propose toutes sortes d'initiatives pour rendre notre communauté plus sûre. Le policier du Service de police de Vancouver qui travaille avec nous m'a dit que l'avocat de la Couronne l'avait informé la semaine dernière, ainsi que tout le service, qu'on ne pourrait plus accuser quelqu'un de simple possession de drogue à Vancouver. En fait, ils n'ont plus le temps de s'occuper de ces cas. C'est tout à fait ridicule. Nous sommes en train d'adopter une loi qui renforce les peines applicables à certaines de ces substances, et nous ne pouvons plus porter des accusations de ce genre.

Malheureusement, tant la loi actuelle que la loi projetée font partie du problème. Les femmes de chez nous n'auront pas recours aux services offerts aux alcooliques et aux toxicomanes en raison de l'illégalité de ce qu'elles font et de la crainte de se voir retirer leurs enfants. Nous aimerions établir des piqueries sans danger comme celles qui existent en Europe afin de réduire au minimum les risques courus par les toxicomanes et y offrir les services de personnel médical. Nous aimerions faire l'essai de projets pilotes dans le cadre desquels on fournirait, sous supervision médicale, de l'héroïne et de la cocaïne aux toxicomanes enregistrés.

J'aimerais souligner quelque chose: faciliter l'accès à la méthadone ne réglera pas tous les maux. Tout d'abord, plusieurs héroïnomanes pour lesquels le programme a été conçu refusent d'en faire partie. De plus, offrir de la méthadone aux cocaïnomanes ne réglera pas le problème du VIH. Rien dans la loi à l'étude ou dans le système de santé actuel ne règle ce problème et, pourtant, on en meurt.

Parfois, les problèmes semblent presque dépasser notre capacité de les régler. Il n'est tout simplement pas correct d'adopter une autre loi qui nous empêchera peut-être de le faire. Le projet de loi à l'étude interdit beaucoup de choses. Il faut tout reprendre de la case départ. Il faut consulter et rédiger une politique en matière de drogues adaptée au contexte canadien. Ce n'est qu'après que nous pourrons rédiger une loi sensée. On semble craindre de devancer l'opinion publique.

À Vancouver, l'approche visant à réduire les méfaits des drogues jouit de l'appui d'à peu près toutes les personnes que je rencontre, y compris des professionnels de la santé, du milieu scolaire, des parents, des policiers, des travailleurs sociaux, des avocats et des organismes communautaires. Mis à part quelques grenouilles de bénitier de la vallée, je ne connais personne qui soit contre l'idée d'éviter la mort aux toxicomanes. L'impression qu'il existe une grande résistance à cette approche au Canada est probablement fausse.

Je lisais justement la transcription du témoignage de porte-parole de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie. D'après eux, ce qu'il faut, c'est une vaste campagne d'information. C'est ce que nous faisons à Vancouver. Nous n'obligeons pas les toxicomanes de notre quartier à se déplacer vers un autre quartier de Vancouver. Nous essayons de régler le problème là où il se manifeste. Nous avons entrepris ce processus d'information et nous sommes même allés plus loin. Le problème n'existe pas à Vancouver. D'autres régions du Canada ont peut-être éprouvé d'autres difficultés et ne se sont pas données la peine d'examiner la situation. Elles ont tout de même besoin de ce processus d'information.

Au Canada, on rédige des lois s'appliquant à l'ensemble de la population. Les marginalisés sont perdants parce qu'on les considère comme des cas spéciaux. Vancouver fait peut-être exception au Canada; je n'en sais rien. Je crains que cette loi ne nous rende la tåche plus difficile.

Le sénateur Gigantès: Vous avez tous deux énuméré des mesures qui pourraient rendre la solution encore meilleure. Vous avez tous deux dit que le projet de loi à l'étude, tout comme la loi actuelle, ne serviraient qu'à rendre votre travail plus difficile. M. Mosely a affirmé qu'à Vancouver, les services policiers ne se donneront plus la peine de porter des accusations, parce qu'ils ne sont plus capables de maîtriser la situation.

M. Mosely: Ils ne le feront plus, ni la police, ni les avocats de la Couronne.

Le sénateur Gigantès: Examinons une situation hypothétique. Qu'arriverait-il si toutes les drogues étaient traitées comme l'alcool? Il existe une régie des alcools. Pourquoi ne pouvons-nous pas établir une régie des drogues où l'on pourrait se procurer ce dont on a besoin? En d'autres mots, nous pourrions décriminaliser toutes les drogues et voir ce qui se produit.

M. Mosely: Je ne crois pas que l'approche adoptée en ce qui concerne l'alcool soit la bonne. Ce ne serait pas non plus la solution pour les drogues comme la cocaïne et l'héroïne, qui sont beaucoup plus toxicomanogènes. Il faut prévoir une aide médicale. Il faut que cela se déroule dans un milieu contrôlé. Il ne faudrait pas que l'on puisse obtenir librement des drogues. Non, je ne crois pas que ce soit la bonne solution pour notre société.

Le sénateur Gigantès: Si cela avait lieu sous supervision médicale, la solution n'aurait-elle pas au moins l'avantage de retirer aux criminels le profit de la vente des drogues qui leur permet de corrompre la société?

M. Mosely: Un monde où il n'y aurait pas d'enfants maltraités, où tout le monde serait instruit avant d'atteindre l'åge adulte, où les parents éduqueraient bien leurs enfants serait idéal. Si nous vivions dans un tel monde, il n'y aurait pas de problème. Toutefois, cette question recouvre de nombreux autres problèmes.

Je ne dis pas qu'il faudrait que le Sénat ou la Chambre des communes envisage la possibilité de décriminaliser la possession de drogues, voire la possession de marihuana. La marihuana est une autre paire de manches, et je ne suis pas ici pour en parler. Parlons d'autre chose. La façon dont on légifère en matière de marihuana est incroyable. C'est absolument insensé. Si le projet de loi à l'étude est adopté, il faudra accorder une attention spéciale aux peines prévues pour la simple possession. Je me contenterais de condamner ceux qui ont en leur possession la plupart de ces drogues au paiement de différentes amendes. Toutefois, il faudrait frapper le plus durement possible les trafiquants. Je suis entièrement d'accord avec ces articles du projet de loi. Ils ne m'indisposent pas.

Quand on prendra le règlement d'application, je doute qu'il corresponde à ce dont nous avons besoin pour bien faire notre travail au sein de la collectivité. Ces dispositions doivent être prises dans le projet de loi. Celui-ci doit être rédigé de telle façon que le traitement et la prévention font partie de la solution. Le projet de loi à l'étude ne me semble pas avoir quelque rapport que ce soit avec la santé. Il donne plutôt l'impression qu'il sert simplement à punir.

Le modèle européen est intéressant. Il existe un programme de distribution sans frais d'héroïne. On exige, je crois, cinq francs par semaine de l'héroïnomane. Ne serait admis à ce programme que celui qui est toxicomane depuis au moins deux ans, qui a déjà fait une cure de désintoxication et pour lequel un programme de remplacement par la méthadone a échoué. Il faut absolument que le toxicomane satisfasse à tous ces critères avant qu'on lui fournisse de l'héroïne, non pas sous forme injectable, mais sous forme de cigarette. Ainsi, l'héroïnomane est heureux, et le taux de criminalité baisse. L'approche a donc des avantages. Nous devrions faire l'expérience de programmes comme ceux-là au Canada et penser en fonction du XXIe siècle, plutôt que de nous cantonner dans l'esprit des années 1920.

Le sénateur Gigantès: Comment le public a-t-il réagi à ces méthodes progressives dans les pays européens?

M. Mosely: Sa réaction fut probablement la même que celle que nous avons connue à Vancouver lorsque nous avons mis en place le programme d'échange des seringues. Beaucoup de gens étaient mal informés et ont donc réagi vivement. Notre médecin hygiéniste a déclaré publiquement que ce programme lui semblait sensé. Nous avons obtenu l'appui du maire, qui représente un parti politique plutôt conservateur et qui a lui aussi affirmé publiquement son soutien. Si nous réussissons à obtenir l'appui de personnalités importantes, la réaction négative disparaît.

J'ignore ce qui est arrivé en Europe. Vous ne croiriez pas tout ce qu'il a fallu faire pour obtenir de la documentation à ce sujet. C'est là un autre problème. Il n'existe pas au Canada de centre auquel s'adresser pour obtenir de l'information sur ce qui se passe ailleurs. Nous avons fini par découvrir un médecin de l'université Simon Fraser qui a pu nous obtenir l'information.

M. Hillier: Nous nous sommes entretenus hier avec des représentants de Francfort au sujet de leurs initiatives, qui sont très progressives en Allemagne. Ils ont le dos au mur parce que le reste de la République fédérale d'Allemagne n'appuie pas forcément toutes les mesures prises à Francfort. Une des initiatives intéressantes a été la tenue de réunions communautaires dans la station centrale de métro. Ils y ont placé 500 chaises et, à mesure que les gens défilaient devant la station ou débarquaient du train, ils leur demandaient de s'asseoir et d'écouter. Francfort a tendu la main à ses toxicomanes. Le projet a connu un tel succès qu'ils ont dû tenir une deuxième réunion.

Vous avez raison. La réaction initiale est probablement négative, mais il faut donner l'exemple, si l'on veut que cela change. C'est l'un des obstacles à surmonter à Toronto. Souvent, les personnes aux prises avec la présence de toxicomanes sur leur rue ou sur le pas de leur porte portent leur réalité quotidienne à l'attention du conseil municipal ou du gouvernement. Il faut régler ces problèmes dès qu'ils surviennent, mais il faut aussi voir plus loin et savoir patienter jusqu'à ce qu'on ait trouvé la bonne solution. En Europe, il n'a pas été facile de faire accepter ces programmes par la population, mais le degré d'acceptation a augmenté. Les gens commencent à comprendre qu'il existe plusieurs approches différentes.

Le sénateur Jessiman: J'ignore si l'un d'entre vous a eu le temps de lire le Globe and Mail aujourd'hui, mais je signale qu'il y a un article au sujet de Francfort.

M. Hillier: J'en ai entendu parler, mais je n'ai pas eu le temps de le lire.

Le sénateur Jessiman: L'article est fort intéressant. On y parle des salles d'injection pour toxicomanes. L'auteur affirme qu'elles ont pour résultat d'éliminer complètement le commerce de la drogue sur la rue, à l'origine du délabrement du centre-ville, qu'elles font baisser de 40 p. 100 les vols commis sur la rue et les cambriolages d'autos et qu'elles réduisent le nombre d'appels d'urgence reliés aux drogues qui est passé de trois par jour à deux par semaine.

Avez-vous rencontré les deux messieurs, c'est-à-dire le chef de police adjoint et le procureur principal de la cour régionale de Francfort?

M. Hillier: Oui.

Le sénateur Jessiman: Il est intéressant de noter qu'il est docteur. Est-il docteur en médecine?

M. Hillier: Je n'en suis pas certain. En réalité, nous avons pris le petit déjeuner avec eux, vendredi matin, et avons discuté de leur stratégie et des raisons pour laquelle ils l'avaient adoptée. Ils ont leur réunion hebdomadaire le lundi. Les quatre messieurs qui se trouvaient à Toronto se rencontrent tous les lundis matins pour quelques heures afin de lancer des idées.

Le sénateur Jessiman: Depuis quand font-ils cela?

M. Hillier: Depuis 1989, je crois.

Le sénateur Jessiman: Donc, depuis plus de sept ans.

J'aimerais en revenir à la question de la marihuana. Je suppose, d'après vos remarques, que, pour vous, la marihuana n'est en réalité pas pire que l'alcool.

M. Mosely: Elle est bien moins pire que l'alcool.

M. Hillier: Nous avons parlé de marihuana avec les gens de Francfort, mais ils ont refusé d'en discuter parce qu'ils estiment qu'elle ne représente pas un problème. J'estime que l'alcool crée plus de problèmes sociaux que la marihuana. Toutefois, il n'est pas question ici de décider lequel est le pire, car la consommation excessive de n'importe quelle substance crée des problèmes. Il n'est donc pas raisonnable d'en peser le pour et le contre en ces termes. Tout dépend de la personne et du contexte.

Le sénateur Jessiman: Avant de devenir membre du comité et de lire cette documentation, je croyais que fumer de la marihuana entraînait inévitablement à prendre du haschisch, de la cocaïne et de l'héroïne. D'après ce que vous dites, j'en conclus que ce n'est pas parce qu'on boit qu'on devient alcoolique.

M. Mosely: Non.

Le sénateur Jessiman: Je suppose que c'est la même chose pour celui qui fume de la marihuana.

M. Mosely: Si sa personnalité le prédispose à la toxicomanie, il peut boire du lait et finir par prendre de l'héroïne. Le genre de personnalité et les six premières années de vie sont assez déterminantes.

Le sénateur Pearson: De toute évidence, vous êtes fort au courant de ce qui se passe au sein de votre collectivité, ce qui donne beaucoup de poids à vos arguments et à vos exposés. J'aimerais savoir à quel point les toxicomanes eux-mêmes aident à trouver les solutions.

M. Mosely: J'espérais justement pouvoir en parler. Il existe à Vancouver un groupe appelé IV Feed, qui a été formé et est dirigé par des toxicomanes. Ils ont ouvert un centre d'accueil qui distribue de l'information sur les soins de santé. Le centre abrite aussi une banque alimentaire. Tout nouveau - il n'existe que depuis quatre mois environ -, il est dirigé par des toxicomanes. Cependant, ses dirigeants éprouvent bien des difficultés à trouver des sources de financement. Ils ne parviennent pas à obtenir des subventions prévues pour les programmes de santé et les services aux alcooliques ou aux toxicomanes. La seule source de fonds jusqu'ici a été le ministère des Services sociaux, qui a fait preuve de beaucoup de créativité dans la manière dont il finance des programmes à Vancouver, ce dont je le félicite.

Le sénateur Nolin: Demandez l'aide des églises.

M. Mosely: Tous les groupes confessionnels participent activement à la vie de la collectivité, mais ils ont tendance à se tenir loin des toxicomanes.

Autre point à souligner, ces toxicomanes veulent le faire eux-mêmes. Tout ce dont ils ont besoin, c'est d'un peu d'argent pour ouvrir un local où ils peuvent établir un centre d'accueil à partir duquel ils exécuteront leurs programmes. Un des premiers projets envisagés leur a été suggéré par le chef de notre programme d'échange des seringues, John Turvey, qui a dit: «Pourquoi ne pas établir un projet dans le cadre duquel les toxicomanes feraient le ménage du quartier, ramassant les seringues et les condoms usagés, de même que leurs emballages?» L'idée leur a semblé bonne, et il semble bien que c'est ce qu'ils vont faire.

Un de nos objectifs est de changer l'attitude de la population à l'égard de ces gens. Actuellement, j'en connais qui suivent un traitement continu par la méthadone et d'autres qui ont réussi à surmonter leur héroïnomanie. Je connais à peu près tous les genres de toxicomanes imaginables. Ils ne sont pas que des toxicomanes; ils représentent aussi une composante vitale de notre collectivité. Beaucoup d'entre eux se soucient de ce que pense la collectivité. Certains autres sont simplement sur une mauvaise pente, et il n'y a rien à faire avec eux pour l'instant.

Par contre, on ne peut obliger les gens à s'aider eux-mêmes. Le centre d'accueil devrait aider à cet égard, parce que ceux qui y travailleraient parlent le même langage que leur clientèle, qui leur fera dès lors davantage confiance. Les toxicomanes sont très méfiants parce que le commerce des drogues est illégal. Il est donc difficile d'avoir prise sur eux. Par conséquent, ce groupe pourrait fort bien mettre sur pied d'excellents programmes, s'il reçoit l'appui voulu.

Pour l'instant, nous l'avons jumelé à des programmes existants au sein de la collectivité dans le cadre desquels nous administrons ses fonds. Nous veillons à ce que les fonds soient affectés là où ils sont censés aller, mais ils gèrent eux-mêmes le programme. Lorsqu'ils ont ouvert leurs portes, ils ont eu des difficultés parce que certains se servaient du centre comme piquerie, essayaient de les obliger par la force à leur donner des drogues, et ainsi de suite. Ils ont cependant réussi à s'imposer, et le centre ne semble plus avoir ce genre de problème.

L'objectif initial, lorsque le groupe a été formé, était d'ouvrir un jour une piquerie sans danger. Cependant, il est difficile de le faire sous le régime des lois actuelles, et je ne vois rien dans le projet de loi à l'étude qui change la situation. Quoi que nous fassions, c'est toujours le même refrain: «Ah, si seulement nous n'avions pas les mains liées par le Code criminel».

Les prostitués posent aussi des problèmes de toutes sortes. La situation est peu reluisante, actuellement.

Le sénateur Milne: Monsieur Hillier, vous avez fait partie du groupe de travail en matière de drogues formé par la maire de Toronto. Nous avons entendu des arguments très persuasifs en faveur de la décriminalisation de la marihuana. Quelle influence aurait cette décriminalisation sur vos programmes? Vous dites qu'il existe des quartiers à forte concentration de toxicomanes, que ceux qui habitent ces quartiers en sont très indisposés et que, lorsque la police intervient, on pellette le problème dans la cour du voisin, c'est-à-dire qu'on déplace les toxicomanes vers le påté de rues voisin. En quoi la décriminalisation de la marihuana changera-t-elle quelque chose, si elle change effectivement quelque chose?

M. Hillier: Je ne crois pas que la solution soit forcément de décriminaliser la marihuana. La solution réside en fait dans l'approche adoptée et les choix offerts. La décriminalisation ne représente qu'un volet de la stratégie. En réalité, il faut faire participer les toxicomanes et les groupes communautaires à la prise des décisions visant à régler ces problèmes, car les pressions continuent d'être exercées par ceux qui habitent le quartier et qui sont furieux ou se sentent menacés par la présence des toxicomanes.

L'un des grands dossiers avec lesquels nous sommes aux prises à la Ville de Toronto est la consommation de crack. Je ne parle pas au nom de la maire, ni ne lui enlève les mots de la bouche, mais quand j'écoute ce qu'elle dit, je sais qu'elle est préoccupée par le fait que nous n'avons pas prise sur le problème du crack. Le consommateur de crack est beaucoup plus violent et beaucoup plus imprévisible que les autres toxicomanes. Il faut trouver des moyens de travailler de concert avec ce milieu. Ce n'est en l'expulsant de nos quartiers et en le criminalisant que nous comprendrons mieux l'accoutumance ou la façon de la traiter.

Le sénateur Milne: Monsieur Mosely, vous décrivez une situation horrible, et ce dans une de nos grandes villes canadiennes.

M. Mosely: Elle est horrible. En fait, elle est pourrie.

Le sénateur Milne: Je me demande ce que peut faire notre comité. Nous semblons avoir trois choix: adopter le projet de loi à l'étude tel quel, le modifier ou le rejeter et le renvoyer au Sénat. Je ne vois pas en quoi l'un de ces trois choix aiderait à régler les problèmes que vous avez décrits. Que proposeriez-vous?

M. Mosely: Je suis conscient de votre problème, car j'ai vu les mêmes réflexions exprimées dans le compte rendu de délibérations antérieures. Vous avez posé la question à presque tous les témoins. Je ne crois pas connaître la réponse mieux que vous.

Je ne connais pas du tout les rouages du gouvernement fédéral. Ma réaction instinctive serait de rejeter le projet de loi et de faire des recommandations vraiment musclées. Je ne dis pas qu'une réforme des actuelles Loi sur les stupéfiants et Loi sur les aliments et drogues ne s'impose pas. Toutefois, si le projet de loi est adopté sans mûre réflexion, je crains que cela ne fasse que perdurer la situation pendant 20 autres années.

Il faut bien faire comprendre à tous les intéressés que la situation mérite une sérieuse réflexion. Ce n'est pas un problème que l'on peut ignorer par crainte de l'opinion publique, entre autres. Il a une incidence importante et directe sur la capacité des Canadiens de vivre ici et de leur capacité de survivre en tant que société.

La situation est vraiment pourrie. Je ne vois pas comment des modifications, quel qu'en soit le nombre, amélioreront le projet de loi à l'étude. L'adopter n'aidera pas et le modifier et le renvoyer au Sénat ne réglera pas les problèmes que vous ont décrits de nombreux témoins. Il faut tout remettre sur le métier; en fait, il faut repenser toute notre stratégie en la matière.

La présidente: Monsieur Hillier, avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?

M. Hillier: Il faut adopter une approche indépendante. Il faut parler à des Canadiens de tous les coins du pays. Nous vous invitons, vous qui êtes à cette table et d'autres décideurs d'Ottawa à venir dans les diverses villes voir comment fonctionnent nos programmes et l'effet qu'a la loi sur les grandes villes.

J'ai eu l'occasion récemment de m'entretenir avec Allan Rock, durant une réunion à Toronto. Il a mentionné entre autres les pressions exercées par les petites localités du pays dont les membres n'ont qu'une conception théorique du problème et subissent énormément l'influence des médias de masse. Nous savons avec quelle efficacité les médias peuvent amplifier des incidents isolés pour illustrer les dommages causés par la drogue au pays.

Toutefois, c'est dans les grands centres urbains qu'il faudra faire preuve d'imagination et s'attaquer de front au problème. C'est là que nous éprouverons des difficultés. Il faut que les gens comprennent que les médias ont beaucoup contribué à la psychose en laissant croire que nous ne maîtrisons plus la situation et que les drogues sonneront le glas de notre société. Je ne crois pas que ce tableau soit juste.

Le sénateur Doyle: Il y a quelques instants, quelqu'un a dit que le gouvernement avait de toute évidence consacré beaucoup de temps à cette mesure législative particulière. Vous nous dites que nous devrions maintenant ralentir le processus et bien réfléchir à cette mesure. Je me demande ce que vous croyez que nous faisons. Voilà 20 ans déjà que le juge LeDain a qualifié cette question de problème plutôt grave, et rien n'a encore été fait.

J'aimerais que vous répondiez tous deux à une question: pendant que l'on réfléchissait mûrement à la mesure législative à l'étude, les organismes pour lesquels vous travaillez ont-ils communiqué avec vous? Leur a-t-on demandé leur avis?

M. Mosely: J'ignore si l'on a communiqué avec quelqu'un au sujet de la loi initiale.

Le sénateur Doyle: C'est la première fois que vous entendez parler du projet de loi?

M. Mosely: La première fois que j'en ai entendu parler, c'était il y a environ six mois. C'est alors que j'ai commencé à avoir une idée de ce qui était projeté. J'ai été consterné. J'avoue qu'une partie de l'information dont je disposais était erronée, mais je suis quand même choqué par les mesures envisagées.

Il fut un temps où, moi aussi, je croyais être au courant de la situation et faire des choix éclairés. Par la suite, j'ai rencontré des personnes travaillant dans le milieu. Ce que m'ont appris au cours des huit dernières années les toxicomanes, les prostitués et d'autres est ahurissant. Je n'aurais jamais même pu imaginer de pareilles situations si je ne m'étais pas donné la peine d'aller voir par moi-même.

J'aimerais que quiconque est en train de rédiger une loi en matière de drogues vienne à Vancouver et rencontre des gens que je réunirais pour parler de ce qui se passe dans cette ville et que je ne puis vous décrire ici. Je ne suis pas le meilleur porte-parole dans ce dossier. Mon nom figurait au quatrième ou au cinquième rang sur la liste des personnes pouvant servir de porte-parole. D'autres s'y connaissent mieux que moi.

Il est plus que probable que ceux qui rédigent les lois ne comprennent pas non seulement ce qui se passe, mais aussi ce dont les gens ont déjà parlé en termes de solutions.

Le sénateur Doyle: Et à Toronto?

M. Hillier: Je crois savoir que la ville de Toronto n'a pas été consultée, du moins pas que je sache, au sujet de ce projet de loi. J'ai pour la première fois pris la parole au sujet de cette mesure législative, il y a deux ans, en une autre capacité, alors que je travaillais pour le service de santé publique de la ville de Toronto. À ce moment-là aussi, ce fut tout une surprise. Je me suis trouvé coincé par les médias et j'ai demandé que le service de santé prenne position à ce sujet. C'est la raison pour laquelle on m'a choisi comme porte-parole. Officiellement, nul ne savait que ce processus était en cours. Nous avons, nous aussi, certes été pris de court.

Le sénateur Doyle: En avez-vous discuté avec les auteurs, ceux qui l'ont rédigé?

M. Mosely: Non.

M. Hillier: Non.

Le sénateur Doyle: Ils n'ont pas cherché à obtenir votre avis?

M. Hillier: Non.

M. Mosely: Non.

Le sénateur Doyle: Savez-vous pourquoi on vous ignore ainsi?

M. Mosely: J'ai été scandalisé de constater que le projet de loi avait déjà été adopté par la Chambre des communes, en toute franchise. Je croyais qu'il devait y avoir un débat. Cependant, quand je me suis renseigné, il m'a semblé que tout s'était fait le 6 mars: la première lecture, la deuxième lecture, la troisième lecture et l'adoption.

La présidente: À titre indicatif, je précise que le projet de loi avait franchi l'étape d'étude en comité à la Chambre des communes durant la session précédente. Nous avons été saisis du projet de loi C-8 une journée seulement après son dépôt à la Chambre des communes, mais, en tant que projet de loi C-7, il avait déjà franchi toutes les étapes à la Chambre des communes.

M. Mosely: Pour ce qui est de Vancouver comme tel, notre député est Anna Terrana. J'aime bien Anna, et nous travaillons bien ensemble, mais il n'y a pas longtemps qu'elle est députée. Je l'ai accompagnée dans des visites de notre quartier. Elle a été scandalisée et consternée de voir ce qui s'y passait. Je l'ai aussi accompagnée durant des visites organisées pour son personnel d'Ottawa. Nous échangeons de l'information, mais elle en a encore beaucoup à apprendre. Si la députée de la circonscription ne sait pas très bien ce qui s'y passe, comment le reste du gouvernement peut-il le savoir?

Le sénateur Doyle: Je me demandais ce qui était arrivé à ceux qui travaillent à la direction des stupéfiants, aux fonctionnaires pour lesquels ce problème doit représenter une crise permanente.

M. Mosely: Nous n'avons jamais été approchés par le ministère de la Justice à ce sujet.

[Français]

Le sénateur Nolin: Vos expériences sont quant à moi très révélatrices. Je viens de Montréal et votre témoignage s'applique aussi à Montréal.

De votre expérience du terrain, surtout dans votre cas à Vancouver, vous êtes vraiment très près du problème vécu quotidiennement à la fois par les usagers et les autorités locales qui ont à traiter ces problèmes. Donnez-nous donc un peu votre avis sur ce qui se fait par les autorités provinciales? À ce que je sache, les autorités provinciales ont encore un rôle à jouer dans le domaine de la santé. Ce projet de loi traite de la santé des Canadiens. Quel est le rôle des organisations provinciales?

[Traduction]

M. Mosely: J'essaierai d'être poli.

Le sénateur Nolin: Non, répondez-moi avec franchise.

M. Mosely: Nous sommes au beau milieu d'une restructuration de tout le système de santé actuellement. La Vancouver Eastside Alcohol and Drug Advice Association que nous avons mise sur pied et qui mise sur la participation de nombreux membres de notre collectivité ne peut rien faire pour l'instant. La documentation concernant le modèle de décriminalisation à laquelle nous voulions travailler avec des professionnels de la médecine, entre autres, a été mise en veilleuse parce que le Vancouver Health Board vient tout juste de démarrer. Tout a été mis en veilleuse. Les services aux alcooliques et aux toxicomanes n'ont essentiellement rien fait de nouveau depuis un bon bout de temps.

Le sénateur Nolin: Tous ces services sont provinciaux?

M. Mosely: Oui. En tant que collectivité, nous avons reçu quelques fonds, environ 20 000 $, du gouvernement fédéral, il y a approximativement deux ou trois ans. Nous leur avons dit: «Nous désirons vous rencontrer pour voir ce qui ne va pas dans la façon dont nos services aux alcooliques et aux toxicomanes fournissent les traitements actuellement». Nous avons formé différents groupes de réflexion dans notre quartier et, en tant qu'un de ces groupes, nous avons discuté des personnes qui pourraient éprouver des difficultés d'accès aux services offerts aux alcooliques et aux toxicomanes.

Nous avons ensuite rencontré des mères célibataires, des Autochtones et des personnes atteintes de troubles mentaux ainsi que des toxicomanes. Nous avons parlé à environ sept groupes de réflexion différents durant cette période, dont l'un était formé de francophones unilingues. Essentiellement, nous avons appris que les programmes actuels de traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie sont tout à fait inadéquats, qu'ils sont pour la plupart surtout axés sur l'alcoolisme, de toute façon. Ils répondent essentiellement aux besoins d'hommes d'åge moyen. Voilà ce que nous offrons pour l'instant, et nos services accusent un retard incroyable.

En tant que collectivité, nous avons mis sur pied un programme de désintoxication des jeunes. Le programme est unique de plus d'une façon. Tout d'abord, il est en partie dirigé par les jeunes qui utilisent les services. De plus, il ne se fonde pas sur des valeurs religieuses pour prodiguer conseils et traitements. Ensuite, il s'agit d'un programme «sans domicile fixe», c'est-à-dire qu'il ne se déroule pas en établissement, qu'il ne se déroule pas dans un immeuble dont on entre et on sort. Si la personne a besoin d'une cure de désintoxication, d'être désintoxiquée chez elle, au sein de sa famille, c'est là que ça se passe. Si elle préfère le faire dans une chambre d'hôtel, c'est là que s'exécute le programme. Si elle préfère être désintoxiquée chez un ami, il n'y a pas de difficulté. Nous tentons de rendre le programme aussi facile d'accès et aussi flexible que nous le pouvons afin de permettre à la clientèle de faire ce qu'elle a besoin de faire.

La difficulté réside dans le fait qu'il n'y a pas de suivi, que la clientèle ne reçoit pas de counselling, d'initiation au travail, qu'on ne peut l'aider à se trouver un logement décent, ce qui est un problème quoi que nous fassions dans le quartier, et dans le fait que le gouvernement fédéral a renoncé à assumer ses responsabilités en matière de logement social, ce qui est une véritable épine dans le pied.

C'est l'une des choses que nous avons essayé de faire dans notre quartier ou, plutôt, dans une partie de celui-ci. Nous nous concentrons sur les jeunes parce qu'ils représentent l'avenir. Notre collectivité a besoin d'un centre de guérison pour les autochtones de notre collectivité. Nous avons besoin de programmes créatifs. Nous avons besoin d'un accès multiple afin que les intéressés puissent délimiter leur participation au programme de désintoxication pour alcooliques ou toxicomanes qui les concerne. Cela leur permettra d'examiner un certain nombre de solutions et de choisir celle qui leur convient le mieux.

Nous ne disposons à l'heure actuelle que d'une poignée de vieux programmes désuets, la plupart du temps gérés par des organismes religieux, qui ne permettent pas d'accomplir grand-chose.

[Français]

J'aimerais entendre monsieur Hillier à ce sujet, parce que tous les deux vous avez fait référence - un peu plus vous, monsieur Hillier - à la nécessité d'avoir une stratégie «on drugs» plutôt que «against drugs»...

[Traduction]

Ces quelques mots sont importants.

Ne croyez-vous pas qu'un trop grand nombre d'autorités se sont attaquées à ce problème sans coordonner leurs efforts, si effort il y a eu? Puisque c'est au gouvernement fédéral qu'il incombe de déterminer quels actes sont répréhensibles et quels actes ne le sont pas, il devrait prendre part à l'exercice. Ne croyez-vous pas qu'il faudrait frapper à de nombreuses portes pour établir une stratégie antidrogue?

M. Hillier: Je suis d'accord avec vous. Toute stratégie exige une participation à des niveaux multiples. À Toronto, par exemple, il existe quatre paliers bureaucratiques, à savoir deux paliers municipaux auxquels s'ajoutent les paliers provincial et fédéral. Un système de ce genre, particulièrement lourd, constitue un vrai dédale administratif. Il est difficile de s'attaquer à des problèmes comme la toxicomanie et le sida dans ce pays en raison des nombreux paliers de gouvernement. En outre, comme le vécu de chacun dépend de la région où il habite, il est beaucoup plus compliqué de brosser un tableau global de la situation canadienne. Vous vous forgez une opinion en fonction de votre milieu ou du discours qui a le plus attiré votre attention. Tout cela devient très difficile.

Toute stratégie doit être multidimensionnelle et satisfaire aux besoins des différentes instances. Ainsi, les besoins de la ville de Toronto diffèrent de ceux des localités du nord de la Saskatchewan. Les susceptibilités, la rectitude politique et la volonté des collectivités d'assumer certaines responsabilités diffèrent d'une région à l'autre du pays, ce qui a généralement pour conséquence de compliquer la situation. Les gouvernements provinciaux qui participent à l'élaboration d'une stratégie agissent également en fonction de leurs particularités régionales. Compte tenu de la diversité des intervenants et des besoins des différentes régions du pays, il ne sera pas facile de concevoir une stratégie canadienne antidrogue. Il n'existe pas de solution simple.

Le sénateur Nolin: Nous savons que la solution n'est pas simple, mais y a-t-il au moins des progrès à cet égard?

M. Hillier: À quel niveau?

Le sénateur Nolin: Peu importe. Avez-vous l'impression qu'il y a une amorce de stratégie?

M. Hillier: Je l'espère et je le pense.

Le sénateur Nolin: Vous l'espérez?

M. Mosely: Tout juste avant de prendre l'avion pour venir ici, j'ai reçu l'ébauche d'un document que le département de la santé de Vancouver prépare pour le Conseil de la santé de cette ville, qui relève d'une législation provinciale. Ce document est le résultat d'un effort concerté pour appliquer à Vancouver une stratégie sur les utilisateurs de drogues par injection. On y travaille donc, lentement mais sûrement.

Le sénateur Nolin: Trop de personnes travaillent probablement de façon isolée, sans se parler. On nous demande maintenant de nous prononcer sur l'aspect criminel de la question. Il faut accepter, rejeter ou améliorer le projet de loi. Nous convenons tous qu'il s'agit là d'un gros problème, mais on nous a demandé d'examiner le projet de loi C-8.

[Français]

Même si le ministère de la Santé doit la parrainer, il n'en reste pas moins que c'est une loi pénale. Assurément, certaines choses ne font pas mon affaire dans ce projet de loi. D'autres méritent d'être identifiées, maintenues et même améliorées si cela est possible.

[Traduction]

M. Mosely: Le chef de police de Vancouver a dit que les drogues ne devraient pas relever du droit pénal mais qu'elles devraient plutôt être considérées comme un problème de santé. L'association médicale de la Colombie-Britannique est du même avis. Dans cette province, tout le monde convient actuellement que cette question ne relève pas du droit pénal et qu'il s'agit d'un problème de santé.

[Français]

Le sénateur Nolin: Comment fait-on pour être encore plus dur, comme vous nous l'avez recommandé tout à l'heure, contre les trafiquants de drogue.

[Traduction]

M. Mosely: Il s'agit d'une toute autre question.

Le sénateur Nolin: Je le sais, mais c'est un point important.

M. Mosely: Nous devons nous attaquer au commerce illicite. Le problème, c'est l'écart entre la théorie et la pratique. Idéalement, j'aimerais que cette question relève uniquement du ministère de la Santé, qui pourrait adopter la réglementation pertinente et infliger toutes les sanctions qui s'imposent. À l'heure actuelle, si un médecin prescrit le mauvais médicament, il peut être inculpé et radié de la profession médicale. Cette situation serait idéale, mais elle ne se produira pas. Toutefois, si nous pouvions remanier ce projet de loi de façon qu'il ne nous empêche pas de faire ce qu'il faut pour sauver des vies, je serai satisfait.

Le sénateur Nolin: Je comprends.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais revenir à un point intéressant. L'aspect criminel de la question est sans aucun doute de compétence fédérale. Je crois fermement que les personnes qui s'adonnent au commerce illicite devraient être assujetties au Code criminel. Toutefois, les mesures correctives et les traitements me semblent relever des provinces. Même l'administration de la justice est de compétence provinciale.

J'allais d'abord dire qu'il sera peut-être difficile de trouver une solution parce qu'Ottawa et les provinces sont loin de s'entendre dans ce domaine, mais nous devrions peut-être profiter de la situation. Il m'apparaît évident que les provinces doivent intervenir dans les programmes de désintoxication parce qu'il s'agit d'une question de santé. Si l'on opte pour la décriminalisation de certains délits, les provinces devraient à mon avis participer à l'exercice. Elles interviennent déjà dans le traitement des toxicomanes.

Croyez-vous que nous devrions modifier la situation actuelle? Pensez-vous que certains délits devraient être décriminalisés et d'autres pas? Que devrait-il advenir de la répartition des pouvoirs entre Ottawa et les provinces à cet égard?

M. Mosely: Je ne le sais pas. Dans le cadre de mon travail pour la ville, je traite avec les autorités provinciales dans un certain nombre de domaines, dont celui de la santé. On nous dit bien souvent qu'il est impossible de faire quelque chose parce que le Code criminel l'interdit. Même en ce qui concerne le maintien de l'ordre à Vancouver, le Code criminel nous empêche parfois de modifier nos méthodes.

Je vais vous donner un exemple. Nous voulions mettre sur pied une coopérative pour les prostituées afin qu'elles puissent avoir un local à elles et être en sécurité, parce qu'à l'heure actuelle, elles meurent dans la rue. Nous n'y sommes pas parvenus parce que le Code criminel ne le permet pas. C'est à peu près ce qui se produit dans ce cas-ci.

C'est le genre de problèmes que nous rencontrons lorsqu'il nous faut intervenir auprès de la province et de la ville. Nous avons toujours affaire à ces deux paliers. Pour être en mesure de réaliser la solution que nous préconisons, il nous faut constamment faire des démarches afin de faire modifier le Code criminel. Je préférerais qu'on s'assoie tous ensemble pour déterminer ce que nous devons faire. Je ne m'opposerais pas à ce que les médecins dirigent l'exercice, en autant qu'ils soient libres de décider s'ils peuvent prescrire de l'héroïne ou de la cocaïne.

Le sénateur Beaudoin: Si ce point relève du Code criminel, c'est aux provinces qu'il incombe d'appliquer celui-ci. Je ne vois alors pas pourquoi une municipalité ou une province ne pourrait pas participer au processus.

M. Mosely: On devrait même remonter jusqu'à la collectivité.

Le sénateur Beaudoin: Pourquoi tout cela devrait-il relever uniquement des autorités fédérales?

M. Mosely: Cela devrait incomber à la collectivité. Les toxicomanes devraient également être mêlés au processus, tout comme les personnes chargées des programmes d'échange de seringues, celles oeuvrant au sein du département de la santé de Vancouver et celles chargées d'appliquer les stratégies provinciales en matière d'alcool et de drogues. Santé Canada et tous ceux qui pourraient être d'une quelconque utilité devraient également être mis à contribution. Nous devons envisager cette solution.

Le sénateur Gigantès: J'ai une question supplémentaire. Si ce problème devenait de compétence provinciale, le premier ministre d'une certaine province, que je ne nommerai pas, ne risque-t-il pas d'adopter des mesures si draconiennes que tous les toxicomanes déménageront dans des provinces où les lois ne sont pas aussi dures?

M. Mosely: C'est possible. C'est ce qui se produit dans le domaine des services sociaux. Il faut s'y faire. L'organisme où je travaille est directement touché par ces mesures.

M. Hillier: Laissez-moi vous donner un exemple. Nous avons tenté de mettre sur pied un projet pilote pour les utilisateurs de marihuana condamnés pour la première fois. L'an dernier, nous avons écrit au gouvernement fédéral pour avoir la permission de créer un projet pilote. On a fini par nous répondre qu'il s'agissait d'une question de compétence provinciale.

Nous avons également parlé avec des représentants provinciaux, mais nous n'avons pas encore eu de réponse. Nous devons rencontrer le procureur de la Couronne et un représentant de Justice Canada dans trois semaines pour discuter de la possibilité de créer un nouveau programme de déjudiciarisation pour les délinquants qui contreviennent pour la première fois aux lois interdisant la marihuana. On nous renvoie d'une compétence à l'autre depuis environ 18 mois. Un groupe a été formé pour s'occuper d'un programme de déjudiciarisation, mais les membres ne se rencontrent plus parce qu'il serait inutile de le faire avant qu'ils aient reçu certains éclaircissements.

Nous approchons maintenant du but après avoir été constamment renvoyés d'une instance à l'autre. Voilà le parfait exemple d'une ville qui désire assumer certaines responsabilités mais où les paliers fédéral et provincial ne s'entendent sur la façon de procéder.

Le sénateur Gigantès: Vous leur offriez de les débarrasser d'un problème et ils ont refusé.

M. Hillier: Oui.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: J'étais à Vancouver au caucus national. Nous avons rencontré des représentants de votre association. Je vous souhaite bonne chance. Vous êtes très courageux. Nous avons à ce comité un projet de loi devant nous. Si on apportait deux amendements: le premier décriminaliserait la marihuana; le deuxième, celui avec lequel vous seriez d'accord, proposerait une approche plus humanitaire des programmes de traitement global.

[Traduction]

Vous avez parlé des programmes de désintoxication et des solutions envisagées à Francfort.

Je sais que vous privilégiez la seconde alternative. C'est celle qui permettrait d'aller au fond du problème. Toutefois, l'opinion publique serait davantage attirée par la première solution, ce qui éliminerait alors la seconde.

Puisque nous savons comment l'opinion publique réagira, ou à tout le moins, certains membres de l'opposition, devrions-nous tenter d'améliorer les programmes de désintoxication, les programmes de santé ou les programmes sociaux et oublier la décriminalisation de la marihuana?

M. Hillier: Je tiens à éclaircir quelque chose. Je ne suis pas nécessairement en faveur de la décriminalisation de la marihuana. J'y ai seulement fait référence.

Le sénateur Losier-Cool: Il ne s'agissait pas là de votre argument principal.

M. Hillier: Non. Nous devons nous pencher sur l'ensemble des traitements et sur les politiques qui permettent de mettre en place des programmes parallèles ou expérimentaux s'appuyant sur la meilleure solution disponible. Dans le cas des consommateurs de cocaïne et de crack, par exemple, nous devons examiner avec soin les traitements qui leur sont offerts et trouver des solutions de rechange. Toutefois, lorsqu'un problème survient, le public change d'avis très rapidement. Un décès survient et de nouveaux problèmes surgissent.

Quoi qu'il en soit, nous avons besoin d'une certaine souplesse pour trouver des solutions. Les municipalités devraient être en mesure d'y parvenir dans le cadre des programmes offerts. Un programme de déjudiciarisation destiné aux utilisateurs de marihuana condamnés pour la première fois ne conviendrait peut-être pas très bien dans certains secteurs de la ville de Toronto, mais on s'est engagé à l'envisager comme alternative. Nous savons qu'il y aura des retombées, mais nous devons tout de même tenter l'expérience. Nous devrons peut-être en assumer les conséquences. Nous ne pouvons pas toujours prévoir ce qu'il adviendra, mais on doit nous permettre de tenter l'expérience.

Le sénateur Losier-Cool: Je reviens aux commentaires du sénateur Nolin sur les mesures punitives ou la criminalisation. La toxicomanie devrait-elle être considérée comme un problème de santé et non comme un crime?

M. Hillier: Oui. On devrait se concentrer sur les questions de santé et les problèmes sociaux. On ne peut pas nier que le commerce de la drogue et la toxicomanie mettent en jeu des éléments criminels. La toxicomanie a autant de répercussions que les vols avec infraction. Les actes criminels commis dans les collectivités sont liés à l'usage de la drogue.

M. Mosely: Quarante nouveaux bureaux de prêteur sur gages ont ouvert leurs portes dans un rayon de six blocs, tous au service du commerce de la drogue. Dans ces endroits, on peut désormais échanger son magnétoscope par exemple non pas contre de l'argent mais contre de la drogue; on vient uniquement pour obtenir de la drogue.

Le sénateur Losier-Cool: C'est ce que j'ai lu dans les journaux. Il est plus facile d'acheter de la drogue que de la pizza.

M. Mosely: Oui. Ces endroits fonctionnent 24 heures sur 24. C'est complètement insensé.

Le sénateur Bryden: Je ne peux que compatir avec la majorité des témoins que nous avons entendus aujourd'hui et assurément avec vous. Or, chacun sait que tous les paliers de gouvernement font face à des ressources limitées et que les citoyens sont de moins en moins disposés à continuer à payer.

Les politiciens et les gouvernements à tous les paliers - cela vaut peut-être aussi pour tous les citoyens -, auront à faire des choix. La question n'est pas vraiment de pouvoir consacrer plus de ressources au total, mais de répartir les ressources ou de procéder à une nouvelle répartition des ressources.

Jusqu'à présent, les gouvernements ont eu tendance à saisir les solutions qui leur permettent de régler leurs problèmes à un moindre coût et qui ne comportent donc pas de coûts supplémentaires pour le contribuable. Je crois comprendre que le moyen le plus coûteux, à court terme, de donner suite aux infractions en matière de drogue consiste à recourir au système de justice pénale et à incarcérer les contrevenants. Est-ce exact?

M. Hillier: Je dirais que oui.

M. Mosely: Si vous étiez à la recherche du moyen le plus coûteux de traiter ce problème, je ne crois pas que vous arriveriez à trouver une solution plus coûteuse que le système actuel. Je parle non seulement du système de justice pénale mais aussi du système de soins de santé. Si nous n'intervenons pas, le VIH mènera notre pays à la ruine. Les toxicomanes ne seront pas les seules personnes touchées. Certains prétendent qu'il n'y a pas à s'inquiéter puisque ces problèmes ne concernent que les homosexuels et les toxicomanes. Le SIDA touchera tout le monde. Il se répandra comme une traînée de poudre.

À l'heure actuelle, nos adolescents sont beaucoup plus actifs sur le plan sexuel qu'ils l'étaient il y a 20 ou 30 ans. Le VIH se répandra chez nos adolescents et dans l'ensemble de la collectivité. Nous devons trouver une solution à ce problème, sinon il détruira notre société. Cela nous coûtera une fortune.

Le sénateur Bryden: Au cours des trois ou quatre dernières années, le système des soins de santé dans les provinces a subi un changement radical. Des hôpitaux ont fermé leurs portes; certains de leurs services ont été supprimés. Il existe maintenant des hôpitaux communautaires et des services infirmiers à distance. Il s'agit d'une manière révolutionnaire d'assurer des soins de santé. Il y a lieu de croire, d'après certaines indications, qu'il en résultera un système moins coûteux et de meilleurs soins de santé.

M. Mosely: Nous espérons que ce sera le cas.

Le sénateur Doyle: Qui l'a dit?

Le sénateur Bryden: Croyez-moi, sénateur Doyle. C'est ce qui semble se passer au Nouveau-Brunswick. Pour des motifs que j'ignore et qui ne sont pas forcément tous altruistes, le Nouveau-Brunswick vient d'innover à nouveau en annonçant la semaine dernière que non seulement il procédera à la construction d'une nouvelle prison mais qu'il en ferme quatre. La mention du programme de déjudiciarisation m'y a fait penser. Ce programme vise essentiellement à trouver de meilleurs moyens de s'occuper de ces contrevenants - pas seulement ceux qui commettent des infractions en matière de drogue mais ceux qui commettent d'autres infractions mineures -, que les méthodes coûteuses en vigueur à l'heure actuelle. Si nous parvenions à élaborer des programmes qui permettent de recourir à des mécanismes moins coûteux pour traiter les auteurs d'infractions mineures, nous pourrions peut-être donner un dividende au gouvernement provincial. Il pourrait alors se servir de la moitié des économies réalisées pour réduire son déficit et consacrer l'autre moitié à la création de nouveaux programmes. Ce n'est pas une question, plutôt une proposition. Si les programmes que vous préconisez sont meilleurs pour la collectivité et plus rentables, vous pourriez réussir à obtenir les programmes que vous souhaitez gråce au dividende que recevraient les provinces.

M. Hillier: Au Canada, la grande majorité des personnes qui ont reçu une peine d'emprisonnement de moins de deux ans sont détenues pour des infractions liées à la drogue. Beaucoup de provinces incarcèrent ce type de contrevenants. Il existe sûrement un meilleur moyen de traiter ce genre d'infraction. Si on examine le coût par détenu, par année, il devrait être possible d'envisager des solutions de rechange.

Le problème, c'est la répartition des fonds entre les ministères et au sein des différents organismes gouvernementaux. C'est la différence entre ce que nous considérons être des services importants ou véritables et ce que nous percevons comme une forme de service social, pas assez rigoureuse, presque trop complaisante. Cette approche est souvent considérée inefficace parce qu'elle ne donne pas de résultats directs comme lorsqu'on met un contrevenant en prison. Un travail de sensibilisation s'impose donc. Les décideurs doivent comprendre que les résultats ne sont pas aussi immédiats qu'une rafle par la police mais qu'il est à espérer que cet investissement à long terme sera au bout du compte payant. Or, les représentants élus et les fonctionnaires ont de la difficulté à comprendre cela, ce qui donne lieu à des débats interminables et pénibles. Cependant, à long terme, vous avez raison, c'est une solution qui est payante.

Le sénateur Bryden: Comme la population du Canada ne représente qu'une petite fraction de la population de l'Amérique du Nord et comme notre voisin au sud de notre frontière applique une politique de tolérance zéro en matière de drogue, n'y a-t-il pas un risque qu'en devenant plus humanitaire et plus souple au niveau des traitements, des dispositions, des amendes et des sanctions prévues, le Canada devienne le refuge des toxicomanes en Amérique du Nord?

M. Mosely: C'est en fait ce qui s'est passé aux Pays-Bas. Au tout début, les Pays-Bas ont mis sur pied un programme, ouvert à tous, pour mettre des seringues neuves à la disposition des toxicomanes. Après un an et demi, ils ont constaté que les résidents des Pays-Bas ne représentaient que 10 p. 100 des personnes qui profitaient de ce programme. Plein d'Européens venaient aux Pays-Bas pour s'en prévaloir. Ce genre d'initiative exige de la réflexion et doit être réglementée et contrôlée. Il faut franchir un certain nombre d'étapes auparavant. Il ne faut pas favoriser ce genre de situations.

Je ne suis pas un spécialiste dans ce domaine. J'aimerais parler à Neil Boyd de l'Université Simon Fraser et à un certain nombre d'autres personnes avant même d'aborder cette question.

M. Hillier: Vous constaterez que l'usage augmente lorsqu'un changement est apporté à la loi ou aux restrictions en matière d'usage de drogue. Les gens veulent essayer tout ce qui est nouveau ou prendre des risques. On finira toutefois par constater un plafonnement. Cela pourrait être le cas ici aussi. En règle générale, l'abus de drogues n'est pas l'unique raison pour laquelle des gens veulent quitter leur pays ou leur foyer. Ils pourraient consommer de la drogue peu importe où ils se trouvent. Ce pourrait être plus facile ici mais vous constaterez probablement que l'intérêt des toxicomanes à l'égard de notre pays augmentera, puis diminuera par la suite.

La présidente: Le sénateur Milne a indiqué que trois options s'offrent au comité. La première consisterait à rejeter complètement le projet de loi, ce que les sénateurs hésitent beaucoup à faire pour un certain nombre de raisons, surtout parce que nous ne sommes pas élus. Ce n'est donc pas une option que nous envisageons de manière générale. La deuxième consisterait à apporter certains amendements au projet de loi. La troisième consisterait à accepter le projet de loi tel quel.

En laissant de côté pour l'instant les amendements proposés à la définition de «substance», croyez-vous qu'il serait d'une quelconque utilité que le projet de loi débute par une déclaration de principes qui indique que l'ensemble des politiques en matière de drogue au Canada devraient être axées sur la réduction des effets nuisibles?

M. Hillier: Dans l'espoir d'accomplir quoi?

La présidente: Dans l'espoir que les règles et les règlements qui découleront de la loi tiendront compte du principe prépondérant de la loi.

M. Hillier: Je pense que ce serait utile. J'ignore comment dans la pratique cela permettrait de changer la situation. Les déclarations de principes ont une certaine valeur. Nous avons déjà une stratégie de lutte contre les drogues au Canada qui traite de la réduction des effets nuisibles. Le texte de loi que nous avons devant nous ne rend pas compte de cet aspect, c'est-à-dire de la réduction des effets nuisibles. Je ne suis pas sûr que cela suffirait.

Le sénateur Gigantès: Si ce projet de loi est punitif, il ne porte pas sur la réduction des méfaits. Pourrions-nous rédiger un préambule ou un commentaire disposant que nous devrions nous attacher à la réduction des méfaits, et adopter cette mesure législative?

La présidente: Non, je n'ai pas indiqué quels autres amendements nous pourrions examiner, sénateur Gigantès. Je me concentrais seulement sur un cadre.

Je vous remercie tous les deux. Vous nous avez été très utiles dans le cadre de notre discussion et de nos délibérations sur cette mesure législative.

Honorables sénateurs, nos prochains témoins de cet après-midi sont des représentants de notre population autochtone. Nous avons avec nous le chef national de l'Assemblée des premières nations, Ovide Mercredi. Il est accompagné d'un certain nombre d'aînés et de personnes qui viennent des commissions de la santé de nos peuples autochtones.

Nous connaissons tous le chef Ovide Mercredi. Chef, je sais que vous êtes accompagné par Randy Bottle, qui est membre de la Commission sur la santé (Alberta) et de Rufus Goodstriker, qui est un ancien de la communauté autochtone.

M. Ovide Mercredi, chef national, Assemblée des premières nations: Il est de la Tribu Blood de l'Alberta, madame la présidente.

La présidente: Vous êtes aussi accompagné de M. Frank Shawbadees qui est de la Première nation 29 de Saugeen et qui est aussi un ancien.

Je ne sais pas si Keith Conn vous rejoint à la table ou non. Nous serions heureux de l'avoir ici. Il est directeur de la Santé pour l'Assemblée des premières nations.

M. Mercredi: Il est ici pour nous apporter un soutien moral.

La présidente: Chef Mercredi, je crois comprendre que vous ferez un exposé et qu'il se peut que les autres complètent vos observations.

M. Mercredi: C'est exact.

Bon après-midi, membres du comité. Je désire commencer mon exposé par un bref historique.

Avant l'arrivée des Européens, les Premières nations étaient un peuple en bonne santé. Elles menaient une vie austère et s'alimentaient bien. Les pionniers ont apporté des maladies transmissibles alors inconnues en Amérique du Nord, qui ont décimé un grand nombre de nos collectivités. Ces maladies, surtout la variole, la rougeole et la grippe, ont commencé à compromettre la santé communautaire.

Des siècles de colonialisme, d'oppression et d'indifférence en matière de politiques sanitaires pour notre peuple ont fait en sorte que l'état de santé de notre population est le pire au pays - en fait dans les trois Amériques. C'est une condition à laquelle sont rompues toutes les populations indigènes de l'Amérique Centrale et de l'Amérique du Sud de même que de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie.

Aujourd'hui, l'espérance de vie de notre peuple est inférieure de dix ans à la moyenne nationale. Le taux de mortalité infantile est 60 p. 100 plus élevé. Quant à notre taux de mortalité post-natale, il est 100 p. 100 plus élevé que la moyenne nationale.

À l'heure actuelle, de nombreuses maladies atteignent encore des niveaux épidémiques dans nos collectivités. Jusqu'à 40 p. 100 de la population adulte de certaines collectivités des Premières Nations sont atteintes de diabète. Le taux de tuberculose parmi les Indiens de plein droit est dix fois plus élevé que la moyenne nationale. Dans certaines collectivités des Premières nations jusqu'à 30 p. 100 de la population est atteinte d'une affection incapacitante. Le suicide chez nos jeunes est six fois plus élevé que la moyenne nationale. Dans certaines collectivités, le syndrome d'alcoolisme foetal est 30 fois celui de la population en général. La violence familiale a atteint des proportions épidémiques dans la plupart des collectivités qui disposent, comme vous le savez, de peu de ressources pour régler ces problèmes.

Les niveaux de vie atteints par de nombreuses Premières nations sont inadmissibles, ce qui contribue également au mauvais état de santé. D'après certains rapports gouvernementaux, la moitié des maisons situées dans les réserves ne conviennent pas et sont insalubres. Le surpeuplement y est 11 fois plus élevé que dans les collectivités environnantes.

Plus récemment, je veux rappeler aux sénateurs que, au moment des élections, le gouvernement libéral actuel a promis aux Indiens et à la population canadienne de collaborer avec nos peuples pour améliorer nos conditions sanitaires et élaborer une nouvelle politique du logement qui viendrait à bout des conditions déplorables des habitations dans nos collectivités.

Le gouvernement libéral en est maintenant à plus de la moitié de son mandat. Rien ne nous indique que nous verrons une nouvelle politique du logement, même si le ministre des Affaires indiennes, M. Irwin, et l'ancien ministre responsable de la SCHL, M. Dingwall, ont imposé à l'Assemblée des premières nations l'exercice inutile qui a consisté à préparer un mémoire au Cabinet de concert avec ces deux ministères après nous avoir promis que celui-ci examinerait une nouvelle politique du logement. Cette promesse nous a été faite pas plus tard que l'année dernière.

Les problèmes semblent découler de la négligence dont a fait preuve le gouvernement fédéral. En tant que fiduciaire des Premières nations, votre gouvernement a abdiqué ses responsabilités judiciaires en consacrant des fonds aux programmes et aux services de soins de santé par l'entremise de divers paliers administratifs sans tenir compte des gouvernements de nos peuples.

La décentralisation de la responsabilité au sein du fédéralisme a nui à l'obligation de rendre compte et à l'engagement indispensables pour administrer les services de santé de notre peuple. Les gouvernements, tant au niveau fédéral que provincial, s'accusent mutuellement. Ils invoquent nombre d'excuses, y compris celle du chevauchement, pour justifier leur inaction lorsqu'il s'agit des conditions sanitaires de notre peuple.

En tant que Premières nations, nous essayons de changer cette image, non seulement en ce qui concerne la santé et la guérison, mais dans d'autres domaines également. Notre stratégie consiste en grande partie à préserver l'art de guérir traditionnel et à protéger la médecine traditionnelle dans notre vie quotidienne.

Avant l'arrivée des Européens, nos guérisseurs traditionnels, nos sorciers, nos herboristes et nos sages femmes, étaient les responsables des systèmes traditionnels de guérison des Premières nations. Ces guérisseurs traditionnels avaient une approche holistique de la santé, Ils estimaient en effet que la santé ou l'état complet de bien-être repose sur un équilibre entre les aspects physique, mental, spirituel et social.

Les méthodes de guérison traditionnelles et les soins de l'enfant associés à une approche holistique du bien-être a gardé notre peuple en bonne santé. Cependant, le système d'éducation, associé à des activités religieuses et à des lois fédérales répressives interdisant nos cérémonies dans la Loi sur les Indiens, a ébranlé notre spiritualité traditionnelle et ont presque coupé le lien que notre peuple avait avec l'art traditionnel de guérir d'un bout à l'autre de ce pays. Ce n'est que depuis tout récemment que nous assistons au rétablissement des guérisseurs traditionnels et à la récupération des traditions des Indiens en matière de santé.

À mesure que le rôle des guérisseurs traditionnels est davantage connu et que nous recommençons à faire davantage appel à leurs services dans nos collectivités, notre peuple commence à demander de plus en plus ces services. Aucune loi ne reconnaît à l'heure actuelle les guérisseurs traditionnels. Tant au niveau fédéral que provincial, certaines tentatives ont été faites pour appuyer une incorporation limitée de la guérison traditionnelle dans les services de soins de santé et nous nous en réjouissons.

La médecine traditionnelle doit aussi être comprise dans une approche plus holistique que la médecine occidentale. Essayer de comparer les deux d'un point de vue occidental, c'est ne pas saisir la mesure dans laquelle la médecine autochtone se fonde sur les pratiques culturelles et sur notre rapport avec la terre. Ça n'a rien à voir avec les valeurs et les règlements imposés par le Parlement et les assemblées législatives. Notre système fonctionne parce que notre peuple accepte que nos guérisseurs soient autorisés à apporter des changements dans leur vie quotidienne. On revient à une façon de vivre complète comportant ses codes de conduite et sa hiérarchie.

Si nous devons modifier le système et les lois régissant les questions de santé, nous devrions le faire de manière à tenir compte de la diversité culturelle et juridique qui existe au sein des collectivités des Premières nations. Des mesures législatives comme le projet de loi C-8 devraient plutôt reconnaître et appuyer cette diversité et aider à en favoriser la croissance plutôt que l'entraver.

Si l'on doit rédiger une loi, celle-ci devrait tenir compte de la nécessité de reconnaître les guérisseurs traditionnels autochtones traditionnels dans ce pays. Ce projet de loi que vous examinez ne peut être considéré autrement que comme une autre tentative visant à délégitimiser ou criminaliser notre peuple et nos pratiques traditionnelles. Les lois devraient viser à protéger tout le monde et non à marginaliser les gens; les lois qui sont élaborées devraient respecter les droits de notre peuple également. Ce n'est pas ce qu'accomplit le projet de loi C-8. Au contraire, il sape notre propriété culturelle et intellectuelle. Il ne fait rien pour encourager notre peuple à affirmer sa compétence sur les questions de santé et les matières sociales qui touchent notre peuple. S'il finit par être adopté, les agents des douanes, la GRC et les bureaucrates, qui sont déconnectés des réalités culturelles autochtones dans ce pays, s'en serviront comme outil de harcèlement.

Plus précisément, le comité doit se poser deux questions fondamentales: premièrement, le comité a-t-il examiné à fond les répercussions de cette mesure législative sur les produits médicinaux qu'utilisent les Premières nations? Deuxièmement, y a-t-il quelque chose dans le projet de loi qui empiète sur les pratiques spirituelles qui font appel aux herbes qu'utilise notre peuple?

Personne ne connaît la réponse. Personne n'a dressé un inventaire des herbes et plantes médicinales que nous utilisons. Ce projet de loi, parce qu'il constitue une mesure unilatérale, risque de cibler certaines de nos plantes.

En incluant les herbes et les stupéfiants dans le projet de loi, vous imposez une mesure de contrôle sans connaître l'impact qu'aura ce geste sur notre peuple, qui essaie de se soigner selon ses propres méthodes et de restaurer ses croyances et coutumes, sa culture, pour ce qui est des méthodes traditionnelles de guérison.

Est-ce que cette loi va empêcher notre aîné, Rufus Goodstriker, ou un autre guérisseur d'appliquer les méthodes de guérison propres à sa culture? Personne ne le sait. Le projet de loi est tellement technique que personne n'en comprend le sens. Les chimistes eux-mêmes ne savent peut-être même pas quel impact aura cette mesure. Toutefois, le projet de loi continue d'opposer les plantes médicinales aux produits pharmaceutiques, favorisant ces derniers.

Le droit de respecter les coutumes et croyances traditionnelles est consacré par la Charte des droits et libertés. L'Ontario, par exemple, a mis sur pied, à la fin des années 70, un programme qui fait appel aux méthodes traditionnelles de guérison au Lake of the Woods District Hospital, à Kenora, en Ontario. En vertu de ce programme, les membres des Premières nations qui veulent se faire soigner selon les méthodes traditionnelles sont dirigés vers un guérisseur.

En ce qui a trait à la consultation, le gouvernement, y compris le comité du Sénat, a le devoir de consulter notre peuple. Rien n'indique que des consultations sérieuses ont eu lieu, comme l'exige la loi selon le jugement rendu par la Cour suprême dans l'affaire Sparrow. En effet, le comité sénatorial et le gouvernement du Canada n'ont pas assumé leurs responsabilités en ce qui a trait aux droits ancestraux et ceux issus de traités. Ce qui nous amène à nous poser la question suivante: quelles sont les raisons qui poussent le gouvernement à aller de l'avant avec ce projet de loi?

En résumé, ce projet de loi, s'il est adopté, causera des torts inutiles. Les droits ancestraux et les droits issus de traités, de même que le concept de l'autonomie gouvernementale, reposent sur le principe que le contrôle de ces questions doit être laissé là où il se trouve déjà, c'est-à-dire entre les mains des Premières nations elles-mêmes qui connaissent bien, de par leur tradition, les herbes qu'elles utilisent et leurs propriétés curatives. Le gouvernement, lui, ne sait pas ce genre de choses parce qu'il ne connaît pas notre peuple.

Les Premières nations sont conscientes du rôle important que jouent les guérisseurs traditionnels au chapitre des soins apportés à notre peuple. Nous savons également à quel point la médecine occidentale est utile. Toutefois, les méthodes traditionnelles de guérison occupent une place importante dans la santé et le bien-être social de notre peuple. Nous devons trouver des moyens d'améliorer l'accès à ces services et d'en assurer la prestation. Le gouvernement doit maintenir et améliorer l'accès à ses guérisseurs traditionnels, non pas le limiter.

Les Premières nations doivent être en mesure de tenir des discussions avec le gouvernement pour sensibiliser ce dernier aux méthodes traditionnelles de guérison et l'amener à prendre des décisions qui servent les intérêts de tous.

Notre peuple doit dès maintenant, de concert avec le gouvernement, se pencher sur des questions comme la reconnaissance des méthodes traditionnelles de guérison. Nous devons tenir plus de discussions sur le sujet afin de déterminer si ces méthodes doivent ou non faire partie de la médecine moderne. Il faut aussi permettre à nos guérisseurs de discuter des divers aspects de la pharmacologie, des méthodes de guérison qui font appel à l'utilisation de plantes, de racines, d'herbes, d'écorce, ainsi de suite. En tant que Premières nations, nous avons la responsabilité de partager nos connaissances sur les plantes médicinales et de mettre notre savoir en pratique. Vous n'avez pas à nous dire comment agir. C'est une décision que nous devrions prendre ensemble. Votre gouvernement a, lui aussi, certaines responsabilités.

Ce projet de loi a des répercussions profondes. Nous devons respecter les droits et la culture de tous les peuples. Vous avez droit à votre médecine, nous avons droit à la nôtre. Nous n'avons pas le droit de vous dire comment pratiquer votre médecine, comme vous n'avez pas le droit de nous dire comment pratiquer la nôtre.

Par conséquent, nous recommandons que le projet de loi C-8 protège de manière explicite notre peuple, compte tenu de nos droits ancestraux ou issus de traités, contre tout impact direct ou direct que pourrait avoir le projet de loi sur les guérisseurs traditionnels et les herboristes. Au minimum, le projet de loi doit être modifié afin que nos citoyens, les Premières nations, puissent exercer leurs droits ancestraux ou issus de traités. Il faut prévoir des dispositions qui reconnaissent les méthodes traditionnelles de médecine et de guérison.

Cette recommandation vise à faire en sorte que le gouvernement et les autorités chargés de l'application des lois disposent de directives claires et précises qui visent à éliminer toute atteinte à nos droits et responsabilités. Ces propositions doivent être élaborées de concert avec les Premières nations. Le gouvernement fédéral doit réexaminer toute loi proposée par le Parlement sur la base des arguments que j'ai présentés.

Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion d'exposer nos vues au nom de notre peuple.

La présidente: Merci, chef Mercredi.

Le sénateur Milne: Je crois comprendre que ce projet de loi ne modifie en rien la loi actuelle concernant l'utilisation des plantes médicinales. Y a-t-il quelqu'un ici qui peut nous rassurer à cet égard?

La présidente: Je ne le crois pas, mais nous allons sûrement poser la question aux fonctionnaires lorsqu'ils comparaîtront devant nous la semaine prochaine.

D'après les renseignements qui m'ont été fournis sur cette question, à ma demande, les fonctionnaires estiment que les dispositions du projet de loi C-8 n'englobent pas les plantes médicinales ou les substances homéopathiques, et que cette mesure ne change en rien la situation des Premières nations concernant les médecines traditionnelles.

Or, si les peuples autochtones sont inquiets et souhaitent obtenir d'autres précisions, nous pouvons nous pencher sur cette question.

Le sénateur Beaudoin: Tout comme les nombreux Canadiens qui suivent les travaux de la commission sur l'autonomie politique des Autochtones, je m'intéresse beaucoup à cette question. Je crois comprendre qu'ils ont l'intention de proposer la création d'un système parallèle d'administration de la justice pour les Autochtones. À votre avis, est-ce que la question des stupéfiants devrait relever de ce système, en ce qui concerne les infractions à la loi pénale ou autres?

M. Mercredi: Ce n'est pas seulement la question de savoir qui élabore les lois, qui les applique, et comment elles sont administrées qui nous inquiète. Évidemment, ce problème continue de marquer nos relations avec le Canada. Nous voulons un système parallèle de justice. À défaut de cela, votre Parlement va continuer d'adopter des lois qui ne tiennent pas compte de nos droits.

Le jugement Sparrow, que vous connaissez tous, définit les normes qui doivent régir les rapports entre le Parlement et les Autochtones. En fait, ce jugement dit au gouvernement du Canada, «Ne soyez pas l'adversaire des Autochtones; respectez leurs droits. Si vous adoptez des lois, consultez-les. Si vous ne le faites pas et que la loi est contestée, nous pouvons l'annuler». C'est ce qu'a dit la Cour suprême.

La difficulté pour nous tient à la façon dont votre société aborde la question des stupéfiants, ce qui est jugé interdit, ce qui est criminalisé. Bon nombre de nos membres prennent des médicaments prescrits. Nous savons qu'ils sont dangereux eux aussi. Le projet de loi vise à contrôler les effets toxiques de certaines substances. Le problème, c'est que vous ne connaissez pas vraiment nos coutumes et les substances que nous utilisons, essentiellement des herbes. On ne fait aucune distinction entre les herbes et les stupéfiants. Ils sont considérés comme un produit alimentaire ou une drogue.

Nous ne connaissons pas l'impact qu'aura ce projet de loi sur les Premières nations. Il contient de nombreux termes techniques que je ne comprends pas. Je ne suis pas un chimiste. Le produit que m'a donné Ethel Blondin ce matin pour mon rhume, s'il était analysé par un chimiste, pourrait tomber sous une des catégories de substances qui sont jugées interdites. Nous avons toujours utilisé cette herbe pour guérir les rhumes.

Le sénateur Jessiman: Les herbes en tant que telles ne sont pas définies dans les annexes, n'est-ce pas? J'ai cherché, mais je n'ai rien trouvé. Êtes-vous en train de dire que certaines des herbes que vous utilisez pourraient englober certaines des substances énumérées dans cette annexe?

M. Mercredi: Mon collègue répondra à cette question.

M. Randy Bottle, membre, Alberta Health Commission: Certaines herbes et plantes entrent dans la composition des drogues utilisées couramment. Mentionnons, par exemple, l'aspirine. D'autres plantes sont utilisées à des fins médicinales. Mentionnons le pavot asiatique, la stramoine, l'arbre à fièvre et la pervenche. Toutes ces plantes entrent dans la composition des drogues d'usage courant. Il faut déterminer si certaines de ces herbes sont incluses dans la liste. Il y a d'autres herbes identifiées par nos guérisseurs traditionnels qui pourraient être comprises dans cette liste. C'est ce qui nous préoccupe.

Le sénateur Jessiman: Avez-vous demandé au ministère de la Santé si certaines des herbes que vous utilisez sont comprises dans cette liste?

M. Mercredi: Ils nous ont donné la réponse habituelle: «Ne vous inquiétez pas. Nous tenons compte de vos intérêts.» En fait, nous ne leur faisons pas confiance. Nous ne pouvons faire confiance aveuglément à un bureaucrate. La dernière chose que nous voulons, c'est qu'on adopte une loi qui nous empêchera de pratiquer notre religion, notre spiritualité, d'utiliser nos plantes médicinales comme nous l'avons toujours fait pour guérir notre peuple.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez parlé du droit d'être consulté. Évidemment, je suis d'accord avec vous. C'est exactement ce qu'a dit la Cour suprême dans l'arrêt Sparrow. Vous dites que vous n'avez pas été consultés?

M. Mercredi: C'est exact.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce que vous dites que vous auriez dû être consultés au sujet de ce projet de loi parce que le Parlement du Canada a l'obligation de le faire, d'après l'arrêt Sparrow, ou parce que vous ne partagez pas le point de vue du gouvernement?

M. Bottle: Lorsque le comité consultatif d'experts des herbes aromatiques et préparations d'herboristerie a été mis sur pied, le gouvernement, semble-t-il, ne pensait pas que les Premières nations utilisaient des herbes. Toutefois, si un représentant des Premières nations avait été invité à faire partie de ce comité, nous aurions pu exprimer nos préoccupations à ce moment-là. Mais comme les choses ne se sont pas passées ainsi, nous n'avons jamais vraiment été consultés. Nous aurions dû être invités à participer aux discussions de ce comité. Mais, cela n'a pas été le cas.

Le sénateur Jessiman: Vous savez peut-être que plusieurs témoins ont laissé entendre que la marihuana devrait être décriminalisée, qu'elle ne devrait pas être visée par le Code criminel. Certains ont laissé entendre que sa consommation devrait être légalisée, tout comme celle de l'alcool. Qu'en pensent les Premières nations? Quel impact la décriminalisation de la marihuana aurait-elle sur votre peuple? Seriez-vous en faveur d'une telle décriminalisation, ou préférez-vous que la loi reste telle quelle?

M. Goodstriker, aîné, Assemblée des premières nations: Nous avons un voisin qui habite à deux milles de chez nous et qui s'est fait prescrire de la marihuana. Comment un médecin peut-il faire cela?

Le sénateur Nolin: Dans quelle pharmacie est-il allé?

M. Goodstriker: Ils vivent près de Cardston, une communauté tranquille de Mormons, où même l'alcool est maintenant autorisé.

Le sénateur Jessiman: C'est sans doute contraire à la loi. Toutefois, c'est votre peuple qui m'intéresse.

Le sénateur Gigantès: J'ai une question supplémentaire au sujet de ce point en particulier.

La présidente: Je donne d'abord la parole au sénateur Nolin.

Le sénateur Nolin: Je vais revenir à la question soulevée par le sénateur Beaudoin, mais il est d'abord un point que j'aimerais clarifier: avez-vous participé aux différentes étapes qui ont mené à l'élaboration du projet de loi?

M. Bottle: Le simple fait que nous n'ayons pas été invités à faire partie du comité consultatif indiquait clairement que les Premières nations ne seraient pas consultées.

Le sénateur Nolin: Je sais que vous n'avez pas été invités à faire partie du groupe, mais si vous voyez qu'ils ne vous consultent pas, est-ce que vous réagissez? Je ne vous fais pas de reproches, puisque j'estime qu'il revient au gouvernement de vous inviter. Toutefois, si nous voulons respecter le jugement de la Cour suprême, nous devons prendre les mesures qui s'imposent. Êtes-vous intervenus dans le processus?

M. Bottle: Pour intervenir, il faut savoir ce que contient le projet de loi longtemps à l'avance. Or, ce n'est qu'à la fin de l'automne dernier que nous avons pris connaissance de son contenu. Il avait déjà franchi l'étape de la troisième lecture. Par conséquent, il est difficile pour nous d'intervenir lorsque le processus est déjà terminé.

Le sénateur Nolin: Mais je voulais savoir si vous étiez intervenu avant que le projet ne soit déposé au Parlement. Il faut quand même plus que quelques jours aux experts pour établir des annexes comme celles-ci. Toutefois, je comprends ce que vous dites. Vous n'avez pas été consultés et vous n'avez pas demandé à l'être.

M. Mercredi: Puis-je répondre à cette question? Nous ne sommes pas obligés de demander à être consultés.

Le sénateur Nolin: Je le sais.

M. Mercredi: Nous ne pouvons pas lire la pensée de nos parlementaires. Nous ne rédigeons pas les lois. Nous ne siégeons pas au Parlement. C'est au gouvernement de nous consulter. Nous ne sommes pas obligés de faire quoi que ce soit. C'est aussi simple que cela. Toutefois, le gouvernement ne nous a pas consultés.

La présidente: Je crois comprendre que vous n'avez pas comparu devant le comité de la Chambre des communes parce que vous n'étiez pas au courant de ce projet de loi. C'est pourquoi votre première intervention, vous la faites devant le comité du Sénat.

Le sénateur Gigantès: Il n'est pas illégal de prescrire de la marihuana. L'Institut du cancer prescrit de la marihuana aux gens qui suivent des traitements de chimiothérapie, qui causent de graves nausées. Pour certains, la marihuana procure un soulagement.

La présidente: Je sais qu'il faut un permis spécial pour cela. Ce n'est pas un privilège qui est accordé à tous les médecins ou pharmaciens.

Le sénateur Lewis: Pour revenir à la question posée par le sénateur Jessiman, que pensez-vous de la décriminalisation de la marihuana? Avez-vous une opinion là-dessus?

M. Mercredi: À ma connaissance, nous n'avons jamais utilisé de la marihuana dans nos méthodes traditionnelles de guérison. Nous n'avons jamais utilisé la marihuana à des fins médicinales ou autres. Nous avons utilisé d'autres plantes qui sont considérées comme des stupéfiants, comme le tabac, lors de nos pratiques cérémonielles. Je sais qu'il constitue, bien entendu, une menace à la santé publique. Toutefois, nous l'utilisons à des fins précises lors des séances de guérison que nous organisons pour notre peuple. Dans ce sens, nous respectons sans doute les exigences de Santé Canada concernant l'usage du tabac.

Le sénateur Lewis: Avez-vous une opinion bien précise au sujet de la marihuana?

M. Mercredi: Si cette question vous préoccupe, pourquoi ne pas consulter le peuple canadien? Demandez-lui ce qu'il en pense. Demandez-lui si la marihuana devrait être décriminalisée. Vous pourriez peut-être aussi lui demander si le tabac et l'alcool devraient être décriminalisés. Il s'agit de questions morales. Ce n'est pas à moi, en tant que chef national, de vous fournir une réponse. Ce ne sont pas mes lois qui font l'objet d'un examen, ce sont les vôtres, et c'est à vous de prendre une décision au sujet de cette drogue.

Je suis ici pour protéger notre médecine naturelle. Je suis ici pour défendre l'utilisation que nous faisons des plantes et des herbes pour guérir nos membres, ou encore dans le cadre de nos pratiques cérémonielles ou spirituelles. C'est cette question qui m'intéresse. Puisque je ne comprends pas tous les termes techniques ou chimiques utilisés dans le projet de loi C-7, je ne sais pas si certaines des herbes que nous utilisons sont comprises dans cette terminologie. En tant que comité, vous avez le devoir de faire en sorte qu'elles ne le sont pas. Or, puisque vous ne connaissez pas nos plantes médicinales, j'estime que nous devrions discuter de la question plus à fond avant que vous n'adoptiez ce projet de loi.

Une autre façon de procéder consisterait à prévoir un article de la loi stipulant que ce projet de loi n'aura pas d'incidence sur la médecine indienne, l'art de guérir indien ou la spiritualité indienne. Ainsi, nous n'aurions pas à nous inquiéter de problèmes éventuels.

Je peux vous donner un exemple de la manière dont la loi a été violée par un de mes invités du Guatemala. Suivant ses traditions, il s'est servi de feuilles de coca à des fins spirituelles. Il a tenu une cérémonie dans mon bureau en utilisant des feuilles de coca. Si la GRC avait été dans les alentours, j'imagine qu'elle l'aurait arrêté, ainsi que moi-même, peut-être; je ne le sais pas. J'ai participé à cette cérémonie avec lui.

Tout ce qui figure dans votre liste n'est pas considéré comme nocif pour notre peuple et tout n'est pas nocif simplement parce que vous dites que c'est la loi. Pour nous, certaines de ces choses ont un caractère sacré. De toute évidence, pour cet autochtone du Guatemala, la feuille de coca est sacrée. Il l'utilise d'une certaine façon. Vous pouvez venir à mon bureau et je vous montrerai la feuille de coca qu'il a laissée, mais n'amenez pas la GRC.

La présidente: Si je vous comprends bien, vous aimeriez au moins un amendement qui indiquerait que rien dans cette loi ne peut abroger les traités autochtones ou les traditions des guérisseurs, des herboristes et des médecins du peuple autochtone.

M. Mercredi: C'est exact. Merci.

La présidente: J'aimerais poser une question se rapportant à ce qu'ont dit les sénateurs Jessiman et Lewis à propos de l'utilisation de la marihuana.

On nous a cité et répété le nombre de jeunes gens arrêtés et reconnus coupables de simple possession de marihuana. Près de 15 p. 100 d'entre eux finissent par se retrouver en prison, car ils ne peuvent pas se permettre de payer les amendes. Pourriez-vous nous donner une indication de l'impact de ceci sur les jeunes Autochtones.

M. Mercredi: Je suis désolé, mais je ne le peux pas, car je ne dispose d'aucune donnée sur l'utilisation de la marihuana par les jeunes Autochtones. Je ne peux pas dire que beaucoup d'entre eux sont en prison pour cette infraction, puisque je ne dispose pas des données. Si vous donnez suite à ma recommandation, je pourrais vous le dire, mais je sais que vous ne donnerez pas suite à ma recommandation. Je crois que l'aîné souhaite prendre la parole.

M. Goodstriker: J'ai un peu d'expérience dans ce domaine. Dans les années 1950, j'ai été pendant sept ans agent spécial de la GRC, numéro régimentaire 10435, division K, Cardston. J'ai vu nos jeunes gens aller à l'école secondaire dans le cadre d'un programme obligatoire d'intégration. Nos enfants ont été envoyés dans des familles de blancs. Certains décrocheurs ont fait connaître à nos enfants toutes sortes de boissons, etc., que nos jeunes gens ont fait connaître à nos collectivités naïves à ce sujet. Pendant les sept années où j'ai été agent de police, je n'ai jamais vu de marihuana, de cocaïne ou autre drogue du genre. Les Autochtones buvaient simplement du vin et de la bière de fabrication artisanale. Cette habitude venait de l'extérieur, tout comme les maladies viennent des Européens. C'est ainsi que je voyais les choses.

Je fais cela depuis 1968 et avant, j'étais politicien. Je jouissais d'un très grand respect de mon peuple dans le monde politique. J'étais le chef de ma tribu. Toutefois, lorsque je me suis intéressé à la guérison spirituelle, je me suis aperçu que politique et médecine ne font pas bon ménage si bien que j'ai quitté la politique.

En 1972, le gouvernement canadien a demandé à ma femme et à moi-même d'aller à Francfort (Allemagne) participer aux Olympiades culinaires. Nous étions les ambassadeurs des Indiens canadiens et faisions partie de l'équipe culinaire canadienne. En Allemagne, on a cuisiné ce qui se mangeait ici avant l'arrivée de Christophe Colomb et on a remporté neuf médailles d'or.

Lorsque je suis parti pour ce voyage, je savais que ma femme avait un problème de santé et j'ai donc pris quelques herbes roulées dans un journal que j'ai caché dans notre valise. Le quatrième jour du voyage de 19 jours à Francfort, ma femme n'a pas pu se lever le matin en raison d'un problème de vésicule biliaire. Je lui ai proposé d'aller consulter un médecin sur place ou de rentrer au Canada sans plus tarder. Elle m'a répondu qu'elle ne voulait pas aller consulter de médecin sur place. Elle voulait tout simplement rester au lit. Je lui ai dit: «Non, tu ne vas pas rester au lit. Si tu veux que je prenne soin de toi, je vais le faire.» Elle m'a répondu: «C'est impossible. Nous sommes dans un hôtel.» Je lui ai dit: «Peu importe ce que tu dis. Si tu ne veux pas rentrer au Canada ni voir un médecin, je vais prendre soin de toi.» J'ai alors sorti de notre valise le papier journal qui contenait de l'achillée mille-feuille, de l'aralie à grappes, de la sauge et de l'herbe à gomme. C'était mon médicament pour les calculs biliaires. Je suis allé à la réception où se trouvait un interprète noir. On lui a dit de m'amener à la cuisine et j'ai demandé à la cuisinière de faire deux pintes de mon médicament. Elle a reconnu les herbes à l'odeur. Comment cela était-il possible? C'était une Allemande. Elle m'a dit: «Nous sommes des barbares. Nous utilisons toujours les herbes des montagnes.» Je suis remonté donner une tasse de ce médicament à ma femme et, au bout de 10 minutes, elle s'est levée et s'est sentie en forme pour le reste de notre séjour. C'est la raison pour laquelle je suis en faveur des plantes qui permettent de guérir. Le créateur les a mises sur terre. Les animaux les connaissent, comme les oiseaux. Toutefois, nous savons tous que la médecine occidentale est une grande entreprise commerciale.

J'ai déjà soigné un médecin qui souffrait d'emphysème. Elle est venue de demander de l'aide. Elle m'a dit qu'elle était médecin à Vancouver et qu'elle avait consulté de nombreux médecins à propos de son état. Elle était obligée de prendre sa retraite. Je l'ai traitée le 14 et le 15 janvier. Elle m'a écrit le 15 janvier. Le 25 janvier, j'ai montré cette lettre aux étudiants en médecine et aux infirmières de l'Université Stanford. Elle a été guérie en l'espace de 10 jours. Je lui ai dit: «Si vous croyez en Dieu, vous serez guérie.» Elle a été guérie de l'emphysème dont elle souffrait depuis huit ans. Elle avait été médecin pendant 20 ans. J'ai toujours sa lettre. C'est un miracle - non pas de moi, mais du créateur. C'est ainsi que fonctionne notre médecine. Je pourrais vous raconter bien d'autres histoires.

M. Frank Shawbadees: Un sénateur a posé une question à propos de la marihuana. Je pense également que ce problème vient de l'extérieur. La plupart des suicides que nous connaissons ne découlent pas de l'utilisation des drogues, mais de dépression. Nos guérisseurs sont formés uniquement pour prévenir la maladie, et ils n'ont pas ce petit morceau de papier blanc qui indique qu'ils sont des docteurs qualifiés, et cetera.

Nous avons fait des recommandations à divers gouvernements car, dans de nombreux cas, les suicides sont causés par des surdoses d'aspirine ou de somnifères. Ces médicaments seront-ils interdits? Figureront-ils sur la liste des drogues dangereuses? Je suis sûr que non.

Lorsque je voyage avec mes remèdes, je n'ai aucun problème à la douane américaine. Je dis au douanier ce que c'est, et il ne touche pas à mes ballots de remèdes. Les douaniers américains sont au courant. Par contre, lorsque je reviens au Canada, les douaniers canadiens veulent démolir ma pipe. Ils veulent déchirer mes ballots de remèdes. Pourquoi? Ce sont mes objets sacrés et je les ai déclarés. Aimeraient-ils que je traite leurs effets personnels de la même façon?

Parfois je n'ai pas les remèdes dont j'ai besoin et je dois les faire venir de l'étranger. Mon peuple vit des deux côtés de la frontière que ce pays a décidé d'accepter. Les douaniers déchirent mes ballots de remèdes. Parfois, nous faisons l'échange de remèdes.

Comme l'a dit le chef Mercredi, certaines pratiques traditionnelles sont maintenant adoptées à Kenora. Il a fallu à mon oncle et à moi-même six ou sept ans pour faire accepter la médecine traditionnelle dans cet hôpital. Mon oncle est décédé. C'est le seul hôpital que je connaisse en Ontario où se pratique la médecine traditionnelle. Il se peut qu'il y en ait d'autres dans les provinces de l'Ouest.

Vous devez comprendre que certaines de nos lois ne répondent pas à vos normes et que vos lois ne répondent pas aux nôtres. Nous devons être proactifs, mais comment pouvons-nous l'être, lorsque nous ne sommes informés de ce projet de loi qu'à l'étape de la troisième lecture? Autant dire qu'il est adopté. Il faut que nos ballots de remèdes soient considérés comme des objets sacrés. Votre gouvernement doit le comprendre.

La présidente: Merci à tous d'être venus.

Honorables sénateurs, notre prochain groupe de témoins représente la National Coalition for Health Freedom. Miriam Hawkins en est la directrice de la coordination; Richard de Sylva est président de The Herb Works; Ralph Idema est président de Physicians and Scientists for a Healthy World.

Mme Miriam Hawkins, directrice de la coordination, National Coalition for Health Freedom: Honorables sénateurs, je vais commencer par des observations générales au sujet de ce projet de loi qui a suscité beaucoup de controverse et plusieurs points de vue indiquant que les plantes médicinales pourraient être compromises par le projet de loi. Il est question de manière générale dans ce projet de loi de substances naturelles dont on pourrait dériver des substances dangereuses. En d'autres termes, il est question dans ce projet de loi de sources de drogues potentiellement dangereuses qui pourraient passer pour les drogues elles-mêmes. La marihuana en est un bon exemple et, en ce qui concerne la cocaïne, les feuilles de coca figureraient sur la liste. D'après le libellé général du projet de loi, les précurseurs font également partie de cette liste.

J'aimerais citer, à titre d'exemple de ce qui figure dans cette liste, l'une des herbes les moins connues qui y a été ajoutée. Il s'agit d'une plante connue depuis 4 200 ans dans la médecine chinoise. On l'appelle «ma huang» en Chine. Les Européens l'appellent «éphèdre». L'«éphédrine», dérivé (1,5 p. 100) de l'éphèdre, se retrouve dans les drogues clandestines. Elle entre également dans la composition des médicaments vendus sans ordonnance contre le rhume. C'est un stimulant. Elle figure dans le projet de loi, car elle se retrouve dans certaines des drogues clandestines que nous essayons de contrôler.

La même chose pourrait se produire dans le cas de n'importe quel produit naturel. Beaucoup de produits naturels comprennent des stimulants et des sédatifs en diverses quantités, à divers degrés et touchent divers organes du corps. En vertu de ce projet de loi, le sort de n'importe quelle plante est parfaitement aléatoire. Toute plante peut être ajoutée à n'importe quel moment.

Nous nous inquiétons du processus de consultation. Nous avons ici une longue liste de substances à base d'herbes, que la Direction générale de la protection de la santé considère comme des substances altérant les aliments, et où sont inscrites beaucoup des substances autochtones dont il a été question plus tôt. Beaucoup de ces produits viennent de pays où ils font partie des traditions, bien que nous ne les connaissions que très peu ici. Beaucoup sont des remèdes naturels traditionnels européens. Ils sont tous considérés comme étant des substances altérant les aliments à cause de leur importance médicinale.

L'article 60 permettrait au ministre d'ajouter à tout moment une substance aux annexes. L'article 58 stipule que cette loi l'emportera sur la Loi sur les aliments et drogues. La plupart de ces herbes médicinales sont maintenant considérées comme des substances altérant les aliments, ce qui représente en fait une nouvelle classification pour ces herbes. Si elles sont médicinales, elles doivent porter un numéro d'identification et passent ainsi pour des «médicaments».

J'ai ici un livre entier qui traite de l'importance médicinale des aliments. Quelles sont les différences entre aliments et drogues? Nous avons maintenant des catégories de plantes médicinales qui, prétendons-nous, pourraient être considérées comme très dangereuses si l'on en obtenait les dérivés par synthèse. Toutefois, si vous utilisez la plante entière, selon les usages traditionnels, elle est beaucoup plus sûre que les produits pharmaceutiques.

Telle est la situation qui prévaut actuellement en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. L'article 58 remplacerait et annulerait tout ce qui se fait maintenant dans l'intérêt public. Cette nouvelle loi contrôlerait probablement tous les produits dont la sécurité a déjà été mise en question en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. Il ne s'agit pas de plantes qu'il faudrait interdire tout d'un coup dans l'intérêt public. Elles sont utilisées comme médicaments depuis des millénaires. Je suis sûre que certains des autres témoins se feraient un plaisir de vous parler davantage des caractéristiques de ces composés.

En fait, en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, nous désignons déjà certains produits comme présentant des risques à la sécurité publique, que ce soit le cas ou non. M. Napke présentera peut-être quelques chiffres à cet égard. Je veux brièvement vous parler de l'approche adoptée par la FDA aux États-Unis.

De 80 000 à 120 000 personnes meurent chaque année à cause de produits pharmaceutiques, alors qu'on ne peut attribuer aux herbes que six décès. C'est un contraste intéressant. Qu'ils soient à base d'herbes ou synthétisés à partir des éléments des herbes, ils sont beaucoup plus dangereux dans leur version pharmaceutique. On attribue également aux médicaments en vente libre au moins 2 800 décès par an aux États-Unis.

Quelque 26 000 personnes en Ontario prennent des médicaments d'ordonnance qu'elles ne devraient pas prendre. Notre pays connaît une énorme crise de la santé. Des dizaines de milliers de personnes ont écrit à la National Coalition for Health Freedom et ont signé ses pétitions. Je dois avoir 30 000 signatures. Il s'agit de personnes qui utilisent des médicaments à base d'herbes et qui contesteraient haut et fort toute menace quant à leur utilisation.

Toutes sortes de produits font maintenant l'objet d'obstruction à la frontière, alors que ce n'était pas le cas il y a cinq à vingt ans. Encore cette année, des produits qui n'étaient pas touchés auparavant, le sont maintenant. Ils sont désignés comme produits altérant les aliments en raison de leur importance médicinale. Cette nouvelle loi permettrait de contrôler encore davantage les magasins d'aliments naturels, donnant aux inspecteurs le droit de faire des descentes injustifiées dans ces endroits.

La Direction générale de la protection de la santé devrait nous protéger des produits chimiques toxiques. Quelque 67 p. 100 des Canadiens déversent des produits chimiques toxiques sur leurs pelouses. Ces produits chimiques sont nocifs pour les petits enfants qui jouent sur ces pelouses. Ils en attrapent sur leurs mains et dans la bouche, ce qui peut causer des lésions cérébrales permanentes. Ces produits chimiques ont toutes sortes d'autres effets sur le développement et la croissance des enfants. Des bébés naissent avec des problèmes. Tous ces produits chimiques, ces pesticides toxiques, ces herbicides et ces fertilisants non réglementés sont parfaitement accessibles. Le nitrate d'ammonium est un produit chimique protégé. Il est déversé des usines et se répand sur les pelouses et les champs.

Si nous voulons concentrer nos efforts sur ce qui est toxique, sur ce qui représente un risque pour la santé et ce qui devrait être réglementé et étiqueté par Santé Canada, il faudrait passer beaucoup plus de temps à s'occuper des pesticides et autres produits chimiques toxiques au lieu de s'inquiéter des herbes médicinales pour lesquelles pratiquement aucun effet nocif ne peut être prouvé.

Les efforts déployés par la Direction générale de la protection de la santé au cours des dernières années pour contrôler ces herbes s'inscrivent dans le cadre d'un train de mesures internationales visant à contrôler des herbes par des moyens autres que des brevets de produits génériques. Nous aurons alors un genre de réglementation prévoyant des numéros de médicaments, et cetera, si bien que certaines grandes sociétés seront plus à même de réaliser un bénéfice. Pour l'instant, elles ne peuvent pas breveter les herbes, car il s'agit de produits naturels. Toutefois, je suppose qu'on pourrait instaurer un processus de réglementation permettant de qualifier un produit de «médicinal»; il serait alors retiré de la vente en attendant les résultats de travaux importants de recherche. On pourrait alors le proposer de nouveau à la vente à un prix beaucoup plus élevé après de nombreuses années de recherche et de nombreuses faillites. Tel est le problème auquel nous faisons face. L'Assemblée des premières nations a parfaitement raison de s'inquiéter du fait que n'importe laquelle de nos plantes médicinales pourrait facilement être visée par ce projet de loi. Le mécanisme de sécurité publique sert à les interdire.

Le fait que ce projet de loi l'emportera sur la Loi sur les aliments et drogues signifie que beaucoup de ces plantes ou herbes figureront sur la liste, ce qui nous semble suspect.

M. Richard de Sylva, président, The Herb Works (Guelph, Ontario) et membre du conseil d'administration de la Canadian Association of Herbal Practitioners, National Coalition for Health Freedom: Aux fins du compte rendu, j'aimerais informer les honorables sénateurs que je représente deux organismes d'herboristes: la Provincial Central Canadian Herbal Practitioners Association, ainsi que l'organisme national, la Canadian Association of Herbal Practitioners. À ce titre, je peux indiquer à votre comité que nous nous inquiétons profondément des répercussions de ce projet de loi. Nous pensons qu'il ne permet pas de réglementer correctement les herbes, que celles-ci servent d'aliments ou de médicaments.

Nous proposons une exemption pour les herbes et les préparations botaniques comme substances naturelles dans ce projet de loi. Par ailleurs, nous comprenons que le gouvernement doive assurer un certain degré de réglementation; c'est la raison pour laquelle nous proposons une troisième classification en vertu de la Loi sur les aliments et drogues en plus des aliments et des drogues; cette troisième classification serait celle des «suppléments diététiques». Je ne soulignerai jamais assez qu'une herbe classifiée comme médicament n'a absolument rien à voir avec les autres médicaments. Les herbes ne sont pas d'origine synthétique à 99,9 p. 100. Ce sont des composants multiples de diverses substances, dont chacune contribue à stopper le processus de la maladie ou à favoriser la santé; en tant que telles, elles se situent à mi-chemin entre un aliment et un médicament.

Ces quelques dernières années, plusieurs conférences ont été tenues à Toronto sur les «nutraceutiques»; nous pensons que ce nouveau concept serait une classification plus pertinente, car il indique que ces substances, à savoir les herbes, sont constituées d'éléments alimentaires et d'éléments thérapeutiques.

Compte tenu de la loi actuelle sur les aliments et drogues, nous ne prétendons pas que nos substances ont des propriétés thérapeutiques et nous ne pouvons le faire. Nous sommes en effet entravés par l'annexe A de la Loi sur les aliments et drogues qui, par exemple, dresse la liste des maladies incurables. Elles le sont peut-être bien en fonction des connaissances de la médecine orthodoxe. Toutefois, on retrouve dans les connaissances de la médecine traditionnelle ou de la médecine d'appoint, et notamment de la médecine basée sur les plantes médicinales, de nombreux exemples de maladies que les herbes peuvent en fait guérir. Nous ne pouvons pas dire au public qu'il est possible, par exemple, de traiter les problèmes cardiaques avec de l'aubépine. M. Tom Barker, chef ontarien de la Direction générale de la protection de la santé, m'a carrément dit que les problèmes cardiaques tombent sous le coup de l'annexe 12 et qu'ils sont incurables. Pourquoi, par conséquent, dit-il, voudriez-vous utiliser une herbe pour guérir une maladie qui est incurable? Les règlements de la Loi sur les aliments et drogues nous empêchent de faire connaître nos remèdes traditionnels.

Depuis un bon nombre d'années, nous voyons que tous les efforts sont déployés pour définir chaque substance thérapeutique comme étant une drogue. Nous ne sommes pas d'accord. Beaucoup de maladies ont été guéries par des aliments et des suppléments alimentaires. Si le gouvernement du Canada veut reconnaître que les aliments et les suppléments alimentaires, comme les herbes, présentent des avantages thérapeutiques très réels, il faudrait alors prévoir une nouvelle classification. J'encourage ce comité à l'admettre. Si vous le désirez, nous nous ferons un plaisir de débattre plus avant de cette question dans le cadre de séances ultérieures. Je pourrais vous donner de plus amples renseignements sur les points que je soulève aujourd'hui. Toutefois, j'aimerais terminer en disant que, selon nous, la Loi sur les aliments et drogues, ainsi que ce projet de loi, tels qu'ils se présentent actuellement, ne pourront pas et ne peuvent pas représenter ni classifier correctement les avantages thérapeutiques des herbes; nous recommandons donc à ce comité et au Parlement de rédiger non seulement une nouvelle définition d'aliment et de drogue, mais aussi d'inclure cette troisième classification. C'est à mon avis fort important et j'encourage ce comité à y penser.

M. Ralf Idema, président, Physicians & Scientists for a Healthy World, National Coalition for Health Freedom: Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis heureux d'être parmi vous. J'ai rapidement jeté quelques notes sur le papier. Je tiens à signaler, madame la présidente, qu'il existe au Manitoba, votre province d'origine, une tradition bien ancrée de médecine ethnique, gråce à la présence des Ukrainiens et des Islandais dont certains sont mes partenaires et mes amis; je suis sûr que vous reconnaissez l'importance de la médecine d'appoint.

Malheureusement, M. Napke ne peut pas être parmi nous aujourd'hui, mais je peux représenter ses vues, ainsi que celles d'autres médecins de notre association. M. Napke est l'ancien directeur du Programme d'analyse des réactions défavorables aux produits pharmaceutiques et, m'adressant à vous en son nom, je signalerais qu'il vous dirait, d'une part, ainsi que je l'ai noté dans ce document, qu'en Amérique du Nord, plus de 100 000 personnes meurent par suite de maladies iatrogènes, soit de maladies qui se déclarent par suite de l'intervention d'un médecin ou de l'ingestion d'un médicament; par contre, les vitamines, les herbes et les suppléments ne causent pratiquement aucun décès; il soutient en particulier que, mis à part ces décès, un grand nombre de patients se retrouvent à l'hôpital à cause de l'ingestion de médicaments. Les médicaments renferment beaucoup d'éléments, en plus de la drogue elle-même. Les soi-disant supports inertes, c'est-à-dire les éléments ajoutés qui servent de support et qui permettent les mélanges, sont souvent inertes dans le médicament en question, mais deviennent très actifs lorsqu'ils sont combinés à d'autres produits ingérés par les patients. En fait, ainsi que l'a souligné M. Gilka, l'un de nos médecins, 80 p. 100 des gens qui se retrouvent à l'hôpital ou chez le médecin souffrent de ce que l'on pourrait pratiquement appeler des problèmes d'ordre mental, en raison essentiellement du stress et du mode de vie de notre société qui contribuent à une santé généralement mauvaise, y compris les crises cardiaques et les taux élevés de cholestérol.

Nous voyons donc que certains modes de vie qui pourraient être traités comme il le faut par des suppléments et des soins holistiques, épuisent notre budget de santé, ainsi que les ressources de nos hôpitaux. En tant que praticiens de médecine holistique ou, si vous voulez, de médecine d'appoint, de médecine parallèle - il existe diverses appellations - nous formons une minorité et il semble bien que nous fassions l'objet de persécutions. J'ai ici un magazine récent où l'on peut lire que quatre médecins ont été accusés par leur collège de médecins dans leur province respective; il s'agit de praticiens de médecine holistique, de médecine d'appoint, qui pratiquent autant la médecine orthodoxe que la médecine d'appoint; ils sont bien sûr accusés de négligence professionnelle du simple fait qu'ils admettent certains faits bien connus, comme par exemple l'existence du candida chez les hommes comme chez les femmes, qu'ils traitent au moyen d'herbes, au lieu de prétendre que cela n'existe pas.

Par ailleurs, les herbes et suppléments qu'utilisent ces médecins sont également contestés et je soulignerais que même la Régie des alcools de l'Ontario se met de la partie, sous prétexte que la plupart des teintures holistiques, par exemple, contiennent de l'alcool. J'en ai une ici, très courante, c'est de l'échinacée. Je pourrais parler longtemps de l'échinacée. Tout d'abord, la Régie des alcools de l'Ontario veut faire obstruction à ces produits à la frontière, sous prétexte qu'ils contiennent plus de 0,5 p. 100 d'alcool. Selon la Régie, le fait d'en prendre 15 gouttes par jour pour prévenir la grippe, rend les gens ivres. Vous pouvez comprendre pourquoi j'ai l'impression qu'il se prépare un genre de conspiration de la part essentiellement de médecins traditionnels et plus encore, de sociétés pharmaceutiques. Il semble que le gåteau de la santé s'amenuise - en d'autres termes, le budget des soins de santé diminue - et nos concurrents, si nous pouvons les appeler ainsi, aimeraient avoir une plus grande part de ce gåteau, ne serait-ce que pour préserver leur situation financière; nous nous sentons donc véritablement menacés.

J'aimerais parler davantage de l'échinacée, mis à part qu'il s'agit d'une plante qui pousse dans mon jardin et que c'est une plante indienne traditionnelle que le peuple d'Ovide Mercredi utilise sans aucun doute. Elle pousse dans les plaines, au Manitoba et sans doute aussi à l'état sauvage dans votre jardin. Étant donné qu'il est clair, au plan thérapeutique, que l'échinacée soutient le système immunitaire, on peut très facilement la classifier, même dans le cadre de la loi actuelle, la Loi sur les aliments et drogues, comme étant une drogue et, en tant que telle, la retirer du marché.

Cela fait partie du problème qui nous amène à celui dont a fait mention M. de Sylva. Nous avons un autre problème de définition. Bien que nous examinions le projet de loi C-7/C-8, je crois en fait que les sénateurs seraient prêts à admettre que nous nous occupons essentiellement de ce qui fait l'objet de trois projets de loi aux États-Unis. Il y a trois catégories. Les drogues, les suppléments nutritionnels et les aliments. Il y a beaucoup de liens entre ces trois classifications, ainsi que peuvent l'attester M. de Sylva et Mme Hawkins.

Il faut certainement se pencher sur la définition et la moderniser. La Loi sur les aliments et drogues qui a déjà de graves conséquences sur les magasins d'aliments naturels, permet ainsi à des agents secrets de s'introduire dans le magasin d'aliments naturels de ma femme; ils y gaspillent l'argent du contribuable en essayant de superviser les choses et de voir si elle prétend que tel ou tel produit a des propriétés thérapeutiques. Ils installent des microphones cachés afin de savoir si un vendeur prétend que tel ou tel produit a des propriétés thérapeutiques, ce qui signifie qu'ils peuvent retirer ces produits de la vente. C'est ridicule. La situation est déjà suffisamment mauvaise avec la Loi sur les aliments et drogues. Pouvez-vous envisager de criminaliser cette réalité en adoptant le projet de loi C-8?

La définition actuelle en vertu de la Loi sur les aliments et drogues date de plus de 30 ans, époque où l'expression «supplément nutritionnel» n'existait même pas. En fait, toute substance vendue ou proposée à des fins de diagnostic, de traitement, d'atténuation ou de prévention d'une maladie, d'un trouble, d'un état physique anormal, ou des symptômes de ceux-ci, ou en vue de rétablir, corriger ou modifier des fonctions organiques, est une drogue. J'ajouterais que 30 p. 100 de tous les aliments et 100 p. 100 de tous les suppléments alimentaires naturels dont nous parlons ici tombent dans cette catégorie. Il est impossible de considérer que tout ce que nous mangeons est une drogue.

M. Mercredi ne serait pas content s'il ne pouvait plus prendre d'échinacée, lorsqu'il est enrhumé. Il a dit qu'un élément de son médicament contre le rhume pourrait l'empêcher d'en prendre; il s'agit, je crois, de l'éphèdre. Je peux facilement comprendre que les autochtones se sentiraient fort contrariés si on leur interdisait de suivre leurs traditions, tout comme les médecins holistiques se sentent contrariés si on les empêche de pratiquer leur médecine. Nous nous sentons menacés par les collèges traditionnels de médecins, ainsi que par les sociétés pharmaceutiques. Nous nous sentons menacés par la Régie des alcools qui ferait tomber la moitié de nos produits dans la catégorie des alcools et qui voudrait, peut-être, en tirer elle-même profit. Nous nous sentons potentiellement menacés par le projet de loi C-8.

Madame la présidente, l'ancien ministre m'a assuré qu'il n'est absolument pas question de viser les suppléments alimentaires naturels. Je signalerais toutefois que je viens tout juste d'obtenir illégalement de la mélatonine, produit qui vient d'être retiré du marché en vertu de la Loi actuelle sur les aliments et drogues. Soixante-cinq herbes et suppléments sont déjà menacés; j'en utilise certains; tout cela se fait en vertu de la loi actuelle sur les aliments et drogues. Que va-t-il se produire lorsqu'il deviendra possible de criminaliser ces produits?

J'approuve les intentions initiales du projet de loi C-8, puisque je suis au courant des conventions des Nations Unies que le Canada a signées en 1988 pour réglementer le commerce international des drogues dangereuses. Nous avons travaillé dans une île antillaise avec la DEA sur un contrat de cinq ans à cet effet, si bien que je sais ce dont je parle. J'approuve le gouvernement pour qui le projet de loi C-8 permet d'ajouter un pouvoir législatif dans le cadre de cet accord international conclu il y a maintenant de nombreuses années. Il se peut fort bien que nous soyons les derniers à le signer. Pourquoi, je vous demande, compliquons-nous cet excellent projet de loi en y ajoutant la question des substances alimentaires naturelles?

Je crois que le projet de loi C-7, que remplace celui-ci, aurait été adopté il y a longtemps si seulement le gouvernement de l'époque s'en était tenu au but initial, soit la réglementation du commerce international des drogues. C'est tout ce que voulait la Drug Enforcement Agency américaine. Il existe d'innombrables exemples de projets de loi excellents comme, par exemple, le projet de loi 100 présenté à la l'assemblée législative de l'Ontario. On y ajoute un élément qui n'est pas forcément agréable, mais qui reste secondaire.

Nous vous demandons de soustraire les suppléments alimentaires naturels des dispositions du projet de loi C-8, de vous en tenir aux buts premiers du projet de loi C-8, d'ouvrir un bureau des suppléments alimentaires et de présenter un projet de loi pertinent, comme je le propose dans mon mémoire.

La présidente: Merci beaucoup. Je suis déconcertée et je me demande si d'autres le sont. Dans le contexte de la protection des Canadiens, il me semble que l'équilibre auquel il faut parvenir entre aliments et drogues n'est pas toujours quelque chose de simple. Vous avez donné l'exemple de l'échinacée et du fait que l'absorption de 15 gouttes de ce produit ne va absolument pas à l'encontre des principes réglementant la consommation d'alcool.

Je pourrais faire une comparaison du même ordre. Les magasins chinois du centre ville de Winnipeg vendaient du vin de riz, et cela ne posait pas véritablement de problème jusqu'au moment où certains ont voulu en acheter 15 bouteilles à la fois; il était évident que ce n'était pas pour faire la cuisine. Lorsque des gens veulent acheter 16 boîtes de Lysol, vous savez que ce n'est probablement pas pour s'en servir comme agent de nettoyage.

Comment parvenir à un équilibre entre une réglementation nécessaire et pertinente des aliments, des drogues et des substances, d'une part et, d'autre part, la vente des produits alimentaires naturels sur le marché? Comment parvenir à un tel équilibre?

Mme Hawkins: J'aimerais insister sur le fait qu'il faudrait commencer par s'attaquer aux pires problèmes. Si les médicaments d'ordonnance causent plus de maladies, éduquons les Canadiens. Insistons sur l'obligation de faire part des indications et des contre-indications de tous les produits pharmaceutiques de manière que les Canadiens n'achètent pas un médicament sans en connaître les effets positifs et négatifs. Il faudrait créer un organe indépendant qui produirait ce genre d'information.

Ce genre d'information pourrait également être donné dans le cas des herbes et des suppléments. Certains des produits inscrits sur cette liste de drogues et autres substances sont des herbes européennes bien connues, considérées comme potentiellement toxiques. Si, par exemple, une femme enceinte prend de l'hydraste du Canada, remède très connu à base d'herbes, elle risque de faire une fausse-couche. Il s'agit certainement d'un renseignement dont tout le monde devrait disposer.

Il est important de pouvoir parler des substances auxquelles nous avons accès et de transmettre cette information aux Canadiens, que ce soit par l'entremise de bibliothèques ou de bureaux indépendants d'information pharmacologique.

Les gens devraient être au courant de la quantité de pesticides qui se trouvent sur les pommes qu'ils mangent et savoir si ces pesticides se trouvent dans les pommes elles-mêmes. Nous sommes inondés de renseignements sur des substances bien pires que n'importe laquelle des herbes énumérées ici; je veux parler des pesticides, des fertilisants et des herbicides que nous utilisons sans aucune réglementation. Le rapport entre la réduction des méfaits et l'affectation des ressources par le gouvernement n'est pas vraiment évident.

Aucune ressource n'est affectée pour lutter contre les méfaits causés par les pesticides. Tout ce qui a une importance médicinale est qualifié de «produit altérant les aliments», alors que nous savons que les aliments ont une importance médicinale. Le mandat de la Direction générale de la protection de la santé et de Santé Canada en matière de prévention des méfaits semble manquer de logique. Si ce mandat consiste à réduire les méfaits, on se fourvoie complètement.

Nous devrions éduquer les Canadiens, leur donner accès à des renseignements sur tous les médicaments qu'ils prennent. Il est inacceptable que 26 000 personnes se voient prescrire les mauvais médicaments ou les mauvaises doses, ainsi que l'atteste le chef des services de santé.

Le même problème se pose-t-il dans l'industrie des herbes? Pourquoi ces produits sont-ils retirés du marché? Ce n'est pas à cause de méfaits éventuels. Il doit certainement y avoir une autre raison à la réglementation aussi stricte de ces produits. Des inspecteurs se promènent. Les douanes consultent des listes. Des produits sont refoulés.

Quiconque s'est rendu dans un magasin d'aliments naturels a vu les magazines et revues de santé, publiés à l'échelle locale, provinciale et nationale. C'est devenu le choix des Canadiens qui veulent apprendre comment être en bonne santé et comment le rester. Nous ne voulons pas tomber malades.

Bien sûr que les maladies cardiaques sont curables. Il suffit de diminuer la quantité de gras dans votre régime. Tout le monde le sait. Pourquoi notre propre Direction générale de la protection de la santé nous dit qu'il est impossible de guérir les maladies cardiaques? Bien sûr que l'on peut commencer à guérir les maladies cardiaques au moyen d'herbes. On peut commencer à se guérir en surveillant son alimentation et en modifiant son mode de vie.

Tout cela est bien connu. À mon avis, le ministère de la Santé perd complètement son temps lorsqu'il s'attaque aux herbes que les gens utilisent maintenant avec soin. Si l'on était autant renseigné au sujet des herbes et de toutes leurs contre-indications éventuelles, comme c'est le cas des médicaments figurant dans le recueil pharmaceutique de votre pharmacie, on prendrait plus d'herbes et moins de drogues. Il existe des résumés analytiques pour beaucoup de ces plantes. Beaucoup des effets secondaires sont recensés depuis des siècles.

Je crois que tout le monde va dans cette direction. De plus en plus de gens font attention à leur nutrition et envisagent des suppléments. Au cours des prochaines années, nous nous attendons à des réductions de 17 milliards de dollars en matière de santé. C'est un énorme montant d'argent. Il faut savoir comment réaliser des économies et diminuer le nombre d'hospitalisations. Les Canadiens veulent comprendre ce qu'est la maladie, savoir comment la prévenir et s'en sortir sans prendre de drogues dangereuses.

Nous savons que les stupéfiants et les produits pharmaceutiques sont plus dangereux que ces suppléments. Nous savons que ce sont les pesticides, les herbicides et les engrais qui ne sont pas bien réglementés. Nous devons redéfinir le mandat de la Direction générale de la protection de la santé pour qu'elle puisse bien remplir son rôle dans ce domaine.

La présidente: Vous ne répondez pas vraiment à ma question. Les produits pharmaceutiques sont réglementés. Ils n'ont peut-être pas tous les renseignements qu'ils devraient avoir. Sur ce point, je suis d'accord avec vous. Toutefois, ces produits sont réglementés. Vous ne pouvez pas les obtenir sans ordonnance, sauf s'il s'agit de médicaments en vente libre.

Pourquoi estimez-vous qu'il sera-t-il plus difficile pour les gens d'obtenir les herbes dont ils ont besoin, si le projet de loi est adopté?

Mme Hawkins: Le ministre a le pouvoir d'ajouter n'importe quelle substance à cette liste. Ce projet de loi abroge les dispositions de la Loi sur les aliments et drogues, même les parties qui ne sont pas visées. Ses dispositions l'emportent sur celles de la Loi sur les aliments et drogues lorsqu'il y a incompatibilité entre les deux lois. C'est à ce moment-là qu'entre en jeu le projet de loi C-8.

Le projet de loi C-8 vise à contrôler les substances que le ministre estime nécessaires dans l'intérêt du public. Il peut ajouter n'importe quelle substance à la liste, s'il estime que des raisons d'intérêt public le justifient. Déjà, on utilise le même libellé et les mêmes arguments, si vous voulez, pour interdire les herbes en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. On y dit qu'il s'agit d'une question de sécurité publique.

Pourquoi interdire toutes ces herbes? Pour des raisons de sécurité publique. Nous devons réglementer les herbes, leur attribuer un numéro, leur attribuer le nom d'«adultérants».

Ce n'est pas de cela dont nous avons besoin. Nous sommes en train de créer une situation où n'importe quelle herbe pourrait être ajoutée à la liste.

Le sénateur Milne: Je tiens à préciser que ce projet de loi n'abroge pas la Loi sur les aliments et drogues, mais plutôt la Loi sur les stupéfiants.

Mme Hawkins: Il a pour effet de regrouper les dispositions de la Loi sur les stupéfiants et les parties III et IV de la Loi sur les aliments et drogues. Les parties I et II de la Loi sur les aliments et drogues ne sont pas visées.

Les herbes ne tombent pas sous le coup du projet de loi C-8 actuellement. C'est pourquoi il y a beaucoup de confusion. Vous êtes nombreux à vous demander pourquoi nous sommes toujours ici. En fait, si nous sommes toujours ici, c'est parce que la nouvelle loi, même si elle incorpore certaines parties de la Loi sur les aliments et drogues, aura préséance sur les autres parties de cette loi qui traitent de la question de la sécurité publique.

Ils pourraient décider d'inscrire à une annexe certaines herbes qui, à leur avis, présentent un danger. Ils pourraient décider de retirer ces herbes du marché, de les soumettre à toutes sortes d'analyses, de leur attribuer enfin un numéro et peut-être même de les remettre en vente.

Voilà l'impact qu'aurait le projet de loi C-8 sur ces substances, en raison des contradictions qu'il présente. On pourrait soutenir que ces herbes devraient être réglementées par le projet de loi C-8 pour des raisons de sécurité publique et d'intérêt public, lesquelles sont visées par le projet de loi.

On ne parle plus seulement des sédatifs, des stimulants et des substances hallucinogènes. Si vous jetez un coup d'oeil sur le projet de loi, vous allez constater qu'on n'y trouve que des substances qui seraient contrôlées pour des raisons d'intérêt public. Selon la Direction générale de la protection de la santé, elles sont toutes réglementées pour des raisons d'intérêt public en vertu des autres dispositions de la Loi sur les aliments et drogues, lesquelles seront remplacées par de nouvelles dispositions qui regroupent des parties de la Loi sur les aliments et drogues et les dispositions de la Loi sur les stupéfiants.

M. Idema: J'aimerais revenir à l'analogie que vous avez faite avec le Lysol - mis à part le fait que si vous buvez du Lysol, vous mourez -, vous vouliez peut-être parler du Listerine.

La présidente: Non, le Lysol.

M. Idema: C'est terrible. Le Listerine n'est pas aussi dangereux.

La présidente: C'est la drogue de prédilection des jeunes dans le centre-ville de Winnipeg.

M. Idema: Le Listerine n'est pas aussi terrible. Il contient 40 p. 100 d'alcool et on en ressent les effets. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il est très facile de prendre des quantités excessives ou nocives de certains produits. À cet égard, le Lysol et le Listerine n'ont rien à voir avec les herbes. Si les jeunes du centre-ville boivent du Lysol, ils vont finir par mourir. Le Listerine n'est pas mieux pour votre foie.

Les suppléments, eux, contiennent très peu d'ingrédients actifs et c'est pour cette raison qu'ils ne présentent aucun danger. On les utilise depuis 4 000 ans. La question qu'il faut donc se poser est la suivante: quels sont les produits qui doivent faire l'objet d'une réglementation? Il y a peut-être des lois sévères qui réglementent la consommation de produits comme le Lysol et le Listerine.

Nous sommes en train de parler ici de substances qui devraient être placées dans une catégorie à part, comme l'a mentionné M. de Sylva. Notre rôle ici n'est pas vraiment de contester le projet de loi C-8, mais plutôt de vous demander de laisser de côté toute la question de suppléments. Laissez le projet de loi C-8 remplir son objectif, qui est de contrôler d'abord les substances les plus dangereuses.

Mme Hawkins: On avait recommandé à la Chambre des communes qu'elle ajoute les herbes et les suppléments nutritifs, y compris l'alcool, le tabac et les médicaments prescrits, à la liste des exemptions que contient le projet de loi. On a plutôt choisi de retirer ces exemptions, comme l'a proposé le groupe «My Health, My Rights». De nombreux groupes éprouvent de sérieuses inquiétudes au sujet de cette question.

L'accès aux plantes médicinales est un droit garantit par la Constitution. C'est un droit à la vie. De nombreuses personnes utilisent des herbes pour vivre et soigner des maladies mortellement graves. Ces herbes, en tant que plantes médicinales, constituent un droit à la vie.

Le sénateur Gigantès: Le sénateur Carstairs a parlé de réglementation. Il y a aussi la question de la réglementation de votre profession. Vous souvenez-vous du laetrile? Ce produit était censé combattre le cancer. De nombreuses personnes en ont acheté juste pour voir leurs espoirs et ceux de leurs familles anéantis.

Une personne que je connaissais bien et qui était atteinte de cancer a entendu parler des merveilleuses propriétés curatives des herbes. Le fournisseur hautement persuasif et respecté lui en a vendu beaucoup, mais elle est quand même morte.

C'est à cela que pensent les gens comme moi, que, peut-être - et cette crainte est différente de celle que suscite le projet de loi -, les produits que vous vendez n'apportent rien à personne, sauf à vous-même.

Mme Hawkins: Ce qui importe, c'est la liberté de choix. Les gens devraient avoir le droit de choisir du laetrile ou de l'essiac. En fait, ces substances sont faites à partir de plantes cultivées en Amérique du Nord. Dans certains cas, elles aident à combattre le cancer. Dans d'autres, non. Combien y a-t-il de médicaments qui sont efficaces? Combien y a-t-il de médicaments qui sont nocifs? Nous pourrions passer toute la journée à trouver des exemples. Si j'ai des informations au sujet des engrais à base de nitrate d'ammonium, je peux choisir de ne pas les épandre sur ma pelouse. Si j'ai des renseignements au sujet de l'échinacée, de l'essiac ou du laetrile, je peux choisir ou non de les utiliser.

Le sénateur Gigantès: Vous ne répondez pas à la question.

Mme Hawkins: Je pourrais choisir de ne pas subir des traitements de chimiothérapie, mais les Canadiens ont le droit d'être informés; ils doivent avoir la possibilité de faire un choix.

Le sénateur Gigantès: Le fait est que cet herboriste aurait pu dire: «Non, cette herbe ne combattra pas votre cancer. Tel n'est pas son but.» Mais il a dit le contraire. Il a menti.

M. de Sylva: Je conviens que l'on trouve sur le marché des produits dont on laisse entendre qu'ils sont capables de combattre le cancer, alors que ce n'est pas vrai. En tant qu'herboriste, j'ai vu de ces produits. J'ai également eu recours à mes propres remèdes pour combattre le cancer. Toutefois, je n'ai pas eu beaucoup de succès, parce que quand les gens viennent me voir, ils sont déjà passé par le système orthodoxe de médecine et n'ont plus beaucoup de temps à vivre. Toutefois, les herbes peuvent les aider à guérir. Le cancer est une maladie très complexe qui implique de nombreux facteurs différents. Il y a des herbes qui sont efficaces.

J'aimerais revenir au point qu'a soulevé plus tôt le président concernant la réglementation et la distinction qui est faite entre les aliments et les drogues, ce qui est bon et mauvais. On trouve dans le domaine scientifique beaucoup de renseignements qui nous indiquent l'approche à adopter. Je vous renvoie au numéro d'avril 1987 de Science, une revue scientifique. On y trouve un article du Dr Bruce Ames intitulé, «Ranking Possible Carcinogens». Le docteur Ames dirige le département de biochimie à l'Université de la Californie. C'est lui qui a créé le test de mutagénicité qu'utilisent de nombreux laboratoires pour cerner les agents qui ont un pouvoir mutagène. Dans son article, il explique qu'on ne peut appliquer à l'homme les études expérimentales sur l'animal, et que les organismes de réglementation du gouvernement doivent faire preuve d'une grande prudence à cet égard. Il ajoute qu'on trouve également bon nombre de ces substances cancérigènes dans les aliments ordinaires comme les pommes de terre, qui contiennent de la solanine. Ces substances en elles-mêmes peuvent être cancérigènes. Si elles sont consommées à l'état naturel - c'est-à-dire, dans les aliments dans lesquels elles se trouvent -, la dose qu'une personne absorbe quotidiennement n'est pas suffisamment élevée pour être nocive. Par conséquent, je recommande que ces herbes fassent l'objet d'analyses très poussées.

Le docteur Ames a ajouté, par exemple, que l'herbe connue sous le nom de grande consoude, interdite par la Direction générale de la protection de la santé, peut être aussi toxique que l'aflatoxine que l'on trouve dans du beurre d'arachide. Tout est question de perspective. La dose absorbée est importante. Pour bien connaître les herbes, en tant qu'aliments ou produits thérapeutiques, nous devons avoir une idée de la nature des substances qu'elles contiennent et de leur concentration. Elles tombent toutes sous le coup du principe de pharmacologie Ernst-Schultz, qui dit essentiellement que l'absorption de doses excessives d'une substance peut tuer. L'absorption de doses modérées peut entraîner la paralysie, tandis que l'absorption de doses infimes peut stimuler le système. Autrement dit, tout dépend de la dose absorbée.

Cela vaut pour toutes les herbes. Oui, il peut y avoir dans ces herbes des substances qui, à l'état synthétique, peuvent causer beaucoup de problèmes. Si nous analysons l'herbe en question pour déterminer la concentration de substances qu'elle contient, nous allons constater qu'elle n'est pas tellement toxique. Oui, nous devons analyser la question d'un point de vue scientifique. Nous ne devons pas uniquement concentrer toute notre attention sur l'ingrédient actif au détriment des autres tampons et composés que l'on trouve dans les herbes. Nous devons analyser la question dans son ensemble.

M. Idema: Comme M. de Sylva l'a indiqué, il faut mettre sur pied un organisme qui se penchera sur ces questions. Il est vrai, de manière générale, que les concentrations d'ingrédients actifs que l'on trouve dans les herbes sont tellement infimes que personne ne pourrait en abuser, comme c'est le cas avec le Lysol ou le Listerine.

La consommation excessive ne constitue pas vraiment un problème dans le cas des herbes. C'est pourquoi nous insistons sur les statistiques suivantes: on enregistre chaque année aux États-Unis 100 000 décès iatrogéniques liés aux drogues; de zéro à six, en moyenne, pour les herbes. Les herbes ne posent donc pas de problème.

Quels produits devons-nous d'abord réglementer? Nous devrions réglementer les drogues dures, que visaient les projets de loi C-7 et C-8. Si nous voulons suivre l'exemple des Américains, nous devons élaborer une loi sur les suppléments nutritifs et créer un organisme qui se chargera de réglementer et de contrôler ces herbes, les concentrations des substances qu'elles contiennent, et leur qualité. S'il y a beaucoup d'abus, c'est en raison de l'absence de contrôle au sein de l'industrie des produits à base d'herbes médicinales. On ne peut pas l'attaquer. Cinquante p. 100 du ginseng que l'on achète en vente libre n'est pas du ginseng, mais de la poudre. Comme l'a signalé le sénateur Gigantès, il y a de la fraude. Si nous créons un organisme chargé d'exercer un contrôle sur cette industrie, nous pourrons exposer cette fraude.

En règle générale, l'industrie des produits à base d'herbes médicinales et de suppléments alimentaires est l'un des secteurs les plus auto-réglementés qui existe parce que les personnes qui consomment ces produits sont bien informées. Si vous vous rendez au magasin d'aliments naturels que tient mon épouse, vous allez y voir un comptoir plein de livres. Les personnes qui achètent ces produits sont très bien renseignées. Il y a une revue qui est entièrement consacrée aux plantes médicinales qui permettent de réduire le stress.

À cet égard, sénateur Gigantès, l'industrie est auto-réglementée. Si les gens avaient été mieux renseignés, ils n'auraient pas pris de laetrile. Dans les années 70, il n'y avait pas beaucoup de revues de ce genre pour renseigner les gens.

Le sénateur Gigantès: J'ai un collègue qui lit toutes ces revues. Il prend beaucoup de suppléments, ce qui ne l'empêche pas d'avoir des grippes. Moi, je ne prends rien, et je n'ai pas de grippes.

M. Idema: Je prends des suppléments et je n'ai jamais la grippe.

Le sénateur Gigantès: Il continue de me dire, en toussant entre chaque mot, que je devrais prendre 60 comprimés de suppléments alimentaires tous les jours.

M. Idema: En parlant de toux, sénateur Gigantès, nous avons le droit de fumer. Pourquoi ne devrions-nous pas avoir le droit de prendre des suppléments?

Le sénateur Gigantès: Ce qui m'inquiète, c'est que l'on vend des produits qui ne sont pas efficaces.

M. Idema: Vous achetez du tabac et de l'alcool - ils sont efficaces.

La présidente: Merci beaucoup pour votre exposé. Je pense que nous avons beaucoup appris au sujet des plantes médicinales. C'est le but de ces audiences.

La séance est levée.


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