Délibérations du comité sénatorial permanent
des
affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 6 -- Témoignages
Ottawa, le mardi 24 avril 1996
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-8, Loi portant réglementation de certaines drogues et de leurs précurseurs ainsi que d'autres substances, modifiant certaines lois et abrogeant la Loi sur les stupéfiants en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 15 h 30, pour examiner le projet de loi.
L'honorable Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente: Honorables sénateurs, nous poursuivons cet après-midi notre examen du projet de loi C-8. Nous accueillons deux groupes de témoins. Les premiers sont des représentants de Lambton Families in Action, les seconds, du Conseil sur l'usage abusif de la drogue.
M. Charles Perkins, président du conseil d'administration de Lambton Families in Action prendra la parole le premier. Il sera suivi de M. Fred Burford, président du Conseil sur l'usage abusif de la drogue.
Monsieur Perkins, allez-y, nous vous écoutons.
M. Charles Perkins, président, conseil d'administration, Lambton Families in Action: Madame la présidente, l'organisme que je représente vous a fait parvenir une copie du résumé de ses préoccupations et recommandations concernant le projet de loi C-8, qui était auparavant le projet de loi C-7. Je ne le passerai pas en revue.
Notre principale préoccupation à l'égard du projet de loi C-8 porte sur certaines des dispositions touchant le cannabis et l'assouplissement des lois concernant la possession de drogues. Aux fins de notre témoignage, il importe peu que le cannabis soit désigné sous les termes de chanvre, marijuana, haschich ou huile de haschich -- toutes ces substances proviennent de la même plante et sont toutes des drogues.
Je vais vous donner dans quelques instants un exemple flagrant de la façon dont on a laissé se détériorer les choses au Canada en ce qui concerne les drogues illicites.
J'espère que tous les sénateurs voient bien ce que j'ai dans les mains. C'est un drapeau sur lequel on a écrit «Ô Cannabis». Cela n'a rien de drôle ni de malin. C'est une insulte pour tous les Canadiens. Voilà qui montre jusqu'où les gens sont prêts à s'abaisser pour promouvoir la consommation de drogues illicites au Canada. Je regrette beaucoup d'avoir si peu de temps pour vous décrire comment la population canadienne, particulièrement nos jeunes, a été carrément bernée au sujet du cannabis et de ses effets. Le projet de loi est un exemple remarquable de l'ampleur de cette désinformation. S'il est adopté tel quel, le projet de loi viendra sacrifier l'avenir des jeunes Canadiens et nous fera faire un grand pas en arrière en ce qui concerne l'abus de drogues illicites chez les adolescents.
Le cannabis n'a absolument aucune valeur sociale positive. Utiliser le cannabis, c'est en abuser. La seule raison pour laquelle les gens en consomment, c'est pour se «geler comme des balles». Il faut dissiper le mythe voulant que le cannabis est une «drogue douce». Qu'est-ce qu'il y a de si «doux» dans une drogue qui agit comme catalyseur de violence, qui suscite la schizophrénie et la psychose de la marijuana, qui est toxique pour le foetus, mutagène et qui, en tant que telle, peut avoir des effets négatifs sur le bien-être physique et mental du foetus? Beaucoup d'enfants au Canada viennent au monde avec des carences parce que leurs parents ont consommé du cannabis. Ces enfants sont les innocentes victimes d'une personne qui a consommé du cannabis.
Le cannabis compromet le système immunitaire, il est plus cancérogène que le tabac, le taux d'accoutumance à cette drogue est de trois à sept fois plus élevé que celui de l'alcool, il perturbe le code génétique chez les hommes et, chez les femmes, endommage ou détruit les oeufs dans les ovaires. Le cannabis ralentit le fonctionnement du cerveau et empêche les gens de fonctionner dans notre société d'information et de technologie de pointe. Le cannabis cause des déficiences qui peuvent durer plus de 24 heures. Et je pourrais continuer encore et encore.
Est-ce là ce qu'une «drogue douce» est censée faire? Il n'est pas question ici de påte à crêpes. Si les gens accordaient plus d'attention aux conclusions des scientifiques qu'aux théories des philosophes, ils sauraient très bien que le cannabis est la drogue la plus méconnue, la plus répandue et la plus dangereuse dans nos rues. Il ne faut pas que les suppositions et les spéculations philosophiques aient préséance sur les données scientifiques.
Madame la présidente, les rapports de recherche sur la marijuana qui vous ont été remis avec mon résumé ne sont qu'un petit échantillon des preuves scientifiques qui montrent à quel point le cannabis peut être dangereux. Depuis 1979, plus de 12 000 études scientifiques documentées ont été réalisées sur le cannabis. Aucune d'entre elles n'a prouvé que le cannabis était sûr ou efficace pour quoi que ce soit.
Si quelqu'un tente de vous faire croire le contraire, il manque d'honnêteté et de franchise à votre égard. Lorsqu'une personne propose de décriminaliser le cannabis, la question à laquelle elle ne peut répondre est la suivante: pourquoi une société voudrait-elle créer et financer un système qui n'engendre rien d'autre que maladies et dépendance?
Au Canada, actuellement, un adolescent ne peut pratiquement pas recevoir de traitement pour la toxicomanie, qu'il s'agisse du cannabis ou de toute autre drogue. La seule façon d'être traité, c'est d'être reconnu coupable d'un autre crime et d'être incarcéré.
Ce qui nous préoccupe particulièrement dans le projet de loi, c'est cette idée ridicule des 30 grammes. Je vais vous donner un exemple. J'ai en main l'équivalent de 30 grammes de marijuana. Une fois la drogue roulée en cigarettes, cela représente environ les 100 joints que j'ai dans ce paquet. La disposition du projet de loi concernant les 30 grammes envoie le message suivant aux jeunes de notre pays: «Il n'y a pas de problème à prendre de la drogue, pourvu que vous n'ayez jamais plus de 30 grammes ou de 100 joints en votre possession».
Les utilisateurs-trafiquants vont se la couler douce avec cette loi qui dit combien de cannabis une personne peut avoir en sa possession sans être accusée de trafic de drogue. L'écart énorme dans les niveaux de THC, qui va de 1 à plus de 30 p. 100 au Canada, rend cette approche très dangereuse. Les gens risquent vraiment de souffrir d'hypothermie quand ils fument du cannabis qui contient un niveau élevé de THC.
Dans l'esprit de nos jeunes, le fait d'atténuer les conséquences de la possession du cannabis réduit également leur perception du risque. Nous avons constaté quel terrible échec l'approche des 30 grammes de cannabis a été pour les jeunes des Pays-Bas. Pourquoi vouloir infliger l'échec subi dans un autre pays aux Canadiens, particulièrement à nos jeunes?
Après plus d'une décennie au cours de laquelle la consommation de drogues chez les adolescents a diminué, on assiste maintenant à un renversement de la tendance. Depuis qu'on nous ressasse les messages «erronés» sur l'usage responsable des drogues -- on parle maintenant de «réduction des méfaits» dus aux drogues -- et depuis que les médias ne cessent de parler de décriminalisation ou de légalisation du cannabis, l'utilisation de drogues chez les adolescents est maintenant revenue à son niveau de 1980, ce qui coïncide justement avec la dernière année où un projet de loi a été présenté pour assouplir nos lois sur le cannabis.
Les jeunes sont la ressource naturelle la plus importante du Canada. Nous ne pouvons nous permettre de mettre en danger leur bien-être mental et physique à cause d'une perception que l'on a d'une drogue.
L'assouplissement de l'une ou l'autre de nos lois concernant les drogues ne sert à rien. Prétendre vouloir désengorger nos tribunaux n'est qu'un prétexte, car la plupart des gens accusés de possession de drogue sont rarement renvoyés au tribunal. En ce qui concerne l'établissement d'un casier judiciaire pour quelqu'un qui est reconnu coupable de possession de drogue, les gens ont perdu de vue l'objectif de la Loi sur les jeunes contrevenants et comment elle peut protéger les jeunes de cette réalité. Par contre, pour ceux qui sont trop vieux pour être protégés par cette loi, c'est là la conséquence d'une violation délibérée de la loi.
Pour le bien des jeunes du Canada, il est extrêmement important que vous n'adoptiez pas le projet de loi C-8 ou tout autre projet de loi qui fait la promotion de la consommation de drogues en assouplissant les lois, que ce soit le cannabis ou toute autre drogue.
Enfin, je vous cite un extrait d'une déclaration du Central Narcotics Intelligence Bureau du gouvernement égyptien dans l'un de ses rapports annuels où on dit ceci:
«...le produit dérivé du cannabis sativa... peut perturber profondément les cellules du cerveau et provoquer des actes de violence, voire des meurtres. Cette drogue est en fait une substance dangereuse et totalement pernicieuse qui n'a aucune valeur pour l'humanité et qui ne mérite rien d'autre que le mépris d'un peuple civilisé.»
Cette déclaration a été faite en 1944. La recherche scientifique a prouvé à maintes reprises depuis à quel point cette déclaration était vraie et l'est encore.
M. Fred Burford, président, Conseil sur l'usage abusif de la drogue: Madame la présidente, honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner au sujet du projet de loi C-8 au nom du Conseil sur l'usage abusif de la drogue ou CUAD. Nous avons beau nous prononcer en faveur du projet de loi C-8, je suis d'accord, dans l'ensemble, avec M. Perkins au sujet de la gravité de l'utilisation du cannabis.
Le conseil a été fondé en 1970 en tant qu'organisme sans but lucratif chargé de faire de l'information et de la prévention concernant l'alcool et d'autres drogues. Nos programmes sont surtout destinés aux jeunes, à leurs parents et à leurs enseignants.
Nous croyons aux jeunes et nous croyons que des leaders responsables un peu plus vieux peuvent être plus efficaces que la plupart des adultes pour présenter des programmes de prévention sur la consommation d'alcool et d'autres drogues. En fait, depuis sept ans, nous avons implanté avec succès notre programme d'éducation par des pairs dans 60 écoles secondaires de l'Ontario. Les élèves plus vieux sont formés par notre consultant, M. Don Smyth, pour donner un programme de 130 minutes à leurs camarades plus jeunes des niveaux de 9e et 10e année.
Nous avons des jeunes merveilleux au Canada. Ils se préoccupent beaucoup des autres et leur conscience sociale est très développée. Les décideurs et les gens d'influence au Canada ont la responsabilité de créer un milieu au sein duquel les jeunes peuvent avoir toutes les possibilités imaginables d'exploiter leur plein potentiel. En outre, la santé et la sécurité de nos jeunes devraient être deux préoccupations de toute première importance.
Je représente le CUAD ici aujourd'hui pour le bien de nos jeunes.
La principale controverse entourant le projet de loi C-8 semble tourner autour du statut du cannabis. Chez les jeunes, les trois principaux effets négatifs du cannabis qui sont concluants sont les suivants: il y en a beaucoup, M. Perkins en a donné une longue liste, mais il y en a trois sur lesquels s'entendent tous les experts. Premièrement, les effets sur la mémoire à court terme et l'apprentissage cognitif, deuxièmement, les effets sur la coordination, le jugement, la perception du temps et de l'espace et la rapidité de réaction, et troisièmement, les effets sur le système respiratoire.
Il est très important de noter que le pourcentage de THC dans la marijuana était sept fois plus élevé en 1994 qu'en 1975. Je répète: sept fois plus élevé, selon Santé Canada. C'est ce que l'on dit à l'annexe A de notre mémoire qui vous sera remis.
Je vais citer brièvement certaines études ou références qui viennent étayer les trois points dont j'ai parlé tout à l'heure.
Premièrement, pour ce qui est de la mémoire à court terme, vous avez reçu l'information à l'avance. À la page 9, il est question d'une étude intitulée «Short-Term Memory Impairement in Cannabis-Dependent Adolescents». Je ne prendrai pas le temps de vous lire cette information, mais on montre que les adolescents qui sont accrochés au cannabis ont des troubles de mémoire à court terme.
Pour ce qui est de l'apprentissage cognitif, en 1995, en Australie, on a terminé une étude très importante. Le principal auteur de cette étude était Nadia Solowij, qui travaillait avec deux autres professeurs. L'étude s'intitule Differential Impairements of «Selective Attention Due to Frequency and Duration of Cannabis Use». Là encore, la documentation vous a été envoyée à l'avance afin que vous puissiez en prendre connaissance.
Cette étude est particulièrement importante parce que:
Les résultats montrent qu'une consommation intense et chronique de cannabinoïdes provoque des déficiences d'ordre cognitif à court et à long terme.
Le docteur Harold Kalant de la Fondation de la recherche sur l'alcoolisme et la toxicomanie accorde une très grande importance à cette étude. C'est là également un exemple d'études plus récentes sur les effets du cannabis qui sont de plus en plus nombreuses dans le monde. La vérité au sujet du cannabis commence à poindre.
En ce qui concerne les effets du cannabis sur la coordination et le jugement, vous trouverez également dans notre mémoire un article sur une étude effectuée par Leirer et Yesavage intitulée «Marijuana Carry-Over Effects on Aircraft Pilot Performance». Cette étude montre sans l'ombre d'un doute à quel point la coordination et d'autres effets connexes sont très importants pour les pilotes d'avion. Manifestement, cela nous amène à d'autres études -- nous en parlons aux pages 9 et 11 de notre mémoire -- incluant une étude dans laquelle on conclut que 10 à 15 p. 100 des accidents d'automobile sont principalement attribuables à la marijuana. Quel revirement! De tous les accidents d'automobile, l'alcool n'est pas la cause principale actuellement. Environ 10 à 15 p. 100 de ces accidents sont principalement causés par la consommation de marijuana, ce qui représente un nombre important de tragédies.
Il y a aussi l'obnubilation dont peu de gens ont entendu parler. Il en est question à la page 10 du document de la FRAT intitulé «Marijuana, Answers for Young People and Parents». Je vous ai fait parvenir quelques copies de ce document. On dit ceci:
Cependant, l'obnubilation, le manque de coordination musculaire et l'étourdissement une fois le «high» passé font qu'il est risqué de conduire un véhicule ou d'entreprendre d'autres tåches potentiellement dangereuses pendant au moins plusieurs heures -- même si l'utilisateur croit qu'il a récupéré complètement.
Je peux vous garantir que très peu de nos jeunes sont conscients de cet effet.
En ce qui concerne le système respiratoire, le docteur Harold Kalant de la FRAT a fait une analyse documentaire et a conclu que les effets suivants étaient les plus graves: premièrement, une maladie respiratoire chronique obstructive accompagnée de changements inflammatoires chroniques auxquels s'ajoutent au moins les effets du tabac, par exemple, la bronchite chronique; deuxièmement, des dommages causés au système de défense pulmonaire contre les infections et, troisièmement, une diminution d'absorption d'oxygène.
Ensuite, en ce qui concerne les conclusions qui s'appliquent à l'apprentissage chez les jeunes, l'étude de Nadia Solowij sur les déficiences dans l'apprentissage cognitif confirme les observations des éducateurs et des consultants du CUAD depuis 1968, à savoir que la consommation de marijuana chez les adolescents fait diminuer le rendement scolaire chez beaucoup trop d'entre eux et, par conséquent, ces élèves n'exploitent pas leur potentiel. Ce sont là des tragédies humaines.
Quant aux problèmes de coordination, l'usage de la marijuana augmente le nombre de blessures et de décès inutiles à cause de ses effets négatifs sur la coordination de l'utilisateur, et cetera. La sécurité dans les écoles est menacée dans les gymnases, les laboratoires, les ateliers, les piscines et les véhicules qui circulent sur le terrain de l'école et en dehors. L'«obnubilation» dont j'ai parlé tout à l'heure exacerbe ce problème de sécurité.
En ce qui concerne la santé, nous devons prendre très au sérieux toute drogue qui affaiblit et affecte le système respiratoire des jeunes. En résumé, il est évident que pour la santé, la sécurité et l'avenir des jeunes, aucun changement dans la loi sur le cannabis ne devrait être apporté qui pourrait amener une augmentation importante de la consommation de cannabis chez les adolescents.
Si le projet de loi C-8 devait recevoir la sanction royale sans être amendé, ses dispositions seraient moins rigoureuses quant à la possession de petites quantités de cannabis. Les causes seraient traitées à peu près comme au cours des dernières années en vertu de la Loi sur les stupéfiants. Elles seraient traitées de façon sommaire à la suite d'une comparution devant le tribunal et en ayant les mêmes conséquences. Cependant, si des amendements au projet de loi C-8 avaient pour effet d'inciter les jeunes à percevoir les conséquences de leurs gestes comme peu importantes et équivalaient à supprimer les restrictions d'ordre juridique concernant le cannabis, eh bien alors ce serait un changement majeur. On pourrait donner comme exemple de ce genre de changement une approche analogue aux assignations pour contraventions. On a adopté cette approche en Ontario depuis quelques années en ce qui concerne les infractions mineures à la Loi sur les alcools sans que cela n'ait eu pour autant des effets positifs sur le problème de l'alcoolisme. On trouve dans les documents du CUAD et ceux de la FRAT une idée des résultats qu'une telle approche aurait sur l'augmentation de la consommation de cannabis chez les adolescents.
Lorsqu'une école secondaire décide d'offrir le programme d'éducation par les pairs du CUAD, nous demandons qu'elle procède à un sondage sur l'information et les attitudes auprès des jeunes qui recevront l'enseignement d'élèves plus vieux, formés par notre consultant. L'un des éléments de l'enquête est le suivant: «Si les restrictions d'ordre juridique concernant le cannabis étaient levées, je commencerais à consommer ou je consommerais plus.»
Depuis deux ans, dans 14 écoles, 1 333 élèves sur les 4 386 ayant fait l'objet de l'enquête ont répondu oui à cette question. Cela veut dire que 30 p. 100 plus d'élèves commenceraient à consommer ou consommeraient plus de cannabis et seraient plus vulnérables. L'information que nous avons jointe à notre mémoire renferme, par école, la ventilation qui permet d'en arriver aux chiffres finals.
Ces chiffres, établis au pro rata dans tout le Canada, signifient que 750 000 élèves ågés entre 12 et 18 ans seraient plus à risque. Cela serait une augmentation majeure et désastreuse. Ces jeunes rempliraient environ 650 écoles de taille moyenne.
La question 74a) de l'enquête sur la consommation de drogues auprès des élèves de l'Ontario menée par la FRAT en 1995, se lisait comme suit:
S'il était légal d'acheter du cannabis en petite quantité, laquelle des actions suivantes auriez-vous plus tendance à faire:
2. L'essayer une ou deux fois.
4. En consommer davantage que je ne le fais maintenant.
Environ 15,9 p. 100 des répondants ont coché la case 2, et 5,7 p. 100 la case 4. Si on combine les deux, 22 p. 100 des élèves seraient plus à risque, soit 550 000 jeunes dans tout le Canada. Là encore, cela impliquerait des coûts humains et économiques énormes pour le Canada.
À mon avis, l'approche de l'assignation pour contravention se traduirait par des augmentations énormes et comparables de la consommation de cannabis. Cette approche n'a aucun sens du point de vue épidémiologique, pas plus qu'elle n'est conforme au droit criminel au Canada.
M. Berman de Harvard et feu le professeur Desmond Morton ont souligné l'importance de l'utilisation de la loi en tant qu'institution sociale. Selon Berman, la loi a entre autres pour fonction de contrôler des tendances et des actes «que nous n'arriverons peut-être jamais à contrôler vraiment nous-mêmes». Autrement dit, l'utilisation de la loi comme instrument de dénonciation d'un comportement est importante, car elle nous permet d'affirmer des choses que nous, en tant que société, n'approuvons pas. L'approche de l'assignation pour contravention n'atteint pas le même objectif.
Le fait d'exiger que le délinquant primaire comparaisse devant le tribunal pourrait très bien empêcher quelqu'un qui fait l'expérience du cannabis de s'y accoutumer ou d'en devenir un consommateur régulier, plus particulièrement si cette procédure était assortie de diverses conséquences pouvant inclure entre autres un volet éducatif ou de counselling. Seule la comparution devant le tribunal rendra cette approche positive possible. Nous devons également déterminer si la personne qui a de la drogue en sa possession -- le fait de se faire prendre pour la première fois n'équivaut pas à avoir de la drogue en sa possession pour la première fois ou à en consommer pour la première fois -- a besoin de counselling, d'éducation ou de thérapie familiale.
Nous connaissons des cas où la méthode ci-dessus a été utilisée, avec des résultats positifs, pour la possession de cannabis en vertu des dispositions concernant l'absolution sous condition. De même, la gravité de l'infraction a été mise en évidence sans que le jeune risque de se faire mettre en prison et d'avoir un casier judiciaire.
L'un des principes les plus importants d'une intervention réussie est l'intervention personnelle la plus håtive possible pour corriger le comportement négatif. L'approche de la contravention viole ce principe dans chacun des cas. Nous vous exhortons à ne tenir aucun compte de cette suggestion malheureuse. Nous insistons également pour dire que le projet de loi C-8 doit être appliqué de façon souple, avec compassion et intelligence dans les cas de possession de petites quantités de drogues destinées à des fins personnelles.
En général, de concert avec le projet de loi C-8, dans les cas où les circonstances le justifient, nous recommandons de recourir aux options qui mettent l'accent sur la prévention et la réadaptation. Ainsi donc, on poursuivrait une tendance reconnue au cours des dernières années qui devrait être renforcée par le projet de loi C-41, loi visant à modifier le Code criminel au chapitre des sentences.
Plus précisément pour les jeunes, nous recommandons d'utiliser fréquemment l'absolution sous condition qui serait assortie de conditions dont les conséquences pourraient servir d'éducation et de counselling.
Nous recommandons fortement que l'article 5 du projet de loi C-8, partie I, soit amendé et qu'il se lise comme suit:
a) Quiconque contrevient au paragraphe (1) dans les cas de substances inscrites à l'annexe II, et ce, pourvu que la quantité en cause n'excède pas celle mentionnée à l'annexe VII, commet une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et est passible d'une amende maximale de mille dollars ou d'un emprisonnement maximal de six mois, ou les deux;
b) le dossier d'un jeune ou d'un adulte, sauf pour des fins d'information, ne fera état que de la possession de 30 grammes ou moins de cannabis (marijuana), ou de 1 gramme ou moins de cannabis (résine) et ne contiendra aucune référence à quelque pénalité ou peine que ce soit.
Ce libellé a été décidé après discussion avec l'un des meilleurs criminalistes au Canada et qui possède beaucoup d'expérience dans les affaires de drogue.
Si ce changement était apporté, un jeune qui a commis l'erreur de faire l'expérience du cannabis, qui s'est fait prendre et qui est accusé, n'aurait pas de casier judiciaire et ne figurerait pas non plus dans le CIPC. Par conséquent, son dossier n'indiquerait aucune condamnation et un employeur potentiel, par exemple, ou un établissement d'enseignement, ne considérerait pas cette infraction comme étant trop grave.
Cette approche est conforme à ce que nous disons, en ce sens que, pour les jeunes, un élément éducatif devrait être rattaché aux conséquences de leurs gestes.
Bientôt, madame la présidente et honorables sénateurs, vous prendrez votre décision au sujet du projet de loi C-8. De nombreux compromis ont déjà été faits qui assouplissent le projet de loi en ce qui concerne le cannabis. Nous avons montré que de l'assouplir davantage serait désastreux. Le pays, y compris de nombreux parents, familles et enseignants, attendent votre jugement responsable.
La présidente: Merci, monsieur Burford.
Pouvez-vous me dire tous les deux ce que vous pensez de l'usage du tabac et de l'alcool?
M. Burford: Je suis d'avis que le terme «drogue» dans l'appellation Conseil sur l'usage abusif de la drogue englobe aussi l'alcool, le tabac et d'autres drogues. Le programme d'éducation par des pairs dont j'ai parlé porte sur l'alcool, le tabac et d'autres drogues.
La présidente: Monsieur Perkins, est-ce que le groupe Lambton Families in Action a également une politique à cet égard?
M. Perkins: Oui, nous en avons une, et elle est très semblable à celle qu'a énoncée M. Burford. Nous considérons l'alcool et le tabac comme des drogues. Ce qui est malheureux, c'est qu'elles sont légales. Nous recommandons que ceux qui veulent utiliser ces produits aient l'åge requis pour le faire.
La présidente: J'avais compris que c'était votre position, mais je croyais qu'il était important que les autres sénateurs sachent que vous êtes tous les deux d'accord là-dessus.
M. Burford: En fait, mon travail en Ontario porte davantage sur l'alcool que sur n'importe quoi d'autre.
Le sénateur Gigantès: Je suis d'accord avec vous au sujet des drogues. Cependant, nous avons vécu la Prohibition dont l'effet principal a été d'enrichir les criminels et d'en augmenter le nombre. Aux États-Unis, on n'a pas du tout réussi à contrôler la situation.
Comme l'a demandé le sénateur Bryden l'autre jour, si nous ne pouvons contrôler le trafic des stupéfiants en prison, comment pouvons-nous le contrôler à l'extérieur? J'aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez.
De nombreuses activités criminelles sont reliées à diverses drogues. On nous a dit que les tribunaux de Vancouver n'entendent même plus de telles causes. Ils ne peuvent tout simplement pas répondre à la demande.
Comment régler le problème? Votre suggestion est-elle valable ou si les choses resteront simplement comme elles sont et que les trafiquants s'enrichiront davantage?
M. Perkins: J'aimerais d'abord répondre à votre commentaire au sujet de l'alcool.
D'après ce que j'en sais, la Prohibition a été très efficace. Pas la version hollywoodienne, cependant. Durant la Prohibition, il faut comprendre que la seule interdiction concernait la vente au détail de boissons alcooliques. Durant cette période, le DUI a diminué, les problèmes imputables à l'alcool ont diminué, l'alcoolisme a diminué aussi. Tous ces problèmes se sont atténués.
On s'est demandé pourquoi on avait levé cette interdiction. Une théorie veut que le gouvernement américain faisait de l'argent. Peu importe, moi j'estime que la Prohibition a été très efficace.
Le sénateur Gigantès: C'est la première fois que j'entends cela.
M. Burford: Je suis tout à fait d'accord. La Prohibition a été efficace. Le nombre de cirrhoses du foie en Amérique du Nord a diminué. Il y avait moins de problèmes familiaux causés par l'alcool. Tous les problèmes relatifs à l'alcool ont diminué. Le crime organisé ne s'est pas développé à cause de la Prohibition. Le crime organisé s'était développé avant la Prohibition.
Le sénateur Gigantès: J'ai dit qu'il avait pris de l'ampleur.
M. Burford: J'aimerais également faire un commentaire sur votre référence à la Colombie-Britannique. Depuis 1979, nous avons remarqué une diminution constante de la consommation de toutes les drogues chez les jeunes, phénomène qui s'est manifesté chez ces mêmes personnes au fur et à mesure qu'elles vieillissaient, les plus faibles consommateurs étant les jeunes de 20 à 30 ans.
Le sénateur Jessiman: De quelle région parlez-vous? De l'Ontario, de Toronto, de tout le Canada?
M. Burford: De tout le Canada.
Le sénateur Jessiman: Est-ce que c'est ce qu'indiquent les statistiques?
M. Burford: Oui.
Le sénateur Jessiman: Ce n'est pas l'information que nous ont donnée d'autres témoins.
M. Burford: Un instant. Je parle de 1979 à 1991. En 1991, les tendances ont commencé à changer.
Nous devons analyser pourquoi les tendances ont commencé à changer. Le système d'éducation a pas mal d'influence compte tenu du temps que l'on consacre dans les écoles aux programmes d'information et du nombre de programmes efficaces qui impliquent les élèves de l'élémentaire et des premiers niveaux du secondaire. On met beaucoup de pression sur les écoles. Quand un nouveau problème se pose -- comme le sida, qui est une question hautement reliée au sexe -- on y accorde beaucoup d'attention. Aujourd'hui, les écoles doivent consacrer leur temps au sida. Puisque la consommation des drogues diminue, on passe moins de temps à faire de l'éducation dans ce domaine. On devient peut-être de plus en plus suffisant.
Je dirais aussi qu'à ce moment-là est apparu ce mouvement que l'on appelle la réduction des méfaits dus aux drogues. Dans tout le Canada, les jeunes ont commencé à entendre parler de la Hollande et de l'endroit merveilleux qu'était ce pays. J'étais à Amsterdam en 1988 et je n'arrivais pas à croire que la libéralisation puisse faire autant de dégåts dans une aussi belle ville. Cependant, nos jeunes ont commencé à entendre dire que la marijuana n'était qu'une herbe qui poussait dans la terre et qu'elle ne pouvait donc pas leur faire de tort. Toutes sortes de propagandes sont venues des autorités et des gens à qui les médias donnaient la chance de s'exprimer.
D'une part, on a un peu moins mis l'accent sur les programmes préventifs en matière de drogue, y compris l'alcool et le tabac, d'autre part, les médias ont accordé plus d'attention aux avantages de la légalisation. Nul doute que ces facteurs étaient très déterminants.
La détérioration du climat économique en est un autre. Les élèves des écoles secondaires ont commencé à développer un certain désespoir à l'égard de leur avenir. Quand une chose comme celle-là se produit, les jeunes sont plus susceptibles de s'impliquer dans des activités comme le tabagisme, l'alcoolisme et la consommation de marijuana.
À cet égard, la Colombie-Britannique est la pire province imaginable.
Le sénateur Jessiman: Il y a peut-être des gens de la Colombie-Britannique qui ne sont pas d'accord avec vous.
M. Burford: J'adore aller en Colombie-Britannique. Vancouver est une ville magnifique. Cependant, en ce qui concerne le leadership dans le domaine des drogues, je ne voudrais pas que mes enfants ou mes petits-enfants vivent dans cette province à cause des messages atroces qu'ils recevraient des autorités en place.
La Colombie-Britannique est une province maritime. Elle a toujours accepté les tendances à la mode associées à la réduction des méfaits dus aux drogues et celles de la Hollande et de l'Allemagne. Elle n'accorde aucune attention à ce qui se passe en Suède, un pays très sage. Nous devrions porter plus attention à la Suède.
Le sénateur Gigantès: Mais la Suède est aussi un pays maritime.
M. Burford: Mais la situation est différente. Il y fait un peu plus froid et la vie est un peu plus rangée.
Les Suédois ont réussi à contrer le problème de l'alcool. Le taux d'alcoolémie pour les conducteurs en Suède est de 0,02. Cela vous donne une idée à quel point ce pays est un pays raisonnable.
Le sénateur Gigantès: Mais les Suédois boivent comme des éponges. J'y suis allé plusieurs fois, je n'ai jamais vu autant de gens ivres.
M. Perkins: Pour ajouter à ce que M. Burford a dit, en Suède, on a réussi à ramener le taux de consommation de drogue chez les adolescents de 17 à 3 p. 100. Les lois concernant les drogues sont très sévères. Si vous vous faites arrêter pour consommation abusive ou possession de drogue, vous devez absolument subir un dépistage de drogues et le traitement est obligatoire. On n'y échappe pas. C'est le genre de choses que nous devrions songer à adopter au Canada plutôt que de fermer les yeux sur la réalité.
Actuellement, il est dégoûtant de voir comment on traite nos enfants lorsqu'ils ont des problèmes de drogue. On préfère les laisser dans la rue plutôt que de les aider. Il faut que cela change.
Le sénateur Doyle: Est-ce que vous incluez l'alcool lorsque vous parlez de «drogues»?
M. Perkins: Oui.
Le sénateur Doyle: Mais quand vous parlez de drogue en Suède et de 3 p. 100, qu'est-ce que vous voulez dire?
M. Perkins: Non, monsieur, c'est 0,02.
Le sénateur Doyle: Ce niveau s'applique-t-il autant à l'alcool qu'aux autres drogues?
La présidente: Il faisait précisément référence à votre chiffre concernant la consommation de drogues chez les adolescents dont le taux est passé de 17 à 3 p. 100. Il a demandé si cela incluait l'alcool.
M. Perkins: Désolé, non.
Le sénateur Milne: Merci, messieurs. Vous avez fait un excellent exposé. J'aimerais cependant m'éloigner de l'objectif principal de votre témoignage et vous poser une autre question au sujet d'un type de marijuana.
Nous avons entendu plusieurs groupes d'agriculteurs comme le Canadian Industrial Hemp Lobby et le Hemp Research Institute qui recommandent d'autoriser la culture du chanvre industriel comme culture agricole.
Il faut savoir que le niveau de THC, la substance psychoactive dans la marijuana, est d'environ 0,5 p. 100 dans le chanvre industriel. Apparemment, ça ne vaut pas la peine d'en fumer. Que pensez-vous de cela?
M. Perkins: J'ai fait des recherches sur ce prétendu niveau de THC dans le chanvre et sur ses effets. Selon mes sources, une quantité de 0,25 p. 100 de chanvre industriel peut avoir un effet sur le cerveau humain. D'après les informations que j'ai reçues du gouvernement du Canada, la quantité acceptable de THC dans ce que l'on appelle le chanvre est de 0,3 p. 100. C'est pourquoi je dis qu'il s'agit d'une drogue.
Premièrement, avec ce faible niveau de THC, une personne qui n'a jamais fumé de cannabis de sa vie peut en subir les effets psychologiques.
Deuxièmement, le chanvre ou la marijuana, appelez-la comme vous voulez, c'est exactement la même plante. Vous pouvez prendre le contenu de THC d'un dixième de 1 p. 100 ou moins et, par un procédé très simple, créer une påte de 40 p. 100 de THC ou plus. Ça se fait actuellement. Cette påte est ensuite consommée comme du tabac à måcher ou est mélangée à de l'huile végétale, insérée dans une capsule et avalée. Les gens qui sont dans la drogue savent comment s'y prendre. Ce qui est triste là-dedans, c'est que ce chanvre renferme également des produits cancérogènes. En Californie, on a détruit plusieurs milliers d'acres de culture de chanvre parce que les jeunes s'infiltraient dans les champs et volaient le bout de la plante. Dire qu'il ne s'agit pas d'une drogue est faux.
L'utilité du chanvre en tant que produit industriel est douteuse. Tous les pays d'Europe qui en font la culture à des fins industrielles doivent subventionner la récolte. Est-ce que c'est ce que nous voulons faire ici au Canada?
M. Burford: J'ai essayé de faire en sorte qu'une autorité canadienne, un représentant du gouvernement, parle avec le professeur Robinson de l'Université du Minnesota qui est une des rares personnes à s'y connaître dans le chanvre. Il compte des années d'expérience dans des industries connexes.
Lorsqu'il était légal de cultiver le chanvre aux États-Unis, le marché ne s'est pas avéré extraordinaire. Les gens qui l'amenaient sur le marché étaient des gens qui étaient en faveur de la consommation de marijuana. Cela faisait partie d'une campagne qu'ils avaient montée afin d'essayer de légitimer la marijuana et de dire que puisque le chanvre pouvait servir à faire des chemises et des pantalons courts, ainsi que du papier, c'était acceptable d'en fumer. C'est la logique qu'ils utilisaient, et qui ne tient pas tellement. Ils semblent croire qu'ils vont atteindre leur objectif et qu'ils amèneront les gouvernements à assouplir les lois sur la marijuana. Leur espoir est de la voir légalisée.
Le sénateur Milne: Dites-vous que cela vaut pour ce lobby industriel canadien concernant le chanvre? S'agit-il d'un des groupes dont vous parlez?
M. Burford: Il y a un lien.
M. Perkins: Lorsque j'ai entendu parler de l'extraction du THC à partir du chanvre ou du cannabis, appelez-le comme vous voulez, il a été question de représentants du secrétariat des drogues du Canada et de plusieurs membres de la GRC. Ce n'est pas quelque chose de nouveau. Je ne sais pas si on vous en a informé.
M. Burford: De toute façon, je suis certain que vous aimeriez qu'un représentant du gouvernement canadien aille rendre visite au professeur Robinson. Le gouvernement consacre des crédits à d'autres choses concernant le chanvre. Pourquoi ne pas envoyer quelqu'un là-bas discuter avec lui? Il est très dur d'oreille. J'ai parlé avec lui au téléphone. Il faut être là pour lui parler en personne. Il est l'une des grandes sommités du monde pour ce qui est du chanvre, mais personne du Canada n'est allé le rencontrer.
Le sénateur Pearson: L'examen de ce projet de loi a soulevé un certain nombre de questions intéressantes pour ceux d'entre nous qui sont préoccupés par les jeunes. Je n'ai pas de difficulté à croire que la marijuana n'est pas particulièrement utile. J'ai vécu la situation depuis de nombreuses années avec de nombreux enfants. C'est la même chose que l'alcool et la drogue. Je suis d'accord pour dire que les enfants ne devraient pas toucher à cela.
La question que vous soulevez est légèrement incohérente. D'une part, vous dites à quel point les jeunes sont merveilleux, d'autre part, vous mentionnez à quel point il est facile de les corrompre. J'ai aimé votre position, monsieur Burford, quand vous dites travailler avec des groupes de pairs et avec les jeunes. De toute évidence, ce projet de loi ne réglera pas un problème moral dans le monde, peu importe ses dispositions. Un jeune sur trois indique que s'il en avait davantage la possibilité, il consommerait de la marijuana.
Il ne s'agit pas d'un problème d'accessibilité des drogues. Le défi de notre société est que les jeunes se sentent manifestement rebelles, il n'y a rien de nouveau là-dedans.
Je suis consciente de tout le travail que les gens font avec les jeunes qui sont impliqués dans les drogues, mais nous devons consacrer des ressources énormes pour les aider à s'en sortir. Que faisons-nous pour empêcher ces problèmes, sauf rendre les drogues non disponibles? Peu importe ce que sera le projet de loi, comme le dit le sénateur Gigantès, il est peu probable que nous éliminerons le problème. Quelles mesures devrait-on prendre?
M. Burford: Je comprends pourquoi vous exprimez ces opinions. J'étais directeur d'une école secondaire lorsque les drogues ont commencé à entrer dans les écoles secondaires en 1968 et de 1968 à 1982. J'ai l'impression que nous avons échoué auprès des jeunes Canadiens parce que la société n'a pas réglé le problème de la marijuana. La société ne s'est pas donné la peine d'en découvrir les effets négatifs. La société a échoué sur tous les plans. En tant que directeur d'une école secondaire de 2 000 élèves, je ne pouvais pas faire la même chose. Il fallait que je sois très clair, j'ai dû prendre position, et ce, en croyant agir au mieux des intérêts de ces jeunes. La société canadienne n'a jamais fait de même à propos de la marijuana.
Nos consultants en matière de traitement disent qu'ils n'ont jamais rencontré un habitué de la drogue qui n'était pas une personne très remarquable. Ce sont là des gens avec lesquels nous avons échoué en quelque sorte.
Le sénateur Pearson: Je vois, mais votre approche est la suivante: «Nous les vieux devons tout faire». Je ne vous vois pas donner aux jeunes le pouvoir de faire des choses au nom de leurs semblables. C'est pourquoi je vous ai félicité pour votre programme de contrôle par des pairs. Je suis inquiète.
M. Burford: Je crois beaucoup à ce programme. Les trois dernières années où j'ai été directeur, le personnel et moi avions monté un programme intitulé Positive Peer Culture. Les leaders dans l'école étaient identifiés par les jeunes, bons ou mauvais. Ils travaillaient en groupes de neuf, et les jeunes pouvaient aller les voir et leur soumettre tous les problèmes possibles. Chaque groupe travaillait avec un enseignant formé à cette fin. Ces jeunes-là avaient du pouvoir. On leur donnait toute la latitude voulue pour régler quelque problème que ce soit. Ils se sont occupés du problème des drogues, non pas de façon violente, mais en éloignant tout simplement les revendeurs de drogues de l'école. Je crois qu'il faut confier aux jeunes des responsabilités et leur donner de la latitude. C'est la raison pour laquelle le programme d'éducation par les pairs est si important.
Nous essayons de donner à ces jeunes des responsabilités, mais si la loi sur la marijuana est davantage assouplie, on leur coupe encore l'herbe sous le pied. Ils prennent des risques dans une école secondaire lorsqu'ils viennent vous voir et disent: «Je voudrais donner un programme à nos jeunes de la 9e et de la 10e année de sorte qu'ils ne commettent pas les erreurs que d'autres jeunes ont commises et qui sont maintenant en 12e année ou qui suivent un CPO». Ils prennent des risques, et ils sont disposés à le faire. Dans certaines écoles, nous avons 100 bénévoles qui participent au programme. Habituellement, ils sont entre 35 et 40, mais nous pouvons les recruter parce que certains jeunes présentent de belles qualités. Ils prennent vraiment soin des plus jeunes autour d'eux. Nous leur confions cette responsabilité. Je vous demande de ne pas leur couper l'herbe sous le pied.
Le sénateur Pearson: Personne ne parle de légaliser la drogue.
M. Burford: Pour les jeunes, cela équivaut à la légaliser.
Il m'a fallu être en mesure de constater comment les jeunes percevraient les choses. Actuellement, en Ontario -- et, je suppose, dans l'ensemble du Canada -- nous nous trouvons dans une situation critique en ce qui concerne les jeunes et l'usage des drogues. Si cette loi est adoucie, comme je vous l'ai déjà dit, la consommation de drogue explosera.
Le sénateur Jessiman: Je me rangerais de votre côté si vous étiez le premier témoin à comparaître. J'étais d'accord avec vous sur toute la ligne lorsque je suis arrivé au comité, mais depuis, je me suis bien documenté et j'ai entendu de nombreux avis. Vous m'avez donné matière à réflexion sur l'envers de la médaille.
Monsieur Burford, où étiez-vous en 1972? Vous étiez directeur d'école en 1968. Avez-vous été associé au Conseil sur l'usage abusif de la drogue après avoir été directeur?
M. Burford: Non. En 1972, j'étais encore directeur de l'école secondaire Northview Heights. Je me suis demandé ce qu'il faudrait faire pour régler le problème des drogues et où trouver de l'aide en Ontario. La seule aide que j'aie trouvée était celle d'un consultant du Conseil sur l'usage abusif de la drogue. Il était très direct avec les jeunes. Il avait acquis de l'expérience en travaillant avec les gens et en les aidant à résoudre leurs problèmes d'alcoolisme et de toxicomanie. Les jeunes s'en rendaient compte en le voyant, et ils l'écoutaient. C'est lui qui m'a aidé en tant que directeur d'école, et il a aidé d'autres directeurs également.
J'ai entendu parler du Conseil sur l'usage abusif de la drogue en 1970. J'ai fait venir cet homme à notre école en février 1970. Par la suite, je l'ai invité dans toutes les écoles où j'ai travaillé. J'ai ensuite été directeur de l'école secondaire Downsview. En 1980, on m'a demandé d'être membre du conseil d'administration du Conseil sur l'usage abusif de la drogue.
Le sénateur Jessiman: J'aimerais en savoir davantage sur Lambton Families in Action, mais parlez-moi d'abord du Conseil sur l'usage abusif de la drogue. Combien de membres compte-t-il? De quoi s'occupe-t-il? Quelle est son envergure au Canada?
M. Burford: Il s'agit d'un organisme sans but lucratif qui compte quelque 22 administrateurs. Frank Buckley en est le président depuis 22 ans. Il dirige maintenant l'entreprise qui produit le sirop Buckley contre la toux. Je suis sûr que vous en avez entendu parler.
Le sénateur Jessiman: Où se trouve le siège social?
M. Burford: À Toronto.
Le sénateur Jessiman: Y a-t-il des agents ou des représentants établis ailleurs?
M. Burford: Non. Nous avons quatre consultants qui possèdent des connaissances étendues et beaucoup d'expérience comme conseillers.
Le sénateur Jessiman: Vous avez dit avoir entendu parler de l'organisme en 1970. Celui-ci existait-il avant cette année-là?
M. Burford: Connaissez-vous Murray Koffler?
Le sénateur Jessiman: Oui.
M. Burford: C'est lui qui a fondé le Conseil sur l'usage abusif de la drogue.
Le sénateur Jessiman: À quand cela remonte-t-il?
M. Burford: À l'année où Robert Kennedy a été assassiné, en 1968.
Le sénateur Jessiman: Avez-vous participé aux travaux de la Commission LeDain en 1972?
M. Burford: Non.
Le sénateur Jessiman: La création de Lambton Families in Action remonte-t-elle à aussi loin?
M. Perkins: Non. Notre organisme a été formé en 1982.
Le sénateur Jessiman: Où se trouvent ses bureaux, et quelle est son étendue au Canada?
M. Perkins: L'organisme proprement dit est établi à Sarnia, en Ontario. C'est de là que nous oeuvrons. Nous représentons des parents, la masse. Nous avons constitué cet organisme parce que nous en avions assez de voir les jeunes s'adonner aux drogues et gåcher leur vie. Dans certains cas, il s'agissait de nos propres enfants. En tant que parents, nous ignorions comment évoluaient ces problèmes de drogue, et nous estimions que nous avions envers la collectivité la responsabilité d'intervenir. C'est ce que nous faisons depuis. Je travaille à la sensibilisation de la collectivité depuis 15 ans.
Le sénateur Jessiman: Combien de membres votre organisme compte-t-il?
M. Perkins: Six.
Le sénateur Jessiman: L'Association du Barreau canadien compte entre 32 et 37 000 membres. J'en fais moi-même partie. Je suis surpris de voir que dans l'ensemble, cette association, non seulement s'oppose à la criminalisation, mais nous demande en plus de franchir l'étape suivante et de légaliser l'usage de certaines drogues.
Certains organismes regroupent autant de membres que l'Association du Barreau canadien. L'Association médicale canadienne n'a pas parlé aussi fort ici, mais je crois comprendre que certains de ses membres sont aussi d'avis que la guerre contre les drogues qui a été lancée avec force par Ronald Reagan ne donne pas les résultats escomptés. Ils prétendent que nous faisons fausse route, que nous dépensons tout cet argent en pure perte. Nous devrions réduire l'usage des drogues, mais pas de la façon dont nous le faisons actuellement.
M. Perkins: Premièrement, j'aimerais faire des observations sur l'Association du Barreau canadien. Si les médias ont bien rapporté les déclarations du dirigeant de l'association, je peux comprendre pourquoi celle-ci tient à légaliser les drogues: elle n'a pas la moindre idée de l'ampleur du problème.
Deuxièmement, nous ne nous livrons pas à une guerre contre les drogues au Canada. Cette guerre a été déclarée aux États-Unis, plus particulièrement au Texas, par Ronald Reagan. La stratégie du Canada en matière de drogues, si vous voulez la désigner ainsi, est à l'opposé de ce qui se fait aux États-Unis.
Nous avons échoué du fait que nous en sommes venus à faire preuve de suffisance à propos de ce problème. Si vous observez les réputations de certains des organismes qui ont été représentés ici, vous constaterez que quelques-uns, qui profitent de l'argent des contribuables, préconisent pour le Canada une politique permissive en matière de drogues, simplement pour satisfaire leur ego.
M. Burford: L'avocat à qui j'ai fait référence, et qui préconise l'addition, est Ben Fedunchak, un des dix criminalistes les plus connus au Canada. Il est en désaccord avec le témoignage qui a été présenté ici. En fait, il l'a en aversion.
Je me suis d'abord intéressé à la question lorsque j'étais directeur d'école secondaire. J'ai assumé la présidence du Ontario Secondary School Principals Drug Education Committee. J'étais très au courant des orientations politiques de certains groupes au Canada. À cette époque, c'est-à-dire en 1979, l'Association du Barreau canadien était en faveur de la légalisation des drogues. L'Association médicale canadienne adoptait une attitude tout aussi négative. Je sais qu'elle s'est quelque peu ravisée depuis. L'Ontario Medical Association s'est toujours opposée farouchement à la position de l'Association médicale canadienne. Peut-être a-t-elle pu infiltrer ses rangs.
Ces courants de pensée existaient à l'époque, et ils se manifestent encore aujourd'hui. Ces gens ne travaillent pas directement avec les jeunes. Ils ne côtoient pas les jeunes qui se sont engagés à tenter d'aider les autres. Ils restent assis dans leur bureau luxueux ou dans une tour d'ivoire. Votre perspective est bien différente lorsque vous oeuvrez au sein de la population.
Le sénateur Jessiman: Avez-vous lu dans le Globe and Mail du 18 avril 1996 l'article qu'a écrit John Barber à propos de l'expérience de Francfort?
M. Perkins: Oui.
Le sénateur Jessiman: Les responsables adoptent des méthodes différentes. Ils font des essais. Ils visent à anéantir complètement le commerce au grand jour des drogues qui affligeait jadis le centre-ville, à réduire de 20 p. 100 les vols commis dans la rue ou dans des voitures et à ramener de trois par jour à deux par semaine le nombre d'appels d'urgence reliés aux drogues. C'est parce qu'ils ont libéralisé quelque peu leur démarche. Ils ont créé ce qu'ils appellent des «salles de santé».
Je souscris honnêtement et entièrement à ce que vous nous dites, c'est-à-dire que le monde tel que nous le connaissons cessera d'exister si nous laissons les gens consommer ces drogues. Toutefois, d'après ce que nous croyons comprendre, même si nous voulions y parvenir, nous ne pourrions pas supprimer toute consommation. Nous ne pouvons même pas faire respecter les lois en vigueur.
M. Burford: Nous n'arrêterons pas la consommation. Nous ne sommes pas utopiques au point de croire que nous pouvons supprimer la consommation de ces drogues. Par contre, nous pouvons nous efforcer d'en prévenir l'usage.
Comme l'a dit M. Perkins, l'expression «guerre contre les drogues» n'appartient pas au vocabulaire canadien. Notre démarche consiste à tenter de réduire l'usage par des mesures préventives. Il existe des similitudes entre cette optique et la «réduction des méfaits» dus aux drogues. Nous voulons traiter les toxicomanes avec compassion. Nous aimerions qu'ils reçoivent des traitements adéquats.
En Ontario, nous disposons de programmes de traitement à la méthadone et de programmes d'échange de seringues. Cependant, nous ne disons pas qu'il est bien de prendre de la drogue. Nous devons enseigner aux gens à gérer leur consommation de drogue.
Connaissez-vous des alcooliques?
Le sénateur Jessiman: J'en connais beaucoup.
M. Burford: Vous savez qu'on ne peut enseigner à un alcoolique à gérer sa consommation d'alcool. Il n'arrive jamais qu'un toxicomane ou l'épouse d'un toxicomane, cocaïnomane, héroïnomane ou autre m'appelle et me dise: «Pouvez-vous me dire où je pourrais m'adresser pour savoir comment mon mari pourrait réduire sa consommation de cocaïne ou de crack?» Ils veulent tous cesser de consommer.
Le sénateur Jessiman: Il en va de même pour un alcoolique, qui ne doit pas consommer une seule goutte d'alcool.
M. Burford: Certains organismes réussissent à amener les toxicomanes à cesser de consommer ces drogues. Nous ne sommes pas assez compatissants au Canada. Je reconnais avec vous que nous pouvons tirer des leçons de la réduction des méfaits causés par les drogues. Il nous faut viser davantage à aménager des installations de traitement adéquates. Les gens attendent en file pour y entrer.
Le sénateur Jessiman: Certaines personnes deviennent alcooliques de la même façon que d'autres deviennent toxicomanes. D'après ce qu'on nous dit, certaines personnes au moins peuvent prendre de la marijuana puis s'en détourner, tout comme certains peuvent boire un verre de scotch à l'occasion et s'en désintéresser par la suite.
De toute évidence, aucun d'entre vous n'accepte les recommandations de la Commission LeDain.
M. Burford: Je crois comprendre que M. LeDain ne les approuve pas non plus.
Le sénateur Jessiman: A-t-il écrit quelque chose en ce sens depuis?
M. Burford: Oui, je le crois.
Le sénateur Jessiman: Je ne le savais pas.
M. Perkins: Lorsque ce projet de loi était étudié en comité à la Chambre des communes, il a été question du rapport de la Commission LeDain. Le président du comité était alors M. Szabo. C'est un représentant de la Fondation de la recherche sur l'alcoolisme et la toxicomanie qui a fait référence au rapport. Les deux ont convenu que ce document était désuet et qu'il ne devrait pas servir de cadre de référence permanent.
Le sénateur Losier-Cool: J'ai enseigné au secondaire pendant plus de 30 ans et je comprends que vous vous préoccupiez des jeunes et de la façon dont nous devrions les aider.
J'ai parfois l'impression qu'en voulant les aider, nous cherchons en même temps à les protéger. Une loi comme celle-ci pourrait constituer un outil punitif pour y parvenir.
Monsieur Perkins, vous avez dit qu'en Suède, la toxicomanie devait obligatoirement être traitée. Si un jeune adolescent estime qu'il éprouve un problème de drogue, alors en reconnaissant ce problème, il admet par le fait même qu'il est un criminel. Après tout, si nous ne décriminalisons pas la marijuana, ce jeune est effectivement un criminel. Voilà comment nous donnons à ces jeunes la chance de demander de l'aide.
Voyez-vous une différence entre la décriminalisation de drogues douces comme la marijuana et la légalisation de la marijuana, ou êtes-vous opposé aux deux?
M. Perkins: Premièrement, je ne suis pas d'accord pour dire que la marijuana est une drogue douce. Je crois que cette fausse appellation minimise radicalement les effets de cette drogue.
Deuxièmement, vous avez dit que si un jeune admet éprouver un problème de drogue et cherche de l'aide, alors nous sommes en présence d'un criminel. En ce qui me concerne, ces jeunes ne sont pas des criminels tant qu'ils n'ont pas été reconnus coupables d'un crime. Si un jeune est aux prises avec un problème de drogue et cherche de l'aide, nous devrions faire tout notre possible pour le secourir. En ce moment, nous ne disposons tout simplement pas des ressources pour le faire.
J'ai rencontré deux jeunes gens incarcérés pour leurs problèmes de drogue. La première, une jeune femme, était en prison parce qu'elle avait poignardé un homme à mort. L'autre avait été reconnu coupable d'un cinquième vol à main armée. La seule raison pour laquelle ils avaient été admis dans le centre de traitement où ils se trouvaient était qu'ils avaient été condamnés pour leurs crimes.
Voilà ce qui ne va pas dans notre pays. Nous n'avons rien d'autre à offrir aux jeunes. C'est ça qui est malheureux. Je ne crois pas que la décriminalisation ou la légalisation réglera ce problème. Si la marijuana n'est pas consommée par plus de gens, c'est parce qu'elle est illégale. Si nous supprimons cet interdit, nous nous retrouverons avec des problèmes autrement plus graves que ceux que causent l'alcool ou le tabac. On ajoutera seulement une autre drogue à la liste.
M. Burford: Madame la présidente, vous connaissez probablement le projet de loi C-41. Celui-ci permettra d'intervenir auprès de quelqu'un qui est toxicomane. Je n'utilise jamais le terme «criminel». Si vous retenez la définition de «criminel» que font circuler les promoteurs des drogues, alors je suis moi-même un criminel parce que je sais que j'ai conduit avec les facultés affaiblies il y a plusieurs années, quand j'étais encore écervelé. Je suis sûr qu'il se trouve ici d'autres criminels pour la même raison. Je ne crois pas être un criminel parce que j'ai agi ainsi. Je ne crois pas non plus qu'un jeune soit un criminel parce qu'il consomme de la marijuana.
Le projet de loi C-41 a beaucoup de mérites. Il légitimera et légalisera un système utilisé à maintes reprises par le passé.
Nous avons un consultant qui travaille fort auprès de familles dans les environs de Toronto. Il intervient lorsqu'un jeune en difficulté se retrouve devant un juge. Il décrit les efforts que le jeune déploiera pour atténuer son problème et le centre de traitement qui est disposé à l'accueillir. Il ne considère pas le jeune comme un criminel. Je ne le considère pas non plus comme tel. Je le vois plutôt comme quelqu'un qui a besoin qu'on l'aide et qui semble en voie de prendre la bonne décision pour obtenir cet appui.
Le sénateur Losier-Cool: J'aimerais vous poser une question personnelle. Je suis sûre que pendant votre carrière de directeur d'école secondaire, vous avez trouvé deux ou trois de ces sacs dans la case d'un de vos élèves. Qu'avez-vous fait?
M. Burford: Je vous ai dit que j'aimais bien les choses claires. J'ai expliqué très clairement que je ferais respecter les lois du pays et que si ces lois étaient enfreintes, la police interviendrait.
Le sénateur Losier-Cool: Le jeune s'est donc retrouvé avec un casier judiciaire, n'est-ce pas?
Le sénateur Nolin: C'est exact.
M. Burford: Il n'est arrivé qu'une fois qu'un élève ait été en possession de marijuana dans les limites de l'école. Vous pouvez le traiter de criminel, mais pour moi, il s'agit d'une jeune personne qui a appris de cette expérience. Il est très important de ne pas penser en termes de punition, mais plutôt de conséquences qui peuvent être valables.
Le sénateur Losier-Cool: Je suis d'accord.
M. Burford: Ce jeune homme n'a pas payé d'amende. Il a été absout sous condition et a dû faire certains travaux à l'école. Le résultat a donc été beaucoup plus valable. Personne ne l'a considéré comme un criminel à l'école, et moi non plus. Je sais qu'il est à la mode pour les promoteurs de la marijuana et des drogues de dire: «Vous en faites des criminels.» Je ne suis certainement pas d'accord avec eux.
Nous sommes en présence de jeunes qui ont commis une légère erreur. Si vous leur manifestez de l'intérêt et faites preuve de compassion à leur endroit, il est probable qu'ils réagiront positivement.
Le sénateur Losier-Cool: Je suis entièrement d'accord avec vous. Cependant, nombre de jeunes Canadiens ne rencontreront pas une personne compatissante comme vous. Il se peut que leurs parents ne se montrent pas compréhensifs. Ils ne seront en contact qu'avec le système judiciaire, et d'après la loi, ce sont des criminels. C'est ce qui m'inquiète.
M. Perkins: Nous oublions les efforts déployés pour aider les jeunes gens. Nous n'avons malheureusement pas la chance d'aider bien des jeunes avant qu'ils ne comparaissent en cour. C'est là notre point faible.
Le sénateur Losier-Cool: C'est entièrement vrai.
La présidente: Tous les membres du comité sont d'accord là-dessus.
M. Burford: J'aimerais ajouter que lorsque les jeunes aboutissent devant un tribunal, nous devrions essayer de les aider au lieu de les punir.
Le sénateur Nolin: Nous nous entendons tous sur ce point.
Le sénateur Doyle: Pour faire suite à votre commentaire à propos des efforts pour aider vos jeunes, j'aimerais dire que lorsque mes enfants ont finalement grandi -- ou au moins atteint un åge où on croirait qu'ils ont acquis leur maturité -- ils m'ont confié, au cours d'une soirée hilarante, qu'ils m'avaient en fait protégé en me cachant ce qu'ils savaient à propos de ce qui se passait à leur école, dans leur milieu et dans leur petit monde; je croyais que cela ne se passait qu'au sud de la frontière.
La culture de la drogue est envahissante en ce sens que, même si tout le monde ne consomme pas de la drogue, les personnes appartenant au groupe d'åge qui est en faveur des drogues ne voient pas trop d'un mauvais oeil ceux qui en consomment. Ils n'en sont pas trop incommodés jusqu'à ce que quelqu'un se retrouve en sérieuse difficulté, habituellement à la suite d'une intervention soudaine des forces de l'ordre; ou jusqu'à ce qu'on combine consommation de drogue et conduite automobile.
Nous parlions de la Commission LeDain. Je crois que le seul point sur lequel le juge LeDain s'est ravisé avait trait aux effets que la drogue pourrait avoir sur la santé des jeunes, et c'est bien le seul point. Il a exprimé des réserves sur le cannabis et la consommation effrénée de marijuana.
Je me souviens de la Commission LeDain. Je me rappelle certains des arguments très frappants qui ont été présentés au juge. Un argument qu'il n'a jamais pu réfuter et auquel je n'ai jamais vu de réponse tient à ce qui se passe lorsque 40 000 personnes sont réunies dans un stade et que 80 p. 100 d'entre elles sont sous l'influence de la drogue. Faut-il envoyer la police les arrêter ou attendre simplement que le directeur de l'école secondaire trouve quelqu'un dans son sous-sol et appelle les agents?
Comment réagissez-vous à ce problème, monsieur Burford?
M. Burford: Vous parlez d'un spectacle rock?
Le sénateur Doyle: Il pourrait s'agir d'un spectacle rock ou d'une compétition olympique. N'écrivons pas n'importe quoi à propos du rock.
M. Burford: Je suis allé au stade de l'Exposition nationale canadienne et au Sky Dome, et je n'ai vu personne consommer ouvertement de la drogue.
Le sénateur Doyle: J'ose dire que si vous aviez 40 ans de moins, vous le verriez et vous sauriez où vous en procurer.
Je vais vous raconter une anecdote qui me concerne. Avant d'entrer au Sénat, je travaillais pour un journal. Je dirigeais les conférences du comité de rédaction. Nous décidions des sujets à propos desquels nous tirions la sonnette d'alarme. Un jour que notre choix s'était arrêté sur le problème de la marijuana, j'ai exprimé l'avis que ce problème était exagéré et qu'on ne vendait pas de drogues partout. Un membre du comité, qui n'avait pas 30 ans, m'a dit: «Donnez-moi dix minutes.»
M. Burford: Je ne vois pas pourquoi il avait besoin de dix minutes.
Le sénateur Doyle: Il a probablement pris ce temps pour éviter de s'approvisionner à l'intérieur même de notre édifice. Il est sorti et est revenu me montrer plusieurs échantillons de drogues diverses.
Je n'aurais pas su où chercher moi non plus, et je n'aurais pas pris conscience de ce qu'est le commerce de la drogue.
Il est très difficile de poser des interdictions et de prévoir des peines à l'intention d'un jeune qui connaît et voit les endroits où circulent des centaines ou des milliers de personnes que la police ne fait aucun effort pour contrôler, punir ou changer.
M. Burford: Je devrai me rendre à un de ces rassemblements et voir si ce que vous dites est vrai. Mais même si ça l'était, je ne crois pas que ce soit une raison pour abandonner.
Le sénateur Doyle: Ce n'en est pas une, mais c'est une raison pour aborder la question sous un angle différent.
M. Burford: Je suis en faveur d'aborder la question sous un angle différent. Nous avons dit qu'il faudrait insister plus sur l'éducation que sur la punition et offrir diverses options pour que le résultat soit valable.
Nous parlons d'une loi. On peut prendre d'autres mesures d'information préventive pour changer la situation et éviter que les jeunes dans la vingtaine qui assistent à des spectacles rock ne fument de la marijuana ou ne prennent du LSD.
Le sénateur Jessiman: Tenons pour acquis que la consommation de drogue est illégale. Ce n'est pas pire que, disons, faire des excès de vitesse. On vous met à l'amende pour cela, mais vous ne devenez pas un criminel pour autant. C'est ce qui s'est passé ici. Vous nous dites -- et je suis d'accord avec vous -- que vous ne considérez pas la consommation de drogue comme un crime. Mais si le consommateur est pris et reconnu coupable, il devient un criminel. On essaie de nous dire qu'il n'est pas un criminel et qu'il n'aura pas de casier judiciaire, mais il est effectivement un criminel, peu importe ce qu'on dit.
M. Perkins: Si vous êtes arrêté pour conduite avec facultés affaiblies et reconnu coupable, vous devenez un criminel.
Le sénateur Jessiman: Il ne faut pas confondre conduite avec facultés affaiblies et excès de vitesse. Il existe des milliers d'infractions à la loi qui ne font pas de leurs auteurs des criminels.
M. Perkins: Il faudrait peut-être éliminer la combinaison alcool et conduite car elle vous vaut un casier judiciaire.
Le sénateur Jessiman: Je dis que dans bien des cas, le fait d'enfreindre la loi vous vaut une amende, mais ne fait pas de vous un criminel.
Si la possession simple de marijuana -- non le commerce, mais le fait d'en avoir en sa possession et, peut-être, d'en fumer -- doit être illégale, soit. Je ne crois pas qu'elle doive l'être, mais disons qu'elle l'est. Le contrevenant sera mis à l'amende, mais il n'aura pas de casier judiciaire. C'est dans cette direction, je pense, qu'il faut aller.
M. Burford: Je suis content que vous ayez soulevé la question des excès de vitesse. Je vois de ces excès partout, mais je n'entends personne dire: «Légalisons les excès de vitesse. Abolissons les lois qui les interdisent.»
M. Perkins: Si j'étais arrêté en possession d'une quantité de marijuana et que je prétendais que c'est pour ma consommation personnelle, à quel rythme devrais-je la fumer avant qu'elle ne perde sa puissance?
Le sénateur Jessiman: Il faudrait que vous me le disiez. Je l'ignore.
M. Perkins: Elle la perdrait assez vite. Au rythme d'un joint par jour, il vous faudrait trois mois pour tout fumer, mais elle aurait alors probablement perdu la plus grande partie de sa puissance. Qu'en feriez-vous alors? Vous vendriez votre petit sac de 30 grammes.
Le sénateur Jessiman: Nous ne parlons pas de cala.
M. Perkins: Vous dites que la possession ne devrait pas être un crime.
La présidente: Ce n'est pas ce que nous disons. Les propos de nombreux membres du comité et la question qu'ils posent tournent autour de la décriminalisation, et non de la légalisation.
M. Burford: La question a été posée il y a peu de temps. Dans notre emportement, nous n'y avons pas répondu. En décriminalisant, vous pouvez adoucir les mesures au point où il n'y aura plus de différence, et vous aboutirez inévitablement à la légalisation. La décriminalisation prépare le terrain. Que vous utilisiez le terme légalisation ou non, celle-ci est un fait accompli si vous tolérez la consommation. C'est cette situation qui favorise la consommation et qui doit être évitée pour le bien de nos jeunes et du pays.
[Français]
Le sénateur Nolin: La plupart de mes questions ont été posées. Je veux revenir à la situation de la disponibilité des drogues. Le cas des Américain est patent. Malgré tout les efforts financiers et les ressources humaines mises à la disposition des forces policières pour contrer la présence des drogues douces ou dures, cela n'a pas fonctionné. La disponibilité des drogues au États-Unis n'est pas uniquement semblable à ce qu'elle était avant, elle a augmenté au grand bénéfice du monde interlope et des criminels contre lesquels on devrait mettre plus d'efforts.
Vous avez soulevé le cas de la Suède. Cela m'intrigue parce que c'est la première fois que l'on nous parle de l'expérience suédoise. J'aimerais bien que nous puissions communiquer avec les personnes qui connaissent bien la situation en Suède. Ils seraient les meilleurs témoins capables de nous informer de la situation exacte de ce qui se passe en Suède. Avant que vous souleviez le cas de la Suède, je voyais deux types de pays, d'une part, les pays qui sont très prohibitionnistes, le Canada étant presque l'un deux. Les américains mènent sûrement la liste des pays prohibitionnistes. D'autre part, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et les Pays Bas qui adoptent des méthodes que vous catégoriseriez de plus délinquantes et qui visent surtout la réduction des effets nuisibles des drogues.
Je mets de côté le cas de la Suède parce que vraiment celui-ci est nouveau. Vous n'avez pas réussi à me convaincre que la prohibition soit la solution. L'exemple américain, nous démontre que cela ne fonctionne pas. Les prisons sont remplies de criminels qui ont commis des offenses criminelles en rapport à la possession ou au trafic des drogues. Entendons-nous bien, l'effet des drogues, si légères soient-elles, est très nuisible au même rang que l'alcool et le tabac.
J'ai l'impression, après avoir entendu plusieurs témoins, que l'approche suggérée par l'Angleterre, l'Italie l'Espagne et les Pays Bas, est beaucoup plus respectueuse de l'être humain.
Finalement, j'argumente avec vous et je ne vous pose pas de question. J'ai l'impression que l'on ne se réconciliera jamais. Je dois vous dire ce que je pense.
L'approche des pays que j'ai mentionné plus tôt, est beaucoup plus respectueuse de l'être humain. La prohibition établit par l'État prend en compte que l'être humain à de la misère à se responsabiliser. On lui impose de respecter des règles. La consommation de drogues légères comme le cannabis, et je m'excuse si j'utilise le mot «légères», fait des dommages à l'individu qui en fait l'usage. Je ne sais pas si vous avez exagéré ou si d'autres témoins ont sous-estimé la réalité, mais je pense que l'on s'entend pour dire que la consommation de ces drogues cause des dommages. À quel degré? Je l'ignore.
Les effets de cette consommation sur ceux qui entourent l'usager, est une autre paire de manche. L'individu qui conduit en état d'ébriété, définitivement, c'est un criminel. Il met en danger la vie des autres. L'usager de marijuana, s'il ne conduit pas son automobile, est-ce qu'il met en danger la vie d'autres personnes? Peut-être qu'il met sa santé en danger. Est-ce qu'il met en danger celle d'un autre? Je n'ai pas été convaincu de cela encore.
L'approche de ces pays me semble beaucoup plus respectueuse de la responsabilisation des individus que la méthode utilisée par les Américains. J'aimerais avoir vos commentaires sur le petit discours que je viens de vous faire.
[Traduction]
M. Burford: Plusieurs points importants sont soulevés, et vous ne connaissez probablement pas le cas suivant. Il s'agit d'une très belle jeune femme qui conduisait sa voiture sous l'influence de la marijuana. Six personnes ont péri dans cet accident.
Le sénateur Nolin: C'est criminel.
M. Burford: Vous laissez entendre que la consommation de drogue ne fait de mal à personne.
Le sénateur Nolin: Ce n'est pas ce que je dis.
M. Burford: L'interprète a peut-être mal rendu le message, mais c'est ce que nous avons cru comprendre.
Le sénateur Nolin: Je vais le répéter en anglais. Je ne prétends pas que quelqu'un qui est sous l'influence du cannabis peut conduire et se comporter comme tout citoyen ordinaire. Comme il menace la santé, la sécurité et la vie d'autres personnes, il fait un geste criminel. Mais si l'on ne parle que de la santé et de la vie de cette personne, c'est elle qui en est maître. C'est pourquoi j'ai fait référence à la responsabilisation de l'individu.
[Français]
Le sénateur Nolin: Un témoin nous a dit, la semaine dernière, qu'il était plus dangereux de prendre de l'alcool que de fumer du cannabis. Vous semblez nous dire le contraire. J'avais l'impression que celui qui nous disait cela en avait déjà consommé. Dans votre cas, je ne suis pas sûr que vous en avez déjà consommé. Je lui donne, disons, un point de plus quant à la crédibilité de son affirmation.
[Traduction]
M. Burford: Autour de chacun évolue un réseau de proches. Ce qui arrive à quelqu'un produit un effet sur son entourage. On ne peut pas vraiment dire que si je fais quelque chose de mauvais pour moi ou pour d'autres, je serai le seul à en souffrir; toute ma famille et mes amis en souffriront aussi. On ne peut parler d'un crime sans victime, car le réseau de personnes qui entoure l'individu sera touché.
Le sénateur Nolin: Les pays que j'ai cités ont déployé des efforts parallèles pour sensibiliser plus de gens aux effets de la consommation de drogues. Ils font des efforts positifs et dynamiques.
M. Burford: Mais la question n'est pas aussi nettement tranchée que vous semblez le croire. Il existe en Europe un organisme appelé Villes européennes contre les drogues. Zurich était aux prises avec un problème assez semblable à celui de Francfort. Les toxicomanes se réunissaient dans un parc qu'il a fallu fermer à cause de tous les problèmes que cela amenait. Les toxicomanes se sont alors déplacés dans une gare ferroviaire qu'il a fallu également fermer. Parmi les 197 villes européennes qui font partie de Villes européennes contre les drogues, on compte environ 10 villes suisses. Le mouvement ne s'étend pas à toute l'Europe. Les autorités de 197 villes considèrent qu'elles ne croient pas à la réduction des méfaits causés par les drogues, mais s'efforcent plutôt d'aider les gens, de prévenir les problèmes et de traiter les intéressés lorsqu'ils se retrouvent en difficulté. L'affirmation selon laquelle les Hollandais sont plus compatissants ou se soucient davantage de leur prochain est vraiment difficile à vérifier.
Le sénateur Nolin: Ce n'est pas ce que je dis.
M. Burford: Je ne crois vraiment pas que cette affirmation soit justifiée.
[Français]
Le sénateur Nolin: Il y a entre deux et trois millions de Canadiens qui utilisent du cannabis, tout dépend des témoins que l'on entend. On a, je pense, aucun moyen de savoir combien il y en a, mais c'est beaucoup de monde sur une population de 30 millions. C'est énorme.
L'usage de ces drogues après une période de temps peut nous indiquer si la méthode utilisée est bonne ou moins bonne. De toute évidence, le cas des Américain -- doit nous aider à mettre un effet sur ce que j'appelle la méthode prohibitionniste -- ne nous donne pas les effets. Regardons ailleurs pour savoir quelles ont été les conséquences de l'application d'une autre méthode. C'est pour cela que je parle non pas de tous les pays européens, de toutes les villes européennes mais de quatre pays. Nous avons à choisir entre c'est deux approches.
Je suis conscient que vous nous suggérez une alternative plus humanitaire à la méthode prohibitive. Empêchons les drogues mais aussi investissons dans l'éducation et dans les méthodes pro-actives. Je pense qu'il faut faire cela quelque soit l'approche que nous allons prendre.
Lorsqu'il y a deux millions de Canadiens qui sont convaincus qu'ils ne commettent pas une crime ou que ce n'est pas un crime grave et que l'on s'entête à vouloir alourdir les peines et mettre plus d'argent dans l'effort policier et de prohibition, on ne réussira pas. Tout ce que l'on va réussir à faire c'est de faire des criminels avec des enfants de 14, 16 et 20 ans. C'est le dilemme que nous avons. Je n'ai pas l'impression de vous convaincre. Vous ne m'avez pas convaincu que la méthode prohibitive était encore la voie à suivre pour une drogue comme le cannabis.
[Traduction]
M. Burford: Vous ne m'avez pas convaincu que ce serait une bonne chose pour le pays si trois quarts de million de jeunes étaient davantage exposés à des risques à cause du cannabis, davantage menacés de perdre leur potentiel humain, une des plus grandes tragédies qui puissent se produire, et davantage menacés d'être impliqués dans des accidents causant la mort ou des blessures graves et de souffrir d'autres problèmes de santé. Vous ne m'avez pas convaincu, certainement pas.
Le sénateur Nolin: Mais la drogue est déjà répandue.
M. Burford: Elle ne l'est pas tant que ça.
Le sénateur Nolin: Voyez ce qui se passe aux États-Unis. La drogue y est répandue. Le crack est bon marché.
M. Burford: Au Canada, nous adoptons une approche très différente. Nous nous occupons plus de prévenir que de sévir.
La présidente: Monsieur Burford, peut-être M. Perkins voudrait-il participer au débat.
M. Perkins: Je n'ai pas vraiment envie de discuter de décriminalisation. Vous avez parlé de tout ce monde en prison aux États-Unis. Par habitant, les Pays-Bas incarcèrent plus qu'aux États-Unis pour des infractions reliées aux drogues. C'est un fait.
Le sénateur Gigantès: Pas pour la marijuana.
M. Perkins: Ils n'intentent pas de poursuites pour la marijuana, point final. Aux Pays-Bas, la marijuana n'est ni légale ni décriminalisée.
Le sénateur Gigantès: Il faisait allusion au cannabis, non à d'autres drogues.
M. Perkins: On n'emprisonne pas aux Pays-Bas pour la marijuana parce que les autorités ont choisi de ne pas appliquer les lois anti-drogue, et les jeunes y suscitent un problème énorme. Ceux-ci pensent qu'il n'y a pas de mal à consommer parce qu'on ne les a pas sensibilisés au problème.
Le sénateur Nolin: Ce n'est pas ce que disent d'autres témoins qui ont comparu ni les publications hollandaises officielles. Nous soupèserons tous ces témoignages. Néanmoins, la drogue -- et c'est ce que soulignait le sénateur Bryden -- est disponible. C'est un fait.
M. Perkins: À l'heure actuelle, environ 70 p. 100 des Hollandais en ont assez de la politique de leur pays en matière de drogue. Ils veulent que le gouvernement se montre plus ferme.
Le sénateur Nolin: En avez-vous la preuve?
M. Perkins: Oui. Je vous l'ai soumise.
Le sénateur Bryden: De même, environ 70 p. 100 des Canadiens ont demandé le rétablissement de la peine de mort. Le fait que l'opinion publique soit influencée par un courant passager n'en atteste pas nécessairement la pertinence.
Le sénateur Nolin: Nous n'essayons pas de suivre les modes.
M. Burford: Je suis content de vous entendre dire que nous n'adopterons pas nécessairement un certain type de comportement du seul fait que certains le préconisent, parce que j'ai certainement vu au cours des dernières années beaucoup trop de conducteurs brûler les feux rouges. Dieu merci, nous ne demanderons pas la suppression des feux de circulation. Il y a moyen de prendre des décisions, non en se fiant aux sondages, mais en faisant preuve de bon sens et se préoccupant de nos enfants. Nos jeunes n'ont pas fait l'objet de bien des préoccupations depuis 15 minutes.
La présidente: J'aimerais poser aux deux témoins une dernière question. Elle m'est inspirée par l'expérience que j'ai acquise en enseignant au secondaire.
Lorsque j'enseignais, à la fin des années 1960, des élèves ont été condamnés à deux ans de prison moins un jour pour simple possession de marijuana. C'était l'époque où nous appliquions des lois antidrogue très sévères.
Ces sentences ne semblent toutefois pas avoir empêché une hausse de la consommation de marijuana. Les statistiques sur la consommation indiquent que celle-ci a augmenté jusqu'en 1979, environ, puis a décru considérablement. J'ai toujours été intéressée par le fait que lorsque la tendance à la baisse s'est manifestée, nous avions déjà cessé d'envoyer des jeunes en prison pour deux ans moins un jour, pour possession de marijuana.
Voyons les chiffres pour la période entre 1991 et 1996. Il est clair que de nouveau, la consommation de marijuana est à la hausse. De toute évidence, vous vous intéressez de près à la question. Quelles preuves avez-vous recueillies qui indiquent une baisse ou une hausse de la consommation d'une drogue en fonction des sanctions?
M. Burford: Je vous ai remis les résultats de notre sondage auprès d'élèves du secondaire et les résultats du sondage de la FRAT en Ontario, qui indiquent la proportion de répondants qui consommeraient, commenceraient à consommer ou consommeraient davantage si les restrictions légales étaient adoucies.
La présidente: Comme vous le savez, lorsqu'on pose différentes questions à un groupe d'élèves, on obtient des réponses très intéressantes.
Je peux vous parler de ma propre expérience avec mes deux filles. Elles m'ont indiqué qu'en se rendant à un certain escalier à Kelvin High, celui qui est le plus rapproché de Harrow, on pouvait acheter n'importe quelle drogue: marijuana, cocaïne et même héroïne. Leur attitude à ce propos était que si elles avaient le choix entre la marijuana et l'alcool, elles opteraient probablement pour la marijuana. Elles n'ont pas consommé de marijuana parce que cette drogue -- bien, je ne devrais pas dire qu'elles n'en ont jamais fait usage parce que je les soupçonne de l'avoir fait. Quoi qu'il en soit, la drogue de prédilection semblait être l'alcool plutôt que la marijuana, à cause des sanctions.
Ces jeunes disent-ils la même chose? Augmenteraient-ils leur consommation de marijuana pour, peut-être, réduire celle de l'alcool?
M. Burford: Il y a interrelation entre la consommation de marijuana, d'alcool et de tabac. La drogue associée le plus étroitement à une forte consommation est la marijuana. Ces données figurent dans les informations qui vous ont été transmises.
Lorsqu'on observe, à partir de l'étude menée par la FRAT en 1995, le pourcentage d'élèves qui ont consommé de la marijuana et celui des élèves qui ont consommé à la fois alcool et tabac, on constate que la proportion des usagers du tabac est de 75 p. 100. Environ 90 p. 100 consommaient de l'alcool. Pour les deux autres drogues, cependant, on ne trouve pas la même corrélation. Les pourcentages sont plus faibles. En d'autres termes, chez les élèves ontariens, la marijuana est la drogue qui établit le lien.
Nous en revenons, pour cette raison, à l'importance que nous attachons au fait de ne pas adoucir la loi sur la marijuana, parce que les jeunes nous ont dit qu'ils en consommeraient en très grand nombre. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de vous en aviser. Vous avez été informés. Si vous écoutez davantage les juristes qui voient rarement un enfant hors de leur cercle familial, libre à vous, mais aujourd'hui, vous êtes informés objectivement par ceux qui travaillent directement avec les jeunes.
M. Perkins: Je veux vous donner un exemple. J'ai cinq petits-enfants. Je devrais en avoir six, mais les drogues ont tué l'un d'eux. Ma fille, ancienne toxicomane, ma femme et moi sommes tous d'accord pour dire qu'au moment où ma fille consommait des drogues, la loi aurait dû intervenir. Elle l'aurait aidée et elle nous aurait aidés à l'aider. C'est tout ce que nous pouvions faire pour elle. Malheureusement, il n'y a pas eu d'intervention, et un enfant en est mort.
Vous nous dites que nous devrions rendre la consommation de drogues plus facile pour les jeunes et exposer les enfants à naître. Est-ce ce que nous voulons pour notre pays? En brûlant, le cannabis produit du benzène. Quels sont les effets du benzène? Il cause la leucémie infantile. Est-ce là ce que nous voulons faire à la prochaine génération?
Le sénateur Nolin: Est-ce si différent de la cigarette?
M. Perkins: C'est pire que la cigarette.
Le sénateur Lewis: Iriez-vous alors jusqu'à dire que le fait de rendre les sanctions plus ou moins sévères aura une incidence sur la consommation?
M. Perkins: Je dis que si vous supprimez les sanctions, la consommation explosera.
Le sénateur Lewis: Vous faites un lien avec les sanctions?
M. Perkins: Utilisez le terme sanction ou celui que vous voudrez. Nous n'avons pas encore trouvé de meilleure solution et je n'en connais pas de meilleure. J'ignore ce qu'ils ont fait en Suède.
M. Burford: Nos consultants dans les écoles me disent que la situation est la même que dans les années 1960. Le message qui ressortira de votre étude du projet de loi orientera les jeunes dans un sens ou dans l'autre. Nous vous disons, à partir de ce que les jeunes nous confient, que si vous adoucissez la loi, la consommation de marijuana grimpera en flèche. Elle explosera.
Le sénateur Lewis: Iriez-vous jusqu'à nous conseiller de recommander des sanctions plus sévères?
M. Perkins: Je ne crois pas que ce soit forcément la solution. Nous devons rendre le système plus efficace. Emprisonner les toxicomanes n'est pas nécessairement l'idéal, mais en ce moment, c'est le seul recours que nous ayons pour tenter de les aider. La personne qui est reconnue coupable par un tribunal de possession de drogue est libérée. On n'est pas responsable de ce consommateur de drogue. Il redescendra dans la rue et recommencera. Par contre, s'il est forcé de se faire traiter, soumis au dépistage de drogues et tenu de rendre davantage compte de ses actes à la société, peut-être pourrons-nous régler son problème.
Le sénateur Lewis: C'est là un autre domaine.
La présidente: Je vous remercie beaucoup d'avoir témoigné devant nous aujourd'hui. Vous nous avez donné ample matière à réflexion. Je crois qu'aucun membre du comité n'a encore arrêté sa décision sur ce que nous devrions faire à propos de ce projet de loi, de sorte que nous avions besoin de votre avis.
Je vous suis particulièrement reconnaissante pour le travail que vous accomplissez tous les deux auprès des jeunes, parce que je crois qu'ils ont vraiment besoin de cette orientation. Comme vous le savez extrêmement bien, des pressions sont toujours exercées sur les programmes d'études. Vous avez commenté le fait que les jeunes reçoivent actuellement plus d'information sur le sida, et moins sur la consommation de tabac et de drogues. C'est là une tragédie. L'un ne devrait pas exclure l'autre. Ils devraient recevoir tout cet enseignement pour pouvoir mener une vie saine. Je vous remercie tous les deux pour votre contribution.
M. Burford: En terminant, je vous exhorte à ne pas couper l'herbe sous le pied des jeunes qui veulent sensibiliser leurs camarades. Si vous adoucissez cette loi, ils en seront complètement découragés.
La présidente: Merci beaucoup.
La séance est levée.