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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 7 - Témoignages


Ottawa, le jeudi 25 avril 1996

[Traduction]

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner le projet de loi C-8, Loi portant réglementation de certaines drogues et de leurs précurseurs ainsi que d'autres substances, modifiant certaines lois et abrogeant la Loi sur les stupéfiants en conséquence.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente: Bonjour, sénateurs. Comme vous le savez, la question des obligations du Canada en tant que signataire de certains traités internationaux est l'une de celles qui nous préoccupent tout particulièrement. Ce projet de loi vise notamment à assurer le respect de ces obligations.

Nous en avons discuté avec le sénateur Nolin la semaine dernière et nous avons décidé d'inviter quelqu'un qui pourrait nous parler de nos obligations en vertu de ces traités et tenter de nous convaincre que nous pouvons les respecter même si nous modifions la loi. Inutile de préciser que nous allons entendre un autre son de cloche des gens du ministère de la Justice.

Nous avons donc réinvité un témoin que nous avons déjà entendu. À part sur la question soulevée par le sénateur Doyle, nous n'avons pas vraiment passé beaucoup de temps avec M. Gilmour à ce moment-là parce qu'il était ici en même temps qu'un certain nombre d'autres témoins. Je lui ai demandé de revenir ce matin pour nous parler strictement des traités internationaux que nous avons ratifiés, de leur contenu, de la façon dont les autres pays les appliquent et des conséquences que cela pourrait avoir pour nous.

Nous entendrons ensuite des fonctionnaires des ministères de la Justice, de la Santé et du Solliciteur général.

Bienvenue, monsieur Gilmour.

Le sénateur Nolin: Avant de laisser la parole à M. Gilmour, j'aimerais savoir s'il pourrait rester avec nous après son témoignage, pendant que nous entendrons les représentants des ministères de la Justice et de la Santé, pour participer à un débat sur certains aspects précis de l'interprétation de ces traités.

La présidente: Sénateur Nolin, c'est déjà prévu; nous avons demandé à M. Gilmour s'il pourrait rester avec nous pendant le témoignage des fonctionnaires. Il a accepté, et il répondra à toutes les questions qui pourraient lui être posées au cours de ce débat.

Monsieur Gilmour, veuillez commencer.

M. Glenn A. Gilmour, avocat, Canadian Foundation for Drug Policy: Merci, madame la présidente. Je vais vous parler du contenu des conventions internationales dont le Canada est signataire et de leurs effets dans le contexte qui nous intéresse aujourd'hui.

Il y a trois traités majeurs. D'abord la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, ensuite la Convention de 1971 sur les substances psychotropes, qui porte sur les hallucinogènes et les stimulants synthétiques, puis le protocole de 1972 modifiant certains aspects de la Convention unique de 1961 et de la convention de 1971, et enfin la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, qui date de 1988.

Je me propose de vous décrire brièvement quelques-unes des principales dispositions de ces traités et de vous résumer ce qu'ils contiennent au sujet des peines, ainsi que les restrictions qu'ils prévoient, pour vous donner une idée du contexte dans lequel ils s'appliquent.

La Convention unique sur les stupéfiants de 1961 commence par le préambule suivant:

Soucieuses de la santé physique et morale de l'humanité,

Reconnaissant que la toxicomanie est un fléau pour l'individu et constitue un danger économique et social pour l'humanité,

Le premier élément de ce traité, c'est donc la conviction que la toxicomanie constitue un fléau. Mais on peut se demander si l'usage du cannabis est vraiment aussi catastrophique que le laisse entendre ce préambule. Est-il vraiment à sa place dans ce contexte?

L'alinéa 4 1.c) stipule que:

Sous réserve des dispositions de la présente Convention...

... les parties doivent...

...limiter exclusivement aux fins médicales et scientifiques la production, la fabrication, l'exportation, l'importation, la distribution, le commerce, l'emploi et la détention des stupéfiants.

Il est clair que ce traité permet l'usage des stupéfiants à des fins médicales et scientifiques. Cet aspect est important du point de vue d'éventuels programmes expérimentaux pour les héroïnomanes. Il y a des programmes de ce genre en cours actuellement en Suisse, et il est question qu'on en mette sur pied dans le Territoire de la capitale fédérale australienne. Il s'agit d'essais cliniques - il y en a déjà eu en Suisse - visant à déterminer si, dans un contexte médical clinique, il peut être bénéfique de fournir de l'héroïne aux héroïnomanes, tant pour eux-mêmes que pour l'ensemble de la société.

Ces programmes durent depuis environ deux ans en Suisse. Ils ont donné lieu à au moins un rapport provisoire selon lequel les résultats sont très satisfaisants. Les toxicomanes sont en meilleure santé et sont nettement mieux intégrés à la société. Ce que je veux souligner, c'est que les programmes expérimentaux pour héroïnomanes qui se déroulent actuellement en Suisse sont parfaitement conformes aux dispositions non seulement de ce traité, mais aussi des autres, parce que tous ces textes prévoient au départ une exception de ce genre pour l'usage de stupéfiants à des fins médicales et scientifiques.

Vous voudrez peut-être demander des précisions aux fonctionnaires du ministère de la Justice à ce sujet-là.

Le sénateur Nolin: C'est exactement ce que je voulais dire. Si vous pensez que nous devrions être au courant de certaines choses et que la réponse du ministère pourrait nous éclairer, vous pourrez poser aux fonctionnaires les questions qui s'imposent.

M. Gilmour: Oui.

Je vais maintenant passer à la question des peines; le paragraphe 36 1 de la Convention unique de 1961 se lit comme suit:

Sous réserve de ses dispositions constitutionnelles, chaque Partie adoptera les mesures nécessaires pour que la culture et la production, la fabrication, l'extraction, la préparation, la détention, l'offre, la mise en vente, la distribution, l'achat, la vente, (...) le transport, l'importation et l'exportation de stupéfiants non conformes aux dispositions de la présente Convention (...) constituent des infractions punissables lorsqu'elles sont commises intentionnellement et pour que les infractions graves soient passibles d'un chåtiment adéquat, notamment de peines de prison ou d'autres peines privatives de liberté.

Il y a deux aspects dans cette disposition. Le premier, c'est que la Convention unique de 1961 établit une distinction claire entre les infractions punissables et les infractions graves passibles d'un chåtiment adéquat, notamment de peines de prison ou d'autres peines privatives de liberté. Il semble y avoir une démarcation très nette entre ce qu'on pourrait appeler les infractions de nature réglementaire et les actes criminels.

Le commentaire des Nations Unies au sujet de la Convention unique de 1961, c'est, en gros, que même si l'article 4 mentionne les deux types de possession, l'application de cette disposition peut varier selon les pays, en ce qui concerne l'imposition de sanctions pénales pour la possession en vue de la consommation personnelle. Certains gouvernements soutiennent qu'ils ne sont pas obligés de punir les toxicomanes qui sont en possession, en toute légalité, de stupéfiants destinés à leur usage personnel.

Autrement dit, cette interdiction vise la possession de stupéfiants dans le but d'en faire un trafic illicite. C'est une interprétation possible, et nous préférons nous y tenir.

Mais cette disposition prévoit aussi que les parties qui ne sont pas de cet avis, et qui croient que ces personnes doivent être punies en vertu de l'article 36, peuvent choisir de leur imposer seulement des peines mineures comme des amendes ou même un simple blåme. Autrement dit, elles peuvent choisir de considérer ce type d'infractions comme mineures, plutôt que comme des infractions majeures punissables de prison. Il est également important de savoir que ce traité a été modifié en 1972 par un protocole qui prévoit clairement une autre possibilité, à savoir que les parties peuvent offrir des mesures de traitement, d'éducation ou de réinsertion sociale aux toxicomanes qui ont commis des infractions de ce genre, soit en remplacement d'une condamnation ou d'une peine, soit en plus. Donc, ce traité prévoit maintenant une solution de rechange à la condamnation et à la peine. C'est un thème qui se retrouve d'ailleurs dans les deux autres conventions majeures.

La convention précise ensuite que les dispositions contenues dans cet article sont limitées en matière de compétence par la législation pénale de chacune des parties.

Les Pays-Bas sont un des principaux pays qui n'ont pas adopté l'approche prohibitionniste choisie par les États-Unis. On y retrouve un régime de décriminalisation de facto. Le crime existe en théorie, mais toute une série de directives permettent de tenir des cafés où il est possible de vendre et de consommer de la marijuana, et laissent une certaine latitude au sujet de la possession à des fins personnelles.

Le sénateur Jessiman: Ces dispositions sont-elles jugées contraires à la convention?

M. Gilmour: C'est justement là où je voulais en venir.

J'ai lu l'autre jour dans l'ouvrage de M. Jos Silvas intitulé Between Prohibition and Legalization: The Dutch Experiment in Drug Policy le chapitre consacré à l'application des lois sur les stupéfiants aux Pays-Bas. Voici ce qu'y dit l'auteur:

On retrouve aux Pays-Bas environ 1 500 cafés où il est possible d'acheter des drogues douces. Comment cette pratique est-elle conciliable avec les obligations internationales? La Convention unique et la Convention de 1988 contre le trafic illicite exigent pourtant la criminalisation de la possession, du trafic, de la vente, de la culture et de la production des drogues douces tout autant que des drogues dures. Aux Pays-Bas, c'est la loi sur l'opium qui répond à cette obligation.

Comme je l'ai mentionné, ces infractions sont prévues dans le code criminel néerlandais.

Mais les conventions des Nations Unies sur les stupéfiants ne contiennent aucune disposition sur l'application pratique de ces lois. La Convention unique reconnaît explicitement que l'application des lois peut être limitée en fonction de principes représentant un élément fondamental de la souveraineté des nations. Cette disposition permet la latitude dont les Néerlandais se sont prévalus dans leur politique sur les stupéfiants -

Leur code de procédure pénale contient des dispositions qui permettent expressément à l'accusateur public de déterminer s'il y a lieu de porter des accusations. Il peut refuser de le faire s'il considère que ce ne serait pas dans l'intérêt public, et les directives le confirment.

- en considérant le principe juridique de la convenance comme un principe fondamental de leur souveraineté, les Néerlandais ont pu mettre en place une politique de non-application (partielle) des dispositions de leur loi sur l'opium.

Dans ce cas, le système de justice pénale du pays est tel qu'il est possible d'invoquer un principe qui fait que la convention elle-même n'est pas violée. Dans la mesure où ce principe est conforme au principe de la souveraineté, on ne peut pas dire que les Néerlandais contreviennent à la convention. C'est la même chose pour la Convention de 1988; je vous en reparlerai.

La Convention de 1988 des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes porte en grande partie sur cette interprétation au sujet du trafic illicite de stupéfiants.

Voici ce qu'on peut y lire au sujet de la portée de la convention:

L'objet de la présente Convention est de promouvoir la coopération entre les Parties de telle sorte qu'elles puissent s'attaquer avec plus d'efficacité aux divers aspects du trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes qui ont une dimension internationale. Dans l'exécution de leurs obligations aux termes de la Convention, les Parties prennent les mesures nécessaires, y compris des mesures législatives et réglementaires compatibles avec les dispositions fondamentales de leurs systèmes législatifs internes respectifs.

La convention de 1988 prévoit toute une série d'infractions. La première concerne expressément le trafic, qui inclut la culture du cannabis. Il y a ensuite une deuxième disposition majeure qui porte exclusivement sur l'infraction que constitue la consommation personnelle. Je vais vous lire cet article pour vous donner une idée des réserves qui y sont prévues.

Le paragraphe 3 2. de la convention se lit comme suit:

Sous réserve de ses principes constitutionnels et des concepts fondamentaux de son système juridique, chaque Partie adopte les mesures nécessaires pour conférer le caractère d'infraction pénale conformément à son droit interne, lorsque l'acte a été commis intentionnellement, à la détention et à l'achat de stupéfiants et de substances psychotropes et à la culture de stupéfiants destinés à la consommation personnelle en violation des dispositions de la Convention de 1961, de la Convention de 1961 telle que modifiée ou de la Convention de 1971.

Cette disposition est essentiellement le résultat d'un compromis. Pendant les négociations portant sur la convention de 1988, le Mexique avait apparemment soulevé l'objection que le fardeau semblait peser trop lourd sur les nations productrices et il avait insisté pour qu'il y ait un certain équilibre dans le traité. C'est ainsi que cette disposition y a été ajoutée.

Vous remarquerez les réserves qu'elle contient. L'obligation qui y est imposée est assujettie aux principes constitutionnels et aux concepts fondamentaux du système juridique de chaque État. En outre, elle ne s'applique qu'à la consommation personnelle, contrairement à la convention de 1961. Et elle reprend l'exemption touchant les fins médicales et scientifiques.

Un des éléments à retenir, c'est que la Convention s'applique «sous réserve (des) principes constitutionnels (de chaque État) et des concepts fondamentaux de son système juridique». Il y a eu en Allemagne, en 1994, une décision sur la constitutionnalité de la loi de ce pays en matière de stupéfiants. Le tribunal a statué que cette loi était constitutionnelle, mais il a également soutenu que la police et l'accusateur public ne devraient pas l'appliquer dans les cas de possession de petites quantités de cannabis destinées exclusivement à un usage personnel. Cette interprétation se fondait encore une fois sur certains aspects du système juridique du pays, à savoir les principes de la convenance et de la relativité. Le tribunal avait conclu que le chåtiment devait être proportionnel au crime.

Mon interprétation, c'est que même si le tribunal constitutionnel allemand n'a pas jugé inconstitutionnelle la principale loi de ce pays en matière de stupéfiants, il a quand même rendu une décision judiciaire selon laquelle la possession de petites quantités de cannabis destinées exclusivement à un usage personnel ne devrait pas être matière à accusation.

J'ai mentionné que toutes ces conventions proposent des mesures de rechange. Pour les infractions mineures liées au trafic, elles prévoient que les parties peuvent offrir des mesures comme l'éducation et la réinsertion sociale en remplacement par exemple d'une condamnation ou d'une peine. Cette disposition s'applique aussi à l'infraction touchant la consommation personnelle, et même de façon plus large. L'alinéa 3 4.d) se lit en effet comme suit:

Les Parties peuvent prévoir que des mesures de traitement, d'éducation (...) ou de réinsertion sociale de l'auteur de l'infraction soit remplaceront la condamnation ou la peine (...) soit s'y ajouteront.

Il est clair que ces traités permettent d'appliquer d'autres mesures correctives, notamment des mesures d'éducation, au lieu d'une condamnation ou d'une peine.

Les mots «sous réserve de ses principes constitutionnels et des concepts fondamentaux de son système juridique» soulèvent évidemment la question de la définition des concepts fondamentaux de notre propre système de justice pénale. Mon interprétation, c'est qu'il est tout à fait possible de soutenir que la décriminalisation du cannabis, par exemple, serait parfaitement conforme à nos principes constitutionnels et aux concepts fondamentaux de notre système de justice pénale, et qu'elle ne serait par conséquent pas contraire aux dispositions de cet article.

En 1976, la Commission de réforme du droit du Canada a publié un rapport sur le droit pénal canadien dans lequel elle établissait toute une série de critères sur la criminalisation de certaines activités. Le concept selon lequel le droit pénal s'appuie sur le principe fondamental de la modération était au coeur de son argumentation.

À mon avis, il est tout à fait possible que les concepts fondamentaux de notre système de justice pénale incluent le principe de la modération dans l'application de la loi et que, par conséquent, il soit parfaitement approprié de nous demander si nos dispositions pénales au sujet des stupéfiants sont conformes à ce principe de modération.

Le ministère de la Justice a d'ailleurs publié à ce sujet, en 1981, un document dans lequel il énonçait certains principes relatifs à ce qu'on appelait alors la révision du droit pénal, qui avait été entreprise pour revoir de fond en comble le droit pénal canadien et qui incluait le travail de la Commission de réforme du droit. Un des principes que le ministère approuvait dans ce document, c'est que le droit pénal doit porter uniquement sur les actes pour lesquels les autres moyens de contrôle social sont insuffisants ou inappropriés et qui empiètent sur les droits et libertés individuels, et seulement dans la mesure nécessaire pour atteindre l'objectif visé.

Quelles sont donc les options possibles à la lumière de ces dispositions? Une des meilleures analyses sur lesquelles j'aie réussi à mettre la main ces dernières années se trouve dans une monographie préparée dans le cadre de la stratégie nationale australienne sur les drogues, par un groupe de travail mis sur pied pour étudier la question du cannabis et les modifications qu'il serait possible d'apporter aux lois australiennes sur cette substance. Les auteurs y énumèrent toute la gamme des options offertes en vertu de ces traités, et concluent que diverses interprétations sont possibles pour l'application de toutes ces conventions internationales dans le cas du cannabis. Ces options vont de la prohibition totale - la politique que défend actuellement le gouvernement, en fait - à ce qu'on appelle une amende administrative. Cette dernière formule est déjà appliquée dans deux régions de l'Australie, le Territoire de la capitale fédérale et l'Australie-Méridionale, où on a mis sur pied des programmes d'amendes expiatoires. C'est un peu comme les contraventions pour stationnement illégal. La personne en cause reçoit une contravention et paie une amende minime; elle n'a pas besoin d'aller en cour.

Évidemment, certains observateurs se sont demandé si ces programmes respectaient les dispositions des traités internationaux. Le ministère du Procureur général de l'Australie a fait les commentaires suivants après avoir analysé les dispositions des conventions de 1961 et de 1988:

Sur les points qui nous intéressent, les conventions de 1961 et de 1988 ont des exigences sensiblement identiques au sujet de la «consommation personnelle»:

elles exigent toutes deux l'interdiction de toute possession ou consommation (sauf dans certains cas bien précis) -

Je vous ai déjà parlé de certaines de ces exceptions.

- aucune ne permet par conséquent la «légalisation» de la consommation personnelle;

toutes deux visent en particulier les comportements liés au «trafic» -

Encore une fois, le fait que ces conventions visent tout particulièrement les comportements liés au «trafic» peut guider notre interprétation des effets des traités.

Et les auteurs concluent:

- aucune n'exige de poursuites pénales pour consommation personnelle.

Ils ajoutent que, d'après eux, ces programmes d'amendes expiatoires sont par conséquent tout à fait conformes à ces conventions. En Australie, le ministère du Procureur général est donc d'avis que ces programmes d'amendes expiatoires, qui s'apparentent à des sanctions administratives plutôt que pénales, respectent entièrement les conventions internationales que je viens de mentionner.

Le sénateur Gigantès: Le terme «expiatoire» me semble un peu bizarre.

M. Gilmour: Il signifie qu'une fois l'amende payée, c'est fini. Si j'ai bien compris, il n'y a pas de casier judiciaire.

Le sénateur Gigantès: C'est une notion typiquement catholique!

M. Gilmour: En plus de ces conventions internationales qui portent sur l'usage de stupéfiants, il existe un certain nombre de conventions internationales sur les droits de la personne, dont le Canada est signataire. Il est essentiel d'en tenir compte aussi. Je pense en particulier au Pacte international sur les droits civils et politiques. Vous vous rappelez probablement qu'il garantit la protection de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne. Il interdit également toute attaque injustifiée contre la vie privée. La question qui se pose, c'est si on a tenté d'établir un équilibre entre ces deux types de conventions. Nous pourrons en reparler. On peut prétendre que, puisque nous avons toujours été partisans des libertés fondamentales, nous devons tenir compte des dispositions de ces traités internationaux sur les droits de la personne pour déterminer dans quelle mesure nous devrions appliquer les conventions sur les stupéfiants, les traités internationaux sur leur trafic et les autres instruments du même genre.

J'ai deux autres observations importantes à vous faire. Tous ces traités prévoient clairement que les parties peuvent chercher à les faire modifier. Si elles jugent les traités trop durs, elles ont à leur disposition des mécanismes leur permettant de les faire modifier; elles peuvent aussi les dénoncer officiellement et s'y soustraire par le fait même.

Comme je l'ai déjà mentionné, ces conventions internationales ont donné lieu à diverses interprétations. Un des principales critiques formulées à leur égard en Australie, c'est qu'elles nient à toutes fins utiles à leurs signataires la capacité de déterminer leur propre politique intérieure. C'est pour cette raison qu'elles sont souvent diluées ou contournées. Je voudrais vous citer à ce sujet un extrait d'une monographie australienne intitulée Legislative options for cannabis in Australia:

Il est important de se demander si les lois australiennes sur les stupéfiants, dominées et orientées depuis si longtemps par des influences étrangères et si peu conformes à la situation particulière de l'Australie, devraient continuer d'être dictées à l'extérieur de chez nous. Comme l'a fait remarquer la Commission royale d'enquête Williams, pourtant très prudente, ...

...il s'agit d'une commission australienne sur l'usage des drogues...

... au sujet de la Convention unique, l'esprit et l'intention de ce traité sont secondaires, en ce sens que l'Australie doit d'abord fixer sa politique intérieure et façonner ensuite sa position internationale en conséquence.

J'insiste aussi sur cet aspect. Il faut se rappeler que, dans une perspective de réduction des préjudices, ces traités contiennent un certain nombre de dispositions qui permettent d'appliquer d'autres solutions que des condamnations ou des sanctions à caractère pénal. J'ai déjà mentionné le programme d'amendes expiatoires qui existe en Australie. Je vous ai parlé aussi de l'expérience des Pays-Bas, où il y a une décriminalisation de facto et une politique de non-accusation, qui permet en fait la vente de cannabis dans les cafés. J'ai également évoqué la décision du tribunal constitutionnel allemand.

Je vous ai parlé des programmes expérimentaux destinés aux héroïnomanes, en Suisse, et de ceux que les Australiens se proposent d'implanter dans le Territoire de la capitale fédérale. Il est clair que ces programmes ne contreviennent pas aux conventions internationales.

J'espère vous avoir donné là une assez bonne idée générale des effets de ces traités.

Le sénateur Doyle: Je vous remercie de ce survol très clair et très intéressant de la situation.

Nous sommes conscients que le Canada peut se soustraire aux traités et les dénoncer. Mais j'aimerais vous entendre parler de l'approche plus subtile, de pays à pays ou de ministère à ministère, sur la façon dont nous devrions appliquer nos lois dans ce contexte, si vous voulez, sans nécessairement mettre les traités de côté.

Certains de nos témoins nous ont bien fait comprendre que les gens d'ici subissent toutes sortes de pressions; on nous demande de ne pas ouvrir la porte, de ne pas décriminaliser, de ne pas interpréter la loi de manière plus libérale. Et il y aussi nos cousins américains qui nous bousculent un peu; ils ne s'intéressent pas tellement à ce qui se passe en Australie, mais ils nous portent la même affection qu'à Cuba, au Mexique et à leurs autres voisins proches, en nous disant que si nous modifions notre interprétation de ces traités, nous nous exposons à toutes sortes de difficultés dans la conduite des affaires courantes entre nos deux pays.

M. Gilmour: Vos commentaires me rappellent, avec une petite variante, une des phrases d'Humphrey Bogart que je préfère, au sujet de la toute-puissance des Américains.

Le Canada doit déterminer ce qui est préférable pour la population canadienne. Si je vous ai parlé de l'Australie, c'est surtout parce que, comme nous, c'est un pays du Commonwealth; comme nous, c'est aussi un pays multiculturel. Et sa population est à peu près la même que la nôtre. Son grand avantage, bien sûr, c'est qu'elle est extrêmement loin des États-Unis.

Mais en Europe, en Angleterre, par exemple, on assiste à d'énormes changements, à un point tel qu'on peut maintenant affirmer que ce sont les États-Unis qui commencent à faire bande à part.

Pendant des années, les Pays-Bas ont pratiqué une politique de décriminalisation de facto. Mais pour ce qui est de la possibilité de prescrire de l'héroïne aux héroïnomanes, l'Angleterre, par exemple, n'a jamais - au grand jamais - interdit complètement aux médecins de le faire. Cela a toujours fait partie de la stratégie britannique face aux stupéfiants.

J'ai mentionné tout à l'heure la décision du tribunal constitutionnel allemand. De plus en plus, dans certaines grandes villes d'Allemagne, on met l'accent au niveau local sur la réduction des préjudices et on fait des pressions pour faire changer la loi de façon plus substantielle.

En France, même si les lois n'ont pas changé, la Commission Henrion a recommandé la décriminalisation de la possession de petites quantités de cannabis, dans le rapport qu'elle a publié il y a un an et demi, et a même évoqué la possibilité de réglementer éventuellement l'usage du cannabis, selon les résultats qu'aurait la décriminalisation.

On constate donc dans de nombreux pays un mouvement vers des mesures pragmatiques de réduction des préjudices. Mais nous sommes très proches des États-Unis, qui prônent une politique prohibitionniste depuis tellement longtemps qu'il est parfois difficile pour nous d'aller voir ce qui se passe un peu plus loin. Or, il est très sain d'examiner ce qui se fait ailleurs. Il ne faut pas oublier non plus que les États-Unis pourraient très bien changer d'idée un jour au sujet de la prohibition. C'est une possibilité - pas encore une probabilité pour le moment, mais il faut reconnaître que de plus en plus, ces dernières années, des personnalités bien connues se sont élevées publiquement contre l'approche prohibitionniste stricte. Je pense en particulier à des gens comme William Freedman et William F. Buckley.

Le sénateur Doyle: Si vous êtes reconnu coupable de possession de cannabis, même en quantité infime, quand vous passez la frontière, vous n'êtes plus le bienvenu aux États-Unis. Des spécialistes dans divers domaines, qui veulent assister aux États-Unis à des conférences ou à des rencontres essentielles à leur travail, ont beaucoup de mal à briser ce mur parce qu'ils possèdent un dossier pour la plus minime des infractions.

Est-ce que nous pouvons nous attendre à un assouplissement dans ce domaine ou au contraire à une intensification des mesures de ce genre si nous nous orientons dans la voie que nous envisageons ici aujourd'hui?

M. Gilmour: Je ne suis pas certain d'avoir bien compris votre question. Vous voulez savoir si l'adoption, par le Canada, d'une disposition selon laquelle la simple possession de cannabis n'entraînerait pas de casier judiciaire permettrait aux Canadiens d'entrer plus facilement aux États-Unis et d'en revenir?

Le sénateur Doyle: J'ai parlé des frontières pour illustrer à quel point les Américains sont sévères vis-à-vis des gens qui ont un dossier criminel, pour quelque raison que ce soit.

M. Gilmour: Ils sont effectivement très sévères. J'ai essayé de le faire ressortir tout à l'heure, mais je n'ai peut-être pas parfaitement réussi. Je pense qu'il est très utile de se demander, dans ce contexte, quel devrait être le rôle du droit pénal. Si vous comparez nos lois actuelles sur les stupéfiants et le Code criminel en général, vous constaterez des différences importantes et, à mon avis, une grande incohérence. Par exemple, en ce qui concerne les dispositions sur la conduite avec facultés affaiblies, il est clair que le Parlement a essayé d'établir un équilibre entre les droits individuels et la protection de la société et qu'il a décidé que le point tournant, c'est quand la personne qui se fait du tort à elle-même en consommant de l'alcool constitue aussi un danger pour ses concitoyens. Cela me semble une réponse tout à fait légitime au sujet du rôle du droit pénal, qui porte après tout sur les mesures les plus punitives par lesquelles la société condamne les actes de quelqu'un.

Quand on compare ce genre d'approche à ce qui s'est passé au sujet de nos lois sur les stupéfiants, on s'aperçoit qu'il y a beaucoup d'incohérence. On n'y retrouve nulle part le principe de la modération dans l'application de la loi. Où est le respect de la vie privée, par exemple? Que fait-on de la liberté d'agir à sa guise quand on ne présente aucun risque pour les autres?

Je veux simplement souligner qu'il semble y avoir une grande incohérence entre ces deux approches. Il serait peut-être plus approprié que les principes généraux du droit pénal s'appliquent de la même façon à toutes les formes d'actes criminels, y compris aux infractions liées aux stupéfiants. C'est ce que j'ai essayé de faire ressortir en invoquant «les principes constitutionnels et les concepts fondamentaux de notre système juridique».

J'espère que cela répond à peu près à votre question.

Le sénateur Doyle: D'autres témoins nous ont dit qu'il y a maintenant dans les faits, et sans que le gouvernement ait décidé quoi que ce soit, toutes sortes de degrés d'application de la loi dans notre pays et que, dans la région de Vancouver, par exemple, la police ne fait absolument rien dans les cas de possession simple. Si c'est le cas, jusqu'à quel point pouvons-nous tout simplement laisser la loi tomber en désuétude?

M. Gilmour: À mon avis, plutôt que de laisser la loi tomber en désuétude, il serait plus constructif de la formuler de façon à ce que tous les citoyens du Canada puissent savoir exactement dans quelles circonstances un acte est considéré comme criminel. Comme je l'ai déjà mentionné, les sanctions pénales sont les plus sévères par lesquelles la société dénonce la conduite d'un individu. Ce n'est pas la même chose que des sanctions réglementaires. L'État dit: «Vous avez enfreint une valeur fondamentale de notre société.» J'ai un peu de mal à comprendre exactement quelle valeur fondamentale est bafouée dans les cas de ce genre.

Mais il serait possible aussi de s'inspirer plutôt de ce qu'ont fait les Pays-Bas. Les Néerlandais ont réussi à formuler des directives que l'accusateur public applique de façon uniforme. Il serait possible d'en arriver à quelque chose du même genre au Canada pour nous assurer que la police de Vancouver n'est pas la seule à ne pas porter d'accusations pour la possession de petites quantités, mais que c'est la même chose partout au pays. Si la loi n'est pas appliquée de la même manière partout, la latitude totale en cette matière entraîne une situation tout à fait injuste. Pourquoi quelqu'un de Halifax devrait-il risquer de perdre sa liberté dans des circonstances exactement semblables? Même si sa liberté n'est pas menacée en réalité, même si nous savons qu'en définitive, cette personne se verra imposer seulement une amende pénale, il reste qu'elle aura été traînée devant un tribunal pénal et dénoncée comme criminelle. C'est pour cela que nous avons un droit pénal.

Le sénateur Milne: Monsieur Gilmour, nous avons entendu hier deux témoins qui étaient fermement convaincus que la décriminalisation de la possession de marijuana entraînerait une explosion de la consommation chez nos jeunes. Quand nous lui avons demandé son avis sur les résultats de l'expérience néerlandaise, un de ces témoins nous a dit sur un ton passablement enflammé qu'Amsterdam, qui était jadis une ville magnifique, avait malheureusement été «détruite» par la politique des Pays-Bas au sujet des drogues.

Qu'en pensez-vous?

M. Gilmour: Il me semble que, si leur politique avait détruit Amsterdam, les autorités néerlandaises auraient réagi en modifiant cette politique. En fait, c'est le contraire qui s'est produit. Le gouvernement français a dénoncé publiquement l'approche néerlandaise il y a quelque temps, mais les Néerlandais ont tenu tête et ont indiqué qu'ils allaient continuer dans cette voie. En fait, j'ai lu la semaine dernière dans le magazine Time un article où il était question d'une étude que vient de terminer le gouvernement néerlandais. Ce serait d'ailleurs très utile si les fonctionnaires du ministère de la Justice ou de Santé Canada pouvaient en obtenir un exemplaire - en anglais si possible - à l'intention du comité pour que vous puissiez déterminer si ces affirmations sont fondées.

Le sénateur Milne: Est-ce qu'on a constaté une augmentation de la consommation de drogues chez les jeunes australiens?

M. Gilmour: Je n'en suis pas certain. Le document dont je vous ai parlé, «Legislative options for cannabis in Australia», contient une analyse de quelques-unes des études qui ont été réalisées sur le programme d'amendes expiatoires. Si je me rappelle bien, il n'y a pas eu d'augmentation majeure. S'il y en a eu une, c'est seulement au début. Mais il faudra que je vérifie.

J'ai reçu il y a quelques années de la documentation du ministère néerlandais de la Santé au sujet de la consommation personnelle de cannabis aux Pays-Bas. D'après ces documents, il n'y a pas eu d'augmentation, mais je vais vérifier cela aussi. Si vous le voulez, je pourrai vous faire parvenir des copies de ces documents.

Il me semble que ces études n'ont révélé aucune augmentation majeure de la consommation de drogues chez les jeunes. En fait, pour des fins de comparaison, il serait utile de regarder ce qui se passe non seulement dans les États qui ont adopté une politique de décriminalisation, mais aussi dans ceux qui ont maintenu leur politique de prohibition. Je suis prêt à parier que, dans les États des États-Unis où la politique de criminalisation a été maintenue, on a constaté en fait une augmentation encore plus grande de la consommation. Il y a quelques États américains qui ont adopté une politique de décriminalisation. Je vais essayer de vous fournir de l'information à ce sujet-là.

Le sénateur Jessiman: Monsieur Gilmour, qu'est-ce que la Canadian Foundation for Drug Policy et comment fonctionne-t-elle?

M. Gilmour: Cette fondation, créée il y a quelques années, regroupe des spécialistes de divers domaines liés à la consommation de drogues et au droit. M. Eugene Oscapella and Mme Diane Riley sont tous les deux ici aujourd'hui. Mme Riley est spécialiste des drogues et de la pharmacologie, et elle est très informée sur ce qui se passe ailleurs. M. Oscapella fait depuis longtemps de la recherche dans le domaine des lois pénales relatives aux stupéfiants.

Quant à moi, j'ai travaillé 11 ans pour la Commission de réforme du droit au moment où elle tentait de réécrire le Code criminel et de le moderniser pour le XXIe siècle. J'aborde donc la question surtout dans la perspective de la politique pénale et des situations dans lesquelles il est approprié d'avoir recours au droit pénal, non seulement pour les infractions liées aux stupéfiants mais pour tous les crimes.

La fondation compte également d'autres personnes. C'est une organisation sans but lucratif.

Le sénateur Jessiman: Combien compte-t-elle de personnes?

M. Gilmour: Je pense que nous sommes 11.

Le sénateur Jessiman: Où se trouve votre siège social?

M. Gilmour: Ici, à Ottawa.

Le sénateur Jessiman: Êtes-vous l'avocat de la fondation? Travaillez-vous pour elle à plein temps?

M. Gilmour: Je travaille pour la fondation bénévolement, le soir et les fins de semaine, en dehors de mon travail régulier.

Le sénateur Jessiman: Y a-t-il des fondations semblables dans d'autres pays?

M. Gilmour: En fait, oui. Il y en a une à New York; il s'agit de l'Institut Lindesmith, qui se consacre à la cause de la réforme du droit pénal. C'est une mine de renseignements sur les rapports récents publiés dans le monde entier. Il y a aussi d'autres fondations ici au Canada: la Fondation de la recherche sur la toxicomanie et le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies. On retrouve également des organisations similaires en Europe.

Le sénateur Jessiman: Échangez-vous de l'information entre fondations?

M. Gilmour: Oui.

Le sénateur Jessiman: Vous rencontrez-vous à l'occasion?

M. Gilmour: Je n'ai participé à aucune rencontre cette année.

Le sénateur Jessiman: Mais les membres de ces fondations se rencontrent?

M. Gilmour: Je ne suis pas sûr qu'ils se rencontrent personnellement, mais ils sont en contact assez soutenu gråce à la magie d'Internet. Nous communiquons les uns avec les autres pour savoir ce qui se fait en ce moment ailleurs que chez nous. Nous essayons de nous tenir au courant de ce qui se passe un peu partout dans le monde et de fournir à la population canadienne une information à jour sur cette question importante.

Le sénateur Jessiman: Les deux messieurs qui ont témoigné hier étaient opposés à toute forme de possession. Il est souvent question de «petites quantités» de marijuana, et on semble considérer que 30 grammes constituent une petite quantité. Un des témoins nous a apporté toute une provision de quelque chose qui ressemblait à des cigarettes; je suppose que c'était des joints. Il nous a dit que le nombre de joints qu'on pouvait rouler avec 30 grammes était trop élevé pour la simple consommation personnelle; il y en avait tout simplement trop et, avant que le produit perde son effet, il fallait le partager avec d'autres.

Est-ce que 30 grammes représentent une grande quantité? Il m'a semblé en tout cas qu'il y avait beaucoup de ces cigarettes.

M. Gilmour: Je n'ai jamais pu faire facilement la conversion au système métrique; c'est une de mes grandes faiblesses.

Mais vous pourriez examiner la loi australienne sur les programmes d'amendes expiatoires pour avoir une idée de la limite fixée là-bas à cet égard.

Le sénateur Jessiman: Ces témoins nous ont dit que le cannabis, ou la marijuana, créait une accoutumance trois fois pire que la cigarette ou l'alcool. Avez-vous déjà entendu cela?

M. Gilmour: Non, jamais. Nous avons déjà fourni de la documentation à ce sujet-là au comité, notamment un article récent sur le fait que les effets néfastes de la marijuana sont une pure invention.

Vous avez peut-être entendu parler également d'articles publiés récemment dans le journal de l'association des médecins de Grande-Bretagne et dans un autre journal médical britannique où on critiquait vivement la prohibition et la criminalisation du cannabis. Je pense que si vous parcourez les comptes rendus médicaux les plus récents à ce sujet, vous y verrez que cette affirmation est inexacte.

Le rapport sur l'étude australienne s'accompagne d'une série de quatre monographies où il est question aussi des effets de la marijuana sur la santé. Je peux vous les faire parvenir plus tard également.

Le sénateur Jessiman: Vous avez dit qu'en Angleterre, on fournit de l'héroïne aux héroïnomanes. Qu'est-ce qu'on y fait au sujet de la marijuana, ou du cannabis?

M. Gilmour: Je pense que le cannabis y est traité à peu près de la même façon qu'ici au Canada. Les programmes britanniques portent avant tout sur l'héroïne, et non sur le cannabis. En un sens, l'Angleterre a donc un pied dans le camp prohibitionniste et l'autre à l'extérieur.

Le sénateur Lewis: Monsieur Gilmour, d'après ce que vous nous avez dit plus tôt, et après avoir parcouru la convention unique de 1961, j'ai l'impression que les obligations du Canada, en vertu de cette convention, consistent à s'assurer que les infractions sont punissables lorsqu'elles sont commises intentionnellement et que les infractions graves sont punissables de peines appropriées, en particulier l'emprisonnement ou d'autres peines privatives de liberté.

Mais cette disposition s'accompagne de certaines restrictions d'ordre constitutionnel. Le paragraphe 36 4 prévoit en effet:

Les dispositions du présent article seront limitées en matière de compétence par la législation pénale de chacune des Parties.

J'ai l'impression que l'obligation consiste à déterminer quelles sont les infractions punissables et à prévoir ensuite des peines, mais que ces peines peuvent être très variées. La Convention ne précise pas ce qu'elles doivent être. Dans ce contexte, nous respecterions cette obligation si notre droit prévoyait cette gamme de peines; curieusement, il est question d'«infractions graves», mais sans définition. À ce moment-là, bien sûr, nous devons prévoir des peines d'emprisonnement.

Ce projet de loi est-il conforme à ces dispositions? Il prévoit toute une gamme de peines et je pense que, dans les cas que nous pourrions juger graves, il prévoit un emprisonnement. En ce sens, est-ce qu'il respecte la convention?

M. Gilmour: Vous semblez oublier que la Convention de 1961 permet également des mesures de rechange aux condamnations ou aux peines. Il y a deux aspects importants. Premièrement, la convention de 1961 et les autres permettent des mesures de rechange pour remplacer les condamnations ou les peines. Si on s'en tient strictement à ce que dit l'article 36 de la Convention unique au sujet des peines, on se rend compte que cette disposition semble faire une distinction entre ce que j'appellerais les infractions réglementaires ou administratives et les infractions graves. Par conséquent, nous respecterions au moins la convention de 1961 si nous envisagions par exemple de considérer la simple possession de petites quantités de cannabis comme une infraction à caractère administratif plutôt que comme un acte criminel.

Il y a aussi la question des réserves d'ordre constitutionnel. Il est intéressant de noter la différence entre cette phrase et la formulation plus générale employée dans la convention de 1988 au sujet de la consommation personnelle; il y est question des principes constitutionnels et des concepts fondamentaux du système juridique.

Nous sommes d'avis que, dans ce contexte particulier, étant donné la possibilité d'adopter des mesures de rechange et la distinction entre les infractions mineures et les infractions plus graves, il serait plus conforme à la Convention de 1961 de supprimer la prohibition et les sanctions à caractère pénal.

Le sénateur Lewis: Évidemment, ces conventions doivent en un sens être relativement générales, n'est-ce pas? C'est pour cela que cette disposition y est. Elle prévoit que les dispositions de l'article sont limitées en matière de compétence par la législation pénale de chacune des parties; elle leur laisse donc une grande latitude. C'est inévitable, évidemment.

M. Gilmour: Le ministère de la Justice ne sera peut-être pas d'accord avec moi sur ce point, mais je pense que cette disposition donne aux pays une certaine marge de manoeuvre, une certaine latitude pour déterminer précisément comment définir les infractions et peut-être aussi les éléments pouvant être invoqués en défense.

Le sénateur Lewis: Le sénateur Doyle a dit qu'à Vancouver, il semble qu'on ferme les yeux sur beaucoup d'infractions de ce genre. Les conventions prévoient seulement que les parties doivent adopter des mesures prévoyant une peine. Elles ne disent rien sur l'application de ces mesures. Il y a une différence entre l'adoption d'une disposition et son application dans les faits.

M. Gilmour: C'est l'approche que le ministère du Procureur général semble avoir adoptée au sujet des programmes d'amendes expiatoires et de leur conformité avec les dispositions des conventions de 1988 et de 1961. Comme je l'ai déjà mentionné, il en est venu à la conclusion que, même si la convention oblige les parties à créer des infractions, rien ne les oblige à porter des accusations.

En Hollande, la loi existe sur papier, mais compte tenu des principes de justice pénale dans ce pays, on a déterminé que la réponse la plus appropriée consistait à délimiter un secteur où ceux qui veulent consommer du cannabis en petites quantités peuvent le faire. Les Néerlandais ont pris cette décision pour une raison très valable, c'est-à-dire pour établir une distinction entre ce qu'ils considèrent comme les effets plus dommageables des drogues dures et les effets moins graves des drogues douces. Ils estiment que c'est un moyen de réduire les préjudices que les drogues dures causent à la société.

Ce sont là les mécanismes adoptés par le système de justice pénale d'au moins un État pour laisser la place à ce qu'on considère là-bas comme une réponse pragmatique visant à réduire les effets néfastes des drogues dures pour la société. Je soutiens, moi, que nous pouvons nous aussi faire preuve de la même souplesse. Mais, encore une fois, le ministère de la Justice ne sera peut-être pas du même avis.

Le sénateur Nolin: On nous a fourni un résumé du rapport Le Dain, qui a été publié en 1973 et dans lequel on ne semble pas se préoccuper de la convention de 1961. Savez-vous pourquoi?

M. Gilmour: J'ai lu une partie du rapport Le Dain l'autre jour pour avoir une idée de l'interprétation qu'on y donne de la convention de 1961. J'ai l'impression que, dans son analyse des conventions internationales, la commission a reconnu la possibilité de deux interprétations différentes de la convention de 1961, à savoir la prohibition totale ou l'interdiction visant seulement la possession en vue de la distribution. Je pense qu'en définitive, elle considérait le traité comme étant plutôt prohibitionniste. Mais il est intéressant qu'elle ait dit cela.

D'après une étude réalisée récemment dans le Territoire de la capitale fédérale, en Australie, la possession et la culture de petites quantités de cannabis devraient être complètement décriminalisées et complètement autorisées, même si l'Australie est clairement assujettie aux conventions internationales.

Ceux qui ont étudié la question de façon très approfondie reconnaissent que la criminalisation de petites quantités de cannabis n'est tout simplement pas justifiée; ils se fondent sur leur perception personnelle de certaines autres valeurs, à savoir le véritable rôle du droit pénal et les torts que le recours au droit pénal dans ce contexte peut causer à certaines personnes. Toutes les commissions qui se sont penchées sur l'usage des drogues au cours des 25 dernières années en sont arrivées à l'unanimité, il me semble, à la conclusion que la prohibition totale n'était pas une bonne solution.

J'ai offert de fournir au comité une liste des diverses commissions qui ont présenté des rapports sur cette question depuis une vingtaine d'années. Vous pouvez peut-être avoir accès à ces études. Je doute fort que vous en trouviez une seule dans laquelle on conclut que la prohibition totale est la voie à suivre. Vous constaterez que toutes jugent au contraire qu'il faut faire quelque chose à ce sujet-là, que quelque chose ne va pas.

En Australie, comme je l'ai déjà dit, le Territoire de la capitale fédérale a mis sur pied une commission qui a étudié la question. Je vous ai dit aussi que, dans le cadre des programmes expérimentaux pour héroïnomanes qui se déroulent depuis quatre ans, le National Centre for Epidemiology and Population Health de ce territoire a publié une série de rapports et de documents de travail dont les auteurs concluent qu'il est tout à fait possible et parfaitement approprié d'appliquer ce genre de programmes dans une perspective de réduction des préjudices. Comme je l'ai souligné, ces gens sont d'avis que ces programmes ne sont absolument pas contraires aux conventions internationales.

Le sénateur Bryden: Il y a deux questions contradictoires qui me viennent à l'esprit. La première, c'est que les Canadiens sont en général plutôt respectueux de la loi. Cela n'a pas grand-chose à voir avec la sévérité des lois ou leur application par la police; voilà le noeud de la question.

Ce qui m'inquiète beaucoup, c'est qu'une application inégale de la loi interdisant la simple possession de drogues incitera les jeunes à ne plus respecter cette loi; et s'ils ne respectent plus celle-là, ils ne respecteront pas les autres non plus. Pour moi, c'est un argument très convaincant en faveur d'une application uniforme de la loi. D'un autre côté, comme on nous l'a dit hier, la réalité, c'est que la possession est un acte criminel.

Quand on parle de la pression des pairs, on pense souvent à celle qui s'exerce pour pousser les gens à consommer de la drogue. Mais, dans bien des cercles, les jeunes seraient terriblement embarrassés - et ils seraient frappés d'ostracisme - si leurs amis lisaient dans un journal local qu'ils ont été accusés de possession de marijuana, d'alcool ou d'autres substances.

Si nous décriminalisons, est-ce que les jeunes hésiteront moins à faire des expériences parce qu'ils ne risqueront plus d'avoir un casier judiciaire, sans parler de la pression des pairs? J'ai beaucoup de mal à concilier ces deux aspects.

M. Gilmour: Je vais d'abord vous répondre par une anecdote personnelle. Quand j'étais en première année à l'université, j'étais probablement le seul gars de mon étage qui n'avait jamais essayé la marijuana. J'avais alors 18 ou 19 ans. Je me sentais un peu isolé, tout seul dans mon genre, si vous voulez. Le fait qu'il y ait une loi pénale interdisant la consommation de marijuana n'a pas empêché mes amis d'en faire l'expérience. En fait, à mon avis, le seul fait que la simple possession de cannabis soit hors la loi lui donne un certain attrait. En décriminalisant, vous risquez peut-être de susciter une augmentation au début. Mais il se peut qu'il ne soit plus aussi intéressant d'essayer quelque chose d'interdit; c'est le fameux syndrome de l'attrait du fruit défendu.

Vous allez comprendre facilement si vous étudiez l'expérience qui a été tentée aux Pays-Bas. Je vais essayer de vous fournir de la documentation là-dessus. Il me semble qu'il n'y a eu là-bas aucune augmentation majeure de la consommation de cannabis. En fait, les taux de consommation ont peut-être augmenté dans les pays voisins. Je n'en suis pas absolument certain, mais je vais essayer de vous trouver cette information.

Il pourrait être utile, pour étudier cette question, d'examiner ce qui s'est passé dans les endroits où il y a eu une décriminalisation de facto, pour voir les effets que cela a entraînés pour les jeunes dans ces endroits-là. Il faudrait établir une comparaison avec les régions ou les pays voisins pour voir ce qui s'y passe également. Si la consommation a augmenté dans un endroit où elle est décriminalisée, mais qu'elle a connu une hausse encore plus marquée juste à côté, où elle est toujours interdite et considérée comme un acte criminel, quel est le message qui s'en dégage au sujet de la décriminalisation?

Je vais essayer de vous obtenir des chiffres à ce sujet-là. J'insiste sur cet aspect du fruit défendu. Il y a aussi l'aspect du manque de respect pour la loi, en ce sens que certaines personnes trouvent injuste de ne pas pouvoir fumer un joint alors que leurs parents boivent de l'alcool et se saoulent, ou que leurs amis fument du tabac et s'exposent à mourir d'un cancer du poumon. C'est peut-être pour cela que ces gens-là n'ont aucun respect pour une loi qui leur semble hypocrite.

Le sénateur Bryden: Probablement à cause des compressions budgétaires, plutôt que par conscience sociale, il y a certains endroits où, dans les faits, on ne porte pas d'accusations pour possession. Les tribunaux n'ont pas le temps, la police non plus. Mais il y a beaucoup d'autres endroits où ce n'est pas le cas. J'ai la chance de vivre dans une localité tranquille où le détachement de la GRC s'ennuie la plupart du temps.

Il faut faire quelque chose pour assurer une application uniforme de la loi. Il semble bien que la seule façon d'en arriver à cette uniformité, ce soit de décriminaliser pour que tout le monde fasse ce qui se fait déjà dans certains endroits pour des raisons financières.

M. Gilmour: C'est très clair. Si vous décidiez de décriminaliser la possession d'une quantité donnée de marijuana, ce serait une façon de dire clairement que tout le monde sera traité de la même manière, en ce sens que les gens n'auront plus à se demander si les agents de la paix vont exercer leur discrétion différemment dans différentes régions du pays. À mon avis, il est fondamentalement injuste qu'il y ait une politique officielle de non-accusation dans une région du pays, et pas dans les autres. C'est fondamentalement injuste quel que soit le crime, mais c'est particulièrement évident dans ce cas-ci.

Cela soulève aussi une question importante. Vous parliez de Vancouver. Vous vous souviendrez peut-être, sur une question plus ou moins connexe, que le coroner en chef de la Colombie- Britannique a publié il y a environ un an et demi un rapport sur l'épidémie de décès causés par l'héroïne dans cette province; il y recommandait de s'inspirer du modèle suisse des programmes expérimentaux pour héroïnomanes pour éviter que les gens s'empoisonnent en s'injectant des substances pleines d'impuretés.

C'est là un autre aspect du débat sur la criminalisation et la décriminalisation et sur le genre de tort que peut faire une politique de criminalisation totale. Je vous invite à tenir compte aussi de cet aspect.

L'argument, c'est que le droit pénal cause peut-être du tort à trop de gens dans notre société à cause d'une politique de prohibition qui interdit aux médecins de prescrire de l'héroïne aux héroïnomanes pour qui la méthadone n'est pas efficace. Si c'est effectivement le cas, comme je le pense, les Canadiens ont la responsabilité de s'assurer que leur droit pénal est modifié de manière à supprimer ce tort.

Le sénateur Gigantès: Je penche vers la décriminalisation. Vous avez dit que certaines personnes fument parce que c'est défendu. Mais si ce n'est plus un fruit défendu, est-ce qu'elles vont se tourner vers un autre fruit défendu encore plus dangereux?

M. Gilmour: Il est possible qu'elles se tournent vers la cigarette.

Le sénateur Gigantès: Je pense au crack.

M. Gilmour: Ce n'est pas très probable, à mon avis. Encore une fois, je vais essayer de vous obtenir de l'information à ce sujet-là. Mais je ne pense pas que ce soit très probable. Il faudrait regarder ce qu'en disent les écrits les plus récents sur les effets néfastes de la consommation de marijuana.

Vous dites que la marijuana est une drogue qui peut mener à autre chose. Habituellement, du moins quand j'étais plus jeune, on considérait la marijuana comme une drogue d'introduction à l'héroïne ou à la cocaïne. Maintenant, on parle plutôt du crack. Mais il faut peut-être se demander quelle est la principale drogue d'introduction. Est-ce que c'est la marijuana ou l'alcool, ou une combinaison de l'alcool et de quelque chose d'autre? Je vais essayer de vous trouver de l'information là-dessus aussi.

Le sénateur Gigantès: Il y a des gens qui se mettent à boire beaucoup dès qu'ils ont atteint l'åge légal pour consommer de l'alcool, même si ce n'est pas un fruit défendu.

M. Gilmour: C'est vrai. Il y aura toujours des gens comme ceux-là, quelle que soit la substance. C'est la nature humaine. Certaines personnes voudront abuser de certaines substances licites, tout comme d'autres consommeront des substances illicites. Je doute que le fait que ce soit ou non un crime ait vraiment un effet dissuasif.

Il y a toutes sortes de causes possibles à la consommation de ces substances, à part la loi elle-même. Il y a beaucoup d'éléments qui entrent en ligne de compte. Dans mon cas, c'est mon père qui a fait la différence. Je lui ai promis de ne pas prendre de cannabis, et cela m'a suffi. Mais cela varie d'une personne à l'autre.

On ne peut pas généraliser. Je vais essayer de vous trouver l'information la plus récente sur cette question. Vous soulevez là des objections légitimes, mais je doute fort qu'elles soient validées par les faits que nous connaissons actuellement.

La présidente: Merci, monsieur Gilmour.

Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant des représentants des ministères de la Justice, de la Santé et du Solliciteur général. Je crois savoir qu'ils n'ont pas d'exposé à nous faire et que nous allons passer directement aux questions.

M. Gilmour est encore ici et nous pourrons le rappeler en cas de controverse. Nous pouvons commencer par les questions concernant nos obligations découlant des traités.

Monsieur Saint-Denis, pouvez-vous nous expliquer la position du ministère de la Justice à l'égard des traités, et nous dire notamment en quoi elle diffère de celle de M. Gilmour, s'il est vrai qu'elle est différente de celle de M. Gilmour?

M. Bruce Rowsell, directeur, Bureau de la surveillance des médicaments, ministère de la Santé: Je vais vous présenter M. Saint-Denis, qui témoigne pour la première fois devant le comité. Vers le milieu des années 80, les Nations Unies lui ont demandé de participer à la rédaction de la convention de 1988. Il a passé beaucoup de temps à Vienne avec la commission des Nations Unies à qui la convention de 1988 a été confiée, et il s'est aussi occupé des modifications à la convention de 1971. Il connaît ces conventions de première main. Le gouvernement du Canada l'a également désigné pour signer ces conventions au nom de notre pays.

M. Paul Saint-Denis, avocat-conseil, ministère de la Justice: Honorables sénateurs, la position du ministère de la Justice en ce qui concerne ces conventions est que la possession de cannabis - la principale question dont vous discutez ici d'après ce que je peux voir - devrait être considérée comme une infraction pénale.

À en juger par les diverses dispositions décrites par M. Gilmour, il est assez clair, surtout d'après la convention de 1988, que la possession, l'achat et la culture de stupéfiants, dans ce cas-ci le cannabis, pour son usage personnel doivent être considérés comme une infraction pénale. Le libellé des dispositions en question est assez clair à première vue.

Lors des témoignages que vous avez entendus au cours de vos quelques dernières réunions, il a été question à plusieurs reprises de ce qui s'est passé aux Pays-Bas, en Allemagne, en Australie et en Suisse. Tous ces pays ont une chose en commun avec le Canada: ce sont des pays prohibitionnistes dans la mesure où ils ont déclaré qu'il était illégal d'avoir en sa possession ou, dans certains cas, de consommer ou d'utiliser de la marijuana. La différence avec nous a trait à l'application ou à l'exécution de la loi.

La ville d'Amsterdam, aux Pays-Bas, a choisi de ne pas appliquer de loi et a en fait mis en place un régime plutôt intéressant selon lequel le stupéfiant peut-être consommé et vendu dans des cafés, en petites quantités, je présume. Je ne sais pas si ce régime est en vigueur ailleurs qu'à Amsterdam, aux Pays-Bas.

L'usage du cannabis est criminalisé et la loi est appliquée très rigoureusement dans certains pays, moins dans d'autres et, dans le cas d'Amsterdam, elle ne l'est pas du tout apparemment. Cependant, tous ces pays ont conféré le caractère d'une infraction à la possession de cette drogue. En ce sens, ils sont tous prohibitionnistes.

Au Canada, nous nous sommes dotés d'un système voulant qu'il s'agisse d'une infraction aux termes de la loi. Nous avons prévu des peines maximales en accordant de vastes pouvoirs discrétionnaires aux juges qui peuvent imposer les peines qu'ils jugent appropriées dans les circonstances. Elles vont d'une absolution inconditionnelle si le prévenu n'a pas de dossier, même s'il y a verdict de culpabilité, à de lourdes amendes pour les récidivistes ou encore, dans certains cas, à de courtes peines d'emprisonnement.

Dans l'ensemble, au Canada, la possession est traitée comme une infraction plutôt mineure malgré les peines maximales que prévoit actuellement la loi. Les tribunaux considèrent cette infraction, et à juste titre, à mon avis, comme une question assez mineure et ils n'ont jamais imposé la peine maximale possible dans le cas d'une infraction punissable par voie de mise en accusation. À ma connaissance, cela ne s'est pas vu depuis au moins 15 ans.

Pour ce qui est de la possession, les conventions sont assez claires, surtout celle de 1988. Si l'on s'en tenait exclusivement à la convention de 1961, il y aurait peut-être une certaine ambiguïté, quoiqu'elle ne soit pas aussi évidente selon moi que certaines personnes aimeraient nous le faire croire.

La convention de 1961 précise très clairement que les stupéfiants doivent être utilisés exclusivement à des fins médicales et scientifiques. Cela ne laisse pas tellement de place pour des choses comme l'usage pour le plaisir, l'usage personnel ou quoi que ce soit d'autre. L'obligation est limitée à deux choses, l'usage aux fins médicales et pour la recherche scientifique.

Si vous ajoutez les dispositions de la convention de 1988 à la convention de 1961, il est difficile d'avoir des doutes sur ce qu'on attend des pays en ce qui concerne la possession.

M. Gilmour a fait allusion tout à l'heure au paragraphe 2 de l'article 3 de la convention de 1988. Ce paragraphe traite exclusivement de la détention, de la consommation et de l'usage des stupéfiants. Selon lui, ce paragraphe est le résultat de manoeuvres douteuses de la part du Mexique, surtout, et d'autres pays, et il s'agissait là d'une espèce de compromis destiné à contenter ou à amadouer les pays producteurs. Ce n'est pas vraiment ce qui s'est passé.

Le Mexique et quelques autres pays, d'Amérique latine surtout, voulaient que la possession et la consommation de marijuana - et de tous les autres stupéfiants en fait - fassent partie intégrante de la convention de 1988. Même si je limite mes observations à la marijuana, parce que c'est sur quoi portent nos discussions aujourd'hui, elles valent pour tous les stupéfiants qui sont régis par les conventions.

Le raisonnement derrière tout cela, c'est que la convention de 1988 a trait au trafic. L'achat de stupéfiants pour son usage personnel est l'autre aspect du trafic. On ne peut pas en acheter sans que quelqu'un en vende.

De l'avis de la délégation mexicaine, c'était le revers de la médaille. Il y avait le trafiquant qui vendait ses stupéfiants, mais aussi quelqu'un qui en achetait. S'il n'y avait pas d'acheteurs, il n'y aurait pas de trafiquants, ont soutenu les Mexicains avec raison.

Le problème, c'est que cette convention visait essentiellement au départ le vendeur de stupéfiants. Il fallait trouver un moyen de plaire aux Mexicains et à d'autres pays d'Amérique latine, d'une part, mais sans imposer, d'autre part, à l'égard de l'infraction que la possession ou la consommation constitue toutes les mesures qui sont prévues ici, comme l'extradition et l'entraide juridique en matière criminelle.

En réalité, le paragraphe 2 est la solution que les experts ont trouvée. Je dois vous avouer que le paragraphe 2 est en réalité mon humble contribution à cette convention. J'ai eu l'idée d'obliger les pays à créer une infraction pour ce qui est de la possession, comme le Mexique le demandait, mais, en la soustrayant aux principales dispositions se rapportant au trafic, nous avons pu isoler cette infraction de sorte que le reste des dispositions de la convention ne s'appliquent pas à la possession pour son usage personnel. Toutes les autres dispositions de cette convention s'appliqueraient au paragraphe 1 de l'article 3.

Si vous examinez la convention, vous verrez que, généralement parlant, les seules allusions aux infractions se rapportent à celles qui figurent au paragraphe 1 de l'article 3. Cet article traite de choses comme la production, la vente et le transport, d'activités du genre de celles qui sont habituellement associées au trafic des stupéfiants, si vous voulez.

Il ne fait aucun doute que l'intention était de criminaliser la consommation ou la possession pour son usage personnel. Les pays ne sont pas tenus d'imposer une peine en particulier à un individu reconnu coupable de possession. Tous les pays jouissant d'une grande souplesse lorsqu'ils ont à décider de la peine à imposer à un contrevenant.

Jusqu'à un certain point, les mesures du genre de celles qui ont été adoptées par les Néerlandais à Amsterdam, et dans d'autres pays peut-être, entrent dans la catégorie des mesures que les pays peuvent prendre lorsqu'ils ont affaire à une personne reconnue coupable de détention.

Au Canada, c'est ce que nous avons fait jusqu'à un certain point. Nous proposons dans ce projet de loi d'aller plus loin encore en imposant une peine maximale réduite aux individus trouvés en possession de 30 grammes ou moins.

À mon avis, cette dépénalisation - c'est-à-dire le fait d'enlever le caractère d'infraction pénale à la détention de 30 grammes de stupéfiants - irait à l'encontre des conventions, notamment celle de 1988.

Cependant, si la possession est considérée comme une infraction, libre à nous d'imposer à l'égard de cette infraction et du contrevenant la peine que nous jugeons la mieux appropriée.

Le sénateur Gigantès: Je connais des jeunes qui ont fumé de la marijuana pendant un petit bout de temps, puis qui ont arrêté. Il aurait été déplorable que l'un d'entre eux se fasse prendre et se retrouve par conséquent avec un casier judiciaire. N'y a-t-il pas moyen de conserver cette infraction, mais de s'assurer que la possession simple ne mène pas à un casier judiciaire?

M. Saint-Denis: Il y en a un. Je dirais cependant que nous avons tendance à galvauder l'expression «casier judiciaire». Il n'existe pas de définition officielle de ce qui constitue un casier judiciaire. Il y a différents types de dossiers relatifs aux affaires pénales. Il y a le dossier du service de police qui a arrêté l'accusé et inscrit l'inculpation dans ses livres. Si l'accusé est reconnu coupable, un dossier du tribunal fera état de l'existence d'un dossier de la condamnation. Il y a également les dossiers que la GRC tient dans son système informatique centralisé. Il s'agit essentiellement d'un système d'information et de données basé sur les empreintes digitales.

Vu le genre d'infraction proposé par ce projet de loi, la prise des empreintes digitales ne serait pas autorisée parce qu'il s'agit exclusivement d'une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité. On ne peut prendre les empreintes digitales que des individus accusés d'un acte criminel ou d'une infraction mixte. Une infraction mixte peut être poursuivie par voie de déclaration sommaire de culpabilité ou de mise en accusation.

La présidente: Pouvez-vous nous préciser si la prise des empreintes digitales est interdite? Je pensais que cette mesure interdisait la divulgation de l'information au CIPC.

M. Saint-Denis: La Loi sur l'identification des criminels n'autorise que la prise des empreintes des individus accusés soit d'un acte criminel soit, par suite de l'application de la Loi d'interprétation, d'une infraction mixte. Une infraction mixte s'apparente à l'actuelle infraction que constitue la possession au sens de la Loi sur les stupéfiants, infraction punissable soit par voie de mise en accusation soit par voie de déclaration sommaire de culpabilité.

Dans le cas d'une infraction considérée exclusivement comme une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité - comme la nouvelle infraction que constitue la possession de 30 grammes -, la police n'est pas autorisée à prendre les empreintes digitales d'un accusé. En fait, si une personne déclarée coupable d'une infraction punissable par procédure sommaire était soumise à la dactyloscopie, elle aurait tout à fait le droit d'exiger l'élimination du dossier contenant ses empreintes digitales.

L'infraction de possession que nous avons maintenant pour 30 grammes ou moins est une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité dans le cas de laquelle il ne peut y avoir prélèvement des empreintes digitales. Cela veut donc dire qu'il n'y a pas de relevé dans la base de données de la GRC. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en aurait pas un au tribunal si l'individu était reconnu coupable de cette infraction. Les dossiers judiciaires ne peuvent pas tout simplement être éliminés, et les tribunaux ne sont pas assez bien organisés pour revenir en arrière pour le faire.

Le sénateur Bryden: Lorsqu'on remplit un formulaire de demande de visa pour un pays étranger, on nous pose la question suivante: «Avez-vous déjà été déclaré coupable d'une infraction pénale?» Pour être franc, il faudrait répondre par un oui dans la situation que vous venez de décrire.

M. Saint-Denis: Non, par nécessairement.

Le sénateur Bryden: Oui, parce que vous auriez été déclaré coupable d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les Canadiens ont tendance à être des citoyens respectueux des lois. Ils ont tendance à répondre aux questions avec franchise. Si j'ai bien compris, pour être franc, la réponse à cette question serait «oui, j'ai été déclaré coupable d'une infraction pénale» et, à cause de notre tolérance zéro, nos amis les Américains qui se sont lancés dans une lutte antidrogue ne nous laisseraient pas entrer chez eux.

M. Saint-Denis: C'est exact. Cependant, je dois vous signaler que le genre d'infraction envisagé pour 30 grammes ou moins serait une infraction simple punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité. La plupart de ces infractions - mais pas toutes, évidemment - feraient l'objet soit d'une absolution inconditionnelle soit d'une absolution sous condition. Une personne ayant reçu une absolution inconditionnelle ou sous condition n'est pas réputée avoir été déclarée coupable.

Soit qu'elle plaide coupable ou que le tribunal la déclare coupable. Il y a verdict de culpabilité, mais elle n'est pas reconnue coupable de sorte qu'elle peut répondre en toute franchise: «Je n'ai jamais été déclarée coupable.»

Le sénateur Bryden: Je crois savoir que si on a été déclaré coupable et qu'un tribunal nous a accordé une absolution inconditionnelle, on a quand même été déclaré coupable d'une infraction pénale. L'absolution permet à un accusé de demander la suppression d'un dossier - comme s'il était complètement pardonné - après deux ans. Est-ce exact?

M. Saint-Denis: Non, monsieur, soit dit sans vouloir vous offenser. Quelqu'un qui reçoit une absolution inconditionnelle ou sous condition n'est pas déclaré coupable. La loi est assez claire à ce sujet. Une personne est reconnue coupable, mais il n'y a pas déclaration de culpabilité.

C'est un détail technique, c'est vrai, mais c'est un point important pour ceux qui veulent pouvoir répondre franchement lorsqu'on leur demande s'ils ont déjà fait l'objet d'une déclaration de culpabilité.

Le sénateur Bryden: Pourquoi ne pas inclure dans notre barème de peines le choix d'une absolution inconditionnelle ou d'une amende minimale de 100 $, par exemple?

M. Saint-Denis: Cela fait partie par définition des peines qu'un juge peut imposer. Les dispositions concernant l'absolution figurent dans le Code criminel. Elles s'appliquent à toutes sortes d'infractions.

Le sénateur Bryden: Je le sais. Il me semble que nous essayons de nous conformer à nos obligations internationales sans considérer comme particulièrement grave la simple possession de marijuana. Il serait utile pour les tribunaux que l'absolution inconditionnelle fasse partie de la liste des peines comme les amendes de 1 000 $, l'emprisonnement ou peu importe.

Je me rends compte qu'en droit commun, tout juge a le droit d'accorder une absolution inconditionnelle. Le Parlement donnerait ainsi aux juges une indication très utile quant au sérieux de cette accusation si le premier choix était l'absolution inconditionnelle.

M. Saint-Denis: Le problème, c'est qu'il est impossible d'imposer une amende en cas d'absolution inconditionnelle ou sous condition. Une amende ne peut être imposée qu'après une déclaration de culpabilité.

Il y aurait peut-être une autre solution. Je ne sais pas si cela peut se faire actuellement. Je suis certain que vous connaissez la Loi sur les contraventions. Vous aurez à étudier des modifications à cette loi. Selon ces modifications, certaines infractions que contiendrait une annexe de la Loi sur les contraventions ne donneraient pas lieu, en réalité, à un casier judiciaire. Soit que les gens seront réputés ne pas avoir été déclarés coupables ou, s'ils le sont, il n'y aura pas de relevé de leur condamnation.

Le sénateur Jessiman: Voulez-vous dire que la possession pourrait faire partie de ces infractions? Je ne sais pas au juste combien il y a de centaines d'infractions possibles. Il y a 12 services différents.

D'après ce que j'ai lu à propos de ce projet de loi et du précédent qui n'a pas encore été promulgué, depuis 1992, les centaines de milliers d'infractions ont été ramenées à 4 000 environ. J'espère qu'une liste en a maintenant été dressée. En 1992, il n'en existait pas. Lorsque le Sénat a eu à donner son approbation, certains sénateurs ont demandé à voir cette liste. On leur a répondu que la liste est une espèce de cible mobile.

Quatre années se sont écoulées depuis 1992. Je vais demander cette liste au Sénat aujourd'hui et de nouveau, au comité, lorsque le projet de loi nous aura été envoyé.

Cette liste fera partie des règlements, pas du projet de loi comme tel. On envisage d'y inclure des infractions du genre de celles qui consistent à cueillir des fleurs dans un parc fédéral, à demeurer trop longtemps dans un parc de stationnement ou à excéder la vitesse permise sur une route fédérale.

En raison de tout ce que j'ai appris au comité, je crois que l'usage de la marijuana devrait être dépénalisé. J'aimerais croire qu'il pourrait en être ainsi, mais c'est impossible de la façon dont le projet de loi est formulé.

Le sénateur Gigantès: Je vais vous citer l'exemple d'un cas que je connais. Une femme médecin a obtenu un visa de trois mois pour qu'un ami puisse venir au Canada. Il était noir; elle était blanche et avançait en åge.

Les agents d'immigration de l'aéroport d'Ottawa l'ont accusé d'être un gigolo, lui ont refusé l'entrée et lui ont fait prendre l'avion suivant. On m'a demandé d'intervenir. Je suis intervenu parce que son visa était parfaitement légitime. Il ne venait ici que pour trois mois. Il est venu et il est reparti trois mois plus tard.

L'année d'après, il a essayé d'entrer aux États-Unis, mais les ordinateurs des services d'immigration américains ont indiqué qu'on lui avait déjà refusé l'entrée au Canada.

Les services de police s'amusent à jouer ces petits jeux entre eux. Vous me direz qu'il n'y a pas, dans un cas comme celui-là, création d'un casier judiciaire officiel, mais si un policier de Seattle appelle ses copains de Vancouver, ils vont lui dire s'ils ont quoi que ce soit sur une personne en particulier.

Nous n'avons aucun contrôle sur le comportement de la police dans bien des cas, non seulement chez nous, mais partout. Elle a ses propres lois et il lui arrive très souvent d'agir illégalement.

M. Saint-Denis: Vous avez raison de dire qu'il y a des ententes à l'amiable entre la police canadienne et celle de différents pays. La police peut parfois, gråce à des contacts personnels, obtenir officieusement ce qu'elle ne peut obtenir officiellement. Parfois, la police agit inopportunément et parfois, illégalement.

Je ne pense pas que ce soit la norme, du moins pas dans notre pays. Si vous voulez dire par là que nous ne pouvons pas complètement réglementer le comportement de la police, vous avez raison. Ce n'est pas ce que ce projet de loi essaye de faire.

Je tiens à être très clair au sujet du casier judiciaire. Il n'est pas proposé de supprimer toutes les allusions, quelles qu'elles soient, au fait qu'une personne a été accusée ou déclarée coupable d'une infraction, où qu'elles apparaissent.

La possession de 30 grammes ou moins ne constituerait pas une infraction donnant lieu au prélèvement des empreintes digitales, ce qui veut dire qu'elle ne serait pas consignée dans l'ordinateur central de la GRC qui est basé sur les empreintes digitales. C'est tout. La police locale conserverait certains dossiers. Les journaux aussi. Le tribunal où l'individu a subi son procès aurait lui aussi un dossier.

Le sénateur Gigantès: Et lorsqu'une personne ayant commis une telle infraction essaierait d'aller aux États-Unis, on lui en refuserait l'entrée. Il faut dire que ce serait un bon moyen pour enrayer l'exode des cerveaux. Nous pourrions demander à la GRC de glisser de la marijuana dans les poches de chaque génie pour ensuite l'arrêter. Il lui faudrait alors rester ici; il ne pourrait pas aller à Silicone Valley.

Seulement, cela n'est pas suffisant pour protéger un individu. Si nous ne pensons pas que la simple possession soit une infraction majeure, alors, dépénalisons-la ou trouvons un moyen de nous assurer qu'elle ne sera mentionnée nulle part.

Vous venez de dire que cela va figurer quelque part. Viendra toujours un moment où un policier au sud de la frontière en entendra parler par un confrère au nord de la frontière; alors, dépénalisons-la.

Le sénateur Milne: L'administration de la justice est une question de compétence provinciale au Canada. La seule façon de garantir une application uniforme de la loi à l'échelle du pays serait probablement de dépénaliser la simple possession de la marijuana.

M. Saint-Denis: Voulez-vous dire que nous devrions aussi dépénaliser la consommation d'alcool par les jeunes ou les excès de vitesse ou, dans certains cas, le vol à l'étalage, parce que les infractions commises dans tous ces cas et dans bien d'autres encore ne font pas l'objet des mêmes mesures dans différentes provinces? Je ne pense pas qu'il y a quoi que ce soit qu'on puisse faire pour s'assurer d'une application et d'une exécution absolument uniformes de la loi.

Un sénateur a dit tout à l'heure que l'un des facteurs qui contribuent à une application inégale de la loi est le manque de ressources. Il y a d'autres facteurs qui y contribuent également. Différents services de police ont des priorités différentes. Celles-ci reflètent parfois les préoccupations de la collectivité qu'ils desservent; parfois, elles reflètent d'autres choses.

Un certain nombre de facteurs influent sur la façon dont la loi est exécutée. Il peut s'agir d'une position officielle. Par exemple, à la fin des années 70 et au début des années 80, les mesures applicables à l'infraction que constituait l'avortement au Québec n'étaient pas appliquées. C'était là la position officielle de la province vu son incapacité d'obtenir une condamnation contre le docteur Morgentaler. Elle s'y est prise à deux fois et n'a pas obtenu gain de cause. Même si l'avortement est demeuré une infraction, la position du Québec était de ne pas appliquer la loi.

Différentes provinces et municipalités doivent tenir compte de différents facteurs lorsqu'il y va de l'exécution de la loi. Personne ne peut mettre à exécution toutes les lois en tout temps. Ce n'est pas pratique et ce n'est pas faisable.

M. Gérard Normand, avocat, ministère de la Santé: En réponse à cette question, je dirais également que les accusations relatives aux stupéfiants font l'objet de poursuites de la part des avocats de la Couronne fédérale partout au Canada, sauf au Québec où c'est une question de compétence provinciale. Même si les infractions au Code criminel relèvent du procureur général de chaque province, la Loi sur les stupéfiants est appliquée par le gouvernement fédéral partout au Canada, sauf au Québec.

Le sénateur Milne: Monsieur, vous avez utilisé le mot «réputé». Ce mot me laisse toujours un peu perplexe. Le comité de la Chambre des communes qui a examiné ce projet de loi a supprimé la disposition déterminative avant qu'il ne nous soit renvoyé. Je vois à la page 1 du projet de loi le mot «analogue» dont on donne une définition. Je ne peux pas retrouver ce mot nulle part ailleurs dans le projet de loi. Pourquoi est-il défini ici? Est-ce qu'on essaie de façon déguisée d'introduire une disposition déterminative?

M. Saint-Denis: Non, ce n'est pas une façon déguisée de faire les choses alors qu'on aurait dû passer par la grande porte. Vous allez retrouver le mot «analogue» dans les annexes exclusivement.

Il est question au point 3 de l'Annexe 1, à la page 57, des intermédiaires, des sels, des dérivés et des analogues.

Le sénateur Gigantès: Ce sont des équivalents?

M. Saint-Denis: Les analogues sont des variétés chimiques. Ce terme a été utilisé pour englober la fabrication de drogues de confection. Les drogues de confection sont des drogues qui ont une ressemblance chimique étroite avec le produit qu'elles sont censées copier, et qui produisent à peu près les mêmes effets physiques. Parce qu'elles sont chimiquement différentes, elles ne font pas partie des substances énumérées ici.

De très intelligents chimistes peuvent fabriquer des substances qui procurent le même effet que d'autres drogues, mais qui n'entrent pas dans la définition donnée sous le terme exact dans la loi. Le mot «analogue» est là pour englober ces substances chimiques.

M. Normand: La disposition déterminative du paragraphe 3(1) à laquelle vous faites allusion avait trait à la similarité de l'effet de la substance. On a pensé que ce terme était plus vaste. S'il avait été possible de prouver que la substance avait le même effet, ou qu'une substance ne figurant pas sur la liste avait le même effet qu'une substance qui y figure, elle aurait été incluse. Cette disposition a été supprimée. Actuellement, seule la similarité en ce qui concerne la structure chimique demeure, l'effet ayant été laissé de côté.

[Français]

Le sénateur Nolin: Si ce n'était des traités internationaux, pour quelle raison maintiendrait-on ces prohibitions? J'espère que vous avez des raisons médicales.

M. St-Denis: Les traités, les conventions ne traitent pas uniquement du cannabis. Il y a une série de substances. Certaines substances sont des stupéfiants, d'autres, des hallucinogènes, d'autres, des psychotropes. L'usage de ces substances dans certains cas est très dangereux. Dans d'autres cas, c'est moins dangereux. Si l'on doit croire certaines personnes, dans quelques cas, elles ne sont pas dangereuses du tout. Cela dépend de l'usage.

Le sénateur Nolin: Je suis d'accord avec vous sur l'héroïne, la cocaïne, le crack. Sans les avoir essayés, je crois d'emblée ceux qui me disent que c'est dangereux pour la santé. Les témoins font référence à différentes études. La question du mythe que je cherchais dans mes documents sur la marijuana, je ne l'ai pas trouvée.

Est-ce que l'on fait des lois pour réprimer l'usage ou la possession du cannabis uniquement parce qu'on est partie à un traité international, qui inclut entre autres le cannabis parmi d'autres stupéfiants? Si l'on isolait le cannabis, si on ne l'avait pas notre traité, est-ce que l'on maintiendrait cette prohibition? Est-ce que l'on a des raisons médicales canadiennes? Est-ce que l'on a fait des recherches qui concluent encore que l'on doit réprimer l'usage du cannabis pour un individu qui déciderait de risquer sa santé, comme un buveur d'alcool incontrôlé le fait?

M. Normand: Cette question a été soulevée dans une cause qui ne vous a pas été citée par aucun témoin. C'est une décision de la Cour d'appel du Québec en 1993 dans la cause de M. Hamon, le témoin qui est venu devant vous il y a quelques semaines. Ses prétentions étaient à l'effet que les infractions en matière de possession et de culture de marijuana enfreignaient ses droits en vertu des articles 7 et 15 de la Charte.

Dans cette décision, l'appel à la Cour suprême a été refusé. J'ai seulement la version anglaise. Le juge Beauregard a eu à déterminer, après la cause en première instance, si effectivement la prohibition était déraisonnable aux yeux de la Charte. On retrouve parmi les témoins entendus en première instance, M. Harold Kalant, considéré comme un spécialiste mondial en matière de cannabis. C'est un psychopharmacologue à l'Addiction Research Foundation à Toronto. Il y eu aussi un psychiatre de l'Hôpital Général de Montréal qui traite dans une clinique ceux qui ont des problèmes de drogue et de boisson. Il y a eu M. Jones, un psychiatre de San Francisco, un chercheur qui fait des expériences sur les effets du THC sur les gens. Ces trois témoins ont témoigné en première instance sur les effets néfastes de la marijuana.

On élabore ces principes à la page 492 et au bas de la version anglaise, on lit:

[Traduction]

Or, ces témoins ont fait valoir que l'abus de consommation de cannabis a des effets nuisibles pour le bien-être de la société.

[Français]

Au haut de la page, la question est lancée, à la dixième ligne, on lit:

[Traduction]

L'intervention de l'État pour empêcher une personne de consommer telle ou telle substance ne respecterait pas les principes de justice fondamentale si cette prohibition n'avait pas un caractère raisonnable, c'est-à-dire si l'acte prohibé ne constituait pas un acte réellement nuisible au bien-être de la société.

[Français]

Il jette la base de son raisonnement. Il commence par dire qu'il a entendu les différents spécialistes.

Le sénateur Nolin: On aurait aimé aussi les entendre. Je ne critique pas la décision du juge Beauregard. Au comité, des gens sont venus nous dire qu'il y a un mythe autour de cela. Ce n'est pas si dangereux. Celui qui veut en prendre, si cela affecte sa capacité d'avoir l'esprit clair, c'est son affaire. Cela ne dérange pas les autres. C'est ce que nous avons entendu depuis cinq ou six séances.

Des témoins vont-ils venir nous dire que c'est dangereux, voici l'autre côté de la médaille. Cela affecte le foie, cela met en danger le coeur. Je comprends que le juge Beauregard les a entendus, mais pas nous.

M. Normand: Les gens qui veulent se faire entendre vont demander à se faire entendre. Du côté gouvernemental, on est ici pour défendre le projet de loi et non pour réviser la politique. C'est la raison pour laquelle on n'a pas de témoins à vous présenter à ce stade.

Le sénateur Nolin: Notre façon de faire n'est peut-être pas la bonne. Quand on examine un projet de loi, il faut en examiner les racines et les objectifs. Les fonctionnaires nous disent: «C'est une question politique, le ministre va y répondre».

Est-ce que l'on a besoin de prohiber la possession et l'usage personnel du cannabis? C'est la question que l'on se pose depuis trois semaines. Une série de témoins nous ont presque convaincus que ce n'est pas si grave que cela. J'étais à peu près convaincu que vous alliez dire le contraire. Je me suis dit que vous viendriez avec des témoins. En tout cas, s'il le faut, nous allons prolonger notre étude.

Le sénateur Gigantès: Des expériences ont été faites sur des animaux qui prouvent que si on administre des injections d'eau distillée pure en assez grande quantité, cela va leur causer des maladies. Il y a des gens qui se tuent en fumant. Des gens boivent trop d'alcool, se tuent, tuent d'autres personnes et rendent la vie de leur famille absolument impossible. Comment est-ce que la marijuana se compare avec les mauvais effets du tabagisme et de l'alcool? Nous voudrions entendre quelques experts qui parleraient de cela.

Le sénateur Nolin: Nous ne sommes pas pressés au point de refuser d'entendre ces témoins qui viendraient nous éclairer grandement. Revenons aux traités internationaux. Dans le rapport du juge Le Dain, j'en ai lu des extraits, je n'ai pas trouvé la version complète du rapport principal. Il ne semble pas préoccupé, les cinq commissaires ne semblent pas préoccupés par la coexistence de son rapport et de la convention de 1961. Il recommande même la signature de la convention de 1971. Est-ce que vous avez une idée à ce sujet?

M. St-Denis: Les rapports de la commission Le Dain ont été rédigés avant la signature de la convention de 1988. La convention de 1961, selon certaines personnes, est un peu ambiguë en ce qui concerne la possession de cannabis ou d'héroïne à des fins personnelles. À mon avis, l'ambiguïté n'est pas aussi claire. Ceci dit, je crois que la convention de 1988 est très claire à cet effet.

Il faut traiter avec le droit criminel, la possession à des fins de consommation personnelle. Il n'y a pas d'ambiguïté à ce sujet. Le juge Le Dain n'avait pas le bénéfice de cette convention lorsqu'il a préparé son rapport.

Face à cette ambiguïté concernant la convention de 1961, il croyait qu'il avait une certaine marge de manoeuvre. Je ne suis pas convaincu que les conclusions du rapport Le Dain seraient les mêmes concernant la convention de 1988.

Le sénateur Nolin: Prenons le problème différemment. Aux fins de la discussion, elles nous empêchent jusqu'à un certain point de décriminaliser la possession simple de cannabis. Est-ce que les autorités canadiennes ont, à ce jour, entretenu des discussions avec les cosignataires de ces différentes conventions pour décriminaliser le cannabis?

M. St-Denis: La dernière et la plus claire expression des états concernant la consommation des drogues, y compris le cannabis et l'usage personnel et cetera, c'est la convention de 1988. On l'a complétée en 1988. Encore de nos jours, les pays signataires - pour répondre à cette question, on ne parle pas de 20 ou 30 ans en arrière, c'est quand même relativement récent - ont été d'avis qu'il fallait criminaliser ce comportement.

En ce qui concerne les discussions récentes, à ma connaissance, il n'y en a pas eu officiellement. Le groupe de M. Gilmour et d'autres ont des contacts avec d'autres groupes informels, des groupes populaires.

Le sénateur Nolin: Je pense à des échanges au niveau gouvernemental.

M. St-Denis: En ce qui concerne les échanges gouvernementaux, il ne s'est rien produit.

[Traduction]

M. Rowsell: L'Organisation mondiale de la santé fait fonction de conseillère auprès de la Commission des stupéfiants de l'Organisation des Nations Unies. La commission va demander à l'Organisation mondiale de la santé à Genève de constituer un comité d'experts pour examiner les drogues périodiquement. À ma connaissance, elle n'a pas demandé à l'Organisation mondiale de la santé d'étudier le cannabis, mais elle s'est penchée sur d'autres psychotropes, surtout d'un point de vue médical.

Ce projet de loi et ses annexes énumèrent toutes les choses interdites. L'Annexe N du règlement énumère toutes les substances qui peuvent être utilisées à des fins médicales: la codéine, la morphine et d'autres substances que les médecins et les pharmaciens sont autorisés à manipuler pour traiter des patients.

J'admets que l'Organisation mondiale de la santé s'intéresse surtout à l'usage médical des drogues, mais je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas lui demander d'effectuer une étude scientifique en profondeur du cannabis.

J'ai écouté les témoignages entendus ici et à la Chambre des communes. Je sais dans quel dilemme vous vous trouvez. Je comprends que vous soyez tous très préoccupés par les moyens à prendre pour régler la question du cannabis.

Lorsque le projet de loi a été présenté, le ministère de la Santé a été appelé à refondre l'actuelle Loi sur les stupéfiants et les parties III et IV de la Loi sur les aliments et drogues, qui traitent des stupéfiants et des drogues contrôlées. Nous ne satisfaisions pas non plus à nos obligations concernant le contrôle de certaines drogues, dont les précurseurs, les drogues de confection et les benzodiazépines, un groupe de tranquillisants dont on fait un vaste commerce illicite.

C'est dans cet esprit que le ministère de la Santé a proposé ce projet de loi. Nous reconnaissons que les Canadiens sont très préoccupés par les mesures que nous prendrons à l'égard du cannabis et par les abus qu'il risque d'engendrer. C'est pourquoi nous devons avoir l'avis à ce sujet d'une grande fourchette d'experts. Nous devrions rencontrer des experts de l'Organisation mondiale de la santé ainsi que de la commission à Vienne. Nous devrions appeler à témoigner des experts qui se sont penchés sur cette question à Amsterdam ou en Australie.

C'est une entreprise de très grande envergure. C'est pourquoi le comité de la Chambre des communes a recommandé dans son rapport un examen de la politique relative aux drogues, dans l'espoir qu'elle soit examinée sous le plus d'angles possible. Il vous serait très difficile d'en arriver maintenant à une conclusion sans entendre tous les conseils que ces gens pourraient avoir à vous donner.

Je vous encourage à vous joindre aux députés qui entreprendront cet examen avec le comité permanent de la santé. L'honorable Roger Simmons, président du comité, s'est engagé à ce que cet examen ait lieu.

Vous vous trouvez devant un véritable dilemme, cela ne fait aucun doute. Toutefois, ce serait peut-être pour vous l'occasion de vous joindre à eux et de faire en sorte que toutes vos préoccupations soient abordées en même temps.

Le sénateur Gigantès: Il y a quelques années, le ministère de la Santé disait que Nutrasweet présente moins de risques pour la santé que la saccharine, et je me suis donc fait un devoir de changer de produit, parce que le sucre présentait apparemment plus de dangers pour moi que Nutrasweet. La saccharine n'a pas pour autant été déclarée illégale. Elle est toujours vendue; on la trouve encore en petits sachets dans les restaurants.

C'est une question d'évaluation du risque, comme je l'ai déjà dit, mais nous devons avoir certaines informations. Est-ce un produit plus dangereux ou moins dangereux que d'autres que nous autorisons, comme le tabac et l'alcool? À moins d'évaluer les risques, nous ne faisons pas notre travail.

Le sénateur Doyle: Vous venez de parler de la nécessité d'une étude scientifique en profondeur du cannabis, du danger qu'il présente et des méthodes de contrôle existantes. Nous avons demandé en même temps une étude scientifique en profondeur sur la détermination de la peine et sur les réalisations au fil des ans par rapport à la loi telle qu'elle était à différents moments. C'est la deuxième fois en dix ans que j'étudie la marijuana au sein de ce comité-ci.

J'ai entendu pour la première fois parler de la marijuana dans un film qui a été présenté à mon école secondaire. Ce film avait pour titre Reefer Madness. La marijuana était présentée comme une chose qui vous rendait incroyablement sexy et attirant pour bien sûr entraîner ensuite votre perte. Après l'avoir utilisé, vous perdiez l'estime de vos parents; c'était une honte pour eux. Il pouvait vous arriver toutes sortes de choses terribles.

Je me souviens avoir été tellement impressionné que je voulais trouver quelqu'un qui en avait déjà pris pour en savoir plus long. Je n'ai pas pu trouver une seule personne ayant fait usage de marijuana qui eut été prête à m'en parler. C'était toutefois à l'époque un «gros problème». Tout tend maintenant à montrer que les jeunes de mon åge au moment de cette confrontation dans les écoles secondaires qui n'ont jamais pris de marijuana seraient plutôt l'exception que la règle.

Ce sont là les progrès que nous avons réalisés, messieurs, au cours des ans avec un petit coup de pouce de gens de l'extérieur du pays, un peu d'aide de la part des moonistes et un peu d'ingérence, parce que le trafic de ce stupéfiant peut rapporter gros. Malgré tout, je ne peux penser à aucune étude en profondeur ou scientifique qui a été couronnée de succès. Nous continuons à nous demander si une loi ne devrait pas l'interdire.

Serait-il possible d'avoir une étude scientifique sur l'incidence des modifications apportées à la loi et sur la façon dont les tribunaux ont réagi à la loi dans différentes régions du pays? Il y a parfois des différences pour ce qui est de la détermination de la peine non seulement dans différentes régions du pays, mais à l'intérieur de la même ville, selon le juge.

Si nous voulons arriver à convaincre les moins de 40 ans de la validité du régime adopté et de la nécessité de continuer à classer la marijuana dans la catégorie des drogues interdites, si nous voulons qu'ils croient à ce que nous faisons, il nous faut plus de données que celles dont nous disposons actuellement et une plus grande expérience, il faut bien l'admettre.

Quelqu'un pourrait peut-être me dire qu'une telle étude sur la détermination de la peine et l'incidence de la loi a déjà été faite, ou qu'aucune étude de ce genre n'existe, mais qu'il serait possible d'en effectuer une.

M. Rowsell: Vous êtes un homme très sage. Il n'y aura jamais une étude unique. Sans vouloir présupposer quelle est au juste l'intention du comité de la Chambre des communes, je dirais qu'il ne veut pas uniquement une étude scientifique. Je crois savoir qu'il a l'intention d'examiner tous les paramètres que vous avez mentionnés, c'est-à-dire les questions sociales, les paramètres sociaux et la science de la substance elle-même. Son intention est d'aborder tout cela de manière à couvrir toutes les questions que vous avez soulevées.

Le sénateur Doyle: J'ai demandé explicitement une étude de la loi telle qu'elle a existé, de l'incidence qu'elle a eue et de l'uniformité de son application. Ce n'est pas une étude impossible. Je veux seulement parler de l'expérience canadienne.

M. Saint-Denis: Je ne suis pas certain que cela se prête à une étude scientifique. Il n'est pas facile, même dans les meilleures circonstances, d'essayer de trouver un lien de cause à effet entre l'existence d'une loi et un comportement quelconque.

Je ne pense pas qu'il faille une étude scientifique pour déterminer si l'application de la loi a une valeur quelconque. Vous devez partir de l'hypothèse que la loi n'est pas appliquée uniformément à l'échelle du pays. Ce n'est pas la même chose que de dire qu'elle est appliquée injustement; elle n'est tout simplement pas appliquée de la même manière. Il y a des facteurs qui contribuent à cela, et auxquels ont fait allusion également d'autres intervenants.

Quant à l'incidence de la loi sur le comportement d'un individu, il faut bien souvent se contenter de conjectures. Certains se laisseront impressionner par la peine rattachée à un type de comportement et ils ne l'adopteront pas. D'autres pourraient être attirés par l'existence même d'une loi pénale ou d'une sanction pénale rattachée à un certain type de comportement. Pour d'autres, la question ne se pose tout simplement pas. Tout dépend de chacun. Il y a tellement de facteurs qui interviennent. Je ne pense pas que tout puisse se résumer à une simple équation scientifique.

M. Normand: On pourrait dire la même chose d'autres infractions prévues par le Code criminel, comme le vol ou l'introduction par infraction. Pour certaines personnes, cela n'est rien; pour d'autres, c'est grave. Le fait que cela soit illégal n'empêchera pas certaines personnes de passer aux actes. Ce n'est pas une chose qui est propre à la possession de drogues.

Le sénateur Doyle: Pourquoi tout ce mystère à propos de la marijuana et d'autres drogues mais pas à propos du vin, par exemple, même si celui-ci fait probablement autant de victimes, est la cause d'autant de malheurs et procure plus de plaisir encore que la marijuana?

Je crois comprendre ce qui se cache derrière tout cela. Je comprends les risques pris, les peines imposées et la façon dont la loi est administrée. Il y a bien longtemps que nous ne nous sommes pas interrogés sérieusement sur la façon dont nous traitons le vin en vertu de nos lois, sauf peut-être ici, en Ontario, où les gens soutiennent qu'il devrait être vendu dans tous les magasins. Quand il est question de marijuana, on peut défendre aussi férocement le pour et le contre, et il y a au milieu de tout cela des gens qui ne comprennent les vues ni d'un camp, ni de l'autre. Pourquoi en sommes-nous toujours là? Vous représentez le ministère de la Justice. Montrez-nous en quoi ce que vous proposez est juste.

M. Normand: La marijuana suscite la discussion parce qu'elle est illégale. Si le vin était illégal, on en discuterait autant. À un moment donné, différents pays ont décidé de criminaliser cette drogue en se fondant sur les faits. Je vous renvoie une fois de plus à l'affaire Hamon, dans le cas de laquelle le témoignage du gouvernement du Canada a amené le tribunal à statuer qu'il n'était pas déraisonnable au regard de la Charte de vouloir criminaliser la chose.

Il a été question de tabac et d'alcool dans cette décision. Le juge Beauregard a parlé du comportement et dit: «On pourrait répondre que le tabac ne provoque pas une conduite erratique chez le consommateur...», contrairement aux drogues.

Le juge Beauregard dit de l'alcool qu'il faudrait probablement tenir compte de nos traditions culturelles, qui viennent peut-être tempérer le désir de l'État d'en interdire l'usage. Cette décision a été rendue dans le contexte de la Charte.

Lorsqu'une chose est illégale et soulève autant la discussion que la question de la marijuana actuellement, on entend évidemment le pour et le contre. C'est pourquoi la Chambre a accepté et recommandé qu'il y ait un examen en profondeur de la politique.

Le sénateur Doyle: Si nous légalisions la marijuana, nous arriverions peut-être à trouver comment la réglementer, comment la distribuer et comment l'utiliser, et nous en viendrions peut-être un jour à la considérer avec une certaine sérénité, tout comme le vin.

Le sénateur Jessiman: Il est dit ce qui suit dans la décision Hamon:

Il faut présumer qu'en continuant à prohiber la culture et la possession de cannabis, le législateur se fonde sur l'opinion éclairée et de bonne foi de ces spécialistes.

Voilà que nous sommes en train d'en parler ici. Nous savons, d'après ce que des gens nous ont dit, que ce n'est pas du tout le cas. Or, de l'avis des tribunaux, parce que le Parlement dit qu'il en est ainsi, il doit en être ainsi. Vous dites le contraire. Les avis sont partagés. D'après ce que nous avons entendu, 90 p. 100 sont d'accord pour dire que cette substance n'est pas nuisible. Avant d'adopter ce projet de loi, il faudrait avoir une étude. Si nous l'adoptons, les tribunaux vont en dépendre. Nous faisons les lois ici, et cela nous met dans une position difficile.

La présidente: J'aimerais remercier M. Saint-Denis de sa clarté au sujet de la déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Tout au long de la discussion sur le projet de loi concernant les armes à feu, j'ai attendu ce genre de déclaration. Les témoignages entendus nous ont convaincus que la déclaration sommaire de culpabilité ferait en sorte que les empreintes digitales n'aboutissent pas au CIPC. Mais personne, pas même les représentants du ministère de la Justice, n'a dit au comité que les empreintes ne seraient pas prélevées. Je vous remercie de cette précision. Je suis persuadée que je l'utiliserai dans ma correspondance au cours des quelques prochains mois.

Je suis préoccupée par le principe de l'absolution inconditionnelle. Nous savons que n'importe qui peut demander une absolution inconditionnelle, dans les limites du raisonnable.

Laissez-moi vous donner un exemple classique. Un jeune est arrêté, accusé et déclaré coupable de possession. Il assure sa propre défense. Il sait que l'amende qu'il aura à payer ne dépassera probablement pas 100 $. Il ira au tribunal, plaidera coupable, paiera son amende pour ensuite repartir. Personne ne lui parle de l'absolution inconditionnelle. Personne ne lui dit qu'il peut en demander une. Personne ne lui dit que s'il demande une absolution inconditionnelle et que celle-ci lui soit accordée, d'après l'information que nous avons ici, il n'aurait pas de casier judiciaire.

Que pensez-vous de l'idée de modifier la loi pour préciser qu'une demande d'absolution inconditionnelle doit être présentée dans chaque cas de possession de marijuana?

M. Saint-Denis: C'est un petit détail technique. On ne peut pas demander une absolution inconditionnelle. Celle-ci fait partie des peines qu'un tribunal peut imposer. Le juge, à la demande de la Couronne ou de la défense, ou encore de sa propre initiative, conclura que dans un cas en particulier, une absolution inconditionnelle ou une absolution sous condition est justifiée, et il agira en conséquence. Une fois qu'une personne a été déclarée coupable, il lui est impossible de demander une absolution; elle a déjà été déclarée coupable.

La présidente: Je le sais, mais si la Couronne tient à une absolution inconditionnelle, elle va faire ce qu'il faut. Si le jeune dont je parlais a retenu les services d'un avocat, celui-ci interviendra peut-être. Mais qu'en est-il du jeune qui n'a jamais entendu parler d'une absolution inconditionnelle? Ce n'est pas le juge qui va prendre l'initiative.

M. Saint-Denis: Oui, le juge peut le faire. S'il est d'avis que l'infraction est tellement mineure qu'elle n'exige pas plus d'une absolution, il le fera. Peu importe qu'il y ait eu ou non des demandes d'absolution. Le juge peut agir de sa propre initiative.

La présidente: La loi peut-elle faire en sorte que cela soit obligatoire?

M. Saint-Denis: Oui, techniquement. Je ne sais pas exactement comment il faudrait s'y prendre.

La présidente: Moi non plus.

Le sénateur Bryden: Il est dit quelque part dans la documentation qu'il s'agissait au départ d'un projet de loi d'ordre administratif. Aucun des témoins que nous avons entendus ne pense que vous êtes un très bon administrateur. Personne n'est prêt à appuyer ce projet de loi à moins que quelque chose ne soit modifié. En règle générale, on est très inquiet.

Nous essayons de respecter le traité de 1961. Même s'il a été revu, ce traité a été conclu il y a 35 ans. Le traité qui a trait au trafic, à l'importation et à l'exportation est intervenu en 1988.

Les politiques dont découlent certaines de ces dispositions datent d'au moins 35 ans. Elles étaient probablement en place dix ans avant qu'on en arrive à l'étape de la convention.

Le traité de 1988 a été conclu au beau milieu de la guerre antidrogue que menait la nation la plus puissante au monde. Je serais prêt à parier que les États-Unis en sont les instigateurs.

J'ai eu l'impression, d'après ce que vous avez dit, que la marijuana a été incluse dans le traité parce qu'on s'acharnait sur le Mexique du fait qu'il était producteur, importateur et ainsi de suite. Essentiellement, on s'est acharné contre lui à cause du trafic et de l'importation. Les Mexicains se disaient: «Si nous n'avions pas de marché aux États-Unis, les choses n'iraient pas aussi mal.»

Est-il juste de dire que la marijuana a été incluse à la demande du Mexique à titre de compensation pour l'amener à signer le traité?

M. Saint-Denis: Non. Vous avez soulevé deux questions. La première est l'åge de la convention de 1961. Elle date de 35 ans. Elle reflète les préoccupations de l'époque, mais les choses ont peut-être changé depuis. La convention de 1961 est, en raison de sa nature et de son objet, considérablement différente de celle de 1988. La convention de 1961 et celle de 1971, qui a pour objet les substances psychotropes, ont trait au contrôle, à la réglementation et à l'administration du commerce, de la production et de la culture des stupéfiants. Elles visent à assurer qu'il y a un régime cohérent qui s'applique aux stupéfiants à l'échelle mondiale.

La production de stupéfiants est limitée à une petite poignée de pays. De quatre à cinq pays environ produisent le pavot somnifère, qui sert à la fabrication de la morphine, de l'héroïne et de tous leurs dérivés, alors que seulement un ou deux pays sont producteurs de cocaïers. Nous tenions à nous assurer qu'il existait un régime en vertu duquel le produit naturel pourrait être exporté ailleurs dans le monde de manière ordonnée afin d'être utilisé comme médicament pour le traitement de la douleur.

C'est ce que voulait la convention de 1961. Elle porte le nom de Convention unique parce qu'elle réunit en une seule convention les dispositions de plusieurs conventions antérieures. Elle a unifié les dispositions de toutes les conventions qui existaient avant elle, d'où le nom, Convention unique. L'un des nombreux éléments de cette convention est la pénalisation obligatoire de certains types de comportement.

La convention de 1988 est tout à fait différente. Elle est essentiellement axée sur la notion de l'exécution de la loi et sur les efforts nécessaires à l'échelle internationale pour contrer le trafic. L'orientation et la philosophie sous-jacente des conventions sont tout à fait différentes.

Le sénateur Bryden: Pourrions-nous nous conformer à la convention de 1961, mais pas à celle de 1988?

M. Saint-Denis: Non, car nous avons signé les deux.

Le sénateur Bryden: Pourrions-nous nous conformer à la Convention de 1961 tout en ne nous conformant pas complètement à celle de 1988?

M. Rowsell: C'est ce que nous faisons actuellement. Nous observons la convention de 1961, mais pas celle de 1988.

M. Saint-Denis: Ni certains éléments de la convention de 1971, et c'est une autre raison d'être du projet de loi.

Quant au Mexique, il est considéré comme un pays producteur. La préoccupation du Mexique n'était pas tant que les États-Unis sont un gros marché de consommateurs et que, sans eux, il n'aurait pas été qualifié de pays producteur de sorte qu'il fallait inclure cette disposition pour qu'il ait son mot à dire. Ce n'était pas du tout sa position.

La délégation mexicaine a fait valoir que le trafic des stupéfiants n'est pas une rue à sens unique. Pour qu'il y ait un vendeur, il faut qu'il y ait un acheteur. Ce n'était pas une remarque qui s'adressait aux États-Unis. C'était une simple observation. L'idée était que nous devions pouvoir nous attaquer à la question des drogues des deux côtés. L'achat fait partie du trafic. C'est tout à fait vrai du point de vue des criminologues.

Le sénateur Bryden: Peut-être, mais s'il n'y avait pas de navets, il ne serait pas nécessaire d'en contrôler le marché. Si le Mexique ne produisait pas de drogues d'usage restreint, alors il n'aurait pas à s'inquiéter du marché créé aux États-Unis pour ces drogues.

M. Rowsell: Mais quelqu'un les importera.

Le sénateur Bryden: Il est possible de contrôler la substance en supprimant la source d'approvisionnement ou en supprimant le marché. Si vous supprimez complètement le marché, personne ne va l'approvisionner.

M. Saint-Denis: L'observation n'a pas été faite parce que le Mexique était un pays producteur. Il avait l'appui de pays qui n'étaient ni des pays producteurs, ni des pays d'acheminement. L'observation a été faite à partir de l'idée classique de ce qui constituait le trafic, qui a toujours été considéré du point de vue de la vente et rien d'autre. On a dit qu'il n'y pas que la vente en cause; il y a aussi l'achat. L'observation a été bien accueillie par un certain nombre de pays qui n'ont rien à voir avec la production ou l'acheminement.

C'est pourquoi nous avons proposé cette disposition complexe qui englobe la possession, mais qui l'exclut de l'application générale de la convention. Tout le monde reconnaissait que la possession est une infraction relativement mineure, surtout la possession pour un usage personnel. C'était une question relativement mineure par comparaison à ce que nous tenions à inclure dans cette convention. Il s'agissait tout simplement d'un effort de la part du Mexique pour faire valoir que le trafic n'englobe pas seulement la vente; il englobe aussi l'achat. Il tenait à ce que la convention s'applique également aux deux. D'autres tenaient tout autant à ce qu'il n'en soit pas ainsi. Le compromis a consisté à trouver une façon de dire que même si nous devons criminaliser la possession, le reste de la convention ne s'appliquera pas à cette infraction particulière. L'idée était de signaler la chose, de préciser qu'il fallait criminaliser ce genre d'activité pour ensuite lui trouver une place à l'extérieur du champ d'application du reste de la convention.

Le sénateur Bryden: Lorsque je vivais dans le monde réel, j'ai longtemps gagné ma vie à négocier des contrats de travail. La clause qui nous donnait toujours le plus de mal était celle qui devait être arrêtée à la onzième heure pour que le marché soit accepté. J'ai l'impression que c'est ce qui s'est peut-être passé dans ce cas-ci.

M. Saint-Denis: Non. Cette clause a été adoptée à mi-chemin de nos discussions et négociations. Ce n'était pas du tout une manoeuvre douteuse de dernière minute.

Le sénateur Milne: Monsieur Rowsell, je sais que vous êtes le directeur du Bureau de la surveillance des médicaments, mais vous représentez aussi le ministère de la Justice. Vous pourriez peut-être répondre à ces questions pour moi.

Nous avons reçu une lettre d'une Mme Riley qui nous a signalé que la Stratégie canadienne antidrogue avait pris fin un an plus tôt que prévu. Elle a laissé entendre dans sa lettre que la décision de mettre un terme au programme était attribuable à une divergence de vues avec le ministère de la Santé au sujet des drogues. Elle résume très bien ses accusations en disant ce qui suit:

Parce que la division de la politique du CCLAT s'est écartée de la position officielle en ce qui concerne le maintien du statu quo à l'égard des questions qui intéressent la politique relative aux drogues, on a trouvé le moyen de la faire taire.

Le CCLAT est le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies. Il est financé par la Stratégie canadienne antidrogue. Mme Riley a récemment été licenciée lorsque l'annulation de la stratégie a mis fin au financement de ce programme.

Pourquoi a-t-on mis un terme à la Stratégie canadienne antidrogue une année plus tôt que prévu? Qu'est-ce que le ministère a à répondre aux accusations voulant qu'il ait décidé d'y mettre un terme pour essayer de faire taire le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies parce que sa position était souvent contraire à la politique du gouvernement?

Mme Riley va jusqu'à dire dans sa lettre au président du comité qu'on l'a menacée de revoir la question de son emploi si elle continuait à critiquer la politique du gouvernement. Pouvez-vous commenter ce que je viens de dire?

M. Rowsell: L'examen du financement de la Stratégie canadienne antidrogue faisait partie de la deuxième étape de l'étude des programmes, étant donné la décision du gouvernement de revoir le financement et l'état d'avancement de tous les programmes. L'examen du financement s'inscrivait dans ce programme entrepris à l'échelle du gouvernement.

À ma connaissance, tous les fonds n'ont pas été éliminés. Il reste encore certains fonds pour la Stratégie canadienne antidrogue, mais je n'ai aucun détail à ce sujet. Ce programme relève de la sous-ministre adjointe de notre direction générale des programmes de santé, Mme Kay Stanley. Je peux essayer de savoir pour vous comment on s'y est pris.

Je n'ai aucune idée des répercussions que cet examen a pu avoir pour le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies ou quoi que ce soit d'autre.

Le sénateur Milne: Vous n'avez pas répondu à ma question.

M. Rowsell: Je peux essayer de m'informer pour vous.

Le sénateur Milne: Je sais que ce n'est pas de votre faute.

J'ai deux autres points à vous signaler. Lorsque j'ai lu ce projet de loi, je me suis dit qu'il ne vise pas à améliorer la santé des Canadiens; c'est plutôt un projet de loi punitif. Cela me préoccupe. Comment Santé Canada peut-il concilier ce sentiment avec ce que M. Gilmour a dit plus tôt aujourd'hui, à savoir que le principe fondamental devrait être la retenue à l'égard de l'application du droit criminel? Ce projet de loi va à l'encontre de ce sentiment de retenue.

M. Rowsell: En ce qui concerne l'approche de l'abus d'intoxicants axée sur la réduction des méfaits, il est question dans le projet de loi de choses impossibles à faire. Il prévoit également l'adoption de règlements dans le cas de ce qui peut être fait. La plupart des choses qui sont possibles pour ce qui est de la santé font partie de règlements, comme l'autorisation accordée aux médecins de prescrire, aux pharmaciens de vendre et aux fabricants de produire des substances thérapeutiques. Par la même occasion, et dans le contexte de la Stratégie canadienne antidrogue, nous considérons ce projet de loi comme l'une des mesures à prendre pour contrôler l'approvisionnement.

L'aspect réduction de la demande - l'éducation, le traitement, la prévention et la désintoxication - est une chose à laquelle travaillent de nombreux partenaires au Canada. De nombreux témoins vous ont dit que les gens n'ont pas accès à des centres de désintoxication. Nous les envoyons en prison alors qu'ils devraient suivre une cure de désintoxication. Il n'y a probablement personne ici qui trouverait quelque chose à redire à cela.

C'est ce que nous devrions faire. Cependant, les provinces n'ont pas les fonds nécessaires. Je le répète, la prestation des soins de santé relève de la compétence des provinces.

On se demande comment s'y prendre pour affecter au système de santé une partie des fonds qui vont au système pénitentiaire.

Le sénateur Milne: Ou comment sortir les gens du système pénitentiaire.

M. Rowsell: Ce genre de débat dépasse tout ce que nous pouvons faire. Nous essayons d'envisager la question d'un point de vue médical.

La présidente: Il est clair, sénateurs, que le temps commence à presser. Je pense qu'il nous faudra demander à nos témoins de revenir pour leur poser les questions qu'il nous reste. La greffière arrêtera une date et une heure qui nous conviennent à tous.

[Français]

Le sénateur Nolin: Vous étiez présents durant toutes les séances que nous avons tenues. Vous avez eu accès à toute la documentation. J'aimerais reprendre certains arguments qui ont été soulevés par certains témoins. Monsieur Raymond, entre autres, dans sa correspondance nous parle de la corruption policière. Il y a toute la question de l'industrie du chanvre qui nous semble tout à fait raisonnable, et la question du mémoire du Barreau canadien qui est incontournable. Je pense que vous allez devoir répondre à cela avec beaucoup d'aplomb. J'espère que vous allez passer en revue toute cette information afin que l'on puisse continuer notre étude et que l'on prenne la meilleure position qui n'est peut-être pas d'adopter la loi dans son état actuel. Il y a eu d'autres commissions d'étude. Cela fait 35 ans que l'on a la convention unique. Il me semble que cela fait 35 ans que l'on entend dire que le cannabis n'est pas dangereux.

Est-ce que c'est une étude de la Chambre des communes qui va vraiment régler cela? Je n'en suis pas certain. On a un projet de loi et l'on a une sorte de monnaie d'échange qui, peut-être, nous permettront d'avancer un peu plus pour essayer de trouver une solution à un problème qui n'est sûrement pas purement médical. J'ai peur que cette solution en soit une où l'on se dit que tous les autres pays le font. Nous ne serons pas les premiers à casser la glace. Préparez-vous comme il le faut. Nous nous réunirons pendant deux ou trois heures.

[Traduction]

Le sénateur Milne: J'ai une question à laquelle ces messieurs pourraient répondre à ce moment-là.

Hier, nous avons entendu le témoignage de gens qui sont très préoccupés. Je leur ai demandé s'ils avaient autant d'inquiétudes à propos de l'abus d'intoxicants en ce qui concerne la culture du chanvre. L'un d'entre eux m'a répondu qu'il était possible, effectivement, de fabriquer à partir du chanvre une påte qui est très hallucinogène. Lorsque vous reviendrez nous voir, j'aimerais que vous nous disiez si c'est vrai.

La présidente: Tous les amendements demandés au comité par les divers témoins entendus ont été résumés. Nous allons porter ce document à votre connaissance. Il serait utile que vous commentiez chacun des amendements demandés à notre prochaine réunion.

Le sénateur Nolin: Si vous avez entendu de fausses informations durant les témoignages présentés au comité, il serait bon que vous nous l'indiquiez. Ne pensez pas que si nous ne posons pas de questions, c'est parce que nous croyons que l'information est fausse. Au contraire.

M. Rowsell: Je ne dirais pas qu'elle était fausse, mais plutôt biaisée.

Le sénateur Nolin: Alors, vous pourrez la commenter.

Le sénateur Doyle: Santé Canada ou le ministère de la Justice ont-t-ils une liste des divers projets qui ont été lancés pour savoir comment nous pourrions modifier la loi ou l'adapter? On nous parle constamment de ce qui se fait aux Pays-Bas et en Australie; on nous parle aussi de ce qui se fait à Vancouver. Cependant, qu'avons-nous fait en tant que pays pour en connaître davantage sur le sujet dont nous discutons ici?

La présidente: Nous allons examiner cette question également.

La séance est levée.


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