Délibérations du comité sénatorial permanent
des
affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 12 -- Témoignages
Ottawa, le mardi 28 mai 1996
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-33, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour en faire l'examen.
Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Bonjour, chers collègues. J'aimerais avoir certaines indications de votre part quant à la façon dont nous devrions aborder ce très important texte de loi. Comme vous le savez, le comité s'est déjà penché sur un projet de loi semblable mais non identique et le sénateur Kinsella nous indiquera les différences qui existent entre le projet de loi C-33 et le projet de loi S-2. Par conséquent, votre comité de direction a décidé qu'il conviendrait d'entendre les représentants du ministère de la Justice. De plus, j'ai communiqué avec les témoins que nous avons entendus à propos du projet de loi S-2 pour leur demander s'ils souhaitaient nous soumettre des commentaires supplémentaires au sujet du projet de loi C-33. Certains d'entre eux l'ont fait et cette information a été distribuée à vos bureaux hier, je crois. Souhaitez-vous maintenant entendre les représentants du ministère de la Justice?
Le sénateur Jessiman: Lorsque nous avons étudié le projet de loi présenté au Sénat par le sénateur Kinsella, je n'ai pas reçu de nombreux commentaires de la population du Manitoba. Depuis que ce projet de loi a été présenté, j'ai reçu 54 appels téléphoniques et 56 lettres, tous de personnes qui s'opposaient au projet de loi. Ils sont conscients qu'il sera adopté mais ils aimeraient qu'il soit amendé pour qu'en soient exclues les églises et les écoles confessionnelles. Ils estiment que ce projet de loi porte atteinte à leur liberté de religion.
Ils aimeraient également que l'expression «orientation sexuelle» soit définie. Je sais que cette question de définition a été débattue devant les tribunaux et même s'ils ont défini jusqu'à un certain point cette expression, ils considèrent qu'une définition complète ne s'impose pas. Ces personnes ont été nombreuses à faire remarquer que les églises et les écoles confessionnelles ne veulent pas que des homosexuels enseignent à leurs enfants ou desservent leur paroisse.
Je voulais simplement porter cette question à votre attention. Je sais qu'une loi du Manitoba donne suite dans une certaine mesure à cette situation, mais j'aimerais vous lire un extrait d'une de ces lettres. C'est peut-être un peu exagéré, mais il se lit comme suit:
Accorder de tels droits à ceux qui pratiquent l'homosexualité, c'est ouvrir grand la porte à toutes sortes d'abus. La responsabilité personnelle des choix de comportement est déjà en train d'être attaquée. La préférence sexuelle des pédophiles, ce sont les jeunes enfants. Pourquoi alors faire preuve de discrimination à leur endroit? La préférence sexuelle des violeurs, ce sont les femmes non consentantes. Pourquoi faire preuve de discrimination à leur égard?
Si je porte cette question à votre attention, c'est parce que je m'inquiète à propos des écoles et des églises.
La présidente: Le sénateur Jessiman et moi-même estimons qu'il est important que les représentants du ministère de la Justice abordent cette question lorsqu'ils comparaîtront devant nous. Le sénateur et moi-même venons de la province du Manitoba. Cette question a fait l'objet de nombreux débats dans la province lors de l'adoption d'un projet de loi en 1987. Je siégeais d'ailleurs à l'assemblée législative à l'époque. L'éducation, comme vous le savez, est une responsabilité provinciale. La Loi du Manitoba sur les droits de la personne renferme un article qui exempte les groupes religieux d'en appliquer les dispositions en ce qui concerne l'embauche d'enseignants pour leurs écoles confessionnelles. Il est important que les représentants du ministère de la Justice confirment aujourd'hui que ce texte de loi n'aura absolument aucune conséquence sur l'éducation au Canada. Je crois comprendre qu'il n'en a pas mais ils peuvent nous donner plus des précisions à cet égard.
Nous avons trois représentants du ministère avec nous ce matin: John Scratch, avocat général principal; Stephen Sharzer, avocat général et Jim Hendry, conseiller juridique en droits de la personne.
M. John Scratch, avocat général principal, ministère de la Justice: Madame la présidente, comme vous le savez, nous étions ici il y a quelques semaines lorsque vous étiez en train d'étudier le projet de loi S-2 et nous sommes ravis de comparaître devant vous ce matin dans le cadre de votre étude du projet de loi C-33. Je ferai une brève déclaration préliminaire avant de tåcher de répondre à vos questions.
Le fondement de ce projet de loi demeure le même que pour le projet de loi S-2, c'est-à-dire veiller à ce que personne ne fasse l'objet de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Lors de ma dernière comparution devant ce comité, j'ai indiqué les domaines visés par le projet de loi S-2 et la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ces commentaires valent également pour le projet de loi C-33.
Certains éléments distinguent le projet de loi S-2 du projet de loi C-33 bien que leur objet fondamental soit le même. Tout d'abord, le projet de loi C-33 renferme un préambule. Ce préambule énonce le principe fondamental de cet amendement, en proclamant la dignité et la valeur de tous les individus et en reconnaissant le droit de chacun d'être à l'abri de toute discrimination en matière d'emploi et de fourniture de biens et de services dans les domaines relevant de la compétence fédérale. Il importe également de souligner que ce projet de loi traite uniquement des domaines qui relèvent de la compétence fédérale.
Le préambule reconnaît également l'importance de la famille comme fondement de la société canadienne et précise que cet amendement ne portera pas atteinte à son rôle fondamental dans notre société. Le préambule confirme simplement la position du gouvernement selon laquelle cet amendement n'influera pas sur le rôle de la famille.
Le préambule indique également que le projet de loi C-33 vise à assurer le respect de la légalité. En vertu de la Charte et dans les provinces au Canada qui ont inclus l'orientation sexuelle dans leurs lois, il est clair que la loi vise à assurer le respect de la légalité. Cela est explicite dans le préambule.
Il existe également une autre différence entre le projet de loi S-2 et le projet de loi C-33. Le projet de loi C-33 ne prévoit pas d'amendement à l'article 16 concernant les programmes de promotion sociale. À notre avis, cela n'aura aucune incidence sur le plan pratique. Depuis pratiquement 20 ans, l'article 16 n'a été invoqué qu'une seule fois par les tribunaux pour ordonner des mesures d'action positive en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans un cas de discrimination contre des femmes. Quant à l'orientation sexuelle, les causes présentées visaient à éliminer certains obstacles. Le tribunal des droits de la personne aura les pleins pouvoirs pour ordonner à toute personne de mettre fin à un acte discriminatoire et de prendre des mesures correctives à l'intention des victimes de harcèlement, des personnes renvoyées de leur emploi ou de celles qui se voient refuser un service.
Essentiellement, l'objectif fondamental du projet de loi C-33 demeure identique à celui du projet de loi S-2, à savoir modifier expressément la Loi canadienne sur les droits de la personne afin d'empêcher la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.
Cela met fin à mes remarques préliminaires. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le sénateur Beaudoin: Ma première question porte sur le préambule. Bien entendu, la Cour suprême a statué à maintes reprises qu'il est possible de tenir compte du préambule dans l'interprétation de la loi, et vous avez parlé de la famille. Je ne suis pas trop inquiet à ce sujet mais vous devez vous rendre compte que bien que le mariage et le divorce relèvent de la compétence fédérale, le droit familial n'est pas vraiment du ressort du fédéral. Le Québec tout au moins possède une compétence plus étendue en matière de droit familial en vertu du Code civil.
Comme il est énoncé à l'article 2 du projet de loi, les pouvoirs prévus par cette loi continueront à relever de l'autorité législative du Parlement. Cependant, je tiens à être absolument sûr, et j'aimerais que cela soit précisé, qu'il ne s'agit pas d'une tentative de la part du Parlement du Canada de définir la famille?
Je m'explique: je n'ai aucune objection en ce qui concerne la discrimination. Je suis favorable au principe de ce projet de loi. Cependant, je pourrais avoir des réserves à l'avenir en ce qui concerne par exemple l'adoption et d'autres questions qui relèvent de la compétence provinciale. Manifestement le projet de loi ne traite pas de ces domaines, c'est pourquoi je le considère acceptable, mais j'aimerais que cela soit confirmé.
M. Scratch: Ce projet de loi ne renferme aucune définition de la famille et à notre avis, cela n'est pas nécessaire. Le préambule situe le contexte du projet de loi. Ce projet de loi traite de la discrimination en matière d'emploi et de fourniture de biens et de services et ajoute l'orientation sexuelle à la liste. À notre avis, c'est sur cette base que l'on traitera des problèmes qui surgiront dans ce domaine et il n'est donc pas nécessaire de définir la famille.
Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord et je n'ai aucune objection en ce qui concerne ce principe.
M. Scratch: J'aimerais également souligner que ce projet de loi et cet amendement n'auront aucune répercussion sur les lois provinciales. Ils s'appliquent uniquement aux domaines de compétence fédérale.
Le sénateur Beaudoin: J'aimerais en savoir un peu plus au sujet de l'association religieuse. Je peux comprendre ses préoccupations mais en quoi consistent-t-elles exactement? Est-ce qu'elle craint que la loi du pays, cette loi fédérale, puisse réglementer jusqu'à un certain point les statuts et règlements internes des associations religieuses, si elles ne veulent pas, par exemple, d'homosexuels dans leurs rangs?
M. Scratch: Je crois que c'est la préoccupation qui a été exprimée mais ici encore, à mon avis, ces questions relèvent toutes de la compétence provinciale; les écoles confessionnelles et toutes les questions de nature religieuse relèvent de la compétence provinciale et cet amendement n'aura absolument aucun effet sur elles.
Cependant, en ce qui concerne les enseignants dans des écoles confessionnelles, la Cour suprême du Canada s'est déjà prononcée sur cette question. Elle a établi qu'il est raisonnable et justifiable, par exemple, qu'une école catholique exige que les opinions religieuses de ses enseignants soient conformes à celles de l'église. Cet amendement n'aura aucune influence sur cette décision. Même si c'était le cas, la Cour suprême s'est déjà prononcée, entre autres, sur ce qu'une église peut exiger de ses enseignants, et je crois qu'une église a toute la latitude voulue pour exiger que ses enseignants adhèrent aux croyances de l'église.
Le sénateur Beaudoin: Vous faites référence à l'affaire Caldwell?
M. Scratch: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Je n'ai aucune objection à cela non plus, car l'article 93 est très clair à ce sujet en ce sens qu'il accorde une protection constitutionnelle aux écoles confessionnelles. Il pourrait être modifié, ce que nous constaterons bientôt dans le cas de Terre-Neuve lorsque nous en serons saisis, mais c'est un autre problème. Ce n'est pas ce qui nous préoccupe pour l'instant. Que craignent ces groupes, ces associations à Winnipeg, par exemple? J'aimerais savoir quelle est leur objection?
M. Scratch: Sauf votre respect, je ne suis pas sûr d'être la personne qui peut répondre à cette question. J'ai bien sûr entendu les propos des membres de diverses églises et d'autres organisations. Un certain nombre de groupes qui ont comparu devant le comité de la Chambre des communes chargé d'étudier ce projet de loi ont exprimé certaines préoccupations d'ordre général. À mon avis, ces questions relèvent des lois provinciales et ne sont pas visées par cet amendement, et c'est donc dans ce contexte qu'il faudrait donner suite à leurs préoccupations.
Je mentionne la jurisprudence concernant les enseignants dans les écoles confessionnelles pour indiquer que lorsque la question a surgi dans le cadre de différentes causes dans différentes provinces, les tribunaux ont été en mesure de régler la question et d'accorder aux organisations religieuses la marge de manoeuvre nécessaire pour qu'elles puissent engager des personnes qui partagent leurs croyances ou qui croient dans les doctrines et les dogmes de l'église.
Le sénateur Beaudoin: Par conséquent, s'il y a un problème, il relève des lois provinciales?
M. Scratch: Oui.
Le sénateur Jessiman: Ma question concerne la famille. J'ai demandé si la «famille» a été définie et vous avez répondu que non. Pour le ministère, pour ceux qui administrent la Loi canadienne sur les droits de la personne, ceux qui ont présenté ce préambule, qu'est-ce que la famille et quelle est sa place au sein de la société canadienne? Pour vous, qu'est-ce que la famille?
M. Scratch: Si vous avez entendu et écouté les préoccupations qui ont été exprimées, surtout à propos de ce projet de loi, il y a de nombreuses définitions de la «famille» au Canada.
Le sénateur Jessiman: Comme les couples du même sexe avec enfants, est-ce que cela constitue une famille?
M. Scratch: Le ministre de la Justice a fait remarquer que ce projet de loi n'est pas un débat sur la définition de la «famille» et qu'il n'est pas nécessaire de se lancer dans ce genre de débat pour s'assurer que les gais et les lesbiennes sont protégés de la discrimination. Il suffit de regarder les causes qui ont été portées devant les tribunaux, surtout récemment. Par exemple, la décision la plus récente rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Egan et Nesbitt visait à déterminer si une personne dans un couple du même sexe avait droit à des prestations de conjoint en vertu du Régime de pensions, non pas en fonction de la situation de famille ou de l'état matrimonial mais en fonction de l'orientation sexuelle.
J'estime que les débats à propos de la famille dans ce contexte sont vraiment destructifs parce qu'ils nous éloignent de la principale raison d'être de ce projet de loi et du projet de loi du sénateur Kinsella, à savoir interdire la discrimination, et non définir la «famille», l'«état matrimonial» ou le «mariage».
Le sénateur Jessiman: Je n'ai aucune objection en ce qui concerne la discrimination, car j'estime qu'il faut assurer une protection contre la discrimination, mais tout de même, si vous la définissez ou si vous ajoutez «l'orientation sexuelle» dans la loi, je ne crois pas qu'il soit déraisonnable de la part des sénateurs chargés d'examiner ce projet de loi de vous demander d'expliquer au public canadien ce qu'est votre définition de la «famille». Vous dites que la «famille» est le fondement de la société canadienne. J'aimerais savoir quelle est l'opinion du gouvernement à propos de la «famille». S'il estime qu'il s'agit de couples du même sexe, dites-le nous. S'il estime qu'il s'agit de couples du même sexe avec enfants, dites-le nous. C'est tout ce que nous demandons.
M. Scratch: Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de définir le rôle de la famille.
Le sénateur Jessiman: Vous avez inclus la famille. Je veux en savoir le sens.
M. Scratch: Ce mot n'a pas été inclus dans cette loi à cette fin. Nous l'avons inclus pour indiquer clairement que cet amendement ne porte pas atteinte au rôle de la famille. C'est le point important dont il faut se souvenir dans ce débat, qu'il n'y porte pas atteinte.
Le sénateur Jessiman: Vous êtes donc en train de me dire que bien que vous ayez inclus le mot «famille» en indiquant qu'il s'agit du fondement de la société canadienne, vous ne me donnerez pas votre définition du mot «famille», alors que je cherche à obtenir de l'information pour déterminer s'il faut adopter le projet de loi tel quel ou l'amender. Avons-nous le choix? Décidons-nous du sens que nous donnons au mot «famille»?
M. Scratch: Je ne crois pas que quiconque ait à prendre cette décision et j'estime que l'objet du préambule est en fait de préciser que cet amendement ne porte pas atteinte au rôle de la famille, peu importe ce que signifie la famille pour vous et pour bien d'autres gens. L'objet de cet amendement est d'interdire la discrimination contre les gais et les lesbiennes, et non d'influer sur le rôle de la famille.
Le sénateur Jessiman: Je suis d'accord avec cela, mais je ne suis sûrement pas d'accord avec le préambule. Je tiens vraiment à savoir le sens qu'on lui donne, mais vous n'êtes pas disposé à nous le dire.
Le sénateur Kinsella: J'aimerais attirer votre attention sur l'article 16 qui n'est pas touché par le projet de loi C-33. À mon avis, c'est le principal élément qui distingue les projets de loi S-2 et C-33. Que pensez-vous de l'applicabilité du paragraphe 15(2) de la Charte par rapport à l'article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?
M. Scratch: Pourrais-je vous demander de préciser un peu votre question?
Le sénateur Kinsella: N'est-il pas exact que notre Charte des droits et libertés et notre Constitution prévoient, à l'article 15, que tous sont égaux devant la loi, indépendamment de toute discrimination et que le paragraphe (2) de l'article 15 prévoit formellement la possibilité de mettre sur pied des programmes spéciaux pratiquement identiques à ceux prévus par l'article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?
M. Scratch: C'est tout à fait exact. Le paragraphe 15(1) énonce la garantie fondamentale de l'égalité, puis le paragraphe 15(2) prévoit qu'un programme de promotion sociale mis sur pied dans les limites du paragraphe 15(2) ne portera pas atteinte au paragraphe 15(1). Je dirais que le paragraphe 15(2) et l'article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont facultatifs en ce sens qu'ils permettent d'établir des programmes de promotion sociale dans certaines conditions sans qu'ils soient bien entendu obligatoires.
Le sénateur Kinsella: À mon avis, on crée une certaine dissonance cognitive lorsqu'on utilise l'expression «promotion sociale». Cette expression n'est pas utilisée à l'article 16 de la Loi sur les droits de la personne, ni au paragraphe 15(2) de la Charte. La Charte parle de programmes ou d'activités destinés à améliorer la situation. L'article 16 utilise une terminologie semblable.
M. Scratch: Vous avez raison, ces deux textes utilisent le terme «programmes», ou parfois l'expression «programmes spéciaux» et même quelquefois «programmes de promotion sociale». Ainsi, dans la note en marge de l'article 15 de la Charte, on retrouve l'expression «programmes de promotion sociale». Techniquement parlant, la Charte elle-même n'en fait pas mention, mais cette expression apparaît tout de même dans la note marginale. Je crois en outre qu'on parle communément des «programmes d'action positive» lorsqu'on fait référence à ce type de programmes ou de programmes spéciaux.
Le sénateur Kinsella: La Cour suprême du Canada n'a-t-elle pas statué que le paragraphe 15(1) de la Charte doit être interprété comme incluant l'orientation sexuelle?
M. Scratch: Oui.
Le sénateur Kinsella: Cela signifie-t-il donc que le paragraphe 15(2) de la Charte inclurait également l'orientation sexuelle?
M. Scratch: Les tribunaux ne se sont pas prononcés du tout à ce sujet pour ce qui est du paragraphe 15(2). Toutefois, comme le sénateur Beaudoin l'a dit, il ne fait aucun doute que cette question sera un jour soulevée.
Le sénateur Kinsella: À votre avis, une raison technique quelconque pourrait-elle nous empêcher d'inclure l'orientation sexuelle dans l'article 16 de la loi?
M. Scratch: Non, je ne crois pas qu'une telle raison technique existe. Il s'agit uniquement d'une question de principe.
Le sénateur Kinsella: Vous nous avez essentiellement dit que la teneur du projet de loi C-33 était la même que celle du projet de loi S-2. Le principe ou la portée de ces deux textes est-il fondamentalement le même?
M. Scratch: Oui. Je crois que l'objectif fondamental est le même, à savoir l'interdiction de toute discrimination.
Le sénateur Milne: Des propos plutôt vifs ont été échangés lorsqu'il a été question de cette loi. Il nous serait peut-être utile d'entendre ce que vous pensez de la suggestion voulant que la Loi canadienne sur les droits de la personne l'emporte sur le Code criminel. Je pense tout particulièrement à l'idée que ce projet de loi entérinerait en quelque sorte la pédophilie. Qu'en pensez-vous?
M. Scratch: Je dirais que ce projet de loi n'entérine pas la pédophilie. Je sais qu'un certain nombre de personnes se sont demandé pourquoi l'orientation sexuelle n'avait pas été définie. La dernière fois que je suis venu ici, j'ai dit qu'il y avait, à mon avis, deux bonnes raisons de ne pas définir cette expression. Premièrement, un certain nombre de cas se sont retrouvés devant les tribunaux et, d'après ce que l'on a pu constater, ceux-ci n'ont eu aucune difficulté avec cette expression. La Cour suprême du Canada, lorsqu'elle a confirmé récemment que l'article 15 de la Charte incluait l'orientation sexuelle, n'a pas semblé avoir eu besoin d'une définition. Deuxièmement, l'un des principes fondamentaux sur lesquels repose la législation en matière de droits de la personne, c'est la protection des groupes vulnérables, et les enfants sont un groupe vulnérable. Les actes de pédophilie, qu'ils soient commis par des homosexuels ou des hétérosexuels, ne seront pas protégés par cette modification.
Le sénateur Milne: Bien. Je suis ravie que vous ayez pu nous confirmer cela clairement.
Concernant les inquiétudes exprimées par le sénateur Jessiman au sujet du fait que la famille soit mentionnée dans le préambule, la législation canadienne définit-elle quelque part les termes «race» ou «religion»?
M. Scratch: Pas que je sache.
Le sénateur Milne: Incombe-t-il en règle générale aux tribunaux de définir des termes comme «famille», «race» et «religion»?
M. Scratch: La plupart des motifs mentionnés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, qu'il s'agisse de l'état matrimonial ou de la situation de famille, ont été interprétés par les tribunaux dans le cadre de cas particuliers. La jurisprudence est la même. Je veux dire que les tribunaux n'ont pas défini ces expressions, mais qu'ils les ont interprétées selon le contexte.
Le sénateur Pearson: Ma question est directement reliée à celle du sénateur Milne. Ceux d'entre nous qui ne sommes pas avocats profitons de toutes les occasions pour apprendre. Même si je n'ai aucune objection fondamentale par rapport à cette législation, je m'intéresse, tout comme les autres, à la question de la famille et de l'individu. En fait, j'ai deux questions. La première concerne l'état matrimonial et la situation de famille, dont il est déjà question dans la loi, n'est-ce pas?
M. Scratch: Oui.
Le sénateur Pearson: Que signifient ces expressions? Vous avez dit qu'il y avait une jurisprudence à cet égard.
M. Scratch: Si vous voulez patienter quelques instants, des définitions ont été données et je cherche la référence. Les tribunaux ont interprété l'expression «situation de famille» comme s'appliquant à une personne ayant des liens de parenté avec une autre, comme une mère et un fils ou une soeur et un frère.
Le sénateur Pearson: Comment pareil argument pourrait-il être invoqué comme motif de discrimination?
M. Scratch: Cela se produit généralement dans les cas de favoritisme. Quant à l'expression «état matrimonial», elle a été interprétée comme s'appliquant aux personnes célibataires, mariées ou habitant en union de fait.
Le sénateur Pearson: Mon autre question est plus philosophique. Je ne fais que soulever le problème, je ne veux pas invoquer cet argument. Si le gouvernement reconnaît l'importance de la famille comme fondement de la société canadienne, d'aucuns pourraient peut-être prétendre que ce sont plutôt les individus qui sont le fondement de la société. Quelqu'un est-il prêt à prendre position à ce sujet?
M. Scratch: Je vous répondrai que cette loi protège les individus et n'aborde pas la question de la famille dans ce contexte.
Le sénateur Doyle: Je veux revenir à quelque chose dont vous avez parlé plus tôt. Vous avez dit, en faisant référence à un point quelconque du projet de loi, que les tribunaux avaient réussi à se prononcer, que le projet de loi C-33 incitera les tribunaux à interpréter ces expressions et que cette mesure législative n'était vraiment pas très claire. Le roi Jean n'aurait peut-être jamais fait adopter la Grande Charte s'il avait su ce qu'il adviendrait. Travaillons-nous dans l'espoir que les questions plus délicates que soulève cette loi soient réglées par les tribunaux et non expressément par la loi?
M. Scratch: Dans le domaine législatif, la limite entre ce qu'il faut définir et ce qu'il ne faut pas définir est toujours ténue, mais l'une des règles capitales, c'est de ne pas définir les expressions quand cela n'est pas nécessaire. Ce que j'ai dit plus tôt, c'est que, à la suite de la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Haig en 1992, le motif de l'orientation sexuelle a été ajouté à la Loi canadienne sur les droits de la personne, et la Commission canadienne des droits de la personne accepte d'entendre les plaintes formulées à ce sujet. Un certain nombre de cas ont été portés devant les tribunaux et, d'après ce que moi-même et d'autres avons pu constater, ceux-ci n'ont pas eu de problème avec cette expression. Je veux dire qu'ils n'ont pas eu besoin d'en rechercher le sens. Si je ne m'abuse, une ou deux décisions indiquaient clairement que l'expression «orientation sexuelle» désignait l'homosexualité, l'hétérosexualité et la bisexualité mais, en règle générale, les tribunaux ont réglé les cas qui leur avaient été confiés sans avoir besoin d'une définition plus précise.
Compte tenu de cette situation, nous croyons que les tribunaux seront en mesure d'accepter cette modification et de régler de façon appropriée les cas de discrimination sur lesquels ils ont à se prononcer. Il ne fait aucun doute que toutes les lois finissent par être interprétées par les tribunaux au fil des ans. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, nous croyons que la loi est suffisamment claire pour permettre aux tribunaux de se prononcer sur les cas qui leur sont confiés.
Le sénateur Doyle: Le commentaire que j'ai entendu le plus souvent, dans des lettres ou lors de conversations téléphoniques, c'est que les tribunaux ont déjà indiqué qu'ils seraient prêts à se prononcer sur des questions comme l'indemnisation ou la situation de famille si la loi était modifiée comme prévu, mais qu'ils ne croyaient pas pouvoir le faire tant que cette condition n'était pas remplie. Le juge Lamer lui-même, me semble-t-il, a rendu une décision célèbre à cet égard. C'est ce que je voulais dire par «inciter les tribunaux à interpréter» au lieu de leur dire que nous préférons qu'ils interprètent la loi lorsqu'ils jugent être en mesure de le faire. L'autre façon consiste presque à les inciter à faire la loi, tout particulièrement lorsque, politiquement parlant, il pourrait être moins opportun d'être précis.
M. Scratch: Vous faites peut-être référence à l'affaire Mossop et aux commentaires du juge en chef au sujet de l'expression «situation de famille» qui apparaît dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. J'aimerais souligner un ou deux points: premièrement, un autre juge, à savoir le juge La Forest, a également formulé des commentaires à ce sujet qui différaient passablement, à bien des égards, de ceux du juge en chef. Deuxièmement, et ce qui est peut-être plus important, la question sur laquelle le tribunal devait alors se prononcer est revenue plus tard dans l'affaire Egan and Nesbitt. Dans ce dernier cas, où il était question de discrimination contre un des partenaires d'un couple homosexuel, le tribunal n'a pas invoqué l'argument de la «situation de famille» ni de l'«état matrimonial»; il a plutôt eu recours à celui de l'orientation sexuelle. Cette affaire démontre la façon dont les tribunaux aborderont dorénavant ces questions. Ils ne les traiteront pas en fonction de la situation de famille ni de l'état matrimonial, et ils n'établiront pas de nouvelles définitions. Vous constaterez qu'ils régleront la question en fonction de l'orientation sexuelle, et ils ont certainement le droit d'agir ainsi.
Le sénateur Doyle: Pour revenir à la question originale, je retiens de ce que vous avez dit que vous n'avez pas l'impression que cette loi incite les tribunaux à préciser sans retard certaines des définitions?
M. Scratch: Non. Il ne faut pas oublier que le motif de l'orientation sexuelle ne fait partie intégrante de la Loi canadienne sur les droits de la personne que depuis 1992. Ce motif est reconnu très clairement aux termes de l'article 15 de la Charte depuis la décision rendue l'an dernier dans l'affaire Egan and Nesbitt. Cette modification ne fait que rendre explicite un concept qui figurait déjà dans la loi, et la Commission canadienne des droits de la personne s'occupe déjà de ces cas.
Certaines personnes pourraient peut-être demander pourquoi on se donne la peine d'inclure ce motif. On pourrait notamment répondre que n'importe qui devrait être en mesure de connaître les motifs de distinction illicite seulement en consultant la Loi canadienne sur les droits de la personne. C'est là une des principales raisons d'être de cette loi: faire en sorte que tous les Canadiens puissent savoir quels sont les motifs de distinction illicite uniquement en consultant cette loi et sans avoir à se reporter à la jurisprudence. Comme je l'ai dit, les tribunaux ne semblent pas avoir de problème à interpréter ni à appliquer ce concept. Je ne crois donc pas qu'il soit nécessaire de le clarifier davantage, mais maintenant que ce motif est expressément mentionné, nous pourrons passer à autre chose si vous l'approuvez.
[Français]
Le sénateur Losier-Cool: Madame la présidente, j'ai une question directement liée à celle du sénateur Doyle sur la définition de l'«orientation sexuelle». Sept provinces, je crois, ont déjà l'orientation sexuelle comme motif de discrimination. Est-ce qu'il y a dans cette loi la définition d'«orientation sexuelle»?
[Traduction]
M. Scratch: Le Yukon est la seule province ou le seul territoire qui a défini cette expression et, si je ne m'abuse, le Manitoba a déclaré que les dispositions de la loi et les motifs de distinction illicites ne s'appliquaient que dans le cadre d'une entente légitime. Je crois que huit provinces et territoires utilisent cette expression. Un seul l'a définie, et c'est le Yukon; le Manitoba a quant à lui adopté cette disposition d'application générale. La définition qui figure dans la loi du Yukon est très semblable à celle que je vous ai donnée plus tôt.
Le sénateur Losier-Cool: En ce qui concerne la Loi sur l'équité en matière d'emploi --, et vous vous souviendrez que cette loi s'est retrouvée il n'y a pas si longtemps devant le Sénat et que nous avions alors défini les quatre groupes visés, notamment les femmes, les autochtones et les personnes handicapées -- est-il possible que nous y incluions un jour l'orientation sexuelle, les gais et les lesbiennes? Les motifs que vous souhaitez inclure maintenant dans la Loi canadienne sur les droits de la personne pourraient-ils un jour être inclus dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi?
M. Scratch: Il s'agit de deux mesures législatives différentes. La Loi sur l'équité en matière d'emploi ciblait des groupes précis. Je présume que le gouvernement au pouvoir pourrait modifier cette loi, notamment en y ajoutant d'autres groupes, mais il n'y a aucun lien entre les deux mesures législatives au chapitre des groupes visés.
Il me semble que le choix des groupes dépend surtout de la politique du gouvernement. Si l'on veut accroître les taux d'emploi, quels groupes doit-on cibler? C'est pour cette raison, à mon avis, que les quatre groupes ont été choisis. Il est difficile de dire ce qui va se passer dans le futur. Toutefois, il n'y a aucun lien entre les deux mesures législatives.
Le sénateur Gigantès: Lorsque le sénateur Jessiman vous a posé une question au sujet du préambule et de l'importance de la famille comme fondement de la société canadienne, vous avez dit, si j'ai bien compris, que ce paragraphe-ci, le deuxième paragraphe du préambule, confirme que la loi n'influe aucunement sur le rôle de la famille. Est-ce exact?
M. Scratch: Oui.
Le sénateur Gigantès: Pouvez-vous répéter ce que vous avez dit, et nous expliquer pourquoi vous avez fait cette affirmation?
M. Scratch: Je ne sais pas si je peux répéter exactement ce que j'ai dit, parce que j'ai parlé de bien des choses ce matin. Ce que j'ai voulu dire, c'est que si l'on veut mettre un terme à la discrimination dont sont victimes les gais et les lesbiennes, il n'est pas nécessaire de définir le concept de la «famille». Le gouvernement a décidé de ne pas définir ce concept. Ce projet de loi a pour objet d'interdire la discrimination contre les gais et les lesbiennes, et c'est pour cette raison que l'orientation sexuelle a été ajoutée aux motifs illicites de discrimination. En fait, cette expression donne aux tribunaux la marge de manoeuvre dont ils ont besoin pour traiter les cas de discrimination dont ils sont saisis.
Le sénateur Gigantès: Ce n'est pas ce que dit le deuxième paragraphe. Vous avez été obligé de nous l'expliquer et, comme toujours, je dois vous demander pourquoi vous ne l'écrivez pas en termes clairs et précis qui se passent d'explications? Vous pourriez peut-être produire un texte qui permet aux gens de voir quels sont, ou quels devraient être, à votre avis, les motifs illicites de discrimination. Vous avez utilisé l'adverbe «clairement», autrement dit, pour que les gens puissent les voir clairement. Or, vous ajoutez ensuite ce paragraphe qui parle de l'importance de la famille comme fondement de la société canadienne. Lorsqu'on jette un coup d'oeil sur ce passage, on se dit: «Eh bien, il est question ici de la famille.» Vous expliquez ensuite très clairement que, non, il n'est pas question ici de la famille. Pourquoi ne pouvez-vous pas utiliser des mots que nous pouvons comprendre sans explication aucune?
M. Scratch: Tout ce que je peux vous dire, c'est que le ministre de la Justice a déclaré que le préambule sert à préciser que cette modification n'affectera pas le rôle fondamental de la famille dans la société canadienne, parce qu'elle ne concerne pas la famille. Elle vise à interdire la discrimination contre les gais et les lesbiennes.
Le sénateur Gigantès: Pourquoi ne l'avez-vous dit en ces termes?
M. Scratch: Je vous renvoie aux articles 1 et 2 qui, je pense, disent clairement la même chose. Ils précisent: «les motifs de distinction illicites sont», et ensuite les énumèrent très clairement.
Pour ce qui est du choix des mots utilisés, je suis certain que nous pourrions avoir une longue discussion à ce sujet, surtout entre un avocat et un journaliste. Nous cherchons toujours à rédiger les lois de la façon aussi claire que possible, mais il y a d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte.
Le sénateur Gigantès: Non, il n'y en a pas. Je fais partie de ce comité depuis très longtemps et je suis convaincu que le ministère de la Justice s'organise pour produire des textes qui sont rédigés en termes nébuleux. Je commence à trouver la situation désespérante. Le principe selon lequel les lois sont publiées pour que les gens puissent les lire laisse sous-entendre, à mon avis, que les gens doivent pouvoir les comprendre sans être obligés de retenir les services du sénateur Bryden. Il a dit, au sujet d'une autre disposition, le paragraphe 5 d'un autre projet de loi, qu'il pourrait gagner sa vie gråce à ce seul paragraphe, parce qu'on peut l'interpréter de toutes les façons possibles.
Le sénateur Bryden: Ne soyez pas trop dur à l'égard de ces messieurs. Je serai peut-être un jour obligé de retourner sur le marché du travail pour gagner ma vie.
Le sénateur Gigantès: Puis-je encore une fois demander, comme je le fais à chaque fois: pouvez-vous, s'il vous plaît, écrire clairement en anglais et en français?
M. Scratch: Vous ne me croyez peut-être pas, mais c'est précisément ce que nous essayons de faire, et nous y mettons beaucoup de temps et d'effort.
Le sénateur Gigantès: Je me souviens de la fois où trois sous-ministres m'ont engueulé parce que j'avais rédigé, pour le cabinet, un document provisoire qui ne comprenait que deux pages. Ils m'ont dit: «Vous êtes fou?» J'ai répondu: «Je m'excuse, le document n'est pas clair?» On m'a dit oui, il faut recommencer, je veux 320 pages obscurcies.
M. Scratch: Le projet de loi a l'avantage d'être court.
Le sénateur Gigantès: Oui, c'est vrai, mais il contient un paragraphe offensant qui dit que la famille est importante et vous, vous dites ensuite qu'on l'a ajouté pour bien montrer que ce projet de loi n'a rien à voir avec la famille.
Le sénateur Jessiman: Je crois que le préambule serait plus logique s'il définissait le concept de la «famille» comme le fait la Charte internationale des droits de l'homme. Permettez-moi de vous lire une partie de l'article 16. Il stipule que:
À partir de l'åge nubile, l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille.
Cette définition se trouve dans la Charte internationale des droits de l'homme. Elle ajoute:
La famille est l'élément naturel et fondamental de la société.
L'expression «élément naturel» englobe, à mon avis, les personnes de sexe opposé et, si c'est bien ce que cherche à dire le préambule, ce serait très logique. Il dit en fait, écoutez, nous avons des familles telles que nous les concevons, c'est-à-dire des hommes et des femmes qui procréent. C'est ce que nous avons là, sauf que nous ne pouvons faire preuve de discrimination à l'endroit des lesbiennes et des homosexuels. Je suis d'accord avec cela, mais je crois qu'il est logique de donner à la famille le sens que je lui ai toujours donné, c'est-à-dire un homme, une femme et des enfants.
Le sénateur Gigantès: «<#00C2>ge nubile». Le sens de cette expression varie grandement d'une société et d'une culture à l'autre.
Le sénateur Jessiman: Il n'est pas question d'åge, ici.
Le sénateur Gigantès: Oui, vous avez dit «à partir de l'åge nubile, l'homme et la femme.»
Le sénateur Jessiman: C'est vrai, ils ont parlé de «l'åge nubile». Vous avez raison. Je m'excuse.
M. Scratch: Si l'on a ajouté le préambule, c'est parce que plusieurs personnes semblent croire que le projet de loi porte sur les droits de la famille. J'essaie de vous faire comprendre, comme le ministre de la Justice l'a fait à maintes et maintes reprises, que ce projet de loi ne porte pas sur la famille, les droits de la famille. Il vise à interdire la discrimination contre les gais et les lesbiennes. Par conséquent, si nous commençons à définir le concept de la famille, ou n'importe quel autre concept, nous risquons de nous lancer dans un débat qui n'a rien à voir avec cette modification ou le projet de loi. Le préambule a été ajouté, si vous voulez, pour dissiper tout doute à l'égard de cette question. Nous avons réussi dans certains cas, et dans d'autres pas, mais tel était son objectif.
La présidente: Je crois comprendre que le préambule ne sera pas reproduit dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Est-ce exact?
M. Scratch: Oui.
La présidente: Seuls les articles du projet de loi seront incorporés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, n'est-ce pas?
M. Scratch: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Le deuxième paragraphe du préambule n'est pas absolument nécessaire, mais il est là. C'est une formule à laquelle nous avons souvent recours sur le plan législatif pour rassurer les gens quant au but du projet de loi. J'ai appris une chose lorsque j'ai suivi des cours sur la rédaction législative, et c'est qu'il vaut mieux s'en tenir à l'idée, en dire juste assez, parce que si vous êtes trop explicite, vous finissez par vous retrouver avec un grand nombre de dispositions.
Personnellement, le projet de loi ne me pose aucun problème parce que vous dites, à l'article 2, qu'il se limite au champ de compétence du Parlement du Canada. Les provinces s'occuperont, elles, de tout ce qui relève de leur compétence. Autrement dit, vous ne faites que légiférer sur un point. Le deuxième paragraphe vise tout simplement à dire que nous sommes contre la discrimination. Toutefois, nous ne changeons pas la définition du concept de la «famille» de sorte que, dans l'ensemble, pour moi, le projet de loi ne pose aucun problème.
Le sénateur Kinsella: Je pense que le comité a analysé toutes les questions qui découlent de ce projet de loi lorsqu'il a examiné le S-2. Le projet de loi S-2, qui a été adopté par le Sénat, est plus complet parce qu'il englobe également l'article 16. Toutefois, je me demande s'il y aurait lieu de modifier le projet de loi C-33 pour que l'orientation sexuelle s'applique à l'article 16. J'aimerais en parler parce que vous avez dit, si je ne m'abuse, que la Commission canadienne des droits de la personne n'a pas souvent eu recours à l'article 16. Savez-vous si l'on a recours à cette même disposition dans la loi sur les droits de la personne qui est en vigueur dans les huit provinces et territoires qui ont inclus l'orientation sexuelle dans leurs lois respectives? Est-ce que les commissions ont souvent approuvé des programmes ou émis des lignes directrices?
M. Scratch: À notre connaissance, aucun tribunal n'a rendu de décision portant sur des mesures d'action positive. Toutefois, cela ne veut pas dire que ça ne s'est pas fait.
Le sénateur Kinsella: Cela concorde avec les résultats de mes propres recherches. Je n'ai pas été en mesure de trouver une seule décision rendue par une commission d'enquête ou un tribunal qui porte sur cette question. Toutefois, j'ai trouvé deux cas, un en Nouvelle-Écosse et l'autre au Manitoba, où un programme de promotion sociale a été approuvé par la commission pour aider un groupe victime de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Dans une des causes, une femme de la Nouvelle-Écosse exploitait un service de consultation téléphonique qui s'adressait exclusivement au groupe défavorisé.
En fait, madame la présidente, j'ai tendance moi aussi à penser que l'élimination de la discrimination peut être réalisée au niveau fédéral par le biais du projet de loi C-33. Cependant, une fois que la Loi canadienne sur les droits de la personne aura été modifiée par le C-33 et qu'elle sera devenue loi, on trouvera à l'article 16 une liste des motifs illicites de discrimination d'où l'orientation sexuelle sera absente. Est-ce que cela peut avoir des conséquences négatives?
M. Scratch: Il y a un autre motif qui est absent de cette liste, soit l'état de personne graciée. Nous nous sommes penchés sur cette question et, comme je l'ai dit plus tôt, nous avons jugé qu'il était plus important d'apporter des modifications aux articles 2 et 3. Nous avons tenu compte des recours qui existent déjà. Par exemple, les tribunaux ont déjà le pouvoir de mettre un terme à toute forme de discrimination là où elle existe. Nous avons donc décidé, en nous fondant sur ce principe et après avoir analysé tous les freins et contrepoids, de ne pas modifier l'article 16.
Le sénateur Kinsella: La Commission canadienne des droits de la personne peut-elle élaborer des lignes directrices pour les programmes de promotion sociale, qui sont identiques à celles qu'applique la Commission des droits de la personne de l'Ontario? Le Nouveau-Brunswick en a élaboré, et toutes les commissions en général disposent de lignes directrices. Presque toutes les lois régissant les commissions provinciales des droits de la personne comprennent une disposition qui dit que la commission doit mettre en oeuvre des programmes de sensibilisation du public afin de promouvoir l'élimination de la discrimination fondée sur tous les motifs prescrits. À votre avis, est-ce que la commission fédérale des droits de la personne serait en mesure d'établir des programmes proactifs qui visent de manière précise à éliminer la discrimination institutionnelle, historique ou systémique?
M. Scratch: Elles ont le pouvoir de mettre en oeuvre des programmes de sensibilisation.
Le sénateur Kinsella: Pourraient-elles lutter contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle dont sont victimes depuis toujours certains Canadiens?
M. Scratch: Oui, à mon avis, elles ont ce pouvoir.
Le sénateur Doyle: Je ne sais pas ce que nous avons décidé de faire, en ce qui concerne l'abrogation du préambule. Je suppose que cela modifie dans une certaine mesure le projet de loi, mais il s'agit d'un changement essentiellement anodin. Peut-être qu'à un moment donné, dans la première version, le préambule servait à expliquer les changements qu'il entraînerait. Or, son seul but, maintenant, semble être d'expliquer les changements qu'il n'entraînera pas, ce qui est plutôt bizarre. À mon avis, le projet de loi lui-même ne clarifie pas grand-chose. Je suis d'accord avec le sénateur Gigantès sur ce point. Ce n'est pas seulement le libellé qui pose problème, mais également l'objet. Toutefois, je ne crois pas que ce projet de loi soit tellement néfaste.
La présidente: Le comité accepte-t-il de procéder à un examen article par article du projet de loi?
Des voix: Oui.
La présidente: Sénateur Kinsella, vous avez une motion à proposer?
Le sénateur Kinsella: Je propose que nous passions outre à l'examen article par article du projet de loi et que nous fassions rapport du projet de loi sans amendement.
La présidente: Êtes-vous d'accord?
Des voix: Oui.
La présidente: Adoptée.
La séance est levée.