Délibérations du comité sénatorial permanent
des
affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 21 - Témoignages - Séance de l'après-midi
OTTAWA, le mardi 25 juin 1996
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 13 h 30 pour poursuivre l'étude de la résolution de modification de la Constitution du Canada, article 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada.
Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous accueillons cet après-midi des témoins qui représentent l'Evangelical Fellowship of Canada.
Vous avez la parole.
M. Bruce Clemenger, directeur, Affaires nationales, Evangelical Fellowship of Canada: Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais vous signaler que Glen Smith préside notre Groupe de travail sur l'éducation et a été autrefois président du comité protestant du Conseil supérieur de l'éducation du Québec.
Nous sommes heureux que votre comité favorise le débat public sur les conséquences de la résolution tendant à modifier la clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada et donne aux parties les plus directement touchées l'occasion de commenter la question et d'exprimer leurs préoccupations.
L'Evangelical Fellowship of Canada est une association nationale d'évangélistes protestants qui regroupe 28 confessions, ainsi que des Églises isolées, des entités para-écclésiales et des particuliers. On estime qu'il y a au Canada environ 2,7 millions d'évangélistes.
Nous tenons à insister sur deux principes qui nous guident dans notre approche de l'éducation. Tout d'abord, ce sont les parents qui ont la responsabilité première de l'éducation de leurs enfants et, par conséquent, le droit de choisir le type d'éducation qu'ils souhaitent pour leurs enfants. Deuxièmement, l'éducation est influencée par un ensemble de croyances et de valeurs, parfois appelé de vision du monde, par lequel nous dégageons un sens de nos vies et du monde qui nous entoure.
La religion, engagement ultime qui assure une orientation personnelle et collective dans la vie, fait partie intégrante de la vision du monde. Étant donné que l'éducation traite de questions de la plus haute importance, elle a, de façon inhérente, une dimension religieuse et ses fondements reposent sur la foi.
On invoque des raisons d'ordre économique pour apporter cette modification à la clause 17, mais nous craignons que, en réalité, cette modification n'entrave les efforts des groupes confessionnels pour assurer une éducation fondée sur leur foi et ne restreigne ainsi le droit des parents de choisir le type d'éducation qu'ils préfèrent pour leurs enfants.
Lorsque Terre-Neuve s'est jointe au Canada, en 1949, le maintien du droit des parents d'éduquer leurs enfants, par l'entremise de leur communauté confessionnelle, a été considéré comme un élément essentiel à toute forme d'union officielle. Dans le nouveau régime maintenant proposé, le rôle des confessions religieuses sera gravement restreint, limité qu'il sera aux cours de religion, activités et observances religieuses.
Notre association a trois grandes préoccupations au sujet de la résolution à l'étude. Tout d'abord, celle-ci facilite une restructuration modifiant les principes de l'éducation, qui ne sera plus fondée sur la foi, mais sur une conception laïque. Deuxièmement, elle limite grandement la capacité des parents de choisir pour leurs enfants une éducation qui correspond à leurs croyances religieuses, et elle diminue l'importance de la religion dans l'éducation des enfants. Troisièmement, la résolution a été présentée au Parlement malgré la vive opposition qu'elle suscite dans les groupes qui seront les plus directement touchés.
Mme Danielle Shaw, coordonnatrice de projets, Evangelical Fellowship of Canada: Au sujet de la transition entre une conception de l'éducation fondée sur la foi et une conception laïque, nous voudrions préciser ce que nous entendons par éducation fondée sur la foi et éducation laïque, et distinguer trois types d'éducation religieuse.
L'expression «éducation religieuse» est souvent employée pour désigner trois activités différentes. Il y a tout d'abord les cours sur la religion, qui portent souvent sur l'ensemble des religions du monde. Deuxièmement, l'expression peut désigner une instruction religieuse qui accorde la priorité à une religion particulière. Troisièmement, elle peut désigner une conception selon laquelle l'ensemble de l'éducation est influencée par une vision du monde, et est donc fondée sur la foi. C'est cette dernière conception de l'éducation religieuse qui a caractérisé le système terre-neuvien, et c'est pourquoi des réseaux confessionnels ont été mis sur pied.
L'article 93 de la Constitution de 1867 et la clause 17 de Terre-Neuve reposent sur l'idée que la vision personnelle du monde et la religion sont de la plus haute importance pour l'éducation des enfants. Ces dispositions ont expressément protégé les droits des parents de choisir pour leurs enfants une éducation fidèle à leur propre vision du monde. Le nouveau système maintenant proposé rompt avec la conception d'une éducation fondée sur la foi et la remplace par une conception laïque.
Selon l'approche fondée sur la foi, l'éducation des enfants est une démarche intrinsèquement religieuse, et la vision du monde et de la vie influence la manière dont l'information est reçue et intégrée, et donc la manière dont elle est transmise aux enfants. Par contre, la conception laïque dit qu'il est possible de dissocier les aspects religieux et laïc de l'existence, si bien qu'on peut éduquer les enfants en restant neutre, sur le plan religieux, et sans transmettre de valeurs, même si une forme limitée d'instruction religieuse est permise.
Cette évolution des conceptions et des structures est selon nous au coeur du débat sur la restructuration du réseau d'éducation de Terre-Neuve. Alors qu'il est maintenant possible, dans les écoles catholiques, adventistes et pentecôtistes, de transmettre constamment, dans l'enseignement de toutes les matières, les principes chrétiens, la pensée, les perceptions et des interprétations chrétiennes, cela sera très difficile, voire impossible, dans le réseau interconfessionnel qui est proposé. Au lieu de pouvoir modeler l'ensemble du programme scolaire, les groupes confessionnels ne pourront proposer que des cours d'éducation religieuse et des activités religieuses.
En limitant la période pendant laquelle les parents ont légalement le droit de soumettre leurs enfants à l'influence d'un contrôle et d'un enseignement confessionnel ou religieux à une partie du programme d'études, on portera atteinte aux droits accordés aux catégories de personnes comprenant les groupes confessionnels protégés, ce qui va à l'encontre de la clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada.
Le pluralisme de plus en plus accentué de la société canadienne, surtout sur les plans religieux ou culturels, exige une approche de l'éducation qui respectera les différences au lieu de les faire disparaître.
[Français]
Dr. Glenn Smith, président, Groupe de travail sur l'éducation: Notre deuxième souci, concernant cet amendement, concerne la capacité des parents de choisir l'éducation de leurs enfants. Premièrement, le droit de ces parents est sévèrement limité, à l'égard de leurs propres croyances religieuses, et, deuxièmement, à l'égard du rôle joué par la religion et l'idéologie dans l'éducation.
L'Alliance évangélique du Canada souscrit à la place importante que les gouvernements provinciaux jouent dans l'éducation. Cependant, nous adhérons aux principes énoncés à la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies contenus à l'article 23, où il est énoncé que les parents ont le premier choix de l'éducation de leurs enfants.
Nous craignons que l'amendement de l'article 17 et la réforme qui s'ensuit vont contribuer à réduire la capacité des parents à choisir l'éducation de leurs enfants. Nous admettons que la nomenclature de l'amendement fasse référence aux écoles confessionnelles ou aux écoles qui vont rester confessionnelles. Mais, la capacité de ces écoles, sauf dans des circonstances exceptionnelles, d'éduquer selon une vision religieuse de la réalité des parents est minime.
Enlever les droits des parents de contribuer aux questions comme le curriculum ou à la pédagogie des enfants, selon leur vision de la réalité, supprime leur droit et nie implicitement l'accord du gouvernement canadien à l'article 23 de la déclaration de l'ONU.
Nous voulons ajouter qu'il y a un nombre grandissant de familles à Terre-Neuve qui ne sont pas catholiques romaines ni protestantes, dans une des confessions protestantes. Le droit de ces parents de choisir une éducation selon leur vision est important. Dans notre perspective, les droits de ces parents sont aussi en question avec cet amendement. N'importe quel amendement à l'article 17 doit respecter la diversité des croyances religieuses des personnes demeurant à Terre-Neuve. Ces amendements ne doivent pas marginaliser la religion dans le curriculum des enfants.
[Traduction]
M. Clemenger: Nous avons une troisième préoccupation: la résolution tendant à modifier la clause 17 a été présentée au Parlement malgré la vie opposition des groupes qui seront touchés de la façon la plus directe et la plus négative.
La protection des droits des minorités religieuses est conforme à la législation canadienne et internationale en matière de droits de la personne. La Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée en 1948, prévoit que tous ont droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion et ont le droit d'exprimer leurs croyances dans l'éducation et dans la pratique. Cette reconnaissance de la liberté de religion trouve un écho dans la clause 17, qui est l'équivalent de l'article 93 de la Constitution.
Peter Hogg, dans son ouvrage intitulé Constitutional Law in Canada écrit ceci:
[...] l'article 93 équivaut à une petite déclaration des droits qui protège les minorités religieuses [...] l'expression «toute catégorie de personnes» désigne un groupe défini en fonction des croyances religieuses et non de la race ou de la langue.
Des ensembles différents de droits ont été accordés à diverses minorités religieuses à divers moments de l'histoire de la province. Supprimer ces droits au nom de l'efficacité administrative revient à violer les principes de la protection des droits des minorités au Canada et à dénoncer un accord qui été un élément crucial pour l'union de Terre-Neuve au reste du Canada.
Si les groupes religieux n'ont aucune protection constitutionnelle, leur capacité de maintenir un réseau confessionnel ou interconfessionnel sera sérieusement minée. S'il existe des groupes ne jouissant pas de ces droits qui veulent trouver leur place dans le réseau, on peut accéder à leurs voeux sans miner la protection constitutionnelle dont jouissent actuellement d'autres minorités religieuses.
Je dirai pour conclure que l'une des caractéristiques de la Constitution canadienne est la protection des droits à l'éducation des minorités religieuses, qui donne aux parents la possibilité d'éduquer leurs enfants conformément à leur conception religieuse de la vie. La modification proposée ne favorise pas les compromis et la diversité, mais compromet plutôt une solution originale canadienne qui permet de répondre aux aspirations des minorités. Nous exhortons le Parlement et le Sénat à ne pas priver les minorités religieuses de la protection constitutionnelle dont elles jouissent maintenant. Toute modification qui restreint cette protection doit être négociée et appliquée uniquement avec le consentement des minorités les plus directement touchées.
Le sénateur Gigantès: Que dites-vous de l'enseignement du créationisme dans les écoles?
M. Smith: L'Evangelical Fellowship of Canada n'a adopté aucune position sur cette question, et le Groupe de travail sur l'éducation croit que toutes les théories sur les origines du monde créé ou de l'ordre cosmique sont ouvertes. Nous pensons qu'il s'agit de théories et qu'il faut les enseigner. Tant à l'intérieur du groupe de travail que dans toute l'association, il n'y a pas une position unique, mais des positions multiples. Dans un réseau financé par l'État, toutes ces théories et toutes ces positions doivent être enseignées, avec intégrité et rigueur sur les plans philosophique et scientifique.
Le sénateur Gigantès: Avec intégrité et rigueur sur les plans philosophique et scientifique. Merci.
Le sénateur Beaudoin: Nous avons discuté ce matin de la question du vote et de l'opinion des catholiques. Quel est votre avis à ce sujet? Nous ne savons pas trop si la majorité de ce groupe de Terre-Neuviens est en faveur de la résolution ou contre.
M. Clemenger: Je n'ai été ici qu'une partie de la matinée. Pourriez-vous préciser votre question?
Le sénateur Beaudoin: Je veux parler de Terre-Neuve et non de l'ensemble du Canada. C'est important. Divers groupes ont dit que nous devions respecter les droits des minorités. Je préfère parler ici des droits à l'enseignement confessionnel de groupes de personnes, car c'est ce dont il s'agit, sur le plan juridique, mais je voudrais savoir si la majorité de ce groupe est en faveur de la résolution ou s'y oppose.
M. Clemenger: Malheureusement, étant donné la manière dont le référendum a été tenu à Terre-Neuve, le résultat est ambigu. Le référendum ne s'adressait pas à des groupes spécifiques, mais à l'ensemble des habitants de la province. Ce qui nous préoccupe, c'est qu'on s'appuie sur un référendum dont le résultat a été très serré pour apporter une modification constitutionnelle qui limitera les droits dont des minorités ont joui jusqu'ici. Nous admettons que certains des groupes qui font partie du réseau intégré sont en faveur du changement. Ils ne s'opposent pas à la modification. Nous nous préoccupons donc des autres groupes, de ceux qui veulent toujours protéger l'éducation fondée sur la foi, droit dont ils ont joui jusqu'à maintenant. Nous estimons qu'il faut respecter ce droit et leur laisser cette protection, peu importe que d'autres groupes minoritaires décident ou non de réaménager leur réseau pour tenir compte des changements.
Le sénateur Beaudoin: Dans notre régime, le référendum est purement consultatif; il ne fait pas partie de la formule de modification. Laissons un moment le référendum de côté pour examiner la résolution telle que formulée. Vous dites que vous vous y opposez toujours. Est-ce parce que vous croyez qu'on ne peut retirer un droit à une minorité? Quel est votre avis?
M. Clemenger: J'ai assisté à cette partie du débat ce matin. Dans le régime constitutionnel canadien, la majorité peut enlever des droits aux minorités. Nous avons des formules de modification et nous pouvons modifier la Charte. Ce serait difficile, mais nous pourrions le faire. Nous avons le pouvoir voulu et la Constitution nous autorise à le faire. Je poserais la question de cette manière: est-ce un exercice légitime de ce pouvoir que de s'y prendre de cette manière?
Le sénateur Beaudoin: Votre argument est de nature politique plutôt que juridique.
M. Clemenger: Pour l'instant, plaçons-nous sur le plan des principes.
Le sénateur Beaudoin: D'accord.
M. Clemenger: Nous pourrions refaire la Constitution et rendre la chose plus difficile ou plus facile, mais la question fondamentale est celle de la légitimité. Le Canada a abordé les questions des droits des minorités et de la protection de ces droits au moyen de la Charte en reconnaissant l'existence de droits collectifs et de droits individuels et en essayant de trouver un compromis entre les deux. Nous craignons que, derrière l'article 93 et la nouvelle clause 17, ne se cache la promotion d'une certaine manière de dispenser l'enseignement. Un certain nombre de groupes et de particuliers, à Terre-Neuve et dans tout le Canada, veulent modifier notre manière d'assurer l'éducation. Nous souhaitons pour notre part que les groupes qui ont maintenant ces droits puissent continuer de dispenser l'éducation comme ils le jugent bon. C'est leur droit, à titre de parents, de choisir l'éducation de leurs enfants.
Le sénateur Beaudoin: Je tiens à préciser clairement qu'il n'y a pas ici de conflit entre les droits à l'enseignement confessionnel et la Charte des droits. L'article 29 de la Charte des droits dit que la Charte est sans effet sur les droits à l'enseignement confessionnel. Oublions donc la Charte des droits. Il n'y a pas ici conflit entre les droits individuels et les droits collectifs. J'ai l'impression quant à moi que la majorité des catholiques s'opposent à la résolution.
Le sénateur Doody: Des études ont été faites sur le référendum, et on nous en parlera à St. John's. Des témoins expliqueront pourquoi ils croient que la majorité des catholiques ou des pentecôtistes ont voté contre la résolution. D'autres s'inscriront en faux contre ces études, mais c'est ainsi que va le monde.
Le sénateur Beaudoin: Cette argumentation repose sur les notions de majorité et de minorité, évidemment. Mais il se pose ici une question de philosophie ou d'histoire. Il ne fait pas de doute que, en 1867, le Québec, l'Ontario et les deux provinces maritimes étaient fortement en faveur du régime confessionnel, même si nous avons appris par la suite que la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick n'avaient pas alors d'écoles confessionnelles. Cela a fait partie de l'entente à l'époque. En 1949, comme nous le savons, l'accord conclu entre Terre-Neuve et le Canada a garanti le régime confessionnel. Absolument aucun doute là-dessus.
Nous pouvons faire tout ce que nous voulons de la Constitution canadienne en appliquant la formule de modification. Selon moi, il s'agit d'un débat politique, philosophique et historique au lieu d'un problème strictement juridique.
M. Clemenger: Je suis d'accord. C'est pourquoi je demande s'il s'agit d'une démarche légitime. La Constitution a accordé à des groupes le droit d'éduquer leurs enfants d'une certaine manière. La modification proposée va grandement restreindre leur capacité d'exercer ce droit. L'une des raisons invoquées en faveur de la modification est que nous devons faire place à d'autres manières d'assurer l'éducation. Nous croyons qu'il y a moyen de satisfaire les deux parties.
Pourquoi ne pas laisser aux catholiques, aux pentecôtistes et aux adventistes et à n'importe quel autre groupe à Terre-Neuve qui veut éduquer ses enfants selon sa vision propre du monde, vision qui influence l'ensemble du programme d'études, la liberté de le faire? Si d'autres groupes disent ne plus avoir besoin de la protection des droits à l'enseignement confessionnel et acceptent, par exemple, le modèle laïc mormon, qu'on les laisse également assurer l'éducation suivant ce modèle.
Ce n'est pas ce que fait la modification à l'étude. Elle vise à remplacer tout le système fondé sur la foi par un système laïc. Selon nous, ce n'est pas juste pour ceux qui veulent éduquer leurs enfants dans un système fondé sur la foi.
La présidente: Pour ajouter encore un peu plus à la confusion, je peux dire que je suis née et que j'ai grandi à Halifax, où j'ai fréquenté une école catholique financée par l'État. Même si la Nouvelle-Écosse n'avait pas ce qu'on peut appeler un réseau confessionnel, la capitale, Halifax, en avait un.
Le sénateur Pearson: Je m'intéresse à certaines choses que vous dites dans votre mémoire. Vous affirmez qu'on passe d'un système fondé sur la foi à une approche laïque de l'éducation. Vous avez ensuite ajouté que la vision de la vie colore l'interprétation de l'information.
J'ai vécu quelques années dans l'ancienne Union soviétique, et j'ai pu constater de mes propres yeux ce que donne un système fondé complètement sur la foi. Si on entend par là la manière dont on reçoit et traite les connaissances et l'information, il faut reconnaître que l'idéologie est sur le même plan que la religion. Je ne suis pas certaine que la comparaison entre système fondé sur la foi et système laïc soit entièrement juste. Les écoles laïques dont je me suis occupée ont une foule de valeurs. Le système laïc n'est absolument pas dépourvu de valeurs.
Ma question se rapporte davantage aux droits des parents. À quel âge pensez-vous les enfants devraient-ils pouvoir exercer leurs droits à la liberté d'information et à la liberté de conscience?
M. Smith: D'après mon expérience au ministère de l'Éducation du Québec, je puis vous dire que, lorsque l'élève atteint la quatrième ou la cinquième année du secondaire dans cette province, ce qui correspond à la 10e ou à la 11e année en Ontario, il a le droit, aux termes de la loi, de choisir son programme, notamment en ce qui concerne l'enseignement moral et religieux. J'ai défendu ce droit devant des commissions parlementaires au Québec.
En ce qui concerne votre première observation, nous disons dans notre mémoire que toute éducation repose sur des valeurs. Dire que certaines écoles sont neutres est un non-sens sur le plan philosophique, car, comme vous l'avez dit, toutes les écoles ont des valeurs. Nous plaidons pour la reconnaissance implicite que toute éducation a une base religieuse et idéologique ou des valeurs fondamentales, et que l'un des droits principaux des parents consiste à choisir le programme d'éducation de leurs enfants, pour contribuer à leur socialisation à l'intérieur de la société canadienne
Le sénateur Gigantès: Étant donné qu'il y a des musulmans au Canada, devrions-nous avoir des écoles islamiques dont la religion qui autorise l'homme à avoir quatre femmes, ce que la loi canadienne interdit? La France a reconnu le droit des musulmans à avoir quatre femmes, et c'est pourquoi son régime de sécurité sociale est en train de s'effondrer: il y a une population de plus en plus nombreuse d'hommes qui ont quatre femmes et cinq enfants par femme et vivent des allocations familiales.
En ce qui concerne les écoles religieuses, y a-t-il des religions pour lesquelles vous feriez exception?
M. Clemenger: En Ontario, l'Evangelical Fellowship fait partie d'une coalition multiconfessionnelle qui préconise l'équité en éducation. Cette coalition comprend des musulmans, des sikhs, des hindous et des évangélistes qui essaient de convaincre le gouvernement ontarien d'autoriser l'éducation religieuse dans la province comme solution de rechange au réseau public, que nous ne considérons pas comme neutre, mais comme laïc.
Notre critère empirique consiste à voir s'il s'agit d'une religion authentique. L'éducation fondée sur la foi, telle que nous la concevons, influence le caractère moral du programme d'étude; il appartiendrait au ministère de l'Éducation de fixer les normes et de dire par exemple quelle matière doit être enseignée avant tel ou tel âge.
Que je sache, aucune école au Canada ne fait des mariages. Il ne me semble donc pas évident que le problème des quatre femmes relève de l'éducation. Il y aurait certainement des cours sur la loi islamique dans les écoles musulmanes, et on y aborderait ces préceptes, mais cela ne faciliterait pas les mariages.
Le sénateur Gigantès: On verrait ces préceptes sur des comportements qui, au Canada, sont illégaux.
M. Clemenger: Dans tout programme d'études au Canada qui comprend des cours sur les religions du monde, qu'il s'agisse d'un réseau laïc ou non, ces préceptes de la loi islamique seront exposés lorsqu'il sera question de l'Islam. L'enseignement serait toujours là.
Le sénateur Gigantès: Vous ne me rassurez pas.
Le sénateur Prud'homme: En 1949, il y a eu un référendum sur l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération canadienne. Sur le premier bulletin, l'union au Canada figurait en deuxième position et non en première. Il y a eu un deuxième vote et un accord. Que peut vouloir dire un accord, si cela ne signifie pas que vous, en échange de la protection scolaire qui m'est accordée, allez voter autrement que s'il n'y avait pas accord? Quelqu'un a déjà dit que ce serait peut-être une meilleure question à poser à Terre-Neuve; en tout cas, c'était une question fondamentale dans le débat qui a eu lieu en 1949. Les droits n'ont pas été accordés à tous.
Je vais poser une question que certains trouveront peut-être embarrassante. J'ai toujours été un ardent défenseur d'un multiculturalisme bien compris. Mais notre pays a une histoire. Il s'est édifié dans certaines circonstances et avec certaines protections.
Comment faire face à cette réalité, avec ceux qui souhaitent que le Canada change et tiennent tellement à une pleine reconnaissance? Comment y arriver sans toucher aux droits fondamentaux de ceux qui ont créé le pays ou s'y sont joints aux termes de divers accords? Parce que nous pensons que d'autres ont des droits, ils peuvent devoir aller à l'école publique. Dans ce que le gouvernement propose, y a-t-il quelque chose qui empêche les autres d'avoir leur propre réseau scolaire? Est-ce qu'on les empêche d'avoir un réseau scolaire public? D'avoir une école juive? Je reçois des lettres dans lesquelles on parle de toutes les religions? Chose très curieuse, je m'étonne que cinq lettres puissent se ressembler. Il est question des musulmans. Personne n'a demandé d'école pour les musulmans. Il est question de bouddhistes. Je ne savais pas qu'il y en avait tant dans votre province, monsieur. Personne n'a parlé de la religion juive. Il est étrange que, dans la demande qui nous a été faite, personne n'ait parlé d'école juive à Terre-Neuve. J'ai trouvé la coïncidence intéressante.
J'étais à Terre-Neuve pendant le référendum. Mon intérêt ne date pas d'hier. À votre avis, y a-t-il quelque chose qui empêche un groupe de s'organiser pour ouvrir sa propre école? Je ne parle pas d'un simple village mais d'une ville comme St. John's. Faut-il prendre la peine de détruire un système pour faire place à quelques-uns?
Mme Shaw: Dans la disposition constitutionnelle actuelle, je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit qui gêne le gouvernement ou l'empêche d'accorder cet avantage à d'autres groupes. Par contre, il est interdit de prendre des mesures préjudiciables à l'endroit des groupes protégés.
Le sénateur Prud'homme: Vous semble-t-il suffisant d'avoir l'assurance qu'il y aura une ou deux périodes d'enseignement religieux par semaine, ou bien êtes-vous ici pour défendre une série de valeurs, une vision qu'on peut retrouver dans une école religieuse alors qu'une école publique peut vous offrir certaines possibilités? Ce matin, j'ai parlé de ce qui s'est passé il y a cent ans aujourd'hui. Laurier a été élu en 1896. Nous connaissons tous notre histoire. En 1896, les libéraux ont été élus en partie à cause de la question scolaire au Manitoba. Dans cette province, on a piétiné les droits, on les a fait disparaître. Est-ce assez clair?
M. Smith: À cause des garanties historiques qu'elles ont obtenues à Terre-Neuve, les catégories de personnes qui peuvent faire partie de l'Evangelical Fellowship of Canada ne veulent pas que la religion soit marginalisée dans le programme scolaire. Il y a bien des façons de marginaliser la religion dans le programme d'études. Dans certaines provinces, cela veut dire qu'on n'enseigne pas du tout «la religion». Par conséquent, ce qui est transmis, ce sont les valeurs, l'idéologie, la vision du monde de l'enseignant.
À Terre-Neuve, les catégories de personnes qui ont toujours eu des écoles où sont transmises dans tout le programme d'études leur vision du monde et leurs valeurs, voient dans cette proposition un changement non seulement de leur réseau scolaire, mais aussi de leurs droits de parents. C'est pour eu un grand sujet d'inquiétude.
Le sénateur Gigantès: Mme Shaw, vous avez dit que vous ne voyez rien qui empêche le gouvernement de Terre-Neuve d'autoriser l'établissement d'écoles de confessions différentes. Dans ce cas, pourquoi a-t-il pris la peine de modifier la Constitution en 1987 pour accorder ces droits aux pentecôtistes?
M. Smith: Le sénateur Doody me corrigera si je me trompe, mais je crois comprendre que les Assemblées pentecôtistes de Terre-Neuve avaient leurs propres écoles dans les années 30. En 1954, elles ont commencé à recevoir un financement public pour ces écoles. La protection constitutionnelle ne leur a été accordée qu'en 1987. Il existe donc un précédent: un groupe qui n'avait pas de droits protégés par la Constitution en matière d'éducation, comme minorité, et le gouvernement l'a autorisé à avoir ses propres écoles.
Ce que j'essaie de dire, c'est que cela, en soi, est un précédent. Nous ne voyons rien dans les textes législatifs de Terre-Neuve qui empêche d'autres groupes de faire la même chose.
Nous ne nous opposons pas à ce que d'autres groupes s'ajoutent, ni à ce qu'on réponde aux aspirations d'autres parents ou groupes à Terre-Neuve. Nous nous élevons contre une modification générale qui porte atteinte aux droits existants de certaines minorités.
Le sénateur Gigantès: Vous dites donc que les pentecôtistes ont pu avoir leurs écoles, mais vous avez affirmé tout à l'heure que vous attachiez de l'importance à la protection constitutionnelle. De 1954 à 1987, les pentecôtistes n'ont pas eu cette protection.
Le sénateur Doody: Ils ne l'ont demandé qu'en 1982, sénateur.
Le sénateur Gigantès: Ils n'avaient donc pas cette protection constitutionnelle. Si d'autres groupes confessionnels viennent s'ajouter, sans cette protection, tous les groupes confessionnels ne seraient pas sur le même pied. Il y aurait ceux qui ont une protection constitutionnelle, et ceux qui ne l'ont pas.
La présidente: De 1954 à 1987, si je comprends bien, les pentecôtistes n'ont pas eu de protection constitutionnelle, mais recevaient tout de même un financement du gouvernement provincial. Est-ce exact, sénateur Doody?
Le sénateur Doody: Absolument.
Le sénateur Prud'homme: Par conséquent, ceux qui n'ont aucune religion pourraient faire comme les pentecôtistes et obtenir de l'argent.
Le sénateur Rompkey: À ce même propos, je présume que, si réclamez le maintien des droits des Églises actuelles de Terre-Neuve, vous seriez d'accord pour que les autres Églises obtiennent les mêmes droits, ce qui comprend le droit à un financement public. Ai-je raison?
M. Clemenger: Oui.
Le sénateur Rompkey: Cela pourrait se faire facilement. Avez-vous réfléchi sérieusement aux conséquences financières? Sept confessions ont déjà des droits aux termes de la Constitution, comme vous le savez. L'un de ces groupes est celui des adventistes du septième jour, et on en compte 710 dans la province. Il y a 1 300 baptistes, qui n'ont pas de droits constitutionnels, 2 400 témoins de Jéhovah, qui n'ont pas de droits, 2 400 moraviens et 15 quakers qui n'ont pas de droits constitutionnels non plus.
Vous dites, je présume, que chacun de ces groupes confessionnels auraient le droit à des écoles financées avec l'argent des contribuables. Est-ce exact?
M. Clemenger: Oserais-je le dire? Lorsque le nombre le justifie.
Le sénateur Rompkey: Qu'est-ce que cela veut dire? Nous discutons ici de principes, pas de nombres. Je présume que vous parlez de principes.
M. Clemenger: Oui.
Le sénateur Rompkey: Permettez-moi de vous lire la modification apportée en 1946 à la loi sur l'éducation de 1927, à Terre-Neuve. Il s'agit pour l'essentiel des dispositions qui ont été consacrées en 1949. Le paragraphe 76(3) dit ceci:
Les crédits fournis par la commission du gouvernement chargée des collèges pour l'aide aux élèves-maîtres, pour les urgences des commissions, pour la formation professionnelle et pour la construction et l'équipement des écoles sont répartis entre les diverses confessions religieuses au pro rata de leurs populations respectives et peuvent être dépensés à ces fins sur recommandation du directeur compétent et conformément aux dispositions de la présente loi et de son règlement d'application.
Êtes-vous d'accord pour que d'autres confessions aient le même droit? Le sénateur Doody a tout à fait raison de dire que seulement les pentecôtistes ont demandé la constitutionnalisation de leurs droits, même s'ils ont reçu leurs fonds avant de l'obtenir. Y a-t-il d'autres Églises qui ont droit aux fonds, et ont-elles aussi droit à la constitutionnalisation de leurs droits, selon vous? Savez-vous quel effet cela aurait sur le budget de l'éducation de Terre-Neuve?
M. Smith: Je dirai oui. Et je ne me limiterais pas à la foi chrétienne. Si d'autres groupes religieux veulent enseigner le programme prescrit par le ministère de l'Éducation de Terre- Neuve selon l'éclairage de leur idéologie, de leur vision du monde, il s'agit clairement d'un droit des parents, et le Canada a accepté ce droit en adoptant la déclaration des droits.
Le sénateur Rompkey: La loi de Terre-Neuve donne l'autorisation de puiser dans le trésor provincial.
M. Smith: Nous en venons à la question du financement public. Je vais faire une comparaison. Mes filles fréquentent le réseau scolaire financé par le secteur public à Montréal. Elles sont violonistes. Il y a une école au centre-ville de Montréal qui permet à des enfants comme les miens d'apprendre le violon et de faire partie d'un orchestre à cordes, dans le cadre du réseau scolaire public. En neuvième année, il y a dix élèves qui le font. Le Protestant School Board of Greater Montreal a pu s'entendre pour trouver, dans le réseau public, les fonds nécessaires pour offrir cette formation à dix élèves.
Je crois qu'il y a moyen de répartir les ressources de la province de manière à tenir compte des choix des parents en matière d'éducation, et que nous n'avons pas fait preuve d'une assez grande créativité à cet égard. Dans ma vision du monde, la musique est un élément essentiel de l'éducation, et le ministère de l'Éducation de ma province a dit: «Puisque vous êtes parent et que c'est votre choix, nous allons offrir ce service.» Le violon ne jouit pas d'une protection constitutionnelle dans notre pays, mais la religion oui. Les parents devraient donc avoir le droit d'assurer à leurs enfants un enseignement conforme à leur vision du monde. C'est le point que notre association tient à faire ressortir.
Le sénateur Gigantès: L'Église orthodoxe grecque a persécuté de petites minorités chrétiennes pendant des années, à l'époque de l'empire byzantin. Les violonistes n'ont persécuté personne.
La présidente: Ceux qui ont une ouïe extrêmement sensible ne sont pas nécessairement d'accord.
M. Smith: J'ai du mal avec le violon. Je me sens toujours persécuté par mes filles.
Le sénateur Beaudoin: Mon collègue, le sénateur Prud'homme, a fait allusion au précédent de Laurier, mais je ne crois pas qu'il s'applique dans ce cas-ci. En 1896, le Parti conservateur était au pouvoir et essayait de faire adopter une loi réparatrice pour les écoles du Manitoba. Je crois que les évêques s'étaient rangés du côté du gouvernement. La législature a duré jusqu'à la cinquième année. Il y a eu ensuite des élections que Laurier a remportées. Laurier a fait un compromis. Si ma mémoire est fidèle, il a proposé de régler la question par voie de négociation et s'est refusé à intervenir en faisant adopter une loi réparatrice par le Parlement du Canada. Depuis cette époque, les paragraphes 3 et 4 de l'article 93 ne s'appliquent plus, mais ils sont toujours opérants, ce que la Cour suprême a confirmé. Ils ne sont jamais mis en application.
Je pense que le cas qui nous occupe est bien différent. Il s'agit cette fois-ci d'une modification bilatérale qui vise à modifier la situation telle qu'elle existait en 1949 à Terre-Neuve, ce qui a certaines conséquences pour les autres provinces. En ce sens, elle est complètement différente. Quelle est votre réaction?
M. Smith: Aucune, je pense.
La présidente: Nous allons entendre le témoignage de M. Carney, qui porte expressément là-dessus. Merci aux témoins de leur exposé. J'invite maintenant M. Robert Carney, du Département de l'étude des politiques d'éducation, à l'Université d'Alberta, à se joindre à nous.
Il m'a semblé intéressant de communiquer quelques statistiques aux sénateurs. Le sénateur Rompkey en a cité certaines, mais il y en a aussi quelques autres qui sont susceptibles de vous intéresser. Au moment du recensement de 1991, à Terre-Neuve, on comptait 563 935 habitants, dont 208 900 catholiques, 147 520 anglicans, 1 360 baptistes, 2 415 témoins de Jéhovah, 2 430 moraviens, 40 125 pentecôtistes, 2 155 presbytériens, 44 490 membres de l'Armée du Salut, 97 395 membres de l'Église unie, 305 musulmans, 205 orthodoxes grecs, 125 juifs et 9 275 personnes sans allégeance religieuse.
Le sénateur Beaudoin: Intéressant.
M. Robert Carney, département de l'étude des politiques d'éducation, Université d'Alberta: Je tiens à remercier la présidence et les membres du comité de l'occasion qui m'est offerte de donner mon opinion sur les questions constitutionnelles et autres liées aux droits à l'enseignement confessionnel sur lesquels porte la modification de la clause 17 des Conditions de l'union de Terre-Neuve au Canada. J'ose espérer que mes observations seront utiles.
Quatre sujets sont énumérés en page couverture de mon mémoire.
Je vais les aborder tour à tour, et j'espère que leur ensemble constituera une histoire cohérente. J'essaie de les lier entre eux dans l'optique du développement de l'éducation publique et confessionnelle au Canada. C'est donc l'histoire qui sert de tableau de fond à la résolution.
Je vais essayer de lier ces éléments. Il y a tout d'abord la question des écoles du Manitoba, dans les années 1890. Viennent en deuxième lieu les étapes parcourues à Terre-Neuve depuis 1949 vers l'école interconfessionnelle. Troisièmement, il y a la modification de la clause 17, la justification de cet amendement et la réponse que les autorités fédérales y ont faite. Selon moi, c'est une étape vers l'école non confessionnelle plutôt qu'interconfessionnelle. Je vais terminer par quelques observations sur la nature confessionnelle de l'école pentecôtiste et catholique et certains des résultats de ce type d'éducation.
En abordant pour commencer la question des écoles au Manitoba, je voudrais signaler que, dans le débat qui a entouré la résolution à l'étude, je n'ai pas entendu un seul mot sur cet épisode. Rien. J'ai passé en revue deux jours de débat aux Communes, les déclarations faites par le gouvernement de Terre-Neuve dans un document d'information, ainsi qu'un document intitulé «Towards a Modern System», publié par le gouvernement du Canada. Dans ces débats et dans ces documents, pas un mot sur la question scolaire au Manitoba -- jusqu'à aujourd'hui du moins.
Le sénateur Prud'homme a pris la majeure partie de mon texte et a donné d'excellentes explications. Je pensais qu'il manquerait peut-être un dernier élément que je pourrais ajouter, mais le sénateur Beaudoin en a parlé. Je suis très heureux que cette question ait été traitée avec autant d'éloquence et de compétence par ce comité.
Entre 1870 et 1890, au Manitoba, on est passé d'un réseau double, de deux réseaux complètement séparés à un seul réseau public. Pourquoi? Tout d'abord pour faire des économies. Nous ne sommes pas sûrs qu'elles se soient concrétisées. La deuxième raison était l'amélioration de la qualité de l'enseignement au Manitoba. Là encore, nous ne sommes pas absolument certains qu'il y ait eu amélioration. Enfin, et c'est le plus important, c'était clairement l'expression de la volonté de la majorité au Manitoba.
Si on avait tenu un référendum au Manitoba en 1890 ou entre 1890 et 1896, il est certain que la réponse aurait été positive. Il est certain que, parmi la députation à l'assemblée législative du Manitoba, les opposants formaient une très faible minorité.
Quelle a été la réaction à cette initiative du Manitoba? Trois premiers ministres fédéraux successifs ont versé des fonds à la minorité lésée pour qu'elle puisse recourir aux tribunaux. Les décisions finales ont été prises par le Conseil privé, en Angleterre. Sans entrer dans les détails, disons que la première décision du Conseil privé a été qu'aucun droit n'avait été enlevé à la minorité. Cela rappelle ce qui se passe aujourd'hui dans le débat de Terre-Neuve. Par contre, la deuxième résolution, comme le sénateur Beaudoin l'a fait remarquer, disait que le grief était fondé. Le gouvernement conservateur en place a essayé d'amener le Manitoba à changer d'avis en prenant un décret, puis en proposant un projet de loi. Comme le sénateur l'a rappelé, la législature a pris fin. Aux élections, les libéraux ont remporté la victoire et ils ont ensuite formé le gouvernement du Canada.
Les premiers ministres Laurier et Greenway se sont entendus sur un compromis: des périodes étaient réservées à l'instruction religieuse et, dans l'embauche des enseignants, on respecterait la répartition des élèves entre les diverses confessions religieuses. C'était là les deux éléments essentiels du compromis. L'essentiel de ces deux solutions est repris dans la proposition que l'actuel gouvernement de Terre-Neuve avance, avec son réseau d'éducation interconfessionnel.
Le compromis Laurier-Greenway ne satisfaisait pas la minorité catholique du Manitoba. En outre, ce qui s'est passé au Manitoba a convaincu les minorités religieuses et linguistiques qu'elles ne pouvaient pas compter sur le gouvernement fédéral pour protéger leurs droits en matière de religion et de langue.
Cet épisode est tout à fait typique de l'histoire et de la mentalité canadiennes. Il est sous-jacent dans tous les débats sur l'école confessionnelle depuis. La modification proposée par Terre-Neuve suscite beaucoup de craintes semblables ou ranime des inquiétudes latentes depuis longtemps.
La présidente: Il importe de rappeler que le Manitoba a dénoncé le compromis Laurier-Greenway en 1916.
M. Carney: Tout à fait. Entre 1896 et 1916 se succèdent diverses tentatives, et les droits s'effritent, notamment les droits linguistiques, en 1916. Cet épisode est indissociable de la mentalité canadienne et de la présence francophone dans l'ouest du Canada. Cela fait partie de notre patrimoine, même si ce n'en est pas le plus bel élément.
Lorsque Terre-Neuve a adopté ou ajouté la clause 17, dans les conditions de l'union, ce fut à mes yeux un engagement très clair à ne rien faire par la suite qui compromette le droit aux écoles confessionnelles. Je crois que nous connaissons l'histoire ou l'évolution des cinq confessions protestantes et de l'Église catholique. Il était entendu que ces engagements ou ces droits et privilèges ne pouvaient être supprimés sans le consentement de chacun de ces groupes.
L'un des problèmes qui se posent au Canada est que nos avons divers modèles de structure scolaire. Nous ne suivons pas le modèle américain. Il n'y a pas séparation de l'Église et de l'État. Certaines provinces canadiennes se sont donné un réseau unique. D'autres ont un réseau public et un réseau séparé. La situation de Terre-Neuve est différente, mais je ne crois pas que les engagements ou les restrictions du gouvernement de cette province soient très différents.
Selon moi, ce qui s'est passé après 1949, lentement, petit à petit, c'est que les petites écoles se sont regroupées, surtout parmi les groupes confessionnels protestants, et que de plus en plus de confessions protestantes se sont jointes au mouvement, par exemple, les presbytériens et les moraviens. Au moment de la première commission royale de la province, la Commission Warren, en 1967, nous pouvions voir se dessiner l'idée d'un réseau scolaire intégré. Cette intégration réunit dans une même école des enfants d'allégeances religieuses différentes, surtout parmi les protestants.
Cela n'avait rien d'exceptionnel. Dès les années 1840, le développement d'un premier réseau public dans le Haut-Canada ou le Canada-Ouest, avait été une autre grande tendance dans l'histoire de l'éducation au Canada. L'idée consistait à réunir tous les chrétiens en une école où il régnerait un esprit chrétien. Toutefois, même à l'époque, on permettait à des groupes dissidents, catholiques ou protestants, d'avoir leurs propres écoles.
En 1967 et avant, une des minorités à Terre-Neuve a exprimé, par l'entremise des trois membres catholiques de la Commission Warren, la crainte que l'évolution suivie à Terre-Neuve n'ouvre la porte à une éducation complètement laïque, mais des pressions de plus en plus fortes se sont exercées depuis sur les Églises pentecôtiste et catholique pour qu'elles se joignent au réseau intégré.
La principale conclusion du rapport de la deuxième commission royale d'enquête de la province sur l'éducation, dirigée par M. L. Willams, qui, sauf erreur, comparaîtra devant le comité, s'appuyait sur un sondage dont l'échantillonnage était de 1 000 personnes. Le rapport disait:
[...] les Terre-Neuviens, par une majorité qui se rapproche du consensus, sont en faveur d'un réseau unifié non sectaire, mais pas entièrement laïc.
Il semblait que cette interprétation de la volonté populaire allait amener la commission à recommander que la province adopte un modèle scolaire unifié et interconfessionnel. Comme on l'a signalé ce matin, le rapport Williams disait aussi que les trois quarts du bon millier de mémoires présentés appuyaient le système existant -- intégré, pentecôtiste et catholique.
Malgré ces divergences dans les données, les recommandations de la Commission Williams ont été l'un des grands fondements de l'argumentation de Terre-Neuve en faveur de la modification de la clause 17. Il est néanmoins clair que le rapport Williams et un grand nombre d'autres sources invoquées par la province à l'appui de sa position sont soit non concluantes, soit incomplètes.
Mon troisième point porte sur les étapes vers ce que je considère comme l'école non confessionnelle plutôt que l'école interconfessionnelle. Après avoir proposé une résolution tendant à modifier la clause 17 à la Chambre des communes le 31 mai, l'honorable Allan Rock a déclaré que le gouvernement était arrivé à la conclusion qu'il devait adopter une résolution pour donner suite à la proposition de modification constitutionnelle. Le ministre a affirmé que la décision du gouvernement était fondée sur l'étude des «arguments» reposant sur les faits et des modalités de la «présentation de la résolution par l'Assemblée législative de Terre-Neuve et du Labrador», et sur l'opinion des instances fédérales qui ont «conclu que la règle de la majorité ne porte pas préjudice aux droits de la minorité».
Le ministre a également parlé des conséquences que la décision de modifier la clause 17 pouvait avoir sur les droits linguistiques des minorités et les droits des autochtones garantis par la Charte des droits et libertés. Nous n'avons pas le temps de discuter des assurances qu'il a données pour apaiser ces inquiétudes, mais notons tout de même que ce qu'il a dit des droits des autochtones et des droits linguistiques est beaucoup plus convaincant que ce qu'il a dit des droits à l'enseignement confessionnel à Terre-Neuve et ailleurs au Canada.
Le manque de consultation réelle est également remarquable. Si nous en revenons à la question scolaire au Manitoba, il y a eu d'intenses discussions entre les parties touchées par les mesures législatives manitobaines, notamment les membres des divers groupes religieux. Je ne prétends pas qu'il y a eu accord, mais il y a au moins eu consultation. Même si de nombreux exposés oraux et écrits ont été présentés aux parlementaires au sujet de la modification proposée, le premier ministre et son ministre n'ont apparemment pas jugé nécessaire de rencontrer les groupes qui s'opposent à la résolution, comme la Conférence des évêques catholiques du Canada. En outre, la plupart des arguments fondés sur des faits invoqués contre l'adoption de la résolution ont été à peu près exclus d'un document fédéral non daté qui s'intitule «Term 17: Towards a Modern School System for the Children of Newfoundland and Labrador.»
À propos de la position de ceux qui s'opposent à la résolution, position qui a été exposée en partie aujourd'hui, on n'en trouve pas la moindre trace dans le document fédéral distribué un jour ou deux avant le débat qui a eu lieu aux Communes. En fait, si on compare les documents fédéral et terre-neuvien, on constate que la position fédérale est presque en tout point identique à celle exposée dans le document de Terre-Neuve, aussi bien par le fond et l'argumentation que par la présentation sous forme de questions et de réponses.
Quant aux faits en cause, aucun de ces documents n'expose le point de vue des deux groupes minoritaires de Terre-Neuve, pentecôtistes et catholiques, qui s'opposent à la modification. Ces documents ne présentent pas non plus un compte rendu objectif de l'ampleur des modifications proposées aux garanties données aux écoles confessionnelles en 1949.
Le texte constitutionnel de 1949 empêche Terre-Neuve d'adopter des lois qui seraient préjudiciables à quelque droit que ce soit à l'enseignement confessionnel détenu par un groupe au moment de l'union. La modification de 1996 a pour effet, essentiellement, de limiter les droits des groupes dissidents en matière d'éducation, comme les pentecôtistes, à une vague mention de l'éducation religieuse. Qu'est-ce qu'on entend par «éducation religieuse»? Apparemment une demi-heure par jour ou quelque autre période très limitée au cours de la semaine. Comment cette éducation sera-t-elle dispensée? Qui sera payé pour la donner? Quelles religions seront enseignées?
Selon moi, étant donné les résultats de stratégies similaires appliquées dans d'autres régions du pays, cela finira par faire disparaître toute instruction religieuse dans ce cadre. C'est ce qui s'est passé dans le réseau public. Il faut comprendre que, lorsque le réseau public a été mis sur pied, dans les années 1840, on réservait des périodes à l'enseignement religieux confessionnel. Cela a disparu à peu près complètement dans l'ensemble du pays, et il n'y a plus à la place qu'un enseignement sur la religion.
Les études comme celles de la Commission Williams sur l'éducation ne contiennent aucune évaluation de l'efficacité de l'enseignement religieux dans le système intégré. Il y a une abondante documentation sur d'autres aspects, mais très peu sur cette question.
On remarque d'autres omissions dans le document fédéral. Il n'est pas fait mention des progrès accomplis au cours des récentes négociations entre les Églises et le gouvernement de Terre-Neuve. Il aurait été très utile que le grand public puisse se faire une idée plus précise des raisons qui ont empêché la conclusion d'un accord. Le document fédéral et les autres documents ne mentionnent pas non plus les nombreux efforts consentis par les Églises dissidentes pour collaborer sur de nombreux plans afin de rendre possibles les écoles communes et de trouver des compromis. En réalité, le document fédéral est parsemé d'expressions comme «inefficacité coûteuse» et «chevauchements importants», à propos d'un système qui était jusqu'ici loué par beaucoup d'observateurs.
Que dit le ministre de la Justice du caractère confessionnel du réseau actuel? Il dit qu'il est suranné et date d'une époque depuis longtemps révolue.
Il est clair que le référendum révèle que beaucoup de Terre-Neuviens ne considèrent pas que modernité, terme qui revient fréquemment dans le document fédéral, et écoles interconfessionnelles vont nécessairement de pair.
Nous connaissons les nombreuses raisons qui ont incité le ministre à énumérer aux Communes les diverses mesures prises à Terre-Neuve pour connaître l'opinion de la majorité. Elles ne prêtent pas à discussion. Le ministre a ajouté que tout cela ne garantissait pas que le gouvernement fédéral modifierait automatiquement la clause 17. Un élément crucial dans la décision du Parlement consistait à voir «si la modification proposée aurait des répercussions préjudiciables sur les droits des minorités dans la province de Terre-Neuve et du Labrador ou si elle entraînerait leur disparition». Selon le ministre et le gouvernement fédéral, la réponse est négative dans les deux cas.
Je n'arrive pas à comprendre la position du ministre. En adoptant la résolution qui modifie la clause 17, la majorité de l'Assemblée législative de Terre-Neuve et du Labrador a non seulement porté atteinte aux droits et privilèges en matière d'éducation de certaines minorités religieuses de la province sans leur consentement, mais il a fait complètement disparaître ces droits, en réalité.
L'argumentation de l'honorable Allan Rock selon laquelle, il n'y a pas de majorité, mais seulement des minorités, ne se défend pas, même à première vue. Ce qui se passe, c'est que la majorité, dans la province de Terre-Neuve et du Labrador, essaie de modifier ou d'abolir les droits de deux minorités, les pentecôtistes et les catholiques, sans leur consentement.
Si toutes les catégories de personnes protégées par la clause 17 acceptaient que leurs droits scolaires soient modifiés, il y aurait, au moins en principe, une justification raisonnable permettant d'approuver la modification. Mais, ni à l'Assemblée législative ni pour la tenue du référendum, on n'a reconnu le principe selon lequel seul le détenteur d'un droit peut y renoncer.
Les arguments du gouvernement de Terre-Neuve au sujet du fait qu'un très petit groupe confessionnel détient des droits en matière d'éducation ou de l'octroi de ces droits à des groupes confessionnels qui ne sont pas visés maintenant par la clause 17, portent sur une question qui n'est aucunement en cause ici. Ce qui est en cause, c'est le fait que deux groupes minoritaires n'ont pas renoncé aux droits qui sont les leurs en vertu de la clause 17.
Pour finir, je voudrais vous livrer quelques réflexions sur l'orientation des Églises pentecôtiste et catholique en matière scolaire. Les témoins précédents vous ont expliqué la situation des Assemblées pentecôtistes. Je vais vous parler brièvement des deux Églises.
L'un des grands problèmes que posent les écoles confessionnelles financées par l'État au Canada est que bien des gens ne connaissent pas les objectifs de ces écoles ni les dispositions qu'elles prennent en matière d'éducation. Il faut périodiquement rappeler au grand public que beaucoup d'écoles confessionnelles sont financées par l'État. Nous le savons tous. Il a été signalé à maintes reprises au cours des audiences que la moitié des provinces et les deux territoires assurent à cet égard une protection législative et ont un réseau confessionnel. Nous savons aussi que ces réseaux sont consacrés par la Constitution canadienne et la Charte des droits et libertés.
Pour certains groupes confessionnels -- et il ne s'agit pas d'une critique --, il est possible d'atteindre complètement les objectifs de l'éducation religieuse à l'école au moyen de périodes spécialement réservées à cette fin. En ce qui concerne Terre-Neuve, cette formule est généralement préconisée par certaines Églises comme l'Église anglicane, l'Église unie et l'Église presbytérienne, et cette orientation remonte aux années 1840. Ce sont ces Églises qui ont été les grands piliers, dans le développement du réseau public au Canada. Si les deux autres principales minorités religieuses de la province, les pentecôtistes et les catholiques, étaient disposées à accepter un type d'éducation religieuse de cette nature, il serait possible d'appliquer les plans du gouvernement de Terre-Neuve pour établir un réseau scolaire qui soit en grande partie, voire exclusivement, interconfessionnel. Mais ce n'est pas ce que veulent ces deux groupes. Ils ne sont pas disposés à renoncer à l'autonomie qu'ils possèdent pour faire place à une administration fortement centralisée des écoles. Les pentecôtistes et les catholiques estiment que l'éducation religieuse se fait tout au long de la journée d'école, concerne tous les éléments du programme ainsi que les activités parascolaires.
Je me souviens de cela à cause du travail que j'ai fait dans les Territoires du Nord-Ouest, surtout auprès des Inuit. Ils pensent aussi que l'éducation est un processus constant qui se fait par l'imitation de modèles, l'observation, l'expérimentation, le travail concret. Telle est l'essence des types particuliers d'éducation confessionnelle dans les écoles.
J'ai déjà cité les propos du ministre de la Justice, selon qui cette façon de penser est un reliquat d'une époque depuis longtemps révolue. Le premier ministre de Terre-Neuve estime que ce n'est là qu'une tentative pour perpétuer le statu quo. Ces affirmations n'ont rien de nouveau. Ainsi, Egerton Ryerson, surintendant en chef des écoles du Canada-Ouest prévenait l'archevêque de Toronto, en 1852, que, si les catholiques s'entêtaient à avoir leurs propres écoles, ils condamnaient leurs enfants «à une irrémédiable infériorité par rapport aux autres groupes d'enfants».
À ma connaissance, aucune des études qui ont été faites sur les connaissances et les attitudes acquises à l'école catholique au Canada n'a confirmé les prévisions de Ryerson. Il faut chercher ailleurs, par exemple dans la vaste littérature sur les écoles catholiques aux États-Unis, si l'on veut trouver des études approfondies, avec de gros échantillons, sur les résultats des réseaux scolaires confessionnels.
J'attire votre attention sur certaines des recherches récentes effectuées par des éducateurs américains qui s'efforcent de résoudre les problèmes fondamentaux du réseau scolaire public aux États-Unis. Comme Anthony Bryk, professeur à Harvard, l'a fait remarquer, les études de J. R. Coleman, reconnu comme le plus grand auteur de recherches sur les résultats scolaires aux États-Unis, concluent que les écoles secondaires catholiques, si on les compare à d'autres écoles publiques et privées «donnent de meilleurs résultats sur le plan cognitif, sont caractérisées par une moins grande ségrégation raciale et des variations des résultats entre les élèves qui dépendent beaucoup moins de l'origine familiale».
Andrew Greeley, directeur du National Opinion Research Center, à l'Université de Chicago, affirme également que les élèves minoritaires qui fréquentent les écoles catholiques ont de meilleurs résultats que les élèves des écoles publiques. Il a constaté que «ces différences sont particulièrement marquées chez les jeunes les plus défavorisés -- ceux qui viennent de familles pauvres et dont les parents ont un faible niveau d'instruction».
Ce ne sont là que quelques-uns des résultats décrits dans la littérature. Si le temps le permettait, on pourrait décrire certains des résultats positifs des écoles catholiques.
Comme la théorie et beaucoup de méthodes de l'école catholique aux États-Unis sont semblables à celles qu'on trouve au Canada, on peut poser l'hypothèse que des résultats analogues sont observés chez nous ou sont tout au moins possibles à des endroits comme Terre-Neuve.
Je conclurai en disant que l'argument central de mon mémoire est que la résolution modifiant la clause 17 est mal conçue et inconstitutionnelle. L'un des principaux objectifs de la Constitution du Canada est de protéger les droits des minorités et d'empêcher la majorité d'abroger ces droits protégés par la Constitution. Selon moi, la résolution dont le Sénat est saisi viole ces deux principes.
Le Sénat devrait donc à mon humble avis rejeter la résolution, et le gouvernement du Canada devrait la renvoyer au gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador pour que toutes les parties poursuivent les discussions et en arrivent à une entente.
Le sénateur Doody: Merci, monsieur de votre exposé très intéressant et utile.
À propos du dernier paragraphe de la page 5 de votre mémoire, moi et d'autres nous sommes fait dire par des représentants de l'actuel gouvernement de Terre-Neuve et par d'autres partisans de cette résolution, que les changements qu'entraînera la modification de la clause 17 sont minimes et ne nuiront pas aux droits des minorités qui s'en inquiètent tellement. Dans votre mémoire, vous parlez de l'ampleur des changements proposés. Pourriez-vous préciser?
M. Carney: Il y en a beaucoup, et je suis certain qu'on vous renseignera à ce sujet au cours de vos audiences à St. John's. L'un d'eux est la mise en place de dix conseils qui seront composés de représentants des diverses confessions religieuses et de personnes nommées par le gouvernement.
L'un des grands problèmes que pose cette formule est qu'il est beaucoup plus difficile de dégager des consensus. Ou il est beaucoup plus vraisemblable que des gens feront des concessions sur ce qu'ils considèrent comme extrêmement important, et ce, au nom du bien commun, quoi que cela puisse être.
Mes propres études sur ce type d'organisation montrent qu'il y a inévitablement un mouvement privilégiant ceux qui ont le pouvoir ou l'opinion qui a cours. Comme les questions confessionnelles sont difficiles, on a tendance à les minimiser ou à les résoudre d'une manière quelconque.
Lorsque j'étais dans les Territoires du Nord-Ouest, dans les années 60, il s'est produit un grand changement, car l'éducation religieuse a cédé la place à un régime d'État. Tout le processus s'est fait par une série de concessions successives, le résultat étant un système laïc, en somme, sans presque aucune instruction religieuse. Voilà l'un des problèmes.
Je crois que l'administration sera un véritable cauchemar. Je crois savoir qu'un des principes est que l'enfant doit être transporté par autobus à l'école la plus proche de chez lui. Cela limitera certainement les choix. Il existe à Edmonton un réseau public et un réseau séparé. Si ce même principe sur le transport s'y appliquait, il n'y aurait pas deux réseaux: tous les enfants fréquenteraient l'école située le plus près chez eux.
L'éducation religieuse fera problème parce que la proposition actuelle prévoit, si je comprends bien, qu'elle sera confessionnelle. C'est très difficile. Qui est-ce qu'on fait venir pour ces demi-heures de cours par jour? Comment est-ce qu'on les paie? Comment les prépare-t-on? Je ne connais aucun endroit au Canada où on a mis cette formule à l'essai avec succès.
Ce qui semble marcher, c'est de faire appel à un enseignant spécialisé en éducation religieuse, qui a étudié les religions du monde à l'Université Memorial, par exemple. En soi, cela est parfaitement acceptable et doit faire partie du programme d'études. Mais ce genre d'enseignant n'a pas la formation pour donner un enseignement confessionnel.
Si on regarde le programme actuel de l'Université Memorial, on constate que ce programme de formation ne comporte aucune orientation confessionnelle. Il s'agit en fait d'un programme d'enseignement multiculturel qui porte sur de nombreuses religions. A priori, il ne semble pas que ce soit ce que le gouvernement dit vouloir offrir dans les écoles.
Dans aucune de ses études ou déclarations sur le sujet, le gouvernement n'a fait état d'une évaluation de l'état de l'enseignement religieux dans les écoles intégrées. Ce n'est rien de scientifique, mais on me dit que c'est le sujet le moins populaire et que le recrutement est difficile. Pourtant, c'est cette orientation que le gouvernement a choisie.
Le sénateur Doody: Je me suis laissé dire que les changements apportés aux droits des minorités dans la province seraient minimes et ne compteraient pas beaucoup dans la situation d'ensemble. Je remarque au haut de la page 7 de votre mémoire que vous citez le ministre. Il aurait dit qu'un élément crucial dans la décision du Parlement consistait à voir «si la modification proposée aurait des répercussions préjudiciables sur les droits des minorités dans la province de Terre-Neuve et du Labrador ou si elle entraînerait leur disparition».
Le terme «disparition», à propos des droits des minorités, est plutôt radical. S'il y a lieu de l'employer, nous sommes aux prises avec un gros problème. Pourriez-vous vous expliquer davantage?
M. Carney: Je reprendrais l'analogie que le sénateur Carstairs a employée, celle du Manitoba, où il devait y avoir une instruction religieuse et d'autres sortes d'arrangements. C'est difficile sur le plan administratif, et de très fortes pressions s'exercent sur les administrateurs.
Même si on a promis que l'orientation chrétienne subsisterait dans l'instruction religieuse, elle a à peu près complètement disparu des écoles publiques au Manitoba. Je ne pense pas que ce soit là l'intention du gouvernement de Terre-Neuve, mais c'est dans le sens que les choses ont évolué ailleurs.
Les droits peuvent disparaître aussi, bien entendu, à cause de la nature provisoire de nombreuses dispositions. Combien d'enfants doit-il y avoir? Tout cela fait naître des inquiétudes, et on craint de voir disparaître le système, de voir disparaître des emplois. Bien des étudiants dans les universités se demandent comment ils peuvent décrocher un emploi et sont prêts à prendre tous les cours offerts. Certains se demandent même, en apprenant que les conseils catholiques embauchent, comment on devient catholique. Ils se demandent comment se préparer pour pouvoir décrocher un emploi. Cet aspect-là va mener à de grands bouleversements.
À bien des égards, le réseau intégré a un grand potentiel si on considère le modèle de l'école publique. Je ne pense pas qu'il va actualiser ce potentiel par une orientation interconfessionnelle.
Le sénateur Gigantès: D'après ce que je lis dans la résolution, il semble qu'il y aura des écoles catholiques et pentecôtistes et que les catholiques et les pentecôtistes pourront diriger l'éducation dans ces écoles. Ils auront le droit d'engager et de congédier qui ils veulent. Vous semblez dire que ce n'est pas assez. Le fait que les législateurs terre-neuviens se soient prononcés unanimement en faveur de la résolution me paraît très convaincant. Ces gens-là veulent se faire réélire. Ils doivent savoir ce que souhaitent leurs électeurs -- parents, catholiques, pentecôtistes, et cetera. Comment expliquer l'unanimité à l'Assemblée législative sinon par le fait que les députés étaient tous convaincus que les droits de leurs électeurs sont protégés?
M. Carney: Dans tout grand changement qu'on apporte à un système, il y a au départ beaucoup d'espoir, la promesse que le nouveau système va régler certains des problèmes du passé. En ce qui concerne les écoles confessionnelles ou l'éducation religieuse, on remarque chez la plupart des gens que, même s'ils ont des opinions très arrêtées, ils ont du mal à discuter de ces questions.
Il y a aussi de fortes pressions qui s'exercent sur les groupes pour qu'ils se conforment, pour qu'ils arrivent à un consensus. C'est particulièrement le cas dans les petites localités.
Je suis également persuadé que, dans la tradition canadienne, les gens veulent des systèmes d'enseignement solides et surmontent certains des problèmes qu'ils perçoivent dans le système d'éducation existant. Ils finissent par s'entendre: «Le problème dure depuis trop longtemps. Il faut s'en sortir. Il y a tellement d'autres problèmes à voir.» Cela permet de dégager un consensus. Ceux qui s'occupent de près d'un système confessionnel sont au courant des problèmes, et ils les reproduisent. Certains disent: «Nous pouvons certainement trouver une solution.»
L'une des choses regrettables dans ce dossier est que l'entente provisoire qui a été conclue entre le gouvernement et les Églises ne s'est pas concrétisée. C'est pourquoi je recommande que le gouvernement fédéral n'intervienne pas, mais laisse les personnes et les groupes en cause reprendre les discussions pour voir s'il n'y a pas possibilité de conclure l'entente envisagée.
Si je saisis bien, dans l'esprit de beaucoup, l'entente proposée était presque en place. La bataille était terminée. Le problème avait été résolu.
À dire vrai, je crois que bien des gens ont été très étonnés que cette question donne lieu à une controverse si vive.
Le sénateur Gigantès: Vous avez dit que ceux qui sont le plus directement concernés perçoivent les problèmes. Cela suppose que les autres ne les voient pas. Les plus directement touchés sont ceux qui dirigent ces écoles et vont perdre une partie de leur chasse-gardée. C'est une réaction très humaine que de chercher à défendre son domaine. Nous voyons constamment la même chose dans la fonction publique. C'est ce qui se passe au gouvernement et dans toutes les activités humaines. On est porté à exagérer les dangers. Je suis frappé par le fait que les législateurs, qui veulent se faire réélire, ne soient pas d'accord avec vous. Pourtant, on trouve parmi eux des catholiques et de pentecôtistes. Ils ne sont pas suicidaires, sur le plan politique.
M. Carney: Il y a toutes sortes d'idées reçues au sujet des Églises. L'une d'elles est que l'Église catholique est contrôlée par les évêques. Lorsque nous parlons de l'Église, nous ne pensons pas aux laïcs qui participent activement, mais à un évêque, et c'est une erreur.
Le sénateur Gigantès: Je parlais des administrateurs des écoles catholiques.
M. Carney: Il faut rassurer les gens. Chaque fois qu'on réorganise ou modifie un système, il faut dire à ceux qui ont donné un bon service qu'ils ont aussi un rôle à jouer dans le nouveau système, que des possibilités leur seront offertes, qu'on a besoin d'eux. Dans la situation actuelle, bien des questions surgissent. Mon école va-t-elle fermer? Est-ce que je vais avoir un poste ailleurs? Cela peut alimenter une certaine opposition.
Ceux qui travaillent au jour le jour avec les enfants dans l'enseignement constatent que, si une école a un esprit particulier et s'il y existe, au moins en théorie, et souvent en pratique, une vision commune, elle a de meilleures chances de bien fonctionner que si cette vision n'existe pas.
Je ne critique personne, mais, il peut y avoir des points de vue multiples. Dans mon mémoire, je parle d'études réalisées aux États-Unis. Je ne prétends aucunement que le catholicisme soit meilleur, mais il semble que, dans certaines écoles, il mobilise des éléments qui sont solides et soutiennent l'équipe.
Le sénateur Jessiman: Le message principal que ce mémoire transmet est que la résolution modifiant la clause 17 est mal conçue et inconstitutionnelle. Iriez-vous jusqu'à dire que, si l'Église catholique ou l'Église pentecôtiste s'adressait à la Cour suprême, la résolution pourrait être déclarée inconstitutionnelle?
M. Carney: Je suis désolé d'en revenir encore à la question des écoles au Manitoba, mais chaque fois que j'ai réfléchi à cet épisode, qui me semble déterminant dans l'histoire canadienne, j'ai toujours eu beaucoup de mal à m'expliquer pourquoi le Conseil privé n'a pas jugé que le gros changement apporté au Manitoba n'avait pas abrogé ou aboli une loi qui était en vigueur en 1870. Je ne comprends toujours pas. Je ne sais pas.
Je ne suis pas sûr de ce que les tribunaux feraient. Chose certaine, si la résolution est adoptée, il y aura des litiges, la controverse continuera, il y aura peut-être des injonctions, et cetera. Cent ans après l'épisode manitobain, nous aurons le même genre de controverse.
Le sénateur Jessiman: La Cour suprême n'est pas nécessairement liée aujourd'hui par les décisions du Conseil privé.
M. Carney: Non. Il s'agit d'un domaine différent.
Le sénateur Jessiman: L'argumentation est différente.
M. Carney: Effectivement.
La présidente: Pour compléter l'intervention du sénateur Jessiman, est-ce que la Cour suprême du Canada n'a pas fait respecter la Constitution, tandis que le Conseil privé a renversé la décision?
Le sénateur Beaudoin: C'est juste.
La présidente: Inutile de rappeler que le Conseil privé était alors situé en Grande-Bretagne et non au Canada.
M. Carney: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: Je voudrais revenir sur la question du sénateur Jessiman. Si cette résolution est adoptée, je ne vois pas comment la Cour suprême pourrait la juger inconstitutionnelle. Si elle est adoptée conformément à l'article 43, par les deux parties, l'affaire est close. Cela peut nous plaire ou non, mais c'est certainement légal.
Dans l'affaire du Manitoba, je crois que vous avez raison de dire que la Cour suprême a tranché en faveur des catholiques et des anglicans. C'est le Conseil privé qui a dit que la loi Greenway était constitutionnelle, mais il s'agissait d'une loi et non d'une modification de la Constitution. On peut toujours modifier la Constitution, mais il faut la respecter. Un projet de loi peut être inconstitutionnel, mais pas une Constitution. La Constitution est toujours là. Le Québec soutient le contraire devant la Cour supérieure, mais je puis vous dire tout de suite qu'il ne gagnera pas. Comment peut-on déclarer une disposition inconstitutionnelle si on propose une modification à la Constitution qui respecte cette dernière? Il n'y a aucun problème là-dedans.
Le sénateur Jessiman: C'est exact, à moins que les tribunaux ne décident que certains droits inhérents ne peuvent être enlevés par le gouvernement. C'est ce que le professeur dit. C'est défendable, selon moi. Quant à savoir si la cause tiendrait, c'est une autre histoire.
Le sénateur Beaudoin: L'affaire Mercure encore une fois. Si on respecte la formule de révision, tout est légal. Cela ne fait aucun doute pour moi. Il peut s'agir d'une modification qui n'est pas souhaitable -- je ne dis pas le contraire --, mais si on respecte rigoureusement la formule de révision, elle demeure légale, bien entendu.
Ma question est différente. Supposons que la résolution soit adoptée telle quelle. Je suis certain de sa légalité, mais je suis moins certain du deuxième point. Le droit à l'enseignement confessionnel est-il encore suffisamment fort? Vous dites que non, si je comprends bien. C'est votre thèse, n'est-ce pas? Selon vous, si la résolution est adoptée telle quelle, les écoles confessionnelles vont décliner et finiront peut-être par ne plus vouloir rien dire du tout. Vous avez peut-être raison.
Il est évident que les tribunaux seront un jour saisis de la question. Ce ne sera peut-être pas dès le lendemain de l'adoption de la résolution, mais il y aura contestation devant les tribunaux. Les tribunaux sont constamment appelés à se prononcer sur des dispositions de la Constitution. En fin de compte, ils devront trancher.
Vous dites à l'avance que le droit à l'école confessionnelle assuré par la modification n'est pas très fort. Je respecte cette opinion, mais je voudrais savoir sur quel fondement elle repose.
M. Carney: Par exemple, la loi albertaine sur les écoles séparées s'applique surtout aux catholiques, même si les relations entre majorité et minorités suscite toujours des préoccupations. En Alberta, les groupes confessionnels sont traités très équitablement. D'après la dernière loi sur l'éducation de la province, le gouvernement parle d'un réseau d'enseignement public qui comporte deux dimensions, deux parties égales à l'intérieur du système, le réseau public et le réseau séparé. Il y a donc reconnaissance de l'égalité. Les écoles séparées ne sont pas moins importantes. Elles font partie intégrante du réseau d'enseignement albertain.
Il est clair que le gouvernement de Terre-Neuve, pour diverses raisons dont beaucoup sont tout à fait valables, j'en suis certain, préfère un système interconfessionnel, et il a fait savoir de diverses manières que c'était son objectif ultime.
Le sénateur Beaudoin: Qu'est-ce que cela veut dire, dans les faits, «interconfessionnel»?
Nous avons sept catégories de personnes. Sauf erreur, deux s'opposent au système interconfessionnel et cinq sont d'accord. Tout d'abord, le droit à l'école confessionnelle est-il protégé? Deuxièmement, qu'est-ce qu'on entend par «école interconfessionnelle»? Est-ce une école quasi laïque?
Le sénateur Rompkey: Puis-je répondre?
La présidente: Nous allons tout d'abord demander à M. Carney de donner son interprétation. Vous êtes le prochain sur la liste, sénateur Rompkey.
M. Carney: Je ne sais pas pourquoi.
Le sénateur Beaudoin: Vous avez déjà répondu à la première partie de ma question. Ma deuxième question est la suivante: que veut-on dire par réseau interconfessionnel? Cela n'existe pas au Québec.
M. Carney: Le réseau est en voie d'élaboration. Il y avait à Terre-Neuve un réseau intégré réunissant diverses Églises. Elles se sont entendues au niveau local, dans bien des cas. Le réseau répond aux besoins de certaines confessions religieuses et accepte d'autres enfants. Beaucoup d'écoles intégrées ont des enfants de toutes les confessions religieuses.
Le sénateur Beaudoin: Ils sont tous ensemble?
M. Carney: Oui, ils sont tous ensemble.
Le sénateur Beaudoin: Et l'Église catholique n'est pas d'accord, bien entendu.
M. Carney: L'Église catholique dirait, je pense: «Pour l'enseignement à nos fidèles, il existe une meilleure solution, différente, une solution qui existe depuis longtemps et semble donner d'excellents résultats dans certaines circonstances, pourvu que l'État accorde des ressources suffisantes, n'empiète pas sur les droits des parents et ne fasse rien qui limite le financement et l'exploitation de ces écoles.»
Le sénateur Beaudoin: Essayons d'y voir clair. Selon vous, les écoles confessionnelles risquent de décliner, alors que le réseau d'écoles interconfessionnelles se transformera à long terme en un réseau laïc. Est-ce bien votre thèse?
M. Carney: Absolument. En ce qui concerne la pratique religieuse, ce qui se passe aujourd'hui dans le réseau public, c'est que, à cause de la diversité des croyances dans notre société, il faut continuellement retreindre certaines pratiques et observances. Les conseils scolaires publics font face à un dilemme: quand autoriser les fêtes religieuses? Pour quels groupes? Quelles cérémonies religieuses peuvent avoir lieu à l'école? Ce n'est pas nécessairement choquant, mais cela peut déranger des enfants d'autres confessions religieuses. De plus en plus, il faut éviter ce genre de situation.
Mettons qu'on veuille parler de pratiques religieuses à l'école à un moment donné et que cela dérange le programme ordinaire. Il y a là un problème administratif fondamental, car il faut trouver autre chose à faire pour les autres enfants. On a donc tendance à éviter ce genre d'activité parce qu'il donne lieu à des problèmes.
Si on passe en revue l'histoire de l'école publique et parcourt les manuels scolaires depuis 1840, on constate que l'orientation religieuse s'atténue de plus en plus jusqu'à nos jours. Aujourd'hui, on n'étudie plus guère que le phénomène de la religion, ce qui n'est pas de l'instruction religieuse.
Le sénateur Rompkey: Je voudrais tout d'abord répondre à la question du sénateur Beaudoin. Le réseau intégré est le regroupement de trois confessions principales: l'Église anglicane, l'Église unie et l'Armée du Salut. Les moraviens sont venus s'y ajouter par la suite, ainsi que les presbytériens. Les trois Églises possédaient des droits en vertu de la Constitution. On a fini par appeler leurs écoles le réseau intégré. Il ne s'agit aucunement d'écoles publiques, et aucune de ces Églises n'a renoncé aux droits que leur donne la Constitution.
Mes connaissances sont peut-être un peu dépassées. Cela s'est produit il y a environ 25 ans, et je suis certain que la situation a évolué depuis. Quoi qu'il en soit, j'ai travaillé pour un conseil du réseau intégré. Le président était un prêtre anglican. Il est aujourd'hui évêque à Saint John's, et nous entendrons son témoignage lorsque nous nous rendrons à Terre-Neuve. Il a été mon patron. Tous les membres du conseil, à l'époque, étaient élus par les groupes confessionnels. Chaque groupe avait ses représentants au conseil et les aura encore à l'avenir. Si je comprends bien, les deux tiers des membres des conseils seront élus par ces groupes. Tel était le réseau scolaire. Je ne qualifierai pas cette alliance, mais elle a réuni ces trois groupes, qui ont décidé que l'union faisait la force. Mais ils n'ont renoncé à aucun droit inhérent.
Comme surintendant, à l'époque, je n'ai rien vu qui permette de dire que les enfants, dans ces écoles, étaient moins fidèles, moins dévoués, qu'ils manquaient de valeurs civiques, morales ou éthiques. Mais il s'agit là d'une simple observation personnelle. Rien ne permet de dire non plus qu'il y a maintenant des lacunes semblables à Terre-Neuve. Les Terre-Neuviens donnent toujours deux fois plus que la moyenne nationale aux oeuvres de charité, ils ont les taux de divorce et de criminalité les plus bas du Canada, et ils sont aussi les plus pauvres. Qu'est-ce qu'on observe dans ces écoles?
Nous ne nous sommes pas interrogés sur les écoles autochtones. Si je parle de ces écoles, c'est parce que M. Carney a vécu un certain temps dans les Territoires du Nord-Ouest. Pensez-vous qu'il sera plus facile pour les Inuit et les Innus de Terre-Neuve et du Labrador d'avoir leurs propres écoles et conseils scolaires une fois la clause 17 modifiée? Vous pourriez peut-être nous faire part de votre expérience dans la gestion des écoles autochtones des Territoires du Nord-Ouest.
Dans l'ensemble du Canada, on essaie de régler les revendications territoriales, et cela suppose qu'on laissera aux autochtones un plus grand contrôle sur leur propre vie, notamment en ce qui concerne l'éducation. Si les autochtones de notre propre province veulent avoir leurs propres écoles, ce n'est pas absolument impossible pour l'instant, mais est-ce que ce serait plus facile si la clause 17 était modifiée?
M. Carney: Cela dépend de la notion d'Indiens inscrits et non inscrits.
Le sénateur Rompkey: Nous n'avons pas d'autochtones inscrits.
M. Carney: Beaucoup d'autochtones sont chrétiens, tandis que d'autres ont renoué avec leurs croyances traditionnelles ou les ont toujours conservées.
Beaucoup d'autochtones ont hâte de travailler tous ensemble pour leurs écoles locales et d'avoir un vrai contrôle sur ces écoles. Pour des raisons diverses, ils ont souvent eu l'impression d'être laissés en marge du réseau principal, de ne pas être des protagonistes à part entière dans ce réseau.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, les autochtones sont majoritaires, si bien qu'ils ont acquis un contrôle important sur leurs propres écoles. Les changements sur le plan scolaire ne sont jamais très radicaux, mais il semble que le système fonctionne beaucoup mieux, et que l'ancien régime, dans lequel quelqu'un d'autre avait la principale responsabilité à l'égard des enfants, soit en train de changer. Les autochtones assument cette responsabilité. La clause 17 comporte des éléments favorables, à ce point de vue, car elle permettrait peut-être de tenir compte de groupes comme ceux-là, de leur faciliter les choses et de leur donner des droits qu'ils n'ont pas maintenant.
Le sénateur Rompkey: La nouvelle clause 17?
M. Carney: C'est cela.
Il y aurait un certain nombre de possibilités. Par exemple, certains pourraient vouloir conserver le réseau intégré s'ils le trouvent très satisfaisant; d'autres pourraient vouloir rester dans le réseau catholique; d'autres encore, dans certaines localités, pourraient vouloir assumer le contrôle. La seule école de la localité pourrait être une école autochtone, par exemple.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, la majorité autochtone, dans certaines localités, dirige les écoles par l'entremise de représentants élus, et les non-autochtones fréquentent la même école. Il existe donc une dimension communautaire, mais les non-autochtones ont des contacts étroits avec la culture autochtone.
Il y a eu retournement de situation, et cela a très bien fonctionné. Il serait intéressant, en théorie, d'élargir cette idée de choix et de possibilités diverses.
Le sénateur Rompkey: Nous allons voir ce qu'ils veulent, mais, dans l'état actuel des choses, la plupart des Inuit de notre province sont moraviens; tous les Innus du Labrador sont catholiques. Nous allons voir ce qu'ils souhaitent pour l'avenir, mais, s'ils veulent avoir leurs propres écoles et les diriger eux-mêmes, est-ce que ce sera plus facile après la modification de la clause 17? Est-ce que votre réponse est oui?
M. Carney: Oui. Il y aurait alors reconnaissance de la diversité des convictions religieuses, y compris la religion traditionnelle, dans la collectivité autochtone. Ils essaieraient de faire cohabiter ces traditions, parfois dans une école commune. Dans ce cas, si nous classons les groupes comme principalement moraviens ou catholiques, il se pourrait que l'orientation, au bout du compte, soit davantage linguistique et culturelle plutôt que religieuse.
Le sénateur Prud'homme: Après vous avoir écouté, je tiens à vous dire à quel point je suis désolé que les Communes aient jugé bon de bâcler le débat sur cette question importante. Comme je l'ai dit au Sénat, j'ai assisté au débat. D'après mon expérience de 30 ans comme parlementaire élu, je puis dire qu'il y a quelque chose de trouble dans toutes les mesures qui sont mises à l'étude le vendredi. Cela m'a toujours incité à y accorder une attention particulière. Comme je l'ai dit au Sénat, il n'y a jamais eu quorum à la Chambre pendant toute cette journée de vendredi.
Deuxièmement, je déplore que les Communes n'aient pas jugé bon de laisser à des gens comme vous l'occasion d'exprimer leur opinion, quelle que soit la décision prise en fin de compte. Comme je l'ai dit et répété, je ne sais pas si je vais voter pour ou contre la résolution.
Comment peut-on arriver à prendre cette importante décision? En tenant des audiences et en écoutant le point de vue des intéressés. Les premiers intéressés sont certainement les Terre-Neuviens. Je tiens à rappeler quelque chose, au cas où quelqu'un dirait: «De quoi ces sénateurs se mêlent-ils? Ils ne sont pas de Terre-Neuve.» Je suis un sénateur canadien. C'est mon devoir. C'est à ce titre que je m'intéresse à la question. Je vais toutefois écouter le point de vue des Terre-Neuviens, même si je ne suis pas membre du comité. Je vais faire mon travail, car ce débat reviendra certainement à la Chambre des communes d'une manière ou d'une autre. Ce mémoire devrait lui être soumis.
D'après tous ces documents qui circulent, avez-vous l'impression que certains ont des intérêts autres que celui de l'enseignement? Je leur rends hommage de ce qu'ils ont fait par le passé. Si on parcourt la liste que le sénateur Rompkey nous a communiquée, on trouve toutes les Églises protestantes, comme l'Église adventiste, l'Église anglicane, l'Église baptiste, l'Armée du Salut, l'Église unie, et cetera. Il ne semble que ces personnes ne tiennent pas autant à leur droit constitutionnel. Si la Constitution me donne un droit et si je suis disposé à le céder, c'est d'accord, à condition qu'on ne m'y contraigne pas. Mais nous sommes en présence de deux groupes très déterminés à conserver leurs droits constitutionnels, et d'un autre, interconfessionnel, que cela intéresse moins.
Est-ce que ce ne serait pas le nouveau réseau public qui est en train de s'établir, tandis que les deux autres groupes veulent conserver ce qui leur appartient? Nous aurons alors deux systèmes concurrents pour toutes ces pauvres âmes auxquelles tant de gens semblent s'intéresser ici. Certains, je le répète, semblent tenir davantage à défendre les droits de 385, 445, 1 225 ou 125 personnes, même s'il demeure que des droits sont toujours des droits. Ils peuvent fréquenter cette nouvelle «école publique». Voilà ce dont on parle, me semble-t-il.
La présidente: Sénateur Prud'homme, votre question, s'il vous plaît.
Le sénateur Prud'homme: Vous nous avez dit qu'on n'empêchait personne d'aller à l'école à Terre-Neuve. Dans ce cas, personne n'en serait empêché s'il y avait un nouveau type de réseau public et si, comme en Ontario, les catholiques conservaient leur réseau.
Il est étrange que, après 400 ans, nous soyons de retour à la case départ -- non pas les relations entre francophones et anglophones, mais entre catholiques et protestants. Mon père disait toujours que je devais porter une grande attention à l'histoire de notre pays chaque fois que ce problème surgissait. Non pas le problème des relations entre francophones et anglophones -- je n'ai jamais cru que la division se situait sur ce plan-là -- mais le problème religieux.
M. Carney: Si vous examinez l'évolution du réseau scolaire public, surtout en Colombie-Britannique et en Ontario, par exemple, on constate que les grandes forces qui ont soutenu le développement du réseau ont été les Églises protestantes, notamment les méthodistes et certains des autres groupes qui se sont depuis réunis pour former l'Église unie. Des personnalités remarquables comme M. Ryerson et beaucoup des pionniers de l'éducation ont travaillé très fort pour bâtir un réseau scolaire public solide. Ce réseau public repose sur des idées chrétiennes. Si on regarde les manuels et même les photos d'écoles, on remarque, au milieu du XIXe siècle, de nombreux symboles qui reflètent des idées bibliques et autres. Ce réseau public a bien servi un groupe majoritaire très important dans la société. Cette orientation touche maintenant Terre-Neuve.
Je remarque par exemple dans les Débats des débats aux Communes qu'un député a signalé que l'Église unie de Terre-Neuve appuyait la modification sans réserve. On croirait entendre le discours que tenait Egerton Ryerson il y a 140 ans. C'est exactement ce qu'il croyait. C'était un membre du clergé méthodiste qui était convaincu de la valeur d'un réseau scolaire public. Avec d'autres, il a été le pilier d'un réseau qui a fait une contribution très constructive. Nous pouvons être très fiers de cette réalisation, au Canada. Pourtant, même s'il croyait que des groupes comme les catholiques étaient mal informés, il n'a pas essayé de faire disparaître leur réseau. Il croyait que, avec le temps, ils se rallieraient.
Cela ne s'est pas produit. Et à Terre-Neuve non plus, chez un grand nombre de catholiques, cela ne s'est pas produit non plus.
Cela me rappelle ce que James Joyce disait de l'Église catholique: «Voici venir tout le monde.» Les opinions sont très diverses. Il faut se méfier de renseignements ponctuels du genre: «Je discutais avec quelqu'un l'autre jour, et on m'a dit qu'il devrait y avoir un seul réseau.» La majorité des catholiques de Terre-Neuve souhaitent conserver leur réseau. Je suis persuadé que c'est le cas. Il y a aussi beaucoup de catholiques qui ne sont pas d'accord ou qui, pour des raisons diverses, veulent adopter le réseau multiconfessionnel.
Je suis d'accord avec vous. Notre pays a une grande tradition en ce qui concerne le réseau scolaire public. Celui-ci participe d'une orientation différente, d'un esprit différent. Il fait aujourd'hui face à des problèmes et s'efforce de les régler. En Alberta, on met à l'essai les écoles à charte. On dit aux principaux groupes chrétiens de la collectivité qu'ils peuvent avoir leurs propres écoles à l'intérieur du réseau public, dans lesquelles les valeurs chrétiennes seront enseignées, où on pourra utiliser des méthodes ou un mode d'enseignement particulier.
Un autre besoin auquel on peut répondre est celui des écoles spécialisées de formation professionnelle ou artistique. Des innovations comme celles-là peuvent se multiplier à l'intérieur du réseau public.
Notre pays met davantage l'accent sur la diversité que ne le font nos voisins du sud.
La présidente: J'ai été étonné que vous utilisiez comme exemple le réseau catholique américain. Comme éducatrice, j'ai également lu certaines de ces études. L'un des avantages qu'on a relevés dans le réseau catholique américain est qu'il n'est pas financé par les impôts. Les parents font une contribution financière, si limitée soit-elle, et c'est l'une des raisons pour lesquelles ils s'intéressent de si près à leurs enfants.
Nous savons qu'il y a une corrélation étroite entre l'intérêt que les parents portent à l'éducation de leur enfant et le succès scolaire de celui-ci. Est-ce que ce n'est pas ce que disent certaines de ces études?
M. Carney: Oui, mais ce qu'il y a d'exceptionnel dans ces études tient au fait qu'il s'agit de parents défavorisés, c'est-à-dire ceux qui ne peuvent tout simplement pas financer le réseau. Les études Greeley, par exemple, concluent que, chez les jeunes qui sont défavorisés ou dont les parents ont très peu d'instruction, le réseau des écoles paroissiales aux États-Unis a fait des choses remarquables qui sont directement attribuables à l'expérience scolaire.
Anthony Bryk, de Harvard, dit que ce sont des «écoles du bien commun». Selon lui, ce modèle peut donner d'excellents résultats dans certains milieux, y compris dans le réseau public. Il existe certaines caractéristiques qui semblent propres aux bonnes écoles. L'esprit et l'orientation sont assez facilement définissables et ils ont des conséquences suffisamment importantes pour les membres du groupe adhèrent à cet esprit et soient imprégnés par lui.
Mais ce que vous dites est juste. Il y a des caractéristiques: plus le contrôle local est important, plus les chances sont grandes que cela se produise au Canada.
La présidente: Des évaluations ont été faites récemment dans votre province, l'Alberta. Nous avons entendu divers témoignages et arguments selon lesquels tel ou tel type d'école serait meilleur que les autres. Je pense que ces affirmations ont assez peu à voir avec la réalité. Je me trouvais en Alberta lorsque les résultats ont été publiés et je crois que les meilleurs étaient tantôt ceux de l'école séparée de Calgary et de l'école publique d'Edmonton, tantôt ceux de l'école publique de Calgary et de l'école séparée d'Edmonton, peu importe. Le fait que la différence n'ait pas été très marquée montre que, au vu de ces normes, peu importe qu'on fréquente l'école publique ou l'école séparée, c'est-à-dire, en Alberta, l'école catholique.
M. Carney: La question n'a pas été beaucoup étudiée. Nous n'avons pas fait de comparaisons entre les différents systèmes scolaires au Canada; nous n'avons pas eu beaucoup de débats publics non plus sur ce qui se passe dans nos écoles. En Alberta, il y a beaucoup d'opposition à la publication des résultats des examens, à leur divulgation.
Il faut aussi voir qui sont les élèves évalués et quel âge ils ont. À Calgary, par exemple, une étude a été faite sur l'attitude des élèves d'environ 18 ans à l'égard de la religion. Parmi tous les groupes visés par l'étude, les catholiques étaient ceux qui étaient le plus attachés à leur religion à l'âge de 16 ans, mais c'était ceux qui l'étaient le moins, à l'âge de 18 ou de 19 ans. C'est une constatation intéressante, mais assez troublante pour les commissaires des écoles catholiques.
Toutefois, la même enquête a permis de constater que les catholiques sont ceux qui, à 18 ans, ont le plus fort sentiment d'appartenance à leur Église. En somme, ils sont heureux d'appartenir à l'Église, mais ils ne prennent pas la chose trop au sérieux.
Les bonnes études doivent être longitudinales, de manière à mettre en évidence les changements ultérieurs également. C'est là le risque que présente l'interprétation des opinions des jeunes, ou de n'importe qui d'autre, à un âge spécifique.
La présidente: Comme éducatrice, je ne suis pas nécessairement en faveur de l'application d'une foule d'examens normalisés, mais il y a un fait ponctuel dont je me souviens, à Calgary. Des écoles du centre-ville ont retenu l'attention par leurs excellents résultats. On a fini par apprendre que les enseignants avaient conservé les examens de l'année précédente. Or, par souci d'économie, le gouvernement avait réutilisé exactement les mêmes. C'est pourquoi les élèves de ces écoles ont eu d'aussi bons résultats.
Merci, monsieur Carney.
Nous entendrons maintenant les témoins du Conseil scolaire d'Ottawa. Vous avez la parole.
Mme Linda Hunter, présidente, Conseil scolaire d'Ottawa: Honorables sénateurs, au nom des éducateurs de tout le Canada, je vous remercie de nous donner la possibilité de donner au Sénat canadien notre opinion sur une question aussi essentielle pour le bien-être du Canada, l'éducation.
Je félicite tous les membres du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles d'avoir pris le temps nécessaire pour comprendre à fond la situation cruciale où se trouve Terre-Neuve en matière d'éducation. Je voudrais aujourd'hui vous inviter à considérer les tendances mondiales, en plus des tendances nationales, pour que vous puissiez donner de bons conseils au Sénat, lorsque vous lui remettrez votre rapport, le mois prochain.
Je ne suis pas ici pour discuter de questions constitutionnelles, mais pour vous faire part des opinions que j'ai pu me former en jouant mon rôle d'éducatrice. Je suis présidente d'un des plus grands conseils scolaires de l'Ontario. J'en ai été membre pendant plus de huit ans, et je suis très active dans mon milieu. Je voudrais aujourd'hui partager avec vous les expériences que j'ai vécues, en participant de manière aussi étroite aux activités du réseau scolaire.
Pendant la période de questions qui suivra mes observations, je crois, je vous invite à interroger également ma collègue, Carolla Lane, directrice de l'éducation au CSO. Son efficacité à la tête du CSO tient en partie à son expérience antérieure. Dans le réseau scolaire ontarien, elle a été successivement enseignante au primaire puis au secondaire, directrice d'école, surintendante, directrice de l'éducation dans le comté de Peterborough. Elle est allée ensuite à Queen's Park, où elle a été sous-ministre adjointe au ministère du Travail et au ministère de l'Éducation et de la Formation.
Toutes deux, nous estimons que le CSO est un élément important du système d'éducation au Canada. À ce titre, notre conseil doit veiller à assurer l'intégrité de ce système. Notre invitation à comparaître aujourd'hui est donc une belle occasion de mobiliser l'attention nationale sur une question qui relève des provinces, certes, mais qui, par sa nature même, revêt une importance nationale.
Il y a trois messages clés que je vais développer au cours de mes observations. Tout d'abord, en s'efforçant de réduire au minimum le nombre de groupes administratifs ou de conseils scolaires, on fait en sorte que le maximum de ressources soit affecté directement à l'enseignement, plutôt que de se perdre dans des services administratifs qui font double emploi.
Deuxièmement, surtout dans l'économie d'aujourd'hui, il est important de canaliser les ressources vers les élèves plutôt que vers l'administration ou l'élément politique du réseau d'éducation. Le CSO n'est qu'un exemple parmi bien d'autres de réseau scolaire commun qui réussit à accueillir la diversité des religions, des races et des capacités d'apprentissage parmi ses clientèles.
Troisièmement, l'éducation n'échappe pas plus que les services de santé, l'économie ou le monde du travail, aux débats ultra rapides et aux réorganisations dans la prestation des services. Cela est conforme aux tendances mondiales, marquées par une turbulence et une incertitude plus grandes qu'on n'en a vu depuis les deux grandes guerres.
Une fois précisés ces messages, je dois aussi vous expliquer brièvement deux éléments fondamentaux. Les services publics d'enseignement ont la responsabilité sociale et juridique d'offrir l'enseignement à tous ceux qui le demandent, peu importe leur âge, leur religion, leur origine raciale et ethnoculturelle ou leurs aptitudes scolaires. Ces élèves sont après tout les décideurs de demain, et ils ont droit aux mêmes chances que tous. C'est pourquoi je tiens à insister aujourd'hui sur notre plus importante responsabilité, soit d'assurer une éducation de qualité à tous les élèves.
Au moment où Terre-Neuve, avec son système d'éducation complexe et unique, envisage une restructuration, nous ne devons pas perdre de vue notre rôle clé dans la formation des élèves, qui deviendront les dirigeants de notre collectivité dans un avenir qui n'est pas très éloigné.
Selon moi, votre décision d'accepter ou de rejeter la possibilité que le système d'éducation de Terre-Neuve entre dans une nouvelle ère aura des conséquences considérables sur la capacité de la province de se réorganiser pour occuper une meilleure place sur les marchés canadien et mondial.
Comme les Terre-Neuviens et les Ontariens le savent, les problèmes de pauvreté, de chômage et de dépendance sociale ne connaissent pas les frontières artificielles que dressent les regroupements par religion, race ou situation socio-économique.
Après ces observations liminaires, j'en viens à mon premier point: la nouvelle économie qui est un sujet de préoccupation quotidien pour les Canadiens de tout le pays.
Partout, en de plus en plus, les conseils scolaires doivent faire des efforts d'économie comme jamais. La coexistence de plusieurs conseils dans une municipalité, région ou province réduit les ressources affectées à l'enseignement, car elle fait augmenter le nombre des systèmes administratifs, des directeurs de l'éducation et commissaires à engager, à former, à payer et à faire vivre à la retraite.
Le CSO a pu réaliser des économies grâce aux efforts extraordinaires de son personnel, de ses commissaires et de ses contribuables au cours des dernières années. Nous avons beaucoup réduit les dépenses en dehors de l'enseignement en ramenant de 20 à sept le nombre de postes d'administrateurs de haut rang. Nous avons également réduit le nombre de commissaires élus de 18 à 10 au cours des deux dernières années.
Ces changements n'ont pas été sans exiger des sacrifices et entraîner des conflits internes, mais ces changements nous ont permis de continuer d'assurer les meilleurs services possibles à notre clientèle très diverse de 33 000 élèves. Comme beaucoup d'autres districts scolaires de l'Ontario, nous faisons face à de nouvelles réalités dans la prestation des services, aujourd'hui, car la population que nous servons change radicalement en quelques années. Parmi les dures réalités auxquelles le CSO doit faire face se trouvent des détails auxquels on ne songe pas nécessairement lorsqu'on pense à la Tour de la Paix et au Festival des tulipes.
Environ le septième des enfants d'Ottawa-Carleton vivent dans la pauvreté. Ce sont donc 24 000 enfants qui doivent tous les jours surmonter les difficultés de leur condition de défavorisés. Près de 15 000 de ces jeunes vivent dans le territoire desservi par le Conseil scolaire d'Ottawa.
Récemment, un effort de coopération dont le CSO a pris la tête nous a valu des félicitations de Queen's Park. C'est une solution que nous avons trouvée pour tirer le maximum de nos maigres ressources.
L'honorable John Snobelen, ministre de l'Éducation et de la Formation de l'Ontario, a annoncé récemment le projet ONE World/UN monde. Il s'agit d'un réseau informatique qui doit faciliter la coopération entre les enseignants, les élèves et le personnel administratif. C'est l'aboutissement d'un effort commun des six conseils scolaires locaux -- public et séparé, anglophone et francophone -- en plus de Keewaytinkook Okimakanak, administration scolaire des Premières nations dans le nord de l'Ontario -- et de plusieurs entreprises locales.
J'invite le comité à se renseigner sur l'existence d'efforts de collaboration semblables, lorsqu'il se rendra à Terre-Neuve, pour aider les éducateurs à mettre en place le meilleur système possible, que la modification proposée reçoive ou non la sanction royale.
Les liens que permettent la haute technologie et les politiques de Queen's Park peuvent sembler complètement étrangers à la question terre-neuvienne, mais je puis assurer aux honorables sénateurs que non seulement les nouvelles réalités économiques d'aujourd'hui, mais aussi la diversité des groupes servis par les réseaux scolaires provinciaux sont de grands sujets communs de discussion.
J'ai étudié dans une école du Nouveau-Brunswick qui accueillait les élèves depuis les premières années jusqu'au moment de passer aux études postsecondaires. Je connais les questions qui se posent en ce moment dans le monde de l'éducation en Ontario, mais j'ai aussi une connaissance de première main de la culture unique qui est propre aux petites localités principalement rurales. Je comprends aussi la nervosité des gens qui passent d'une petite localité vers une ville plus importante et moins bien connue.
Je voudrais vous parler d'une délégation d'éducateurs d'Afrique du Sud qui est venue au Canada et à qui j'ai eu l'honneur d'adresser la parole avant que Mandela n'accède au pouvoir comme dirigeant élu. Ces éducateurs s'interrogeaient sur l'initiative de l'Ontario, qui divisait les élèves d'après leur religion à un moment où l'Afrique du Sud faisait des efforts surhumains pour abattre les murs de la division et des préjugés. J'avoue avoir été incapable de justifier un système d'éducation qui divise les élèves de cette manière. Je crois aujourd'hui d'autant plus à un réseau commun d'enseignement que la conjoncture économique est difficile
Si on quitte l'Afrique du Sud pour revenir plus près de chez nous, le CSO est déjà en train de conclure des ententes fructueuses avec d'autres conseils scolaires pour tirer le maximum de ses budgets et de ses avantages. Nous coopérons avec d'autres conseils, des municipalités et des sociétés sur le plan des achats, des transports, des économies d'énergie, des services des médias et des services d'éducation aux enfants dont le développement est retardé.
Dans ses propres services, le CSO fait également face à la nouvelle réalité qu'il ne faut jamais perdre de vue si nous voulons offrir le meilleur système d'éducation possible. Des clientèles diverses peuvent apprendre ensemble, en se préparant à devenir des membres qui contribuent à notre société, que la diversité soit celle de la religion, de la culture ou du potentiel d'apprentissage.
La seule mise en garde que j'ajouterais est que les dirigeants, ceux qui gèrent le système, doivent être résolus à réussir si l'on veut que les élèves se mobilisent.
Qu'on me permette de dire un mot de quelques-uns de nos programmes, dont certains ont été imités partout au Canada.
Dans le cadre du projet Children Learning for Living du CSO, un travailleur en santé mentale enseigne à des jeunes enfants comment résoudre les différends et à faire face à leurs propres problèmes personnels au jour le jour. Les éducateurs savent qu'ils ne peuvent plus tenir pour acquis que les enfants qui arrivent à l'école ont tout ce dont ils ont besoin -- nourriture, amour, sécurité familiale, spiritualité -- pour pouvoir suivre les cours.
Un deuxième programme très fructueux vise à tenir compte des différences d'ordre économique, racial ou ethnoculturel. Certains des élèves qui nous arrivent n'ont aucune instruction et ont besoin d'un service de base pour acquérir les premiers rudiments de l'anglais. Ce service a été essentiel pour assurer la bonne intégration de ces élèves en Ontario.
Au CSO, la nécessité est mère de l'invention. C'est ainsi que nous avons établi nos centres d'accueil pour les familles. Il s'agit de répondre aux besoins sociaux et éducatifs des élèves arrivés de fraîche date et de leur famille immédiate et de trouver les services et les ressources dont ils ont besoin. Nous avons également établi un partenariat avec les services d'immigration d'Ottawa-Carleton, qui fournit pour nos écoles des agents de liaison multiculturelle.
La réalité de notre nouvelle clientèle est ressortie de manière saisissante la semaine dernière. J'ai pu admirer une murale créée en 1995 par les élèves d'une de nos écoles secondaires décrivant leur arbre généalogique. Ce qui m'a frappée, c'est que les jeunes artistes ont utilisé 52 drapeaux des pays d'origine pour illustrer la composition démographique de la population étudiante.
J'espère que ces illustrations peuvent vous faire comprendre que d'autres collectivités canadiennes s'acheminent vers des services collectifs d'enseignement, formule qui tient compte des différences et exploite le potentiel de chaque enfant au lieu de mettre l'accent sur les différences.
Mon troisième point qu'il y aurait lieu de considérer pour guider l'avenir du système d'éducation de Terre-Neuve concerne le système scolaire confédéré. En m'appuyant sur mes deux premiers points, soit la nouvelle économie et les tendances mondiales, je recommande que les conseils scolaires soient encouragés à mettre en commun leurs points forts de manière à faire place à la diversité sans pour autant insister sur la séparation.
Comme je l'ai expliqué, le CSO est devenu un solide fournisseur de services d'éducation grâce à sa collaboration avec d'autres conseils scolaires locaux, public et séparé, anglophone et francophone. Si on peut s'efforcer de simplifier les fonctions administratives et de partager les dépenses communes comme celles du transport, des achats, des locaux et des nouvelles technologies, je crois que nous pourrons affecter à l'enseignement une plus grande proportion des budgets d'éducation.
Dans le modèle d'administration scolaire communautaire, on peut répondre aux besoins personnels sur les plans de la religion, de la culture ou de la capacité d'apprentissage au moyen de secteurs particuliers à l'intérieur d'un système commun. Ce qui m'attire dans ce modèle, c'est l'idée de donner aux élèves le meilleur de ce que chaque conseil a à offrir. La simple logique dit que la maximisation du potentiel du système permet de maximiser le potentiel des élèves.
Si le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles conseille au Sénat de rejeter la demande de Terre-Neuve en vue de diriger complètement son système d'éducation, et si cela a un effet d'entraînement au Canada dans les années qui suivront, je m'attends à un mouvement vers les écoles privées, dont la clientèle viendra du réseau public. Cette évolution démographique fera en sorte que les pauvres, les immigrants et les élèves qui ont des besoins particuliers resteront dans le réseau public tandis que les élèves de la classe moyenne et les éléments les plus brillants se dirigeront vers l'école privée. Cette formation de ghettos dans notre réseau scolaire n'est pas un aspect du modèle scolaire américain que je voudrais encourager dans notre pays.
À titre de présidente d'un grand conseil scolaire, j'estime que la modification du système terre-neuvien ne constitue pas une menace, mais une occasion de donner un espoir et une croissance à une province qui, je crois, a bien besoin des deux. Je crois que l'éducation est du ressort de l'État et que les religions peuvent jouer et jouent effectivement un rôle pour nous rappeler à tous, peu importe notre pays d'origine, notre religion ou notre âge, que la spiritualité est aussi importante aujourd'hui qu'elle l'était avant que l'instruction ne soit offerte à tous, et non seulement à la royauté et aux riches.
La modification à l'étude vise à assurer l'égalité et l'ouverture d'esprit que nous recherchons tous. Il ne fait pas de doute que les changements recherchés par le gouvernement de Terre-Neuve nécessiteront, à supposer que la modification soit adoptée, une période de transition. Comme j'ai participé à de nombreuses restructurations, je sais que tout processus de transition a une fin et que, inévitablement, le résultat est pour le mieux.
Le Sénat n'a pas seulement un rôle à jouer dans l'évolution de notre Constitution, mais il doit aussi, comme sage conseiller des Canadiens, s'élever au-dessus des différends entre les diverses factions et considérer avant tout le bien des enfants. Comment pouvons-nous soutenir les Terre-Neuviens et les encourager à faire de même, comme habitants du village planétaire qui, à parler franchement, ne peuvent plus se permettre de gaspiller leurs ressources financières ni leurs ressources en éducation?
Je souhaite que mes observations d'aujourd'hui aideront le comité permanent à guider Terre-Neuve dans ce qui, pour cette province, est un territoire tout nouveau. Comme j'ai grandi sur la côte est, je veux vraiment croire qu'un jour viendra où le gouvernement de Terre-Neuve pourra convoquer, comme égaux, les ministres du culte, les prêtres, les rabbins et les chefs spirituels des Premières nations à une réunion de gestion pour qu'ils puissent préparer un meilleur avenir pour les élèves. Si ces dirigeants mettent en commun leurs ressources et leurs idées, et s'ils tiennent vraiment au bien des enfants de la province, cette démarche amorcée en 1996 aura largement valu la peine.
Le gouvernement, les sociétés et les citoyens doivent soutenir ce nouveau départ dans le monde de l'éducation à Terre-Neuve, si cette modification constitutionnelle est vraiment un catalyseur qui permettra à la province de mieux se positionner pour l'avenir. Si les prochaines étapes, dans notre province la plus à l'est, peuvent être accomplies avec une précaution et des consultations constantes, avec sagesse, en mettant l'accent sur l'édification d'une société fondée sur la collaboration, je crois que les dirigeants de demain, dans la société terre-neuvienne, seront en mesure d'assumer un rôle de chef de file dans le village planétaire.
Ce qui compte, ce sont les enfants à éduquer et l'espoir qu'ils représentent pour l'avenir du Canada, qu'ils habitent dans la capitale nationale ou le long de l'un de nos trois océans. Nous devons faire ce qu'il faut pour notre prochaine génération de dirigeants.
Le sénateur Doody: Merci de votre exposé très substantiel.
Vous avez dit, la chose m'a frappé, que nous avions six conseils scolaires dans la région. Il s'agit d'une région relativement peu étendue où les communications sont excellentes. Chaque fois que je circule sur l'une de ces routes, je pense à Terre-Neuve. Les installations de loisirs, de divertissement, et cetera, sont tout à fait remarquables.
Malgré tout cela, nous estimons toujours avoir besoin de six conseils scolaires pour faire fonctionner le système. Pourquoi, selon vous, avons-nous tous ces conseils scolaires? Il doit bien y avoir une raison. Est-il possible ou même probable que les catholiques de la région croient que leurs enfants seront mieux servis, du point de vue de l'esprit auquel ils sont habitués, des valeurs, de la morale, et cetera, dans un réseau scolaire catholique? N'est-il pas possible également que les francophones estiment que leurs enfants seront mieux servis par un système qui donne l'enseignement dans leur langue, en respectant leur histoire, leur culture et leurs traditions? C'est exactement ce que les Terre- Neuviens demandent aujourd'hui. Ils veulent avoir le droit d'éduquer leurs enfants selon les valeurs avec lesquelles ils ont eux-mêmes grandi, des valeurs qui leur ont été transmises au fil des ans par leurs propres parents et leurs grands-parents.
Je suis parfaitement d'accord avec vous pour dire que, à cette étape du développement économique de notre pays, nous ne pouvons pas nous permettre de gaspiller des ressources financières. Vous constaterez sans doute que la majorité des catholiques, des pentecôtistes et de l'ensemble des Terre-Neuviens estiment que ce n'est pas gaspiller des ressources financières que d'enseigner les valeurs morales dans notre réseau scolaire. Le sénateur Rompkey a signalé tout à l'heure la différence de nos taux de criminalité et de délinquance juvénile et le fait que nous avons la seule force policière au Canada qui ne porte pas d'arme à feu. C'est une morale différente, un esprit différent qui nous ont bien servis.
Je reconnais que vous nous présentez vos meilleurs voeux avec une grande sincérité et, de toute évidence, avec beaucoup de réflexion, mais j'ai vraiment l'impression que vous abordez la question dans une optique différente de celle des catholiques et des pentecôtistes de Terre-Neuve.
Il y a un monde entre les deux façons de penser. Cela ne veut pas dire que vos propos sont dépourvus de sens. Ils sont parfaitement logiques. Mais il y a des choses, dans l'histoire, la tradition, la culture, qui défient toute logique.
Mme Hunter: Comme vous le savez, sénateur, si nous avons dans notre région des conseils francophones et anglophones, publics et séparés, c'est parce que l'Ontario en a décidé ainsi en raison des droits constitutionnels. Je propose que nous prenions ce qu'il y a mieux dans chacun de ces conseils et que nous utilisions les ressources pour assurer l'enseignement. Ce que nous mettrons en commun ou éliminerons, ce ne sont pas nécessairement les droits linguistiques et religieux, mais nous devons regrouper tous les éléments qui sont communs à tous.
J'ai parlé par exemple des transports. Je suis consciente que la situation est différente, car notre région est, comparativement, plutôt petite. Mais nous avons des choses en commun. Nous travaillons très bien avec le conseil catholique séparé. Je dis que rien ne nous empêche d'élargir cette collaboration. Cela se fait ici. Ce n'est pas la réponse aux questions de tout le monde, mais je crois que cela permettra d'économiser des ressources rares.
Nous devons reconnaître l'importance de la spiritualité et des différences. Je crois aussi qu'il y a moyen de consacrer certaines de ces ressources à des choses que nous avons en commun. Voilà ce que je propose.
Le sénateur Doody: J'abonde dans votre sens. Terre-Neuve a beaucoup progressé vers cet objectif. On constate cet heureux état de choses dans un accord cadre que les diverses catégories de personnes en cause ont conclu. Cet accord prévoit un réseau commun, non confessionnel, de transport par autobus, et une commission, non confessionnelle également, chargée des constructions qui distribuera les fonds en fonction des besoins et non proportionnellement au nombre de personnes, comme c'est actuellement le cas. Le nombre de conseils scolaires dans toute la province sera ramené de 27 à 10, et cetera.
Il y a eu entente sur tout cela, ce qui amène une question: pourquoi faut-il modifier la Constitution pour en arriver là? Je sais que vous ne voulez pas parler de constitution, et je le comprends. Mais il y a d'autres personnes qui ont des opinions là-dessus. Il n'y a rien à redire à vos objectifs de coopération et d'économie. Le problème, c'est la méfiance, c'est la crainte de deux minorités de Terre-Neuve qui se voient enlever un droit garanti. Elles s'inquiètent de ce qui arrivera par la suite, lorsqu'elles n'auront plus cette protection. Voilà ce qui préoccupe certains d'entre nous, bien que nous ne prétendions aucunement que vos objectifs ne sont pas louables.
Mme Hunter: Je vous sais gré de reconnaître que je ne suis pas ici à titre de juriste ou de constitutionnaliste.
Le sénateur Doody: Je ne le suis pas non plus.
Le sénateur Pearson: Merci de votre exposé, qui contribue utilement à notre débat. Je crois qu'il faut donner la priorité aux enfants et, à partir de là, chercher ce qui est dans leur intérêt bien compris, sur de nombreux plans.
Je vous suis également reconnaissante de l'éloquence de votre exposé. Vous nous avez rappelé que le réseau public a lui aussi ses valeurs. Cela nous rappelle aussi la tâche commune que nous avons tous, dans une province ou un État -- une province dans ce cas-ci --, celle d'éduquer tous les enfants. Dans la décision que nous devons prendre sur cette clause, nous ne devons pas oublier notre responsabilité commune, responsabilité qui n'est pas l'apanage de certains groupes. Nous devons veiller à ce que tous les enfants soient les bénéficiaires de la décision que nous prendrons au bout du compte.
Je ne savais pas que vous veniez du Nouveau-Brunswick ni que vous avez vécu dans une petite localité. Cela aussi est utile. La région d'Ottawa compte six conseils scolaires, mais sa population est beaucoup plus importante que celle de toute la province de Terre-Neuve. Il n'est pas étonnant que nous ayons six conseils scolaires.
Nous avons hâte de nous rendre à Terre-Neuve pour voir comment les conseils collaborent entre eux. Nous avons encore cela qui nous attend, du moins ceux d'entre nous qui ne sont pas de Terre-Neuve.
Au sujet des consultations démocratiques, processus qui nous semble sous-jacent à la question de la justification de cette modification, comment proposez-vous de consulter les jeunes?
Mme Hunter: Il serait important de parler aux jeunes qui se situent aux deux extrêmes du spectre des opinions. Il faudrait consulter certains qui sont déjà dans le système, qui sont des élèves, et pas seulement des élèves du secondaire. Les intuitions des jeunes enfants au sujet de leur classe et de leur école peuvent être étonnantes. Je proposerais que nous parlions aussi à des étudiants du niveau universitaire qui viennent de quitter le secondaire; peut-être aussi à des élèves qui ont connu d'autres systèmes scolaires et sont en mesure de faire des comparaisons.
Il serait tout à fait valable de discuter avec des élèves. Notre conseil a récemment réexaminé sa mission, son orientation, ses objectifs, et nous avons discuté avec tous les groupes de personnes intéressées. Les résultats les plus intéressants et les meilleurs, nous les avons obtenus auprès du groupe des élèves du secondaire. L'échange a été magnifique non seulement à cause de leurs idées, mais aussi parce qu'ils apprécient ce qu'ils reçoivent du système d'éducation. Ils s'intéressent à leur milieu, à ce qui se passe dans le monde. Quand on les écoute, on s'aperçoit que notre système d'éducation n'est pas vraiment fichu. Nous devons le moderniser, mais il n'est pas fichu. Ces échanges font ressortir des idées passionnantes.
Je ne suis pas certaine qu'il y ait une association provinciale d'étudiants à Terre-Neuve. Il y en à une en Ontario, et nous pourrions peut-être voir s'il y en a une là-bas. Ce serait un moyen de rejoindre les étudiants qui représentent l'ensemble de la province. Sinon, des conseils scolaires locaux ont peut-être des associations, comme nous, qui pourront donner des idées sur la manière de connaître l'opinion de la clientèle.
Le sénateur Pearson: Nous avons un groupe d'experts. C'est pourquoi je m'intéressais à ce genre de question. C'est utile.
Le sénateur Forest: Je vous remercie moi aussi de votre exposé. J'ai des antécédents en grande partie semblable aux vôtres, car j'ai présidé un grand conseil scolaire en Alberta. Pour vous situer, je dirai que je suis un ancien Manitobain. J'ai fréquenté les écoles publiques du Manitoba parce que nous n'avions pas d'écoles catholiques, et j'ai enseigné dans ces écoles. C'est un excellent réseau. À l'époque où j'étais là-bas, il y avait encore beaucoup d'amertume chez ceux dont les droits avaient été brimés, tant sur le plan linguistique que sur le plan de l'éducation.
En Alberta, où il y a deux réseaux financés par le public -- là aussi d'excellents réseaux --, j'ai été président d'un réseau d'écoles séparées, mais nous travaillions en étroite collaboration avec le réseau public. Les attitudes étaient simplement étonnantes, en ce qui concerne tant le respect des personnes et le respect entre les groupes, que l'esprit de coopération. Nous avons eu des affrontements sur certains points, mais j'estime qu'il y avait une collaboration très saine entre les deux groupes. Il n'y avait aucune trace de l'amertume ressentie au Manitoba. Il est vrai que je suis parti il y a de longues années. Les choses ont peut-être changé depuis.
Vous avez parlé de préparer l'avenir. Si la modification n'est pas adoptée, vous prévoyez un mouvement effréné vers les écoles privées, dont les élèves viendront du réseau public. Pourquoi cela se produirait-il, croyez-vous?
Mme Hunter: Je songeais aux conséquences qui risquent de toucher tout le pays, si la résolution n'est pas adoptée. Je songe surtout à ce qui se passerait en Ontario et dans la région de la capitale nationale, que je connais particulièrement bien.
Je crains que bien des personnes -- on a vu le phénomène dans notre milieu -- ne quittent un établissement financé par le public et ce, pour beaucoup de raisons différentes. L'une d'elles est la population importante et diversifiée que nous servons. Beaucoup veulent que nous dépensions de l'argent pour leur enfant, alors que nous ne pouvons pas toujours le faire. Ils veulent, quelle que soit la raison, un système d'éducation à part. Nous croyons que nos écoles, dans le réseau public, éduquent tous les élèves quels que soient leurs antécédents ou leurs besoins. Notre coût moyen par élève est de 7 600 $; mais nous formons des élèves qui ont besoin d'un programme spécial dont le coût moyen dépasse les 10 000 $ par élève. Nous avons même dans notre réseau des élèves qui ont des besoins spéciaux et dont les coûts d'éducation sont de plus de 40 000 $ par élève. Certains parents considèrent cet écart dans les montants dépensés pour des choses qu'ils ne sont pas nécessairement empressés d'accepter, et ils cherchent pour leurs enfants une école à part, où ils connaissent la population étudiante. Je disais que cette réaction pourrait devenir plus fréquente. Je le crains.
Nous vivons ensemble dans notre société. Je crois que nous devons aussi travailler ensemble dans les services d'éducation.
Le sénateur Forest: Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que ces enfants ont besoin qu'on leur enseigne et ont peut-être aussi qu'on leur consacre une part plus importante des ressources financières. Si on en revient encore à l'expérience albertaine, c'est un domaine où les réseaux publics et séparés ont mis en commun leurs ressources pour aider ces élèves. C'est peut-être une autre façon de faire.
Mme Hunter: Oui, c'est merveilleux. Je suis heureuse que cela se fasse, et je félicite les conseils scolaires.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: D'abord, je voudrais que dès le début l'on se comprenne bien, parce que à la fin de la journée je ne fonctionne plus.
[Traduction]
En fin de journée, j'ai du mal à être plus précis. Je ne m'en excuse pas.
[Français]
Je serai plus à l'aise. D'abord, pour le sénateur Pearson et tous les autres, je veux que l'on se comprenne bien. Il n'y a personne ici qui ne croit pas que, ce qui compte d'abord et avant tout, c'est l'avenir des enfants. Nous pouvons diverger d'opinion. Mais, ce serait horrible que nous soyons divisés entre, d'une part ceux qui partagent vos opinions et qui croient en l'avenir des enfants et d'autre part, les gens qui, comme moi, peuvent avoir des doutes sur des droits qui seraient contre l'avenir des enfants.
Vous êtes vraiment dévouée, je vous connais, parce que je suis à Ottawa depuis 35 ans. Je connais le système de Ottawa. Il y a de plus en plus de coopération aujourd'hui entre d'une part, la commission scolaire catholique, française, anglaise, protestante et l'école neutre. Mais, c'est la vie. C'est là qu'il faut, à mon avis, encourager les gens à travailler ensemble pour mettre le plus de services en commun; comme nous devrions encourager les gens de Terre-Neuve.
Des têtes dures, il y en a certainement dans la hiérarchie catholique et des gens de mauvaise foi il y en a certainement beaucoup aussi, dans la hiérarchie protestante ou de ceux qui rêvent à cet ancien passé historique qui n'est plus, qui disparaît graduellement.
Vous y avez dévoué toute votre vie et vous croyez certainement à la supériorité du système scolaire public. Cela me semble évident quand on lit ce que vous nous dites. Je suis un de ceux qui, passionnément, croient en cette rivalité entre les deux systèmes, à la condition qu'ils apprennent à mettre en commun leurs services. Je suis allé à Terre-Neuve et ce que j'y ai vu m'apparaît aberrant. Ce qui existait il y a des années semble disparaître. Peut-être que ce débat va aider à accélérer ces mouvements de coopération entre les deux. Sentant qu'il y a une hache qui s'en vient, peut-être que ceux qui ne veulent pas mettre en commun leurs services; par exemple, le système des autobus, y a-t-il quelque chose de plus aberrant? Cela ne change rien à l'éducation des enfants. Également, de réduire de 20 à 10 les commissions scolaires, cela s'est déjà fait.
J'ai lu très attentivement votre mémoire qui est très clair et je vous ai bien écoutée. Est-ce que l'on n'est pas en train de vouloir se servir de Terre-Neuve comme le bouc-émissaire ou le Cheval de Troie pour ce qui éventuellement finira par arriver partout ailleurs? C'est pour cela, peut-être, que l'on voit beaucoup d'encouragement à l'extérieur de Terre-Neuve, pour essayer de leur dire de se moderniser, qu'ils sont en retard, que leur système d'éducation est moins bien que celui de l'Ontario.
Est-ce que vous ne voyez pas un peu dans cette idée, lorsque l'on parle qu'en Ontario on voudrait faire ceci et cela; que vous souhaitiez que nous allions faire l'ouvrage à Terre-Neuve en leur disant de commencer et que les autres suivront? Parce que à ce que je sache, c'est évident que cela se passe en Ontario. Je ne suis pas né d'hier.
[Traduction]
Je vois ce mouvement se dessiner rapidement en Ontario. Si seulement cela pouvait se faire à Terre-Neuve, alors la voie serait ouverte.
Si vous aviez le choix entre deux réseaux ou un seul, que choisiriez-vous?
Je voudrais maintenant passer à la question de la mondialisation. Je me suis intéressé aux questions mondiales, mais ce mot de «mondialisation» me fait peur. On en discute au sommet du G-7. Je parle de «mondialisation de la pauvreté». Cela joue à l'avantage d'un petit nombre. Je ne voudrais pas qu'on tombe dans le même piège en éducation. Je sais que la concurrence est un facteur de dynamisme. J'espère simplement que les autorités ne sont pas assez stupides pour offrir des services qui doublonnent.
Dans l'avenir, croyez-vous qu'il y aura un seul réseau public, ou y aura-t-il deux réseaux qui devront coopérer bien davantage, comme vous le faites à Ottawa? Il faut comprendre que la population de la région d'Ottawa n'est pas la même que celle de Terre-Neuve. Il ne faut pas l'oublier. C'est plus difficile là-bas.
Mme Hunter: Ma préférence va vers un réseau public qui fait place aux différences. C'est pourquoi j'ai proposé le modèle qui permet de collaborer aux plus hauts échelons. Cela exige de la coopération, mais c'est une coopération au sujet des éléments que nous avons en commun. À l'intérieur de ce système, nous faisons place aux différences. Je crois que c'est possible. Cela n'enlèverait ses droits à personne, mais permettrait à tous de travailler efficacement pour le bien des enfants.
Certains craignent que ce modèle ne fasse disparaître des droits et des choix, mais je ne crois pas que ce soit inévitable. Il me semble possible d'établir un système qui regroupe ce que nous avons en commun et permet l'expression des différences. J'y crois fermement.
La «mondialisation» est un autre de ces mots à la mode. Et l'utilisant, je voulais souligner que les choses évoluent très rapidement.
La collaboration, les initiatives de coopération, le travail commun n'exigent pas, à notre ère de progrès technologiques, que les conseils scolaires soient situés les uns près des autres. Si on veut mettre les services de transport en commun, c'est ainsi que cela marche, mais si on veut mettre en commun des programmes d'études et des idées, cette mise en commun peut se faire avec Terre-Neuve aussi bien qu'avec la Colombie-Britannique. Nous devons faire davantage sur ce plan.
L'idée de mondialisation et d'économie fait que nous appartenons tous au même monde. Je crois que nous pouvons faire mieux. Nous devons ouvrir nos esprits, élargir nos idées. C'est pourquoi je parle avec tant d'enthousiasme du projet de technologie que je vous ai présenté. Nous avons travaillé non seulement avec les conseils locaux, mais aussi avec les Premières nations et plusieurs entreprises. Nous voulons donner de l'ampleur au projet. Peut-être que l'idée de mondialisation, de coopération, de participation à l'économie de l'Ontario peut être élargie pour s'étendre à l'ensemble du pays et du monde. Il me semble important que ce mouvement s'amorce dans le secteur de l'éducation non seulement parce que nous économisons ainsi des ressources, mais aussi parce que cela inculque à nos enfants l'idée de coopération avec les gens d'en face, de la ville voisine ou de l'autre extrémité du pays. Je veux faire tout mon possible pour propager cette idée.
La concurrence est une notion intéressante. Je ne suis pas convaincue que les systèmes d'éducation doivent être en concurrence les uns avec les autres. Ce qui prime, ce sont les besoins des enfants en matière d'éducation. Se disputer les élèves, c'est se disputer les ressources rares que nous devons partager. C'est ma seule réserve. Je veux qu'on utilise au maximum les ressources financières pour assurer l'enseignement aux enfants. Il arrive que la concurrence entre réseaux ait pour résultat que ces ressources ne servent pas à l'enseignement, mais à d'autres fins qui ne sont peut-être pas justifiées. Mon centre d'intérêt, ce sont les enfants.
Je suis heureuse que vous ayez soulevé cette question, sénateur. Je suis consciente que vous êtes tous ici parce que vous souciez des élèves, de l'éducation et des enfants. J'ai témoigné aujourd'hui parce qu'il me semblait important de transmettre ce message.
Le sénateur Prud'homme: Vous dites que cela permet aux différences de s'exprimer à l'intérieur du réseau. Mon seul nom vous dit que j'appartiens à une minorité. Je n'en éprouve pas de complexe d'infériorité. Je l'ai toujours dit. J'espère ne pas avoir de complexe de supériorité non plus. Je suis un Canadien français. Nous sommes tous à la recherche d'une société idéale, au Canada, une société où tous seront bilingues et où on parlera probablement le chinois et le japonais dans l'ouest du Canada. Mais, en essayant de réaliser ce rêve trop rapidement, nous réveillons les vieux démons qui dorment.
[Français]
Je suis certain de cela et très convaincu lorsque je vous regarde. Nous demandons à des gens d'être ce qu'ils ne veulent pas être, au nom justement de ce que nous appelons cette nouvelle idéologie de la globalisation. Je suis convaincu que nous sommes en train d'ouvrir une boîte de difficultés énormes, par cet amendement constitutionnel. J'attends des arguments pour me convaincre.
Je veux être convaincu que je devrais voter pour cet amendement, avec sénateur Rompkey et les autres, mais je ne le suis pas. Nous pourrions peut-être obtenir la même chose en s'y prenant différemment.
[Traduction]
Ne pensez-vous pas que, à Terre-Neuve, nous pourrions parvenir aux mêmes fins sans recourir à une modification constitutionnelle qui irritera pour longtemps des gens qui forment une minorité ou qui se perçoivent comme une minorité à laquelle la majorité s'attaque? Voilà le problème.
Mme Hunter: Je ne puis que vous donner mes impressions personnelles. Tout d'abord, je ne suis pas ici pour commenter les aspects constitutionnels, et ce n'est pas moi qui prend la décision. Je suis même enchantée de ne pas avoir à le faire. Si nous entendons tous sur l'objectif, et je crois que vous et moi avons dit que c'était l'orientation à adopter, alors il faut prendre des mesures. On ne peut pas dire qu'il sera plus facile d'agir l'an prochain, car ce n'est jamais plus facile un an plus tard. À un moment donné, il faut se mettre à l'oeuvre. Nous devons faire les premiers pas.
Comme je l'ai dit dans mon exposé, ce sera difficile. Le changement n'est jamais facile, surtout lorsqu'il s'agit d'une chose que les gens ont à coeur, comme l'éducation de leurs enfants. Ce ne sera pas facile, mais, si nous voulons atteindre l'objectif, il faut commencer quelque part. Nous devons prendre les premières mesures. Nous ne pouvons pas prétendre que ce sera plus facile demain, car, selon moi, ce le ne sera pas. Apporter des changements n'est jamais facile.
La présidente: Je viens d'une province qui compte un peu plus d'un million d'habitants. Nous avons 57 conseils scolaires, dont 13 à Winnipeg seulement. Selon un rapport, nous devrions ramener ce nombre à 23. Je me suis félicitée de ce rapport, et j'ai été consternée que la ministre de l'Éducation de la province annonce hier que le nombre de conseils ne diminuera pas de 57 à 23.
Si on ne réduit pas ce nombre, où trouvera-t-on les autres grandes sources d'argent pour financer l'éducation?
Mme Hunter: Un réseau d'éducation est un service. De 80 à 85 p. 100 de notre budget est consacré aux salaires et avantages sociaux. C'est la nature de notre activité qui l'exige. Je ne veux pas que l'impact se fasse sentir dans les salles de classe. Ce sont les élèves qui ont la priorité. Il est très important d'avoir un personnel compétent; c'est même essentiel à un bon apprentissage. C'est sur le plan administratif qu'il faut comprimer les dépenses. Les regroupements ne sont pas toujours un moyen d'économiser. Ils le sont parfois, mais ce n'est pas la seule solution ni nécessairement la meilleure.
Toutefois, les conseils ont des moyens de mettre de l'ordre. Vous avez parlé du nombre de conseils à Winnipeg. Ils auraient de bonnes raisons d'envisager la création de ce que j'appelle une administration des services d'éducation, pour regrouper les éléments communs. On n'a pas besoin de deux bureaux pour préparer la paye. Nous avons créé un consortium d'achat avec tous les conseils locaux. Son personnel est formé des employés que nous avions tous, et ce service réalise des économies. Nous envisageons d'élargir la formule aux municipalités, et nous travaillons avec des hôpitaux et d'autres administrations locales.
Il y a des moyens de réaliser des économies. Je cherche à les faire dans les services administratifs plutôt que dans l'enseignement. C'est de ce côté que nous devons nous tourner pour commencer. Les choses deviennent très difficiles dans l'économie actuelle. Nous sommes constamment en train de revoir nos méthodes, dans les dispositifs de prestation, à la recherche d'économies. Mais il n'y a rien de plus difficile que de siéger à un conseil et de voter en faveur de compressions budgétaires qui entraîneront une augmentation du ratio maître-élèves l'année suivante. C'est très difficile. C'est de la politique sur le terrain et c'est ardu, mais il a des moyens de réaliser des économies sur le plan administratif et par la collaboration. Cela peut être rendu obligatoire ou simplement encouragé par des mesures incitatives ou dissuasives, ne fût-ce, par exemple, qu'en faisant savoir publiquement dans quelle mesure les conseils collaborent, ce qui a d'ailleurs été proposé dans notre province. Il y a des moyens d'épargner.
La présidente: Merci beaucoup.
La séance est levée.