Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 28 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 26 septembre 1996
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi S-3, Loi modifiant le Code criminel (accord sur le chef d'accusation), se réunit aujourd'hui à 10 h 30 pour en faire l'examen.
Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, ce matin nous sommes chargés d'examiner le projet de loi S-3, Loi modifiant le Code criminel. Nous souhaitons la bienvenue au sénateur Cools, qui comparaît devant nous ce matin.
Habituellement, sénateur Cools, nous demandons aux témoins de prendre une vingtaine de minutes pour présenter leurs remarques afin de nous laisser suffisamment de temps pour la discussion, car c'est la discussion qui permet souvent d'obtenir beaucoup de renseignements très utiles.
Le projet de loi traite de l'accord sur le chef d'accusation. Il ne s'agit pas de l'affaire Karla Homolka. Nous n'allons pas refaire ce procès ni examiner l'accord sur le chef d'accusation conclu avec elle. Nous examinerons uniquement s'il y a lieu de modifier la loi en ce qui concerne l'accord sur le chef d'accusation. Les changements apportés à cette loi ne seraient pas rétroactifs. Ils n'affecteraient donc d'aucune façon sur le jugement rendu dans l'affaire Karla Homolka.
Le sénateur Anne C. Cools: Ce projet de loi influerait sur le jugement rendu dans l'affaire Karla Homolka.
La présidente: Sénateur Cools, vous avez droit à votre opinion, mais l'avis juridique qu'on m'a fourni indique que ce projet de loi ne sera pas rétroactif et n'influera pas sur l'affaire Homolka. Vous pourrez peut-être aborder cet aspect dans vos remarques car j'estime que c'est un point intéressant.
Nous vous prions de commencer votre présentation.
Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, j'aimerais commencer par dire que c'est une situation assez inhabituelle pour moi. D'habitude, je suis du côté des sénateurs et non pas du côté des témoins. J'ai toutefois l'intention de faire de mon mieux.
J'aimerais vous indiquer que le projet de loi S-3 est le résultat d'un travail long et ardu. J'ai décidé de prendre cette initiative après avoir constaté une grave lacune dans le processus judiciaire.
L'affaire qui a déclenché la préparation de ce projet de loi a été l'affaire Homolka et Bernardo, la terrible épreuve subie par les familles Mahaffy et French, les crimes tristement célèbres commis par Homolka et l'accord non moins tristement célèbre sur le chef d'accusation conclu avec elle. Je suis ici à titre de sénateur de l'Ontario, la province où ces événements ont eu lieu.
J'aimerais prendre un moment pour attirer l'attention du comité sur la présence dans notre salle de Gwen Hunter. Gwen Hunter est une résidente du sud de l'Ontario et l'une des forces agissantes du mouvement des citoyens pour la tenue d'une enquête publique sur l'accord sur le chef d'accusation conclu dans l'affaire Homolka.
Gwen Hunter et un petit groupe de personnes ont réussi à obtenir 320 000 signatures sur des pétitions qu'ils ont présentées à Queen's Park. Devant l'indifférence de Queen's Park, ils se sont tournés vers le Sénat et vers moi-même en particulier lorsqu'ils ont appris que je m'intéressais depuis longtemps à cette question et que mes initiatives précédaient même les leurs.
Ils se sont donc tournés vers le Sénat et ont lancé une campagne publique dans l'ensemble du pays pour inciter la population canadienne à adresser une pétition au Sénat du Canada. J'ai l'intention d'ailleurs de présenter cette pétition à la Chambre. Cependant, je tiens à ajouter que ces personnes, après avoir réussi à mobiliser le public et à recueillir 12 000 signatures, ont cessé de recueillir d'autres signatures en apprenant que le Sénat du Canada étudiait ce projet de loi, car elles sont profondément convaincues que le Sénat du Canada a entendu la requête exprimée dans leur pétition.
Je pourrais peut-être simplement la lire pour le compte rendu.
Nous, les soussignés, résidents du Canada, faisons appel au Sénat du Canada pour l'inciter à utiliser son plein pouvoir pour effectuer une enquête concernant les négociations de plaidoyer de Karla Homolka, y inclus les activités des représentants de la Couronne et des forces policières; et à adopter les lois nécessaires au prolongement de la peine de Homolka pour refléter son crime; et à prendre toutes les mesures et adopter toute la législation nécessaire pour réagir à ces événements notoires et pour rétablir la confiance du public dans l'administration de la justice au Canada.
J'ignore qui a fourni l'avis juridique dont parle le sénateur Carstairs. Le projet de loi S-3 a été rédigé par les meilleurs rédacteurs du Sénat. Si ce sont les conseils juridiques qu'ils vous ont donnés, j'aimerais vous dire que j'ai reçu un avis différent des mêmes personnes. C'est un projet de loi extrêmement bien rédigé. Il a été produit en étroite collaboration avec les légistes du Sénat et il a été rédigé conjointement avec eux et leurs collaborateurs.
Il s'agit d'un sujet difficile et complexe, qui est souvent entouré du plus grand secret. L'intérêt et la paranoïa que suscite maintenant cette question à divers paliers de gouvernement sont assez intenses.
La question de l'accord sur le chef d'accusation conclu avec Karla Homolka se complique davantage du fait que la personne chargée du dossier à Queen's Park en Ontario est maintenant le sous-ministre de la Justice ici à Ottawa. Lorsque le premier accord sur le chef d'accusation a été négocié avec Karla Homolka, il était le sous-procureur général de l'Ontario. Il est maintenant le sous-ministre de la Justice. C'est ce que j'ai constaté.
J'aimerais passer maintenant à l'accord sur le chef d'accusation en général. Je cite Peter Russell, qui est un grand spécialiste du système judiciaire au Canada. Dans son livre intitulé The Judiciary in Canada: The Third Branch of Government, il présente l'argument suivant concernant les accords sur le chef d'accusation:
Il y a également matière à inquiétude si la possibilité de conclure un règlement informel est offerte surtout aux criminels endurcis qui ont beaucoup d'information à «vendre» ou aux personnes représentées par des avocats qui sont amis avec les procureurs locaux, ou est systématiquement refusée à un groupe racial comme les Autochtones du Canada.
J'aimerais communiquer aux membres du comité les résultats de certaines recherches qui ont été faites sur l'accord sur le chef d'accusation. Beaucoup d'ouvrages ont été rédigés sur la question. On dispose toutefois de peu de renseignements sur le nombre d'accords sur le chef d'accusation qui ont été conclus et sur leurs répercussions sur l'administration de la justice, le corps judiciaire et sur le système même. C'est un domaine où des études plus poussées s'imposent.
Je sais que nombre d'entre nous hésitons souvent à approfondir ces questions en raison du secret dont aime s'entourer le processus judiciaire. Je crois sincèrement que la société ne peut plus tolérer ce genre de situation et que le Parlement doit à cet égard faire preuve d'audace, de courage et de persévérance.
La prochaine étude que j'aimerais examiner a été préparée par MM. Simon N. Verdun-Jones et F. Douglas Cousineau. Elle s'intitule «Cleansing the Augean Stables: a Critical Analysis of Recent Trends in the Plea Bargaining Debate in Canada.»
On y cite le comité consultatif américain à propos des règles de pratique:
Nous avons déjà reconnu que le recours à l'accord sur le chef d'accusation est un fait indéniable. Si l'on omet de le reconnaître, on risque non pas de se débarrasser de cette pratique mais de la rendre clandestine. Nous réitérons ce que nous avons déjà dit: lorsqu'un accord sur le chef d'accusation est conclu, il doit être rendu public.
On y cite également la Commission de réforme du droit du Canada:
Le recours à l'accord sur le chef d'accusation n'a pas sa place dans un système de justice pénale digne de ce nom. Il faut qu'il y ait un procès.
Je renvoie mes collègues à la page 237 de cet article qui se lit comme suit:
En résumé, comme le droit canadien n'oblige pas un juge à découvrir les facteurs critiques susceptibles d'avoir incité le défendeur à plaider coupable, on a effectivement créé un environnement qui permet à la Couronne et à l'avocat de la défense de conclure des accords sur le chef d'accusation dans le plus grand secret.
Honorables sénateurs, j'ai passé deux ans à me renseigner sur cette question. J'aimerais vous faire profiter du fruit de mes recherches.
J'aimerais maintenant vous citer un extrait de cet article écrit en 1979. On peut lire à la page 238:
Au cours des cinq dernières années, trois organismes importants -- la Commission de réforme du droit du Canada et de l'Ontario et l'Association du Barreau canadien -- ont exprimé des opinions bien arrêtées à propos du bien-fondé de l'accord sur le chef d'accusation. L'analyse de ces opinions soulève un problème important, à savoir l'ambiguïté inhérente à la notion même d'«accord sur le chef d'accusation.» Bien que la Commission de réforme du droit du Canada réclame l'abolition de l'«accord sur le chef d'accusation»...
Je tiens à préciser à l'intention des sénateurs que la commission a par la suite modifié sa position. Elle avait réclamé l'abolition en 1975.
... Le Code de déontologie professionnelle de l'Association du Barreau canadien confère clairement un caractère légitime à la pratique consistant à conclure des «ententes provisoires». Pour ajouter à la confusion sémantique, la Commission de réforme du droit de l'Ontario réclame l'abolition de l'accord sur le chef d'accusation tout en présentant une série de dix lignes directrices qui doivent régir la «négociation de plaidoyers» -- ou les «discussions sur le plaidoyer.»
Sur le terrain, les expressions utilisées sont discussions de règlements, négociations de règlements et ententes de règlements. On n'utilise pas de vilaines expressions comme «accord sur le chef d'accusation». Il faut se méfier d'expressions comme «plaidoirie conjointe». Une fois qu'un avocat et un procureur ont conclu une entente, ils comparaissent devant un juge et présentent une plaidoirie conjointe.
J'aimerais attirer votre attention sur un autre article extrêmement utile car il est rédigé par un juge. L'article s'intitule «Prosecutorial Discretion». Il s'agit du texte d'une allocution prononcée par Son honneur le juge en chef Lawrence S. Goulet à l'occasion d'une conférence. Le juge Goulet, dans son article, énonce clairement le contexte historique des problèmes que connaît l'organisation actuelle, les questions se rattachant au pouvoir discrétionnaire de poursuivre et l'accord sur le chef d'accusation. Il y exprime ses propres réserves. C'est un texte brillant. J'en citerai un passage, qui se trouve à la page 52:
Le procureur a tendance à considérer un procès comme un processus coûteux qui produit des résultats incertains, comparativement aux «résultats certains» que permet d'obtenir le recours moins coûteux à l'accord sur le chef d'accusation. Heumann laisse entendre que plus le recours à l'accord sur le chef d'accusation est répandu,
... plus il est probable que le procureur perdra de vue la distinction qui existe entre le rôle du juge et celui du procureur... et en viendra graduellement à s'attendre à exercer les pouvoirs de détermination de la peine.
C'est un long article. J'aimerais citer, aux fins du compte rendu, sa déclaration finale à la page 62:
Il n'est pas facile de définir les pouvoirs discrétionnaires qui sont nécessaires. Il est d'autant plus difficile de mettre au point des mécanismes de contrôle viables. Par le passé, nous avons compté sur le fait que l'intégrité professionnelle du procureur l'empêchait d'abuser de ses pouvoirs, ce qui s'est avéré suffisant au Canada jusqu'à tout récemment, en partie à cause du caractère relativement non politique de sa charge et également parce que le recours à l'accord sur le chef d'accusation n'était pas systématique. Or, au fur et à mesure que ce phénomène devient plus répandu, même le procureur animé des meilleures intentions n'arrivera pas à en restreindre l'utilisation à des fins légitimes. Le jour n'est peut-être pas loin où un accusé et son avocat qui insistent sur la tenue d'un procès seront considérés comme des obstructionnistes qui refusent de jouer selon les règles du jeu et où on ne tolérera pas qu'un procureur refuse de négocier un plaidoyer.
Je communique ces observations à mes collègues. Je ne suis pas d'accord avec le sénateur Carstairs lorsqu'elle considère que le projet de loi n'a rien à voir avec l'affaire Karla Homolka. Je croyais que les comités sénatoriaux étaient maîtres de leurs propres délibérations.
J'aimerais attirer l'attention des membres du comité sur un rapport rédigé par un ancien juge, le juge Galligan. C'est un long rapport que j'ai lu d'un bout à l'autre. Il est intitulé «Report to the Attorney General of Ontario on certain matters relating to Karla Homolka» (Rapport au procureur général de l'Ontario sur certaines questions touchant Karla Homolka). L'ancien juge Galligan avait été nommé par le procureur général de l'Ontario, Charles Harnick, peu après l'entrée en fonction de M. Harnick. Il avait été chargé d'examiner les activités internes du ministère du Procureur général et de donner son opinion sur ses activités. Il ne faut pas oublier que les règles en vigueur dans notre pays quant à la façon dont on peut utiliser les services d'un juge sont assez restrictives. Le juge Galligan n'a effectué cet examen qu'après avoir pris sa retraite comme juge.
Il s'agit d'un rapport très superficiel qui ne vise qu'à blanchir un processus abominable sous prétexte qu'il est le résultat d'une nécessité pure et simple.
Honorables sénateurs, je n'ai pas l'intention de répéter tout ce que j'ai dit à la Chambre dans mes deux allocutions sur cette question. L'important, à propos du rapport préparé par le juge Galligan, c'est qu'il indique aux honorables sénateurs qui s'intéressent à la question un bon éventail de documents susceptibles de leur être utiles dans le cadre de leur étude, y compris l'accord sur le chef d'accusation conclu avec Karla Homolka.
J'aimerais également attirer l'attention des honorables sénateurs sur un article très douteux cité dans ce rapport, qui aurait soi-disant incité les procureurs à conclure un marché avec Karla Homolka. L'article se trouve à la page 334 du rapport et est intitulé «Compliant victims of the sexual sadist», ou les victimes dociles du sadique sexuel. Je fais remarquer aux sénateurs que cet article, rédigé par le Behavioural Personnel du FBI, n'a réussi à être publié qu'en Australie.
Les procureurs qui pourchassaient certains criminels très dangereux se sont retrouvés sur le pas de la porte de Mme Homolka. On leur a remis cet article. C'est l'article sur lequel se sont fondés tous les procureurs pour justifier l'accord sur le chef d'accusation qu'ils ont conclu avec Mme Homolka.
Honorables sénateurs, nous savons tous que l'erreur est humaine et il est assez facile de comprendre ce qui a incité les procureurs à conclure ce premier accord sur le chef d'accusation. Cela est toutefois inacceptable et moralement répréhensible bien que je puisse comprendre ce qui s'est passé. Des crimes horribles avaient été commis. Ils ne savaient plus quoi faire, malgré avoir dépensé 25 millions de dollars. Je suis arrivée à mettre la main sur ces chiffres. Ils voulaient à tout prix classer l'affaire. Ils sont tombés sur cette blonde aux longs cheveux qui a battu une ou deux fois des cils. Ses propos leur ont semblé raisonnables parce qu'au fond de nous, nous refusons de croire que les êtres humains sont capables de tels actes, parce que ces actes si abjects nous répugnent à un tel point que parfois nous cherchons du réconfort là où nous ne le devrions pas. C'est donc la voie qu'ils ont choisi de suivre.
Je cite cet article également parce que M. Galligan s'en est largement inspiré pour rédiger son rapport. Je reviendrai sur cette notion de soumission sexuelle des psychopathes. Mon opinion, et celle des spécialistes avec qui je me suis entretenue, c'est que Mme Homolka était elle-même une psychopathe. Deux psychopathes se sont donc rencontrés -- deux monstres qui ensemble sont devenus encore plus monstrueux. Dans le cadre de notre discussion d'aujourd'hui, je tâcherai de familiariser les sénateurs avec l'«hybristophilie», qui est une forme de paraphilie, les paraphilies étant le terme utilisé pour désigner les déviances sexuelles. Cette forme de déviance sexuelle consiste à éprouver de l'excitation, du plaisir et de la satisfaction à observer les déviances d'une autre personne qui commet des atrocités et des crimes comme le viol ou le meurtre.
J'ai passé de nombreuses années à la Commission des libérations conditionnelles. J'ai pris connaissance de nombreuses évaluations et de nombreux rapports psychiatriques. J'ai lu la description de nombreux cas. J'ai peut-être tendance à envisager l'univers sous l'angle d'un légiste. J'ai toutefois eu de nombreuses occasions de constater le côté noir de la nature humaine. Je sais que les êtres humains sont capables de choses horribles. Je reviendrai sur cette question plus tard.
J'aimerais attirer l'attention des sénateurs sur une lettre qui se trouve dans le rapport Galligan. Elle est adressée au procureur général par un avocat très distingué de Toronto du nom d'Alan Young. Certains d'entre vous le connaissent peut-être. Il a présenté une chronique juridique au réseau CTV, en particulier durant le procès Bernardo.
Voici ce qu'il a écrit à Charles Harnick:
Néanmoins, la clémence de la peine imposée à Mme Homolka en échange de son témoignage a suscité et continuera de susciter une vive indignation de la part du public. On peut dire sans exagérer que la peine de 12 ans d'emprisonnement qui lui a été infligée est une parodie de la justice.
Il poursuit en ces termes:
Toutefois, je suis d'avis que la demande d'autorisation d'interjeter appel de sa condamnation est légalement et moralement valable et qu'il serait politiquement judicieux d'adopter une telle ligne de conduite.
À mon avis, dans ce cas précis, malgré tout ce que l'on a appris par la suite, la poursuite avait le pouvoir et la capacité de demander l'autorisation d'interjeter appel de cette condamnation. Je vais réexaminer cette question sous peu.
Honorables sénateurs, l'ancien juge Galligan s'est appuyé largement sur un autre document dans son rapport. Il s'agit du rapport Martin. J'attire l'attention des honorables sénateurs sur ce rapport, préparé par l'honorable G. Arthur Martin en 1993. Il est intitulé «Report of the Attorney General's Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions» [Rapport du comité consultatif du procureur général sur le filtrage des inculpations, la communication de la preuve et les discussions de l'issue]. Je mets cette information à la disposition des sénateurs de manière qu'ils se rendent compte que la question de l'accord sur le chef d'accusation est pénible et troublante. Le juge Galligan s'est appuyé largement sur le rapport Martin.
Il faut être également attentif à une autre question lorsque l'on examine le rapport du juge Galligan. Je le dis en aparté; toutefois, c'est de l'information dont je me sens parfaitement libre de débattre ici, puisque je suis en compagnie de mes propres collègues. Le juge Galligan a présenté ce rapport alors qu'il était à la retraite. Nous devrions être attentifs au fait qu'auparavant, le juge Galligan lui-même avait pris part à une décision sur une question particulière. Je veux parler de la comparution de Karla Homolka lors de son procès de cinq minutes devant le juge Kovacs, en juillet 1993. À cette époque, on a ordonné une interdiction, à mon avis, très oppressive, de publication relative à tout le procès. Il est curieux de noter que la poursuite a demandé cette interdiction de publication pour, entre autres et censément, protéger le procès à venir de M. Bernardo. Toutefois, à cette époque, les avocats de M. Bernardo ont déclaré qu'ils ne pensaient pas qu'une telle protection était nécessaire et ils ne souhaitaient pas non plus d'interdiction de publication. Dans tous les cas, cette interdiction a été ordonnée.
Ce que je tiens à souligner, c'est que de nombreuses parties, y compris les médias et un particulier du nom de Gordon Domm, en ont appelé de cette interdiction de publication. Au fur et à mesure que le temps passait, la Cour d'appel de l'Ontario a pris une décision au sujet de cet appel. Le comité formé en ce sens se composait des juges Dubin et Galligan, alors éminents et très en vue. Je transmets cette information dont vous pouvez vous servir comme vous l'entendez.
M. Runciman, solliciteur général de l'Ontario, a commandé un autre rapport. Je demande aux sénateurs de ne pas oublier que je suis de l'Ontario. M. Runciman a demandé au juge Archie Campbell d'examiner l'enquête policière de toute cette affaire.
Enfin, j'aimerais aborder une question qui, pour moi, est extrêmement troublante. Ceux d'entre vous qui êtes avocats comprendront pourquoi elle l'est autant. Comme je le disais plus tôt, Mme Homolka a conclu deux accords sur le chef d'accusation. Le premier a été conclu avant que l'on ne retrouve les bandes vidéo suspectes qui révélaient clairement sa participation. J'accepte et comprends cet accord sur le chef d'accusation.
À propos de ce premier accord sur le chef d'accusation, j'aimerais dire quelque chose aux honorables sénateurs. J'ai fait énormément de lecture sur ce sujet; très peu de gens étaient présents lorsque Mme Homolka a été condamnée par le juge Kovacs. Je demande aux sénateurs de prêter soigneusement attention à ce jugement.
Au cours de ce jugement, l'avocat de la défense et le poursuivant présentent au juge Kovacs leur mémoire conjoint. Le mémoire conjoint indique évidemment qu'en échange de deux inculpations d'homicide involontaire et d'une condamnation de 12 ans de prison, Mme Homolka donnera toute l'information dont elle dispose sur M. Bernardo.
Honorables sénateurs, il y a là simulacre de la justice. Il y a deux inculpations d'homicide involontaire pour la mort de deux adolescentes, Kristen French et Leslie Mahaffy. Si vous lisez soigneusement le jugement, vous vous apercevrez que la question de la soeur de Homolka, la jeune fille appelée Tammy Lynn, ainsi que la culpabilité de Homolka dans toute l'affaire, sont consignées dans le dossier du procès.
Cela signifie, honorables sénateurs, qu'elle ne sera jamais poursuivie pour la mort de sa soeur Tammy Lynn. Autre résultat, qui ne peut pas être non intentionnel, car ces poursuivants sont trop habiles et trop compétents pour ne pas savoir que cela permettait d'éviter le problème d'une troisième inculpation de meurtre. Si une troisième inculpation d'homicide involontaire était portée contre elle, elle tomberait alors dans une nouvelle catégorie, celle des tueurs en série. Je trouve cela troublant.
Je demanderais aux sénateurs de prêter soigneusement attention à ce jugement particulier. Je peux en citer des pages, si vous le voulez. Vous verrez comment les détails sont consignés dans le dossier, à partir de la page 14 de la transcription du procès.
Il y a un autre aspect troublant au sujet de toute cette question. Même si l'affaire dans son entier portait sur de terribles méfaits sexuels, on a largement évité la question des agressions sexuelles dans le cas de Homolka. Là encore, cela ne peut être non intentionnel et fortuit. En fait, c'est quelque chose de grave et de bien connu. Pensez aux stigmates des agressions sexuelles dans la société d'aujourd'hui. Tout en gardant cela à l'esprit, nous pouvons commencer à comprendre une des raisons pour lesquelles cette question a été largement évitée.
Je ne demande pas aux sénateurs de refaire le procès de quiconque; je demande aux sénateurs de se renseigner sur ce qui s'est passé et sur les événements qui ont suivi et qui se sont traduits par un terrible simulacre de la justice et un horrible scandale public.
Autre élément de ce jugement, l'excessive dépendance du pouvoir discrétionnaire de la poursuite où le juge renonce à son rôle judiciaire pour s'en remettre à un tel pouvoir.
J'aimerais aborder la question de la psychopathie. Honorables sénateurs, si nous décidions généreusement et intellectuellement de faire un examen de la psychopathie, des comportements déviants et aberrants, nous rendrions un véritable service à l'humanité et à notre comité.
Au Parlement, nous adoptons fréquemment des lois. Toutefois, nous examinons rarement la raison pour laquelle nous adoptons ces lois. J'aimerais attirer l'attention des sénateurs sur quelques articles. Ce ne sont pas des articles d'érudition et ils sont donc faciles à lire. À mon avis, ils sont extrêmement perspicaces.
Mme Patricia Pearson, personne très perspicace, est l'auteur d'un de ces articles. Elle n'est pas spécialiste en psychiatrie. C'est une rédactrice perspicace et brillante. Il ne s'agit pas d'un article de psychiatrie ou de psychologie. C'est toutefois une analyse brillante qui permet de comprendre les comportements aberrants.
Je recommande au comité de l'inviter à comparaître. Une de mes connaissances m'a dit qu'elle va publier un livre sur l'agression féminine. Elle dispose d'informations intéressantes. Elle fait une analyse perspicace et intelligente du rapport qui existe entre le sadique narcissique et le sadique sexuel. Cet article intitulé «Behind every successful psychopath» a paru dans le magazine Saturday Night.
Toujours à propos de ce sujet difficile, j'aimerais soulever la question de l'«hybristophilie». La psychopathie est un domaine qui échappe à beaucoup d'entre nous.
Je me suis entretenue avec M. John Money, professeur de psychologie médicale à l'Université John Hopkins, et spécialiste de la paraphilie, qui, comme je le disais plus tôt, est la déviation sexuelle. Il définit l'«hybristaphilie», comme suit:
paraphilie de type maraudeur ou prédateur où l'excitation érotico-sexuelle et où la facilitation et l'atteinte de l'orgasme sont sensibles et subordonnées à la présence d'un partenaire dont on sait qu'il a commis un acte de violence ou un acte criminel, comme un viol, un meurtre, un vol à main armée...
Ce terme, comme la plupart de ceux liés à la paraphilie, vient du mot grec «hybridzein», qui signifie commettre un acte de violence contre un tiers, et évidemment «philie», qui est la terminologie habituelle utilisée dans toutes les paraphilies.
Autre élément intéressant, la critique d'un livre récent de Stephen Williams, intitulé Invisible Darkness: A Strange Case of Paul Bernardo and Karla Homolka. Cette critique, réalisée par Lynn King, juge à Toronto, a paru dans le Toronto Star du 31 août 1996, page J-14.
J'aimerais traiter de la question du rôle traditionnel du procureur général, de la nécessité d'une indépendance totale du rôle de la poursuite et de toute la question du pouvoir discrétionnaire de poursuite. Toutefois, je vais maintenant conclure et répondre à vos questions.
Le sénateur Nolin: Pourriez-vous expliquer au comité comment le projet de loi S-3 serait rétroactif? Ce n'est pas explicite.
Le sénateur Cools: Si ce n'est pas explicite, je proposerais que le projet de loi soit amendé pour que ce soit parfaitement clair. Je sais que la rédaction est un processus extrêmement difficile et spécialisé. Le projet de loi se lit maintenant comme suit:
...le tribunal est tenu, à la demande du poursuivant, d'annuler son jugement s'il est établi, que l'accusé ou le défendeur ayant plaidé coupable devant lui...
Il est ensuite stipulé ce qui doit être établi.
Le sénateur Nolin: Nous allons entendre d'autres témoins et vous devriez être présente à ce moment-là, car ils prétendront tout le contraire. Si vous voulez que ce projet de loi soit rétroactif, vous devez l'indiquer explicitement.
Le sénateur Cools: Je ne peux pas proposer d'amendements au sein du comité, puisque je n'en suis pas membre. Toutefois, si cela n'est pas explicite, cela nécessite évidemment un amendement. Je proposerais de demander aux rédacteurs de me donner un tel amendement. Je serais heureuse de le proposer au Sénat.
Le sénateur Lewis: Madame le sénateur, je comprends le fond du projet de loi S-3 et je crois également comprendre l'objectif que vous visez. Toutefois, certains aspects me posent des problèmes. Sans aller dans les détails, je me demande pourquoi vous avez abordé la question sous cet angle.
Si je comprends bien l'essentiel de la question, vous essayez de régler le problème qui se pose lorsqu'un juge a rendu un jugement en s'appuyant sur un mémoire conjoint et lorsqu'il s'avère par la suite que le mémoire conjoint est fondé sur un mensonge ou une dissimulation de faits.
Le sénateur Cools: Oui.
Le sénateur Lewis: Bien des problèmes que pose le projet de loi découlent d'une telle approche. Pourquoi avez-vous abordé la question sous cet angle? Vous dites que si l'on peut effectivement prouver le mensonge et la dissimulation de faits, le tribunal annulerait la première condamnation.
Le sénateur Cools: Me demandez-vous pourquoi j'ai adopté une telle approche?
Le sénateur Lewis: Pourquoi ne dites-vous pas que cela équivaut à une nouvelle infraction, comme le mensonge et la dissimulation?
Le sénateur Cools: Cela créerait en fait un nouveau crime.
Le sénateur Lewis: Oui.
Le sénateur Cools: Je l'ai envisagé.
Le sénateur Lewis: Supposons qu'une personne plaide coupable et qu'elle est condamnée. Tout est réglé. Il se peut qu'elle purge une peine de prison. Vous dites que des années plus tard, après avoir purgé cette peine, s'il y avait mensonge ou dissimulation au cours des négociations, le tribunal pourrait annuler la condamnation et condamner de nouveau l'accusé.
Le sénateur Cools: Oui.
Le sénateur Lewis: Toutefois, d'après l'alinéa 606.1(2)a), le tribunal peut alors infliger une nouvelle peine, pour la première infraction, soit celle pour laquelle la personne a plaidé coupable. Cela donne lieu à toutes sortes de problèmes.
Le sénateur Cools: Oui.
Le sénateur Lewis: Vous auriez pu peut-être adopter l'autre approche et dire: «Cette personne s'est vue infliger cette peine probablement par suite d'un accord sur le chef d'accusation.» On pourrait supposer que la peine a été probablement plus légère dans ce cas-là. Puisque cela s'est fait grâce à un mensonge et à une dissimulation, pourquoi ne créez-vous pas une nouvelle infraction?
Le sénateur Cools: J'y ai pensé. On m'a conseillée autrement. Une personne commet un méfait. On m'a dit à ce moment-là que les tribunaux s'accordent avec ce que propose mon projet de loi, car les parties peuvent interjeter appel de la condamnation du tribunal à n'importe quel moment.
Comme je le disais au début, dans le cas de Karla Homolka, la poursuite aurait pu interjeter appel de cette peine de 12 ans si elle l'avait bien voulu.
Le sénateur Lewis: Je pourrais avoir une question à ce sujet.
Le sénateur Cools: J'ai tout un dossier de jurisprudence sur le sujet.
Le sénateur Lewis: D'après moi, procéder de la sorte mènera à toutes sortes de problèmes.
Le sénateur Cools: Quels problèmes, par exemple?
Le sénateur Lewis: Si une condamnation est annulée -- si l'on atteint ce stade -- le tribunal peut seulement condamner l'accusé pour l'infraction qui a fait l'objet d'un accord sur le chef d'accusation. Dans le cas de Homolka, je crois que vous nous avez dit qu'il y avait deux accusations d'homicide involontaire. C'est là que le tribunal serait limité.
Le sénateur Cools: Le projet de loi vise le processus de l'accord sur le chef d'accusation; rien d'autre. Dans le premier cas, on m'a conseillé de proposer une exemption spéciale de la loi générale en ce qui concerne l'infraction particulière. Toutefois, on m'a conseillé de m'en tenir à l'accord sur le chef d'accusation, puisque c'est là que l'action fautive s'est produite.
On m'a dit qu'il ne serait ni prudent ni judicieux d'aller au-delà de l'accord sur le chef d'accusation et d'examiner d'autres infractions qui tombent sous le coup d'autres parties du Code criminel. On m'a conseillé de m'en tenir au domaine très précis et défini de l'accord sur le chef d'accusation, car c'est là que l'action fautive qu'il faut corriger s'est produite.
Le vrai problème, sénateur Lewis, c'est que quelque chose de très répréhensible s'est produit.
Le sénateur Lewis: Oui.
Le sénateur Cools: Si on avait eu la volonté politique de régler la question, cela aurait été du domaine du possible, mais on répugne à le faire. Par conséquent, on m'a conseillée d'examiner l'application générale de la loi, soit le Code criminel, et de m'en tenir au domaine particulier où l'action fautive s'est produite. On m'a dit de ne pas aller plus loin -- en d'autres termes, de ne pas aborder la question du parjure et d'autres questions, comme celle de l'entrave à la justice.
J'ai passé beaucoup de temps sur la question. J'ai consulté de nombreuses personnes. J'aurais pu en arriver à l'entrave à la justice; j'aurais pu en arriver au parjure. Toutefois, les soi-disant «spécialistes» m'ont dit d'envisager la question sous cet angle. Vous me demandez d'aller au-delà.
Le sénateur Lewis: Si je pose cette question, c'est parce que j'entrevois beaucoup de difficultés.
Le sénateur Cools: Nous avons maintenant beaucoup de difficultés et il y en aura beaucoup d'autres, à moins que l'on ne prenne des mesures. Je vais vous donner un exemple.
J'ai apporté avec moi l'arrêté de l'affaire de la Reine c. MacDonald où un accord sur le chef d'accusation du même ordre a foiré. Tel est le terme utilisé. L'accord sur le chef d'accusation a foiré ou a avorté. Dans ce cas précis, il n'y a eu aucune hésitation et la situation a été rectifiée. Comme je le disais plus tôt, le comité doit faire son propre travail.
Il y a d'autres cas; ainsi, un juge a refusé de se conformer à un accord sur le chef d'accusation. Le poursuivant et l'avocat de la défense ont présenté au juge un mémoire conjoint, le juge a refusé. On se retrouve alors en présence d'une pléthore d'appels, parce que l'une ou l'autre partie ne se conforme pas à l'accord sur le chef d'accusation. C'est un point qu'il faut examiner.
Je ne prétends pas que cela réglera chaque problème. Je ne prétends pas que cela n'en créera pas de nouveaux. Je dis simplement que tellement de problèmes se posent en ce moment que j'ai ressenti le besoin d'agir.
Je veux vous dire clairement que j'ai été conseillée par des gens qui font ce travail tous les jours et qui m'ont dit de rester dans les limites du problème.
Le sénateur Lewis: Vous dites que les dispositions de ce projet de loi permettraient au tribunal d'annuler un jugement, sur demande. Aucune limite de temps n'est fixée.
Le sénateur Cools: Cela n'est pas rare. Dans des cas comme le meurtre et l'homicide involontaire, il n'y a pas prescription. Je vais vous donner un exemple.
La Cour fédérale du Canada est déjà en train d'entendre des causes visant à retirer la citoyenneté à certains criminels de guerre nazis. On pourrait faire valoir que ces crimes ont été commis il y a 40 ans. Ce sont des causes mettant en jeu d'autres lois. Il n'y a pas de prescription lorsque les crimes sont commis contre la personne, surtout s'il s'agit de meurtres au premier degré, d'homicides involontaires et de crimes entraînant une mort.
Le sénateur Lewis: Il n'y a pas de limite de temps.
Le sénateur Cools: Je vous encourage à proposer une modification en ce sens.
Le sénateur Nolin: C'est votre projet de loi, sénateur Cools.
Le sénateur Cools: Le comité décide de ses propres délibérations. Il est libre de modifier le projet de loi.
Le sénateur Nolin: Notre principale préoccupation est la justice, mais il faudra nous aider.
Le sénateur Cools: J'ai vu la justice à l'oeuvre. J'en vois le cours tous les jours.
Le sénateur Nolin: Chers collègues, j'aimerais que nous prenions le temps de marquer la présence, dans la salle, de représentants du Parlement du Ghana, MM. Emmanuel Anyimadu et James Sydney De Graft-Johnson.
Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue.
Le sénateur Milne: Sénateur Cools, il faudrait peut-être que j'ajoute une précision avant que vous ne vous fâchiez contre moi. Je suis entièrement d'accord avec ce que vous avez dit au sujet de l'affaire Homolka. Ce fut un exemple consternant du recours excessif à des accords sur le chef d'accusation. Toute l'affaire a été absolument horrifiante.
Par contre, je ne suis pas vraiment convaincue que votre projet de loi met fin à vos préoccupations. Une grande partie de votre argument, aujourd'hui, porte sur l'administration de la justice, une question de compétence provinciale. J'aimerais que vous me donniez un peu plus de renseignements afin que je sache si le projet de loi à l'étude a l'effet voulu.
Le sénateur Cools: Je ne connais pas de législateur qui, en adoptant un projet de loi, est sûr qu'il aura l'effet voulu. Je ne puis vous donner pareille assurance. Toutefois, je suis convaincue que le projet de loi à l'étude contribuera à faire comprendre aux deux parties à la négociation que l'intérêt public exige la vérité. Cela, j'en suis sûre.
Les déviants sont nombreux. Le mal qu'ils peuvent faire dépasse notre entendement, et je sais que le projet de loi à l'étude réglera certains problèmes.
Actuellement, les procureurs ont pratiquement carte blanche. Je sais aussi que chaque document que j'ai lu et chaque personne que j'ai rencontrée confirmeraient que la question mérite une étude sérieuse. Tous sont d'accord à ce sujet.
Le sénateur Milne: J'en conviens aussi, mais je ne suis pas sûre que le projet de loi à l'étude aura l'effet recherché, malencontreusement.
Le libellé du projet de loi me préoccupe. À la dernière page, juste avant les alinéas du paragraphe 1, on peut lire «selon la prépondérance des probabilités» plutôt que l'expression habituelle «hors de tout doute raisonnable». J'aimerais savoir comment vous définissez cette expression et pourquoi vous l'avez préférée à l'autre.
Le sénateur Cools: Comme je l'ai dit, la rédaction d'un projet de loi est l'affaire d'éminents spécialistes. Je ne suis pas sûre de m'être bien fait comprendre sur ce point. Il faudrait peut-être que je le répète.
Ce n'est pas moi qui ai rédigé le projet de loi à l'étude. Sa rédaction a été confiée à un homme qui, d'après le personnel du Sénat, est le meilleur rédacteur de lois au pays. Il a utilisé la terminologie et le cadre habituellement employés pour la rédaction de tous les statuts, de toutes les lois et de toutes les pratiques connexes. Ce sont les mots qu'il a choisis pour rédiger le projet de loi.
Le sénateur Milne: L'expression est un peu floue.
Le sénateur Cools: Il s'agit de l'expression consacrée pour décrire le fardeau de la preuve en matière civile, alors que «hors de tout doute raisonnable» est l'expression réservée au domaine criminel. Ces expressions tirent leurs origines de la common law. Ce sont les expressions employées par les rédacteurs de lois.
Malencontreusement, sénateur Milne, les lois regorgent de ces expressions. J'espère que vous n'êtes pas en train de proposer que nous les changions toutes simultanément.
Le sénateur Milne: C'est invraisemblable.
Le sénateur Nolin: J'essaie de comprendre. Si le procureur demande à un juge d'examiner la sentence parce que l'inculpé ou son représentant, son avocat, lui a menti ou parce que l'inculpé n'a pas dévoilé tous les faits voulus, il faut que le juge modifie la sentence. Est-ce bien le processus?
Le sénateur Cools: Oui.
Le sénateur Nolin: Je suis en train de lire l'article 1 du projet de loi. C'est bel et bien ainsi qu'on procède.
Le sénateur Cools: Effectivement. J'essaie de ne pas déborder du cadre des tribunaux et du système actuel. En d'autres mots, je propose l'adoption d'un projet de loi qui s'ajouterait simplement à l'arsenal de lutte contre le crime et les déviants et ne s'écarterait pas des autres moyens prévus dans le Code criminel et dans son administration.
Le sénateur Nolin: J'ai écouté ce que vous aviez à dire au sujet des accords sur le chef d'accusation intervenus dans deux affaires d'homicide involontaire. D'autres dispositions du code empêchent le procureur de délibérément fermer les yeux sur certains faits. Le code comporte toutes sortes de dispositions à cet effet. Comprenez-vous ce que je suis en train de dire? Le projet de loi ne l'empêcherait pas à lui seul, mais je comprends ce que vous essayez de faire.
Le sénateur Cools: Sur quelle autre disposition du Code criminel pourrait-on se fonder?
Le sénateur Nolin: Je ne suis pas ici pour vous donner des conseils juridiques.
Le sénateur Cools: D'après ce que j'en sais, la common law est plus précis à ce sujet. Ils auraient pu aller en appel. Ils auraient pu prendre d'autres mesures.
Le sénateur Nolin: S'ils se sont entendus au départ pour ignorer les faits concernant le troisième meurtre, alors les faits n'ont pas été dénaturés.
Le sénateur Cools: L'accord sur le chef d'accusation nous empêche de le savoir, puisqu'il est secret.
Le sénateur Nolin: Vous nous avez dit ce que vous aviez découvert à la lecture de la décision.
Le sénateur Cools: Oui.
Le sénateur Nolin: C'est un document public.
Le sénateur Cools: Combien de gens l'ont lu?
Le sénateur Nolin: Je n'essaie pas de justifier cette décision, mais seulement de connaître votre opinion.
Le sénateur Cools: Je comprends. J'essaie de dire que le projet de loi, dans la trame du système entier et du Code criminel, cherche à responsabiliser l'inculpé qui ne respecte pas l'accord.
Le sénateur Nolin: Si la personne a déjà plaidé coupable, on ne peut plus simplement parler d'inculpé. La personne a reconnu sa culpabilité. Or, l'inculpé peut aussi plaider non coupable. Il faut prouver sa culpabilité.
Le sénateur Cools: Je vous en donne un autre exemple. Supposons que le juge, dans cette affaire, avait refusé d'accepter le mémoire. Que serait-il arrivé?
Le sénateur Nolin: Il y aurait eu un procès. Ce serait au procureur de faire la preuve.
Le sénateur Cools: Pour quels motifs, alors?
Le sénateur Nolin: Voilà justement la raison pour laquelle on prévoit la possibilité d'un accord sur le chef d'accusation.
Le sénateur Cools: Nous voilà au coeur du problème.
Le sénateur Nolin: Naturellement! L'accord sur le chef d'accusation vise à régler un problème. Le niveau de preuve que doit établir le procureur est beaucoup plus élevé que ne le croient les Canadiens. Il n'est pas facile d'établir hors de tout doute raisonnable qu'une personne a commis un crime. C'est un travail énorme. C'est pourquoi on prévoit un accord sur le chef d'accusation.
Le sénateur Cools: Vous avez raison. Je suis d'accord avec vous. C'est pourquoi mon projet de loi ne cherche pas à éliminer ces accords. Je n'interdis pas la conclusion d'un accord sur le chef d'accusation. Le projet de loi ne reflète pas du tout mon opinion personnelle à ce sujet.
Dans une cause analogue de 1988, soit R c. MacDonald, il y a un passage intéressant. Je vous le cite:
L'inculpé, de toute évidence, connaissait ou aurait dû connaître chaque élément de l'accord intervenu entre lui et l'avocat-conseil de la Couronne. S'il a décidé de tromper l'avocat-conseil afin de pouvoir plaider coupable à un chef d'accusation moins grave, il était alors le seul responsable de la violation de l'accord, quand la police a prouvé qu'il n'avait pas tout dévoilé. La décision prise par l'inculpé de faire fi d'une importante condition de l'accord a empêché son avocat de bien agir en son nom et de le conseiller convenablement.
L'inculpé est donc celui qui, le premier, a violé l'accord. Si j'acceptais cet argument et que je décidais de surseoir à l'instance, je suis convaincu que je commettrais là un abus encore plus grand du processus judiciaire, car j'entraverais l'administration de la justice et irait, de ce fait, contre le principe d'équité et de décence de notre société puisque l'inculpé profiterait alors de ses propres déclarations mensongères.
Le sénateur Phillips a cité cette affaire dans la déclaration qu'il a faite au sujet du projet de loi S-3 au Sénat.
Je vous invite, sénateur Nolin, à réfléchir au fait que ces présumés accords sur le chef d'accusation entraînent déjà toute une pléthore de causes où l'inculpé tente de lier les mains du procureur général et de la Couronne. Les données sont là pour le prouver. Il n'y a pas de fin.
On m'a conseillé de m'en tenir à l'accord sur le chef d'accusation et de tenir l'inculpé responsable de ses propres fausses déclarations, d'habiliter les juges à revoir le dossier, au besoin -- en d'autres mots, d'inclure ce pouvoir dans une loi.
C'est ce qu'accomplit le projet de loi à l'étude: il remet le pouvoir d'agir entre les mains du juge. Je ne propose pas la création d'un nouveau tribunal, d'une commission d'enquête sur les plaintes ou quoi que ce soit du genre. Dans ce projet de loi, nous rendons leur pouvoir aux tribunaux et leur disons essentiellement: «Vous avez le pouvoir d'examiner ce qui s'est produit».
Le sénateur Pearson: J'aimerais m'éloigner de cas particuliers pour examiner les grands principes en jeu. Je ne suis pas avocate, de sorte que ce que les avocats ont à dire m'intéresse. Lorsque nous discutons de questions juridiques, j'en apprends toujours.
Toutefois, en tant que profane, j'ai toujours cru qu'en principe, l'inculpé n'était pas tenu de s'incriminer lui-même.
Le sénateur Cools: Non, il ne l'est pas.
Le sénateur Pearson: Comment peut-on, dans ce cas-là, punir celui qui refuse de le faire?
Le sénateur Nolin: On ne peut le faire.
Le sénateur Pearson: Il me semble que, lorsqu'il existe un accord sur le chef d'accusation et qu'on a prouvé que l'inculpé n'a pas dévoilé...
Le sénateur Cools: L'accord se fonde sur la vérité. La vérité est un élément essentiel de tout accord.
Le sénateur Pearson: Lorsqu'un inculpé qui a plaidé coupable est condamné, comment peut-on ensuite lui demander...
Le sénateur Milne: Il aurait dû s'accuser lui-même d'autre chose. C'est courant.
Le sénateur Nolin: La réponse à votre préoccupation se trouve au paragraphe 2. L'inculpé a plaidé coupable à l'infraction «A». Il est par la suite établi, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a menti. Si l'inculpé a reconnu sa culpabilité à l'infraction «A», il ne peut revenir en arrière.
Ces dispositions m'embêtent, moi aussi, en raison de l'existence d'un accord. C'est pourquoi, dans le code, il n'y a pas de mention des accords sur le chef d'accusation.
Le sénateur Cools: L'expression «accord sur le chef d'accusation» ne figure ni dans une loi ni dans l'autre.
Le sénateur Nolin: L'expression me déplaît à cause du mot «accord». L'inculpé est-il coupable ou non? En tant que procureur, j'accumulerai la preuve, et le juge décidera si vous êtes coupable ou non. C'est ainsi que cela se passe. Toutefois, pour toutes sortes d'autres raisons, on négocie et on parle d'accès à la preuve. L'inculpé témoignera au procès d'une autre personne. La situation me déplaît, mais c'est ainsi.
Le sénateur Cools: Je n'ai pas très bien suivi ce que vous avez dit. Qu'est-ce qui vous déplaît au juste?
Le sénateur Nolin: À l'alinéa 2a), il est prévu que le tribunal inflige à l'inculpé ou au défendeur la peine correspondant à l'infraction objet de l'accord sur le chef d'accusation.
En d'autres mots, l'inculpé a plaidé coupable à l'infraction. Donc, la condamnation demeure. Puis, survient une preuve qui montre que l'inculpé a menti. Il a déjà plaidé coupable à l'infraction «A», sa condamnation aura lieu. Cependant, maintenant, il est aussi accusé de l'infraction «B». Il y aura un autre procès ou l'on reprendra l'instruction du premier plutôt que de recommencer tout le processus suivi pour l'infraction «A».
Le sénateur Pearson: Je ne comprends pas. Pourquoi tenir un second procès?
Le sénateur Nolin: S'il n'y a pas d'accord, il n'y en a pas. Il faut tout reprendre.
Le sénateur Cools: En fin de compte, le facteur déterminant sera ce que nous estimons être l'intérêt public et s'il faut refondre un système dans lequel la personne impliquée dans un crime a intérêt à conclure un accord sur le chef d'accusation, même si elle dénature les faits afin d'obtenir une réduction de peine.
J'essaie de baliser et d'interdire la pratique. Je suis consciente qu'elle est parfois une nécessité. La Couronne avait à sa disposition d'autres moyens dans l'affaire particulière dont nous avons parlé. Elle a choisi, pour des raisons politiques, par opportunisme politique, de ne pas s'en servir. J'essaie simplement d'inclure dans le projet de loi une disposition qui faciliterait la prise, par la Couronne, de certaines initiatives.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : J'aimerais poser la question suivante concernant l'application de cette loi .Pour faire des arrestations dans le domaine des infractions commises dans le domaine de la drogue, dans l'administration de la justice, on utilise la plupart du temps des délateurs, sinon personne ne serait condamné .Souvent, ces gens sont des complices .Il y a également des ententes pour réduire les charges parce que ces personnes mettent leur vie en danger.
Comment peut-on réconcilier les deux, à savoir l'administration de la justice, le désir de lutter contre le crime organisé, tout en permettant aux autorités de se trouver des gens qui peuvent nous permettre de condamner ou de faire condamner des criminels endurcis d'une part, et d'autre part, comment cette loi pourrait-elle s'appliquer à ces gens? Si vous faites une entente, effectivement, ils ne nous diront pas toute la vérité, ils ne diront pas non plus tous les crimes auxquels ils ont participé.
Je suis d'accord avec le sénateur Pearson, ce n'est pas une confession générale que l'accusé doit faire lorsqu'il collabore avec la justice. J'essaie de réconcilier cela à l'esprit général de l'administration de la justice. Je conçois difficilement comment ce projet de loi, pour ce type de crimes, pourrait s'appliquer dans d'autres secteurs et comment il pourrait empêcher la collaboration des délateurs dans le futur. Donc ces gens continueraient le trafic de la drogue avec des gens super-organisés.
[Traduction]
Le sénateur Cools: J'ai eu de la difficulté à suivre l'interprète. Je ne suis pas sûre d'avoir compris toute la question.
Que les sénateurs se rassurent: d'après mes consultations, le projet de loi à l'étude n'entravera pas l'administration de la justice. Le projet de loi a plutôt pour objet d'empêcher l'injustice. En toute franchise, il vise à interdire la malhonnêteté. Il faut comprendre que, lorsqu'une injustice a été commise ou qu'il y a eu erreur judiciaire, il faut faire des choix.
Si j'ai bien compris ce qu'a dit le sénateur Hervieux-Payette, il faut que le système compose avec la criminalité et les criminels. Je conçois les choses un peu différemment. Selon moi, ce sont les criminels qui doivent composer avec le maintien du bon ordre et de la paix.
Les seules personnes auxquelles le projet de loi S-3 nuira sont celles qui mentent et les procureurs trop honteux ou timides pour bien faire leur travail. Il ne nuira pas à l'administration de la justice.
Dans l'affaire Homolka, il y a eu deux accords sur le chef d'accusation. Le premier fut une erreur, mais pas le second qui a servi, en grande partie, à protéger les instances politiques qui ont conclu le premier. Lorsque le second accord est intervenu, ils avaient déjà toutes les preuves voulues pour établir la culpabilité.
À mon avis, les sénateurs n'ont pas conscience de la gravité du problème ni des méfaits qu'il cause actuellement. J'espère et je souhaite que nous puissions vraiment commencer à examiner ce genre de méfaits. Je ne suis pas comme ceux qui, lorsque quelque chose cloche, sont capables de l'ignorer.
J'essaie de dire que le projet de loi S-3 est un texte bien préparé, bien documenté et bien libellé. Certains sont d'un autre avis -- ce qui n'a rien à voir avec la question à l'étude --, mais le projet de loi S-3 correspond aux principes du Code criminel et de la justice pénale au Canada.
La pratique qui consiste à négocier des accords sur le chef d'accusation est en train d'envahir le système de justice pénal. Les études que j'ai examinées et dans lesquelles on donnait quelques chiffres nous révèlent aussi que de nombreux juges sont en train de devenir de simples pions sur l'échiquier.
Je demande aux sénateurs de garder l'esprit ouvert et d'examiner avec soin certains écueils que nous avons à peine eu le temps de voir venir.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Je vais conclure en disant que j'ai des difficultés avec le projet de loi. Je reconnais avec vous que dans l'administration de la justice, il y a des erreurs qui avantagent des gens qui ont commis des actes criminels. Ce n'est pas le premier cas ni le dernier. L'erreur est humaine. Cela ne relève pas de la loi.
Les points avec lesquels les tribunaux auront de la difficulté, c'est ce sur quoi je voudrais vous mettre en garde, c'est la rétroactivité et l'impression que l'on condamnerait un individu deux fois pour le même crime. Ces deux barrages vont rendre la vie difficile à nos experts en législation. Votre projet de loi est louable. Je ne pense pas que c'est par ce projet de loi que l'on peut corriger la situation, c'est-à-dire de nommer de bons juges et d'avoir une administration policière de bonne qualité et des procureurs compétents.
Dans le cas présent, on s'est retrouvé en présence de gens qui n'ont pas exercé leur fonction selon les règles de l'art. Ce ne sont pas des déficiences du Code criminel, et ce ne sont pas des amendements comme ceux-ci qui vont régler la situation dans des cas à l'avenir.
[Traduction]
Le sénateur Cools: J'ai prêté attention à ce qu'a dit le sénateur Hervieux-Payette. Ses préoccupations auraient été les bienvenues à l'étape de la deuxième lecture. C'est à ce moment-là qu'elle aurait dû faire ces remarques.
Le sénateur Doyle: Sénateur Cools, je m'étonne que vous n'ayez pas insisté davantage sur les mots «accord sur le chef d'accusation». La négociation d'un accord sur le chef d'accusation est un exercice auquel prend part l'inculpé, mais il n'est pas seul: des experts du droit y participent également, derrière des portes closes.
Croyez-vous vraiment que la solution soit de rendre le processus public de sorte que, s'il y a eu mensonge, son auteur puisse être accusé de parjure?
Le sénateur Cools: Nous parlons de négociations comme s'il s'agissait de conventions collectives. Les résultats du processus n'ont peut-être rien à voir avec la qualité de la justice, mais plutôt avec celle des négociateurs. Un nombre incroyable de procureurs de la Couronne négocient, et nous n'avons pas encore décidé s'il ne vaut pas mieux qu'ils aient non seulement des compétences juridiques, mais aussi des talents de négociateur.
Le phénomène est si répandu que même les personnes innocentes accusées d'une infraction sont encouragées à plaider coupables, sans parler des autres problèmes de la profession et de l'impénétrable coût de la justice pour le particulier.
Actuellement, tout se passe derrière des portes closes. Rien n'exige que le processus soit public. Les compétences américaines commencent à s'attaquer à quelques-unes de ces questions avec plus de dynamisme. Nous en sommes encore à tâter le terrain.
Je ne peux pas comprendre comment on peut régler des questions aussi importantes dans le secret le plus complet, sans rendre des comptes ou soumettre l'accord à un examen. De plus, que l'on en soit conscient ou pas, on est en train de signer l'arrêt de mort du système judiciaire tel qu'on le connaît, c'est-à-dire du juge d'instruction. Si nous persistons dans cette voie, certains soutiennent que le processus sera si rentable que nous pourrons fermer des salles d'audience.
Il y a quelques mois, je me suis entretenue avec un procureur de la Couronne qui m'a raconté avoir signé avec un inculpé un accord sur le chef d'accusation. Il a accepté de réduire la peine du membre d'une bande qui avait commis les crimes les moins graves en échange de renseignements sur les autres membres. En fin de compte, celui qui avait conclu l'accord était le chef, et le procureur de la Couronne n'a rien pu faire contre lui.
Ce sont le caractère secret, l'absence de reddition de comptes et d'autres problèmes importants de la profession qui sont en cause ici. Par ailleurs, ceux qui pourront le plus se prévaloir d'un accord sur le chef d'accusation sont aussi les avocats de la défense qui sont en très bons termes avec les procureurs. La négociation d'un accord dans l'affaire Homolka a été rendue possible parce que les deux négociateurs se connaissaient déjà fort bien.
On pourrait effectivement prétendre que cette expression particulière est la meilleure ou celle qui s'impose, mais le fait est que le projet de loi à l'étude est la synthèse des meilleurs avis juridiques que j'ai pu obtenir. Il est le produit des plus grands cerveaux que j'ai consultés.
Si le projet de loi n'est pas la meilleure façon de s'attaquer au problème, je rappelle que le ministère de la Justice emploie 1 200 avocats et qu'il dispose d'un budget faramineux. Si la question en avait préoccupé d'autres, on aurait pu déposer un projet de loi dissipant les inquiétudes de chacun.
Il existe bien des options. Toutefois, j'ai étudié les points que l'on soulève ici. J'y ai réfléchi. On aurait pu y donner suite de bien des manières différentes. J'ai choisi celle qui me semblait la plus pertinente.
Je rappelle aussi aux sénateurs que le projet de loi a été adopté à l'unanimité, à la deuxième lecture, ce qui, pour moi, représente la plus belle marque d'approbation qu'aurait pu recevoir le principe en jeu, à ce stade.
Vous avez toute mon admiration, car cette question particulière et le domaine en entier sont un véritable guêpier qui empire au fil des ans. Il faut tout mettre au grand jour. C'est le temps d'aller voir ce qui se passe vraiment derrière les grandes portes closes. Tout comme de nombreux membres du grand public, je sais que quelque chose ne tourne pas rond.
Le juge Galligan s'est penché sur la question de la nécessité de pouvoir conclure des accords avec des criminels afin de pouvoir en pincer d'autres. Au sujet du processus de négociation d'accords sur le chef d'accusation, il a cité une affaire particulière, soit un arrêt rendu par le Conseil privé, qui en illustre bien l'abomination. Il s'agit de l'affaire Chan Wai-Keung c. la Reine. Je vous en cite un passage:
Depuis des siècles, la pratique qui consiste à accorder l'immunité au codéfendeur qui accepte d'agir comme témoin à charge contre un autre est reconnue comme un moyen très utile de traduire des criminels devant les tribunaux et, bien qu'elle répugne depuis au moins trois siècles aux juges, aux avocats et aux membres du grand public et qu'elle entraîne le risque évident d'un faux témoignage en échange d'une peine réduite, motif très puissant, le même juge chevronné qui a tant vilipendé la pratique était disposé à reconnaître qu'elle était conforme à la loi.
L'essentiel à retenir, c'est qu'on peut continuer à conclure des accords sur le chef d'accusation, mais qu'il faut le faire en conformité avec la loi.
Le sénateur Nolin: Nous sommes tous d'accord sur ce point.
Le sénateur Cools: Il faut respecter la loi. Le projet de loi à l'étude traite des cas où les accords ne sont pas conformes à la loi.
Enfin, il faut que le gouvernement, les procureurs et tous les autres travaillent dans l'intérêt public. À long terme, la question concerne l'intérêt public, et je ne suis pas sûre que nous en tenions suffisamment compte. C'est dans cet esprit que je propose le projet de loi.
Le sénateur Nolin: Si vous le permettez, j'aimerais dire que je suis entièrement d'accord avec l'idée de faire en sorte que la conclusion des accords sur le chef d'accusation respecte les exigences de la loi. À ce sujet, je vous renvoie à une infraction plutôt importante que prévoie déjà le code, soit que quiconque tente délibérément, de quelque manière que ce soit, d'empêcher la justice de suivre son cours est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans.
Le code prévoit déjà ces situations. La peine de dix ans d'emprisonnement n'est peut-être pas assez sévère, mais elle existe déjà. Quiconque commet de tels actes devrait être traduit devant les tribunaux.
Le sénateur Cools: C'est discutable.
Le sénateur Nolin: Le code comporte déjà une disposition prévoyant une telle infraction; on peut l'invoquer.
Le sénateur Cools: Sénateur, on m'a affirmé qu'une accusation d'entrave à la justice portée contre Mme Homolka serait demeurée sans suite. Elle n'a pas entravé la justice, ce qui nous ramène à l'arène politique.
Sénateur, j'apprécie votre préoccupation à sa juste valeur. Vous n'êtes pas le premier à souligner le point. Je sais que vos préoccupations découlent d'une longue étude de certaines de ces questions. Toutefois, je ne cherchais pas à faire modifier le Code criminel afin de prévoir une nouvelle infraction, car tous les conseillers auxquels j'ai fait appel m'ont dit la même chose: les vieilles infractions que sont l'entrave à la justice, le parjure, et cetera, ne sont pas adaptées à la nouvelle réalité sociale qu'entraîne la négociation d'accords sur le chef d'accusation.
En d'autres mots, si je puis reprendre les propos de M. Rock, le projet de loi que je propose est une tentative en vue de réagir aux nouveaux besoins sociaux du pays et du système de droit pénal. Je puis vous assurer, honorables sénateurs, que le projet de loi a fait l'objet d'une mûre réflexion. Je me suis fait conseiller. On m'a dit que je pouvais le faire à titre d'exemption du droit commun. On aurait pu s'y prendre de bien d'autres façons, mais on m'a dit que le phénomène était si répandu qu'il était nécessaire de le baliser dans une loi.
En réponse au point soulevé par le sénateur Doyle, je cherchais à rendre plus public le processus d'accord sur les chefs d'accusation. C'est ce que tente d'accomplir le projet de loi à l'étude: ouvrir toutes grandes les portes derrière lesquelles se déroulent les négociations et les mener à la vue de tous. Il faudrait que chaque juge et chaque personne ayant un enjeu dans le système sachent qu'ils ont affaire à un accord sur le chef d'accusation et qu'ils connaissent le détail et les modalités de sa négociation.
Voilà qui met fin à ce que j'avais à dire.
La présidente: Sénateur Cools, je vous remercie de votre exposé de ce matin.
La séance est levée.