Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 29 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 3 octobre 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel est renvoyé le projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur les juges et une autre loi en conséquence, se réunit ce matin à 10 h 30 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous avons le plaisir d'accueillir le ministre ce matin. Malheureusement, il ne peut rester que jusqu'à 11 h 15. Ses hauts fonctionnaires, toutefois, resteront jusqu'à midi, heure à laquelle nous lèverons la séance. Accompagnent le ministre ce matin M. Andy Watt, avocat général principal du Service des affaires judiciaires, et M. Harold Sandell, conseiller juridique du Service des affaires judiciaires. Je vais demander au ministre d'être relativement bref afin que les membres du comité aient le temps de poser des questions, car je crois que c'est vraiment ce qui les intéresse pour l'instant.

L'honorable Allan Rock, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général: Madame la présidente, le contexte de la nomination de madame le juge Arbour est bien connu: la perpétration de crimes indescriptiblement brutaux en ex-Yougoslavie et au Rwanda. De très nombreux civils, dont des femmes et des enfants, ont subi des traitements inhumains. Des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre auraient été commis. M. Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général des Nations Unies, a demandé à madame le juge Arbour d'être le procureur en chef de la Commission internationale des crimes de guerre des Nations Unies pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, à compter du 1er octobre de cette année.

[Français]

Le nom de madame le juge Arbour a été prononcé auprès du secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies par le procureur en chef sortant, M. le juge Richard Goldstone, de l'Afrique du Sud. Madame le juge Arbour a eu une entrevue avec le secrétaire général; elle a été son premier choix pour le poste de procureur en chef. Ses états de services professionnels dans l'exercice de sa charge de juge sont remarquables, elle est d'une intégrité personnelle impeccable et elle parle couramment l'anglais et le français. Les membres du comité sénatorial en conviendront, elle est la personne toute indiquée pour ce poste.

[Traduction]

La nomination de madame le juge Arbour à ce poste important de prestige international est, sans aucun doute, un grand honneur pour le Canada. Je ferais remarquer que d'autres juges éminents ont déjà rempli de telles fonctions. Le procureur en chef sortant pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, monsieur le juge Goldstone, s'est vu lui-même accorder un congé du Tribunal constitutionnel de l'Afrique du Sud. On se souviendra également, madame la présidente, que monsieur le juge Robert H. Jackson, en congé de la Cour suprême des États-Unis en 1945 et 1946, a été procureur en chef américain au Tribunal des crimes de guerre de Nuremberg.

Les Nations Unies imposent une condition à la nomination de madame le juge Arbour: son traitement et ses frais pour la période de son mandat doivent être à la charge des Nations Unies. Cette exigence se rattache à la propre règle des Nations Unies relative à l'indépendance de son procureur en chef. Il est facile de comprendre, je pense, que les Nations Unies ne veulent pas que la rémunération du procureur, pendant la période de son mandat, soit à la charge d'un État membre.

La Loi sur les juges ne renferme pas de disposition permettant à un juge nommé par le gouvernement fédéral, comme madame le juge Arbour, d'obtenir un congé non rémunéré afin de travailler pour une organisation internationale comme les Nations Unies, ni non plus de disposition permettant le paiement de la rémunération et des frais d'un juge pendant une période de congé par une organisation ou une entité autre que le gouvernement du Canada ou, dans le cas des frais, autre que le gouvernement d'une province.

Les modifications qui figurent dans le projet de loi dont est maintenant saisi ce comité sont complètement appuyées par le juge en chef du Canada et par le Conseil canadien de la magistrature. Elles permettraient à madame le juge Arbour et, dans des cas exceptionnels, à d'autres juges, d'accepter ce genre d'entente.

La disposition que renferme le nouveau paragraphe 56.1 du projet de loi serait une exception restreinte à l'interdiction générale prévue à l'article 55 de la Loi sur les juges, selon laquelle, les juges se consacrent à leurs fonctions judiciaires à l'exclusion de toute autre activité. Il est à noter que la Loi sur les juges prévoit déjà l'octroi de congé pour que les juges puissent se consacrer à des fonctions non judiciaires, comme par exemple, remplir des fonctions de commissaire d'enquête -- on peut penser ici à monsieur le juge Krever -- ou aider d'autres pays à élaborer des codes des droits de la personne. Ces dispositions existantes, qui exigent que le gouvernement fédéral continue d'assurer la rémunération du juge et que le gouvernement fédéral ou un gouvernement provincial continue de supporter les frais, ne sont pas souvent invoquées. Je suis convaincu que la disposition existante relative au congé rémunéré et la disposition que renferme le nouveau paragraphe 56.1 relative au congé non rémunéré seraient rarement invoquées et seraient des exceptions au principe fondamental voulant que les juges doivent se consacrer à leurs fonctions judiciaires.

[Français]

Cette nouvelle disposition sur les congés sans traitement, qui a été conçue pour les cas, comme celui où se trouve madame le juge Arbour, où un juge est invité à participer aux travaux d'une organisation internationale d'états ou d'une institution d'une organisation de ce genre, exige que le congé soit d'au moins six mois et qu'il ait reçu l'approbation du Gouverneur en conseil, après consultation de la présidence du Conseil canadien de la magistrature. Le Conseil canadien de la magistrature a recommandé que la modification soit de nature générale, non pas sui generis, ou, en d'autres termes, qu'elle ne soit pas applicable seulement à madame le juge Arbour.

[Traduction]

Le nouveau paragraphe 56.1 permettrait également à un juge qui est en congé non rémunéré pendant une période de six mois au moins, dans le but de participer aux travaux d'une organisation internationale d'États, ainsi qu'aux juges en congé rémunéré, dans le but de participer à d'autres types d'activités internationales, d'être indemnisés de ces frais.

Vu la situation mondiale actuelle, et je m'en aperçois de plus en plus chaque jour, certains pays se tournent vers le Canada et d'autres démocraties industrialisées afin de demander de l'aide pour renforcer leur système judiciaire. Nous offrons pareille aide à l'Afrique du Sud, à la République populaire de Chine, à la Russie et à l'Ukraine. Le pouvoir judiciaire peut apporter une telle aide. Cette nouvelle disposition qui prévoit d'autres façons d'indemniser les juges de leurs frais de transport, lorsqu'ils participent à de tels programmes, serait particulièrement utile.

Je souligne au comité que des sauvegardes sont prévues dans le cas des congés non rémunérés. Non seulement le juge en chef participe-t-il à la prise de décision, mais aussi le ministre de la Justice, le Cabinet et le Conseil canadien de la magistrature. Par conséquent, ce n'est pas une décision qui serait prise à la légère.

Avant de conclure, je souhaite souligner la disposition du projet de loi C-42 qui reconnaît l'importance de la Cour d'appel de la Cour martiale du Canada et prévoit de désigner le juge en chef de cette cour membre du Conseil canadien de la magistrature. Le juge en chef de la Cour d'appel de la Cour martiale doit remplir des fonctions de représentation qui se rattachent à son poste; il en est également tenu compte dans le projet de loi qui prévoit dans le cas de ce juge en chef, le versement des mêmes modestes indemnités, à titre de frais de représentation, que celles versées à d'autres juges en chef.

Madame la présidente, c'est ainsi que se termine mon introduction. Je serais heureux de répondre à toute question que les honorables sénateurs pourraient poser au sujet de ce projet de loi.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Pour ce qui est de la candidate, je suis d'accord avec ce choix. Je la connais bien. La loi n'est pas modifiée pour une personne mais pour un principe, c'est-à-dire la participation dans les domaines internationaux. Il n'y a pas d'objection de notre côté à sa nomination. Nous aurions été prêts à voter une loi spéciale pour un cas comme celui-là. Il n'y a pas d'objections de principe.

Au mois de juin ou en juillet, le projet de loi a été présenté en fin de session. On n'a pas attiré notre attention sur ce fait. J'accepte ce principe. D'autant plus qu'il y a d'autres pays comme l'Afrique du Sud, vous avez mentionné le nom du juge Goldstone de la Cour constitutionnelle. Il y en a probablement d'autres.

Il y a d'autres points. Nous voudrions avoir plus d'informations sur la question de l'indépendance du juge relativement à cet article 55. Le troisième point qui n'a pas été soulevé, c'est celui des pensions. Je voudrais avoir plus d'éclaircissements à ce sujet.

Disons que c'est une préoccupation. Ce n'est pas une opposition. Ce n'est pas le choix d'un individu dont le choix est excellent.

[Traduction]

M. Rock: Madame la présidente, permettez-moi de répondre d'abord à la question du calendrier. Il est vrai que nous avons fait avancer les choses le plus rapidement possible depuis le printemps dernier. C'est vers le mois de février que l'on a entendu parler de cette question pour la première fois, lorsque le secrétaire général des Nations Unies a contacté madame le juge Arbour. Ce n'est qu'après qu'elle a accepté d'être envisagée pour ce poste que nous avons participé au processus et commencé à examiner ce qui s'imposerait pour que cela soit rendu possible. C'est à la fin février ou au début mars que nous avons reçu la demande officielle relative à cette nomination.

[Français]

J'ai assisté aux réunions du Conseil canadien de la magistrature, au mois de mars, à Toronto je crois. J'ai soulevé cette question. J'ai demandé au Conseil canadien de la magistrature si, dans une telle circonstance, il serait mieux d'avoir une modification pour madame le juge Arbour seulement ou, s'il était mieux d'avoir une modification pour une application générale. Ils ont considéré la question. Ils ont décidé qu'il serait mieux d'avoir une modification pour tout le monde, pour régler de tels cas quand ils se présenteront dans les années à venir.

[Traduction]

Nous sommes revenus à la fin mars, forts de la préférence formelle du Conseil de la magistrature, et avons préparé la mesure législative. Nous avons ajouté d'autres points qui nous paraissaient indispensables pour épurer la Loi sur les juges, dont les pensions de retraite. Je vais aborder ce point un peu plus tard, monsieur le sénateur.

Nous avons présenté le projet de loi à la Chambre des communes. Il a été adopté le plus tôt possible, en juin, je pense. Nous avons eu beaucoup de choses à faire au printemps. Nous l'avons ensuite envoyé à cet endroit.

J'espère qu'aucun sénateur ne pense que nous avions présumé que le Sénat allait agir les deux derniers jours de juin. Cela aurait été bien, mais le rôle de cet endroit, évidemment, consiste à examiner consciencieusement les projets de loi. La même chose s'est déjà produite. En fait, il s'agissait du dernier projet de loi C-42 que j'avais présenté à la Chambre. Vous vous souvenez peut-être que c'était un projet de loi omnibus. Il a été rapidement adopté à la Chambre et nous l'avons envoyé ici. Les sénateurs ont ralenti le processus pour l'examiner de près. Vous y avez relevé quelques points, ce qui nous a amenés à retirer quelques modifications et à les repenser. Je respecte beaucoup le soin que vous apportez dans l'examen de cette mesure législative et je vous en remercie.

Vous examinez maintenant le projet de loi. Si la situation semble urgente, c'est parce que la nomination de madame le juge Arbour doit prendre effet le 1er octobre. C'est la date qui nous a été donnée par les Nations Unies. Ce n'est pas nous qui l'avons fixée. Cela ne veut pas dire que nous présumons que le Sénat va approuver ce projet de loi. Tel est l'échéancier du tribunal international et nous avons gardé cette date à l'esprit tout en suivant le rythme des travaux au Sénat.

L'indépendance du pouvoir judiciaire est un point important qui, d'après ce que je vois des transcriptions de vos délibérations, est au coeur des questions dont vous souhaitez débattre aujourd'hui. Le principe fondamental, c'est que les juges, une fois nommés, le sont pour toujours. En d'autres termes, ils sont nommés juges à vie. On ne peut les démettre de leurs fonctions sous prétexte uniquement qu'une décision rendue ne nous plaît pas.

Deuxièmement, lorsqu'ils sont juges, ils devraient se consacrer uniquement au travail de juges et non travailler pour des entreprises ou ailleurs. Même s'il s'agit d'un principe important, la Loi sur les juges prévoit déjà des exceptions. Comme je le disais dans mon introduction, un juge peut être nommé pour présider une commission d'enquête ou arbitrer un différend. Cela se passe constamment. C'est une fonction accessoire nécessaire.

Le sénateur Beaudoin: Nous sommes entièrement d'accord.

M. Rock: Ce que je veux dire, sénateur, c'est que cela est compatible avec l'article 56. Cela découle de la même notion qui veut que nous autorisions un juge en place à quitter ses fonctions pour une période déterminée afin d'accomplir un travail des plus louable au sein d'une organisation internationale. Cela n'est pas incompatible avec ses fonctions judiciaires.

Nous avons permis à monsieur le juge Krever de remplir d'autres fonctions. Ce n'est pas incompatible avec ses fonctions judiciaires. Cela permet à la collectivité de profiter de ses compétences judiciaires.

Il est proposé qu'un juge également soit autorisé à travailler pour une organisation internationale, si le gouvernement de l'heure, le ministre de la Justice et le Conseil de la magistrature conviennent que cela n'est pas incompatible avec ses fonctions judiciaires et que cela répond à un objectif public louable.

Nous proposons au fond que si le poste pour lequel elle est nommée est suffisamment important et compatible avec ses fonctions judiciaires, elle devrait être autorisée à l'accepter. Comme l'organisation internationale en question exige que son traitement soit à sa charge, nous devrions l'accepter. Faudrait-il que ce soit uniquement la «modification Arbour», ou vaudrait-il mieux une modification applicable à tous les cas du genre? Le Conseil de la magistrature a pensé qu'il faudrait que ce soit une modification d'application générale, puisque compte tenu de la situation mondiale actuelle, la question pourrait se reposer. Cela ne veut pas dire que nous nous engageons à le faire de nouveau, mais que nous accordons la permission dans ce cas précis, avec l'accord du gouvernement de l'heure par le truchement d'un décret et après consultation du Conseil canadien de la magistrature.

Je dois dire, sénateur, que je ne vois pas d'incompatibilité avec l'indépendance du pouvoir judiciaire. Le fait que le Conseil canadien de la magistrature n'ait pas entrevu pareille difficulté m'incite à défendre ce point de vue.

Les juges vont-ils se faire concurrence pour obtenir de telles nominations?

Le sénateur Cools: Bien sûr.

M. Rock: Franchement, je ne vois pas comment cela serait possible. Si une telle concurrence devait arriver, il ne faut pas oublier que la décision finale revient au gouverneur en conseil après consultation du Conseil canadien de la magistrature. Ces sauvegardes permettraient de remédier à toute situation malsaine qui pourrait survenir.

J'en arrive maintenant à la troisième partie de la question du sénateur Beaudoin, relative aux pensions de retraite. J'ai invité Andy Watt ce matin pour traiter précisément de cette question; je vais donc lui demander d'y répondre.

M. Andrew Watt, avocat général principal, ministère de la Justice: Madame la présidente, la question des pensions est un peu difficile à comprendre, mais je vais essayer de vous l'expliquer du mieux que je peux.

L'article 44 de la Loi sur les juges prévoit le versement d'une pension au conjoint survivant. Le paragraphe 44(3), que nous espérons modifier par l'entremise de ce projet de loi, dispose qu'un conjoint survivant n'a pas droit à la pension de survivant si, au moment du décès du juge, il touchait déjà une pension en vertu de la présente loi.

Le Parlement, en formulant cette interdiction, voulait ainsi éviter qu'un conjoint survivant qui touche une pension et qui épouse un autre juge ne reçoive une deuxième pension à la suite du décès de ce dernier. La plupart des régimes de pension de la fonction publique interdisent déjà cette pratique. Nous proposons dans ce projet de loi de maintenir cette interdiction. Lorsque deux juges sont mariés ensemble, nous essayons de faire en sorte que les deux, ou un des deux, puissent avoir droit à la pension de survivant et à la pension de retraite ordinaire.

Nous voulons modifier le paragraphe (3) qui, d'après nous, ne reflète pas les attentes du Parlement pour les raisons suivantes: si le juge exerce toujours ses fonctions au moment du décès de son conjoint, qui est également un juge, le conjoint survivant peut avoir droit à la pension de survivant, prendre sa retraite plus tard, et toucher à ce moment-là les deux pensions. Il est tout à fait normal qu'un juge marié à un autre juge puisse toucher les deux pensions parce que les juges ont tous deux cotisé aux régimes au cours de leur carrière.

Le sénateur Nolin: Ce point doit être très clair. Nous sommes d'accord, de ce côté-ci, avec cette proposition, mais pas certains de nos collègues.

Je vous signale en passant, monsieur le ministre, que j'ai eu l'occasion de discuter de cette disposition avec M. Watt avant la réunion. Ses explications m'ont aidé à comprendre la situation.

M. Rock: Moi aussi, sénateur.

Le sénateur Nolin: D'abord, j'aimerais vous parler du caractère particulier du projet de loi. La situation dont il est ici question est presque évoquée à l'article 56 de la loi, qui précise qu'un juge ne peut exercer d'autres fonctions, sauf s'il est expressément affecté à celles-ci par le biais d'une loi fédérale ou d'une loi du Parlement, par voie de nomination ou avec l'autorisation du gouverneur en conseil.

Comme l'a mentionné le sénateur Beaudoin, si nous tenons compte de la situation extraordinaire qui existe en Bosnie et des compétences spéciales de la juge Arbour, nous ne devrions pas avoir de problème avec ce cas bien particulier. Toutefois, ce qui pose problème, c'est qu'un juge pourrait participer à des activités internationales dans des domaines autres que judiciaires. Nous en avons longuement discuté au Sénat, et de nombreuses personnes ont mis l'accent sur le fait que ces affectations pourraient durer plus de six mois. Toutefois, ce qui me préoccupe, ce sont les affectations de moins de six mois. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, puisque vous êtes le principal conseiller juridique du gouvernement.

Un juge peut obtenir un congé rémunéré avec l'autorisation et à la demande de son juge en chef et participer à diverses activités pour une période d'au plus six mois. Le projet de loi est très clair à ce sujet. Or, les Canadiens, eux, ne considéreront pas que ce juge est encore indépendant du gouvernement. Les simples citoyens vont pointer ce juge du doigt et dire: «Cette affectation lui a été accordée par le gouvernement, l'ACDI ou une organisation internationale, et nous voulons une explication.» Je comprends l'objectif que vise le projet de loi, mais nous avons toujours besoin d'explications. Les simples citoyens vont dire, «Est-il toujours indépendant du gouvernement? Est-ce qu'il reçoit un cadeau de son juge en chef?»

L'article 55 est précis en ce sens qu'il utilise l'expression «directement ou indirectement». La loi du pays, l'intention du Parlement et l'intention de la Charte sont claires. Nous voulons que le corps judiciaire soit indépendant et impartial. Toute dérogation à ce principe doit être examinée sous tous les angles.

La perception est également un facteur très important. Nous venons de régler le cas Bienvenue, et tout était question de perception.

En tant que principal conseiller juridique du gouvernement, quel est votre avis là-dessus? Y a-t-il absence d'indépendance ou apparence d'absence d'indépendance quand un juge accepte de telles affectations de son juge en chef?

M. Rock: Je ne le crois pas, mais analysons ensemble les préoccupations que vous avez soulevées parce qu'elles sont importantes et qu'elles méritent qu'on s'y attarde.

Il y a trois volets à la question. D'abord, il y a les congés d'une durée maximale de six mois qui seraient accordés, en vertu du projet de loi, par le juge en chef plutôt que par moi-même. Cette façon de procéder est plus réaliste, plus simple à administrer, et la décision se trouve à être prise par la personne qui est le mieux en mesure de juger de la pertinence d'un tel congé. Celui-ci pourrait être accordé pour des raisons médicales, parce que la personne vient d'accoucher, ou pour plusieurs autres raisons. Ce congé ne serait pas nécessairement accordé parce que la personne participe à des activités internationales. L'alinéa 54(1)a) accorderait au juge en chef le pouvoir de décider si un congé d'une durée maximale de six mois peut être accordé à un juge.

Les activités internationales sont mentionnées à l'article 5, soit aux paragraphes (1) et (2) de l'article proposé 56.1, qui disposent que, avec l'autorisation du gouvernement du Canada, un juge peut participer aux activités internationales décrites dans cette disposition. L'article autorise également le juge à être indemnisé de ses frais de transport ou de déplacement, ou autres frais raisonnables soit par le gouvernement du Canada, soit par une organisation internationale. Ces frais pourraient s'appliquer au travail qu'effectue le juge dans ses temps libres, pendant ses vacances ou les fins de semaine. Il n'est pas nécessaire qu'il obtienne un congé pour cela. L'article autorise le juge à être indemnisé de ses frais par un organisme autre que le gouvernement du Canada, si nous sommes d'accord avec ce principe.

Je reçois environ une fois par mois une demande d'aide d'un ministre de la Justice d'un autre pays. La situation à l'échelle mondiale est telle qu'en Europe de l'Est, en Asie et en Afrique, les pays cherchent à se doter d'une économie de marché. Ils essaient d'attirer des investissements. Ce sont de nouvelles démocraties qui nous disent: «Écoutez, nous ne pouvons attirer et conserver des investissements si nous n'avons pas de système judiciaire stable. Personne n'acceptera d'investir dans notre pays si on ne sait pas qu'il y a en place un système judiciaire qui permet de protéger cet investissement, d'intenter des poursuites en cas de bris de contrat et d'obtenir des dommages-intérêts si un préjudice est causé. Nous ne pouvons survivre si nous n'avons pas un système judiciaire stable. Aidez-nous. Dites-nous comment nommer les juges, rédiger nos règles de procédure, élaborer nos lois.»

Le Canada constitue un expert-conseil idéal parce qu'il jouit d'une excellente réputation à l'échelle internationale pour le travail qu'il accomplit dans ces domaines. Ils s'adressent au ministère de la Justice, mais habituellement, nous n'avons pas suffisamment d'argent ou de ressources pour leur venir en aide. Ils se tournent vers le conseil de la magistrature, ou nous nous tournons vers le conseil de la magistrature et lui posons la question suivante: y a-t-il des juges qui peuvent aider ces pays?

Le juge en chef Lamarre a prononcé un discours à ce sujet lors de la convention de l'association des avocats qui a eu lieu récemment à Vancouver. Il a dit que nous devrions encourager les demandes de ce genre, sans toutefois négliger nos responsabilités à domicile. Nos tribunaux sont embourbés et il y a beaucoup de travail à effectuer ici. Nous pourrions peut-être faire appel aux juges surnuméraires -- c'est-à-dire, les juges qui, à l'âge de 65 ans, choisissent de travailler à temps partiel en vertu de la Loi sur les juges. Ils peuvent, pendant un mois, aller en Afrique du Sud, au Vietnam ou en Ukraine par exemple, pour prêter main-forte aux autorités de ces pays. Cet amendement permettrait à l'Ukraine, au Vietnam, aux Nations Unies, à l'OEA s'ils vont au Chili ou l'ANASE en Asie de couvrir les dépenses de voyage de ces juges. Doit-on considérer cela comme un cadeau ou un avantage conféré par le gouvernement du Canada? J'espère que non. Certains vont prétendre le contraire, mais il est question ici de gens mûrs qui siègent comme juges. Nous leur avons témoigné suffisamment de confiance pour en faire des juges et s'ils peuvent apporter une contribution importante en participant à des activités internationales, nous remplissons une obligation envers la communauté mondiale. Nous essayons d'aider des pays à s'organiser et nous utilisons nos ressources judiciaires pour leur prêter main-forte, tout en permettant à d'autres de couvrir les dépenses.

Nous arrivons ensuite au paragraphe (2), qui concerne la juge Arbour. Si un juge présente une demande de congé non rémunéré pour effectuer ce genre de travail -- et, à l'heure actuelle, une telle pratique est interdite; nous sommes les seuls à pouvoir les rémunérer --, alors le paragraphe (2) autorise le gouverneur en conseil, après consultation du président du Conseil par le ministre de la Justice, à accorder un tel congé non rémunéré, étant donné que le travail serait plus condensé et qu'il faudrait lui consacrer plus de temps. C'est ce qui se passe dans le cas de la juge Arbour.

Encore une fois, y a-t-il ici favoritisme ou absence d'indépendance? On pourrait dire la même chose de la commission Krever ou Létourneau. Si les gens craignent que le fait d'affecter un juge à d'autres activités qui pourraient lui apporter de nouveaux défis ou une certaine notoriété, ou encore lui ouvrir de nouveaux débouchés -- le juge Krever pourrait sans doute décider d'écrire un livre qui se vendrait très bien --, porte atteinte à l'indépendance judiciaire, je ne suis pas d'accord. À ma connaissance, et compte tenu du fait que personne ne peut répondre de façon absolue à cette question, je ne crois pas que cela constitue une menace à l'indépendance judiciaire. Si l'on tient compte de tous les facteurs -- c'est-à-dire, notre rôle au sein de la communauté internationale et la compétence particulière de nos juges --, il est possible de remplir ce rôle et de le faire sans miner l'indépendance judiciaire. Je suis heureux de constater que le Conseil canadien de la magistrature partage mon opinion.

Le sénateur Nolin: Nous consulterons les experts.

Le sénateur Cools: Merci beaucoup, monsieur le ministre, d'être venu. Je remercie aussi votre personnel pour l'aide qu'il m'a donné durant l'été.

J'aimerais d'abord faire quelques observations. Premièrement, personne ici n'a quoi que ce soit à reprocher à Mme Arbour. Je crois que, dans son cas, on aurait peut-être dû présenter devant la Chambre un projet de loi prévoyant son exemption de la loi. Ce projet de loi serait sans doute déjà adopté à ce moment-ci. Cette histoire doit grandement embarrasser Mme Arbour.

Deuxièmement, je ne m'oppose pas à ce que le Canada apporte une aide dans les dossiers sociaux et juridiques à l'échelle internationale ou prête main-forte dans les domaines où il est spécialisé. Ce à quoi je m'oppose, monsieur le ministre, c'est que l'on confie cette tâche à des juges. Ces questions sont très différentes.

Troisièmement, monsieur le ministre, vous avez, ainsi que plusieurs autres personnes, cité le cas de M. Richard Goldstone qui, jusqu'à hier, occupait le poste de procureur en chef. J'ai essayé d'obtenir des renseignements à son sujet. D'après le ministère de la Justice de l'Afrique du Sud, aucun amendement législatif n'a été jugé nécessaire pour libérer le juge Goldstone de son poste. Peut-être que le gouvernement sud-africain a erré dans ce dossier. D'après ce que j'ai été en mesure d'apprendre, la situation du juge Goldstone était totalement différente parce que la loi sud-africaine est très différente. En fait, une des personnes avec lesquelles je me suis entretenue a dit que tout s'est fait de façon officieuse. Je veux qu'on en prenne note.

Le ministre a également parlé des juges qui se rendent à l'étranger pour aider d'autres gouvernements à élaborer des codes des droits de la personne. De quels juges s'agit-il? Qui a aidé le gouvernement à rédiger un code des droits de la personne?

M. Rock: Le sénateur Cools estime que si le projet de loi avait visé expressément la juge Arbour, il aurait déjà été adopté. J'en arrive donc à la conclusion qu'elle n'est pas du tout préoccupée par la question de l'indépendance judiciaire, parce que le même argument aurait été invoqué si le projet de loi avait visé expressément la juge Arbour ou tous les juges en général. Donc, je conclus qu'elle n'a aucune inquiétude au sujet de l'indépendance judiciaire.

Le sénateur Cools: Je proteste, madame la présidente. Ces propos sont déplacés.

Le sénateur Nolin: C'est sa réponse.

La présidente: Sénateur Cools, vous avez posé une question; le ministre y a répondu. Vous aurez l'occasion d'en poser d'autres.

M. Rock: Deuxièmement, en ce qui concerne la situation du juge Goldstone, tel que je l'ai mentionné, la seule raison pour laquelle une modification doit être apportée à la Loi sur les juges c'est qu'on interdit à un juge de toucher une rémunération d'une source autre que la nôtre et que les Nations Unies exigent de verser le salaire. Il se peut que l'Afrique du Sud n'ait pas d'interdiction qui ait donné lieu à une modification législative mais, je le répète, cela ne change pas le fait que nous avons un membre titulaire du système judiciaire canadien qui est en congé pour remplir cet autre rôle international.

Je dis que l'exemple constitue un précédent dont il faut tenir compte, même s'il n'a pas force exécutoire. Il n'est pas non plus amoindri du fait que les circonstances en Afrique du Sud n'ont pas donné lieu à une modification législative.

Quant à la troisième question qui portait sur les juges qui conseillent divers pays en ce qui a trait à l'amélioration de leurs systèmes juridiques et judiciaires, je suis convaincu que vous pourriez obtenir des précisions du Conseil canadien de la magistrature ou du Bureau du commissaire de la magistrature fédérale.

Le sénateur Cools: Le ministre a cité un cas particulier. Lorsqu'il a parlé de l'élaboration d'un code des droits de la personne, il parlait d'un juge en particulier. Je ne demandais pas le nom de tous les autres juges; je m'intéressais au nom de ce juge, puisque vous sembliez y faire allusion.

Le sénateur Nolin: Je ne crois pas qu'il ait fait allusion à un juge en particulier.

Le sénateur Cools: J'ai simplement entendu M. Sandell murmurer «Strayer». S'agissait-il du juge Barry Strayer?

M. Harold Sandell, conseiller juridique, Service des affaires judiciaires, ministère de la Justice: Oui. Le cas le plus récent dont je me souvienne mettait en cause le juge Barry Strayer de la Cour fédérale du Canada à qui l'on a accordé un congé de trois ou quatre mois, si je ne m'abuse, pour aider le gouvernement de Hong Kong à rédiger un code des droits de la personne.

Le sénateur Cools: Quand cela s'est-il passé?

La présidente: Sénateur Cools, peut-être voudrez-vous poser ces questions après que le ministre nous aura quittés. Il doit partir dans trois minutes.

Le sénateur Cools: Madame la présidente, je suis tout à fait prête à attendre, mais le ministre m'a renvoyée à ses employés.

La présidente: Je me rends bien compte de cela, mais je sais que le sénateur Milne et le sénateur Pearson ont aussi des questions qu'elles veulent adresser précisément au ministre de la Justice.

Le sénateur Cools: Puisque le ministre part dans deux minutes, il est évident que nous n'aurons pas tous le temps de poser nos questions.

La présidente: Nous aurions peut-être le temps, si vous posez la question.

Le sénateur Cools: Le ministre pourrait peut-être revenir nous rencontrer puisqu'il manque de temps aujourd'hui.

M. Rock: Madame le sénateur a-t-elle une autre question? Je suis ici pour répondre aux questions.

Le sénateur Nolin: J'ai une brève question. Savez-vous si le juge Arbour a songé à démissionner comme l'a fait le juge Deschênes il y a quelques années?

M. Rock: À ma connaissance, il n'en a pas été discuté avec elle.

Le sénateur Nolin: Vous ne discutez pas avec les juges?

M. Rock: Non, c'est la raison pour laquelle j'ai utilisé la troisième personne. Je ne sais pas si on en a discuté avec elle.

Le sénateur Nolin: Je connais d'autres ministres qui ont agi ainsi par le passé. Ne faites jamais cela.

M. Rock: Je ne sais pas si la question a été soulevée avec elle. Si on devait le faire, elle devrait alors décider si elle est prête à renoncer à sa carrière de juge d'appel doyen de ce pays pour faire sa contribution à ces objectifs internationaux.

Je demande pour la forme: est-ce que nous voulons vraiment la placer ou nous placer nous-mêmes dans cette position? J'ai un profond respect pour les préoccupations exprimées par le sénateur Nolin et le sénateur Beaudoin au sujet de la prudence que nous devons exercer en ce qui a trait à l'indépendance judiciaire, et je crois que les questions que vous soulevez sont bonnes et légitimes; en même temps, toutefois, nous devons trouver l'équilibre entre notre analyse de ces questions et les autres facteurs qui interviennent.

On nous a offert l'occasion de parfaire et de renforcer notre réputation internationale en tant que foyer d'êtres humains généreux, avertis et consciencieux qui sont prêts à accepter un rôle de premier plan au sein d'une instance qui se consacre à poursuivre les personnes qui ont commis des crimes contre l'humanité. L'une de nos meilleures et de nos plus brillantes compatriotes assumera ce rôle. Allons-nous l'en empêcher en l'obligeant à choisir entre cette responsabilité et sa carrière dans la magistrature?

Je crois qu'elle a à peu près mon âge. Elle a encore de bonnes années devant elle au sein de la magistrature et je détesterais la perdre comme juge au Canada. Nous essayons à la fois de la garder comme juge et de lui permettre d'assumer cette responsabilité internationale. Je crois que nous pouvons faire les deux sans ébranler l'indépendance.

Le sénateur Milne: En ce qui a trait à cette situation, qu'aurait pour effet la décision du Sénat de modifier ou de rejeter ce projet de loi?

M. Rock: Je demanderai à M. Watt d'intervenir, si ma réponse ne vous satisfait pas.

Cela compliquerait beaucoup les choses, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas lieu de suivre cette voie. Il faut que vous preniez une décision. Voilà en quoi cela compliquerait les choses. Nous devrions retourner à la Chambre des communes, préparer une autre mesure législative -- un amendement précis pour le juge Arbour si l'on jugeait que c'était approprié, -- la faire adopter par la Chambre et revenir ici. Quant à l'autre option, il nous faudrait rencontrer madame le juge Arbour et lui offrir la possibilité de remettre sa démission et d'accepter de remplir le rôle.

Si nous retournions à la Chambre pour déposer une autre mesure législative qui s'adresserait précisément à Mme le juge Arbour, nous serions malgré tout aux prises avec la question de l'indépendance si elle devait rester juge, parce que ceux que cette question préoccupe la soulèveraient dans son cas particulier plutôt qu'à l'égard des juges en général ou elle devrait donner sa démission.

La présidente: Monsieur le ministre, nous vous remercions du temps que vous nous avez consacré ce matin. Nous continuerons les discussions avec vos fonctionnaires.

M. Rock: Je vous remercie, madame la présidente de même que les membres du comité.

Le sénateur Cools: J'aurais préféré poser ma première question au ministre directement parce qu'il a dit au départ qu'il avait songé à un projet de loi distinct pour Mme Arbour et qu'il avait consulté le conseil de la magistrature. J'ai cru comprendre que, de toute évidence, le ministre a eu deux avis; d'une part l'avis, qui est venu, je suppose, de l'intérieur du ministère, d'en faire un projet de loi d'application individuelle et, d'autre part l'avis du conseil de la magistrature de modifier l'application générale de la loi. Est-ce que j'ai bien compris la situation d'après ce qui s'est dit?

M. Watt: Non, je ne crois pas que ce soit tout à fait exact. Le ministre a écrit au conseil le 19 mars en précisant les deux options. Il a décrit la situation. Je serais très heureux de lire la lettre.

Le sénateur Cools: Je serais heureuse que vous le fassiez.

M. Watt: Dans une lettre adressée au président du Conseil canadien de la magistrature, voici ce que disait le ministre:

Monsieur le juge en chef:

Comme vous le savez, les Nations Unies ont annoncé la nomination de Mme le juge Louise Arbour comme procureur du Tribunal des crimes de guerre des Nations Unies.

Je peux résumer brièvement en parcourant la lettre; il a annoncé qu'elle remplacerait le juge Goldstone, que la nomination entrerait en vigueur le 1er octobre mais que les Nations Unies voudraient qu'elle agisse comme conseiller spécial à compter du 1er juillet.

La lettre se poursuit ainsi:

En acceptant le poste, Mme le juge Arbour devra demander un congé d'au moins deux ans pour déménager en Europe et entreprendre ses fonctions de procureur. Bien que les dispositions actuelles de la Loi sur les juges permettent d'accorder le congé, je crois qu'il serait souhaitable d'apporter une modification à la loi pour les raisons que j'énumère plus bas.

Il poursuit en donnant les raisons et déclare:

Il me semble que deux options s'offrent: une modification générale à la loi pour englober la participation de juges canadiens à des activités internationales ou une loi spéciale qui permettrait à Mme le juge Arbour d'obtenir un congé non rémunéré de même que de toucher un salaire de l'ONU et de s'en faire rembourser les dépenses qu'elle engagera.

Le sénateur Cools: Monsieur Watt, pourquoi le ministère ou le ministre ont-ils communiqué avec le conseil de la magistrature pour obtenir son avis sur la façon de régler cette affaire? Le conseil de la magistrature, tel qu'il est constitué à l'heure actuelle, n'est pas vraiment mandaté pour donner un tel avis au ministre. Il me semble que la décision de libérer un juge de ses fonctions judiciaires est une question parlementaire et politique dont n'a pas à ce préoccuper le conseil de la magistrature.

M. Watt: La pratique au ministère veut que le conseil de la magistrature soit consulté au sujet des modifications envisagées aux lois qui influeraient sur l'administration de la justice en règle générale. La pratique a son utilité parce que, quel que soit le mandat du conseil -- et je puis vous lire le passage de la loi où il en est question, si vous le désirez--, il regroupe tous les juges en chef et tous les juges en chef adjoints du Canada.

La raison pour laquelle le ministre les a consultés, selon moi, au sujet de la façon de procéder à cette modification était sa vive préoccupation à l'égard de l'indépendance judiciaire. Cette question de principe était importante, particulièrement du fait que nous projetions, pour la première fois, de permettre à un juge de prendre un congé non rémunéré et de toucher une rémunération de l'extérieur. Le principe en jeu était si important que nous estimions ne pas pouvoir prendre de décision avant d'avoir consulté l'ordre judiciaire.

Quand on envisage la possibilité de consulter la magistrature qui, à certains égards, est une institution indépendante du gouvernement, il faut bien avoir un interlocuteur. Faut-il consulter les mille juges répartis un peu partout au pays ou le conseil de la magistrature? Nous avons opté pour le conseil.

Le sénateur Cools: Cette question a-t-elle été débattue à une réunion du conseil ou, quand vous dites l'avoir consulté, entendez-vous par là que vous en avez discuté avec le président?

M. Watt: À moins de faire erreur, je crois qu'il en a été question à une réunion du conseil. Certes, le président nous a répondu par écrit au nom du conseil de la magistrature. Deux fois l'an, le ministre est invité à prendre la parole brièvement aux réunions semi-annuelles du Conseil canadien de la magistrature. La dernière fois, en l'occurrence une semaine après avoir écrit la lettre, il en a parlé dans son discours.

Le sénateur Cools: Nous reviendrons au conseil de la magistrature dans un instant.

La présidente: De toute évidence, sénateur Cools, vous connaissez bien la loi s'appliquant au conseil de la magistrature, mais je ne suis pas sûre que les autres membres la connaissent aussi bien.

Le sénateur Cools: Je connais fort bien cette loi.

La présidente: Je précise, à l'intention des autres, que le conseil a pour objectif, entre autres, tel que prévu au paragraphe 60(1), de favoriser l'efficacité, l'uniformité et une meilleure qualité du service judiciaire dans les cours supérieures et à la Cour canadienne de l'impôt.

Le sénateur Cools: Cela n'a pas beaucoup de rapport avec ce dont nous parlons aujourd'hui.

M. Watt: Si je puis ajouter quelque chose, dans sa réponse, le président du Conseil canadien de la magistrature affirme avoir discuté de la lettre du ministre avec le comité exécutif et, par la suite, avec le conseil.

Le sénateur Cools: Par simple curiosité, j'aimerais savoir comment le conseil de la magistrature prend une telle décision? Y a-t-il un vote lors de l'assemblée générale des membres?

M. Watt: Je l'ignore.

Le sénateur Cools: On ignore la réponse à tant de ces questions.

La lettre est datée du 19 mars. Elle annonce essentiellement que la personne en question, Mme Arbour, a été nommée. Comment cette nomination s'est-elle faite? Elle n'est pas tombée du ciel. Qui a pressenti le ministère en vue de faire modifier la loi?

M. Watt: Madame la présidente, nul ne nous a demandé de changer la loi. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international nous a informés que les Nations Unies envisageaient peut-être de nommer le juge Arbour, puis il nous a informés du fait accompli. Nous avons dû décider s'il fallait modifier la loi. Nous avons conclu que c'était probablement le cas.

Le sénateur Cools: En d'autres mots, d'où est venue la requête à l'origine de cette initiative? Cela semble être un mystère. Vous laissez maintenant entendre que l'initiative a été prise par le ministre des Affaires étrangères.

Existe-t-il de la correspondance à ce sujet? Une demande a-t-elle été présentée par Mme Arbour au ministre des Affaires étrangères? Est-elle plutôt venue du secrétaire général Boutros Boutros-Ghali? Ces choses-là ne se font pas par hasard. Toute l'affaire est entourée de mystère. Le secrétaire général des Nations Unies a simplement jeté un coup d'oeil au Canada et a choisi Mme Arbour, sans processus de sélection, puis voilà que, subitement, mystérieusement, un projet de loi est déposé. Existe-t-il de la correspondance au sujet de ce dossier? Y a-t-il quelque chose que vous puissiez partager avec nous?

M. Watt: La seule chose, sénateur, est la résolution adoptée par les Nations Unies parce qu'il n'existe pas, que je sache, de correspondance entre le ministère des Affaires étrangères, notre ministère et Mme Arbour à cet égard. Que je sache, le choix de Mme Arbour a été le seul fait des Nations Unies. Je ne crois pas que le gouvernement du Canada y ait participé. Notre ambassadeur aux Nations Unies a peut-être été consulté; je n'en sais rien. Par contre, la nomination nous a été présentée comme une décision prise par les Nations Unies, et le gouvernement du Canada avait comme choix de la rendre possible ou non.

Le sénateur Cools: Les Nations Unies ne font certes pas des nominations...

La présidente: Sénateur Cools, rendez cette justice à M. Watt: je ne crois pas qu'il puisse parler au nom des Nations Unies.

Le sénateur Cools: Je n'ai jamais cru qu'il le pouvait. Toutefois, il laisse entendre que le ministre des Affaires étrangères a fait une demande auprès du ministère. Il s'agirait donc d'une initiative prise par un autre ministère.

La présidente: Je vous signale que les sénateurs conservateurs ont, en fait, demandé à M. Axworthy de comparaître. Nous lui avons lancé une invitation.

Le sénateur Cools: Parfait.

Le sénateur Lewis: Je suppose qu'il est possible que les Nations Unies aient envoyé des formulaires de demande.

Le sénateur Cools: C'est effectivement une possibilité. Si vous me permettez un peu d'ironie, M. Boutros-Ghali a peut-être lancé des offres un peu partout au pays, de nombreux juges y ont répondu et une seule a été choisie. C'est tout à fait possible dans ce milieu, mais je ne le crois pas.

J'aimerais connaître la raison pour laquelle le conseil de la magistrature a été consulté. Incontestablement, toutes ces personnes sont éminemment qualifiées. Avec votre permission, j'aimerais faire lecture officielle d'un communiqué émis par l'Agence canadienne de développement international, c'est-à-dire l'ACDI.

Je cherchais le nom du ministère. Auparavant, l'agence relevait du ministère des Affaires étrangères, mais je crois qu'elle relève maintenant d'un des nouveaux ministères, celui de la Coopération internationale.

La présidente: Je vous demanderais à nouveau, sénateur Cools, de ne pas poser à M. Watt des questions auxquelles il lui est impossible de répondre.

Le sénateur Cools: Le point à l'étude est la magistrature et la gestion d'un programme par le Bureau du Commissaire à la magistrature fédérale. J'en suis au point où je ne sais plus à qui poser les questions.

Quoi qu'il en soit, je fais allusion à un communiqué dont je ferai volontiers lecture officielle. Il est daté du 24 septembre 1996 et il s'intitule: «Le Canada appuie la réforme judiciaire en Ukraine». Il a été diffusé par le Bureau des relations avec les médias de l'ACDI. On y lit, entre autres:

Le programme, financé par l'Agence canadienne de développement international (ACDI), permettra de donner aux juges ukrainiens une formation...

Et voici la partie qui me préoccupe:

Le programme sera administré par le Bureau du Commissaire à la magistrature fédérale (CMF), qui coordonne la participation de la magistrature canadienne à la coopération internationale.

Le CMF obtiendra l'appui d'autres partenaires canadiens, tels que l'Institut national de la magistrature, l'Association des administrateurs judiciaires du Canada, le Conseil canadien de la magistrature et les cours suprêmes et procureurs de l'Alberta, du Manitoba et de l'Ontario, afin d'exécuter le projet.

La contribution de l'ACDI au projet s'élève à 2,1 millions de dollars sur trois ans...

M. Watt, il semble étrange que vous consultiez le Conseil de la magistrature à ce sujet particulier et que vous acquiesciez à sa requête, étant donné qu'il est déjà partie à une série de programmes financés par l'ACDI.

Le sénateur Nolin: Quelle est la date de ce communiqué?

Le sénateur Cools: Je vous ai fait lecture du communiqué parce que, habituellement, on n'accorde pas trop d'attention à ce genre de choses. Moi-même, je ne lis habituellement pas les communiqués de l'ACDI. J'ai pris connaissance de celui-là, il y a quelques jours seulement.

Le sénateur Nolin: Pouvons-nous en avoir un exemplaire?

La présidente: Je ferai en sorte qu'on vous en remette un.

Le sénateur Cools: Ce sont deux questions distinctes. Tout d'abord, nous apprenons que, le 29 février 1996, le Conseil de la sécurité des Nations Unies a nommé la juge Arbour. Puis, je lis ce communiqué de presse qui est sans rapport et dans lequel, je le répète, on parle de cette mesure législative comme si elle était un fait accompli.

Je suis curieuse, car le fait de consulter le conseil de la magistrature à ce moment-ci signifie que l'on s'adresse à un groupe de personnes qui a tout intérêt à pouvoir recevoir des fonds de l'ACDI à cet égard. Il est malheureux que le ministre ne soit pas ici. J'aurais bien aimé connaître la position du gouvernement du Canada.

M. Watt: Je vais essayer de répondre à cela. Je ne vois pas en quoi le Conseil canadien de la magistrature aurait tout intérêt à ce que le projet de loi à l'étude soit adopté du simple fait qu'il est mentionné dans un communiqué de l'ACDI.

Le sénateur Cools: Il faudrait peut-être vous rappeler la teneur du projet de loi. À l'article 5, soit au paragraphe 56.1(2) projeté, on peut lire:

En vue de permettre à un juge de participer aux travaux d'une organisation internationale d'États ou d'une de ses institutions, le gouverneur en conseil peut, à la demande de celui-ci et après consultation avec le président du Conseil par le ministre de la Justice du Canada, autoriser, au titre de l'alinéa 54(1)b), un congé non rémunéré.

L'article dit bien que c'est le président du conseil de la magistrature auquel le ministre de la Justice doit s'adresser à propos de ce congé.

M. Watt: Madame la présidente, nous savions que le Bureau du Commissaire à la magistrature fédérale avait conclu une entente avec l'ACDI en vue d'exécuter un projet de réforme judiciaire en Ukraine. Le projet comprend aussi de former les fonctionnaires de la cour, les administrateurs, et cetera. Dans la mesure où des juges canadiens agiront comme experts dans le cadre de ce projet, je serais extrêmement surpris, en fait, sidéré d'apprendre qu'un d'entre eux se soit rendu là-bas en congé non rémunéré en vertu de l'article que vient de nous citer le sénateur Cools.

À mon avis, le paragraphe 56.(1) projeté sera peut-être utile pour préciser que les juges canadiens peuvent, avec l'autorisation du gouvernement du Canada, participer à des programmes internationaux d'assistance technique comme celui qui est prévu en Ukraine et se faire rembourser leurs dépenses par un organisme international. Toutefois, je ne crois pas qu'un organisme international participe à ce projet particulier. De toute façon, ce serait le gouvernement du Canada qui paierait.

Dans la mesure où ils sont maintenant appelés à le faire, avec l'approbation de leur chef, par décret pris aux termes de l'actuelle loi en vigueur, la situation n'est pas claire. La nouvelle disposition pourrait l'éclaircir. Par contre, je ne crois vraiment pas que cette disposition confère au conseil de la magistrature un rôle important dans le projet à exécuter ou le projet de loi à l'étude.

Le sénateur Cools: Le passage dont je vous ai fait lecture est très clair: avant d'approuver le congé non rémunéré, il faut consulter le président du conseil de la magistrature.

Ainsi, on peut lire, au paragraphe 56.1(1) projeté:

Par dérogation à l'article 55, le juge peut, avec l'autorisation du gouvernement du Canada, participer...

Et ainsi de suite. Les témoins peuvent peut-être nous dire, tout d'abord, ce qu'on entend par «activités internationales» et «organisations internationales», puis par «gouvernement du Canada» dans ce projet de loi?

M. Watt: Je vais essayer. Commençons par l'expression peut-être la plus facile à définir, soit «programmes internationaux d'assistance technique». En règle générale, il s'agirait de programmes dans le cadre desquels on envoie des experts à l'étranger.

L'expression «activités internationales» est, je l'avoue, plutôt vague mais, lorsqu'on la conjugue au reste du paragraphe, je crois qu'on la comprend. L'«organisation internationale d'États» désigne les institutions ou les organes officiels auxquels souscrivent plusieurs pays, par exemple, les Nations Unies.

L'expression «gouvernement du Canada» inclurait assurément le gouverneur en conseil. Selon moi, elle comprendrait aussi les ministres d'État et, au sens de la Loi sur l'interprétation, les sous-ministres probablement. Je m'empresse d'ajouter, toutefois, que je doute que la plupart des sous-ministres osent donner l'autorisation du gouvernement du Canada sans d'abord consulter le ministre ou le Cabinet.

La seule exception éventuelle est le Commissaire à la magistrature fédérale qui est titulaire d'un poste spécial aux termes de la Partie I de la Loi sur les juges, en ce sens qu'il est expressément habilité à agir comme délégué du ministre aux fins de l'application de la Partie I, dont relève cette question.

Le sénateur Cools: Après avoir entendu ce que vous venez de dire, aurais-je raison de croire que l'expression «gouvernement du Canada» dans cet article du projet de loi désigne le Commissaire à la magistrature fédérale?

M. Watt: Elle le désignerait effectivement si le ministre de la Justice l'autorisait à le faire.

Le sénateur Cools: Vous venez de dire que le commissaire est un délégué du ministre.

M. Watt: Il est son délégué aux termes de l'article 74 de la Loi sur les juges.

Le sénateur Cools: Donc, selon l'interprétation que je fais de cet article, le Commissaire à la magistrature fédérale pourrait conférer le pouvoir sans être obligé de saisir le Cabinet ou le ministre de la question. Ai-je raison?

M. Watt: Ce serait possible si le ministre l'y avait d'abord autorisé.

Le sénateur Cools: M. Watt pourrait peut-être nous lire l'article de la Loi sur les juges qui confère au Commissaire à la magistrature fédérale des pouvoirs de sous-ministre.

M. Watt: J'ai le texte ici. Le paragraphe 74.(1) dispose que:

Le commissaire, sous l'autorité du ministre,

a) exerce, à titre de délégué du ministre, les attributions dévolues de droit à celui-ci pour l'application de la partie I.

De plus, l'alinéa 74.(1)d) prévoit que le commissaire:

d) accomplit les missions que le ministre lui confie, dans le cadre de sa compétence, pour la bonne administration de la justice au Canada.

Je ne suis pas certain que l'alinéa d) aurait une influence dans ce cas-ci, mais c'est possible.

Le sénateur Milne: Pour faire suite aux préoccupations du sénateur Cools au sujet du conseil de la magistrature, le conseil a-t-il commenté les affectations internationales des juges canadiens?

M. Watt: Je n'en suis pas sûr. Assurément, le juge en chef qui préside le conseil a bien fait comprendre -- je crois qu'il en a aussi discuté avec le président de l'ACDI -- que, dans la mesure où l'appareil judiciaire canadien peut être utile au Canada pour aider les démocraties en développement, il est disposé à l'y encourager et à l'aider à le faire.

Le sénateur Milne: Ont-ils fait des observations concernant l'effet que cela aurait sur l'indépendance judiciaire?

M. Watt: Je n'ai rien entendu à ce sujet, ce qui ne veut pas dire qu'ils n'ont pas fait d'observation. À mon avis, ils ne voient vraiment pas en quoi l'indépendance judiciaire serait affectée.

Le sénateur Milne: Ont-ils fait des observations au sujet du projet de loi à l'étude?

M. Watt: Oui. En mars, le ministre a écrit au conseil qui lui a répondu qu'après consultation du président, du comité exécutif et de ses membres, il souhaitait une modification générale plutôt qu'une modification particulière.

Le sénateur Pearson: Ma question a davantage trait à ma conception d'un tribunal de crimes de guerre. Le rôle du procureur en chef devant un tel tribunal n'est pas le même que celui que joue le procureur, dans notre système accusatoire. Il assume de lourdes responsabilités pour ce qui est de réunir la preuve et d'exécuter des tâches de nature plus générale. Il est difficile de comparer les deux rôles.

Le juge Goldstone, lorsqu'il a mieux fait connaître au monde la nature de ces crimes de guerre, a eu beaucoup d'impact. Je crois d'ailleurs qu'il prendra la parole ici, cet après-midi, s'il y en a que cela intéresse.

Pouvez-vous établir une distinction entre le rôle du procureur en droit canadien et celui du procureur d'un tribunal des crimes de guerre? Il y a toujours eu des juges, que je sache, à Nuremberg et ailleurs.

M. Watt: À Nuremberg, entre autres, c'était un juge britannique. Vous avez raison, sénateur, de dire que le rôle du procureur d'un tribunal de crimes de guerre -- il y en a deux, un pour le Rwanda et un pour la Yougoslavie, et la personne qui occupe ce poste est en charge des deux -- est beaucoup plus général que celui de notre procureur de la Couronne. Si j'ai bien compris, le procureur du tribunal des crimes de guerre est responsable de réunir toute la preuve, de décider s'il y a lieu d'entamer des poursuites, de faire en sorte que les criminels soient traduits devant la justice et d'essayer de convaincre les pays de les arrêter, ce qui est la grande source de problèmes actuellement.

Je ne crois pas que la juge Arbour aura à se présenter devant les tribunaux. J'en serais même étonné. Elle a à son emploi des gens pour le faire. Je m'aventurerais en terrain miné si je vous en disais davantage, car je ne connais pas exactement son rôle, en réalité.

Le sénateur Pearson: Je tenais simplement à préciser officiellement que le rôle est très différent, qu'il a une grande importance quand on pense aux horribles crimes qui ont été commis au Rwanda et en Bosnie, sans oublier ce qui se produira à long terme. La raison pour laquelle on a toujours demandé à des juges de faire ce genre de travail, c'est qu'on a besoin du discernement dont font habituellement preuve ceux qui ont ce genre d'expérience.

Étant donné les répercussions internationales, puisque nous travaillons actuellement à l'institution d'une cour internationale de justice pénale, cette expérience pourrait aussi avoir des répercussions sur l'avenir de nos juges. Il faut attendre la suite des événements.

M. Watt: Je sais que je ne suis pas obligé de répondre, mais si vous le permettez, j'aimerais préciser que je suis entièrement d'accord. L'une des raisons pour lesquelles les Nations Unies souhaitent confier ces rôles à des juges réside dans leur indépendance.

[Français]

Le sénateur Nolin: Si l'on peut sortir de l'histoire du juge Arbour, elle va se sentir mieux. Un juge qui veut participer à un colloque ailleurs qu'au Canada, est-ce qu'il peut le faire?

M.Watt: Oui, l'article 41 autorise une indemnité pour des frais de déplacement pour une conférence en général.

Le sénateur Nolin: N'importe où, même à l'extérieur du Canada?

M.Watt: Oui, avec certaines approbations.

Le sénateur Nolin: Je comprends. Un juge qui voudrait participer à des activités internationales, peut-il le faire maintenant?

M.Watt: Oui, le problème est le suivant: l'article 55 est à nos yeux qualifié par les articles 54, 56 et 57. L'article 54 concerne le pouvoir général de donner un congé. L'article 56 spécifie, par exemple, les commissions d'enquête, et l'article 57 autorise le paiement des frais des juges pour les activités nommées à l'article 56 et aussi des choses que le gouvernement demande au juge. On ne mentionne pas le mot « international ». On peut le lire comme s'il était là ou non. À notre avis, il est préférable de modifier la loi pour dire qu'il est permis au juge de le faire.

Le sénateur Nolin: J'ai élargi ma deuxième question pour couvrir les activités internationales, en utilisant la même phraséologie que vous utilisez dans le projet de loi. À votre connaissance, est-ce qu'il existe des cas où des juges ont, sous l'empire de la loi actuelle, entrepris des activités internationales?

M.Watt: Oui, il y a le cas du juge qui est allé à Hong Kong en 1989 pour travailler avec le gouvernement de Hong Kong sur la Constitution; à part ce cas, je ne sais pas. Il y a le juge Arbour qui est maintenant en Europe.

Le sénateur Nolin: Autrement dit, quant au juge Arbour, le gouvernement pourrait dire: nous avons respecté la Loi sur les juges et elle était conseillère au tribunal à La Haye. C'est une activité permise en vertu de l'article 57 de la Loi sur les juges. C'est le raisonnement du gouvernement du Canada?

M.Watt: Oui, nous avons adopté un autre décret le 1er octobre pour prolonger le congé.

Le sénateur Nolin: Si nous prenons l'article 56.1(1) et le comparons au deuxième paragraphe du même article -- je vous remercie d'avoir attiré mon attention là-dessus -- l'énumération des activités possibles en vertu du paragraphe 1, diffère de celle prévue au paragraphe 2. Pour le bénéfice de mes collègues, pouvez-vous expliquer le pourquoi de cette différence et attirer l'attention de tout le monde sur la nature de ces différences?

[Traduction]

M. Watt: Au paragraphe (1), nous avons prévu trois genres d'activités, selon moi: les activités internationales, les programmes internationaux d'assistance technique et la troisième catégorie, soit le travail d'une organisation internationale d'États ou d'une de ses institutions.

Le paragraphe (1) a une portée limitée. Il permet simplement à un juge dont la participation a été autorisée de recevoir une indemnisation du gouvernement du Canada ou d'une organisation internationale. Pour interpréter cette disposition, il faut tenir compte de celle qui concerne le congé non rémunéré, s'il est requis. En effet, comme l'a mentionné le ministre, le juge qui entreprend ce genre d'activité n'est pas toujours tenu de prendre congé.

Le paragraphe (2) ne porte que sur l'une des trois catégories, soit le travail auprès d'une organisation internationale d'États ou d'une de ses institutions.

Si le juge envisage de travailler pour quelqu'un ou de participer à une activité internationale et qu'il souhaite prendre un congé non rémunéré, la seule façon de le faire sera de travailler pour un organisme international ou pour une de ses institutions. Il ne s'agit pas d'une disposition générale permettant de prendre un congé non rémunéré pour n'importe quelle raison ou pour travailler pour une entreprise privée ou dans le cadre de programmes d'assistance technique.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je voulais m'assurer que mes collègues aient la même compréhension que moi. Sous l'empire de la loi actuelle, un juge peut, vous avez donné deux exemples, entreprendre des activités internationales, tout en continuant d'être rémunéré comme juge et tout en se faisant rembourser ses dépenses par le gouvernement du Canada. Cela est valable pour une activité internationale plus importante qu'un colloque. C'est votre interprétation de l'article 57.1. Si je lis l'article 56.1, et je cite:

Par dérogation à l'article 55, le juge peut, avec l'autorisation du gouvernement du Canada, participer à des activités internationales, ... il peut alors être indemnisé de ses frais de transport et des frais de séjour et autres frais raisonnables soit par le gouvernement du Canada, ...

Si on ne décrit pas ou si l'on ne circonscrit pas les mots «activités internationales», vous serez d'accord avec moi que cela est très large, c'est n'importe quoi en autant que c'est à l'extérieur du Canada.

M.Watt: Oui.

Le sénateur Nolin: Vous ne voyez pas là une possibilité de conflit d'intérêt, de bris de l'indépendance d'un juge? Si l'on pousse le raisonnement à l'extrême, le gouvernement du Canada pourrait décider qu'un juge, pendant cinq mois, va partir à l'étranger, payé par le gouvernement.

M.Watt: Oui.

Le sénateur Nolin: Si on ne circonscrit pas la définition de l'activité internationale.

M.Watt: C'est possible selon la loi qui existe.

Le sénateur Nolin: Il me semble, si je suis votre raisonnement, et je cite l'article 57.1:

Sauf les cas prévus au paragraphe 3...

Ce n'est pas ce que ce qui nous intéresse, ce sont les allocations de dépenses que certaines provinces allouent à leurs juges. Je vais vous laissez lire.

[Traduction]

C'est ce que vous dites. Relisez le paragraphe 57(1) et expliquez au comité comment le gouvernement du Canada peut maintenant rémunérer un juge qui participe à ces activités internationales.

M. Watt: Aux termes du paragraphe 57(1):

Sauf cas prévu au paragraphe (3), ne donne lieu à aucune rémunération ou indemnité l'exercice par un juge des fonctions -- soit visées au paragraphe 56(1),...

-- souvenez-vous qu'à ce moment-là, c'était surtout en rapport avec des commissions royales d'enquête --

... soit en qualité d'administrateur du Canada ou de suppléant du gouverneur général, soit ressortissant au pouvoir judiciaire ou exécutif -- qu'il est tenu de remplir pour le gouvernement du Canada ou d'une province ou en leur nom.

Le paragraphe (3), qui est l'exception prévue ici, dispose que les juges, dans les cas visés au paragraphe (1), peuvent toutefois être indemnisés de leurs frais de transport et de leurs frais de séjour et autres entraînés par l'accomplissement des fonctions hors de leur lieu ordinaire de résidence, à condition que l'indemnité soit versée par le gouvernement du Canada ou par celui de la province, selon le cas.

Il faut interpréter la fin du paragraphe 57(1) de façon plutôt générale. Il est dit que:

... soit ressortissant au pouvoir judiciaire ou exécutif -- qu'il est tenu de remplir pour le gouvernement du Canada ou d'une province ou en leur nom.

Le sénateur Nolin: Je souligne les deux mots «judiciaire» et «exécutif». C'est le genre de fonction sur lequel porte votre argument.

M. Watt: Oui.

Le sénateur Nolin: L'article 56.1 projeté a une portée plus vaste. Il ne limite pas les activités internationales. Tant qu'il s'agit d'activités internationales, le gouvernement du Canada peut verser une indemnité. Je ne veux pas avancer de chiffres ou de noms. Est-il possible qu'en voyant un juge toucher du gouvernement du Canada une indemnité pour les dépenses qu'il a engagées dans le cadre d'activités internationales, le Canadien moyen en conclut qu'il reçoit un don du gouvernement du Canada? Ce juge conservera-t-il son indépendance et son impartialité aux termes du paragraphe 11d) de la Charte des droits? C'est ma seule préoccupation.

M. Watt: C'est une grave préoccupation, sénateur. Je vous comprends. Je puis seulement dire que j'espère que le gouvernement saurait éviter de tels pièges, sous l'oeil attentif de l'appareil judiciaire et du grand public canadien.

Le sénateur Nolin: Vous soutenez que le paragraphe 57(1) permet déjà de telles situations pour des raisons relevant du pouvoir judiciaire ou exécutif. Vous souhaitez maintenant y substituer un nouveau libellé beaucoup plus général. Quelles fonctions peut assumer un juge, si ce n'est des fonctions judiciaires ou exécutives? Ce sont les mots employés dans la loi. Pourquoi souhaitez-vous avoir une plus grande marge de manoeuvre?

M. Watt: Il existe deux raisons fondamentales. D'une part, nous souhaitons bien faire comprendre que les juges peuvent participer à des activités internationales, sans trop préciser ce qu'elles sont. D'autre part, nous voulons régler la question d'ordre beaucoup plus technique des frais engagés au service d'une organisation internationale d'États.

Sénateur, il faut voir cette disposition comme un tout et comprendre que l'expression «activités internationales» serait interprétée dans un sens plus restreint que, par exemple, travailler pour le compte d'une société minière de Johannesburg.

Le sénateur Nolin: Je ne fais pas allusion à IBM. Ce n'est pas du tout ce que je dis. Je parle en termes très généraux.

La présidente: Sénateur Nolin, la réunion touche à sa fin.

Honorables sénateurs, je serai absente du 4 au 16 octobre. J'aimerais donc que l'on propose que le sénateur Lewis me remplace dans le fauteuil de la présidence et que le sénateur Pearson soit membre du comité directeur pour la durée de mon absence.

Le sénateur Milne: Je fais une proposition à cet effet, madame la présidente.

La présidente: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: Adoptée.

La séance est levée.


Haut de page