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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 31 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 24 octobre 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel est renvoyé le projet de loi S-3, Loi modifiant le Code criminel (accord sur le chef d'accusation), se réunit aujourd'hui à 10 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi S-3, Loi modifiant le Code criminel (accord sur le chef d'accusation).

J'ai le plaisir d'accueillir à notre séance M. Yvan Roy et M. Fred Bobiasz, de la Section de la politique du droit pénal du ministère de la Justice. Ces deux témoins ont déjà comparu devant notre comité et nous serons heureux d'entendre leurs observations sur le projet de loi S-3.

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles reconnaît bien sûr qu'il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire et non d'un projet de loi émanant du gouvernement, et que vous agissez à titre de fonctionnaires et de conseillers juridiques du gouvernement. Par conséquent, vous êtes soumis à certaines contraintes en ce qui concerne les observations que vous pourriez faire au sujet d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Tout en étant conscients de ce fait, nous serons heureux de prendre connaissance de l'information que vous pouvez nous donner au sujet de ce projet de loi.

M. Yvan Roy, avocat-général, Section de la politique du droit pénal, Secteur de la politique pénale et sociale, ministère de la Justice: C'est un plaisir pour M. Bobiasz et moi-même que d'être parmi vous ce matin. On nous a demandé d'éclairer le comité au sujet du projet de loi S-3. Nous avons pensé qu'il ne serait pas pertinent de faire une déclaration liminaire. Nous allons plutôt écouter vos questions et, M. Bobiasz et moi-même, ferons de notre mieux pour y répondre de manière que vous compreniez mieux les buts du projet de loi S-3, ainsi que les problèmes et embûches qui s'y rattachent.

La présidente: La plupart des projets de loi dont je me suis occupé étaient de nature provinciale plutôt que fédérale.

Les lois manitobaines sont toujours rédigées d'une manière particulière en ce qui a trait à la rétroactivité. La question de savoir si ce projet de loi renferme des dispositions de rétroactivité a été soulevée dès le premier jour des débats. Je ne pensais pas que le projet de loi S-3 était rétroactif, contrairement à madame le sénateur Cools.

Au Manitoba, si un projet de loi renferme une disposition de rétroactivité, ce fait est toujours clairement énoncé. Est-ce clairement indiqué dans les projets de loi fédéraux? Pouvez-vous m'éclairer à ce sujet?

M. Roy: Madame la présidente, vous savez autant que moi que les avocats ont toujours un avis différent sur quelque question que ce soit. Au sujet de cette question particulière, je suis sûr qu'ils s'entendraient pour dire que si un projet de loi renferme des dispositions de rétroactivité, les principes de la common law sont fort clairs: le projet de loi doit renfermer un article l'indiquant.

La question qui se pose est de savoir si le projet de loi est censé être rétroactif ou non. Je crois que dans ce cas précis, on pourrait débattre de la question et se demander si ce projet de loi est censé être rétroactif. Je vais essayer d'expliquer les distinctions que l'on peut faire à cet égard.

En général, lorsque les avocats parlent de rétroactivité, ils veulent dire que la loi en question sera applicable à des situations qui se sont produites dans le passé. On pourrait avancer dans ce cas particulier que c'est ce résultat que ce projet de loi vise à atteindre.

Ce projet de loi semble vouloir donner à l'État le pouvoir d'agir à l'égard d'une condamnation qui a déjà été prononcée et qui est toujours en vigueur. Dans cette mesure, on pourrait avancer qu'il n'est pas rétroactif, mais plutôt qu'il a un impact sur les droits acquis. C'est une distinction qu'il faut établir.

Je sais que ce comité a sans doute débattu de l'affaire Karla Homolka. Sa condamnation a été prononcée il y a deux ans, mais elle est toujours «condamnée»; si ce projet de loi était adopté aujourd'hui, l'impact qu'il aurait sur cette condamnation se ferait sentir à partir du moment où il aurait force de loi. Il n'est pas, au sens propre du terme, rétroactif, puisqu'il ne ramène pas nécessairement à la condamnation initiale, mais il a certainement un impact sur les droits acquis de cette personne à l'égard de la condamnation qui a été prononcée à son endroit.

Selon moi, il faut en fait se demander si ce projet de loi est constitutionnel en fonction du paragraphe 11(h) de la Charte des droits et libertés. L'article 11 stipule ce qui suit:

Tout inculpé a le droit:

h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;

En d'autres termes, dans le cas de Karla Homolka, ou dans celui d'autres personnes qui ont déjà été inculpées, nous parlons de rouvrir l'instruction et, d'après le paragraphe 11(h), je suggérerais que cela pourrait poser un problème important en regard de la Charte. Certainement, ce problème traite de ce qui peut se faire rétrospectivement, mais aussi probablement de ce qui peut se faire pour l'avenir. Je veux dire par là que de futures affaires pourront être soumises à ce système une fois ce projet de loi adopté, si jamais il l'est.

La situation n'est pas aussi nette que je le souhaiterais. Si l'on se fonde sur le paragraphe 11(h), un problème important se pose. Je ne sais pas s'il serait possible de régler ce problème compte tenu des restrictions du paragraphe 11(h). Je crains que par la suite, on ne dise qu'il est possible de limiter le droit prévu en vertu du paragraphe 11(h), compte tenu de l'article 1 de la Charte des droits et libertés; cela risque d'être un travail très décourageant.

[Français]

Le sénateur Nolin: Merci, madame la présidente. M. Roy, afin d'éclairer les délibérations du comité, lorsque des discussions ont lieu entre différents procureurs afin d'en arriver à une entente, et qu'après le fait on découvre que des faits ont été cachés, soit par l'un ou par l'autre, afin de modifier la négociation de cette entente, quels sont les recours déjà prévus dans notre système de droit pour contrecarrer ce type de situation?

M. Roy: Je pense que pour répondre adéquatement à votre question, il serait peut-être utile de faire un pas en arrière, de manière à pouvoir répondre plus directement à votre question. Je ne veux pas faire un long préambule, mais je pense que ce serait utile de bien situer le problème.

Lorsque l'on parle d'une discussion au sujet d'un plaidoyer possible, ce que vous avez dans un premier temps, c'est l'état, qui a décidé de porter des accusations contre quelqu'un. L'état se fait fort, lorsqu'il porte ces accusations, de démontrer hors de tout doute raisonable la culpabilité de cette personne.

L'accusé n'a jamais à dire quoi que ce soit à l'état; il n'a jamais à participer à l'enquête; il n'a jamais à s'incriminer, d'une manière ou d'une autre. L'accusé -- la personne qui est suspectée -- peut fort bien s'asseoir et dire : je n'ai rien à vous dire, monsieur le procureur ou madame la procureur. Faites votre preuve.

Il s'avère que l'état aura besoin de l'assistance de personnes pour en poursuivre d'autres. Il s'avère aussi que l'état pourra vouloir signer une entente avec la partie accusée, parce que cette partie va retirer quelque chose d'une entente. Le quelque chose étant possiblement une sentence moins sévère. L'état y trouvera son compte parce que dans les circonstances, la preuve n'est pas nécessairement -- dirons-nous dans notre langage -- «bardée». Par exemple, il y aura des victimes qui voudront difficilement témoigner; ou il n'est pas dans l'intérêt public d'avoir nécessairement un procès relativement à cette affaire. Et il va, à ce moment-là, y avoir des discussions qui vont être commencées entre la Couronne et, habituellement, l'avocat de la défense.

Celà m'amène à parler de votre question. Ces discussions, généralement, se font sur la base qu'aucune admission n'est faite par quiconque. La Couronne et l'avocat de la défense finissent le plus souvent par s'entendre sur ce que la Couronne pense être en mesure de démontrer. La défense n'a aucune obligation de faire quelque divulgation que ce soit. Entendons-nous bien là-dessus: l'obligation pour la défense de divulguer des choses à la Couronne n'existe pas.

Donc, la Couronne connaît sa preuve; la Couronne connaît les faits qu'elle a à sa disposition pour démontrer la culpabilité de cette personne. La personne, en retour, n'a pas à transiger ou n'a pas à donner d'information. Alors, vous vous retrouvez dans une situation où la Couronne, d'une part, a cette preuve; la défense n'a pas à l'aider. L'on cherche à en venir à une entente qui va satisfaire tout le monde.

Il me semble que le projet de loi qui est présenté, procède d'une fausse prémisse; prémisse qui est de dire qu'il y aurait une obligation pour la défense de faire une divulgation à la Couronne. La Couronne part avec la preuve qu'elle a. Si la Couronne est prête à négocier avec l'accusé, c'est qu'elle a des bonnes raisons pour le faire.

Le sénateur Nolin:Et en plus, il n'y a rien d'écrit.

M. Roy: Et en plus, il n'y a rien d'écrit. Or, lorsqu'en bout de ligne, il y a une entente, elle se fait sur la base de ce que la Couronne pense être en mesure de démontrer. Comme je vous le disais, s'il n'y avait pas d'entente, ce serait à la Couronne à se présenter devant le tribunal et à faire sa preuve, alors que l'accusé peut rester assis et ne rien dire, ne rien faire, ne pas donner quelque coopération que ce soit.

Or, ce avec quoi l'on se retrouve en bout de ligne, c'est une entente qui satisfait tout le monde, puisque la Couronne n'a pas plus que ce qu'elle a à offrir, à ce moment-là. Revenons au cas Homolka, puisque c'est celui qui génère beaucoup d'activité autour de ce projet de loi. La Couronne, dans cette affaire, n'avait pas nécessairement la preuve voulue pour obtenir une condamnation contre l'autre individu, Paul Bernardo. Dans les circonstances, la Couronne a signé une entente avec la défense, aux fins justement, d'obtenir cette preuve essentielle pour obtenir une condamnation dans l'autre cas.

Mme Homolka n'avait aucune obligation d'en discuter avec la Couronne -- ni d'Ève, ni d'Adam -- et, la situation qui aurait pu se présenter, c'est que la Couronne aurait pu décider de procéder contre cette personne pour meurtre, pour homicide involontaire, ou pour d'autres infractions. La personne aurait pu s'asseoir et dire: maintenant, faites votre preuve Ce n'est pas sûr que la Couronne aurait pu obtenir une condamnation. Et rappelons-nous que la Couronne, lorsqu'elle porte son accusation, des délais commencent à courir contre elle. La Couronne ne peut pas attendre indéfiniment pour poursuivre cette affaire.

Et n'ayez crainte, j'arrive à votre question. Si dans le cas dont on parle, ou dans d'autres cas, la Couronne avait procédé et avait obtenu contre Mme Homolka une condamnation pour homicide involontaire, ce qui était tout à fait possible, il est fort possible que le résultat n'aurait pas été différent de ce que nous avons eu en l'espèce.

Et est-ce que l'on dirait que dans ces circonstances, il faudrait pouvoir réouvrir la condamnation obtenue à la suite d'un long procès, pour maintenant présenter d'autres preuves, parce que l'on en saurait maintenant davantage sur son degré de culpabilité? La réponse de tout le monde, serait de dire Évidemment, non Pourquoi? Parce qu'une condamnation est une condamnation est une condamnation.

Or, ce que moi je vous présente, c'est qu'à la suite d'un plaidoyer de culpabilité, suite à des négociations qui ont eu lieu, ce que vous avez, c'est une condamnation qui est une condamnation qui est une condamnation. "A conviction is a conviction is a conviction is a conviction". Et si vous ne pouvez pas rouvrir cette condamnation, parce que l'individu a été trouvé coupable à la suite d'un procès où le jury a rendu sa décision, les principes de droit sont tels que vous ne pouvez pas réouvrir cette condamnation au motif qu'il y a maintenant de nouveaux faits que nous voudrions présenter.

Pour prendre un autre exemple, mais dans un autre pays, si aux Etats-Unis on découvrait de nouvelles preuves relativement à l'affaire O.J. Simpson, on ne pourrait pas rouvrir l'accusation contre lui, en disant: cet individu, nous avons maintenant de nouvelles preuves qui nous permettraient de croire que l'on peut démontrer sa culpabilité, s'il est coupable du crime dont it a été accusé, et il a été acquitté.

C'est la même situation ici. Qu'est-ce qui peut être fait par rapport à une sentence suite à une condamnation? Vous pouvez porter l'affaire devant la Cour d'appel pour en appeler de la sentence, au motif qu'elle n'est pas conforme à la gravité objective et subjective du crime pour lequel la personne a été trouvée coupable.

Il y a une personne, dont le nom apparaît dans les transcriptions que j'ai lues de vos délibérations, qui a proposé que cela pourrait être une possibilité dans ce cas-ci: le professeur Young, de Osgoode Hall. Et le professeur Young a raison, à mon avis.

La loi est ainsi faite, qu'il est possible de porter une affaire en appel pour la sentence qui a été imposée; sur le crime pour lequel la personne a été trouvée coupable cependant. Je ne porterai pas l'affaire en appel sur sentence en disant : la personne doit être condamnée pour un meurtre au premier degré. La personne a été trouvée coupable d'homicide involontaire, et cela s'arrête là.

Cependant -- pour vous donner une réponse complète, il faut aussi dire que la période pour en appeler d'une sentence est limitée, et que si l'on veut passer outre à cette période limitée, cette période étant de 30 jours, il faut obtenir la permission de la Cour d'appel.

Et il n'est pas dit que dans le cas dont on parle, ou dans d'autres cas, la Cour d'appel voudra accorder sa permission, parce que l'on a aussi dans notre système de droit, le principe de la finalité qui veut qu'à un moment donné, il faut que les choses se terminent. Peut-être que la Cour d'appel, dans un cas donné -- et c'est du cas par cas -- pourrait accorder sa permission, et dans d'autres cas, ne voudrait pas accorder sa permission. Mais c'est le mécanisme, dans le droit actuel, qui pourrait être utilisé.

Le sénateur Nolin: Si une des parties à la discussion agit de mauvaise foi, et si c'est le procureur de la Couronne qui agit ainsi, qui n'agit pas dans l'intérêt public, à l'extérieur de son mandat, qu'est-ce qui peut arriver? Qu'est-ce que le Code criminel nous offre comme outil pour corriger un tel agissement de la part du procureur?

M. Roy: Le Code criminel ne vous aidera pas dans ce cas-ci. On parle d'un procureur de la Couronne qui agirait à l'extérieur de son mandat?

Le sénateur Nolin: Autrement dit, il donne son accord à une sentence réduite, alors qu'il sait fort bien qu'il aurait pu en chercher une plus grosse, mais que pour toutes sortes de raisons que j'ignore et qui pourraient être démontrées validement, on en arrive à la conclusion que ce procureur n'a pas fait son travail.

M. Roy: Je pense que tous les procureurs généraux au pays ont donné par écrit des directives aux procureurs de la Couronne, qu'ils soient des gens employés, et donc à salaire, ou qu'ils agissent sur mandat occasionnellement; quant à ce qui peut et ne peut pas être fait en matière de négociations de plaidoyers.

Et c'est un cadre qui est, je dirais, relativement serré. Au fédéral, on en a. C'est d'ailleurs un document disponible, et si le comité était intéressé, je pourrais vous en faire parvenir une copie. Il y a donc un cadre assez rigide. Mais à l'intérieur du cadre, évidemment il faut donner -- pour que le système puisse fonctionner -- une certaine discrétion aux procureurs.

Le procureur qui irait à l'extérieur de ce cadre sera sanctionné par le procureur général, puisqu'il sera à l'extérieur des directives qui lui ont été données. Cela pourrait aller -- j'en suis convaincu, dans des cas extrêmes -- jusqu'à se départir des services de cette personne. Mais le Code criminel ne prévoirait pas de remède, parce que la théorie, tout au moins, veut que le procureur de la Couronne lorsqu'il agit dans une cour de justice, il agit au nom du procureur général.

Le système de justice fonctionne sur l'importance que nous mettons -- et je le dirai en anglais: the word of the Crown prosecutor is his or her bond", et on engage en cela le procureur général. S'il fallait par la suite revenir sur l'entente qui a été signée, je pense que les tribunaux hésiteraient relativement peu à ordonner un arrêt des procédures, en considérant qu'il s'agit d'un abus de procédures.

C'est-à-dire que lorsque le procureur de la Couronne va en cour, il engage le procureur général, et c'est tout de dont la cour est saisie à ce moment-là. Si ce procureur de la Couronne a agi de façon incorrecte, il sera sanctionné par le procureur général. Mais la loi se satisfait que lorsque cela se passe en cour, les choses sont faites de façon formelle et à ce moment, l'honneur -- et c'est le mot que je cherchais -- l'honneur de la Couronne, l'honneur du procureur général est engagé. La plupart des gens, je pense, vont vous dire que dans ces circonstances, il faut s'en tenir à l'entente conclue. De toute manière, je vous dirai qu'arrivé à ce stade, la condamnation a été enregistrée.Vous vous retrouveriez donc avec un argument sous l'article 11h) si jamais vous vouliez passer outre à cette condamnation.

Cela me permet de revenir sur le point que je tentais de faire plus tôt. Si par ailleurs, on s'aperçoit qu'il y a une disparité entre ce qui se passe ailleurs, la Couronne pourrait toujours porter l'affaire en appel à l'intérieur des 30 jours en disant: il y a quelque chose d'incorrect ici. Je pense que les tribunaux supérieurs seraient réceptifs à cela.

D'ailleurs, il y a en particulier le rapport du juge Martin qui a été fait sur cette question, en 1990, qui le prévoit spécifiquement. Pour vos collègues autour de la table qui ne sont pas familiers avec le juge Martin, il s'agit probablement de l'avocat en matière de droit criminel le plus fameux et le plus connaissant au Canada. Ses opinions ont un poids considérable.

[Traduction]

Le sénateur Lewis: Madame la présidente, le projet de loi porte sur un accord sur le chef d'accusation et un mémoire conjoint. Je pense qu'il est bien reconnu que le poursuivant et l'avocat de la défense peuvent présenter un mémoire conjoint à un tribunal. Est-ce qu'il existe dans le Code criminel une procédure appelée «accord sur le chef d'accusation»?

M. Roy: Monsieur le sénateur, il n'y a rien de tel dans le Code criminel. Le code prévoit le cas de celui qui veut plaider coupable. À ce moment-là, c'est aux deux parties de présenter leur mémoire. Il peut s'agit d'un mémoire conjoint, comme vous l'avez souligné, mais c'est au juge de décider s'il l'accepte ou non. Il est arrivé dans le passé qu'un juge n'ait pas accepté le mémoire conjoint et qu'il ait infligé une peine qui était peut-être plus lourde ou plus légère. Dans la plupart des cas, elle était plus lourde.

Le sénateur Lewis: J'imagine que le mémoire pourrait suggérer non pas une durée précise, mais un laps de temps, par exemple.

M. Roy: C'est exact.

Le sénateur Lewis: Il pourrait indiquer qu'une peine de deux à quatre ans pourrait être acceptable.

Je vois que l'article 1 qui modifie l'alinéa 606.1(1)a) parle de l'accusé ou du défendeur dans le cadre de l'accord sur le chef d'accusation. À la fin, se trouve une définition de «accord sur le chef d'accusation». Il s'agit d'un accord. Ce n'est pas un concept reconnu dans notre régime de droit pénal.

Vous avez dit il y a un instant que le juge ou le tribunal a un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la peine à infliger. Si ce projet de loi était adopté, il ferait disparaître ce pouvoir discrétionnaire. S'il y a accord sur le chef d'accusation, le juge, apparemment, serait tenu de l'accepter. Je ne vois pas comment cela serait possible. Le pouvoir discrétionnaire du tribunal devrait être maintenu.

Cet article stipule que lorsqu'il y a un mémoire conjoint et que le tribunal accepte le plaidoyer de culpabilité, le tribunal rend alors un jugement conforme au mémoire conjoint. Cela semble presque lier les mains du tribunal. Je crois que le pouvoir discrétionnaire du tribunal devrait être constamment maintenu.

M. Roy: Il se peut que la façon dont cet article est rédigé donne l'impression que le juge est tenu d'accepter le mémoire conjoint présenté par l'avocat. Toutefois, d'après mon interprétation de l'article, tel qu'il est rédigé, ce n'est pas le cas. Je pense qu'il faut le comprendre. D'après mon interprétation de l'article, cela fait toujours partie du régime général de justice pénale. Il faut comprendre que le processus de détermination de la peine relève du juge d'instance.

Le sénateur Lewis: Et de personne d'autre?

M. Roy: De personne d'autre. Il ou elle peut ne pas être d'accord, et cela ne poserait absolument aucun problème.

Cette disposition semble supposer que les juges suivront les recommandations du mémoire conjoint. Toutefois, je ne crois pas que cela soit dit expressément de quelque façon que ce soit. Si cette hypothèse est juste, peut-être faudrait-il remédier à la situation, si ce projet de loi doit aller plus loin. Toutefois, ce n'est pas ainsi que j'interprète cet article.

D'après moi, le rédacteur veut dire qu'il est entendu que c'est au juge d'instance de prendre cette décision. Toutefois, cet article semble indiquer que, lorsque le juge d'instance accepte le mémoire conjoint, il devrait être possible de réexaminer à un moment donné la condamnation qui a été prononcée.

Le sénateur Lewis: Cela sous-entend que le tribunal devrait déclarer: «Conformément au mémoire, j'inflige une peine.» Si le tribunal ne le fait pas, ce n'est alors pas nécessairement conforme au mémoire conjoint, et ces dispositions ne s'appliqueraient pas.

Si elles s'appliquaient, un poursuivant qui présenterait une demande après le prononcé de la sentence devrait démontrer au tribunal que le juge a infligé la peine conformément au mémoire conjoint. Il faudrait prouver que c'est ainsi que le juge a exercé son pouvoir discrétionnaire.

M. Roy: En haut de la deuxième page du projet de loi, on peut lire:

[...] et rendu un jugement conforme au mémoire [...]

Cela semble être une condition préalable, à savoir que le juge accepte le mémoire conjoint pour que ce nouveau mécanisme s'applique.

Supposons un cas particulier où le juge dirait: «Bien que votre mémoire conjoint suggère dix ans, je crois qu'il faudrait en prévoir cinq.» D'après mon interprétation, il semble que le mécanisme dont nous débattons ne peut être utilisé pour réexaminer cette condamnation plus tard. Cela peut être un peu irrégulier. Si c'est ce que vous voulez dire, je partage votre inquiétude.

Le sénateur Lewis: L'alinéa 606.1(1)a) indique: «dans le cadre de l'accord sur le chef d'accusation». Cela semble supposer qu'il y aurait un accord -- je ne sais pas s'il serait par écrit ou non -- et qu'il serait présenté au juge. Ce qui m'inquiète c'est que je ne vois pas comment cet accord sur le chef d'accusation pourrait avoir force obligatoire sur le tribunal. Selon la règle générale, c'est toujours laissé au pouvoir discrétionnaire du juge. Le juge peut penser que le mémoire, comme vous le dites, est raisonnable, mais le pouvoir discrétionnaire existe toujours. Cela semble laisser entendre que s'il n'y a pas eu de soi-disant «accord sur le chef d'accusation» -- et je dis «soi-disant», car ce n'est pas reconnu du tout -- il s'agit alors d'un accord qui semblerait avoir force obligatoire.

M. Roy: D'après mon interprétation, le juge n'est pas tenu de souscrire à l'accord conclu entre les parties. Toutefois, vous avez peut-être raison. Je sais que mon collègue, M. Bobiasz, voudrait maintenant prendre la parole.

M. Fred Bobiasz, conseiller juridique, Section de la politique du droit pénal, Secteur de la politique pénale et sociale, ministère de la Justice: Madame la présidente, d'après ce que je comprends, l'accord sur le chef d'accusation est un accord entre l'accusé et le poursuivant. Ce n'est pas un accord auquel participe le juge. Bien sûr, les écrits et la jurisprudence au sujet de l'accord sur le chef d'accusation, lequel fait partie de notre système, ne manquent pas. Bien qu'aucun consensus ne se dégage à propos de tous les aspects de la question, une chose est claire et revient constamment dans tout débat sur l'accord sur le chef d'accusation, à savoir que le juge ne devrait pas participer à l'accord sur le chef d'accusation, pour justement la raison que vous évoquez. Le juge a la responsabilité d'infliger la peine qui s'impose: il s'agit d'un principe fondamental de notre système. L'accord doit être interprété comme un accord entre, d'une part, l'accusé et, d'autre part, le poursuivant.

Je conviens avec vous que, tel que cet article est rédigé, il y a ambiguïté, non pas tant dans la loi, mais dans la réalité, lorsqu'un juge rend un jugement conforme à un mémoire conjoint, le mémoire conjoint étant conforme à l'accord sur le chef d'accusation. Le juge peut même ignorer que c'est le résultat d'un accord sur le chef d'accusation. Dans de nombreux cas, ce sont des plaidoyers de culpabilité. Dans de nombreux cas, les mémoires n'ont rien à voir avec un accord sur le chef d'accusation. La plupart des cas dont nous traitons s'accompagnent d'un plaidoyer de culpabilité. Bien que plusieurs découlent de négociations entre les parties, ce n'est pas le cas pour beaucoup. Les mémoires sont rédigés en fonction des faits perçus de l'affaire.

Dans de nombreux cas, le juge infligera probablement la peine qui aurait été infligée s'il n'y avait pas eu de mémoire conjoint. Dans ce cas, je pense qu'il y aura ambiguïté et qu'elle causera pas mal de difficultés en ce qui a trait à l'administration de la justice; on ne saura pas si cette disposition particulière doit s'appliquer ou non, parce qu'il faudrait, comme condition préalable, qu'elle vise le jugement rendu conformément au mémoire conjoint. Le juge pourrait fort bien penser que le jugement est rendu en application des principes pertinents de détermination de la peine. C'est simplement le genre de problème qui pourrait se poser en matière d'administration de la justice, si cette disposition était promulguée.

Le sénateur Cools: J'ai beaucoup de questions, mais je ne peux pas toutes vous les poser aujourd'hui. J'avais espéré que vous répondriez à certaines des préoccupations dont j'ai fait mention au cours de mes divers exposés et allocutions. J'aurais été heureuse que le ministère y réponde point par point.

Ceci étant dit, j'aimerais vous poser trois questions rapides. Vous avez dit que le poursuivant a, ou doit avoir, un certain pouvoir discrétionnaire. Cela me rappelle la phrase: «unanimité substantielle». Quelle est l'importance de ce pouvoir discrétionnaire? Pouvez-vous nous indiquer les limites juridiques et constitutionnelles imposées à ce pouvoir discrétionnaire?

On nous dit que les accords de règlement, accords sur le chef d'accusation, ou accords portant tout autre nom, sont monnaie courante dans l'administration de la justice pénale d'aujourd'hui. Si tel est le cas, pourquoi les lois et le Code criminel ne font-ils pas mention de l'accord sur le chef d'accusation? Cette question se rajoute à celle du sénateur Lewis.

Ma dernière question porte sur le fait qu'actuellement il n'est pas exigé -- et Peter Russell a écrit là-dessus -- que les juges dénichent les circonstances des accords sur le chef d'accusation juste au cas où, comme dans l'affaire Homolka, une partie aurait plus à offrir que l'autre. Où, en droit, exige-t-on que les juges examinent ces accords de règlement d'un oeil critique et impartial? Si les juges ont le pouvoir discrétionnaire d'examiner tout ce dont ils sont saisis et ne le font pas, j'aimerais que vous me disiez comment ils peuvent le faire. Si on pouvait me garantir que les juges examinent d'un oeil critique et impartial bon nombre de ces situations, je serais heureuse de retirer le projet de loi.

M. Roy: Je vais peut-être commencer par la troisième question.

J'ai exercé dans les tribunaux correctionnels pendant plusieurs années. Avec des avocats de la défense, j'ai participé à des débats de même nature que celui-ci, car j'étais procureur de la Couronne. Il est arrivé plus d'une fois que les juges posent à moi-même et à l'avocat de la défense des questions précises sur la manière dont nous étions parvenus à un accord particulier. Dans certains cas, ils décidaient de ne pas se conformer au mémoire conjoint que nous avions présenté.

Pourquoi? Il est reconnu en droit canadien que ce n'est pas au poursuivant ni à l'avocat de la défense de décider de la peine à infliger; c'est au juge de prendre cette décision. Les juges en sont très conscients et je dirais qu'ils veulent même jalousement conserver ce rôle.

Quand le gouvernement a déposé sa réforme en matière de détermination de la peine qui s'est transformée en projet de loi C-41, vous vous souviendrez que nous en avions discuté. Le projet de loi est devenu depuis lors le chapitre 22 des lois de 1995. Les juges, lorsqu'ils ont été consultés, ont demandé qu'on ne touche pas à leur pouvoir discrétionnaire en matière d'imposition de peine. Par conséquent, les juges posent des questions et ils estiment qu'il est de leur devoir de faire exactement ce que vous leur demandez de faire, soit d'imposer la peine qui convient aux circonstances.

Pour en revenir à votre première question au sujet du pouvoir discrétionnaire, à savoir si c'est une bonne chose ou non, nos tribunaux en ont reconnu le bien-fondé, et il fait partie maintenant du common law. À mon humble avis, la réponse est un oui enthousiaste. À cet égard, je m'appuie sur ce qu'a déclaré la Cour suprême du Canada dans l'affaire Power; les neuf juges ont rédigé le meilleur arrêt qu'il m'ait été donné de lire sur la nécessité, pour assurer la bonne marche du système, de laisser le pouvoir discrétionnaire entre les mains de praticiens compétents qui ont de l'expérience et qui savent ce qu'ils font. Il faut que les tribunaux aient droit de regard sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire. La Cour a été inflexible: ce sont les tribunaux qui doivent trancher, ce qui nous ramène à la dernière question que vous avez posée et à laquelle j'ai répondu en premier. Les tribunaux continueront d'exercer un pouvoir discrétionnaire à l'égard de la détermination de la peine parce qu'il faut superviser ce dont sont convenus des avocats compétents qui connaissent bien le domaine.

Enfin, vous m'avez demandé pourquoi l'accord sur le chef d'accusation n'a pas été codifié.

Le sénateur Cools: Vous sautez quelques-unes de mes questions. Je vous ai interrogé au sujet des limites. Je ne mettais pas en doute le bien-fondé du pouvoir discrétionnaire; je vous interrogeais plutôt au sujet de ses limites, constitutionnelles et juridiques. Je suis consciente que vous ne pouvez peut-être pas répondre directement à mes questions. Je ne me demande pas tant pourquoi il n'a pas été codifié que pourquoi la loi ne reconnaît pas un phénomène qui, me dit-on, est si répandu.

M. Roy: Le droit s'appuie sur de nombreuses sources. Le Code criminel en est une parmi tant d'autres. Ainsi, en règle générale, il existe ce que nous appelons le common law qui est un amalgame de ce que les théoriciens ont rédigé, de ce qu'ont dit et déclaré des auteurs érudits et, fait plus important encore, de ce qu'ont décidé les tribunaux.

En ce qui concerne l'accord sur le chef d'accusation, on a beaucoup écrit à ce sujet. Ainsi, la Commission de réforme du droit a produit un important document d'étude en 1975 et un autre, 14 ans plus tard. Vous avez mentionné quelques-unes de ces sources. Le rapport Martin en traite, et le juge Galligan y fait allusion dans son examen de l'affaire Homolka. Il a aussi mentionné une foule d'autres documents faisant autorité en la matière.

Il ne serait probablement pas tout à fait exact de dire que les lois sont muettes à ce sujet. Il est vrai que le code ne contient par l'expression «accord sur le chef d'accusation» et qu'il n'en codifie pas la pratique. Par contre, les cours d'appel ont beaucoup écrit au sujet de la pratique. Entre autres choses, elles soutiennent que c'est au juge de rendre la décision quant à ce qui convient comme peine, et on l'a répété de nombreuses fois en Ontario et ailleurs.

Le sénateur Cools: Je ne crois pas que l'un d'entre nous conteste qu'il appartient au juge de décider de la sentence. La plupart des sénateurs présents appuieraient et encourageraient ce principe et ils souhaiteraient que les juges le fassent effectivement plus souvent. La vérité, c'est que, dans la mesure où la conclusion d'un accord sur le chef d'accusation semble prendre le dessus sur le processus, les procès semblent écourtés et se transformer en brèves rencontres ayant pour but de mesurer l'adversaire. Je crains que, dans pareil contexte, les juges ne puissent exercer leur pleine autorité et que la justice ne suive pas vraiment son cours. C'est ce qui semble se produire. J'en ai discuté avec de nombreux procureurs, et ce que vous dites m'intéresse au plus haut point.

M. Roy: Les lignes directrices du gouvernement fédéral à l'intention de ses procureurs sont très claires: il faut que les procureurs se présentent devant le juge et qu'ils lui dévoilent tout -- les faits, ce que la Couronne peut prouver --, de sorte que le juge puisse en décider. En fin de compte, ce ne sont que des observations faites au juge. Il faut que le juge soit en mesure de se prononcer sur les faits qui lui ont été communiqués.

Tout ce que je puis vous dire, sénateur Cools, c'est qu'au niveau fédéral et, oserais-je dire, à chaque palier -- parce que chaque province que je connais a des lignes directrices à cet effet --, il faut que le processus soit transparent si l'on veut que le grand public soit convaincu que l'accord sur le chef d'accusation est une bonne chose.

Il importe que nous et les sénateurs membres du comité disent au grand public que c'est ainsi que cela se fait en cour. Il faut que nous expliquions au public comment le processus se déroule pour que les gens aient confiance, sans quoi le système ne marchera pas. Les audiences comme celles que vous tenez en ce moment sont très utiles à cette fin. Vous mériteriez qu'on vous remercie d'avoir déposé le projet de loi à l'étude parce qu'il nous donne, à M. Bobiasz et à moi, l'occasion de venir expliquer comment fonctionne le système. La raison pour laquelle il fonctionne est sa transparence. Si vous allez dans une salle d'audience, vous verrez que le procureur et l'avocat de la défense donnent chacun leur version des faits au juge qui, en bout de ligne, est celui qui décide, plutôt que les parties.

Le sénateur Cools: Votre raisonnement et le mien se rejoignent sur ce dernier point. Le projet de loi vise à jeter plus de lumière sur le processus. Je n'ai pas le temps d'en débattre aujourd'hui, mais il existe des différences dans le mode de fonctionnement du système fédéral et du système provincial. Vous le savez aussi bien que moi.

Le sénateur Beaudoin: Plus je vous écoute, messieurs, plus je suis d'accord avec vous. L'accord sur le chef d'accusation a du bon, j'en conviens.

Vous avez parlé de M. Martin. Vous avez raison de dire qu'il est l'autorité en la matière.

M. Roy: Son opinion prime.

Le sénateur Beaudoin: À quelle opinion faisiez-vous allusion lorsque vous avez cité M. Martin?

M. Roy: L'ex-juge Martin a été prié, par le gouvernement de l'Ontario, d'examiner les moyens de mieux administrer la justice dans la province, étant donné la surcharge à laquelle faisaient face les tribunaux. Un comité a donc été formé sous la présidence du juge Martin. Il a produit un rapport plutôt volumineux qui a environ un pouce d'épaisseur.

Un important chapitre de ce rapport, plus de 100 pages, est consacré aux accords sur les chefs d'accusation et à la façon de les négocier. On y explique pourquoi il faut pouvoir en négocier en Ontario. Il n'a pas pour seul mérite d'éliminer l'arriéré des causes en attente. Tant l'État que l'accusé y trouvent leur compte.

Le sénateur Beaudoin: Je suis entièrement d'accord.

[Français]

Et si on acceptait ce projet de loi, on risquerait de violer la Charte des droits aussi, parce que si l'accusé a déjà reçu sa sentence et si je comprends bien l'objet du projet de loi, on pourrait revenir là-dessus et l'accuser une deuxième fois?

M. Roy: Vous m'amenez en terrain dangeureux, en ce que mon client est d'abord et avant tout le ministre de la Justice. Je ne suis pas supposé donner des opinions juridiques, mais j'ai indiqué au début de ma présentation que quant à moi, j'était fort préoccupé par la portée du paragraphe 11 h) de la Charte, en relation avec ce texte de loi.

Sans m'étirer le cou aussi loin que de vous dire que ce serait inconstitutionnel, je pense qu'il y a des dangers assez considérables que ce soit, ou bien en contravention de ce paragraphe, ou même de l'article 7, et il faudrait alors que l'état puisse démontrer, en vertu de l'article 1, qu'il s'agit d'une mesure nécessaire, et qu'elle est proportionelle. Je le disais dans ma présentation du départ, ceci m'apparaît comme étant une tâche difficile, en fonction de ce que nous savons de l'accord sur chef d'accusation généralement, et des paramètres qui ont été apportés en droit. Je pense qu'il y a un danger que vous identifiez et qui me fait craindre pour la validité de ce texte.

Le sénateur Beaudoin: Autrement dit, vous êtes du même avis. Si jamais c'était accepté, il pourrait y avoir un problème d'application de la Charte canadienne des droits et libertés?

M. Roy: Laissez-moi présenter ma position de façon différente. Si j'étais en pratique privée et que j'étais avocat de la défense, vous pouvez être certain qu'à la première occasion, je plaiderais cela.

Le sénateur Beaudoin: Cela répond très bien à ma question. Je pense comme vous que ce n'est pas clair, et mieux vaut laisser les choses telles qu'elles sont, à mon avis. Alors, sur ce plan, je trouve que le projet de loi n'amène rien et que l'on n'améliore par le droit criminel avec ce projet de loi.

M. Roy: Vous savez ce qui donne lieu à ce projet de loi est une situation extrêmement difficile, qui a été vécue au sud de cette province, dans l'un des procès les plus spectaculaires que nous ayions connu dans les annales canadiennes. Mais cette situation qu'on est à décrier à travers ce projet de loi, a fait l'objet d'une étude exhaustive par un autre grand juriste, extrêmement connaissant en droit criminel, puisqu'il a pratiqué dans ce domaine pendant plus de 40 ans: l'ex-juge Patrick Galligan, de la Cour d'appel de l'Ontario. Le juge Galligan en est venu à la conclusion après cette étude exhaustive, dans un rapport extrêmement bien ficelé, que le système a bien fonctionné dans ce dossier particulier. Alors, où est le problème?

Le sénateur Beaudoin: Quand un système fonctionne bien, on ne le dérange pas. Merci.

Le sénateur Gigantès: M. Roy, si je comprends bien les origines du système actuel, elles sont historiques. C'est que l'on veut éviter les défauts des systèmes préalables historiquement, l'inquisition sous la torture, etc.

M. Roy: Oui.

Le sénateur Gigantès: Et pour ce faire, il est nécessaire de postuler que l'accusé est innocent jusqu'à ce que l'on prouve le contraire. L'accusé n'est pas forcé de s'incriminer lui-même. Si ces deux piliers disparaissent ou sont attaqués, alors, nous revenons aux temps ténébreux qui précèdent la philosophie du droit actuel.

Je crois que ce projet de loi porte atteinte au principe que l'accusé n'est pas obligé de s'incriminer lui-même. C'est un problème que je vois. Je crois que je suis d'accord avec vous là-dessus et je ne veux pas vous forcer d'accepter les interprétations que je donne à ce que vous avez dit et que j'écoutais avec beaucoup d'attention. Mais on pourrait, en regardant le projet de loi, dire qu'il y a eu une décision du tribunal, et maintenant on peut l'inverser parce que l'accusé, le condamné, n'a pas révélé quelque chose qui aurait été s'incriminer soi-même. Est-ce qu'il n'y a pas ce danger dans ce projet de loi?

M. Roy: Je partage parfaitement votre avis que notre système procède d'une longue tradition fondée sur les deux grands piliers que vous identifiez. De fait, le juge Iacobucci, dans une affaire, il y a à peine un an, faisait l'apologie du droit que nous avons en ce pays de ne pas s'incriminer soi-même, que l'on retrouve en fonction des initiales des personnes qui étaient impliquées: c'est l'affaire R.J.S., et l'importance que ce principe a dans notre système de droit ne peut pas être minimisé.

Il ne faut pas non plus oublier un autre principe que l'on considère être un principe de justice fondamentale: une fois que vous avez été reconnu coupable et condamné, c'est fini.

Et cela, on l'a reconnu de façon claire dans notre Constitution lorsque on a adopté l'article 11 h) de la Charte, en 1982. On y dit de façon on ne peut plus explicite que lorsque la condamnation a été retenue, les choses sont finies. Le projet de loi devant vous pourrait pécher contre ce principe de l'article 11 h).

Vous identifiez possiblement une autre difficulté, cette espèce d'incrimination possible que l'individu pourrait devoir faire, puisqu'on dit à l'alinéa a) du paragraphe 1

soit, dans le cadre de l'accord sur le chef d'accusation, omis de révéler au poursuivant tous les faits connus de lui relativement à l'affaire...

Il n'y a pas une telle obligation en droit canadien, et il n'y a pas cette obligation pour des raisons valides, historiquement, et que vous avez identifiées, mais qui sont aussi valides en vertu de la Constitution du pays, qui prévoit que l'on n'a pas à s'incriminer soi-même.

Encore une fois, on pourrait référer à d'autres dispositions de la Charte. Or, vous savez, je ne veux pas que mes propos soient perçus comme étant ceux de quelqu'un qui lance la Charte des droit et libertés pour causer des difficultés à des gens qui veulent faire des choses importantes. Mais, je pense que la Charte, il faut la retenir pour les valeurs qu'elle tente de promouvoir, et l'une de ces valeurs est celle que vous avez identifiée dans votre question:Il s'agit de l'importance que cela a dans notre droit, pour ne pas retomber à ces temps ténébreux, de dire à quelqu'un: vous n'avez pas à parler; vous avez le droit au silence et vous n'avez pas à vous défendre. C'est à l'état avant tout de prouver que vous avez fait quelque chose de mal.

Ce sont des valeurs importantes dans notre société, qui méritent probablement d'être défendues. Je suis certain -- absolument certain -- que la personne, votre collègue qui a présenté ce projet de loi, ne cherche pas à battre en brèche ces valeurs et ces droits.

Votre collègue cherche, de toute évidence, à régler un problème qu'elle a perçu dans le système de justice criminelle. Mais, en tentant de régler ce problème, on en crée peut-être d'autres qui sont pas mal plus sérieux. Je vous soumets bien humblement que le problème identifié est peut-être plus apparent que réel. Il y a eu beaucoup de travail qui s'est fait au cours des années sur la question de l'accord sur le chef d'accusation.

Il y a des directives claires données aux procureurs de la couronne. Je le rappelle une dernière fois -- je le promets -- ce sont les juges qui prennent la décision en bout de ligne. L'entente entre les parties n'est qu'un élément du puzzle. Le juge ou la juge prend la décision.

Le sénateur Gigantès: Les temps ténébreux ne sont pas dans un passé lointain. Jusqu'en l984, la loi créant les services secrets divisant la Gendarmerie royale en deux, donnait au sous-ministre le droit d'être procureur, juge, jury et bourreau, dans un cas de sécurité. Il n'avait pas à expliquer à l'accusé quelle était l'accusation; il n'avait même pas à dire à l'accusé qu'il y avait accusation, et l'accusé était trouvé coupable par le sous-ministre qui n'était redevable à personne. C'était cela, la coutume, et l'accusé se trouvait dans une situation Kafkaïenne. Je l'ai été -- sans pouvoir me défendre. Je suis arrivé à me blanchir. Cela a pris 11 ans. Alors, je suis très particulièrement anxieux de ne pas voir ces libertés attaquées.

[Traduction]

Le sénateur Milne: L'interprétation me causait des difficultés. Je puis peut-être obtenir des éclaircissements en revenant à la première question posée par le sénateur Gigantès.

La décision de la défense de conclure un accord sur le chef d'accusation signifie-t-elle qu'elle renonce à son droit de ne pas s'incriminer?

M. Roy: Non.

Le sénateur Milne: Le projet de loi à l'étude me semble laisser entendre que l'accusé partie à un accord sur le chef d'accusation pourrait être obligé d'avouer tous ses crimes, plutôt que le seul crime dont la Couronne est sur le point de l'accuser. Cela ne viole-t-il pas le principe de justice fondamentale ou ses droits aux termes de la Charte?

M. Roy: Comme je le disais au sénateur Gigantès, l'alinéa a) du paragraphe 606.1(1) projeté dispose que:

soit, dans le cadre de l'accord sur le chef d'accusation, omis de révéler au poursuivant tous les faits connus de lui relativement à l'affaire ou aux affaires à l'origine de l'accusation;

Cette disposition semble exiger que tout soit dévoilé à la Couronne. Par contre, plus loin, il semble que, lorsqu'on demande au tribunal de réviser la peine, l'accusé est condamné en fonction de faits nouveaux.

Le sénateur Gigantès y voit un éventuel problème, en ce sens que la disposition pourrait peut-être servir à contourner le droit de ne pas s'incriminer qui est protégé par la Charte pour de fort bonnes raisons, comme le disait le sénateur Gigantès.

Le sénateur Milne: Encore au sujet de l'accord sur le chef d'accusation, sans égard à l'opinion qu'ont les juges du projet de loi à l'étude, des procureurs de la Couronne ou des avocats de la défense ont-ils émis une opinion quant à la manière dont cette disposition affecterait leur capacité de conclure un accord?

M. Roy: Je n'ai pas eu de communication à ce sujet. Je sais, après en avoir discuté avec le greffier de votre comité, que certains de ces organismes ont été invités à témoigner et que certains d'entre eux viendront peut-être faire valoir leurs préoccupations ou manifester leur appui au projet de loi. Selon moi, la plupart d'entre eux seront préoccupés. Je n'en ai pas parlé avec d'autres, et nul ne m'a appelé pour en discuter. M. Bobiasz pourra probablement vous en dire davantage.

M. Bobiasz: Sénateur Milne, j'ai assisté à la réunion des hauts fonctionnaires fédéraux, provinciaux et territoriaux chargés de coordonner les questions de justice à Toronto, il y a deux semaines. Il y a été brièvement question de ce point.

Sans trop m'attarder aux détails, je dirais que les représentants du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires présents à la table appréhendaient l'adoption du projet de loi dans sa forme actuelle. Évidemment, ce n'est qu'une impression. Ils étaient appréhensifs. Ils souhaitaient avoir des précisions sur la façon dont ce projet de loi serait appliqué. Son dépôt les a surpris. En règle générale, ils étaient d'avis que le système actuel, bien que quiconque participe au système de justice pénale hésite à le qualifier de parfait, est un système qui fonctionne bien. La possibilité de conclure des accords sur le chef d'accusation en est un ingrédient essentiel.

En ce qui concerne votre première question concernant les obligations aux termes de l'accord, la façon dont est agencé le projet de loi cause une difficulté. Il suppose que les faits particuliers qui ont incité au dépôt du projet de loi, c'est-à-dire l'affaire Homolka, sont représentatifs du contexte typique dans lequel se déroulent ces négociations.

Si vous avez eu l'occasion de lire le rapport Galligan, vous savez que Mme Homolka a renoncé à son droit de ne pas s'incriminer. Elle a fait déclaration après déclaration qu'elle n'aurait habituellement pas faites. Le projet de loi reprend ce qui s'est produit dans ce cas, mais il n'est certes pas représentatif des échanges typiques entre les avocats de la défense et de la Couronne.

Le sénateur Milne: J'ai posé au sénateur Cools des questions au sujet du libellé du projet de loi qui me préoccupe. Au haut de la page 2, il est question d'une «prépondérance des probabilités». Si je ne m'abuse, l'expression habituelle est «hors de tout doute raisonnable». Pourriez-vous me donner votre opinion au sujet de l'effet de ces deux expressions? Pourquoi utiliserait-on comme critère la «prépondérance des probabilités»?

M. Roy: Ces deux normes ne sont pas du tout pareilles en droit. Il n'y a pas que les expressions qui soient différentes; il existe aussi une différence dans le degré de certitude avec lequel la Couronne établit la preuve. Le principe de la prépondérance des probabilités consiste essentiellement à prouver qu'un scénario est plus probable qu'un autre. L'expression «hors de tout doute raisonnable» dit bien ce qu'elle dit: il ne peut subsister de doute raisonnable, sans quoi l'accusé a droit au bénéfice du doute.

Faut-il, en droit canadien, faire la preuve «hors de tout doute raisonnable» chaque fois que la Couronne est appelée à agir? C'est, en règle générale, ce qu'exige la loi. Je vous en donne un exemple.

En 1982, la Cour suprême du Canada a statué, au sujet de l'imposition des peines dans l'affaire Gardiner, que, si la Couronne souhaitait prouver l'existence de circonstances aggravantes, au stade du prononcé de la sentence, il lui fallait en faire la preuve hors de tout doute raisonnable, plutôt que selon la prépondérance des probabilités. Lorsque le Parlement a examiné le mode de détermination de la peine avant d'adopter le projet de loi C-41, il a été bien précisé dans la loi qu'il appartient alors à la Couronne de le prouver hors de tout doute raisonnable, soit la norme utilisée en règle générale par la Couronne lorsqu'elle doit prouver quelque chose.

Est-ce que la Constitution l'exige? Je n'irais pas jusque là, bien qu'il soit possible d'invoquer cet argument, j'en suis sûr. Il faudrait que je laisse mon collègue, ce bon professeur, vous éclairer à ce sujet.

M. Bobiasz: Que puis-je ajouter si ce n'est que, si on laisse l'expression «selon la prépondérance des probabilités» dans le projet de loi, on créera une anomalie, en ce sens que, dans le cadre du processus habituel de prononcé de la sentence, à moins que les deux parties ne reconnaissent les faits, ce qui est le moyen le plus facile de satisfaire aux critères de la preuve hors de tout doute raisonnable, comme l'a dit M. Roy, c'est à l'avocat de la poursuite de faire la preuve de tous les faits pertinents hors de tout doute raisonnable. Par conséquent, lors de la première poursuite, il faudrait établir la preuve hors de tout doute raisonnable alors que, dans le cadre de la seconde poursuite -- il ne s'agit pas tout à fait d'un appel, mais plutôt d'un second procès --, on serait beaucoup moins exigeant quant à la preuve à établir. Cela causerait à tout le moins d'énormes difficultés au juge, au procureur et à l'avocat de la défense. À un autre niveau, cela pourrait représenter un moyen détourné de poursuivre l'accusé sans respecter les exigences constitutionnelles.

Le sénateur Milne: Le projet de loi vous donnerait une autre chance de poursuivre la personne, cette fois en n'ayant pas à prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

M. Bobiasz: À certains égards, cela dépasserait vraiment la mesure, bien que je n'aime pas cette expression. Il faudrait assouplir le système actuel qui exige l'application des règles classiques interdisant les déclarations de culpabilité multiples.

La présidente: Sachez que j'ai communiqué en votre nom avec toutes les provinces concernant le projet de loi à l'étude. J'ai reçu trois réponses. Le procureur général de l'Alberta s'interroge quant à la constitutionnalité du projet de loi. Celui de la Saskatchewan affirme que l'administration de la justice serait problématique dans sa province si le projet de loi était adopté. Le procureur général de la Nouvelle-Écosse, lui, a décliné l'invitation à témoigner devant notre comité.

Nous avons aussi invité l'Association du Barreau canadien à témoigner. Elle aussi a décliné, bien que l'association du Barreau du Québec ait accepté de nous envoyer un mémoire. Nous avons aussi demandé à CAVEAT, un groupe de victimes, de venir témoigner. Nous n'avons pas encore reçu sa réponse; nous communiquerons de nouveau avec lui.

L'Association canadienne des procureurs de la Couronne nous a dit que, si elle disposait de suffisamment de temps pour se préparer, elle viendrait peut-être témoigner. La Criminal Lawyers' Association de l'Ontario ne nous a pas encore répondu. Nous avons essayé de faire témoigner beaucoup d'organismes à ce sujet.

Le sénateur Doyle: Ce matin, nous avons longuement parlé de la façon dont se concluent les accords sur le chef d'accusation. Je ne crois pas qu'il subsiste actuellement beaucoup de doute quant à la valeur de cette pratique. En fait, nous serions dans de beaux draps si elle n'existait pas.

Toutefois, tel que je l'interprète, le projet de loi porte sur des événements qui surviennent après la conclusion de l'accord et après son entrée en vigueur. Il ne concerne que la suite à donner si des faits nouveaux révèlent un manquement de la part de l'accusé, l'absence de communication de certains faits au tribunal ou, peut-être, une mauvaise défense des droits. Cela pourrait peut-être être utile.

Que pensez-vous d'un projet de loi qui reconnaîtrait qu'un juge ne dispose pas nécessairement de tous les faits au moment du procès original et que cela pourrait marcher dans les deux sens. Vous avez mentionné qu'il arrive qu'un juge n'accepte pas le chef d'accusation recommandé. Il peut imposer une peine plus sévère ou moins sévère que celle qui est recommandée. Ne faudrait-il pas alors, si une telle disposition est prévue lors de la production de preuves ou de faits nouveaux que cela marche dans les deux sens? Si ce projet de loi a l'intention de permettre à un autre juge de rouvrir l'affaire, ce juge devrait alors avoir la nette possibilité de traiter avec des gens qui, s'ils avaient su exactement à quoi s'en tenir lorsque l'accord sur le chef d'accusation a été négocié en leur nom, auraient peut-être présenté d'autres preuves pour leur défense. Si nous envisageons l'opportunité d'infliger de nouvelles peines plus lourdes, je crois alors qu'il faut également envisager l'opportunité d'infliger de nouvelles peines moins sévères.

M. Roy: Comme cela est assez évident à la lecture de cette disposition, pour l'instant c'est uniquement sur l'insistance du poursuivant que l'affaire fera l'objet d'un nouveau procès. Vous laissez entendre qu'on pourrait en élargir la portée pour offrir cette possibilité également à l'accusé.

Le sénateur Doyle: Si cela peut se faire dans un sens, cela devrait pouvoir se faire aussi dans l'autre.

M. Roy: Comme vous pouvez l'imaginer, cela poserait d'énormes problèmes. J'allais utiliser le mot «défis» mais je pense que le mot «problèmes» convient davantage.

Dans cette équation, il ne faut pas non plus oublier le célèbre principe de la finalité ou de l'irrévocabilité. Il faut qu'à un moment donné les choses se terminent. Le système prévoit un mécanisme de sécurité pour les personnes qui se sont vu infliger une peine qui pourrait leur causer des souffrances excessives par suite d'un changement de circonstances. Il s'agit de la prérogative royale de clémence.

Je vous donnerai l'exemple suivant. Ce n'est qu'un exemple. Une personne est accusée de meurtre, le crime le plus sérieux qui existe dans notre système. Cette personne doit passer au moins 25 ans en prison. Après 10, 12 ou 15 ans, cette personne est atteinte de cancer et est en phase terminale. Vous pourriez dire: «Ce serait une bonne idée de modifier la peine infligée à cette personne car dans les circonstances, cette peine est extrêmement dure. Cette personne mourra en prison et elle a changé au cours de ses 10 ou 15 années d'emprisonnement.» Dans notre système de justice, il est possible de s'adresser au gouvernement -- c'est-à-dire au gouverneur en conseil ou au gouverneur général, selon le mécanisme utilisé -- pour demander qu'on accorde un pardon à l'accusé. Ce pardon peut être accordé dans ce genre de circonstances. Si vous voulez aller plus loin et proposez qu'il soit possible de modifier continuellement la peine d'un accusé, cela irait à l'encontre du principe de l'irrévocabilité.

Ce principe veut qu'une fois un jugement rendu, il est irrévocable et les poursuites sont terminées. Un certain degré de certitude s'impose. C'est l'un des problèmes que pose le projet de loi S-3, en ce sens qu'il ne respecte pas nécessairement le principe de l'irrévocabilité. En ajoutant ce mécanisme de défense par souci de justice -- car c'est ce qui a motivé cette initiative -- on ne fait qu'aggraver le problème en passant outre au principe de l'irrévocabilité.

Ce que M. Bobiasz et moi-même voulons dire, c'est que le mécanisme d'accord sur le chef d'accusation, tel qu'il a été appliqué ces dernières années, fonctionne raisonnablement bien et qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un projet de loi pareil qui remet en cause le principe de l'irrévocabilité. Il n'est pas nécessairement bon d'aggraver le problème en disant: «Soyons justes et accordons cette possibilité aux deux parties.» Le système serait submergé de gens désireux de fournir de nouveaux renseignements au juge. Cela poserait des problèmes, sur le plan pratique ainsi que sur le plan théorique, à cause du principe de l'irrévocabilité.

Le sénateur Doyle: Je ne veux pas que vous pensiez que je soutiens une position en particulier. Je voulais simplement dire qu'il faut voir les deux côtés de la médaille. Je ne suis pas aussi optimiste que je pourrais l'être en ce qui concerne l'argument de l'irrévocabilité. Je le serais toutefois si j'étais sûr que chaque avocat de la Couronne et chaque avocat de la défense était un citoyen parfait. Or, même au sein d'un comité juridique et constitutionnel, c'est un peu dur à accepter.

Nous avons tous entendu l'histoire -- cela ferait d'ailleurs un bon scénario de film -- du jeune homme persuadé par son avocat que s'il n'obtenait pas un accord sur le chef d'accusation, il serait emprisonné pendant 99 ans. Il accepte donc cet accord et voit sa peine d'emprisonnement ramenée à 80 ans. Je suis sûr que des erreurs se produisent et qu'il arrive que la peine définitive imposée ne soit pas justifiée. Je sais que nous ne pouvons pas remédier à tous ces cas mais nous devons tous rester à l'affût de tout changement de la donne qui pourrait nuire à la possibilité d'obtenir pleinement justice un jour.

M. Roy: Dans le cas que vous décrivez, l'accusé aurait la possibilité de faire appel. Le plaidoyer de culpabilité serait retiré et l'affaire referait alors l'objet d'un procès en bonne et due forme. Cette possibilité est déjà prévue par le système. Cela s'est produit plus d'une fois. Je tiens à vous rassurer. Le système a prévu des mécanismes de sécurité permettant de s'assurer qu'on ne traite pas trop sévèrement les personnes qui ont fait l'erreur d'accepter un accord sur le chef d'accusation lorsque cela n'était pas nécessaire et qui ont été traitées trop sévèrement.

Le sénateur Doyle: Comme MM. Milgaard et Marshall vous le diront, le temps peut être très très long.

M. Roy: Des erreurs judiciaires ont déjà été commises par le passé. Nous espérons que le système est en train de s'améliorer afin que cela ne se répète plus, mais je ne peux pas vous le garantir. À mon avis, il est impossible de donner ce genre de garantie lorsqu'on a affaire à un système fait par l'homme.

De nombreuses mesures de protection sont prévues par le système. S'il est possible d'en proposer de meilleures, tant mieux. Oui, effectivement, il y a eu l'affaire Donald Marshall et l'affaire Guy Morin, où on a condamné des personnes innocentes. Cela s'est malheureusement produit.

Le sénateur Doyle: M. Milgaard a été emprisonné pendant 27 ans simplement parce qu'il refusait d'avouer. Il aurait pu sortir bien avant cela s'il avait avoué.

Je ne propose pas qu'il faille revoir chaque crime mais si vous examinez le projet de loi S-3, il est fort probable que quelqu'un à un certain moment considère que, si nous envisageons cette proposition, nous devons l'envisager dans les deux sens.

Le sénateur Lewis: En ce qui concerne le projet de loi même, d'après ce que je crois comprendre, la proposition veut qu'une décision soit prise en fonction d'un mémoire conjoint. Si la Couronne estime que les faits acceptés par l'accusé n'étaient pas exacts, il est possible de demander au tribunal d'annuler le jugement. J'aimerais vos commentaires à ce sujet.

Je constate qu'aucune disposition ne prévoit le délai devant s'écouler entre l'imposition de la peine et la demande. Aucune limite n'est prévue. Il semblerait qu'elle pourrait être présentée des années plus tard et même après que l'accusé a purgé sa peine. Il pourrait être en prison pendant plusieurs années. Même après qu'il a purgé sa peine, la Couronne pourrait présenter une demande alléguant que l'accusé a dissimulé certains faits pertinents. Elle pourrait alors demander à la cour d'annuler le jugement et d'imposer une nouvelle peine.

Ne faudrait-il pas prévoir un délai pour la présentation d'une demande en vertu de ce projet de loi, c'est-à-dire si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle?

M. Roy: M. Bobiasz a relevé un certain nombre de vices de forme. Nous ne voulons pas paraître trop négatifs mais vous venez de signaler un aspect qui a retenu l'attention de mon collègue et qu'il aimerait commenter.

M. Bobiasz: Le temps est un problème dans ce projet de loi, tel qu'il est rédigé, autant au niveau du passé que du futur. Au départ, nous nous occupions des affaires passées, à savoir le nombre d'affaires ayant eu lieu et à quand elles remontaient. Si on part du principe que ces dispositions s'appliquent à toute affaire peu importe le moment où elle a eu lieu, cela posera de toute évidence des problèmes de temps. La limite sera celle de la mémoire humaine et de l'existence des parties. Cependant, pour ce qui est de l'avenir, comme vous l'avez indiqué, monsieur le sénateur, cela pose certainement un problème. Il faudra prévoir des limites en raison d'un autre problème que je constate.

Selon le libellé de cette disposition, on semble envisager que ce seront exactement les mêmes parties, à titre individuel, qui seront impliquées à l'avenir. On parle du «poursuivant». Le «poursuivant» est une expression générique désignant le procureur général. Dans le cadre de ce projet de loi, je pense que la seule façon dont on peut interpréter cette disposition, c'est que le poursuivant désigne la personne qui a assuré en fait la poursuite. Le même argument vaut pour le tribunal. Bien que le tribunal soit mentionné de façon générique dans le projet de loi, la seule interprétation possible de cette disposition, c'est qu'il désigne le juge qui a imposé la peine. Bien qu'aucun délai ne soit fixé, avec le temps et la condition humaine étant ce qu'elle est, les juges peuvent devenir souffrants ou, pire encore, indisponibles. La même chose vaut pour le poursuivant.

Cette disposition s'écarte donc de façon radicale de notre façon de procéder actuelle, en ce sens que nous prévoyons toujours des limites de temps, conformément aux principes de l'équité et de l'irrévocabilité.

Par ailleurs, ces dispositions violent ce qui est couramment accepté comme une règle fondamentale, à savoir qu'une fois qu'un juge de première instance impose une peine, il devient functus officio, c'est-à-dire qu'il est dessaisi de l'affaire. À cette étape, le juge de première instance disparaît du tableau. Si une révision s'impose, c'est la Cour d'appel qui s'en occupe. Elle peut s'occuper entre autres de cas d'erreurs judiciaires et de fausses représentations.

Or, la situation anormale qui semble exister ici, c'est que le droit secondaire de révision resterait en vigueur beaucoup plus longtemps que tout droit d'appel. On pourrait fort bien se trouver dans une situation où une personne pourrait en appeler de la même décision et se voir déboutée.

En ce qui concerne le point soulevé par le sénateur Milne à propos du doute raisonnable et de la prépondérance des probabilités, cela pourrait créer des situations anormales. C'est un vice technique auquel il faudrait remédier avant d'intégrer cette disposition à notre système.

Un autre problème qui mérite d'être signalé, c'est la position particulière du poursuivant. Le poursuivant pourrait déposer une plainte parce qu'on lui a dissimulé des faits ou qu'on a dénaturé des faits. Or, il peut advenir que le poursuivant présentant la demande soit le témoin clé dans une action en justice destinée à décider de la validité de l'argument. J'ignore comment cela fonctionnerait dans la réalité. Ce problème se pose dans de nombreux cas. Il y a toujours un risque qu'une partie à une affaire se voit obligée de se retirer de l'affaire parce qu'elle est devenue impliquée dans une cause où elle doit être appelée à témoigner.

En fait, cela nous ramène à l'une des questions que vous avez posées au début, sénateur, où un juge pourrait même être obligé d'être témoin dans la poursuite, en ce sens qu'il est indispensable de déterminer si un juge a agi conformément à l'entente ou si la détermination de la peine s'est fondée sur d'autres principes.

Ce sont les types de problèmes qui risquent de saper les objectifs visés par le projet de loi, s'il est adopté.

Le président: Je tiens à vous remercier, monsieur Roy et monsieur Bobiasz, de votre présentation aujourd'hui. Je crois comprendre que vous serez de retour avec nous mercredi prochain dans l'après-midi pour étudier le projet de loi C-45.

La séance est levée


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