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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 35 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 7 novembre 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi C-45, Loi modifiant le Code criminel (révision judiciaire de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle) et une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 32 pour en faire l'examen.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte.

Nous recevons deux témoins ce matin. M. Robert McNamara, vice-président de Victimes de violence, et M. Steve Sullivan, directeur exécutif du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes. Bienvenue; je vous cède maintenant la parole.

M. Steve Sullivan, directeur exécutif, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes: Madame la présidente, j'aimerais remercier le comité de nous inviter aujourd'hui à comparaître pour parler du projet de loi C-45.

Pour commencer, j'aimerais parler brièvement de l'article 745 du Code criminel. Comme vous le savez, ce projet de loi va modifier cet article. Je pense pouvoir me faire le porte-parole de M. McNamara et probablement d'autres groupes de victimes comme CAVEAT, en disant que lorsque nous parcourons le pays et rencontrons des victimes de crimes, nous nous rendons compte en écoutant le récit de leurs expériences, qu'elles ont de la difficulté à faire confiance au système au départ. Ces gens-là ont perdu un être cher. Ils ressentent de toute évidence une certaine méfiance. Lorsqu'ils entendent un juge au tribunal condamner quelqu'un à 25 ans de prison sans libération conditionnelle, ils croient que cette peine sera effectivement purgée. Lorsqu'ils s'aperçoivent par la suite -- certains pas avant 15 ans -- qu'en fait, cette peine d'emprisonnement ne sera pas purgée, du fait que le Code criminel prévoit une révision judiciaire au bout de 15 ans, ils se sentent trahis, à juste titre, à mon avis. C'est l'un des problèmes inhérents que pose l'article 745, lequel en fait annule la peine infligée par le juge. Je pense que c'est probablement le pire exemple de notre système qui avance une chose et en fait une autre.

Lorsque nous parcourons le pays, nous retrouvons ce sentiment non seulement parmi les victimes, mais aussi parmi le grand public qui, de plus en plus, découvre l'existence de cet article du Code criminel et se sent trahi. La plupart des gens croient qu'une peine de prison à perpétuité sans libération conditionnelle pendant 25 ans correspond à effectivement 25 ans de prison. C'est une déclaration simple que les gens tendent à croire. Lorsqu'ils apprennent l'existence de cet article du Code criminel, ils se sentent trahis par leur gouvernement.

Je vous dirais pour commencer que nous sommes complètement opposés à l'article 745. Nous ne pensons pas que cet article devrait exister. Toutefois, nous avons ici un projet de loi qui ne l'abroge pas, mais qui le remanie ou y apporte quelques changements. Pour la plupart, il s'agit de changements positifs.

L'une des caractéristiques les plus déplaisantes de l'article 745 tel qu'il existe actuellement, c'est qu'il accorde à chaque auteur de meurtre au premier degré et à certains auteurs de meurtre au deuxième degré, le droit à une révision, s'ils le souhaitent. Il leur suffit de présenter une demande pour avoir une audition. La caractéristique la plus positive du projet de loi C-45, c'est qu'il retire le droit inhérent à une telle audition. Le droit de présenter une demande à un juge existe toujours. Si le juge peut être convaincu que la personne en question mérite une audition, après avoir répondu à tous les critères, il lui en accorde une.

Ceci étant dit, le processus suscite plusieurs questions. Pour rendre sa décision, le juge doit se fonder sur une «possibilité réelle que la demande soit accueillie», expression dont le sens est très large. Ce n'est qu'après la tenue de plusieurs auditions du genre que nous verrons exactement ce que cela signifie. Je le répète, le sens de cette expression est très large et peu de choses guident le juge dans sa décision. C'est un sujet de préoccupation pour nous.

Les documents sur lesquels se fonde le juge, lorsqu'il décide d'accorder une audition, représentent une autre source de préoccupation. Comme vous le savez, il est prévu que le juge se fonde sur la demande, sur un rapport fourni par le Service correctionnel du Canada -- point sur lequel je vais revenir dans quelques instants -- et sur tout autre document fourni par le procureur général ou le requérant.

Vous remarquerez qu'il n'est pas fait explicitement mention des déclarations de la victime. On pourrait prétendre que ces déclarations font partie du document fourni par le procureur général. Toutefois, comme il s'agit d'une loi si importante, nous ne voulons pas supposer quoi que ce soit. Nous voulons que les déclarations des victimes soient incluses et je crois que le gouvernement le souhaite également, puisqu'il a apporté des amendements au projet de loi C-41 plus tôt cette année, afin que les déclarations de la victime sur les répercussions du crime soient présentées au moment des auditions de révision judiciaire. Je pense que cela témoigne de l'importance des déclarations de la victime. Il faudrait préciser dans ce projet de loi que le juge «se fonde» sur les déclarations de la victime.

Après avoir relu le projet de loi ce matin, je ne sais toujours pas si les déclarations de la victime seront prises en compte uniquement dans le cas des meurtriers condamnés après l'adoption de ce projet de loi ou seulement dans le cas de ceux qui purgent déjà une peine. Je n'ai pas la réponse à cette question. Les seules personnes qui pourraient y répondre sont les avocats du ministère de la Justice. Le comité souhaiterait peut-être obtenir une réponse à cette question avant de décider s'il adopte ce projet de loi ou non.

J'ai parlé de l'information fournie par le Service correctionnel du Canada. Ce qui nous inquiète, autant que nous le sachions, le Service correctionnel du Canada est l'organisme chargé du logement et de la réadaptation des contrevenants; c'est l'organisme qui doit également faire des recommandations aux commissions des libérations conditionnelles et finalement, qui doit assurer la supervision des gens dans la collectivité. Je crois que ce service a tout à fait intérêt à assurer la réadaptation des contrevenants, ou tout du moins, à donner des renseignements qui semblent indiquer que les contrevenants sont bel et bien réadaptés. Si la réadaptation n'est pas assurée dans le cas de plusieurs contrevenants, on serait en droit de se demander si le Service correctionnel du Canada fait son travail.

Nous avons examiné plusieurs rapports d'enquête de la commission sur des affaires qui ont mal tourné. La plupart semblent indiquer qu'il y a des problèmes en ce qui concerne l'information que fournit le Service correctionnel à la Commission des libérations conditionnelles et la supervision subséquente.

J'ai assisté dernièrement à Barrie à la révision judiciaire du cas d'un homme accusé du meurtre d'un agent de police il y a quelque 20 ans. Au cours de son témoignage, une psychologue a déclaré qu'elle était en faveur de la libération anticipée de cette personne. Pourtant, lorsque la Couronne a approfondi un peu plus les choses, elle a découvert que la psychologue n'avait jamais examiné l'infraction réelle ni la version officielle des faits. Elle s'était fiée à ce que lui avait dit le contrevenant. Elle ne savait pas que lorsqu'il s'était échappé de prison avant de commettre ce meurtre, il avait défoncé le crâne d'un homme avec une barre de fer pour lui voler sa voiture. Elle ne le savait pas et pourtant, jugeait qu'il ne ferait pas courir de véritable risque à la collectivité s'il bénéficiait d'une libération conditionnelle. Je crois que c'est dangereux.

Il ne faut pas oublier que le Service correctionnel est l'organisme qui décide de l'information à présenter au jury. Il ne faut pas non plus oublier que ce service a directement intérêt à présenter certains renseignements.

Il faut également être très prudent en ce qui concerne le processus d'examen par lequel passe un requérant auquel on accorde une audition. Nous aimerions nous assurer que le requérant ne se sert pas de cette information pour influencer le jury. Le jury devrait prendre sa décision en fonction des preuves qui lui sont présentées. Qu'un juge ait accordé une audience ou non ne devrait pas influer sur le processus de délibération. Je pense que quiconque est allé au tribunal sait que les jurys éprouvent un grand respect envers les juges et leurs décisions. A mon avis, il ne faudrait pas que le fait qu'une personne soit passée par ce processus d'examen influe sur la décision du jury.

Le projet de loi C-45 apporterait un deuxième changement important, soit l'exclusion des auteurs de meurtres multiples des dispositions de l'article 745. Il est clairement indiqué que la société fait la distinction entre ceux qui tuent plus d'une personne et ceux qui ne tuent qu'une personne. Le gouvernement a fait clairement comprendre que ces deux genres de contrevenants sont différents. J'élargirais la portée de ce concept pour y inclure, par exemple, ceux qui tuent des agents de police, ceux qui tuent lorsqu'ils commettent des infractions sexuelles ou lorsqu'ils sont en libération anticipée. Le comité souhaitera peut-être envisager d'élargir la portée de ce concept et d'examiner les autres types de contrevenants auxquels nous voulons dire: «Vous êtes exclus de ces dispositions».

Le principal changement que prévoit le projet de loi se rapporte à la décision du jury. Actuellement, la décision de réduire le délai doit être prise par les deux tiers des membres du jury. Ce projet de loi changerait cette disposition puisqu'il exige une décision unanime du jury. Lorsque la décision de réduire le délai est prise, la décision relative à la durée de cette réduction du délai doit être prise par les deux tiers seulement des membres du jury. Ce n'est pas capital; cela semble inutilement compliqué, mais ce n'est pas capital.

Vous remarquerez plusieurs recommandations à la fin du mémoire. J'ai remis à la greffière du comité une copie du mémoire de CAVEAT. Nous avons longuement discuté hier avec cet organisme et nous sommes en général d'accord à propos du projet de loi lui-même.

Ce que nous voulons essentiellement vous dire aujourd'hui, c'est que nous appuyons l'abrogation inconditionnelle de l'article 745. Nous appuyons sans enthousiasme ce projet de loi qui nous semble apporter quelques changements positifs au système en place. Si l'article n'est pas abrogé, il faudrait logiquement envisager les changements dont je viens de parler.

Le comité devrait examiner de près ce projet de loi. Je sais que des représentants de l'Association canadienne des policiers ont comparu devant vous hier et je crois qu'ils ont fait quelques recommandations positives.

Si ce projet de loi est adopté, il devrait être le plus parfait possible. Le gouvernement a indiqué qu'il n'est pas satisfait du système actuel. S'il faut le changer, changeons-le de la meilleure façon possible. Le comité devrait tenir compte des recommandations et des changements proposés avant de prendre une décision.

Je cède maintenant la parole à M. McNamara.

M. Robert McNamara, vice-président, Victimes de violence: Madame la présidente, je suis vice-président de Victimes de violence, Canadian Centre for Missing Children. Nous sommes un organisme national de charité, créé en 1984 par les familles des victimes de Clifford Olson. Mme Sharon Rosenfeldt, dont le fils Daryn est l'une des victimes de Clifford Olson, est notre présidente.

Je dirais pour commencer que l'article 745 a causé plus de tort et d'inquiétudes à notre organisme que tout autre article du Code criminel. Nous en parlons tous les jours. Je peux vous faire le récit des horribles souffrances que connaissent certaines personnes à cause de cet article. Tous les membres de notre organisme affirment que cet article cause du tort aux victimes. Pourquoi avoir un tel article?

Nous avons songé à supprimer l'article 745 pour le remplacer par autre chose. Au Canada, nous revenons constamment à l'idée de peine concurrente et de peine consécutive. Je ne crois pas que l'article 745 du Code criminel serait nécessaire si nous avions la peine consécutive. Si quelqu'un comme M. Clifford Olson tuait 11 enfants, il se verrait infliger 11 peines consécutives de 25 ans. Il ne serait admissible à la libération conditionnelle qu'après avoir purgé un tiers de ces peines.

Il est totalement illogique d'accorder une révision judiciaire à certains contrevenants. C'est la seule peine qui puisse donner lieu à une révision judiciaire. Les auteurs de viol n'en bénéficient pas. Personne d'autre n'en bénéficie. J'ai parcouru les débats du hansard à l'époque où l'on traitait de la peine capitale. Il n'en était pas beaucoup question à ce moment-là. Les gens de l'autre endroit s'en sont rendus compte; on n'en fait tout simplement pas cas.

En tant que Canadien, je ne connaissais absolument pas l'existence de cette disposition du Code criminel. L'organisme Victimes de violence n'a appris l'existence de l'article 745 qu'en 1991, longtemps après qu'il a été adopté. Nous avons le sentiment d'être trompés et dupés. Comme l'a dit M. Sullivan, lorsque vous êtes au tribunal, vous êtes en proie à toutes sortes d'émotions. Vous êtes en émoi. Vous regardez la personne que vous respectez le plus, le juge. Cette personne va décider du sort de l'accusé. Après avoir entendu le témoignage de la défense et de la Couronne, elle rend un jugement et dit: «peine de prison de 25 ans à perpétuité». Après le prononcé de cette sentence, rien ne me déprime plus que d'avoir à dire aux membres de la famille: «Eh bien, c'est une peine de 25 ans à perpétuité, mais il ne faut pas oublier l'article 745 du Code criminel». Ils ont le sentiment d'être trompés, arnaqués et dupés par les politiciens.

Pourquoi ne pas jouer franc jeu? Certains députés des deux côtés croient qu'une peine de 15 ans est appropriée. C'est la raison de l'existence de cet article, j'imagine. Je sais que pour Warren Allmand, par exemple, une peine pour meurtre devrait équivaloir à 15 ans. Il y a du vrai dans ce qu'il dit. Certaines personnes méritent d'être libérées au bout de quinze ans. Toutefois, il y en a beaucoup d'autres qui ne le méritent pas.

J'ai oublié de mentionner que nous avons une attachée de recherche qui a fait sa thèse sur l'article 745. Des exemplaires de cette thèse sont disponibles au fond de la salle.

Telles sont donc certaines de nos préoccupations. Nous ne voyons pas pourquoi cet article devrait figurer dans le projet de loi. Soyons francs. La plupart des gens qui commettent un meurtre ont déjà un casier judiciaire, au niveau fédéral. Il suffit de regarder les statistiques qui figurent dans cette thèse pour s'apercevoir que 17 p. 100 de ceux qui commettent un meurtre n'ont encore jamais été condamnés. Peut-être cela devrait-il servir d'objectif, mais je ne pense pas que 74 ou 80 p. 100 de ceux qui commettent un meurtre devraient être admissibles à une libération anticipée.

L'organisme Victimes de violence s'oppose complètement à l'article 745 du Code criminel. Toutefois, à l'instar de M. Sullivan et de l'Association canadienne des policiers, c'est à contrecoeur que nous acceptons ce projet de loi. Il remanie l'article en question. Il empêchera des gens comme Clifford Olson de demander une révision judiciaire. On a cru que l'on tentait ainsi à la dernière minute d'empêcher Olson de demander une telle libération au printemps dernier, uniquement parce que nous avions dit haut et fort ce que nous pensions. Comment un homme qui a torturé, violé et assassiné 11 enfants pourrait-il avoir la possibilité de sortir? À mon avis, cela n'a pas l'ombre d'une chance, mais si vous m'aviez dit il y a cinq ans qu'il est possible de se dégager d'une inculpation de viol en invoquant l'état d'ébriété, je me serais moqué de vous.

Nous appuyons le projet de loi, honorables sénateurs, mais nous souhaitons vraiment l'abrogation de cet article.

Le sénateur Milne: J'aimerais répéter ce dont vous vous doutez tous les deux, parce que je ne veux pas vous donner de faux espoirs. Le comité ne peut qu'amender ce dont il est saisi, adopter le projet de loi tel quel ou le rejeter tel quel. J'imagine que vous préféreriez que nous adoptions ce projet de loi tel quel, car nous ne pouvons pas présenter d'amendements qui, par exemple, annuleraient l'article 745.6 au complet. Nous ne pouvons le faire, car cela irait à l'encontre de l'esprit du projet de loi.

M. McNamara: C'est ce que nous préférons, mais à contrecoeur. Nous appuyons le projet de loi. Nous pensons que des occasions de revenir sur cette question se présenteront à l'avenir.

M. Sullivan: Vous pouvez faire des amendements pour améliorer le projet de loi et pour indiquer clairement que le juge doit se fonder sur les déclarations de la victime.

Le sénateur Milne: C'est l'un des points que j'aimerais souligner. À mon avis, le projet de loi ne vise pas à exacerber les sentiments des victimes en les faisant comparaître devant le juge si un détenu fait une telle demande, mais à permettre au juge de prendre une décision. Les victimes peuvent alors comparaître devant le jury qui doit rendre la décision. Le juge éliminerait les pires cas. Le jury ne serait jamais saisi de pareils cas et les familles des victimes n'auraient pas à repasser par tout le processus. Je pense que c'est l'un des objectifs de ce projet de loi.

Il est clairement indiqué dans le projet de loi que le jury se fonde sur certains critères, dont l'information fournie par une victime au moment où la peine est infligée ou au moment de l'audition prévue en vertu de cet article. Si le criminel franchit ce premier obstacle, la victime a alors la possibilité de présenter ses arguments devant le jury.

M. Sullivan: Vous avez raison. Je dirais que le juge devrait également se fonder là-dessus, lorsqu'il prend une décision au sujet de la tenue d'une audition. On pourrait avancer que le procureur général, par exemple, inclut une déclaration écrite de la victime dans sa déposition. Toutefois, si le comité peut prendre une décision à ce sujet, je dirais qu'il est important que le juge dispose de cette information -- si une victime choisit de présenter une déclaration écrite au juge -- de manière que le juge en tienne compte, lorsqu'il prend une décision au sujet de la tenue d'une audition. Bien sûr, le jury se fonde dessus. C'est effectivement très clair.

Le sénateur Gigantès: Monsieur McNamara, vous avez dit que certains méritent d'être libérés au bout de 15 ans, contrairement à d'autres. Ce projet de loi permet de déterminer qui le mérite et qui ne le mérite pas.

Je tends à raisonner comme au Moyen-<#00C2>ge lorsque je pense à des gens comme Clifford Olson. J'irais plus loin que la peine de mort; je torturerais ces gens à mort.

Comme l'a fait remarquer le sénateur Milne, il est difficile de décider qui mérite d'être libéré et qui ne le mérite pas. Nous courrons toujours le risque d'erreur.

M. Sullivan a dit que ce projet de loi devrait être le plus parfait possible. Malheureusement, c'est impossible, car les législateurs sont sujets à l'erreur humaine, tout comme les juges et les jurys.

Ce n'est pas le projet de loi le plus parfait possible. Ne pensez-vous pas toutefois qu'il représente le compromis le moins inacceptable? Je présume alors que vous considérez ce projet de loi comme le moins inacceptable possible.

M. McNamara: Lorsque je parle des 15 ans, j'ai bien l'impression que l'article 745 est trompeur. Nous devrions être francs à ce sujet.

L'article 745 me fait penser à la libération conditionnelle. Il n'y a pas d'autre façon de le décrire. Il s'agit simplement de l'admissibilité à la libération conditionnelle; nous ne jouons pas franc jeu. Le jury décide si le détenu est libéré ou non. L'affaire est présentée devant la Commission des libérations conditionnelles. Il s'agit uniquement de libération conditionnelle; pourquoi alors lui donner un autre nom. Débarrassons-nous de l'article 745. Laissons le juge infliger une peine correspondant au tiers de la période prévue, comme il le fait pour toute autre infraction prévue par le Code criminel. Présentez l'affaire devant la Commission des libérations conditionnelles. Si vous voulez un jury, allez-y. Pour les auteurs de meurtres multiples, adoptons les peines consécutives et reculons la date d'admissibilité à la libération conditionnelle. Il ne sert à rien de camoufler la réalité.

Si vous lisez les débats du hansard, vous vous apercevrez que si l'on est arrivé à cette solution, c'est parce que certains qui auraient voté pour la peine capitale pensaient qu'il s'agissait du pire de deux maux. Certains ont pensé qu'une peine de 25 ans de prison était plus cruelle que la peine capitale. Cet article a permis d'influencer le vote. C'est à mon avis la raison de son existence. C'est là toute la supercherie de la situation.

Le sénateur Gigantès: Ne prévoit-il pas une autre étape? Ne permet-il pas à un juge de faire de tri de ceux qui, à son avis, ne devraient pas être libérés, et de faire comparaître les autres devant un jury?

M. McNamara: Cette étape est prévue, je crois.

Les familles des victimes éprouvent beaucoup de respect pour les juges, comme moi-même d'ailleurs. Si je sais à l'avance qu'un juge a passé toutes les affaires au crible et a décidé que tel ou tel détenu a la possibilité d'obtenir une réduction du délai d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, je serais d'accord avec le juge. Autrefois, j'étais charpentier. Entre mon jugement et celui d'un juge respecté qui dit que tel ou tel détenu a une telle possibilité, je me rangerais du côté du juge. Je ferais sortir le détenu de prison, car je respecterais la décision du juge, convaincu qu'il en sait plus que moi.

Il ne faut pas oublier que les juges passent au crible toutes ces affaires.

Le sénateur Gigantès: Les juges pourront vous dire qu'il arrive très souvent que le jury aille à l'encontre de ce qu'ils auraient eux-mêmes décidé. Le fait que le juge exprime une opinion avant que le jury ne rende une décision n'influence pas nécessairement le jury. Si vous représentez la victime, vous pouvez influencer le jury.

M. McNamara: Vous comprenez pourquoi j'ai du mal à accepter tout ceci.

Le sénateur Gigantès: Nous aussi.

M. McNamara: Pourquoi donc en discutons-nous? Nous l'appuyons, j'imagine, mais vraiment à contre-coeur. Nous ne croyons pas qu'il devrait exister. Soyons francs à ce sujet.

M. Sullivan: J'ai effectivement dit que le comité devrait adopter le projet de loi le plus parfait possible. Vous ne pourriez jamais adopter un projet de loi parfait. C'est impossible. Je le répète toutefois, vous devriez adopter le projet de loi le plus parfait possible. Si vous amendiez ce projet de loi pour l'améliorer, vous adopteriez alors le projet de loi le plus parfait possible.

Nous savions en venant ici que l'article 745 ne serait pas abrogé de sitôt. Nous sommes réalistes. Nous savons que ce projet de loi est ce que nous pouvons obtenir de mieux, mais nous espérons quand même quelques amendements susceptibles de l'améliorer.

Le sénateur Gigantès: Monsieur Sullivan, vous avez dit que le Service correctionnel du Canada a intérêt à montrer qu'il assure la réadaptation des détenus. On pourrait prétendre qu'il a intérêt à ce que la population carcérale soit la plus nombreuse possible pour garantir les emplois.

M. Sullivan: Nous avons examiné certains rapports de commissions d'enquête; dans l'un d'eux, il était question d'une directive du Service correctionnel indiquant: libérez-les. On a dit au personnel du Service correctionnel de libérer les détenus.

On incite le personnel du Service correctionnel et de la Commission des libérations conditionnelles à faire sortir les détenus incarcérés pour une longue période. Je prétends que l'on dit aux employés du Service correctionnel qu'ils doivent libérer les détenus; c'est leur travail.

On pourrait avancer qu'ils pourraient justifier leur emploi plus facilement si la population carcérale était nombreuse. Nous n'avons tout simplement pas les moyens financiers de le faire.

Le sénateur Gigantès: Il y a certaines corrélations. Bien sûr, on peut toujours dire que les statistiques ne sont pas nécessairement bonnes, justes ou proches de la réalité. Toutefois, il semble y avoir une corrélation entre un taux plus bas de criminalité et un pourcentage plus bas de la population carcérale. C'est au Canada qu'il y a le plus de détenus par rapport au nombre d'habitants.

M. Sullivan: Le taux de criminalité diminue au Canada.

Le sénateur Nolin: En êtes-vous sûr? Nous pouvons obtenir les chiffres. Si l'on compare le Canada aux États-Unis, ce dernier pays nous dépasse de beaucoup.

Le sénateur Gigantès: Ce n'est pas le cas de la Grande-Bretagne, de la Hollande et des pays scandinaves. Le reste est une aberration en fait.

M. Sullivan: Il suffit de regarder les statistiques pour s'apercevoir que la population carcérale a maintenant atteint un niveau record. Nous incarcérons plus de gens pour de plus longues périodes. Nous arrivons mieux à identifier les contrevenants vraiment dangereux. Le taux de criminalité diminue au Canada.

Peut-être y a-t-il une corrélation entre le fait que ce taux diminue et que nous gardons les pires contrevenants en prison.

M. McNamara: En ce qui concerne la population carcérale, le problème qui se posait, c'était que nous emprisonnions des gens coupables d'infractions mineures, alors que ce n'était absolument pas utile. Certains des projets de loi récemment adoptés ont abordé la question de mesures de rechange et de travail communautaire. De tels détenus ne méritent pas d'être en prison. Ils en sortiront pires qu'avant.

Les contrevenants à risque élevé et les contrevenants dangereux, ceux qui sont soumis au syndrome de la récidive, sont maintenant gardés en prison. Je parle de Clifford Olson, car il fait «partie» de notre organisation. Il a déjà 91 condamnations à son actif. Des gens comme lui ne devraient pas être libérés. Il s'agit de personnes qu'il faut mettre sous les verrous. Il faudrait envisager plus de 15 ou 25 ans dans le cas des contrevenants qui ont déjà de nombreux antécédents criminels et qui finissent par commettre un meurtre.

La célèbre attaque du train postal a donné lieu à des peines de 35 ou 50 ans. Nos meurtriers ne se voient pas infliger de telles peines.

Le sénateur Gigantès: N'oubliez pas que les élites pensent parfois que voler de l'argent est pire que commettre un meurtre.

Le sénateur Jessiman: Qui fait partie de votre organisme? Combien de personnes représentez-vous?

M. McNamara: Notre organisme compte près de 1 200 membres.

Le sénateur Jessiman: Où se trouvent-ils?

M. McNamara: Dans tout le Canada. À un moment donné, nous avions des bureaux partout au Canada; nous avons décidé au moment de la création de notre organisme, de ne pas accepter d'argent du gouvernement. Nous n'accepterions pas, par exemple, des fonds de Centraide. Nous avons décidé d'être autonomes. Si la collectivité est d'avis que notre organisme doit exister, elle va nous permettre de survivre. Jusqu'à présent nous avons eu de la chance. La collectivité nous a appuyés, ce qui explique notre présence ici aujourd'hui.

Le sénateur Jessiman: Savez-vous si vos membres sont d'accord avec ce que vous nous dites aujourd'hui? Cela n'a-t-il jamais fait l'objet d'un débat à une assemblée générale?

M. McNamara: Nous en avons discuté à une réunion du conseil d'administration. Certains membres de notre organisme ont fait beaucoup de bruit à ce sujet. J'ai discuté intensément avec Debbie Mahaffy, ainsi qu'avec la famille Polinski et Rex Sheridan dont l'oncle, agent de police, a été assassiné en Saskatchewan. Certains ont fait l'expérience des auditions prévues en vertu de l'article 745. J'ai parlé à près de 15 personnes qui ont perdu un être cher des suites d'un assassinat. Je peux vous dire que toutes sont en faveur de l'abrogation de l'article 745.

Le conseil se trouvant à Ottawa, nous ne pouvons pas aller partout pour poser la question à tout le monde. Nous avons pris une décision; c'est la raison pour laquelle nous avons un conseil.

Le sénateur Jessiman: Y a-t-il d'autres organismes semblables au vôtre?

M. McNamara: CAVEAT est un organisme tout aussi bien connu.

Le sénateur Jessiman: Savez-vous combien de personnes il représente?

M. Sullivan: Environ 10 000, je crois.

La présidente: Monsieur le sénateur Jessiman, nous avons reçu un mémoire de CAVEAT. Ses représentants ne pouvaient être parmi nous aujourd'hui.

M. Sullivan: Tout dépend de la façon dont vous définissez les membres. Je ne sais pas si CAVEAT accepte simplement des membres qui souscrivent aux philosophies du groupe ou si ces membres contribuent véritablement à l'organisme. Je ne sais pas comment fonctionne CAVEAT.

Notre organisme est quelque peu différent. Nous n'avons pas de membres en tant que tels. Nous essayons d'être entendus à Ottawa. Nous travaillons avec chaque groupe important de victimes dans tout le pays. Tous sont unanimes pour dire que cet article ne devrait pas exister.

M. McNamara: Il existe au Canada un réseau national que M. Sullivan dirige par le truchement du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes. Au Canada, les groupes de victimes se sont rendu compte qu'ils poussaient comme des champignons. Steve nous a réunis en un seul groupe et nous sommes devenus plus organisés.

Le sénateur Doyle: Vous a-t-on consulté au moment de la rédaction de ce projet de loi? Le ministère qui préparait ce projet de loi vous a-t-il demandé des conseils à vous-même ou à vos membres importants?

M. McNamara: Non. Je vais vous raconter quelque chose de fort intéressant à ce sujet, monsieur le sénateur. Le ministère savait que c'était à cause de Clifford Olson que nous soulevions cette question dans tout le Canada. Il y avait eu des manifestations en Alberta au sujet de ce projet de loi. Je crois qu'il a été rédigé très rapidement. C'est juste avant le congé du printemps que la Chambre des communes a essayé de le faire adopter.

Le ministère l'a en fait présenté à Sharon Rosenfeldt dont le fils a été assassiné par Clifford Olson. Le ministère lui a demandé de négocier avec le Bloc québécois pour faire adopter ce projet de loi à la Chambre des communes. Elle était effondrée. Elle ne veut rien avoir affaire avec Olson. Elle veut qu'il reste en prison. Le fait est qu'un ministère fédéral important comptait sur une femme dont le fils a été assassiné pour convaincre un parti politique.

Cela m'a dégoûté. L'entreprise a échoué.

M. Sullivan: Je crois que des fonctionnaires du ministère de la Justice et des représentants de Victimes de violence, de CAVEAT, de l'Association canadienne des policiers et de l'Association canadienne des chefs de police se sont rencontrés avant la rédaction de ce projet de loi. J'imagine que l'on pourrait dire qu'il s'agissait de consultations. Je ne sais pas ce dont il a été question lors de cette rencontre.

Le sénateur Doyle: En réponse à ma question, diriez-vous que vous avez été consulté?

M. Sullivan: Je ne l'ai pas été personnellement, mais les groupes de victimes l'ont été.

Le sénateur Doyle: Vous n'êtes pas satisfait de la façon dont on a procédé, mais il y a eu consultation.

Monsieur McNamara, vous avez dit il y a un instant que les sénateurs ne prenaient pas toujours des décisions parfaites. C'est probablement la chose la plus aimable qu'on ait dite à notre sujet depuis longtemps. Cependant, ne vous dérange-t-il pas que cette disposition qui fait l'objet d'une attention particulière ne vise que les meurtriers qui ont admis leur crime? Ceux qui persistent à proclamer leur innocence sont automatiquement écartés de ce processus. La justice semble considérer que leur réadaptation est impossible à moins qu'ils avouent aux autorités qu'ils sont effectivement coupables.

Nous avons tous peur de condamner des innocents, et c'est pourquoi nous sommes contre la peine de mort. Pourtant, cela semble s'arrêter là.

Nous savons que dans les cas de Milgaard et de Marshall, l'innocence était leur seul argument. Ils ont fini par être reconnus innocents, comme Morin.

M. McNamara: Le fait que ces trois personnes aient été libérées indique à quel point notre système fonctionne bien. Elles n'ont pas été exécutées. Elles ont fait de la prison. Malheureusement, comme notre système n'est pas parfait, elles ont souffert. Cependant, le système a fini par leur donner raison. Les preuves fondées sur l'ADN ont établi leur innocence. Dans notre système, nous aidons ceux qui soutiennent être innocents à le prouver. Nous ne nous bornons pas à les déclarer coupables et à les enfermer pour toujours. Dans notre système, nous revoyons sans cesse leur situation.

M. Sullivan: Par ailleurs, ce processus n'a rien à voir avec la culpabilité ou l'innocence. C'est un examen qui sert à déterminer s'il y a lieu de réduire la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Le Code criminel renferme d'autres dispositions, dont la prérogative royale de clémence, qui permettent de déclarer l'innocence d'une personne. David Milgaard a essayé de s'en prévaloir. Un certain monsieur Kinsella, qui soutient être innocent, est en train de recourir à ce processus.

La révision judiciaire n'a rien à voir avec la culpabilité ou l'innocence. Il ne s'agit pas de faire un second procès mais uniquement de déterminer s'il y a lieu de réduire la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle.

Je ne crois pas que nous devrions utiliser ce processus pour juger de nouveau qui que ce soit. Le Code criminel prévoit déjà des dispositions à cet égard. Je m'opposerais catégoriquement à ce que le processus soit utilisé à cette fin.

Le sénateur Doyle: Il existe des processus, comme vous dites, mais ces processus n'ont été d'aucune aide aux trois personnes dont nous avons parlé ce matin. Toutes sortes de pressions ont dû être exercées avant qu'elles soient innocentées.

Le sénateur Beaudoin: Deux grandes questions me préoccupent. La première concerne l'opportunité de modifier le Code criminel. Cela diffère de notre optique.

La deuxième, qui est à mon avis aussi importante que la première, concerne l'application du Code criminel. Certains disent parfois que les lois sont mauvaises, mais ce n'est pas toujours le cas. Une loi peut être bonne mais être mal appliquée. Ce peut être une question de jugement. Certains se demandent pourquoi un détenu a été libéré dans de telles circonstances. C'est probablement le résultat d'un mauvais jugement.

Vous avez indiqué que nous devrions nous débarrasser d'un article du Code criminel. C'est une question que nous devrons examiner. À votre avis, le système de libération conditionnelle est-il essentiel? Est-ce que cela devrait faire l'objet de discussions exhaustives, ou avez-vous une opinion très différente à ce sujet?

M. Sullivan: J'appuie le système de libération conditionnelle en général. On pourra toujours améliorer les lois et les politiques qui régissent la libération conditionnelle. Beaucoup de changements positifs ont été apportés. Par exemple, on a nommé de meilleurs éléments à la Commission nationale des libérations conditionnelles.

Je pense que la plupart des Canadiens sont en faveur d'un système de libération conditionnelle. Ce qui les dérange à propos de cet article, c'est qu'ils savent que dans un cas sur deux en général, les contrevenants ne purgeront pas la totalité de leur peine. Ils obtiendront une libération conditionnelle à un certain moment. Dans ce cas, un juge a effectivement déclaré: «Vous ne pourrez demander la libération conditionnelle qu'après avoir purgé 25 ans d'emprisonnement.» Or, même si c'est la peine qui a été imposée, elle peut être réduite. Les gens perdent alors confiance dans le système, et c'est un facteur dont nous devrions tous tenir compte.

Comme quelqu'un l'a dit, les Canadiens n'ont jamais eu aussi peu confiance dans notre système. C'est un problème dont nous devrions nous occuper. Cet article du Code criminel traduit mieux que tout autre l'incohérence d'un système qui souvent dit une chose et en fait une autre.

Il ne s'agit pas de réadaptation. La réadaptation est un aspect de nos principes de détermination de la peine. Il y en a bien d'autres. Il existe peut-être des détenus qui purgent une peine de 25 ans et qui pourraient être libérés sous condition sans récidiver. Cependant, ce n'est pas vraiment ce dont il s'agit. Il y a d'autres principes dont nous devons nous occuper. Nous devons donner suite aux préoccupations des Canadiens qui ne font pas confiance au système.

Si le gouvernement veut que des contrevenants puissent demander une libération conditionnelle après 15 ans, ce devrait être la loi, et il faudrait laisser les gens dire honnêtement ce qu'ils en pensent. Si la peine doit être de 15 ans, c'est ce que dira le juge.

L'article 745 a donc trahi un certain nombre de gens. Bien des victimes ne découvrent l'existence de cet article que 15 ans après que la peine originale a été imposée, c'est-à-dire lorsque la personne qui a tué leurs proches est admissible à la libération conditionnelle. La majorité des Canadiens n'étaient pas au courant de l'existence de cet article en 1976 et bien des Canadiens en ignorent toujours l'existence aujourd'hui.

Pour répondre brièvement à votre question, oui j'appuie le système de libération conditionnelle. Cependant, je ne crois pas que ce soit la libération conditionnelle qui pose problème mais le fait que la peine imposée ne corresponde pas forcément à la peine purgée.

Le sénateur Beaudoin: Avez-vous des commentaires à faire à propos de l'application du droit pénal dans notre pays? Dire que le système pénal peut être amélioré est une chose. Je comprends cela. Il est toujours possible d'améliorer le Code criminel.

Nous devons également prendre en compte l'administration de la justice. Nous nous demandons comment une personne qui en a tué une autre peut être libérée. Qu'est-ce qui est en cause? Est-ce la promulgation de lois pénales? Est-ce la loi? Est-ce l'application de la loi? C'est un grave sujet de préoccupation.

Il arrive que la loi se trompe, j'en conviens. La solution est alors facile. Il suffit de modifier la loi. C'est une loi du Parlement.

Nous également tenir compte de l'administration de la justice et du système de libération conditionnelle. Avez-vous des opinions là-dessus?

M. Sullivan: Le Canada possède le meilleur système de justice pénale au monde. Cela ne veut pas dire qu'il soit parfait car nous n'aurons jamais de système parfait, qu'il s'agisse de la libération conditionnelle, des services correctionnels ou du système judiciaire. L'un de nos points forts, c'est que nous sommes toujours prêts à admettre que nous pourrions apporter des changements. Nous apportons constamment des améliorations.

Ce processus vise en partie à améliorer un processus prévu par le Code criminel. Aussi efficace que soit notre système de libération conditionnelle, il n'en reste pas moins qu'en moyenne, une personne par mois meurt, victime de contrevenants bénéficiant d'une forme quelconque de libération anticipée. Aussi efficace que soit notre système, ce chiffre est beaucoup trop élevé.

On a fait remarquer que si un manège au Canada causait la mort d'une personne par mois, le Canada en interdirait l'utilisation. Cela ne veut pas dire que nous devrions mettre fin définitivement au système de libération conditionnelle. Nous devrions constamment l'améliorer.

Pour ce qui est de l'application de la loi, vous avez raison, sénateur, même si c'est la meilleure loi au monde, il n'en reste pas moins qu'elle sera toujours appliquée par des êtres humains. Il y aura toujours des erreurs.

Que cet article du Code criminel soit appliqué parfaitement ou non, là n'est pas le problème à mon avis. Le problème fondamental, c'est que cet article est mauvais.

Il est à espérer que ces changements l'amélioreront. Nous constaterons peut-être au bout du compte que d'autres améliorations s'imposent.

Est-ce que cela répond à votre question?

M. McNamara: Lorsque j'ai examiné des fascicules précédents du hansard, j'ai lu que cet article visait à donner une «lueur d'espoir» aux criminels. Je crois qu'à l'époque où il a été rédigé, il s'agissait effectivement d'une lueur d'espoir. Il était possible qu'un prisonnier modèle ayant purgé ses 15 ans de prison et étant réellement prêt à se réinsérer dans la société, soit libéré.

À l'époque où cet article a été rédigé, on ne croyait sûrement pas que plus de 70 p. 100 des détenus qui présenteraient une demande seraient libérés. C'est un taux tout à fait stupéfiant. Une partie du problème, c'est la façon dont ces révisions judiciaires se sont déroulées. J'ai une liste devant moi. Il y en a 600.

La présidente: Monsieur McNamara, d'où tirez-vous ce chiffre?

M. Sullivan: M. McNamara parle d'un taux d'approbation d'environ 70 p. 100 au niveau de l'audience de révision judiciaire, ce qui signifie qu'environ 70 p. 100 des personnes qui subissent ce processus se voient accorder une réduction de leur période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle par un jury. Cela ne veut pas dire qu'elles sont libérées. Les chiffres les plus récents dont nous disposons remontent au 31 mars 1996.

La présidente: Nous avons des chiffres récents. Par exemple, en décembre 1995, sur 175 détenus admissibles, seulement 50 ont vu leur période réduite.

M. Sullivan: Bien des gens n'ont pas présenté de demande. Les chiffres que nous avons, qui remontent au mois de mars de cette année, indiquent que sur 193 personnes admissibles, seulement 76 ont présenté une demande et de ce nombre, 70 p. 100 ont vu leur demande approuvée. Ce sont les chiffres du 31 mars 1996. Je me ferai un plaisir d'en laisser une copie au comité.

Le sénateur Pearson: Nous avons des chiffres datés du 22 octobre 1996.

M. McNamara: Peut-être pourriez-vous nous en fournir une copie.

Le sénateur Milne: On m'a signalé que jusqu'à ce que ce projet de loi soit adopté et ait force de loi, les tribunaux ne sont pas tenus de prendre en compte les droits des victimes. À l'heure actuelle, c'est au juge de décider s'il entendra ou non la déclaration de la victime.

Une fois que ce projet de loi entrera en vigueur, cela deviendra obligatoire. C'est l'une des améliorations apportées.

M. Sullivan: Des changements ont été prévus par le projet de loi C-41, promulgué plus tôt cette année, qui autorisent la déclaration de la victime sur les répercussions du crime.

Au procès qui a eu lieu à Barrie, dont j'ai parlé plus tôt, l'épouse du policier abattu et ses trois enfants ont été autorisés à présenter un témoignage oral.

Je crois toutefois que le Code criminel ne précise pas si la déclaration de la victime doit être orale ou écrite.

J'ai entendu le même genre de préoccupations, à savoir: permettra-t-on aux victimes de faire ces déclarations maintenant ou devront-elles attendre que le projet de loi soit adopté? C'est une question qu'il faut poser aux représentants du ministère de la Justice. Les victimes peuvent-elles donner cette information dès maintenant? Je n'ai pas la réponse à cette question.

Le sénateur Milne: Est-il vrai qu'il y a eu un cas en Ontario où un juge a refusé de tenir compte de la déclaration de la victime? Ce cas a été porté devant la Cour suprême. La Cour suprême a déclaré qu'en vertu de la loi actuelle, il appartenait au juge de décider si la déclaration de la victime était recevable.

Les mesures proposées par ce projet de loi commencent à correspondre à celles que vous préconisez.

La présidente: Je crois comprendre que la Cour suprême a rendu son jugement avant l'adoption du projet de loi C-41.

Le sénateur Pearson: Selon vous, le manque de confiance de la part du public dans le système judiciaire résulte-t-il en partie de la couverture faite par les médias et de la manipulation des chiffres?

M. McNamara: En ce qui concerne l'article 745, ce ne sont pas simplement les médias et les chiffres, mais c'est l'article même qui est en cause.

Le sénateur Pearson: Vous avez dit que la population discerne ce genre de choses par les biais des médias. Les chiffres aussi peuvent être trompeurs. Au début vous avez dit qu'environ 70 p. 100 des détenus bénéficiaient d'une libération anticipée. Vous vous êtes ensuite repris et avec déclaré que seulement 70 p. 100 des détenus qui présentent une demande en vertu de cet article voient leur demande acceptée.

Puis, on constate que près de la moitié des révisions ont eu lieu au Québec. Ma question est la suivante: quelle est la différence entre le Québec et le reste du pays?

M. Sullivan: Je crois comprendre que la différence se situe dans la façon dont les avocats de la Couronne utilisent cette disposition.

Le procureur général du Québec considère que les procureurs de la Couronne ne s'opposent pas à cette disposition aussi énergiquement, peut-être, que les procureurs de la Couronne ailleurs au pays. Leurs objections ne seraient sans doute pas aussi vives que celles de leurs collègues des autres provinces.

M. McNamara: L'optique est différente au Québec.

Le sénateur Pearson: Lorsque nous parlons du public canadien, nous ne devons pas oublier qu'une partie de notre public se trouve au Québec. Il existe un phénomène différent là-bas. J'aimerais avoir des réponses à cet égard.

M. Sullivan: J'ignore si la façon dont l'article 745 est appliqué au Québec correspond à ce que veut la population du Québec.

Le sénateur Pearson: Vous l'ignorez?

M. Sullivan: C'est exact; je l'ignore. J'ai eu affaire à quelques victimes du Québec qui s'opposent à cette disposition. Des articles récents parus au Québec, relatant comment des contrevenants libérés sur conditions ont récidivé, ont suscité la colère de la population du Québec. J'ignore si cette colère est aussi profonde que celle qu'éprouve le reste du pays.

M. McNamara: Nous avons examiné les chiffres. Dans nos bureaux, c'est presque devenu une blague: «Si vous voulez tuer quelqu'un, invitez-le à venir prendre un verre à Hull.»

Si vous assassinez quelqu'un au Québec, vous avez beaucoup plus de chances d'obtenir une réduction de peine ou d'être libéré. Si vous examinez le cas des contrevenants dangereux, vous constaterez qu'il n'y a pas d'équilibre au pays. Le Québec a un ou deux contrevenants dangereux; c'est en Ontario et en Alberta que l'on recense le plus grand nombre de demandes provenant de contrevenants dangereux. Si une personne armée entrait à l'Assemblée législative de l'Alberta et se mettait à tirer sur tout le monde et tuait des gens, il n'y aurait absolument aucune chance qu'en Alberta cette personne soit remise en liberté dix ans plus tard.

C'est une optique différente. Je suis originaire de Calgary.

Le sénateur Pearson: Il est important que les organisations comme la vôtre approfondissent un peu plus cette question. Vous avez des membres au Québec.

M. McNamara: Ce qui risque entre autres de donner une mauvaise impression des victimes de violence, c'est que les membres de la famille de victimes de meurtre veulent que le meurtrier soit pendu. Ils veulent qu'il soit jeté en prison pour toujours. Dans bien des circonstances, ce n'est pas le cas.

J'ai commencé à réfléchir à la question de l'admissibilité à la libération conditionnelle pour les meurtriers qui ont commis plus d'un meurtre. Je connais une famille où le père a malheureusement perdu la tête et a tué sa femme et son enfant. Il a été condamné à 25 ans de prison. Il n'aura pas droit à une révision judiciaire parce qu'il a commis plus d'un meurtre. Devons-nous l'emprisonner à vie? Je suis persuadé que cette personne peut être réinsérée dans la société et y jouer un rôle productif. Mais il doit être puni pour les actes qu'il a commis. Nous devons prendre des mesures de dissuasion et montrer au reste du Canada qu'on ne peut pas tuer sa femme et son enfant impunément. Il tombera dans la catégorie des détenus qui ne sont pas admissibles à une révision judiciaire.

Si nous décidons d'éliminer les révisions judiciaires, le juge entendra les témoignages des deux parties. On le respecte. Qu'on le laisse décider de la peine qui devrait être imposée.

La présidente: Il y a une question à laquelle j'aimerais que l'on réponde. Elle concerne la deuxième recommandation formulée par le Centre canadien des ressources pour les victimes de crimes, qui se lit comme suit:

Préciser qu'il ne faut pas faire valoir au jury le fait que le requérant a réussi à l'étape de la sélection.

Cela est à mon avis tout à fait impossible à nier. Si le mécanisme de sélection ou plus exactement le mécanisme d'examen initial fait partie du processus, cette personne ne pourrait pas se trouver devant le jury si elle n'avait pas subi ce processus d'examen initial. Peut-être vous demandez-vous si le jury doit connaître les raisons pour lesquelles le juge a accepté que la demande soit entendue par un jury? Est-ce l'aspect qui vous préoccupe?

M. Sullivan: Je comprends ce que vous voulez dire à propos du fait que le requérant a subi le processus d'examen initial et que le jury connaît peut-être la loi.

Je craignais que le requérant se serve de cette information pour influencer la décision du jury. Il serait peut-être possible d'apaiser cette crainte si le jury était mis au courant des raisons pour lesquelles le juge qui a procédé à l'examen initial de la demande a décidé de faire entendre la demande par un jury.

Le sénateur Gigantès: Monsieur McNamara, si je comprends bien, vous considérez que ce projet de loi pourrait être amélioré mais vous l'appuyez quand même, bien qu'à contrecoeur?

M. McNamara: Plus qu'à contrecoeur.

Le sénateur Gigantès: Il y a un changement sur lequel vous semblez revenir constamment, c'est-à-dire ce processus en deux étapes du juge, puis du jury. Vous aimeriez que le juge entende également la version de la victime. Est-ce exact?

M. McNamara: Oui. Le juge qui procédera à l'examen initial doit entendre tous les témoignages. Bien des victimes en savent plus à propos de l'affaire que quiconque, à l'exception bien entendu de la Couronne et du contrevenant.

Ces derniers mois, j'ai assisté au procès des personnes accusées du meurtre qui a été commis à Vanier. À certains moments, la grand-mère et la mère en savaient plus à propos de cette affaire que les enquêteurs. C'est ce genre de personnes qui devraient être entendues par le juge.

La présidente: Je vous remercie beaucoup, monsieur Sullivan et M. McNamara. Votre présentation d'aujourd'hui nous a beaucoup renseignés et nous sera utile dans nos délibérations. J'espère avoir l'occasion de vous revoir lorsque nous débattrons d'autres questions.

La séance est levée.


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