Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 36 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 21 novembre 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel est renvoyé le projet de loi C-45, Loi modifiant le Code criminel (révision judiciaire de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle) et une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 10 h 34, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous avons avec nous aujo urd'hui, de l'Association canadienne de justice pénale, M. Arn Snyder, président, comité d'examen des politiques, et M. Matthew Yeager, secrétaire; du Conseil des églises pour la justice et la criminologie, M. Rick Prashaw, coordonnateur des communications; du Infinity Lifers' Liaison Group, Mme Lisa Finateri; de la Société Saint-Léonard du Canada, M. Donald Evans, administrateur, et Mme Elizabeth White, directrice exécutive.

M. Matthew Yeager, secrétaire, Association canadienne de justice pénale: Nous sommes ravis d'être ici aujourd'hui. À ma gauche se trouve Johanne Vallée, directrice générale de l'Association des services de réhabilitation sociale au Québec. À ma droite se trouve M. Brian Gough, membre du programme Lifeline qui est parrainé par la Société Saint-Léonard du Canada et qui sera notre témoin principal.

Madame la présidente, avec votre permission, au lieu de lire notre mémoire, je vais demander qu'il soit considéré comme lu. Nous allons d'abord entendre M. Gough et ensuite Mme Johanne Vallée.

La présidente: Cela nous convient.

M. Brian Gough, membre, programme Lifeline: Le 18 juin 1996, j'ai eu l'occasion de comparaître devant le comité permanent de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes. Je suis heureux de pouvoir de nouveau vous parler des modifications proposées à l'article 745.

Pourquoi propose-t-on ces changements? Qu'est-ce qui a poussé le ministre de la Justice à présenter des modifications à l'article 745? Clairement, ce n'est pas parce que le processus ne fonctionne pas.

À mon avis, ces modifications à l'article 745 découlent des efforts de lobbying du mouvement de défense des droits des victimes en vue de modifier la politique en matière de justice pénale, ainsi que des efforts concertés d'un délinquant psychopathe appelé Clifford Olson. Pendant des années, cet homme a réussi à inspirer la crainte et à manipuler la presse et l'opinion publique de sa cellule. Ses remarques ont rendu furieux les représentants des médias, des mouvements de défense des droits des victimes et le simple citoyen. Olson et les autres comme lui sont l'exception et ne seront pas relâchés.

Il ne faut pas se surprendre de l'autorité qu'a acquise en la matière le mouvement de défense des droits des victimes, à une époque où les médias donnent de l'information erronée ou mal fondée à la population en ce qui concerne la loi actuelle portant sur la révision judiciaire.

Le mouvement de défense des droits des victimes a le droit de faire des pressions auprès des représentants gouvernementaux, et toute personne qui réfléchit peut avoir et a de la sympathie pour les familles des victimes, compatit avec elles, surtout que leurs efforts depuis 15 ou 20 ans se sont concentrés sur la vengeance. Or, la vengeance a un effet paralysant sur l'individu et sur la société dans son ensemble et n'a pas sa place dans une discussion rationnelle.

Les familles des délinquants sont aussi victimes. Je ne veux pas dire que leur douleur et leur perte soient plus grandes que celles des familles des victimes, mais, malheureusement, les familles des délinquants n'ont pas la même voix au chapitre dans ce débat. Le gouvernement du Canada a l'obligation de s'assurer que tous les Canadiens, y compris ceux qui sont incarcérés et leur famille, sont traités avec équité et justice.

Il faut remettre dans son contexte la crainte inspirée par M. Olson et les médias. M. Olson sait pertinemment qu'il ne sera pas libéré, même s'il a le droit de demander une révision judiciaire. Il n'existe pas actuellement d'échappatoire dans la loi pour un condamné à l'emprisonnement à perpétuité. La perpétuité, c'est la perpétuité.

La révision judiciaire, dans sa formule actuelle, représente un processus démocratique bien pensé.

L'audition se tient dans la localité où l'infraction a eu lieu. Un jury composé de 12 citoyens décide de réduire ou non le délai préalable à la libération conditionnelle. Par exemple, un détenu qui doit purger 25 ans de prison avant d'être admissible à la libération conditionnelle peut, s'il demande une révision judiciaire, s'attendre à quatre possibilités. Premièrement, aucune modification ou réduction de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, mais il peut obtenir la date à laquelle il pourra présenter une nouvelle demande. Deuxièmement, aucune modification ou réduction de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle et refus d'entendre toute demande future. Troisièmement, réduction du nombre d'années d'emprisonnement sans admissibilité à la libération conditionnelle. Quatrièmement, fin de la période d'inadmissibilité, ce qui permet au délinquant de demander immédiatement la libération conditionnelle.

Si le délinquant réussit à faire réduire la période préalable, il doit néanmoins présenter une demande à la Commission nationale des libérations conditionnelles pour obtenir sa libération. Le processus n'est pas automatique et prévoit des étapes préalables à la libération qui comportent des permissions de sortir sous surveillance, des permissions de sortir sans surveillance, la semi-liberté, puis la libération conditionnelle totale. Il faut en général trois ans pour franchir toutes ces étapes. Même lorsqu'il y a réduction de la période d'inadmissibilité à 15 ans, il faut encore attendre des années avant cette libération.

Au 28 février 1995, 15 de ceux qui avaient reçu une réduction de la période préalable à l'admissibilité à la libération conditionnelle ont obtenu la libération conditionnelle totale et six la semi-liberté. Aucune de ces personnes n'a commis de nouveau de crimes semblables. Les condamnés à l'emprisonnement à perpétuité, en général, continuent à être le meilleur risque lorsque libérés, le groupe dont le taux de récidive est le plus faible.

Je vous ai donné un bref aperçu de ce qu'est la révision judiciaire et de ce que je pense être les raisons qui ont poussé le ministre de la Justice à proposer des modifications à l'article 745. À mon avis, cela fonctionne; il n'y a pas lieu de tenter d'arranger les choses.

Je suis persuadé que toutes les personnes présentes ici ont fait de nombreuses lectures sur la libération conditionnelle et la révision judiciaire, mais j'aimerais saisir l'occasion qui m'est offerte ici pour vous parler du changement, du changement qui survient dans l'âme humaine. Malheureusement, la désinformation dans les médias a un grand rayonnement, alors que les efforts de la Commission nationale des libérations conditionnelles et des hommes et des femmes qui travaillent avec les condamnés à perpétuité, que ce soit sur le plan clinique ou sur le plan spirituel, ne peuvent atteindre ce même nombre de personnes.

Le système correctionnel fédéral existe pour appliquer les sentences prononcées par les tribunaux, mais il faut également que dans ce système on tienne compte des changements profonds sur le plan interpersonnel et intrapersonnel qui surviennent dans la vie du délinquant. Le système doit punir le délinquant en le privant de son droit le plus précieux, le droit à la liberté, mais il est également essentiel de faire tous les efforts voulus pour sauver cette vie et retourner à la collectivité un citoyen respectueux des lois. Il arrive un moment dans la vie de la grande majorité des détenus condamnés à perpétuité où survient ce changement, et ce, dans la plupart des cas, bien avant 15 ans d'emprisonnement.

En refusant de donner une deuxième chance aux détenus, on met de côté tout semblant de traitement juste et humain et on contrevient au principe même d'une société libre et démocratique, dont la morale reflète la doctrine chrétienne de la rédemption et du pardon. Personnellement, je connais de nombreuses personnes reconnues coupables de meurtre qui ont été libérées dans le cadre du programme de libération conditionnelle et qui vivent maintenant une vie productive dans le respect des lois. Elles travaillent, paient leurs impôts, font travailler d'autres personnes et, dans de nombreux cas, font du bénévolat pour aider les autres.

Les modifications proposées à l'article 745 prévoient, si je comprends bien, la présentation à un juge d'une demande de révision judiciaire devant jury. Ce processus en soi est arbitraire et capricieux et ne va pas dans le sens de l'intérêt public dans une société libre et démocratique. Les tueurs en série ne peuvent pas présenter de demande; toutefois, nous ne connaissons pas la définition de «tueur en série».

Exiger une décision unanime du jury au lieu d'une décision prise à la majorité des deux tiers n'est pas là non plus le signe d'un processus démocratique. Ne serait-il pas tragique que la Cour suprême doive se conformer à la même formule?

Ces modifications auraient un effet rétroactif, ce qui aurait des conséquences dévastatrices pour les délinquants emprisonnés à perpétuité dont la date de révision approche. On afficherait ainsi également un manque total de confiance dans les nombreux hommes et femmes qui travaillent pour aider à réadapter les délinquants.

Il s'est écoulé 20 ans depuis qu'on a augmenté la durée de la peine obligatoire dans les cas de meurtre; pour le meurtre au premier degré: 25 années d'emprisonnement avant l'admissibilité, et pour le meurtre au deuxième degré: de 10 à 25 ans d'emprisonnement, à la discrétion du juge. Les modifications proposées signifieraient des périodes plus longues d'incarcération en sécurité maximale dans le cas de la plupart des détenus emprisonnés à perpétuité, ce qui entraînerait pour le gouvernement et les contribuables des dépenses indues à une époque de contraintes budgétaires.

Les détenus qui réintègrent la société après avoir purgé une peine de 20 ans ou plus sont très certainement marginalisés. Plus la durée d'incarcération est longue, plus la réinsertion sociale est difficile.

De nombreux délinquants toujours incarcérés après 20 ans ou plus ne représentent aucun risque pour la société. Toutefois, leur insertion est retardée pour d'autres raisons, par exemple à cause d'une condition que je considère semblable au stress post-traumatique provoqué par des années passées dans un milieu où la plus grande vigilance est toujours de rigueur.

Des professionnels qui travaillent avec les délinquants avant leur libération éprouvent souvent des difficultés à trouver un établissement approprié pour certains détenus, par exemple une maison de transition. Dans certains cas, il n'existe tout simplement pas encore d'installations appropriées.

Les modifications prévues à l'article 745 augmenteront le nombre de délinquants dans cette catégorie. Pour tous, une vie sans espoir est certes tragique. Les modifications à l'article 745 abolissent tout espoir. Lorsque, comme personnes ou gouvernement, nous privons une personne ou un groupe de personnes d'espoir, nous nous diminuons en tant que société.

Comme personnes nommées à titre non politique, il vous incombe de vous assurer que notre gouvernement ne réagit pas simplement aux pressions qu'exercent les groupes de lobbying à des fins politiques. Les modifications à cette loi que propose le ministre de la Justice, Allan Rock, ne tiennent pas compte du fait qu'un examen empirique exhaustif révèle que le régime actuel fonctionne bien. À ma connaissance, jusqu'à présent, personne n'a pu démontrer que le processus de révision judiciaire actuel a entraîné la libération d'une personne qui a tué à nouveau. Encore une fois, si cela fonctionne, pourquoi y toucher?

Je suis un ancien détenu condamné à perpétuité qui a été libéré. J'ai purgé environ 12 ans dans des établissements fédéraux, dont neuf années dans des établissements à sécurité maximale. J'ai été libéré conditionnellement en 1984 et j'ai fait des études postsecondaires en science du comportement. Pendant sept ans, j'ai travaillé avec les handicapés développementaux.

Récemment, j'ai commencé à travailler pour Lifeline Kingston, organisme qui oeuvre auprès des condamnés à perpétuité dans la région de l'Ontario. En ma qualité d'intervenant du programme In-Reach, je me sens obligé de parler pour les 600 condamnés à perpétuité qui purgent leur peine dans des établissements fédéraux au Canada. Ces hommes et ces femmes sont aussi des Canadiens et, malgré leur crime, demeurent des être humains qui espèrent en un avenir meilleur. Ils représentent quelque chose pour nous tous.

Enfin, je fais appel à votre sagesse, à votre compassion et à vote sens de justice. Chacun d'entre vous a été nommé pour surveiller les rouages du gouvernement. Vous n'êtes pas ici aujourd'hui, parce que vous cherchez à être réélus ou pour observer une discipline de parti. Vous n'êtes pas ici aujourd'hui à cause d'un lobby particulier ou d'un groupe d'intérêt spécial. Vous êtes ici aujourd'hui, investis du pouvoir d'examiner objectivement tout ce que fait le gouvernement. C'est la raison pour laquelle je vous incite à ne pas modifier un système qui fonctionne bien. Je vous encourage fortement à ne pas retirer le dernier espoir aux 600 hommes et femmes incarcérés dans les prisons canadiennes. Je vous incite à ne pas oublier les familles, les épouses, les mères, les pères, les enfants et autres membres de la famille de ces personnes. Je vous encourage fortement à ne pas oublier que toute cette question découle d'un sentiment de vengeance et de justice vengeresse. Je vous incite à ne pas oublier que ce projet de loi a été faussé par la désinformation ainsi que par l'hystérie publique provoquée par Clifford Olson et sa manipulation des médias. Je vous recommande fortement de ne pas oublier qu'il n'existe aucune donnée qui appuie les changements à l'article 745. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître ici aujourd'hui.

M. Yeager: Avec la permission du comité, madame la présidente, puis-je maintenant vous présenter Mme Johanne Vallée?

[Français]

Madame Johanne Vallée, membre, directrice générale, Association des services de réhabilitation sociale du Québec: Je voudrais remercier les membres du Sénat pour nous permettre de comparaître aujourd'hui. Je remercie l'Association canadienne de justice pénale pour nous avoir invité à faire partie de son panel. Avant de vous présenter la position de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec, je voudrais vous dire seulement quelques mots sur l'Association de façon à ce que vous puissiez comprendre qui sont les gens qui déterminent les positions de l'Association.

L'Association existe depuis 1962 et sa mission consiste à encourager et à supporter la participation des citoyens et des organismes communautaires à l'administration de la justice pénale, la prévention de la criminalité et la réinsertion sociale des contrevenants.

Notre association regroupe environ une cinquantaine d'organismes communautaires dirigés par des citoyens bénévoles répartis à travers la province de Québec, si bien qu'à chaque année, on dessert environ 35 000 contrevenants adultes qui ont des démêlés avec la justice, soit sous juridiction fédérale ou provinciale. Ces personnes peuvent être détenues, prévenues ou sous libération conditionnelle ou il peut s'agir de famille de contrevenants.

Enfin les services offerts par le réseau sont diversifiés parce que l'on intervient avec des délinquants toxicomanes. Certains ont des problèmes psychiatriques et d'autres, de délinquance sexuelle.

Vous comprenez que les gens qui représentent notre association sont des citoyens persuadés de la capacité de changement de la plupart des contrevenants. Ils sont aussi conscients que ce potentiel de changement doit pour s'actualiser, bénéficier de l'appui des citoyens et de l'ouverture de la communauté.

Bien qu'une partie de l'opinion publique exprime ses craintes face à la réintégration sociale de contrevenants et demande au législateur un durcissement des modalités de remise en liberté, le réseau de notre association a été mis en place et est dirigé par des citoyens nombreux, engagés et désireux de contribuer à l'instauration d'un climat de paix et d'harmonie sociale.

En ce qui concerne le projet de loi, je vais aborder trois points: la question du jury, la question de la révision judiciaire dans la gestion des peines et celle de la sécurité du public et l'expérience québécoise.

En ce qui concerne le jury, la proposition du projet de loi à l'effet que la décision du jury devrait être prise sur la base de l'unanimité constitue un projet d'amendement quelque peu étonnant lorsque l'on s'attarde à considérer l'autorité que l'on confère normalement à cette instance décisionnelle.

Le jury est avant tout l'expression de la démocratie puisque l'on reconnaît aux citoyens le droit de participer aux décisions que la justice doit rendre. On comprend que l'unanimité soit une dimension importante dans le processus décisionnel d'un jury lorsqu'il s'agit d'un procès pour un délit au Code criminel. Le principe qui s'applique à ce niveau est celui du doute raisonnable. Si le jury n'est pas unanime, il y a un doute raisonnable qui empêche un verdict de culpabilité.

Dans le cas qui nous intéresse, la culpabilité de l'individu a déjà été établie et il s'agit pour le jury de se faire une opinion sur l'évolution du détenu, sur les changements survenus au niveau de son comportement. Donc il y a un ensemble de témoignages de la part de différents intervenants qui sont accessibles. Le comportement du détenu est passé au peigne fin afin de faire pencher le jury en faveur d'une réduction de sa période d'éligibilité. Le détenu devra démontrer que son comportement est impeccable. C'est probablement ce qui explique aussi que 30 ou 36 p. 100 des détenus qui appliquent pour la révision judiciaire. C'est un petit nombre sur l'ensemble des détenus qui purgent une longue sentence.

D'autre part, tel que décrit dans le projet de loi, le fait qu'un juge ait à décider de la possibilité d'entendre une demande de révision judiciaire nous amène à croire que le pouvoir du jury est usurpé par le pouvoir du juge. Pourtant il ne faut pas oublier que le jury, dans les cas de révision judiciaire, est composé de citoyens qui proviennent du milieu là où le crime a été commis. Donc ces citoyens se penchent à nouveau sur le cas des détenus. Nous considérons que la révision judiciaire constitue un processus favorisant l'implication de la communauté dans l'administration de la justice ainsi que dans la réinsertion sociale du détenu.

Maintenant je vous entretiendrai de l'impact de la révision judiciaire sur la gestion des peines et sur la sécurité du public. Il ne faut pas oublier qu'au Canada, notre philosophie pénale et la mission du service correctionnel du Canada reconnaissent qu'un individu peut changer. Ces modifications limitant davantage l'accès à ce processus vont dans le sens contraire. Elles signifient que la part de l'incarcération se limite davantage à la vengeance et à la punition au détriment de la réinsertion.

La révision judiciaire récompense ceux qui, au cours de leur période de réclusion, ont véritablement fourni un effort nécessaire afin de devenir de meilleurs citoyens. Ainsi, il devient inutile de prolonger la période d'incarcération. On peut penser qu'il existe un moment propice pour remettre un individu en liberté sous surveillance. C'est la raison pour laquelle la révision judiciaire est une mesure utile et nécessaire. Elle permet d'identifier les individus qui sont vraiment prêts à un élargissement et évite de les retenir inutilement au pénitencier alors qu'ils pourraient poursuivre avantageusement leur cheminement dans la communauté, et ce, à moindre frais pour les contribuables.

Si on limite davantage son accès, l'espoir des détenus sera affecté considérablement et cette limitation rendra la gestion des longues sentences beaucoup plus ardue. À cet effet, je vous inviterais à examiner l'exemple de la France, l'expérience actuelle de la France qui éprouve des problèmes majeurs de violence dans ses centres de détention en raison de la surpopulation et en raison des longues sentences et des sentences à terme fixe.

En ce qui concerne l'expérience du Québec, c'est au Québec que l'on retrouve le nombre le plus élevé de détenus ayant bénéficié d'une réponse positive suite à une révision judiciaire. Les résultats sont excellents. D'une part, il n'y a pas eu de récidive chez ceux qui ont été libérés, d'autre part, l'implication des citoyens dans la gestion de cette population est manifestement remarquable. En effet, ceux-ci font du bénévolat avec les groupes de longue sentence et ce, depuis plusieurs années. Ils participent aux audiences de révision judiciaire. Par la suite, ils poursuivent l'accompagnement avec ces détenus, une fois qu'ils ont été libérés. Ils ont construit avec les détenus une relation au fil du temps sur la base de la confiance et du respect mutuel.

Les résultats positifs amènent au Québec les groupes communautaires à appuyer la révision judiciaire dans son contexte actuel. Ces groupes s'opposent à toute modification. Lors des discussions organisées par le ministère de la Justice, avant même l'annonce du projet de loi, les groupes du Québec ont milité en faveur du maintien du processus. Le Barreau a fait des représentations en ce sens.

Pour nos organisations, les changements proposés ne correspondent en rien à la réalité ni aux besoins de protection du public. Les modifications ne correspondent pas non plus aux valeurs de la société canadienne et québécoise.

La révision judiciaire a été instaurée pour permettre aux détenus méritoires seulement de bénéficier d'un élargissement avec surveillance. Ces gens-là, une fois libérés, demeurent détenus toute leur vie. Malgré les nombreuses attaques que la révision a pu subir, la révision constitue pour nous une mesure juste et efficace étant donné qu'elle vise une clientèle qui démontre peu de risques de récidive. Les raisons pour lesquelles on peut désirer son abolition sont, à notre avis, basées uniquement sur des principes de vengeance. Nous vous demandons de revoir le projet actuel de sorte que la révision soit maintenue dans son contexte actuel.

[Traduction]

M. Yeager: Madame la présidente, c'est ainsi que se termine notre témoignage. Peut-être devrions-nous céder la parole à d'autres témoins.

La présidente: Merci. Passons maintenant au Conseil des églises pour la justice et la criminologie.

M. Rick Prashaw, coordonnateur des communications, Conseil des églises pour la justice et la criminologie: Madame la présidente et honorables sénateurs, pour notre présentation de ce matin, alors que vous ne voyez que deux d'entre nous, vous allez en fait entendre le témoignage de quatre personnes, deux étant représentées par le mémoire proprement dit.

Je m'appelle Rick Prashaw et je fais partie du personnel du Conseil des églises pour la justice et la criminologie. Je suis accompagné par Lisa Finateri, notre étudiante stagiaire de cette année, de l'Université d'Ottawa. Plus important encore, elle est membre du Infinity Lifers' Liaison Group et se rend chaque semaine avec son groupe dans la région de Kingston pour visiter les condamnés à perpétuité. Même si elle ne participe pas à l'exposé proprement dit, nous vous invitons à lui poser des questions de manière qu'elle puisse vous faire part de son expérience.

Vous entendrez aussi le témoignage de notre présidente, Renate Mohr, qui enseigne le droit pénal à l'université Carleton et qui connaît très bien le travail de la Commission canadienne sur la détermination de la peine.

Il ne faudrait pas oublier, non plus, Wilma Derksen, du Manitoba, victime d'une tragédie vers la fin des années 80, lorsque sa fille Candice a été kidnappée et tuée. Ensemble, elle et moi vous ferons part de ses réflexions personnelles. Elle représente un nombre appréciable de victimes qui cherchent péniblement à obtenir justice et qui estiment que les lois comme le projet de loi à l'étude ne réussiront pas à leur rendre justice et satisfaction.

Certains d'entre vous nous connaissent peut-être déjà. Nous sommes une coalition de 11 églises nationales représentant de nombreuses confessions. Nous parlons au nom des 14 000 paroisses du pays. Nous représentons l'Église catholique romaine, l'Église anglicane, l'Église unie, l'Église évangélique, l'Église luthérienne, l'Église presbytérienne, l'Armée du Salut, les Quakers, les Mennonites, le Christian Reformed Church et les Disciples du Christ. Depuis 1974, nous avons pour mandat non seulement de doter nos églises des ressources voulues pour étudier les valeurs et les principes à la base de nombreuses questions que soulève le système de justice pénale, mais aussi de les éduquer de même que le grand public à ce sujet.

Depuis notre création, nous avons pris conscience de la nature accusatoire du système judiciaire actuel axé sur le châtiment comme une fin en soi qui s'attaque rarement, si ce n'est jamais, aux véritables torts que cause le crime à la collectivité et à ses membres. C'est pourquoi de nombreux Canadiens sont insatisfaits de leur contact avec la justice, car on les a convaincus que l'imposition de peines plus longues et plus sévères leur rendrait le sentiment de sécurité ou les guérirait du mal que leur a fait le crime. Rien n'est plus faux.

Nos paroissiens souhaitent des collectivités où l'on peut vivre en sécurité. C'est aussi mon souhait personnel, en tant qu'époux et père de quatre enfants. La dernière chose que moi et d'autres membres d'église souhaitons est que des personnes vraiment dangereuses circulent en toute liberté dans nos rues. Le projet de loi C-45 n'accroîtra pas notre sécurité et il ne protégera pas nos collectivités.

Nous sommes opposés au projet de loi C-45 parce que, de concert avec bien d'autres mesures analogues qui semblent raisonnables en surface, il minera en réalité notre sécurité. Notre position vient de notre conviction que le projet de loi à l'étude est un moyen déguisé d'abroger la clause «de la faible lueur d'espoir». L'abrogation va à l'encontre de tous les faits qui montrent à quel point les révisions judiciaires donnent de bons résultats; elle imposera un coût humain et social très élevé qui rendra notre système de justice pénale déjà inefficace encore plus punitif et nos collectivités, moins sûres. À lui seul, le projet de loi C-45 justifie notre présence ici, mais nous croyons que vous, en tant que sénateurs, avez la possibilité de rejeter ce genre de mesure législative qui symbolise une attitude profondément ancrée au pays et un moyen de justice qui, en vérité, ne redresse pas les torts faits à nos collectivités.

Les changements importants envisagés dans le projet de loi représenteraient un changement de cap majeur du principe sur lequel repose le régime correctionnel appliqué à ceux qui sont jugés coupables de meurtre. M. Allan Rock lui-même a dit que, dorénavant, la clause de la lueur d'espoir et le processus de révision judiciaire ne s'appliqueront que dans des cas exceptionnels. Pendant plus de dix ans, cette clause et le processus ont fait partie du régime correctionnel et du système de libération conditionnelle, et ils avaient un réel succès.

Cette décision revient à s'attaquer directement au principe de la réadaptation. Les détenus entassés dans nos prisons passeront d'une faible lueur d'espoir à une situation sans espoir. La mesure législative à l'étude mettra fin à tout espoir de s'en sortir.

Quand la société éteint tout espoir et, par le fait même, cesse d'encourager le changement, elle aggrave incontestablement les conditions de vie derrière les barreaux et fait en sorte que les criminels qui devront tôt ou tard être libérés sortiront de prison encore plus endurcis. En quoi cela améliore-t-il la sécurité de nos collectivités?

Il existe plusieurs raisons et facteurs dont nous vous demandons de tenir compte avant de permettre l'adoption du projet de loi à l'étude. Selon nous, le gouvernement, en succombant aux pressions et en confondant expédients politiques et justice, souhaite empêcher l'admissibilité à la libération de tous les tueurs en série avant 25 ans fermes, sans tenir compte de toutes les circonstances entourant le crime et de la gamme des causes qui relèvent de cette catégorie. Cette décision imposera un coût social et financier énorme à la société. D'après les données des Services correctionnels du Canada, durant la période allant de l'année prochaine à l'an 2008, cette loi interdira d'office à 101 tueurs en série de demander une révision judiciaire. Si l'on transpose ces données à la situation actuelle, cela signifie que, parmi les 63 demandes de révision entendues jusqu'ici, les 11 qui ont été approuvées, entre autres de tueurs en série, auraient été d'office exclues, même si des jurys composés de membres de la collectivité ont jugé que sept de ces personnes pouvaient être libérées, qu'elles l'ont été et qu'elles réussissent fort bien à vivre en société. D'après le projet de loi à l'étude, ces personnes seraient d'office condamnées à 25 ans minimum de prison parce qu'elles ont tué plus d'une personne.

En d'autres mots, sénateurs, il existe au sein de la collectivité des personnes qui jouissent d'une libération conditionnelle de jour ou d'une libération conditionnelle totale et qui n'auraient jamais été libérées si ces propositions avaient alors eu force de loi. Les règles existantes concernant la révision judiciaire ont permis à des jurys de se pencher sur l'élément humain de certains cas, sur des crimes provoqués par le désespoir et toutes sortes de situations, y compris les guerres de motards et les ménages à trois. Nous ne cherchons pas à minimiser la faute commise. Nous estimons que ces personnes ont des comptes à rendre et qu'il faut voir à la sécurité de la collectivité. Cependant, dans bien des collectivités, les jurys estiment que certains détenus ont suffisamment changé pour entamer une réinsertion graduelle dans la société sans compromettre la sécurité des autres.

Nous ne demandons pas que le détenu soit libéré d'office après avoir purgé 15 ans de sa peine. Ce n'est pas là l'objectif des révisions judiciaires qui ont, par contre, l'avantage de permettre un examen détaillé du dossier et de consulter la collectivité. Comme le montrent les faits, les révisions judiciaires donnent de bons résultats.

Quand on voit comme un tout les modifications envisagées dans le projet de loi C-45, elles reviennent à abroger pratiquement la clause de la lueur d'espoir. Elles ne représentent pas, comme voudrait nous le faire croire M. Rock, un compromis raisonnable entre les partisans du régime actuel et les tenants de son abolition. J'espère me tromper, mais je crains qu'il ne faille, dans quelques années, reprendre l'examen de la révision judiciaire et voir combien de détenus ont en fait été libérés.

Les modifications obligeront dorénavant les 12 jurés à rendre un verdict unanime, plutôt que l'actuelle majorité des deux tiers; toutes les demandes de révision judiciaire présentées par des tueurs en série seront d'office rejetées, et il y aura en place un mécanisme de sélection préalable qui rejettera au départ les demandes vexatoires. Ces modifications, alliées à la disposition adoptée récemment dans le Code criminel qui permet aux victimes de participer au processus et de faire une déclaration, signifient que moins de détenus pourront être libérés au sein de la collectivité avant d'avoir purgé au moins 25 ans fermes. On fera tout cela au nom de divers facteurs sans rapport avec les faits, sans tenir compte des risques réels ou du travail de réadaptation déjà accompli.

Nous ne sommes pas opposés au fait que l'on permette à la victime d'avoir plus de voix au chapitre, à condition que sa participation soit volontaire et qu'elle ait du soutien tout au long du processus. Toutefois, si cette mesure est conjuguée à la modification projetée qui exigerait une décision unanime des 12 jurés, nous savons que, ému par le plaidoyer de la famille de la victime, un juré pourra à lui seul contrecarrer la décision des 11 autres et prolonger de 10 ans l'incarcération.

C'est vrai qu'il faut répondre aux besoins des victimes avec plus d'efficacité. Cependant, il ne faut pas faire reposer notre système judiciaire seulement sur l'émotion ou l'exaspération d'une collectivité, elle-même manipulée par certains élus pour des raisons qui leur sont propres. Il est dans l'intérêt de chacun que les tueurs condamnés à l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans sortent de prison et réintègrent la collectivité meilleurs qu'ils ne l'étaient au départ. La réinsertion sociale sous surveillance des criminels, particulièrement de ceux qui ont changé et qui ne sont plus considérés comme une menace pour la société, est ce qu'il y a de plus sensé.

Nous avons entre autres contesté l'opinion de M. Nunziata à cet égard. M. Nunziata, suffisamment de politiciens de chaque parti, de chefs de police, de médias et de membres du grand public disent: «Non, protégez nos collectivités en gardant en prison les meurtriers; plus ils seront nombreux en prison et plus ils y resteront longtemps, mieux ce sera». Ils croient ainsi protéger ceux qu'ils aiment, y compris leurs enfants, mais qu'arrivera-t-il aux enfants de leurs enfants? Cette réaction ne règle en rien le problème des meurtres commis dans la société. Nous ne faisons que reporter à plus tard le problème, nous le léguons à nos enfants, à nos petits-enfants, aux petits-enfants de M. Nunziata, aux miens et aux vôtres. Ils auront le droit de nous condamner si nous adoptons ce genre de loi.

Le débat d'aujourd'hui comporte un élément profondément humain. Peu importe à quel point nous vilipendons et isolons les tueurs, ils demeurent nos frères et nos soeurs, nos fils et nos filles, nos mères et nos pères, nos concitoyens et nos voisins. Ils font partie de la société, tout comme leurs victimes et leurs familles. Notre société est en train de compromettre ces liens. Ce que nous faisons aux détenus et à leurs familles, ce que nous faisons au nom de certaines victimes, nous nous le faisons à nous-mêmes aussi. Quand quelqu'un perd des droits ou l'espoir, c'est toute l'humanité qui en souffre. Que les chrétiens se rappellent les paroles de Saint Paul: «Un membre [du corps] souffre-t-il? Tous les membres souffrent avec lui». Quand on éteint toute lueur d'espoir, quand on enlève toute raison de changer, quand on oublie que presque tous ceux qui tuent se retrouveront à nouveau parmi nous un jour, on renonce à son humanité.

Ceux qui entendent ces paroles pourraient naturellement répliquer: «Mais c'est exactement ce qu'ils ont fait lorsqu'ils ont tué leurs victimes». Nous sommes d'accord. Nous n'excusons pas leur faute, et il faut qu'ils en assument les conséquences. Nous aussi, nous tenons à la sécurité de ceux qui nous entourent et de la société en général. Nous savons qu'il faut qu'il y ait des conséquences graves. Il semble qu'on en tienne compte dans le processus de révision judiciaire.

Les données à jour présentées aujourd'hui par le conseil révèlent que 14 des 69 jurys de révision judiciaire ont rejeté d'emblée la demande de réduction de la période d'inadmissibilité. La Commission des libérations conditionnelles a plus tard carrément rejeté la demande de libération de six des 50 détenus dont on avait réduit la période d'inadmissibilité. Nous estimons que la loi actuelle est efficace. Nous sommes conscients de la situation et des sentiments des victimes et des préoccupations légitimes de chacun. Il est vrai que notre système judiciaire n'a pas accordé toute la place qui leur revient aux droits et aux préoccupations des autres, mais il faut rejeter toute forme de justice qui masque un désir de vengeance ou de rétribution.

En guise de conclusion, j'aimerais vous citer Wilma Derksen, qui est récemment devenue membre de notre conseil et qui, par pure coïncidence, se trouve en Ontario cette semaine pour donner des conférences. Nous avons essayé de la faire venir ici aujourd'hui, mais c'était impossible. Elle est à Toronto dans le cadre de la semaine de la justice réparatrice où elle décrit sa propre expérience.

Elle est en train de mettre sur pied un réseau d'aide aux victimes. Elle s'apprête à lancer d'un bout à l'autre du pays une importante initiative de deux ans dans le cadre de laquelle on pourra aider les victimes à s'aider elles-mêmes, amorcer un dialogue avec certains groupes de victimes et trouver la voie de la justice et de la guérison. Je vous fais part de ses réflexions, que nous avons déjà partagées avec le comité de la Justice de la Chambre des communes:

...après les funérailles, une amie est venue me voir alors que j'étais écrasée de douleur. Le thé était bon, la pièce chaude et silencieuse. Elle m'a dit: "Wilma, je sais que tu as pardonné. Je ne sens pas de vengeance en toi. Malgré tout, si tu pouvais donner libre cours à tes sentiments, quelle forme de justice réclamerais-tu? Voudrais-tu que le meurtrier soit mis à mort?"

À cela, Wilma répond:

Jusqu'ici, je ne m'étais jamais permis d'y réfléchir. Toutefois, je me sentais en sécurité avec cette amie, et elle me posait une question honnête. J'ai donc décidé d'aller voir au fond de moi-même.

Elle explique ensuite que ses pensées et ses sentiments l'ont scandalisée. C'est alors qu'elle a dit à son amie:

Il faudrait que dix personnes ayant tué des enfants meurent... et que ce soit moi qui appuie sur la gâchette.

Dans ma tête, j'ai vu dix hommes au visage couvert alignés le long d'un mur et, dix fois, j'ai tiré. C'était sublime. Toutefois, le film ne s'arrête pas là. J'ai vu les dix corps tomber. J'ai vu le sang et la profanation. J'ai vu les cagoules tomber et les visages vulnérables dans la mort. J'ai levé la tête et j'ai vu les mères pleurant la perte de leurs fils. Étant moi-même affligée, je pouvais facilement m'identifier à elles et ressentir la douleur de leur perte aussi vivement que la mienne. Pire encore, j'ai vu que l'un des hommes n'avait personne pour le pleurer. Il n'avait jamais connu l'amour, et je venais de lui en enlever toute possibilité. Revenue à la réalité, j'étais terrassée.

Le Christ nous a montré comment nuancer la justice d'amour et de pardon; il nous a enseigné qu'il est possible de guérir en se servant de sa douleur pour donner espoir. Il savait que ceux qui ne cherchent qu'à se venger ne récoltent qu'un plus grand vide. Il nous a enseigné une meilleure façon de donner un sens et de la valeur à notre souffrance. Tous deux croyants, mon époux Cliff et moi-même avons désespérément tenté de trouver des germes d'espoir dans le drame que nous vivions. Nous avons lancé une collecte de fonds pour bâtir une piscine au camp Arnes. Nous avons contribué à établir un réseau d'Enfants Retour à Winnipeg et avons ouvertement parlé de notre drame pour voir si cela pouvait réellement combler le vide de nos vies. Rien ne peut remplacer Candace. Par contre, quand je compare le sentiment que me procurait la mort des meurtriers à la joie merveilleuse et profonde que faisait naître la piscine, le retour d'un enfant et le fait de savoir que notre drame en a aidé d'autres, il n'y a pas de comparaison.

Wilma me reprocherait de partir sans ajouter une restriction. Elle dit constamment: «Il ne faut jamais dire aux victimes que c'est la seule voie à prendre. Le choix leur appartient. La dernière chose qu'elles veulent ou font -- et la dernière chose que nous souhaitons --, c'est de voir les victimes se battre entre elles pour décider de la bonne voie à suivre». Nous tenions à vous faire ce récit, ce matin, pour compléter le tableau que vous pourriez avoir des victimes au Canada. Elles sont nombreuses, et elles choisissent des voies différentes. On fait suffisamment revivre leur drame aux victimes. Nous tenions simplement à ce que vous sachiez que les voies choisies par les victimes sont nombreuses et variées, qu'un nombre de plus en plus grand d'entre elles choisissent de guérir en redonnant goût à la vie, de satisfaire leurs besoins et d'exercer leurs droits par d'autres moyens que de se consacrer entièrement au châtiment du criminel.

Nous ne critiquons pas du tout les groupes de victimes parce que c'est ainsi qu'est structuré notre système judiciaire. Leur seule mesure de la justice est la durée de la sentence prononcée. C'est le fruit de notre système pénal accusatoire. Si la justice était rendue différemment au Canada et que nous avions à notre disposition d'autres moyens d'intervenir, ils pourraient mesurer la justice autrement.

Nous exhortons les membres du Sénat à empêcher l'adoption du projet de loi à l'étude, à recommander les amendements nécessaires pour dire qu'assez est assez et que ce genre de loi punitive contribue très peu à la sécurité de nos collectivités. Mme Finateri et moi sommes à votre disposition maintenant pour répondre aux questions.

La présidente: Monsieur Prashaw, je vous remercie. Étant moi-même de Winnipeg, je connais très bien les bonnes oeuvres de Mme Derksen tant pour Enfants Retour que sur d'autres fronts.

Mme Elizabeth White, directrice exécutive, Société Saint Léonard du Canada: Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités, M. Donald Evans et moi, à nous asseoir à cette table, aujourd'hui.

Au cas où certains d'entre vous ne connaîtrait pas la Société Saint Léonard du Canada, je précise qu'elle a été fondée en 1962 dans le même but que ce dont il est question ici ce matin, soit d'améliorer la sécurité de nos collectivités grâce à une meilleure intégration sociale des ex-détenus.

Notre première maison a ouvert ses portes à Windsor pour accueillir d'ex-détenus de prisons fédérales, et d'autres maisons ont suivi. La société nationale a été formée en 1967. Elle comprend maintenant 15 organismes affiliés répartis un peu partout au pays. Le conseil national compte un représentant de chaque organisme affilié, ainsi que des représentants de la collectivité.

Notre société part de l'hypothèse que l'intégration de personnes qui ont été pendant longtemps isolées de la société est la seule façon de garantir la sécurité de nos collectivités. C'est encore notre précepte. Par contre, les programmes se sont diversifiés au cours des 30 dernières années. Plus particulièrement, le programme Life Line a été conçu expressément pour répondre aux besoins des condamnés à perpétuité qui réintègrent une société très différente de celle qu'ils ont naguère connue.

Je commencerai par vous parler du contexte entourant le projet de loi C-45. Je sais qu'on vous a présenté beaucoup de faits, de données et de mémoires. Je ne m'attarderai pas aux faits, mais il importe de reconnaître que l'article 745 doit son existence à l'abolition de la peine de mort. Ce fut le premier signe concret de progrès; je détesterais nous voir reculer sur ce plan. En échange de l'abolition de la peine de mort, nous avons accru la période d'inadmissibilité, la portant à 25 ans. Comme vous le savez, en raison de cette prolongation, le Canada est le pays où les meurtriers demeurent incarcérés le plus longtemps. Nous savons aussi, d'après toutes les études effectuées, que rien ne prouve que l'incarcération accroît la sécurité des collectivités, autrement qu'à très court terme.

L'article 745 reconnaissait que la condamnation à une peine avait pour objet, entre autres, de réadapter les prisonniers et de les encourager à s'améliorer pour qu'ils puissent retourner vivre en société sans commettre de crime et que l'on puisse éliminer les facteurs criminogènes. Cet article représente un bon outil de gestion des sentences. Il réduit les frais inutiles d'incarcération, et son application s'est avérée très efficace.

Le fait que seulement 39 p. 100 de ceux qui ont le droit de présenter une demande en vertu de l'article 745 l'aient fait montre bien que les détenus s'évaluent, dans une grande mesure, eux-mêmes pour voir s'ils répondent aux critères. La loi est donc efficace.

Sautons le reste des données statistiques jusqu'au bas, où l'on constate que 13 p. 100 seulement de tous ceux qui sont admissibles obtiennent réellement une libération conditionnelle à ce stade. Ce fait révèle que de la première jusqu'à la dernière étape de la véritable libération conditionnelle autorisée par la commission, nous ne choisissons dans les faits que ceux qui ont les meilleures chances de réussir. En fait, nous faisons déjà ce que le ministre de la Justice affirme vouloir faire.

Cela prouve aussi que la participation de la collectivité à l'application de l'article 745 a été utile et équilibrée. Parce que leur demande est jugée par des membres de la collectivité, cela ne veut pas dire que tous les détenus peuvent demander une libération conditionnelle. Ces jurys examinent avec soin tous les facteurs et exercent leur jugement au nom de leurs collectivités.

Il est difficile de comprendre comment nous avons pu en arriver à envisager la possibilité d'adopter le projet de loi C-45. Contrairement à l'idée que s'en fait le grand public, le condamné à perpétuité n'a pas, en règle générale, de très longs antécédents criminels. Il a tendance à être stable, tant en prison qu'à l'extérieur. Son taux de récidive est dans l'ensemble faible, comme en témoigne les études menées au Royaume-Uni, en Allemagne et au Canada.

Le projet de loi cherche à régler un problème qui n'existe pas. Il resserre les conditions, au point peut-être où nul ne pourra plus demander une libération conditionnelle avant la fin de sa peine. Comme l'a fait remarquer M. Prashaw plus tôt, la mesure préconisée représente dans les faits une abrogation qui, si elle est adoptée, confirmerait la position peu enviable du Canada en tant qu'un des pays les plus enclins à incarcérer, en dépit du fait que nous savons fort bien que l'incarcération ne redresse pas les torts faits aux victimes, qu'elle ne guérit pas les maux sociaux et qu'elle ne réadapte pas le criminel.

Par ce projet de loi, nous transformerions un système ouvert, axé sur la participation de la collectivité, en un système où justice serait rendue derrière des portes closes. Si elle estime que le système n'est pas attentif à ses besoins et qu'il n'a pas de comptes à rendre, la population ne sera pas encouragée par cette mesure législative.

Comme on l'a dit bien des fois, le projet de loi C-45 semble être la réaction à un seul cas, celui de Clifford Olson. Étant donné que sa demande sera examinée par un jury composé de membres de la collectivité, M. Olson ne sera pas libéré. Il y a très peu de Clifford Olson au Canada. Adopter une loi à leur sujet reviendrait à fonder le système sur l'exception, plutôt que sur la règle.

Le projet de loi C-45 embrouille un mécanisme souple et sensible aux vues de la collectivité, ce qui avantage notre système général de justice pénale. En interdisant aux tueurs en série de demander une libération conditionnelle, il empêche de tenir compte de l'individu par rapport à son crime et à sa collectivité. En limitant le processus à un examen sur papier, il réduit le rôle de la collectivité et ajoute des formalités bureaucratiques inutiles. Rien ne prouve que les jurys ne font pas bien leur travail.

L'unanimité exigée confère le pouvoir de décision à une seule personne plutôt qu'à l'ensemble de la collectivité. Si un seul membre a le pouvoir de s'opposer à la majorité, la décision peut facilement devenir arbitraire.

L'adoption du projet de loi C-45 améliorerait-elle la façon dont le système traite les victimes? On en a parlé sous plusieurs angles. Je me contenterai d'ajouter que les criminels enclins à harceler leurs victimes seront très persistants. Ils demeureront une source de douleur et de chagrin pour les victimes jusqu'à leur mort; or, il n'est pas question, dans cette loi, de rétablir la peine capitale. Elle ne résoudra donc pas le problème de l'être malfaisant.

Il est question ici d'une véritable clause de lueur d'espoir, d'une disposition efficace. Notre système canadien se fonde sur l'hypothèse fondamentale qu'une personne peut changer et qu'elle évolue, que chacun mérite, en fin de compte, de pouvoir prouver à l'autorité compétente qu'il est capable de vivre en société sans commettre de crimes, même en tant que condamné. Les changements projetés ne changeront rien au fait qu'en bout de ligne, le détenu pourra demander cette libération. Par contre, ils l'empêcheront, selon moi de façon inhumaine et éliminant tout espoir, de prouver qu'il a suffisamment changé pour être réintégré à la société. En fin de compte, il n'y a que quelques années de différence entre les deux. Même ceux qui obtiennent leur libération conditionnelle sortent rarement avant d'avoir purgé 18 ou 19 ans de peine.

Il faut aussi se demander si le projet de loi C-45 améliore la réinsertion sociale du criminel. Nous savons que, plus la durée d'incarcération est longue, plus la réinsertion sera difficile. Des programmes comme le Programme de dernier recours dont Brian vous a parlé, sont issus du besoin même de travailler de près avec les détenus à long terme afin de les aider à s'adapter à leur nouveau monde, de les aider à rétablir ou, parfois, à établir pour la première fois des rapports de soutien dans la collectivité, à se trouver un travail stable et du logement.

Nous sommes tous conscients du coût élevé de l'incarcération. Nous savons tous que le milieu carcéral est brutal. Nous admettons que les programmes sont plus efficaces lorsqu'ils sont exécutés au sein même de la collectivité. Nous savons que l'incarcération à elle seule n'offre pas aux victimes qui veulent surmonter ce qu'elles ont subi de meilleures chances de le faire. Elle ne nous permet pas de concentrer nos ressources sur des programmes qui aident les victimes avec efficacité et compassion. De telles initiatives seraient excellentes. Nous avons maintenant la possibilité d'adopter des solutions plus satisfaisantes. Le projet de loi C-45 n'en est pas une.

L'article 745 donne d'excellents résultats; il rend la justice humaine et il remplit un rôle. Le projet de loi C-45 est encombrant, coûteux et sans véritable mérite. Il est la réaction manifeste à une crainte fondée sur une méconnaissance des faits qui entourent le meurtre, le meurtrier et le châtiment, et cette ignorance n'est pas digne de notre appui.

Aucune hypothèse solide n'a été avancée pour justifier cette mesure législative. Nous soutenons qu'elle est inutile et nous vous exhortons à la rejeter.

M. Donald Evans, administrateur, Société Saint-Léonard du Canada: Je remercie le comité d'avoir invité la société à témoigner.

Ma première observation est très simple. Quiconque a examiné les données statistiques et les études sur la question sait que la loi est efficace. Par conséquent, tout effort visant à la modifier est une erreur. Les faits sont éloquents. Il ne faudrait, en raison de circonstances exceptionnelles, adopter des lois qui nous lient les mains sans pour autant nous donner les garanties qu'elles sont censées offrir.

La loi actuelle permet de continuer de refuser l'admissibilité à une forme de libération, ce dont ne témoignent pas les changements projetés. Quand, au bout de 15 ans, un détenu présente une demande, la participation de la collectivité et le système de jugement par des pairs permettent de renforcer davantage les valeurs centrales de la collectivité sur deux fronts: positivement, si le changement a été favorable; négativement, s'il n'y a pas eu de changement. Par conséquent, les valeurs centrales de notre société sont constamment renforcées par le système de jury sans pour autant nuire au rôle prohibitif de la loi dans des cas comme celui de M. Olson. À moins qu'il n'y ait eu un changement remarquable de son comportement depuis la dernière fois où j'ai lu les rapports à son sujet, son cas illustre parfaitement la situation où le jury peut préciser dans ses recommandations pourquoi il faut rejeter la demande du détenu.

La règle de la majorité des deux tiers me plaît. L'exigence de l'unanimité dans ce domaine permettrait des manipulations internes. Déjà, l'unanimité des décisions des jurys durant les procès suscite de vives préoccupations. Aux termes de la loi actuelle, s'il y a dissidence, on en fait état dans la décision. Si la décision n'est pas unanime, je suis convaincu qu'elle est quand même transmise à la Commission nationale des libérations conditionnelles. La seule question qu'il faut se poser, dans ce cas-là, c'est si la personne a droit à une réduction de la période d'admissibilité à une révision judiciaire. D'après les données statistiques connues, peu de demandes franchissent toutes les étapes quand on ne veut pas qu'elles les franchissent.

Les freins et contrepoids sont en place dans la loi actuelle. Il n'est pas nécessaire de la modifier. Il faudrait se préoccuper davantage de ce qui arrive aux détenus en prison et de ce qui les empêche de changer. Il faut que le système prenne en charge dans une certaine mesure le délinquant visé par une surveillance de longue durée, car, comme nous le savons tous, il y en aura toujours qui seront inadmissibles à une libération conditionnelle. Même au bout de 25 ans, leurs chances de libération conditionnelle seront très limitées parce qu'ils n'auront pas suffisamment modifié leur comportement.

Je suis d'accord avec tout ce que mes collègues ont dit. Toutefois, je demande que soit maintenu dans la loi le principe de la participation de la collectivité, ce qui permettrait de dénoncer davantage les actes horribles qui inquiètent réellement les gens.

Le sénateur Gigantès: Vous avez parlé avec éloquence, et ce que vous avez dit m'a ému. Toutefois, l'argument du coût que vous invoquez me trouble, car vous opposez ici des dollars et des cents à une vie humaine. J'aimerais que vous cessiez de le faire. J'aimerais mieux éviter pareil débat. Si nous nous lançons dans un débat sur le coût, il faudra parler de peine capitale, et vous ne seriez pas ici, monsieur. Par conséquent, mettons de côté les histoires de coût. Nous pourrions réduire le coût de notre système carcéral en libérant les nombreuses personnes emprisonnées pour des crimes non violents.

Certains, comme moi, sont contre la peine capitale. J'y suis opposé parce que je crains qu'une personne innocente ne soit condamnée à tort et exécutée. Nous pourrions découvrir plus tard que nous avons commis une erreur judiciaire, et il serait trop tard pour la réparer.

J'ai les mêmes craintes en ce qui concerne la libération. Vous libérez quelqu'un en vous demandant: «Cette personne récidivera-elle et tuera-t-elle un innocent?» C'est certes le genre de réflexion que ferait un jury. C'est le genre de réflexion que fait la société. C'est le genre de chose à laquelle il faut s'attarder un peu plus que vous ne le faites.

L'autre argument que vous n'abordez pas est la question de mise à mort par l'État. Si vous y réfléchissez en termes de coût, vous devrez, en toute logique, parler de peine capitale. L'une des raisons invoquées pour abolir la peine capitale dont j'aimerais que vous parliez est qu'il n'appartient pas à l'État de tuer. De la même façon, l'État n'a pas d'affaire à empêcher une personne de se racheter.

Je n'ai pas très bien suivi les raisons pour lesquelles vous êtes opposé aux demandes présentées à un juge. Je ne vois pas comment cela aggraverait la situation; par contre, je puis comprendre comment d'autres parties du projet de loi le feraient.

M. Yeager: Sénateur, au nom de mes collègues, nous vous avons présenté un mémoire auquel étaient annexés plusieurs documents de recherche, y compris des documents traitant de la crainte qu'un libéré sous condition récidive. Vous y trouverez des données sur le taux de succès des détenus à perpétuité qui sont libérés sous condition, sur leur degré de réadaptation par rapport à d'autres prisonniers et sur le caractère sélectif du processus. Ils pourraient vous intéresser.

Je crois comprendre que chaque fois qu'il y a révision judiciaire, l'information, en tout ou en partie, est présentée au jury. Les membres de la collectivité ont donc l'occasion de l'assimiler et de se prononcer en connaissance de cause. Nous savons que notre feuille de route à cet égard est exceptionnellement bonne, quelle que soit la norme internationale utilisée.

Le sénateur Gigantès: Est-il arrivé qu'un détenu ait tué à nouveau, après avoir obtenu sa libération?

M. Yeager: C'est arrivé une fois, je crois.

Le sénateur Gigantès: Seulement une fois?

M. Yeager: Je l'ignore.

Le sénateur Gigantès: C'est exactement le genre de chose qui fait dire aux partisans du projet de loi à l'étude: «Même s'il n'y en avait qu'un seul, pourquoi courir le risque de condamner à mort un innocent?»

M. Prashaw: Parlons du coût. Je ne suis pas du tout en désaccord avec vous, sénateur Gigantès. Le coût reflète les valeurs et les priorités. Il nous renseigne un peu sur ce que nous sommes comme peuple. Si vous examinez votre carnet de banque et voyez à quoi vous dépensez votre argent, vous serez renseigné sur qui vous êtes. C'est l'unique raison pour laquelle j'ai parlé de coût. Je suis d'accord avec vous qu'il ne représente ni le point de départ du débat, ni le coeur du problème.

J'ai eu récemment un entretien intéressant avec certains fonctionnaires du ministère de la Justice qui m'ont montré un tableau qui avait été présenté aux dirigeants politiques. Le tableau illustre où ils en sont dans leur mandat. Il montre aussi le temps et l'argent consacrés à la législation préventive, par opposition à ce que nous consacrons aux solutions de rechange. Bien sûr, la barre illustrant le temps et l'argent consacrés au droit punitif était très longue; celle qui illustrait la prévention du crime était beaucoup plus courte. Quant aux solutions de rechange, la barre ne faisait que poindre.

L'un est directement lié à l'autre, étant donné la rareté des ressources dont dispose le Canada. La sécurité accrue de nos collectivités a un prix. Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que l'argument du coût a très peu d'influence sur les gens, que ce sont ces questions qui les préoccupent. J'en conviens.

Quand on examine les dépenses des gouvernements, on peut voir ce qui les préoccupe et où sont leurs priorités. Ce n'est pas tout de dire: «Nous en viendrons à ces solutions de rechange plus tard et nous nous occuperons alors de prévention». Nous tenons actuellement un débat analogue au sujet de la santé et de l'éducation. Notre société subit des transformations profondes. L'attitude de la population change quant à la façon d'assurer la prestation des services. Le système judiciaire n'est pas visé, en raison surtout de craintes et de fausses impressions. C'est ce que nous voulions faire valoir.

Ce n'est pas tant que je sois en désaccord avec vos commentaires au sujet des coûts, sénateur, mais bien que les coûts sont instructifs et qu'il faut donc en parler.

Mme White: J'aimerais vous parler pendant quelques instants de la question du meurtrier libéré sous condition qui récidive. Vous avez raison de dire que c'est arrivé une fois. Le détenu n'avait été libéré en vertu de l'article 745. Tous les détenus condamnés à perpétuité doivent purger 25 ans avant de pouvoir demander une libération conditionnelle.

En fait, chaque fois que nous libérons quelqu'un, nous courons un risque. Tous les membres de la collectivité représentent déjà un risque, puisque la plupart des meurtres sont commis par des personnes qui ne l'ont jamais fait auparavant. Le taux de récidive est faible à cet égard.

Je suis sympathique au fait qu'on ne veuille pas courir le risque qu'une personne soit inutilement tuée s'il y a moyen de faire autrement, mais la loi à l'étude ne porte pas sur ces questions.

Le sénateur Milne: Pourrions-nous obtenir des éclaircissements sur cette question? On nous avait dit qu'il n'y avait pas eu de récidive.

La présidente: Aucun détenu libéré en vertu de l'article 745 n'a par la suite commis un autre crime capital.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Ma question s'adresse à Mme Vallée. Vous savez, notre rôle est très difficile. S'il y a de la violence, l'on essaie d'améliorer la législation, et je crois que dans certains cas cela peut être nécessaire. Dans d'autres cas, je suis plus impressionné par les erreurs qui sont faites, quand on applique une législation qui n'est pas mauvaise, mais il y a des erreurs bêtes qui arrivent.

C'est ce qui explique que, parfois, nous libérons des gens qui n'auraient pas, selon les lois actuelles, dû être libérés. L'on se dit alors qu'il faut que les lois soient plus sévères, alors que c'est la manière de les appliquer que l'on devrait changer, à mon avis.

Ceci dit, cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas parfois changer les lois. Je suis tout à fait d'accord avec cela. Je voudrais cependant, vous interroger sur deux points: le jury et la récidive.

Vous dites que l'on ne devrait pas exiger l'unanimité du jury. L'unanimité est reliée à la création même du jury. Enfin, je pourrais comprendre que cela pourrait ne pas être unanime, mais ce serait quoi alors, la majorité? Une majorité simple?

Mme Vallée: Les deux tiers.

Le sénateur Beaudoin: Oui, mais pourquoi? C'est pour éviter qu'un individu s'arroge un droit considérable sur la vie d'une personne, c'est cela?

Mme Vallée: Admettons que l'on parle d'une majorité de deux tiers, pour la question de la révision judiciaire, les gens sont là pour se faire une opinion. Et, nous savons que les opinions diffèrent d'un individu à l'autre. Il est vrai que le jury va regarder l'information qu'il a devant lui. Mais dans le contexte actuel, dans le cadre de ce projet de loi et avec la Commission nationale des libérations conditionnelles, la pression de l'opinion publique générale est tellement forte, que même avec les meilleurs arguments et un rationnel qui se tient à cent pour cent, cette pression fait que les gens penchent de plus en plus facilement en faveur des médias et des groupes de pression de lobby. À ce moment, l'on se dit qu'il faut se laisser une marge de manoeuvre, c'est-à-dire les deux tiers. Et l'expérience actuelle est satisfaisante. Alors, pourquoi changer quelque chose qui, actuellement, semble bien aller. C'est la question qui se pose.

Si on se penche sur la Commission de libération conditionnelle fédérale, au Québec il n'y a presque plus de détenus qui sortent. Dès qu'il y a un incident, il n'y a presque plus de détenus qui sont libérés. Au Québec actuellement le taux de vacances dans les maisons de transition est impressionnant. Je dois vous avouer que si vous prenez la peine d'aller dans les pénitenciers fédéraux, malgré la bonne volonté de tous les intervenants -- et Dieu seul sait que notre organisation se fait souvent critiquer par rapport à la façon de travailler du service correctionnel -- mais, il faut admettre que, malgré la bonne volonté de tous les intervenants, il y a un climat de morosité épouvantable. Les détenus ne veulent même plus se présenter devant la commission des libérations conditionnelles. Les intervenants professionnels sont découragés. Malgré toute l'objectivité que l'on peut avoir dans le cas de certains détenus, on ne sort plus. Il y a un courant dans l'opinion publique où les médias utilisent cela pour vendre leurs journaux, entre autres, si bien qu'il n'y en a plus de marge de manoeuvre.

Si l'on regarde le système actuel, nous pensons qu'il peut y avoir un meilleur équilibre. Je ne suis pas avocate, je ne peux pas vous faire toute l'argumentation sur le pourquoi que le jury a été unanime ou pas, et cetera; sauf que le contexte social actuel et l'utilisation que font les médias des événements ou des incidents dans le domaine de la justice pénale, font que le système n'est plus géré en fonction des valeurs de notre société, mais le système est géré en fonction des pressions des groupes organisés ou des médias.

Le sénateur Beaudoin: Il s'agirait donc d'un jury où l'unanimité serait les deux tiers, c'est cela?

Mme Vallée: D'après le système actuel, je crois bien que c'est les deux tiers, oui.

Le sénateur Beaudoin: Mon deuxième point, c'est la récidive. Je crois que la réhabilitation doit exister et la protection de la société doit exister; c'est un équilibre savant qu'il faut réaliser. Ce qui me scandalise quelquefois, c'est pourquoi ont-ils libéré un tel alors que l'on savait ses antécédents, et cetera? Quelle est la meilleure façon de protéger la société? Il y a des gens qui peuvent être réhabilités; et j'en suis absolument sûr. Mais, il y a des gens qui ne sont peut-être pas tellement réhabilitables. Est-ce que nous faisons des progrès là-dessus? Est-ce que nous améliorons notre système? Est-ce que nous avons plus d'experts? Parce que des fois il y a des erreurs qui sont commises. Nous ne pouvons pas éviter toutes les erreurs et il faut un système, je suis d'accord avec vous. Mais, quelle est la meilleure façon? Nous sommes toujours portés à hausser les peines, alors que peut-être, nous devrions utiliser un autre moyen pour y arriver. J'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Vallée: L'avantage des longues sentences, et je ne parle pas uniquement des gens qui sont visés par la révision judiciaire, c'est que nous les avons à l'intérieur du système pendant une très longue période de temps et nous pouvons les suivre et les analyser. En général, il s'agit d'individus qui, à cause de la longueur de la période d'incarcération, vont développer une autocritique et à un moment donné, ils se réalisent qu'ils ont un problème et qu'ils doivent se prendre en main et utiliser les ressources qu'il y a dans le milieu.

Je vous ferai remarquer que beaucoup des délits ou des meurtres importants commis au Canada et au Québec, l'ont été par des individus qui n'avaient jamais passé à l'intérieur du système; par des individus qui avaient des problèmes qui ont été niés ou auxquels le système de santé n'a jamais répondu.

Quand les individus arrivent dans le système correctionnel, ce sont souvent les échecs des autres systèmes qui sont renvoyés au système correctionnel. Au Canada, nous sommes privilégiés si l'on se compare à d'autres pays. Il y a beaucoup de choses qui ont été faites dans les dernières années, beaucoup d'amélioration, même pour des délinquants extrêmement difficiles, comme dans les cas des délinquants sexuels. Une amélioration considérable se fait actuellement. Ces améliorations commencent à être introduites dans le système actuel. Il y a des changements importants dans les programmes pour les pénitenciers. Malheureusement, les ressources sont extrêmement limitées. Quand on limite les remises en liberté, nous limitons, au fond, notre capacité de tester -- et je n'aime pas parler de cette façon, mais c'est cela aussi -- de tester un individu dans la rue. Le vrai test, c'est lorsque l'individu est libéré. En dedans, il peut très bien se comporter, mais le vrai test c'est quand il est libéré. Donc, le système a besoin de ressources pour avoir des programmes à l'intérieur pour tous les détenus. Actuellement, il n'y a pas suffisamment de ressources parce qu'il y a problème budgétaire, il y a un problème de double occupation des cellules, les listes d'attente pour l'accès aux programmes sont importantes dans certains cas. C'est la situation actuelle. Il doit y avoir des ressources à l'extérieur lors de leur libération. Il y a des ressources, mais il faut une meilleure coordination dans certains cas, pour certains individus. Honnêtement, depuis les cinq ou six dernières années, il y a une amélioration considérable, mais le système commence à bénéficier des fruits des programmes qui sont instaurés.

Le sénateur Pearson: C'est avec beaucoup d'intérêt que nous avons constaté que le nombre de détenus, sous la loi actuelle, qui ont obtenu une libération conditionnelle était beaucoup plus élevé au Québec que dans d'autres provinces. Il y en a eu 29 au Québec, tandis que dans d'autres provinces c'était 2, 3 ou 4. Est-ce que vous pouvez expliquer cela?

Mme Vallée: C'est une question qui est souvent posée, à laquelle nous n'avons malheureusement pas de réponse précise. Au Québec, je dois l'avouer, le Conseil des Églises a instauré, suite à l'abolition de la peine de mort et dès l'instauration de la sentence de 25 ans ferme, a mis en place presque immédiatement, un groupe de bénévoles. Comme criminologue au service des citoyens, je dois avouer très humblement que ces bénévoles se sont dévoués sur une très longue période de temps. Ce sont des citoyens qui vont régulièrement rencontrer les détenus, qui sont très critiques également par rapport aux détenus. Ils n'hésitent pas à dire à un détenu qu'il serait temps peut-être temps de se réveiller et de prendre en main. Mais, ils ont réussi à développer une relation de respect mutuel et de confiance. Il y a une ouverture de la part des détenus à être confrontés par des citoyens et vice versa.

Ce qui favorise la révision judiciaire au Québec, ce sont ces bénévoles qui suivent le détenu sur une longue période de temps à l'intérieur des murs, l'accompagnent au moment de la révision judiciaire et l'aident, par la suite, à se trouver un emploi et à se refaire un milieu ou un entourage qu'il peut supporter une fois libéré.

Nous croyons que cela peut faire partie des éléments qui expliquent pourquoi que le jury, au Québec, a favorisé des décisions positives.

[Traduction]

Le sénateur Milne: Je fais remarquer que, comme l'a mentionné M. Gough, si tout marche bien, il vaut mieux ne pas y toucher.

On nous a soumis deux opinions diamétralement opposées dans les témoignages entendus. Les groupes de victimes et les groupes policiers nous ont demandé d'abroger l'article en entier. La Société John Howard et la Société Elizabeth Fry ont dit exactement la même chose que vous, que la loi actuelle est bonne et qu'il ne faudrait pas y toucher. D'une façon ou d'une autre, il faudra en venir à un certain compromis.

Comment proposez-vous que le système traite le cas de détenus comme Clifford Olson qui réussissent si bien à manipuler l'opinion dans les médias de manière à aviver les craintes, si ce n'est au moyen de dispositions comme celles que renferme le projet de loi C-45?

M. Yeager: Une des beautés du processus actuel qu'a mentionnée ma collègue Elizabeth White est le fait qu'un jury puisse non seulement donner un certain élément d'espoir aux détenus à perpétuité, mais aussi en dénoncer un comme Clifford Olson. M. Evans l'a lui aussi mentionné, je crois. Si M. Olson demande une révision judiciaire, un des avantages du processus pourrait bien être qu'un jury aurait l'occasion de dénoncer ces manipulations et de décrire le genre de criminel qu'il est réellement. Le processus a aussi cet avantage, aussi bizarre que cela puisse vous paraître.

J'espère que les membres du comité comprennent bien que la Commission nationale des délibérations conditionnelles prend très au sérieux les demandes des condamnés à perpétuité. Il s'accomplit un immense travail de documentation sur les antécédents et sur le comportement en institution qui sont ensuite évalués. Trois membres de la commission siègent. La décision est en règle générale précédée d'une très longue période de mise à l'épreuve, tant en prison que dans le cadre de permissions de sortir sous surveillance et de permissions de sortir sans surveillance. L'examen est très consciencieux.

Sénateur Milne, si vous lisez le témoignage dans lequel nous citons les études et en donnons un résumé, vous commencerez à comprendre pourquoi nous obtenons de si bons résultats lorsque des condamnés à perpétuité sont libérés sous condition.

M. Prashaw: Je comprends fort bien la situation très difficile dans laquelle vous vous trouvez. L'équilibre est parfois plus une question de politique que de justice, bien qu'il faille aussi doser dans le système judiciaire des intérêts divergents.

Il existe une réponse immédiate et une réponse à plus long terme. La réponse immédiate est celle que vous a donnée M. Yeager. Il faut se fier à la collectivité pour prendre la décision qui s'impose en ce qui concerne M. Olson. Le sénateur Pearson a cité des données statistiques concernant certaines provinces de l'Ouest. On prend ces décisions, là-bas. Quant à savoir si ce sont les décisions qui cadrent le mieux avec les intérêts de la collectivité, c'est une autre paire de manches. Cependant, les décisions sont prises. Dans l'ensemble, les détenus qui font une demande sont incarcérés plus longtemps.

À long terme, vous pourriez peut-être exercer des pressions sur le gouvernement et sur la population pour qu'ils répondent aux véritables besoins des victimes et ne jouent pas le jeu de certaines victimes pour qui le châtiment des criminels est le seul moyen de répondre à leurs besoins.

Les besoins sont si nombreux. Je citerai l'exemple de Wilma Derksen et la voie dans laquelle elle s'est engagée. D'autres groupes sont en train de se constituer au niveau communautaire. Certaines personnes évitent les groupes de victimes qui ont une grande visibilité parce qu'elles trouvent qu'ils ne répondent pas à leurs besoins d'entraide et de guérison. Nous vous saurions reconnaissants de toute aide que vous pourriez fournir, sous forme de débat public et de financement, aux groupes de victimes au pays et aux victimes mêmes pour qu'elles puissent promouvoir d'autres façons de répondre à ces besoins.

L'argent ne manque pas, qu'il s'agisse des produits de la criminalité ou des fonds destinés à la prévention du crime. Une partie de cet argent ne pourrait-il pas servir à mettre sur pied des programmes de réparation, de dédommagement, de counselling, de financement et de bourses?

Le sénateur Gigantès: Selon vous, c'est une question de coût. Si quelqu'un tue ma fille, il n'y a aucune réparation ni dédommagement possibles.

M. Prashaw: Je suis d'accord. Absolument rien ne peut compenser une perte aussi tragique pour une famille. Je voulais tout simplement répondre à la question du sénateur Milne qui disait avoir l'impression d'être prise entre deux feux. Je crois qu'il existe des moyens d'éviter de jouer ce jeu et d'opter pour une autre solution.

Le sénateur Milne: Aucun de ces moyens n'est proposé au comité pour l'instant. Nous sommes chargés d'étudier un texte de loi et nous avons trois possibilités. Nous pouvons adopter le projet de loi tel quel, nous pouvons le rejeter ou nous pouvons le modifier.

Les amendements proposés par Mme Vallée vont en fait à l'encontre du texte de loi original. Nous devrions donc alors tout simplement le rejeter.

M. Prashaw: Nous croyons, du moins, qu'ils n'aggraveraient pas la situation actuelle. Je ne prétends pas parler au nom de tous ceux ici présents, mais nous avons indiqué à la Chambre des communes et au Sénat que la loi actuelle fonctionne. Si des changements doivent être apportés, il ne faudrait pas qu'ils aggravent la situation actuelle des collectivités, sur le plan de la sécurité.

M. Gough: Si vous me le permettez, j'aimerais faire une observation sur cette possibilité d'amendement.

Dans le mémoire de l'Association de la justice pénale, qui sera annexé à vos délibérations, nous vous avons présenté quatre propositions particulières concernant les amendements. La quatrième se trouve au milieu de la page 5 de la version française et concerne l'objet de l'audition. J'espère que nous avons fourni aux membres du comité tout un éventail d'options.

Je considère que la meilleure option pour le comité est simplement de rejeter ce projet de loi. Cependant, si le comité ne peut pas prendre une décision unanime sur cette question en particulier, nous lui recommandons fortement d'en éliminer les pires dispositions. Nous vous les avons signalées.

La présidente: Simplement pour votre information, notre décision n'a pas à être unanime. Nous n'avons besoin que d'un vote de six contre cinq.

Le sénateur Doyle: Vous pourriez peut-être m'aider. Ce matin, on a beaucoup parlé de l'influence des médias et du vaste mouvement d'opinion publique suscité par l'affaire Olson. Dans la région d'où je viens, ce sont surtout des gens comme M. Bernardo et Mme Homolka qui inquiètent la population. Ce sont les criminels de l'heure et ce sont des criminels dont nous connaissons tous l'existence.

Cependant, M. Gough a vécu une expérience unique parmi les gens présents dans cette salle, en ce sens qu'il a été libéré et réintégré dans la collectivité où, nous dit-on, les médias exercent une influence redoutable.

Avez-vous été bien accueilli lors de votre réinsertion dans la société?

M. Gough: J'ai eu beaucoup d'appui. J'ai eu l'appui de mon église, de la Société John Howard et des agents de gestion des cas qui ont travaillé dans le système et qui l'ont quitté par la suite, pour une raison ou pour une autre. J'ai reçu l'appui de tous ces gens. Ma famille aussi m'a beaucoup soutenu. Sans cet appui, cela aurait été évidemment très difficile. J'ai eu de la chance.

Le sénateur Doyle: Nous sommes au courant du travail effectué par diverses organisations dans le domaine. Que se passe-t-il quand quelqu'un qui n'a aucune idée de vos antécédents soudainement les découvre? Avez-vous constaté une volonté de raisonner et de vous soutenir à brève échéance ou pour une période plus longue?

M. Gough: Les réactions varient. D'une part, j'ai reçu beaucoup d'appui. Par exemple, je me souviens d'être allé travailler pour une organisation chrétienne qui s'occupait des handicapés développementaux. Ils savaient que j'avais un casier judiciaire et étaient au courant du crime. Ils m'ont accepté. Ils savaient que j'avais changé. Je suis devenu un bon employé et ils ont été très déçus de me voir partir.

Par contre, j'ai postulé des emplois où des vérifications judiciaires étaient nécessaires. Bien que rien dans mon passé ne m'empêche d'exercer un emploi, je n'ai pas obtenu certains emplois à cause de mon casier judiciaire pour homicide. Les réactions varient. Ai-je répondu à votre question?

Le sénateur Doyle: Oui. Vous est-il arrivé d'être découragé au point de souhaiter ne pas avoir été libéré?

M. Gough: Non.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: Il semble que la réhabilitation des détenus est une histoire à succès grâce aux services offerts par le Québec. Je souhaite que votre association ait des contacts assidus et constants avec l'association canadienne, de façon à ce que d'autres provinces puissent bénéficier de vos programmes et de l'implication de la communauté. Suite au dernier témoignage que l'on vient d'entendre, la réhabilitation est certainement très importante. Les sénateurs Beaudoin et Pearson ont soulevé les questions que je voulais vous adresser, je n'ai donc pas de questions à vous poser.

Le sénateur Beaudoin: Mais, vous confirmez.

Le sénateur Losier-Cool: Et je confirme.

[Traduction]

Le sénateur Gigantès: Souvent les perceptions se recoupent entre une forme de crime et une autre. Les crimes sexuels comme le viol influent sur les attitudes à l'égard d'autres crimes.

J'ai un ami avocat qui a défendu un violeur qui avait déjà fait deux ans de prison pour viol. La première journée de sa libération, il a commis un autre viol. Mon ami avocat a réussi à le faire acquitter en se conduisant de façon tout à fait abominable avec la victime.

Ce sont les genres d'exemples qui démontrent que ce type aurait dû purger plus que deux ans de prison. On a toutefois tendance à confondre cela avec la libération. L'opinion générale, c'est que certains criminels s'en tirent trop bien et sortent trop tôt. Quelle est la solution?

Mme White: Vous avez raison lorsque vous dites que le système judiciaire est extrêmement complexe et qu'il y a de nombreux chevauchements. C'est pourquoi il est très difficile de résoudre ces questions.

L'exemple que vous avez donné met en lumière toutes ces questions auxquelles il faut donner suite. En soi, une peine d'emprisonnement de deux ans ou de dix ans ne changera pas le violeur. Il ne peut changer que s'il trouve les programmes et la motivation interne qui lui permettront de changer. L'incarcération ne le lui permettra pas. Notre pays doit se donner comme tâche d'élaborer des programmes et des moyens et de les rendre accessibles. Une fois que la personne est réinsérée dans la société, nous devons lui offrir l'appui et la supervision dont elle a besoin pour faire la transition. C'est ainsi que je vois la situation dans le cas du violeur en question.

Lorsque vous parlez du principe de la confrontation sur lequel est basé notre système judiciaire et indiquez que ce principe ne convient absolument pas au traitement des crimes de nature personnelle -- c'est-à-dire lorsque votre ami l'avocat a fait son travail et a démoli les arguments de la victime --, c'est une observation sur la façon dont nous abordons le problème de la criminalité.

Un seul changement législatif ne permettra pas de régler ces questions. J'estime que les médias ne rendent pas service au public lorsqu'ils laissent entendre qu'il existe des solutions miracles qu'ils montent en épingle sans aborder les moyens d'améliorer le système.

Vous avez raison. C'est une question extrêmement complexe pour laquelle il n'existe pas de solution simple.

Le sénateur Gigantès: En passant, le cas dont je vous ai parlé s'est produit au Québec.

Monsieur Prashaw, vous avez dit certaines choses qui m'ont dérangé, entre autres: «C'est de la politique et non de la justice.» La politique a remplacé la violence. Il y a longtemps, le régime démocratique a remplacé la violence, lorsqu'il a été décidé que les décisions seraient prises au moyen d'un vote majoritaire au lieu d'un combat singulier ou d'une simple vendetta. La politique et la justice sont très étroitement liées.

Je ne suis pas un politicien professionnel même si je suis en politique. On a tendance à dénigrer la politique. Si ce n'était de la politique démocratique et des décisions majoritaires, nous serions dans un bien triste état. Je vous demanderais donc d'être un peu plus indulgent en ce qui concerne la politique, je vous prie.

M. Prashaw: Je n'y manquerai pas. J'ai le plus grand respect pour le processus, le système et les gens qui consacrent leur vie à faire de ce pays un meilleur endroit où vivre. J'ai effectivement constaté que certains politiciens se laissent parfois influencer par l'opinion publique lorsqu'ils prennent position sur certaines questions. C'est la réserve que j'ai exprimée et je la maintiens.

Cependant, je crois que les pressions auxquelles vous êtes soumis sont énormes. Afin d'obtenir des résultats, il faut prendre des mesures à long terme pour faire en sorte que le système judiciaire et le système politique abandonnent le principe de la confrontation. Bien que cela ne s'applique pas à cette chambre, au lieu d'agir en fonction de la prochaine élection, il serait préférable d'agir pour rendre nos collectivités plus sûres.

J'aimerais terminer par une histoire intéressante à propos du violeur. Je ne connais pas cette personne mais la façon dont certaines collectivités traitent les délinquants sexuels offre une lueur d'espoir. Bien sûr, la gravité des infractions sexuelles peut varier bien que pour les victimes, chaque infraction soit grave.

À Hamilton et à Toronto, nous avons récemment parlé dans une publication des cercles de soutien et de responsabilité. La communauté mennonite et le mouvement Alcooliques anonymes se sont réunis avec certains délinquants sexuels notoires de la région, qui ont fait les manchettes des journaux et qui ont été chassés plusieurs fois d'une ville à l'autre. Ces groupes soutiennent que chasser une personne de la collectivité pour qu'elle puisse vivre anonymement dans une autre ne rend pas nos collectivités plus sûres. L'Église mennonite et le mouvement des Alcooliques anonymes ont mis sur pied des cercles de soutien et de responsabilité qui fonctionnent sept jours par semaine, 24 heures par jour. Ils veulent que ces délinquants sachent qu'on s'occupera d'eux, qu'on les aidera mais qu'ils ont intérêt à se surveiller.

Les problèmes sont nombreux, entre autres le burn-out. Ces cercles ont pris un engagement incroyable mais je crois que la façon dont réagissent ces collectivités offre une lueur d'espoir. C'est une solution de loin préférable à l'emprisonnement qui d'ailleurs n'est pas souvent la solution la plus positive.

Le sénateur Gigantès: Pour revenir au principe de la confrontation, on a demandé à Solon, le fondateur de la démocratie: «Avez-vous rédigé les meilleures lois possibles?» Il a répondu: «Non, j'ai rédigé les meilleures lois que la société était prête à accepter.» Dans une démocratie, cela a beaucoup de poids.

M. Prashaw: Le soir des élections, Mario Cuomo a déclaré lors d'une entrevue avec Pamela Wallin que les véritables dirigeants sont rares. Selon lui, un dirigeant est quelqu'un qui, une fois élu, incitera les gens à aller un peu plus loin que prévu. Selon lui, certains dirigeants aujourd'hui sont devenus esclaves de l'opinion publique.

C'est également un défi que doivent relever les dirigeants: obliger les gens à aller plus loin que prévu.

Le sénateur Milne: Monsieur Yeager, le quatrième amendement que vous présentez propose l'ajout d'un nouveau paragraphe, n'est-ce pas?

M. Yeager: C'est exact. Nous proposons en fait au comité qu'il serait bon de sensibiliser la collectivité à l'objectif visé par l'audition et à ce sur quoi le jury est appelé à se prononcer.

Nous vous avons indiqué les raisons pour lesquelles nous estimons que ce serait un amendement très valable.

Le sénateur Milne: Je vous remercie.

La présidente: Je tiens à vous remercier. La discussion de ce matin a été très instructive et intéressante. Il est clair que cette question soulève des opinions très diverses. Notre étude dure depuis de nombreuses semaines et se poursuivra pendant plusieurs semaines encore. Votre présentation ne manquera pas de faire réfléchir notre comité.

Chers collègues, nous avons formulé un certain nombre de recommandations à propos du projet de loi C-8 sur les drogues et les stupéfiants, y compris notre souhait qu'il fasse l'objet d'un examen mixte par la Chambre des communes et le Sénat.

J'ai écrit au leader parlementaire du gouvernement, l'honorable Joyce Fairbairn, le 6 novembre 1996, pour lui demander où en étaient nos recommandations et lui indiquer que nous aimerions que l'examen débute le plus tôt possible.

Je n'ai malheureusement pas encore reçu de réponse. Je poursuivrai mes démarches. Je voulais simplement que vous sachiez que la présidente de votre comité s'occupe des recommandations que nous avons formulées. Je continuerai à faire de mon mieux pour exercer des pressions sur les principaux intéressés.

Le comité suspend ses travaux jusqu'à 12 h 30.


Reprise des travaux à 13 h 30.

La présidente: Nous accueillons maintenant deux témoins qui représentent le groupe Action for Victims. Mme Darlene Boyd est déjà assise avec nous et Mme Debbie Mahaffy nous rejoindra d'un moment à l'autre.

Madame Boyd, nous pourrions peut-être commencer par votre exposé et entendre ensuite Mme Debbie Mahaffy lorsqu'elle arrivera.

Mme Darlene Boyd, membre, Action for Victims: Je vous suis très reconnaissante de l'occasion que vous m'offrez de vous parler du projet de loi C-45. Je me rends compte que, alors que chacun d'entre vous est aux prises avec la lourde tâche de recommander l'adoption ou le rejet du projet de loi C-45, votre décision finale ne sera pas facile au moment où vous-mêmes et vos honorables collègues se préparent à voter sous peu sur cette question.

Je comparais devant vous au nom de ma fille Laurie dont le viol et le meurtre qui remonte à 15 ans font que nos chemins se croisent aujourd'hui. Mon objectif est double. D'une part, je veux faire comprendre à chacun d'entre vous que je ne peux souscrire à aucune tentative de modification de l'article 745.6 du Code criminel et, d'autre part, je veux vous demander de rejeter le projet de loi C-45.

Si je vous demande cette dernière faveur, ce n'est ni par égoïsme ni pour des raisons que l'on pourrait expliquer par la vengeance à tirer de la brutalité dont a été victime notre fille chérie, mais plutôt dans l'intérêt des Canadiens et pour la protection de citoyens dignes de confiance et peu soupçonneux qui pourraient par ailleurs être la proie de ces individus qui ont été jugés et reconnus coupables d'un meurtre au premier degré.

J'estime que les personnes déclarées coupables d'un meurtre au premier degré doivent purger les vingt-cinq ans de la peine pour laquelle ils ont été condamnés, sans possibilité d'une libération conditionnelle anticipée. Mon avis est partagé par je ne sais combien de Canadiens et a reçu l'aval de groupes et d'organismes d'envergure nationale dont les points de vue sur cette question n'ont de secret pour personne.

J'espère que vous prendrez pleinement en considération les désirs de ceux dont je partage entièrement l'opinion au fur et à mesure qu'approchera le moment de rendre la décision finale en ce qui a trait au projet de loi C-45.

J'aimerais vous parler d'un aspect très personnel de ma vie. Elle s'appelait Laurie Leanne Boyd. Elle était notre fille et nous étions très fiers, un peu de la même manière, j'imagine, que vous l'êtes de vos filles et de vos fils. Ce soir du 31 janvier 1982, Laurie avait alors 16 ans, la brutalité a croisé son chemin et l'a privée, de même que nous tous, du plaisir de sa jeune vie prometteuse. Victime de la pire brutalité, un meurtre, notre fille a subi des violences inimaginables. Le cauchemar de ce crime délibéré et des plus abominables a commencé lorsqu'elle a été enlevée par deux hommes qui l'ont agressée sexuellement et l'ont poignardée à 18 ou 20 reprises à ce qu'on nous a dit. Cela n'a pas été facile à établir semble-t-il. Les coupables l'ont ensuite aspergée d'essence et y ont mis le feu.

Notre fille était la deuxième victime de deux hommes très malades, James Peters et Robert Brown. L'un des deux s'est suicidé en prison en 1986. Ils ont été arrêtés et condamnés pour meurtre au premier degré. On nous a répété à maintes reprises qu'il s'agissait d'une condamnation à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant au moins 25 ans. Notre système de justice pénale nous l'a assuré à maintes reprises; pourtant nous savons maintenant que l'article 745 du Code criminel, «la clause de la lueur d'espoir», a été insérée dans le code en 1976.

Pouvez-vous comprendre maintenant pourquoi je comparais devant vous aujourd'hui, révoltée et abandonnée par un système judiciaire qui a déjà été l'objet de toute ma confiance et de tout mon respect? Le respect n'a pas disparu du jour au lendemain, mais s'est plutôt amenuisé au cours des deux dernières années, en raison de l'article 745.6 du Code criminel.

Le 15 février 1997, dans moins de trois mois, honorables sénateurs, en vertu des dispositions de cet article du Code criminel, le meurtrier de notre fille pourra présenter une demande de libération conditionnelle anticipée et amorcer ainsi le processus qui lui permettra de réintégrer plus tôt que prévu la société.

Je vous pose la question suivante: vous sentiriez-vous en sécurité ou sentiriez-vous que vos enfants et vos proches sont en sécurité si vous saviez que de pareils individus peuvent déménager dans votre quartier, tout juste en haut de la rue, qui sait dans la maison à côté?

Alors que mon mari, ma famille et moi-même faisons face à une demande de libération et en définitive à une révision judiciaire garantie, et alors que l'auteur de ce meurtre au premier degré espère obtenir une libération conditionnelle anticipée, nous ne pouvons espérer autre chose que la douleur psychologique qui accompagnera la réouverture de plaies à peine guéries. Revivre le cauchemar dévastateur du décès de notre fille ne fera qu'accroître notre angoisse.

Lorsque la peine capitale a été abolie, on l'a remplacée par une peine d'emprisonnement à perpétuité obligatoire pour toutes les infractions auxquelles s'appliquait la peine de mort. Un meurtre au premier degré est assorti d'une peine d'emprisonnement d'au moins 25 ans. Nous constatons maintenant que c'est un mensonge, un mensonge qui se perpétue.

Il y a deux ans, mon mari et moi-même avons été mis au courant des dispositions de l'article 745. C'est un journaliste, au moyen d'un message laissé sur notre répondeur, qui nous en a parlé. Ce n'est pas quelqu'un de la Commission des libérations conditionnelles ou d'un établissement carcéral. Quelle façon de minimiser la vie perdue de Laurie! N'a-t-on pas tenu compte de cette information lorsque l'on a condamné les meurtriers, ou le système judiciaire, qui était au courant de la possibilité d'une libération conditionnelle après 15 ans, a-t-il passé cette information sous silence?

La première fois que nous avons écouté le message sur notre répondeur, nous avons été horrifiés. Nous croyions qu'il s'agissait d'une erreur, que cela ne se pouvait pas. Nous avions fait confiance à notre système judiciaire qui prévoit l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle pendant au moins 25 ans et nous croyions que rien d'autre ne pourrait être envisagé. C'est avec effroi que nous avons constaté qu'il n'y avait pas d'erreur. Tôt ou tard, nous serons obligés de rencontrer de nouveau un homme qui a nous a pris si violemment un être aussi cher.

Nous redoutons tous cet instant et nous ne pouvons souscrire au projet de loi C-45. Nous ne pouvons trahir ni ne trahirons notre fille de même que les innombrables Canadiens qui souscrivent à l'abrogation de l'article 745.6, en acceptant les amendements proposés par le projet de loi C-45. Nous ne devons pas laisser les victimes de violence sans visage et silencieuses, comme l'aurait fait notre système de justice pénale.

Ce projet de loi insultant et dur aura de redoutables répercussions sur des centaines de familles parce que notre ministre de la Justice croit simplement que les meurtriers méritent une deuxième chance. Les amendements qu'il propose dans le projet de loi C-45 reflètent nettement ce point de vue. Lorsque l'on a remplacé la peine capitale par une peine d'emprisonnement d'au moins 25 ans, les Canadiens ont pris cela au pied de la lettre. Ils ont alors cru que par 25 ans on entendait bel et bien 25 ans. Nous nous dirigeons vers une étape de notre histoire où l'emprisonnement pour une période minimale de 25 ans ne signifiera plus que 15 ans, et où pareille condamnation ne sera plus considérée comme un élément dissuasif pour les contrevenants éventuels.

Où nous arrêtons-nous? Est-ce que 15 devient 5 ou 10 ans de prison? Où cela nous mène-t-il en tant que société?

La compassion et la compréhension sont une chose. Cependant, nous nous attendons à ce que notre gouvernement renforce le tissu de ce pays plutôt que de travailler à en affaiblir la trame. Notre gouvernement doit avoir le courage de se tenir debout et de protéger tous les citoyens du Canada en abrogeant l'article 745.6 du Code criminel.

Sans cette volonté, les Canadiens sont sans défense et sans protection contre ces funestes assassins qui commettent de sang-froid des meurtres au premier degré. Aucune loi ne devrait permettre ou appuyer la libération conditionnelle anticipée de criminels qui commettent ce genre de meurtre. Elle ne devrait pas non plus définir ce qu'on appelle «un placement réussi» pour eux au moment de la libération. Leur sort avait été décidé par un jury qui, en s'appuyant sur tous les faits, en était venu à la conclusion qu'il fallait les incarcérer pendant 25 ans. Pourquoi notre gouvernement insiste-t-il pour annuler ces décisions après 15 ans seulement d'incarcération?

Comment pouvons-nous déterminer si cette échappatoire fonctionne bien? Nous n'avons mis le doigt que sur la partie émergée de l'iceberg. L'article 745.6 est, depuis 15 ans, dans une période de dormance qui n'a été levée qu'au cours des dernières années.

La clause de la faible lueur d'espoir est devenue la clause du pari sûr dont le taux de succès est de 80 p. 100. Le bonus de la libération conditionnelle 10 ans plus tôt que prévu est devenu très attrayant pour quiconque purge une peine d'emprisonnement à perpétuité. Et pourquoi pas? Les détenus sont très au fait de cet état de choses et savent que, même s'ils essuient un refus, ils peuvent toujours représenter une demande.

Le projet de loi C-45 a été rédigé à la hâte sans trop tenir compte des centaines de milliers de Canadiens d'un bout à l'autre du pays qui réclament l'abrogation de l'article 745.6.

Ce qui dérange le plus, c'est que, pendant que le gouvernement fait des retouches à l'article 745.6, un plus grand nombre d'assassins peuvent être admissibles à présenter une demande de libération conditionnelle anticipée. Si l'on adopte les amendements proposés par le ministre de la Justice, la liste des auteurs d'un meurtre au premier degré continuera de s'allonger et atteindra d'ici l'an 2007 le nombre incroyable de 600 et d'autres noms continueront de s'y ajouter.

Comment pouvons-nous en savoir autant et continuer de fermer les yeux sur ce que devrait nous dicter la sagesse. Je n'enverrai pas de félicitations à Allan Rock et à son comité de la justice qui prétendent avoir colmaté une importante brèche de notre système juridique en déposant le projet de loi C-45. Même s'il semble régler adéquatement la question, il ne constitue qu'un toilettage de la loi.

Notre appel à l'abrogation de l'article 745.6 n'est pas motivé par la vengeance ou par la justice rétributive. Au contraire, il représente l'intention initiale de la peine minimale de 25 ans et appuie ainsi entièrement la constance dans la détermination de la peine. Il représente ce sur quoi devrait être basé un système judiciaire, c'est-à-dire la vérité.

Nous devons nous demander ce qu'on entend par «peine». Lorsque quelqu'un, à dessein et avec préméditation, enlève brutalement la vie à une ou plus d'une personne, on doit pouvoir s'appuyer sur du solide pour déterminer la peine, une peine proportionnelle au crime commis. Cette personne doit rendre des comptes et être responsable de ses actes. Il ne faut pas confondre cela avec la réinsertion sociale. Il n'y a personne dans cette catégorie qui, selon moi, peut ou pourra jamais réintégrer la société canadienne. Qu'il soit reconnu coupable d'un meurtre unique, de meurtres multiples ou de meurtres successifs, chaque contrevenant devrait purger toute la peine qui lui a été imposée. Nous ne pouvons établir des catégories de meurtres. Le résultat est toujours le même... quelqu'un meurt.

M. Rock a exprimé ses préoccupations à l'égard des cas «spéciaux». Depuis quand sommes-nous à ce point impitoyables pour considérer un meurtre comme «spécial»? Les cas dont s'inquiète M. Rock pourraient tirer parti de la prérogative royale qui permet un réexamen de l'affaire si besoin est.

L'article 745 est utilisé pour amoindrir la peine initiale dans le cas de meurtres au premier degré et c'est inacceptable. Me rendant compte que toutes les audiences judiciaires tenues sous le régime de l'article 745 n'aboutissent pas à une libération conditionnelle pure et simple, je vous signale la deuxième meilleure solution qui s'offre, une diminution quelconque de la peine.

Ces audiences judiciaires peuvent coûter des milliards de dollars. C'est cela que dénoncent surtout les Canadiens. Ce sont les contribuables qui paient pour ces audiences. Ne pourrait-on pas mieux cibler l'argent que nous dépensons?

Certains des pires assassins du Canada se rient de nos procédures et, le plus triste, c'est que nous sommes vraiment les dindons de la farce. Nous arrêtons, nous condamnons et nous réduisons ensuite nos peines. L'article 745 devient un terrain de jeu pour les assassins et c'est la population canadienne qui en paie le prix. Les survivants des victimes n'ont ainsi jamais la possibilité de réparer des ans d'irréparable outrage. L'article 745 est un jeu où chacun attend son heure. Nous nous trouvons d'un côté alors que les assassins et notre système judiciaire se rangent de l'autre.

S'agit-il selon vous d'une vraie justice?

J'ai une liste des noms des meurtriers, par province, qui pourront, à compter du 31 décembre 1995, présenter une demande sous le régime de l'article 745. J'ai aussi une liste des décisions en matière de révision judiciaire en date de septembre 1995. Je demande à la présidente du comité et aux honorables sénateurs d'accepter d'insérer ces listes dans le compte rendu.

Il faut qu'il y ait du vrai dans la détermination de la peine. Ne nous dites pas une chose pour agir autrement par la suite. J'ai lu dans des mémoires précédents comment toute personne devrait être traitée avec dignité, justice, équité et compassion. Aucun auteur de meurtre au premier degré mérite qu'on lui accorde l'un ou l'autre de ces traitements de faveur. Jim Peters n'a jamais eu de compassion pour notre fille ou pour l'autre jeune femme, lorsqu'elles l'ont supplié de les épargner. Il ne leur a laissé aucune dignité. Quant à l'équité, comment une jeune fille de 16 ans peut-elle se défendre contre deux hommes pervertis?

Tout ce que nous demandons c'est de vivre en sécurité dans la société. Pourquoi est-il si difficile de convaincre notre système de justice pénale de mettre en place des mesures pour y parvenir? Il faut abroger l'article 745 et ainsi cesser de creuser des tombes sans nom. Il faut imposer des peines consécutives et non concurrentes. Le calcul est simple. Dans le cas d'un meurtre unique, aucune libération conditionnelle pendant 25 ans. En ce qui a trait à un second meurtre, aucune libération conditionnelle avant 50 ans, et ainsi de suite. En nous contentant de modifier l'article 745, nous ouvrons la porte à des appels illimités. Ces assassins connaissent le système. Il sont de grands manipulateurs.

Je vous demande aujourd'hui de rejeter le projet de loi C-45. Rappelez à notre ministre de la Justice l'existence du projet de loi C-234, l'ancien projet de loi C-226, qui a été relégué aux oubliettes et qui est enterré sous la paperasse d'un comité. Il aurait dû avoir préséance sur le projet de loi C-45. Ne fixe-t-on pas des priorités en ce qui a trait à la séquence? Lors de la dernière lecture de ce projet de loi à la Chambre, les résultats ont été très positifs, le vote final ayant été de 136 contre 103. Allan Rock nous avait qualifiés de «blessés qui marchent» et d'«industrie des victimes». J'aurais une rectification à faire. Je ne suis qu'une mère qui représente sa fille, sa famille et des milliers de Canadiens qui demandent l'abrogation pure et simple de l'article 745.6. C'est le seul moyen de mettre fin à l'exploitation à laquelle se livrent ces assassins.

Pour terminer, je me tourne vers vous aujourd'hui pour que vous nous aidiez à enterrer finalement Laurie pour qu'elle puisse reposer en paix et continuer de vieillir et de grandir dans nos pensées et dans celles de tous ceux qui l'aiment.

La présidente: Madame Boyd, je peux apporter quelques éclaircissements sur certains points que vous abordés dans votre exposé. Les mesures législatives dont le numéro est dans les 200 sont des projets de loi publics émanant des députés. Ils n'ont pas la même priorité que les projets de loi émanant du gouvernement et c'est la raison pour laquelle le projet de loi qui nous intéresse a préséance.

Mme Boyd: Vous devrez me pardonner. C'est tout nouveau pour moi.

La présidente: Je suis convaincue que 90 p. 100 des Canadiens ne comprendraient pas la différence entre les deux.

Nous ne pouvons considérer que l'information a été consignée au compte rendu. Nos règles ne le permettent pas. Votre exposé oral sera transcrit et consigné au compte rendu de notre séance d'aujourd'hui. Tout le monde peut avoir accès à l'information que vous nous avez fournie aujourd'hui.

Sénateur Gigantès, vous êtes le premier sur la liste.

Le sénateur Gigantès: Madame la présidente, ce témoignage m'a ébranlé. Je ne pense pas pouvoir poser de questions.

Le sénateur Milne: Je suis tout aussi terrassée que vous par ce qui est arrivé à votre fille. Cependant, je veux bien comprendre les options qui s'offrent à ce comité pour que vous n'ayez pas la fausse impression que nous pouvons abroger l'article 745 vu que cela nous est impossible.

Les options qui s'offrent à nous consistent à prendre le projet de loi pour ce qu'il est, c'est à dire une tentative de renforcement de l'article 745.6. Nous pouvons l'approuver, le rejeter ou y apporter des amendements. Nous n'avons pas d'autres choix. Nous ne pouvons proposer, par exemple, un amendement qui abrogerait l'article 745, purement et simplement. Le Parlement n'en a pas le droit.

Je ne veux pas que vous nous quittiez sur une fausse impression ou avec de faux espoirs.

En ce qui concerne la page 8 de votre exposé, je veux être bien sûre de comprendre ce que vous voulez dire à l'avant-dernière ligne. Votre première option consiste à abroger l'article 745. Vous proposez ensuite de réduire la peine. Je suppose que vous entendez par là une réduction de la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. En d'autres mots, vous recommandez d'allonger la peine et non de la réduire.

Mme Boyd: C'est exact.

Le sénateur Milne: Je voulais m'assurer que c'était bien ce que vous vouliez dire.

Le sénateur Beaudoin: Votre témoignage est clair et très émouvant. Vous avez cru qu'une fois la peine de mort abolie, elle serait remplacée par une peine de 25 ans d'emprisonnement. Si j'ai bien compris votre mémoire, vous avez découvert par la suite l'existence d'un article du Code criminel qui permet de recourir à une certaine procédure, après 15 ans.

Mme Boyd: C'est exact.

Le sénateur Beaudoin: Vous vous êtes alors rendu compte qu'un appel ou une autre procédure était possible. Puis, le projet de loi a été proposé. Ce que vous êtes en train de dire très clairement, c'est que nous devrions appliquer la loi à la lettre, à savoir qu'une peine d'emprisonnement à perpétuité signifie une peine minimale de 25 ans. Vous vous opposez à la loi actuelle ainsi qu'aux modifications qui y sont proposées. Cela étant, peu importe la suite que le Sénat donne au projet de loi C-45, vous souhaitez que la loi rétablisse la peine minimale de 25 ans, car vous aviez cru que c'était la peine qui serait purgée.

Mme Boyd: Oui, c'est exact. Lorsque ces deux types ont été condamnés, on nous a dit que la peine maximale était l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. On continue de le dire et à tromper les gens.

Soudainement, après 15 ans, on reçoit un coup de téléphone qui nous annonce que non, il ne sera pas emprisonné pendant 25 ans mais peut-être seulement pendant 15, 17 ou 19 ans.

Cette crainte ne nous quittera jamais. Nous nous demanderons constamment si cela se produira le mois prochain ou le mois d'après parce que nous n'avons aucune façon de le savoir. On ne fait rien pour nous protéger, ni pour nous rassurer. Nous ne pouvons pas continuer à vivre comme si de rien n'était en ignorant quand notre vie risque d'être une fois de plus bouleversée de façon aussi dramatique.

Pour bien des gens, le mot meurtre évoque des situations très sordides. Or, c'est beaucoup plus qu'une situation sordide. C'est une situation qui bouleverse à tout jamais la vie de bien des gens.

Laurie a un frère. Je ne sais pas ce qui se passera lorsqu'il se trouvera à nouveau face à face avec ce type. Il n'avait que 14 ans à l'époque.

Je ne suis pas venue ici aujourd'hui dans l'espoir que vous écoutiez ma requête par pitié pour moi. J'ai décidé de comparaître devant vous parce que je suis convaincue que notre système de justice doit dire la vérité aux Canadiens. On ne doit pas nous dire une chose et en faire une autre. Ne prétextez pas avoir oublié de nous dire que vous aviez ajouté un article à la loi en 1976. Cette excuse ne marche plus avec nous.

Le sénateur Beaudoin: Votre message est très clair.

La présidente: Je vous remercie, madame Boyd, de votre présentation. Elle ne manquera pas d'alimenter notre réflexion. Je tiens à vous assurer qu'elle sera un élément important de nos délibérations.

Mme Debbie Mahaffy, directrice, Action for Victims: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de m'avoir donné cette occasion de comparaître devant vous à si brève échéance. J'essaierai d'être concise.

Telle que je comparais devant vous aujourd'hui, je ne suis toujours pas en mesure de réintégrer mon emploi d'enseignante que j'ai quitté le 15 juin 1991, date à laquelle Leslie Mahaffy, ma fille, a été enlevée, séquestrée, ligotée et assassinée. Son corps profané a été découvert dans des blocs de ciment à St. Catharines, à environ 40 kilomètres de notre maison à Burlington.

Je suis également la fondatrice et la directrice de Action for Victims, un groupe de défense des victimes, mis sur pied il y a cinq ans pour essayer d'apporter aux victimes une aide émotionnelle, psychologique, financière et personnelle, en leur fournissant de l'information et en écoutant leurs histoires d'horreur.

Je comparais également au nom de toutes les victimes de meurtre et au nom du public qui, je le sais, partage mon opinion à propos de l'article 745 et de la modification qui y est proposée, le projet de loi C-45.

Comme je l'ai déclaré dans mon témoignage devant le comité de la Chambre des communes, que je vous exhorte à relire en complément à mes remarques d'aujourd'hui, aucun argument n'est parvenu à me faire changer d'opinion et à accepter quelque modification que ce soit à l'article 745 du Code criminel. L'article 745 a fait beaucoup de tort -- depuis 1990-1991 -- au public, à la police, aux contrevenants et évidemment aux familles de toutes les victimes de meurtre. Le gouvernement actuel n'a pas consacré suffisamment de temps à étudier et à analyser les vrais enjeux de la modification de l'article 745, une disposition qui n'est pas justifiée, qui est mal conçue et qui se veut une version moins sévère de l'article 742 du Code criminel.

Pendant que les discussions, les débats et les délibérations continuent à obscurcir l'article 745 et le projet de loi C-45, les enjeux sont évidents pour tous sauf pour M. Rock qui reste obstinément sur ses positions et demeure imperméable aux arguments présentés par ceux qui ont eu l'occasion de témoigner et d'exprimer leurs réserves à propos de procédures parlementaires abâtardies qui rendent impossible l'abrogation de l'article 745 et ont donné lieu au projet de loi C-45.

Le projet de loi C-45 indique clairement aux Canadiens que les rédacteurs de ce projet de loi s'intéressent davantage au sort des contrevenants qu'aux préoccupations du public et à sa sécurité. Chaque décision prise par les tribunaux doit viser à assurer la sécurité de tous les membres de la société. Il faut absolument que les peines imposées correspondent aux peines purgées. Il faut accorder la priorité, par exemple, à la sécurité et à la formation des employés du Service correctionnel du Canada, responsabiliser davantage la Commission nationale des libérations conditionnelles et assurer la sécurité du public. Les décisions prises dans le cadre du processus judiciaire doivent tenir compte de l'intérêt des membres innocents de la société et non de celui du contrevenant. Il est temps de réfléchir à notre conception de la vie et de la mort, du bien et du mal, à assumer la responsabilité de nos actes et à modifier notre comportement pour que notre société devienne plus civilisée, plus douce et humaine et adopte une politique de tolérance zéro envers la violence. Il faut que le gouvernement accepte de faire de la protection du public une priorité et montre aux Canadiens qu'il s'agit bel et bien d'une réalité.

L'objet de l'article 742 était de protéger le public et d'empêcher les contrevenants de répéter leur comportement ignoble et inacceptable, ces individus qui, pour assouvir leurs besoins égoïstes, n'hésitent pas à sacrifier une précieuse vie humaine pourtant fragile.

L'article 745 a été rédigé pour ceux qui estiment qu'une peine de 25 ans est trop longue pour le contrevenant et qu'il ou elle doit, dans des cas exceptionnels, faire l'objet d'une révision judiciaire après avoir purgé 15 ans de sa peine. À l'aube de l'an 2000, le moment est venu pour les Canadiens de s'adresser aux politiciens et de réclamer une fois de plus que les peines consécutives imposées correspondent aux peines purgées et que la libération conditionnelle soit refusée aux contrevenants condamnés à l'emprisonnement à perpétuité jusqu'à ce qu'ils aient purgé 25 ans de prison.

Il nous faut une option viable à la peine de mort. Le projet de loi C-45 n'en propose aucune. En fait, les modifications proposées sont trop peu nombreuses, trop tardives et trop vagues. Certaines ne font qu'alourdir le processus bureaucratique et ne servent qu'à assurer du travail aux avocats.

Je ne répéterai pas la liste des préoccupations que soulève le projet de loi C-45 mais je vous renvoie au mémoire du 6 novembre 1996 de l'ACP, présenté par Scott Newark et Grant Obst, dont je vous demanderais d'ailleurs d'examiner sérieusement chaque point, surtout ceux de la page 11.

Je crains que le juge, comme l'appelle M. Rock, avant de constituer un jury qui a le pouvoir discrétionnaire de décider si la demande d'un meurtrier peut être acceptée, prenne sa décision uniquement en fonction des documents présentés par les agents de cas du Service correctionnel. Pourquoi ne fait-on aucune mention de la déclaration de la victime à cette étape? Apparemment, nous supposons, comme le juge devra le supposer, que la déclaration de la victime ne sera acceptée que si un jury est constitué. Je suis convaincue qu'il faut prendre en compte la déclaration de la victime tant au moment de la détermination de la peine qu'au moment de l'audience, et non pas à l'une ou l'autre de ces étapes. Le projet de loi C-45 est très vague et j'aimerais savoir pourquoi on ne permet pas la présentation de la déclaration de la victime lors de ces deux étapes. J'aimerais également savoir pourquoi la déclaration de la victime et tous les autres documents mis à la disposition du juge et du jury ne sont pas présentés sous forme de déclarations sous serment.

Il y aurait sans doute beaucoup moins de risques si on maintenait les principes de la peine consécutive, ce qui éliminerait d'ailleurs l'absurdité de milliers de scénarios.

Je ne vous décrirai qu'un seul scénario. Par exemple, une personne qui commet un seul meurtre pourrait quand même bénéficier d'une révision judiciaire en vertu du projet de loi C-45, indépendamment du fait qu'elle était en libération conditionnelle au moment du meurtre; du nombre d'agressions sexuelles graves dont elle pourrait être accusée; du nombre supplémentaire de viols qu'elle pourrait avoir commis; et indépendamment du fait qu'elle possédait une arme et avait commis de voies de fait graves contre des citoyens, des policiers ou des gardiens de prison. C'est-à-dire que sa peine de 25 ans pourrait quand même être réduite. Cependant, si une personne tue par balles ses deux voisins parce que leur chien n'arrête pas de venir sur son terrain, elle n'aurait pas droit à une révision judiciaire.

Cet exemple simplifié à l'extrême part d'un principe dangereux, à savoir que quelqu'un qui tue deux personnes est plus dangereux que quelqu'un qui n'en tue qu'une. Comment alors déterminons-nous la peine d'un tueur qui a assassiné trois personnes ou de celui qui en a assassiné 33? Seule une législation qui prévoit des peines consécutives qui prennent en compte le fait qu'un contrevenant est dangereux, présente un risque élevé ou est un récidiviste peut garantir au public que les peines purgées correspondront réellement aux peines imposées. La justice ne sera plus un leurre qui provoque avec raison la colère du public et l'amène à dénoncer l'ensemble du système de justice.

Les membres de la famille de la victime sont anéantis et se voient ramenés au moment et au lieu du crime, et en revivent à nouveau toute l'horreur et la terreur. Cela se produit six ans, 15 ans, 17 ans, 25 ans ou 30 ans plus tard.

En s'assurant que les peines purgées correspondent aux peines imposées, on établit premièrement une mesure particulière de dissuasion à l'intention du contrevenant et deuxièmement une mesure de dissuasion générale pour ceux qui auraient les mêmes tendances; troisièmement, ce serait une mesure de réadaptation et quatrièmement, un moyen de dénoncer le comportement et les agissements du contrevenant.

Il nous faut des solutions simples à un comportement inacceptable que notre société ne tolérera plus. Par exemple, si pour tous ses crimes, un meurtrier est condamné à 640 années de prison et qu'il ou elle n'a qu'une vie à vivre -- comme chacune de ses victimes d'ailleurs -- le meurtrier devrait alors être incarcéré et tenu à l'écart de la société toute sa vie.

Il faut absolument trouver un juste milieu entre les établissements pénitenciers qui sont de véritables bagnes et ceux qui font songer plutôt à des Clubs Med. Il faut apprendre si possible aux condamnés à perpétuité et à tous les détenus à changer et à modifier leur comportement pendant qu'ils sont incarcérés et leur offrir toutes les possibilités de le faire.

Chaque membre de ma famille a dû réapprendre à vivre. Depuis cinq ans, cinq mois et 21 jours, nous avons dû suivre d'innombrables séances de thérapie à nos propres frais, et nous devrons probablement continuer toute notre vie.

Notre existence est désormais marquée par le comportement tout à fait ignoble du meurtrier de Leslie. Aujourd'hui, nous ne faisons qu'exister et non vivre... et c'est une vie que personne sûrement ne choisirait.

Permettez-moi de faire une analogie avec une maison dilapidée dont la vue choque, située dans un beau quartier où les gens sont fiers de leur propriété et de leur quartier. Le quartier trouve que cette maison dévalue toutes les propriétés qui l'entourent mais la municipalité refuse de la démolir parce que ce n'est pas dans son intérêt. On lui donne une couche de peinture, on rafistole la véranda et on peint la porte d'entrée. Personne dans le quartier ne peut nier que la maison a meilleure apparence tout comme, après un rapide coup d'oeil aux modifications proposées par le projet de loi C-45, on a l'impression que l'article 745 a été amélioré. Cependant, si on y regarde de plus près, on constate que la peinture s'écaille et que la porte n'ouvre plus.

Les modifications apportées à cette «maison» n'ont pas amélioré la situation, ni remédié au problème. La «maison» -- c'est-à-dire l'article 745 -- existe toujours. Les modifications en ont simplement justifié l'existence et justifient qu'on n'y consacre pas un sou de plus. L'article 745 et les modifications proposées par le projet de loi C-45 perpétuent cet écart flagrant entre la peine imposée et la peine effectivement purgée. Il est maintenant clair que la peine de mort ou les peines consécutives seront les uniques solutions de rechange à un côté plus clément de notre nature.

Au moment des élections, on se souviendra de ce projet de loi comme d'un projet de loi sans pitié qui, une fois encore, ne profite qu'aux coupables et non aux innocents.

Comment le projet de loi C-45 modifie-t-il la responsabilité du ministère de la Justice envers la sécurité de tous les citoyens canadiens et non uniquement envers la sécurité des contrevenants?

J'espère qu'aucun membre du gouvernement actuel n'aura jamais à entendre son enfant hurler de douleur et supplier qu'on lui vienne en aide. Quelques minutes plus tard, on lui retire le bandeau qu'on l'obligeait à porter sur les yeux -- ou qu'elle avait peut-être porté pendant des jours -- et on la tue. Comment pouvez-vous ne pas entendre les cris de terreur et de douleur de toutes les victimes et ne pas y répondre, tout comme les cris de tous les Canadiens qui veulent que vous vous engagiez à prendre vos responsabilités et à assurer la sécurité de tous les citoyens du Canada?

Les gardiens et les travailleurs des services correctionnels représentent un groupe de citoyens canadiens qu'il ne faut pas négliger et dont la sécurité au travail doit être garantie. On se leurre si on croit que le maintien de l'article 745 les protégera des blessures et des attaques. L'article 745 ne peut pas les protéger. Le projet de loi C-45 n'est pas la seule solution.

Je ne suis pas un décideur mais je sais qu'il existe des moyens plus créatifs d'assurer la sécurité des employés des services correctionnels. Si les prisonniers n'arrivent pas à contrôler leur colère et leur comportement destructif en prison et représentent une réelle menace pour les gardiens, il est à mon avis inconcevable que ces mêmes contrevenants, selon le raisonnement de M. Rock, puissent bénéficier d'une réduction de peine.

Notre Code criminel renferme des dispositions qui prévoient des mises en liberté anticipée et des réductions de peine. Cependant, pour M. Rock, il doit s'agir du moyen tout indiqué de s'occuper de cas particuliers, entre autres en dépoussiérant cette bonne vieille prérogative royale de clémence.

Le surpeuplement dans nos prisons est une autre question qui me préoccupe. Je trouve toutefois qu'on accorde des libérations conditionnelles aux mauvaises personnes. On met en prison les mauvaises personnes. Ceux qui commettent des infractions contre les biens ne devraient pas se trouver dans les mêmes établissements que ceux qui commettent des infractions contre la personne. On ne devrait pas refuser une libération anticipée à un homme de 70 ans, atteint d'un cancer et qui n'a que six mois à vivre. On devrait le laisser aller mourir chez lui. Qu'on lui mette un bracelet électronique et qu'on lui accorde sa libération avant que son mandat n'expire au lieu d'accorder une libération anticipée à un pédophile de 35 ans.

On a tous entendu dire que nos prisons seraient surpeuplées si on n'accordait pas une libération anticipée aux meurtriers. Or, c'est un argument illogique, puisqu'on leur fournit de l'eau de Javel et des condoms. Je crois que très peu se plaignent de devoir partager leur cellule.

Je m'excuse du manque de suite logique de mes préoccupations, mais on m'a enlevé mon enfant -- et bien des familles d'autres victimes ont perdu leur enfant ou un être cher aux mains d'un meurtrier -- et j'ai beaucoup de difficulté à me concentrer ou à faire un effort soutenu, comme je le voudrais.

Je ne m'excuserai pas de pleurer, ni de montrer mes émotions. Personne dans ma situation ne devrait avoir à le faire. Le jour où notre société, notre gouvernement et nos tribunaux se couperont de leur émotion et de leur humanité, il deviendra impossible d'accéder à une société plus clémente et sans violence.

La véritable justice réside dans la paix et l'humanité. Tous les membres de la société qui n'ont pas encore été directement touchés par le crime sont tout aussi indignés que ceux qui l'ont été.

Je vous remercie de votre appui.

La présidente: Nous vous remercions de votre présentation de cet après-midi. Vous n'avez pas à vous excuser de quoi ce que ce soit que contient votre mémoire. Vous nous avez fait très bien comprendre ce que vous éprouvez en tant que victime. Vous nous avez également bien fait comprendre que vous parliez au nom de votre fille.

Le sénateur Cools: Ce que vous avez eu à endurer est indescriptible.

Vous avez parlé de l'insuffisance de l'aide accordée aux personnes dans votre situation, et je sais que c'est effectivement le cas. J'ai une grande expérience du système pénitentiaire et j'ai souvent eu l'occasion de travailler avec des personnes dans des circonstances semblables aux vôtres. Je suis toujours frappée par les millions de dollars consacrés aux contrevenants et par l'insuffisance des fonds destinés à aider les victimes.

Vous avez parlé de séances de psychothérapie dont vous avez dû assumer les frais. Est-ce que l'une d'entre vous, ou toutes les deux, pourrait indiquer au comité les dépenses que vous avez dû encourir?

J'ai eu l'occasion de connaître des personnes comme vous-mêmes qui n'avaient même pas assez d'argent pour acheter un cercueil. Par contraste, j'ai appris que l'un des avocats de Paul Bernardo a envoyé à l'aide juridique une facture de 400 000 $ pour sa défense. Bien des victimes sont totalement démunies. Pendant de nombreuses années, le système a fermé les yeux sur leur situation.

Je tiens à vous remercier, madame Boyd, pour la liste des détenus que vous m'avez fournie. En consultant la liste des détenus qui feront bientôt l'objet d'une révision judiciaire, je vois le nom de certains dont j'ai eu l'occasion de révoquer la libération conditionnelle avant qu'ils commettent les meurtres pour lesquels ils sont maintenant incarcérés. Je sais avoir personnellement révoqué la liberté surveillée d'une personne qui y figure.

Je ne crois pas que le comité soit en mesure de faire quoi que ce soit à cet égard, mais on devrait au moins présenter l'autre côté d'une question dont il faut absolument s'occuper.

Mme Mahaffy: En 1991, notre famille à Burlington a eu de la chance, en ce sens que nous avons été immédiatement informés par la Commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels à Toronto. On nous a remis le formulaire à remplir et nous n'avons pas eu à donner trop de détails. Je me souviens que mon mari y a simplement inscrit nos noms. Cependant, il a fallu payer immédiatement les funérailles. Même si les directeurs de la maison funéraire ont été très gentils, il a fallu payer les funérailles. Nous avons dû encaisser des certificats de placement garanti pour les payer.

La Commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels autorise 3 500 $ pour les funérailles mais ce montant n'aurait pas suffi à payer ses funérailles qui étaient d'ailleurs très simples, même si la maison funéraire nous a accordé un escompte.

La Commission accorde un maximum de 2 500 $ aux victimes de crime. La partie qui pose problème, c'est l'expression «souffrances et douleurs». Mon mari n'a pas reçu un sou pour ses souffrances et douleurs. J'ignore pourquoi. Il est évident qu'il a beaucoup souffert. Lorsque j'ai été hospitalisée peu de temps après l'enterrement de Leslie, mes dépenses ont été couvertes par la Protection-santé de l'Ontario. D'après ce que j'ai appris des autres familles à qui j'ai parlé, si les victimes avaient un médecin couvert par la Protection-santé de l'Ontario, elles avaient de la chance. J'ai eu de la chance, je suppose, parce que mes frais d'hospitalisation ont été couverts par la Protection-santé de l'Ontario de 1991 à 1995.

Lorsque le procès a été déplacé à Toronto, il m'a été impossible de retourner chez le thérapeute que je consultais une fois par semaine. J'ai trouvé un thérapeute à Toronto qui m'a beaucoup aidée. Je le vois une fois par semaine et je compte bientôt y aller deux fois par semaine. Il n'est pas couvert par la Protection-santé de l'Ontario. Il demande 135 $ de l'heure. Je lui dois plus de 5 000 $.

Cependant, après avoir communiqué avec les familles d'autres victimes et des personnes bien informées, j'ai demandé des prestations d'invalidité dans le cadre du Régime de pension du Canada. On a fait des calculs rétroactifs et j'ai reçu une somme forfaitaire. Depuis le 1er janvier, je reçois un montant chaque mois qui ne me permettra pas de vivre seule. À compter du 22 janvier, je vivrai seule avec mon fils.

Je ne me souviens pas du montant qui m'a été accordé pour «souffrances et douleurs». Ce n'était pas le montant total que j'étais en droit de recevoir. Je crois qu'on m'a accordé une somme équitable pour compenser la perte de mon salaire d'enseignante à contrat. Du montant qui m'a été accordé pour souffrances et douleurs, on a déduit le montant de la police d'assurance-vie que nous avions prise pour Leslie pour ses études collégiales.

La Commission a indemnisé mon mari pour la période où il n'a pas pu travailler mais a refusé de lui rembourser les heures supplémentaires qu'il a perdues. Par conséquent, au lieu de s'occuper de moi à l'hôpital, de mon fils de sept ans et demi et de ma mère à la maison, il est retourné au travail après six semaines, ce qui à mon avis était trop tôt.

Malheureusement, la Commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels n'indemnise qu'un seul soutien de famille. Aucune indemnisation n'a été accordée pour la thérapie, ni pour les souffrances et douleurs du frère de Leslie. À Cornwall, une jeune fille de 16 ans a été assassinée il y a un an en janvier et sa soeur de 11 ans ne s'en est toujours pas remise. Comme elle ne gagne pas d'argent, elle n'a droit à aucune indemnisation.

Les gens peuvent se tourner vers leur congrégation pour obtenir du counselling qui peut les aider et vers les conseillers en deuil de la maison funéraire. Il existe des organismes de services sociaux vers lesquels je dirige les personnes que j'ai rencontrées, qui se trouvent dans les mêmes circonstances que nous.

La présidente: Bien que cela ne se rapporte pas directement au projet de loi C-45, je crois qu'il est important que le comité, qui s'occupe de nombreux projets de loi en matière de justice, entendent ce genre de témoignages.

Le sénateur Cools: En écoutant Mme Mahaffy dire qu'elle doit plusieurs milliers de dollars à son thérapeute, je songeais aux services des nombreux psychiatres que Mme Homolka a reçus gratuitement.

Mme Mahaffy: J'ai de bonnes nouvelles. J'ai fait une nouvelle demande au Régime de pension du Canada. Les deux commis à qui j'ai parlé au téléphone - je n'ai pas réussi à parler à des gens plus haut placés - m'ont appris qu'on ne rembourserait absolument pas ma réadaptation parce qu'il ne s'agissait pas d'un problème physique. J'ai répondu: «C'est un problème physique. Il affecte mon cerveau». Elle n'a pas accepté cet argument. Cependant, après d'autres recherches, j'ai réussi à mettre la main sur leur brochure. J'ai donc quelque chose par écrit. Je poursuis mes recherches sur la question.

Le sénateur Cools: Madame Boyd et madame Mahaffy, vous nous avez remis une liste de tous les contrevenants condamnés qui pourraient présenter une demande de révision en vertu de l'article 745 jusqu'en l'an 2007. Il y a beaucoup de controverse au pays à propos des détenus condamnés et le nombre de meurtres qu'ils ont commis. Je constate que le sénateur Milne, lorsqu'elle a parrainé le projet de loi, a déclaré dans son allocution qu'il est faux de dire que certains de ces détenus n'ont pas commis plus d'un meurtre.

Est-ce que vous-même ou votre organisation avez examiné le nombre de meurtres commis par ces individus? J'ai vu que de nombreux détenus avaient commis plusieurs meurtres. Parfois, les chefs d'accusation varient, homicide involontaire coupable ou quoi que ce soit, mais je me souviens effectivement que certains détenus avaient commis au moins deux ou trois meurtres. Je me souviens que de nombreuses femmes avaient commis plusieurs meurtres.

Je sais que votre groupe n'a pas d'argent. Êtes-vous quand même au courant des dossiers criminels de ces individus?

Mme Mahaffy: Non. Comme on ne s'intéresse pas au nombre de victimes assassinées, ces renseignements ne sont pas fournis.

Les statistiques proviennent de l'Association canadienne des policiers, je crois. Elles n'indiquent que le nom du meurtrier, sans préciser le nombre de meurtres commis, ni quand ils ont été commis. Je suis sûre qu'ils ont dans leurs dossiers tous les antécédents de chaque meurtrier. Nous savons qui est sur le point de demander une révision et pour quelles raisons.

Mme Boyd: Il y a environ six mois, j'ai téléphoné pour essayer d'obtenir des renseignements sur James Peters. Je voulais savoir s'il avait fait des démarches pour se prévaloir de l'article 745. J'ai fait cinq appels téléphoniques cette journée-là et chaque fois, on a essayé de se débarrasser de moi. Personne ne voulait me parler, comme si ce n'était pas grave. C'était comme si on me disait: «Il vous a simplement enlevé votre fille. Maintenant, laissez-nous tranquille, nous avons du travail à faire. Laissez-nous nous occuper de sa réadaptation. Laissez-nous le réintégrer dans la société.» Nous ne sommes pas importants. On ne veut pas nous parler. Même si c'est ma fille qu'il a assassinée, on me dit que sa réadaptation et les démarches qu'il fait aujourd'hui ne sont pas de mes affaires. Je trouve que c'est injuste.

Mme Mahaffy: En Ontario, le 11 juin 1996, l'Ontario a adopté une déclaration des droits des victimes. Nous espérons qu'on adoptera une déclaration nationale des droits des victimes, qui nous donnera le droit d'être informés. J'ai déjà eu des nouvelles du bureau de libération conditionnelle en ce qui concerne les meurtriers dans notre cas. Nous avons le droit d'être mis au courant de tout changement de situation. Tout ce qu'il faut se demander, c'est: s'ils ne nous le disent pas, à qui la faute ou qui est responsable de nous renseigner?

En Ontario, on a établi une ligne 1-800 qui devrait commencer à fonctionner au début janvier. Il ne fait aucun doute que des progrès ont été réalisés à cet égard et que cela est probablement le résultat des pressions exercées.

Le sénateur Milne: Madame la présidente, j'aimerais préciser que le sénateur Cools faisait allusion à une réponse que j'ai donnée au sénateur St. Germain au Sénat. Je veux m'assurer que les choses sont claires. Aucun détenu libéré en vertu de l'article 745.6 n'a commis d'autre meurtre.

Je tiens à vous répéter, madame Mahaffy, comme je l'ai fait pour Mme Boyd, car je ne veux pas que vous sortiez d'ici avec de faux espoirs, que le comité peut uniquement approuver le projet de loi C-45, le rejeter ou l'amender. Nous ne pouvons pas nous débarrasser de l'article 745. Cela ne relève pas de notre compétence.

Compte tenu de la situation, je vous poserai à toutes deux une question qui peut vous paraître très difficile. Si vous ne voulez pas y répondre ou trouvez cela trop difficile, je comprendrai très bien. Si vous étiez à notre place, compte tenu du fait que l'article 745.6 continuera d'exister, préférez-vous qu'on accepte ce projet de loi, quitte à essayer de le rendre un peu plus sévère, ou qu'on le rejette?

Mme Mahaffy: Je vous exhorte à le rejeter. Nous avons suivi le processus. Le projet de loi a fait l'objet d'une deuxième lecture par le comité, c'est-à-dire d'un examen complet, et a reçu l'appui sans réserve du Parti libéral. Puis, tout à coup, le projet de loi C-45 est apparu et a modifié l'article sans l'abroger.

Tous les témoins qui ont comparu devant le comité des Communes, dont moi-même, se sont sentis bousculer. C'est un projet de loi à propos du temps -- le temps que le meurtrier passe en prison, le temps que lui consacrent le gouvernement, le juge et le jury, le temps que nous lui consacrons. Je ne crois pas qu'on ait suffisamment discuté du projet de loi et qu'on lui ait consacré suffisamment de temps. C'est un projet de loi très important. J'estime que notre façon de vivre avec les meurtriers est un aspect primordial de notre société.

Mme Boyd: Je ne peux pas appuyer ce projet de loi. J'ai toujours maintenu cette position. Depuis le début, depuis que j'ai découvert l'existence de cet article, j'ai réclamé son abrogation en bonne et due forme. Cet article doit être éliminé. Il est nuisible. Il n'offre rien aux victimes. Il déséquilibre la balance de la justice.

Le sénateur Milne: Cependant, comme nous ne pouvons pas l'abroger...

Mme Boyd: Je vois ce que vous voulez dire.

Le sénateur Milne: ... considérez-vous qu'il devrait être adopté ou non?

Mme Boyd: Je vous demanderais de ne pas l'adopter.

Le sénateur Gigantès: Ce matin, nous avons entendu des groupes qui trouvent que ce projet de loi est trop sévère à l'endroit des meurtriers et qui veulent eux aussi qu'il soit rejeté. Vous parlez au nom des victimes et vous voulez, vous aussi, qu'il soit rejeté. Que devons-nous en déduire?

Mme Mahaffy: J'ignore qui sont les témoins qui ont comparu ce matin, mais ceux qui réclament le rejet des modifications croient pouvoir faire la distinction entre une personne qui commet un seul meurtre et celle qui en commet plus d'un. Ce n'est pas ainsi qu'il faut aborder le problème des auteurs de meurtres multiples, mais cela revient à dire que plus une personne commet de meurtres, pire elle est.

Ces modifications ne seront d'aucune aide. Elles n'adouciront pas la peine des meurtriers. La question est de savoir quelles sont les mesures à prendre à l'égard des auteurs de meurtres multiples.

La modification relative à l'unanimité exige l'unanimité uniquement lors de la première décision. Si la décision du jury est unanime, le meurtrier aura droit à une audition et sa période d'inadmissibilité sera réduite. Cependant, si le jury ne s'entend pas sur le nombre d'années, d'après mon interprétation, la décision peut alors être prise par les deux tiers de ses membres.

C'est pourquoi je vous demande de rejeter ce projet de loi et j'appuie ceux qui vous ont exhorté à faire de même.

Nous devons vivre avec les meurtriers. Je n'ai pas perdu espoir dans l'humanité et je n'ai pas renoncé à aider les autres. Nous devons tous modifier notre comportement pour que la société nous accepte. Si nous ne pouvons pas contrôler notre comportement, nous ne pourrons par vivre en société. Nous devrons vivre en marge de la société.

Ici encore, les modifications proposées n'ont pas changé la situation de ces gens. S'ils ne sont pas admissibles parce qu'ils ont assassiné deux personnes, ils n'auront pas droit à une révision judiciaire. C'est encore trop sévère. Ils devront passer 25 ans en prison.

J'aimerais que l'on offre plus d'aide et plus d'argent au système correctionnel. Ces gens, comme nous, apprennent à refaire leur vie et ont besoin d'aide.

Plutôt que de leur apprendre à jouer au golf, ce qui ne les prépare pas à la vie active, on pourrait leur apprendre autre chose qui leur plairait, que ce soit au niveau artistique, mécanique ou quoi que ce soit, mais qui ne présenterait pas de risque ni pour eux, ni pour les gardiens. Par exemple, s'il y a suffisamment de gardiens, les prisonniers pourraient utiliser des outils qui autrement pourraient être considérés dangereux.

Je considère presque les détenus comme une ressource non exploitée. Ils pourraient peut-être aider d'autres Canadiens. On les paie. On pourrait leur faire faire des choses plus intéressantes. Je n'aime pas savoir que certains prisonniers en isolement font l'objet d'une surveillance électronique. Ils n'auront aucun contact humain. C'est inhumain.

Le sénateur Gigantès: Les groupes qui ont comparu ce matin nous ont dit qu'après 25 ans, ils seront libérés de toute façon.

La présidente: Ils seront admissibles à la libération conditionnelle.

Le sénateur Gigantès: S'ils sont libérés sous condition après 25 ans, leur réadaptation risque d'être plus difficile que s'ils avaient eu l'espoir d'être admissibles à la libération avant d'avoir purgé 25 ans de prison.

Mme Mahaffy: S'ils sont là à ne rien faire, s'ils ne se sentent pas utiles, s'ils ne s'aiment pas, c'est là où la question d'espoir intervient.

Cependant, si la peine de mort n'est pas une mesure de dissuasion, comment pouvons-nous logiquement prétendre que l'espoir permettra de modifier leur comportement? Comment pouvons-nous dire une telle chose s'ils n'ont qu'à attendre 15 ans avant d'avoir droit à une révision judiciaire? Quant à les occuper à des activités intéressantes et constructives, les agents de correction qui ont comparu devant le comité de la Chambre ont constaté que les condamnés à perpétuité étaient les détenus les plus dociles, une fois qu'ils se sont fait à l'idée que ce serait désormais leur mode de vie.

Le sénateur Gigantès: Donc, vous croyez qu'il y a des gens dans nos prisons qui ne devraient pas y être et qui constituent en fait le gros de la population carcérale; et que si nous ne les mettions pas en prison, nous aurions des ressources pour prendre les mesures que vous proposez?

Mme Mahaffy: Je parle de ceux qui commettent des crimes contre les biens et non contre la personne. Par exemple, on envoie en prison pendant sept ans une personne qui a détourné des fonds d'une valeur de quatre millions de dollars tandis qu'un grand-père qui a agressé sexuellement ses petites-filles pendant sept ans est condamné à deux ans de prison moins un jour. C'est injuste.

Certaines peines imposées sont terribles. Les auteurs de crimes contre les biens, condamnés à purger plus de deux ans de prison devraient être dans un établissement où ils peuvent apprendre et travailler huit heures par jour comme le reste d'entre nous le faisons pour subvenir à nos besoins. Ils devraient toutefois être séparés des détenus dangereux. Nous avons tous entendu dire qu'à leur sortie de prison, les détenus sont devenus de meilleurs criminels à cause de tout ce qu'ils y ont appris. Il ne faut pas donner à l'auteur d'un détournement de fonds l'occasion d'entrer en contact avec l'auteur d'un vol à main armée, car c'est évidemment un crime qui donne des résultats beaucoup plus immédiats que le détournement de fonds sur plusieurs années.

Le sénateur Wood: Madame la présidente, je ne veux pas mettre en doute les statistiques présentées par le sénateur Milne. J'ai toutefois un document qui m'a été remis par le ministère de la Justice, où on indique que quatre des 50 prisonniers qui ont vu leur période d'inadmissibilité réduite ont récidivé. L'un d'entre eux a récidivé, l'un court toujours, et deux ont vu leur libération révoquée parce qu'ils en ont enfreint les conditions.

La présidente: Il ne s'agit toutefois pas de meurtre, sénateur. Nous avons des chiffres plus récents que je me ferai un plaisir de vous communiquer. Ils remontent à octobre 1996. Je m'assurerai que vous recevrez les chiffres les plus récents.

S'il n'y a pas d'autres questions, je tiens à vous remercier toutes deux. Je sais que cela a été une expérience éprouvante pour vous.

Mme Mahaffy: J'aimerais simplement dire que je sortirai d'ici avec plus d'énergie qu'à mon arrivée, madame la présidente.

La présidente: Merci encore.

La séance est levée.


Haut de page