Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 40 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 5 décembre 1996
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi modifiant le Code criminel (révision judiciaire de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle) et une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 10 h 33, pour en faire l'examen.
Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous entamons, ce matin, l'examen du projet de loi C-45.
Nous avons demandé à des représentants du ministère de la Justice de suivre nos audiences sur le projet de loi C-45 et de nous faire connaître leurs commentaires au sujet de questions soulevées par des témoins. Ensuite, nous espérons commencer l'étude, article par article, du projet de loi C-45.
M. Yvan Roy, avocat général, Section de la politique du droit pénal, Secteur de la politique pénale et sociale, ministère de la Justice: Madame la présidente, je tiens d'abord à signaler la présence de deux collègues qui pourront répondre à vos questions de nature statistique, par exemple.
Je vous présente donc, assise à la table, Mme Lynn Cuddington, du Service correctionnel du Canada, qui a réuni de l'information et des données statistiques en prévision de ce matin.
Elle est accompagnée de M. Robert Cormier, directeur des Corrections au ministère du Solliciteur général. Ces deux personnes agiront comme experts de la statistique. Ils répondront volontiers à toute question dans ce domaine.
J'aurais maintenant quelques commentaires à faire sur ce que vous ont dit certains témoins afin de rétablir les faits.
Tout d'abord, je sais que vous avez déjà souligné qu'une condamnation à l'emprisonnement à perpétuité demeure une sentence à vie, mais j'estime qu'il convient de le réaffirmer. D'après certains témoins, le fait de pouvoir présenter une demande en vertu de l'article 745.6 ou de pouvoir demander une libération conditionnelle, que ce soit au bout de 25, de 20 ou de 15 ans, change la peine imposée. En vérité, les personnes condamnées à l'emprisonnement à perpétuité demeurent condamnées pour le reste de leur vie. Si elles enfreignent une des conditions de leur libération -- lorsqu'elles sont libérées --, elles sont tout de suite réincarcérées.
Sans donner de noms, je puis vous citer des cas de personnes qui passent toute leur vie en prison, qui sont en prison depuis 30, 35, voire 40 ans, et qui y mourront fort vraisemblablement. Je l'affirme officiellement pour qu'on comprenne bien que le projet de loi à l'étude n'y change rien. C'est la réalité et c'est un fait.
Le sénateur Jessiman: Madame la présidente, je crois avoir demandé des données statistiques à ce sujet.
La présidente: C'est vrai, sénateur. Mme Trottier les a peut-être.
Mme Jennifer Trottier, analyste principale de la politique, Corrections, ministère du Solliciteur général: Je les ai effectivement envoyées le 17 novembre 1996.
M. Roy: Deuxième point, je tiens à commenter certaines affirmations faites au sujet du taux de récidive. On semble ne pas faire la différence entre ceux qui commettent peut-être des infractions pendant qu'ils sont en libération conditionnelle et ceux dont il est question ici, soit les personnes qui ont été condamnées à l'emprisonnement à perpétuité, qui sont inadmissibles à une libération conditionnelle pour au moins 15 ans, cette période pouvant aller jusqu'à 25 ans, et qui commettent des crimes après avoir été libérées sous condition.
Encore une fois, je précise que la personne libérée sous condition peut être réincarcérée si elle commet un crime et qu'elle devra alors continuer de purger sa peine en prison. Parmi ceux qui se sont prévalus de l'article 745, soit l'actuel article 745.6 projeté, 34 ont obtenu gain de cause, si l'on peut dire. Elles ont été autorisées à retourner vivre en société. Pas une de ces 34 personnes n'a commis un meurtre par la suite.
Il n'y a pas eu de récidive. Quatre personnes libérées sous condition ont dû être réincarcérées. Une d'entre elles a commis un vol qualifié et est retournée en prison. Deux autres étaient illégalement en liberté. Enfin, une accusation a été portée contre la quatrième personne qui est retournée en prison en attendant son procès. Ce sont des cas isolés. Aucune de ces personnes n'a commis un meurtre, un homicide involontaire ou un autre crime de cette nature. Il n'est rien arrivé de tel.
J'estimais important de rétablir les faits. Il faut bien comprendre que la mesure à l'étude vise des situations qui méritent d'être jugées par des membres de la collectivité, des situations où il y aurait avantage à permettre aux détenus de réintégrer la société. Les modifications proposées par le ministre de la Justice resserrent le processus, de sorte que les tueurs en série ne pourront plus s'en prévaloir.
Voilà qui conclut ma déclaration préliminaire, madame la présidente. Mes collègues et moi demeurons à votre disposition pour répondre, de notre mieux, à vos questions.
La présidente: Parlons d'une question qui me préoccupe. D'aucuns ont l'impression que, si le juge qui effectue la première sélection autorise l'examen de la demande par un jury, les jurés concluront que le juge est favorable à une réduction de la période d'inadmissibilité. On nous a entre autres proposé que les motifs invoqués par le juge pour autoriser un examen de la demande par un jury soient communiqués aux jurés.
En a-t-il été question au ministère? A-t-on discuté de la possibilité que la demande soit approuvée d'office parce qu'elle a déjà été examinée par un juge?
M. Roy: Je ferai une analogie avec ce que font constamment les juges qui président les procès devant jury, c'est-à-dire qu'ils doivent décider s'il faut autoriser la présentation au jury d'une défense particulière invoquée par l'accusé. Dans ces circonstances, le juge est obligé de trancher. Il faut qu'il décide si la défense particulière invoquée est raisonnable. On ne veut pas embrouiller les jurés en leur exposant toutes sortes de moyens de défense sans fondement. Chaque jour, au Canada, les juges qui président doivent prendre de telles décisions. Ils se demandent: «Faut-il laisser le jury décider si l'on invoque ici un motif valable ou non?»
D'une certaine façon, c'est ce que fait le paragraphe 745.6(1) projeté. Il faut que le juge décide en fonction d'un critère moins rigoureux que ceux sur lesquels se fonderont les jurés. En d'autres mots, madame la présidente, il répond à une question différente. Le juge décide si le demande présentée a des chances raisonnables d'être accueillie favorablement, c'est-à-dire si elle est fondée.
Ainsi, quand on examine le dossier du détenu, on peut voir qu'il n'a pas changé au cours de ses 17 années d'emprisonnement, qu'il ne s'est pas amélioré par rapport à ce qu'il était lorsqu'il a commis son crime. Il est invraisemblable que la demande de cette personne soit accueillie. Le juge empêchera donc l'affaire d'aller plus loin. Toutefois, il n'appartient pas au juge de décider si la personne mérite que sa période d'inadmissibilité soit réduite. Si les jurés persistent à croire que la décision a déjà été prise et qu'ils n'ont donc pas à rejeter la demande, je suis certain que le juge, dans ses instructions, leur intimera très clairement que la décision leur appartient et que ce n'est pas à lui de la prendre. Nous parlons ici de deux décisions tout à fait différentes. Avant d'autoriser une réduction de la période d'inadmissibilité, il faut que les jurés soient beaucoup plus convaincus que le juge qu'il y a eu changement notable. Les décisions à prendre ne sont pas les mêmes. Les juges connaissent très bien la distinction, pour les raisons que je viens de vous donner. Le jury n'examine les motifs de défense que lorsqu'ils ont un fondement raisonnable dans la réalité. Ce fondement est évalué par le juge parce qu'il s'agit d'un point de droit. Le même genre de mécanisme est prévu dans le projet de loi à l'étude.
Le sénateur Jessiman: J'ai écouté ce qu'avaient à dire plusieurs témoins dont un proche avait été tué. Chacun a dit que, lorsque la sentence avait été prononcée, il avait cru comprendre que le détenu demeurerait en prison pendant au moins 25 ans. Ils avaient tous été très étonnés d'apprendre, 15 ans plus tard, que le détenu avait le droit de demander une révision judiciaire. Dans un cas, le témoin l'a appris par le journal ou d'un journaliste qui avait laissé un message sur son répondeur.
Donc, un des problèmes est un manque de communication. J'ignore comment y remédier. Lorsqu'il prononce la sentence, même si le juge dit que la personne est condamnée à l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, il faudrait qu'il instruise les jurés des autres dénouements possibles. De toute évidence, cela n'a pas été fait. Il faudrait que le juge dise quelque chose à cet effet lorsqu'il prononce la sentence. S'il le faisait, les familles des victimes sauraient au départ à quoi s'attendre. Il faut que le gouvernement avise les juges qu'ils doivent renseigner le grand public sur les différentes possibilités lorsqu'ils prononcent la sentence. Il faut que les proches des victimes soient avertis. S'ils savaient dès le premier jour qu'il est possible que l'accusé soit libéré au bout de 15 ans, ils n'auraient pas à revivre tout le traumatisme.
Comment communique-t-on avec des juges au ministère de la Justice? J'ignore ce que devrait être la procédure. J'estime qu'il faudrait que le ministre de la Justice instruise en conséquence les juges à son emploi.
M. Roy: Comme vous, sénateur, nous avons entendu le témoignage de ces personnes. La solution n'est certes pas de dire qu'il faut ignorer la loi. Nous ferions preuve d'un grand cynisme si nous répondions ainsi. Ce n'est donc pas notre réponse.
J'entrevois quelques solutions au problème. Leurs préoccupations viennent du fait qu'elles n'ont pas l'information. Lorsque a lieu un procès pour meurtre, les renseignements pourraient être fournis par le juge ou par la Couronne. Ainsi, on pourrait aussi charger le procureur de la Couronne d'informer la famille de la victime de la manière dont fonctionne le système.
Il y a deux options. D'une part, vous pourriez préciser, peut-être dans votre rapport sur le projet de loi, qu'il faudrait que les juges en informent la famille de la victime au moment de prononcer la sentence. Nous pourrions prendre l'initiative d'aborder cette question avec les procureurs généraux des provinces. Comme vous le savez tous, les affaires de meurtre relèvent des procureurs des provinces. Le procureur général Harnick a témoigné ici, et je suis sûr qu'il ne serait pas opposé à cette idée.
Nous rencontrons périodiquement de hauts fonctionnaires. Notre ministre doit rencontrer ses homologues en février. On pourrait peut-être inscrire ce point à l'ordre du jour et demander aux procureurs de la Couronne d'informer les familles des victimes. Il est déjà assez difficile de vivre de tels procès. Découvrir 15 ans plus tard que l'affaire n'est pas finie doit être extrêmement déconcertant.
À tout le moins, on pourrait demander aux procureurs de la Couronne de donner ce genre de renseignements aux familles des victimes lorsque la sentence est prononcée ou avant, pour qu'elles soient au moins informées. Si vous nous demandez comment nous pourrions tenter d'obliger les juges à le faire, je ne suis pas sûr que ce serait la bonne approche. D'après votre réaction, je vois que vous partagez ma préoccupation. Je n'irai donc pas plus loin.
Le sénateur Jessiman: Le procureur général de l'Ontario a proposé soit qu'on ajoute une nouvelle étape au processus, soit que l'on remplace la première sélection effectuée par un juge par un renvoi de la demande de libération anticipée au ministre de la Justice du Canada. En avez-vous parlé avec le ministre? Pouvez-vous nous dire quel genre d'accueil serait réservé à cette suggestion?
M. Roy: Je n'en ai pas parlé avec le ministre de la Justice.
Ce que je pense? En toute franchise, il me semble que certaines décisions sont du ressort de l'appareil judiciaire et doivent le demeurer. À mon humble avis, ce n'est pas une question qui relève de l'appareil exécutif. Il s'agit d'une question judiciaire qui est du ressort de l'appareil judiciaire.
Dans ma réponse à une question posée par la présidente, j'ai mentionné que la première sélection effectuée par le juge se rapprochait assez de ce que font constamment les juges concernant les moyens de défense. Semble-t-il avoir un fondement valable dans la réalité? C'est la même chose ici. Si mon analogie est bonne, de toute évidence, la décision doit être prise par un juge. En tout cas, elle n'a pas à être prise par un ministre d'État dont le rôle est, en règle générale, politique. Il faudrait que pareille décision soit prise par une personne tout à fait impartiale, pour que chacun soit convaincu qu'elle est juste. Or, elle ne donnerait pas l'impression d'être juste si elle était prise par un ministre d'État qui, même s'il prend sa décision en toute objectivité, sera accusé d'avoir d'autres visées.
Le sénateur Jessiman: J'aimerais que vous m'expliquiez quelque chose. Il a aussi dit qu'en Ontario, la demande visant à faire déclarer quelqu'un criminel dangereux est examinée, non pas par l'appareil judiciaire, mais par le procureur général de la province. Quelle loi prévoit cela? Est-ce une loi provinciale ou le Code criminel?
M. Roy: Non, le Code criminel ne prévoit rien à ce sujet. Ce genre de demande est présenté en vertu de l'article 24 du Code criminel, avant que soit prononcée la sentence pour le crime au sujet duquel la personne a été poursuivie.
Avant de faire ce genre de demande -- et cette exigence figure ailleurs dans le Code criminel --, il faut que le procureur général donne son consentement. Cette question est sans rapport avec celle dont nous parlions ici, au sujet du projet de loi C-45.
Le sénateur Jessiman: Est-elle réellement différente? Dans un cas, elle est exactement à l'opposé, n'est-ce pas? Dans cette affaire, le détenu demande une libération conditionnelle anticipée. Vous êtes en train de dire: «Vous avez commis cet horrible crime, vous avez été condamné à l'emprisonnement à perpétuité et, maintenant, il faut décider de la peine». Sans la clause de la faible lueur d'espoir, notre loi dit que la personne demeurera incarcérée pendant au moins 25 ans. Toutefois, lorsque la loi est entrée en vigueur en 1976, les prisonniers pouvaient obtenir d'être libérés plus tôt. Aujourd'hui, la demande n'est pas examinée en fonction du fait que cette personne était un criminel dangereux lorsque a été commis le crime brutal. Environ 15 ans plus tard, l'attitude du criminel a changé, et on envisage maintenant sa réadaptation. Ce n'est pas ainsi que je vois les choses. Ce serait plutôt le contraire. Dans un cas, on dit qu'il est un criminel dangereux. Je suppose qu'un criminel dangereux demeure en prison plus longtemps, n'est-ce pas?
M. Roy: Le criminel dangereux serait condamné à l'emprisonnement à perpétuité. Aux termes du Code criminel actuel, le prisonnier peut demander une libération conditionnelle anticipée au bout de trois ans.
Le ministre vient de déposer un projet de loi qui est actuellement à l'étude dans l'autre endroit. Avec un peu de chance, il finira par vous être renvoyé. Le projet de loi C-55 prévoit qu'une demande de libération anticipée ne peut être présentée avant sept ans. Le ministre a comparu, mardi dernier, devant le comité de l'autre endroit chargé de ces questions. Le projet de loi franchit les étapes.
J'aimerais en revenir à la différence entre ce que prévoit le projet de loi C-45 et ce dont il est question lorsqu'on parle de «criminels dangereux». Dans le cas des criminels dangereux, le procureur général donne son consentement à quelque chose qui doit être fait par ses représentants. En d'autres mots, il consent à ce que le procureur de la Couronne aille de l'avant et fasse la demande.
Dans le projet de loi C-45, la Couronne ne fait rien. C'est l'accusé qui décide de présenter une demande. Ce n'est pas le procureur général qui donne un mandat à l'un des avocats qui travaillent pour lui; c'est tout le contraire. C'est l'accusé. Nous demandons au procureur général de rendre une décision au sujet de la validité d'une demande présentée par quelqu'un d'autre. C'est la raison pour laquelle j'ai dit que cela s'inscrit dans le cadre des décisions que doit rendre un juge et non pas l'exécutif. C'est le criminel dangereux qui demande à son avocat de présenter une demande devant un tribunal. Il s'agit de deux situations complètement différentes.
Le sénateur Jessiman: Elles le sont effectivement. C'est une décision qu'il doit prendre. Je pense que cela a un certain mérite.
Le sénateur Beaudoin: Ma question porte sur la rétroactivité, mais nous allons revenir au problème difficile que vous avez soulevé avec le sénateur Nolin.
Nous avons entendu des témoignages au sujet de la question de la rétroactivité. À mon avis, ce n'est pas clair. J'aimerais que vous me disiez ce qui est rétroactif et ce qui ne l'est pas dans une question de droit pénal comme celle-ci. Habituellement, si nous modifions la loi après le prononcé d'une sentence ou après le jugement du tribunal, nous observons un certain principe à propos de la peine. Toutefois, si nous abolissons la peine de mort ou réduisons la durée de la peine, que se passe-t-il dans le cas de ceux qui sont en train de purger leur peine? Dans le cas de la peine capitale, il n'y a pas de problème, puisque tout est terminé. En fait, il arrive que tout ne soit pas terminé à cause des appels, et cetera.
J'aimerais être sûr de ce qui se passera si nous appliquons ces principes au projet de loi C-45. Je pense que si c'est à l'avantage de l'accusé, la rétroactivité peut alors s'appliquer. Si ce n'est pas à l'avantage de l'accusé ou de la personne qui a été déclarée coupable, la rétroactivité ne s'appliquera alors pas. Toutefois, comme dans de nombreux domaines du droit, ce n'est pas si simple. Pouvez-vous nous dire ce qui est rétroactif et ce qui ne l'est pas dans ce projet de loi?
M. Roy: Je vais essayer de répondre. Je suis sûr que M. Bebbington voudra développer ma réponse. J'espère toutefois qu'il ne me contredira pas.
Comme vous le savez, ce projet de loi renferme trois caractéristiques fondamentales. On sait que cette disposition s'appliquera uniquement pour l'avenir dans le cas d'une personne commettant plus d'un meurtre. Il n'y a pas lieu de penser -- et si nous le faisions, il y aurait de fortes chances que ce serait inconstitutionnel -- que cette disposition s'applique rétrospectivement ou rétroactivement. Elle ne s'appliquera que pour l'avenir.
Le sénateur Beaudoin: Pour l'avenir et si une personne a commis plus d'un meurtre.
M. Roy: Une personne qui a commis plus d'un meurtre ne pourra pas se prévaloir du mécanisme prévu au paragraphe 745.6, mais cela ne vaut que pour l'avenir. Ceux qui ont commis plus d'un meurtre avant l'entrée en vigueur de cette loi ne seront pas touchés par cette loi.
Le sénateur Beaudoin: C'est clair.
Etes-vous d'accord, monsieur Bebbington?
M. Howard Bebbington, conseiller juridique, Section de la politique du droit pénal, Secteur de la politique pénale et sociale, ministère de la Justice: Oui.
M. Roy: Tout va bien pour l'instant.
Il y a deux autres caractéristiques. Il y a le mécanisme d'examen. Nous avons déjà parlé du critère et de l'opportunité d'un mécanisme de ce genre. Il y a aussi la décision unanime que doit rendre le jury en pareils cas.
Telles sont les trois principales caractéristiques de ce projet de loi. La première, relative à la rétroactivité, est réglée. Nous pensons que l'on peut parfaitement bien défendre la rétroactivité du mécanisme d'examen et de l'unanimité du jury. À mon avis, cela veut dire qu'au moment où ce projet de loi prend force de loi -- si tant est que cela arrive --, le jury devra prendre des décisions à l'unanimité plutôt qu'aux deux tiers. Par ailleurs, les juges devront procéder à l'examen des cas qui se présenteront après la mise en vigueur de cette loi.
Pour illustrer ce que je veux dire, je vais prendre le cas de M. Clifford Olson. Si ce projet de loi avait eu force de loi en juin, au moment où il a été déposé, M. Olson aurait dû passer par le mécanisme d'examen prévu à l'alinéa 745.6(1), lorsqu'il a présenté sa demande d'examen en août 1996. Toutefois, comme ce projet de loi n'a pas force de loi, ce ne sera pas possible, parce qu'il est déjà dans le système. Il a déjà présenté sa demande. Ceux qui présentent leur demande après la mise en vigueur de ce projet de loi seront assujettis à cette disposition.
Le sénateur Beaudoin: C'est rétroactif, dans ce cas-là.
M. Roy: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Dans deux cas, c'est rétroactif, pour ce qui est du mécanisme d'examen et de l'unanimité.
Je suis d'accord avec les trois caractéristiques fondamentales du projet de loi... plus d'un meurtre commis, le mécanisme d'examen et l'unanimité du jury. La première vaut pour l'avenir seulement. Les deux autres s'appliquent rétroactivement. En d'autres termes, lorsque la loi entre en vigueur, les personnes condamnées qui ne se sont pas prévalues du mécanisme d'examen sont assujetties à la nouvelle loi.
M. Roy: Exactement.
Le sénateur Milne: Cela viserait Bernardo.
M. Roy: Cela s'appliquerait dans le cas de Paul Bernardo, si jamais il présente une demande. Il faudrait qu'il passe par le mécanisme d'examen et que le jury prenne une décision à l'unanimité avant qu'il ne puisse présenter une demande de libération conditionnelle.
Le sénateur Jessiman: J'imagine que les tribunaux confirmeront le processus d'examen. Je doute qu'ils le fassent dans le cas de l'unanimité, car cela touche les droits des particuliers.
Le sénateur Beaudoin: Ma question porte sur les trois caractéristiques. Ceci étant dit, vous n'entrevoyez pas de problème de justice fondamentale au titre de l'article 7 de la Charte.
M. Roy: Monsieur le sénateur, vous savez mieux que moi que l'on peut toujours invoquer la Charte. Il y a un risque. Vous savez qu'en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi sur le ministère de la Justice, le ministre doit être convaincu de la constitutionnalité de la disposition. Dans ce cas précis, le ministre est convaincu de la constitutionnalité de cette mesure, car on peut très bien soutenir qu'elle est raisonnable.
Le sénateur Beaudoin: Et qu'il s'agit en plus d'une mesure acceptable dans une société libre et démocratique. Selon lui, cette mesure respecte ces principes.
M. Roy: Il est d'avis qu'elle respecte les dispositions de la Charte. Il y a toujours un risque. Je conviens avec le sénateur Jessiman qu'il y a un risque, mais ce risque n'est pas insoluble. Nous pensons que s'il fallait défendre ce point de vue devant les tribunaux, on y a arriverait compte tenu du droit, tel qu'il existe aujourd'hui.
[Français]
Le sénateur Nolin: Le sénateur Jessiman s'est référé au témoignage du procureur général de l'Ontario. À l'occasion de ce témoignage, nous avons été informés que cette proposition avait été faite à la table fédérale/provinciale des procureurs généraux et qu'elle avait reçu l'assentiment d'un nombre important de ministres provinciaux. Le ministre de la Justice n'a pas cru opportun de supporter la proposition, dont le sénateur Jessiman faisait référence, visant à introduire un mécanisme exécutif dans le processus judiciaire. Avant que le ministre de la Justice ne repousse cette proposition, avez-vous procédé à des examens de la validité d'une telle proposition, en vertu de la Charte? Des études ont-elles été faites au ministère ou cela a été simplement refusé par le ministre? Cette proposition m'a amené à faire la même réflexion que vous, à l'effet que c'est judiciaire et qu'il ne faut pas y introduire un mécanisme exécutif. Cependant, depuis le début des auditions, tous les témoins -- mis à part ceux qui, de par leur profession, sont impliqués dans le processus depuis 1945 --, sont tous soit mal informés ou ont une perception qui entache la crédibilité du processus de libération conditionnelle. Ils se disent qu'il y a soit un déni de justice, le code criminel renfermant deux dispositions contradictoires, ou quelqu'un triche le système et la justice n'est pas rendue honnêtement.
Il m'est apparu que la proposition du procureur général de l'Ontario qui, dans le fond, est identique à celle du procureur général du Manitoba, comme nous l'a révélé le témoignage de M. Harnick, m'apparaissait apaisante, à tout le moins pour la population qui est dans le noir total quant à l'existence de l'article 745.
Venant d'un ministre, investi d'une responsabilité ministérielle à laquelle il doit s'acquitter face aux élus, cela m'apparaissait une mesure intéressante. Il n'y a pas de doute que si les tests de la Charte ont été examinés et rendent une telle disposition inopérante, il n'est pas question que l'on l'examine.
Ce sont les procureurs généraux des provinces qui ont appliqué les lois édictées dans cette enceinte. Lorsqu'une telle proposition reçoit l'appui d'un nombre important de procureurs généraux provinciaux, je pense qu'elle mérite d'être examinée de façon approfondie.
M. Roy: Je vais essayer de répondre. Je pense qu'il y avait plus qu'une question. Mais je vais essayer d'y répondre du mieux que je peux. Vous nous dites, référant au témoignage du procureur général de l'Ontario, qu'une demande a été présentée au cours d'une conférence fédérale provinciale; je ne veux en aucune manière laisser l'impression que le procureur général de l'Ontario est dans l'erreur. Je ne sais pas si tel a été le cas, mais s'il en a été ainsi, partons de cette base.
Je ne peux cependant pas confirmer si cela a été le cas ou pas, je n'ai pas cette connaissance. Sous cette base, je peux vous dire que lorsqu'un mécanisme comme celui-là a été examiné et discuté avec le ministre, parce qu'avant d'inscrire des choses comme celles-là dans un projet de loi, il y a cette discussion avec le ministre, il y a eu une allusion rapide faite à la possibilité que ce soit un membre de l'exécutif qui fasse office de «screening mechanism».
Le sénateur Nolin: Tamiseur.
M. Roy: Tamiseur, c'est encore mieux.
Le sénateur Nolin: Lorsque un mot en français rend mieux le sens, on l'utilise.
Le sénateur Beaudoin: Parfait.
M. Roy: Il se posait rapidement dans notre analyse plusieurs problèmes. Le premier était de dire: est-ce que ce pourrait être le procureur général de la province qui le ferait. Par définition, nous allons tous en convenir rapidement, on a un gros problème de conflit d'intérêt, non seulement justice ne sera pas rendue, mais certainement il n'apparaîtra pas que justice sera rendue parce que le procureur général de la province a poursuivi cet individu 15 ans avant. On lui demande maintenant de décider si cette personne devrait faire une demande. Je pense qu'une personne raisonnablement informée dirait: est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a une apparence de partialité possible dans cela.
Appliquant le test de la Cour suprême, décidé en 1978 dans l'affaire de l'Office national de l'énergie quant à la partialité possible de quelqu'un, une personne raisonnablement informée regarderait cette situation et dirait: il me semble qu'il y a une difficulté, un conflit apparent. Vous ne pouvez pas avoir poursuivi une personne, et 15 ans plus tard, devoir décider si vous allez lui permettre de faire une demande à un juge.
Cela nous amène à l'étape suivante: peut-être que ce pourrait être le procureur général du Canada ce qui, je pense, est la proposition émise. Sauf que celui-ci, d'un point de vue bien terre-à-terre, a le même problème pour les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon. C'est lui qui poursuit dans ces deux territoires. Alors je n'ai rien réglé en disant que ce sera le procureur général du Canada qui va devoir disposer de cette question, uniquement du point de vue mécanique, parce dans les Territoires et au Yukon, où il y en a des meurtres, il ne pourrait pas se saisir du dossier, pour les mêmes raisons que l'on a données tantôt pour les procureurs généraux des provinces.
Le sénateur Nolin: Je veux juste approfondir un peu plus le sujet et vous allez pouvoir y répondre. On doit se poser la question: quelle est l'intention des législateurs de 1976 lorsqu'ils ont introduit 745? L'idée est, d'après moi, de réduire. On ne questionne plus la question du meurtre, l'accusation; cela a été réglé par le jugement. On en est sur la possibilité de réduire la sanction, la sentence. Quelle juridiction a cette responsabilité? La fédérale, de toute évidence. Et qui, à l'intérieur de cette juridiction, peut politiquement ou dans son rôle exécutif porter ou transporter cette responsabilité? C'était cela l'idée de la proposition.
Je comprends votre question de conflit d'intérêt. Si ce n'est pas le ministre de la Justice, cela peut être à ce moment-là le solliciteur général.
M. Roy: C'est que vous m'amenez sur un autre terrain. J'aimerais compléter ma deuxième partie de la réponse et je peux revenir au solliciteur général.
Parlons immédiatement de la question du solliciteur général. Dans notre droit constitutionnel, le rôle du procureur général, a l'avantage d'exercer un rôle plus élevé que celui des autres ministres. Le procureur général, dans la tradition du droit britannique, a un rôle quasi-judiciaire, il doit être indépendant de ses collègues au niveau des décisions de poursuite.
Il doit s'élever au-dessus du débat et prendre une décision, indépendamment de ses collègues autour de la table au Cabinet qui voudraient qu'il fasse, telle chose ou telle chose.
Il y a des impératifs de justice qui viennent avec cette fonction. La fonction de procureur général a au moins l'avantage d'élever le débat un petit peu.
Qu'il soit solliciteur général ou le ministre des Affaires étrangères ou qui que ce soit, vous n'auriez pas la même élévation dans le débat. Cela je le dis avec tous égards pour les ministres qui peuvent agir. Il ne s'agit pas de les diminuer. Il s'agit de dire que dans la fonction de procureur général, il y a cette notion.
Dans la grande majorité des cas, pour ne pas dire tous, les procureurs généraux prennent cela à coeur. Ils disent: je dois à un moment donné faire fi de ces considérations, d'ordre politique ou autres.
On espérait que si le problème, auquel je référais dans la première partie de ma réponse, pouvait être contourné, on espérerait que le procureur général du Canada qui agirait en vertu de 745. 61 pourrait aussi s'élever et qu'il n'y aurait plus ce conflit d'intérêt dont j'ai parlé plus tôt. Le problème que cela pose, c'est qu'il y a aussi toute la notion de perception de conflit d'intérêt. La population en général se trouverait à être prise entre deux feux. Il ou elle a poursuivi et 15 ans plus tard, une décision doit être prise. Est-ce approprié? On pensait lorsque l'on a étudié cette question que ce n'était pas approprié et le ministre était d'accord.
Cela m'amène à la deuxième partie de ma réponse. Il y a aussi toute la question de savoir ce qui est approprié pour l'exécutif et ce qui ne l'est pas. Et cela me permet de revenir brièvement sur ma réponse que je donnais au sénateur Jessiman.
Il existe au code, à de nombreux endroits, des obligations qui sont faites, avant de prendre une procédure judiciaire, que l'on ait obtenu le consentement du procureur général. L'exemple du criminel dangereux est le meilleur. Mais dans ces cas, c'est le procureur général qui donne instruction directement. On veut élever cela au point de dire que c'est le procureur général qui donne instruction à ses avocats de prendre des poursuites contre quelqu'un. C'est l'État qui donne instruction à l'État. C'est l'inverse à 745.61. C'est exactement l'inverse. Un justiciable dit à l'État: je veux porter mon affaire devant les tribunaux et l'État qui a un intérêt dans cette affaire, puisque l'État va intervenir lorsque l'affaire se retrouvera devant les tribunaux, l'État aurait le pouvoir de dire non à cet individu.
Cela apparaissait au ministre comme étant, à sa face même, intrinsèquement inéquitable. Si ce n'était de dire à la Couronne: je vous donne instruction de faire telle chose ou telle chose, cela va être bien parce que c'est l'État qui donne instruction à l'État. Mais dans le cas dont on parle, c'est un justiciable qui, en vertu de la loi, a un argument à faire valoir. On dégage dans le texte de loi un test applicable, en français, on dit qu'il existe une possibilité réelle que la demande soit accueillie. Il faut que quelqu'un se prononce sur ce test.
Ce n'est pas nécessairement complètement objectif. Il y a un équilibrage à faire. Est-ce que cette personne a une bonne chance de réussir? On dirait dans ce cas: vous, justiciable, qui voulez aller devant un juge, on va vous mettre une barre et c'est l'exécutif qui va décider. Le ministre de la Justice dit que ce n'est pas de l'essence du rôle d'un représentant de l'exécutif, mais de l'essence du rôle d'un juge que de décider sur la base du test légal, que le Parlement a créé, c'est à un juge de dire que vous avez satisfait à ce test et vous pouvez passer à l'étape suivante.
Pour reprendre mon analogie lorsque je répondais à madame la présidente, ce test ressemble beaucoup à la question de «air of reality» dans un procès criminel. Avant de pourvoir présenter une défense au jury pour qu'il ait à se prononcer là-dessus, le juge doit décider si la défense a cet «air of reality». Est-ce qu'il y a quelque chose qui appuie cela?
Ce serait comme de dire: bien, dans un procès, savez-vous quoi? On va demander au procureur de la Couronne s'il y a un «air of reality». Si le procureur de la Couronne est d'accord, le juge donnera des instructions et on laissera l'affaire aller de l'avant.
Nous pensons que c'est de la nature même du rôle d'un juge que de déterminer les intérêts et les droits des partis, ce n'est pas celui de l'exécutif. C'est la raison pour laquelle essentiellement la décision a été prise de demander à un juge de prendre cette responsabilité et de décider si l'on satisfait à un niveau minimum, eu égard à toutes les circonstances qui vont être présentées devant ce juge, présentées cependant -- j'insiste pour le dire --, sur papier. Dans ce dossier, il n'est pas question, dans ce cas, d'avoir d'audiences publiques. C'était la raison
Le sénateur Nolin: C'est parce que l'on vit dans un monde de perception dans l'histoire de l'article 745. À part ceux qui y sont confrontés professionnellement et ceux qui y travaillent au ministère de la Justice, le reste de la population, les avocats sont venus nous le dire: je n'étais même pas au courant que cela existait. Imaginez la population! C'est là qu'est mon problème. Il est sûr que je veux que les règles de justice naturelle soient respectées. J'ai l'impression que l'intérêt public est mal servi dans l'application de l'article 745. Je comprends le pourquoi. Nous avons entendu le témoignage de l'Association du Barreau canadien, très bien documenté, très bien soutenu, qui nous suggérait de ne pas toucher à l'article 745. Il n'en reste pas moins que la population que l'on sert ne croit pas dans le processus. Cela me préoccupe.
Comment pouvons-nous protéger les droits? Prenons premièrement le 25 ans? Nous avons compris que le 25 ans seul, la Cour Suprême aurait peut-être décidé que c'était cruel. Nous avions besoin d'une mesure atténuante pour l'article 745, quoique nous n'ayons pas un jugement unanime.
M. Roy: C'est dans cette direction que nous nous dirigeons.
Le sénateur Nolin: Je ne suis pas allé la lire, mais nous avons une jurisprudence qui nous dirait que l'article 745 a atténué la cruauté du 25 ans et cela satisfait la Cour Suprême. Nous nous entendons pour dire que peu de Canadiens comprennent et sont amenés à réfléchir sur la cruauté d'une peine de 25 ans et l'atténuation qu'un autre article du Code criminel peut lui apporter. Déjà là, on se distance de la perception populaire, mais on a toujours affaire à la perception populaire.
Aujourd'hui, nous sommes invités à durcir le processus, toujours dans l'intérêt public. Le public nous dit: on n'y croit pas à votre procédure. Je suis préoccupé par cela. J'entends des professionnels me dire: ne touchez pas à cela. Le système fonctionne bien. Regardez les chiffres, la population nous dit: on n'y croit pas au processus. Vous avez la proposition du ministre provincial: parfait on va ajouter une personne investie de la responsabilité ministérielle qui va défendre cette décision au nom de l'intérêt public. J'ai trouvé la question intéressante:
Ne pouvons-nous pas tenter de chercher un peu plus à travers nos principes de droit et trouver une raison d'être à une proposition comme cela ? Il y a sûrement un paquet d'arguments pour en arriver à dire que cela ne tient pas debout.
M. Roy: La préoccupation qui est la vôtre, je puis vous dire qu'elle est aussi celle du ministre. D'ailleurs cette préoccupation a fait en sorte qu'il a décidé de déposer le projet de loi C-45. Est-ce une réponse au manque de confiance dans le processus? Je pense que la réponse est clairement non. Ce n'est pas une réponse complète.
Cela m'amène presque à me référer à des études, dont une en particulier que j'ai à l'esprit qui a été faite par deux criminologues Tony Doub, de l'Université de Toronto et Julian Roberts, de l'Université d'Ottawa. Ils ont invités des gens du public à s'asseoir dans une salle et à lire les journaux.
Ils leur on dit de regarder le rapport fait de ce qui s'est passé et de la sentence imposée dans ce cas. Les journaux parce qu'ils sont aussi restreints par l'espace, ont donné, tout au moins, une impression qui est restée chez ces gens qui ont lu les articles de journaux que la sentence n'était absolument pas adéquate.
Ils ont pris le même groupe d'individus et leur ont dit: maintenant que vous avez lu ce qui était publié dans les médias, nous allons vous faire lire les transcriptions de ce qui s'est vraiment passé, la preuve elle-même. La majorité de ces gens se sont déclarés non seulement satisfaits avec la sentence mais ils l'ont trouvée un peu sévère.
Le sénateur Nolin: Nous avons entendu ce témoignage.
M. Roy: Vous l'avez entendu et vous avez peut-être aussi déjà lu la dite étude parce qu'elle a été publiée.
Le sénateur Nolin: Vous comprenez notre désarroi lorsque nous entendons cela.
M. Roy: Absolument et il y a une suggestion faite par le sénateur Jessiman à l'effet qu'il y avait des gens qui ne savaient pas que cela existait. Il se demandait s'il n'y avait pas un moyen de faire quelque chose dans ce sens. Je lui ai répondu en lui suggérant bien humblement que, peut être, votre rapport pourrait suggérer qu'il y ait plus des publicité autour de cela.
Le ministère de la Justice pourrait s'engager à discuter de l'affaire avec les procureurs généraux des provinces de manière à ce que des instructions soient données aux procureurs de la Couronne qui plaident des affaires de meurtre pour dire aux familles des victimes qui ont déjà suffisamment de peine et de douleur de devoir passer à travers une telle expérience, en quoi consiste vraiment la sentence.
Il faut, à un moment donné, démystifier et le dire aux gens. Il ne faut pas les surprendre 15 ans plus tard, 17 ans plus tard ou 20 ans plus tard. Il faut dire les choses telles qu'elles sont, c'est le droit. Je disais aux sénateurs Jessiman que ce serait faire preuve d'un cynisme épouvantable que de répondre à ces préoccupations en disant que personne n'est supposé ignorer la loi. C'est épouvantable que de répondre comme cela.
Le sénateur Nolin: Même les avocats n'aiment pas se faire dire cela.
M. Roy: Cest une préoccupation du ministre. Le ministre en est venu à la conclusion et a maintenu cette conclusion que le mécanisme du projet de loi C-45 était ouvert à trop de cas qui ne le méritent pas, et pour restreindre ces cas, il a dit que lorsque vous tuez plus qu'un être humain, vous ne devriez pas pouvoir bénéficier de cela.
Je pense que les Canadiens réagissent positivement à cette suggestion. Ceux qui vont vouloir faire une demande, vont devoir la faire à un juge qui est indépendant de cette cause. Ce juge est entraîné à prendre ce genre de décision «day in and day out».
Maintenant que les décisions sont prises, que la loi risque d'être modifiée si vous, honorables sénateurs, êtes d'accord, il y a du travail à faire pour démystifier et dire aux gens en quoi cela consiste.
Nous ne devons pas seulement démystifier cette loi auprès du grand public mais aussi dans les affaires de meurtres qui seront plaidées en ce pays pour que l'on puisse dire aux familles des victimes quelle est la situation. Nous devons les aviser car c'est l'état du droit. Il n'y a rien de mal à dire aux gens en quoi consiste la loi.
[Traduction]
Le sénateur Milne: Madame la présidente, il se peut que je traite des mêmes questions que le sénateur Nolin.
M. Healy a été l'un des témoins qui ont comparu devant nous. Il a dit clairement que si le système fonctionne bien, il est inutile de le réparer. Rien ne prouve que le système actuel ne fonctionne pas bien. Par conséquent, nous ne devrions pas perdre notre temps à ce sujet.
M. Roberts que vous avez cité, a apporté une réponse intéressante à cette question. Il a dit que la politique actuelle est valable, mais que pour la rendre plus durable, nous devons la rendre plus acceptable aux yeux du public. D'après vous, est-ce que ce projet de loi dont nous sommes saisis représente un effort raisonnable à cet égard?
M. Roy: Il ne fait aucun doute que du point de vue du ministre de la Justice, ce projet de loi est plus acceptable, car il traitera des cas qui pourraient mériter un recours, dans la mesure où l'on admet que quiconque a commis plus d'un meurtre ne devrait pas se prévaloir de cette mesure. Il faut également admettre qu'il est justifié qu'un juge rende le système plus sévère en disant que seuls les cas qui ont des chances raisonnables d'aboutir doivent être présentés.
D'après le ministre, cela paraîtra plus acceptable aux yeux des Canadiens, même si certains ne pourront s'empêcher de dire: «Aucun meurtrier ne devrait être libéré de prison, encore moins après 15 ou 25 ans». Le ministre pense que cela apportera un nouvel équilibre au système, qu'il s'agit d'une mesure que les Canadiens jugeront pertinente.
Le sénateur Milne: Avez-vous dit que Bernardo sera visé par les deux dernières dispositions de ce projet de loi?
M. Roy: Oui.
Le sénateur Gigantès: Qu'en est-il de Homolka?
Le sénateur Milne: Elle n'est pas visée par ce projet de loi.
M. Roy: Karla Homolka a été déclarée coupable d'homicide involontaire et a été condamnée à une peine de 12 ans de prison. L'article 745 qui est proposé ne s'applique pas à son cas.
Le sénateur Milne: M. Harnick, l'un des témoins de la province de l'Ontario, a déclaré que d'après lui, «perpétuité» ne signifie pas vraiment «perpétuité»; vous avez déjà abordé ce point aujourd'hui. Par ailleurs, il pense qu'il est inopportun qu'un deuxième jury puisse renverser la décision du jury qui a condamné le détenu en premier lieu. Peut-être ai-je mal compris. Je ne crois pas qu'un jury condamne les criminels. Un jury les déclare coupables et c'est le juge qui détermine la peine.
Lorsqu'une personne est déclarée coupable par un jury, je veux être absolument sûre que cette déclaration de culpabilité ne peut pas être annulée en vertu de cet article.
M. Roy: Je vais demander à M. Bebbington de répondre à cette question. Il était présent lorsque le procureur général Harnick a témoigné; je ne l'étais pas.
M. Bebbington: Madame le sénateur, pour répondre brièvement à votre question, je dirais: «Non». Le jury est responsable de la déclaration de culpabilité, non de la détermination de la peine. C'est dans les cas de meurtre que cela ressort le plus. La peine prévue pour un meurtre est une peine obligatoire. Le juge n'a pas de pouvoir discrétionnaire à l'égard d'une telle décision. S'il s'agit d'une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré, le jury peut faire une recommandation au sujet de la libération conditionnelle et de l'admissibilité. Le juge a un léger pouvoir discrétionnaire à cet égard. Toutefois, la peine d'emprisonnement à perpétuité est obligatoire dans le cas de meurtre au premier et au deuxième degré.
En ce qui concerne le meurtre au premier degré, ni le jury ni le juge n'ont le pouvoir discrétionnaire de changer la peine. J'ai souvent entendu dire que le jury prévu en vertu de l'article 745 annule le travail du jury initial. Je suis complètement en désaccord, en partie parce que le jury n'a pas le pouvoir discrétionnaire ni la capacité de faire des commentaires au sujet de la peine prévue pour un meurtre au premier degré. La déclaration de culpabilité s'accompagne toujours des conséquences de la mise en jeu de l'article 745. La décision que doit prendre le jury en vertu du paragraphe 745.6 proposé est extrêmement différente d'une déclaration de culpabilité. En fait, d'après le droit jurisprudentiel, les tribunaux ordonnent au jury de ne pas reconsidérer la déclaration de culpabilité initiale.
La question que doit régler ce jury, 15 ans après les faits, est la suivante: est-ce que la personne en question a suffisamment changé selon les normes de la société pour que l'on puisse faire preuve d'indulgence à son endroit, c'est-à-dire pour que l'on permette à la Commission des libérations conditionnelles d'examiner l'opportunité d'une forme de libération anticipée progressive.
Le sénateur Doyle: Comme d'autres membres du comité, je m'inquiète au sujet de la famille et des amis des victimes qui ont comparu devant nous et devant d'autres instances publiques; on a beaucoup parlé de la déception qu'ils ressentent. En effet, ils ont cru que certains de ces criminels seraient enfermés pendant 25 ans; or, nous faisons des discours pour voir si, peut-être, on ne pourrait pas les libérer au bout de 15 ans, ou d'un autre nombre d'années, dans certains cas.
Ce matin, nous nous sommes demandé s'il ne faudrait pas, au moment du premier procès, dire à la famille et aux amis des victimes ce qui pourrait se passer, à savoir qu'il serait possible que la personne en question soit libérée avant les 25 ans promis. Cela semble raisonnable et utile. Il est nécessaire de démystifier ce qui se passe dans nos salles d'audience.
Qui aura le courage de dire à un homme condamné à 25 ans de prison: «Ce ne sera pas 25 ans, ce sera peut-être 15 ans, rien d'autre que cela.» Qui peut prévoir ce que les comités de l'an prochain accepteront?
La justice que nous rendons change selon l'humeur du pays, de l'appareil judiciaire et du régime politique lui-même. Qui peut promettre aujourd'hui qu'une peine exacte sera purgée? Si l'on recommandait que les peines exactes le soient toujours, on risquerait de se limiter dans ce que l'on pourrait faire à l'avenir; ou comme l'un de nos témoins se le demande, on pourrait de nouveau ouvrir la porte à la peine de mort. C'est peut-être ce que craignent certains d'entre nous. Toutefois, il ne faudrait pas se lancer dans un tel processus sans réflexion.
Lorsque nous démystifions les choses, jusqu'où pouvons-nous aller?
M. Roy: Le problème qui s'est posé, c'est que des gens nous ont dit: «Je ne savais pas que telle était la situation. Je ne savais pas que 15 ans après que cet homme a été déclaré coupable du meurtre de mon père, il pourrait se présenter devant un jury et demander quelque chose que je ne comprends pas. Il me semble qu'il se présente devant un juge et qu'il est ensuite libéré.» Nous parlons de deux choses différentes.
Premièrement, il s'agit de démystifier le processus en disant clairement aux Canadiens ce qu'il représente. Tout d'abord, le détenu se présente devant un jury et doit le convaincre qu'il a changé; à ce moment-là, le jury dit simplement: «Au lieu d'avoir à attendre 25 ans, vous pouvez vous présenter à la Commission des libérations conditionnelles.» Cette dernière peut accorder une libération conditionnelle ou non. Les Canadiens, les familles des victimes en particulier, doivent connaître le fonctionnement du processus.
Deuxièmement, au moment de l'imposition de la peine, on pourrait dire aux familles ce que prévoit la loi. Je ne propose pas d'aller plus loin. Toutefois, il y a des gens qui ignorent la loi et je pense qu'il n'y a rien de mal à dire aux Canadiens: c'est ce qui figure dans le recueil des lois. C'est la loi. Cette personne est condamnée à perpétuité. Perpétuité veut dire perpétuité. Cette personne a commis un meurtre au premier degré. Par conséquent, selon la loi, cette personne devra purger au moins 25 ans avant de pouvoir présenter une demande de libération conditionnelle. Toutefois, si cette personne a changé, elle peut, en vertu de la loi, d'abord demander à juge si sa demande a une chance d'être accueillie, et ensuite, comparaître devant un jury.
Il est tout à fait normal que les familles des victimes le sachent pour que 17, 18 ou même 20 ans plus tard, lorsque cela se produit, elles se souviennent que le procureur de la Couronne leur a dit il y a 20 ans que cela pouvait se produire. Pour la plupart des Canadiens, cela équivaut à une façon humaine de traiter les victimes et l'accusé.
Comme nous avons essayé de le dire à de nombreuses reprises, les gens changent. Certaines personnes sont capables de changer du tout au tout. Peut-être est-il opportun -- et c'est ce que dit le ministre de la Justice --, que ces gens aient la possibilité de comparaître devant leurs pairs et de dire qu'ils ont changé. «Voici ce que j'ai fait ces 15 ou 20 dernières années pour changer; donnez-moi une chance.»
Le sénateur Doyle: J'avais compris ce que vous aviez dit la première fois. Toutefois, qui peut garantir que d'ici 15 ans, la loi, telle que vous la décrivez, sera toujours applicable? On peut comparer la loi à un pendule en mouvement. Il y a des époques où la loi est plus douce, d'autres époques où elle devient plus dure. Personne ne peut garantir ce que sera la loi d'ici 15 ou 25 ans.
Le sénateur Pearson: Mais vous pouvez dire en quoi elle consiste maintenant.
Le sénateur Doyle: C'est vrai. Toutefois, dans certains cas, je crois que ceux qui s'étonnent aujourd'hui du fait que la loi a subi des modifications depuis que leur cause a été entendue par les tribunaux l'avaient compris.
Le sénateur Pearson: La loi n'a pas été modifiée. Ils ne savaient pas en quoi elle consistait.
Le sénateur Doyle: Je ne sais pas comment nous pouvons garantir aux familles des victimes de demain un processus moins douloureux.
Le sénateur Pearson: Rien n'est garanti.
Le sénateur Doyle: Voilà où nous en sommes. Nous gaspillons beaucoup de temps pour rien.
Le sénateur Gigantès: J'ai l'impression, sauf votre respect, que nous sommes en train de confondre le processus politique et la loi.
Le peuple a le droit d'élire des représentants qui vont peut-être lui dire ou non que certaines lois vont être modifiées. C'est ce qu'on entendait à l'origine quand on a inventé le régime démocratique, à savoir que c'est la volonté du peuple qui constituerait la loi suprême du pays. Bien entendu, la loi peut être rendue plus sévère parce que le peuple a élu un représentant qui s'est engagé à le faire. Toutefois, la loi peut également être assouplie.
La question de la perception ne devrait avoir aucun impact sur l'appareil judiciaire, mais uniquement sur le processus électoral. Vous disiez, sénateur Nolin, que tout est question de perception. Si le public estime que la loi, telle qu'elle est appliquée, est imparfaite, il votera en conséquence s'il considère que cette question constitue un enjeu majeur. Le public ne vote pas en fonction d'un thème en particulier, ou s'il le fait, c'est très rare. Toutefois, si cette question est considérée comme un enjeu majeur ou très important, cela se reflétera dans la façon dont il vote. Toutefois, cela ne devrait aucunement influencer la façon dont un juge exerce ses fonctions. Nous avons fait en sorte de séparer l'appareil judiciaire, lorsque nous l'avons inventé, du processus électoral. Il est dangereux de penser autrement.
Le sénateur Nolin a également dit:
[Français]
Il faut trouver peut-être une solution apaisante pour la population.
[Traduction]
La loi n'a pas pour objet d'apaiser la population. On peut, oui, expliquer à celle-ci en quoi consiste la loi. Les représentants élus peuvent, dans une certaine mesure, modifier la loi en tenant compte de la perception du public. Il ne fait aucun doute que cette perception a contribué au resserrement de l'article 745. Toutefois, ce sont les représentants élus qui doivent décider de ce qu'il convient de faire. Ils peuvent modifier la loi.
Nous devons garder les deux activités totalement séparées... le fonctionnement de l'appareil judiciaire et la formulation des lois. Le système judiciaire n'a pas pour mandat de trouver des solutions apaisantes pour la population. Cette tâche revient aux politiciens.
[Français]
Le sénateur Nolin: C'est exactement la suggestion que je faisais, sénateur Gigantès. C'est la loi que l'on examine ici.
Le sénateur Gigantès: Vous avez en place un gouvernement qui a une majorité, qui a été élu majoritairement comme les Conservateurs avaient été élus en 1984 et en 1988. Ce gouvernement a la responsabilité de la formulation de la loi.
Le sénateur Beaudoin: Pas le gouvernement, le Parlement.
Le sénateur Gigantès: Le Parlement, vous avez raison, le Parlement.
[Traduction]
La présidente: Je préférerais qu'on ne discute pas de cela devant les fonctionnaires du ministère. Il s'agit d'un problème essentiellement politique. Compte tenu de leur position, les témoins, à mon avis, ne voudraient pas se prononcer là-dessus.
Avez-vous une question précise à poser aux fonctionnaires, sénateur Gigantès?
Le sénateur Gigantès: Croyez-vous que l'appareil judiciaire devrait continuer de fonctionner comme il le fait, sans tenir compte, et je ne parle pas ici du procureur général, de la perception du public ou de la nécessité d'apaiser l'opinion générale?
M. Roy: Un des principes fondamentaux de notre société, c'est que l'appareil judiciaire doit être indépendant afin de pouvoir trancher les différends qui opposent l'État au particulier. Ce principe de longue date est consacré par la Charte des droits et libertés. Les juges doivent pouvoir prendre une décision sans subir de pressions de la part de l'une ou l'autre partie. Ils doivent juger les cas de façon objective.
Le ministre estimait, dans ce cas-ci, que la meilleure façon de régler ces différends, quels qu'ils soient -- lorsqu'une personne soutient juge qu'elle a le droit de faire quelque chose --, c'était de les soumettre à un juge et non pas à un membre de l'exécutif, au procureur général ou à un autre haut fonctionnaire du pays.
Le ministre estime que cette tâche doit être confiée aux juges, qui ne subissent aucune pression de la part des dirigeants politiques, sauf celle de rendre une décision en se fondant sur la loi.
Pour répondre à votre question de façon plus précise, oui, c'est le Parlement qui élabore les lois. Si un différend oppose l'État au particulier, c'est le juge, d'après le ministre, qui doit trancher la question et personne d'autre.
Le sénateur Lewis: Si j'ai bien compris le projet de loi, un détenu peut présenter une demande. Le juge va l'examiner et la soumettre à un jury, qui va prendre une décision. Toutefois, en vertu du projet de loi, un détenu pourrait, théoriquement, présenter une série de demandes. Autrement dit, le projet de loi dispose que le juge ou le jury peut fixer le délai à l'expiration duquel le détenu pourra présenter une nouvelle demande; toutefois, ce délai doit être d'au moins deux ans. Donc, en théorie, le détenu pourra présenter une série de demandes.
M. Roy: Oui.
Le sénateur Lewis: Nous avons entendu des familles de victimes nous décrire le traumatisme qu'elles ont vécu lorsqu'elles ont assisté à ces audiences. J'ai proposé qu'on modifie le projet de loi afin de limiter le nombre de demandes qui peuvent être présentées. Le détenu ne devrait pouvoir présenter qu'une seule demande. S'il décide d'en présenter une, il a tout intérêt à ce qu'elle soit acceptée, parce que si elle est rejetée, il n'aura pas la possibilité d'en présenter une autre.
Les familles des victimes ont semblé trouver cette idée intéressante, mais, après réflexion, je vois qu'elle peut poser certaines difficultés. Vous n'avez peut-être pas eu l'occasion de vous pencher longuement là-dessus, mais que pensez-vous de cette suggestion?
M. Roy: Si je n'y ai pas beaucoup réfléchi, mon collègue, M. Bebbington, lui, l'a fait.
M. Bebbington: La même chose peut se produire en vertu de la loi actuelle, et on ne tient pas compte ici du projet de loi. Cela s'est d'ailleurs déjà produit. Des jurys ont dit à des requérants: nous rejetons votre demande et vous ne pouvez pas en présenter une autre; nous ne voulons plus vous revoir ici.
En vertu du projet de loi, le juge peut interdire au requérant de présenter une nouvelle demande. Le jury peut aussi décider la même chose. Ils peuvent lui dire: nous ne voulons plus vous revoir.
Le projet de loi permet également à un détenu de présenter de nouvelles demandes une fois le délai de deux ans expiré. Il s'agit là d'un facteur important, parce qu'il y aura des cas où le détenu aura démontré qu'il a changé de comportement, qu'il est prêt à devenir un citoyen respectueux de la loi. Toutefois, si le jury estime qu'il n'y a pas encore lieu de réduire la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle d'un détenu, il pourra dire, en vertu du projet de loi, qu'il n'est pas prêt à accorder une réduction à ce moment-ci, mais que le détenu est sur la bonne voie et qu'il devrait revenir dans deux, trois ou cinq ans.
Notre projet de loi offre cette possibilité à un détenu, mais il permet également au juge et au jury de lui dire que sa demande n'a absolument aucune chance d'être accueillie et que, dorénavant, il ne devrait plus songer à déranger qui que ce soit avec une telle requête.
Le sénateur Lewis: Si c'était le cas, cela pourrait avoir un impact psychologique sur le juge ou le jury. Ils pourraient penser qu'ils doivent se montrer plus prudents avant de rejeter une demande. C'est un des problèmes que posait la peine de mort, à savoir qu'un jury serait confronté à une décision absolue, et qu'il aurait alors tendance à essayer de trouver une façon d'innocenter la personne, ou de la reconnaître coupable d'une infraction moins grave.
M. Bebbington: On a tendance à prendre d'autres facteurs en considération lorsqu'on est confronté à une décision aussi absolue. Dans ce cas-ci, nos propositions sont flexibles et permettent au jury de prendre la décision qui s'impose, en se fondant sur le dossier et sur les preuves qui sont présentées.
Le sénateur Lewis: Je suis heureux d'entendre votre point de vue.
La présidente: Nous avons terminé nos discussions avec les témoins. Je vous remercie. Vous pouvez nous laisser.
Honorables sénateurs, nous allons maintenant procéder à l'examen article par article du projet de loi C-45.
Avant de commencer, étant donné que je n'ai pas tendance à poser beaucoup de questions ou à faire beaucoup de commentaires, j'aimerais dire quelques mots, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
Je ne m'oppose pas vraiment à l'article 745.6 dans sa forme actuelle. Toutefois, je suis consciente du fait que le public a l'impression que cette disposition n'est pas assez sévère. Le ministre de la Justice semble également être arrivé à la même conclusion. J'appuie l'objet du projet de loi C-45, mais je dois admettre que j'ai tendance à me ranger du côté de ceux qui pensent qu'il n'y a aucune raison de changer le système s'il fonctionne bien. Je veux que cela figure au compte rendu.
Est-ce que d'autres sénateurs souhaitent faire un commentaire?
Le sénateur Gigantès: J'aimerais émettre une opinion personnelle en me fondant sur mes recherches en tant qu'historien: la démocratie ne repose sur la recherche d'un compromis qui est acceptable à la plupart des gens, mais sur la recherche d'un compromis qui inspire de la répugnance au plus petit nombre possible de personnes. C'est pour cette raison que les absolutistes ont souvent tendance à dire que le régime démocratique ne repose sur aucun principe.
Ce projet de loi constitue l'exemple parfait d'un compromis qui inspirera de la répugnance au plus petit nombre possible de personnes. Évidemment, il inspirera de la répugnance aux victimes, à la Société John Howard. De manière générale, les dirigeants politiques ne font que remanier la loi dans l'espoir de changer la perception du public, tout en continuant à démystifier le processus.
Au début, je pensais comme vous, madame la présidente. Si le système fonctionne bien, pourquoi le changer? Mais j'ai l'impression que ces modifications visent en fait à répondre à la volonté du peuple, telle qu'exprimée par leurs représentants élus. Par conséquent, j'ai l'intention d'appuyer le projet de loi.
Le sénateur Pearson: Je partage votre avis, madame la présidente. J'ai, moi aussi, la même impression. J'ai été étonnée d'entendre certains témoins dire que la loi n'avait pas vraiment besoin d'être modifiée. J'ai beaucoup appris au cours de ces discussions. Je ressens beaucoup de compassion, comme tous les autres d'ailleurs, pour les familles des victimes, mais surtout pour les familles de toutes les personnes concernées.
On nous a démontré que ce projet de loi constitue un compromis qui pose certains problèmes, mais qui constitue la meilleure solution possible dans les circonstances.
Le sénateur Milne: Si le comité est d'accord, je propose que nous fassions rapport du projet de loi sans amendement. J'ai l'intention de formuler une autre recommandation au sujet de l'impact de cette mesure sur les victimes.
La présidente: Le sénateur Milne propose que nous fassions rapport du projet de loi sans amendement. Avez-vous des commentaires à faire? Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion? Y en a-t-il qui sont contre? Y a-t-il des abstentions?
Le sénateur Nolin: Je m'abstiens.
Le sénateur Doyle: Moi aussi.
La présidente: La motion est adoptée. Nous ferons rapport du projet de loi sans amendement.
Le sénateur Milne: Je propose que le comité recommande que l'appareil judiciaire explique bien le régime de détermination de la peine aux Canadiens. Ces derniers connaissent et comprennent très mal l'article 745.6 et les modifications qui y sont proposées. Il faut sensibiliser davantage les Canadiens à cette disposition. Nous devrions encourager le ministre de la Justice à utiliser les ressources du ministère pour informer le public au sujet de cette disposition, et aussi à tenir des discussions avec les procureurs généraux des provinces, pour qu'ils puissent, ensemble, trouver des moyens de bien faire comprendre aux familles des victimes le sens de l'article 745.6.
Le sénateur Gigantès: Le sénateur Milne sait que je lui témoigne beaucoup de respect et je suis entièrement d'accord avec elle. Toutefois, il faut travailler le texte.
Le sénateur Milne: Je suis d'accord.
La présidente: Ce document a été préparé rapidement. Est-ce que le comité est d'accord?
Des voix: Oui.
La présidente: Allons-nous laisser au comité de direction le soin d'approuver la version finale du texte?
Des voix: Oui.
La séance est levée.