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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 46 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 5 février 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 15 h 17, pour reprendre les travaux prévus à son ordre de renvoi en conformité avec le paragraphe 18(3) de la Loi concernant les armes à feu en vue d'étudier les règlements projetés aux termes de l'article 118 de cette même loi.

La sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je vous souhaite un bon après-midi. Nous poursuivons notre étude des règlements projetés en vertu de l'article 118 de la Loi concernant les armes à feu. Cet après-midi, nous accueillons avec plaisir MM. Philip Awashish et Rick Cuciurean, représentants du Grand Conseil des Cris (du Québec), de l'Administration régionale crie et de l'Association des trappeurs cris. Ils sont accompagnés de Mme Deborah Friedman, conseillère juridique.

Je vous souhaite la bienvenue, à tous les trois. Il nous tarde d'entendre votre exposé, après quoi, bien sûr, nous aurons des questions à vous poser. Vous avez la parole.

M. Philip Awashish, ancien vice-grand chef, Grand Conseil des Cris: Au nom de la nation crie, c'est-à-dire de Eeyou Astchee, nous vous remercions de nous avoir invités à exprimer notre opinion et à faire des recommandations concernant les règlements d'application de la Loi concernant les armes à feu.

En 1995, le Grand Conseil des Cris, l'Administration régionale crie et l'Association des trappeurs cris ont présenté un mémoire commun au comité permanent de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes et au comité sénatorial chargé d'étudier la Loi concernant les armes à feu. Dans ce mémoire, nous recommandions vivement d'apporter au projet de loi plusieurs changements fondamentaux que nous jugions impératifs pour que le texte législatif respecte les droits ancestraux et les droits issus de traités garantis dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Suite à notre témoignage devant ces comités parlementaires, le gouvernement du Canada a décidé d'accepter certains des amendements proposés. Par ailleurs, le gouvernement a précisé qu'il pourrait peut-être donner suite aux nombreux autres changements demandés dans des règlements pris par le gouverneur en conseil.

Toutefois, un examen des règlements projetés révèle qu'aucun correctif n'a été apporté aux dispositions de la loi qui, comme nous l'avions souligné au départ, vont à l'encontre de nos droits ancestraux et de nos droits issus de traités qui sont protégés par la Constitution. De fait, la réglementation actuelle et, plus particulièrement, le Règlement d'adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones du Canada et le Règlement sur les droits applicables aux armes à feu, pour ne citer que ceux-là, sont toujours en très grande contradiction avec les droits ancestraux et les droits issus de traités des Cris et, à ce titre, ils sont anticonstitutionnels.

C'est pourquoi nous comparaissons devant vous aujourd'hui, pour faire à nouveau valoir fermement notre opinion concernant les restrictions limitant l'usage que nous pouvons faire des armes à feu, la protection de notre style vie traditionnel et, ce qui est de la plus haute importance, la protection de nos droits issus de traités et garantis en vertu de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Madame la présidente, nous demandons respectueusement au comité sénatorial d'apporter les cinq amendements suivants à la réglementation. Ces aménagements sont essentiels si l'on veut que la réglementation proposée respecte la Constitution et soit concrètement applicable par les communautés cries. En premier lieu, il faudra modifier la réglementation afin de préciser que tout particulier qui est autorisé à chasser, à piéger ou à pêcher en vertu d'un droit ancestral ou issu de traités a d'office le droit de détenir un permis d'acquisition ou de possession d'arme à feu et d'obtenir un certificat d'enregistrement pour une somme nominale.

Le droit de chasser, de piéger ou de pêcher fait partie des droits inhérents des peuples autochtones et a toujours été reconnu comme tel dans les traités.

D'après le libellé actuel du Règlement sur les droits applicables aux armes à feu, seuls les particuliers qui ont besoin d'une arme à feu pour chasser afin de subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille sont dispensés du paiement des droits exigés pour la délivrance d'un permis et d'un certificat d'enregistrement.

Le droit de chasser, de piéger ou de pêcher conformément aux dispositions du chapitre 24 de la convention n'appartient pas uniquement aux Cris qui chassent ou qui trappent pour subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille. C'est un droit dont jouissent tous les bénéficiaires de la convention, qu'ils travaillent à salaire ou qu'ils participent directement à de nombreuses activités traditionnelles qui, dans nos communautés, sont liées à la chasse. Par conséquent, dispenser des droits payables pour les permis et les certificats d'enregistrement uniquement les particuliers qui chassent pour subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille -- au sens étroit du Règlement --, c'est sérieusement réduire la portée du droit de chasser, de pêcher et de piéger dont jouissent les Cris.

Comme nous l'avons déjà indiqué, les Cris ont le droit de posséder une arme à feu pour chasser à des fins soit personnelles soit communautaires parce qu'ils sont bénéficiaires de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, non pas parce qu'ils ont besoin d'une arme à feu pour chasser ou piéger afin de subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille. Par conséquent, même si le Règlement sur les droits applicables aux armes dispense du paiement de ces droits les particuliers qui chassent pour subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille, cette adaptation n'est pas suffisante pour qu'on puisse dire qu'elle respecte la fin, l'objet et la nature des droits ancestraux et des droits issus de traités de notre peuple.

De plus, les Autochtones qui ne seraient pas dispensés du paiement des droits feraient face à de sérieuses difficultés financières à cause du barème envisagé. Une fois le règlement en vigueur, un droit d'enregistrement variant de 10 $ à 18 $ s'appliquerait à tout achat, cession, don ou héritage d'une arme à feu. En outre, à partir du 1er janvier 1998, dès qu'un Autochtone aura en sa possession légitime une arme à feu requise et utilisée pour chasser et pour piéger, il devra payer, pour obtenir les permis requis, entre 10 $ et 60 $. Ce barème impose un coût excessif aux chasseurs et aux trappeurs autochtones.

Par ailleurs, l'argent ainsi perçu n'est pas utilisé pour améliorer les conditions dans lesquelles les Cris exercent leur droit d'exploitation des ressources et, en ce sens, ne cadre pas avec le contexte des droits issus de traités des Cris décrit récemment par la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Côté. La Cour suprême a en effet statué que faire payer aux Autochtones un modeste droit d'entrée pour pénétrer avec un véhicule automobile dans une zone de chasse où s'appliquent les droits issus de traités se justifiait. Toutefois, la cour a fondé son jugement sur le fait que le droit en question ne représentait pas un fardeau financier, étant donné que l'argent ainsi recueilli devait être utilisé exclusivement pour entretenir les routes qui se trouvent dans la zone de chasse et que ce droit se distingue donc d'une taxe ou d'un droit dont le gouvernement tire un revenu.

Par conséquent, selon nous, le jugement rendu dans l'affaire Côté démontre que le paiement de droits pour enregistrer une arme à feu sans restriction et pour obtenir un permis constitue, selon toute apparence, une violation flagrante des droits issus de traités dont jouissent nos citoyens, étant donné qu'il s'agit de redevances administratives plutôt que de contributions destinées à être utilisées au profit du peuple cri.

Dans ce contexte, nous rappelons au comité que la Convention de la Baie James et du Nord québécois dispose avec précision que, lorsqu'on impose des restrictions au droit d'exploitation en exigeant des permis, des licences ou d'autres autorisations, ces documents doivent être délivrés pour une somme nominale. Le Grand conseil des Cris du Québec, l'Administration régionale crie et l'Association des trappeurs cris ont toujours considéré que l'expression «somme nominale» signifiait moins de 1 $. Par conséquent, exiger, pour la délivrance des permis et des certificats d'enregistrement, une somme supérieure à 1 $ est une violation directe du droit issu de traité que nous venons de citer et est donc totalement inacceptable.

Pour éviter cette violation, nous demandons que de nouvelles dispositions soient intégrées au Règlement sur les droits applicables aux armes à feu afin de faire en sorte que les dispenses prévues aux articles 7 et 12 s'appliquent aux «Autochtones» visés par le Règlement d'adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones du Canada.

En deuxième lieu, en ce qui concerne le cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu que tout particulier doit suivre et réussir, nous recommandons que la réglementation soit adaptée spécifiquement aux peuples autochtones en précisant que, dans les circonstances où il est obligatoire, pareil cours doit être donné pour une somme nominale.

Le Règlement d'adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones du Canada prévoit une «certification substitutive» qui dispense le particulier de suivre le cours si, de l'avis du contrôleur des armes à feu, cette personne satisfait aux critères décrits dans le règlement. Or, les critères sont vagues et ne seront probablement pas appliqués uniformément. Par exemple, quelle est la signification de l'expression «à un coût raisonnable dans les circonstances» ou «sans frais excessifs ni grandes difficultés»?

Disons-le simplement. Si le particulier qui détient des droits d'exploitation en vertu des traités applicables doit débourser plus de 1 $ pour assister au cours, cette exigence est tout simplement «déraisonnable» et viole indirectement ses droits issus de traités.

L'alinéa 24.3.18 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois stipule clairement que, «lorsque, par exception, des baux, permis, licences ou autres autorisations sont demandés, les Autochtones ont le droit de les recevoir pour une somme nominale».

En troisième lieu, nous demandons que le gouvernement du Canada adapte plus librement les dispositions de la réglementation portant sur les permis d'armes à feu sans restriction. Plus particulièrement, nous recommandons que le gouvernement accepte de financer les coûts que doivent assumer les Autochtones pour se conformer aux exigences législatives concernant les permis.

Nous attirons votre attention sur l'alinéa 24.3.30 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois qui dispose clairement que le gouvernement fédéral doit veiller à ce que ses règlements -- et je cite:

[...] aient le moins de répercussions possibles pour les Autochtones et pour l'exploitation tenant compte des répercussions sur des considérations comme [...] les revenus en argent des Autochtones.

Toutefois, tels qu'ils sont actuellement libellés, les règlements sont loin d'entraîner les moindres répercussions possibles sur les droits d'exploitation issus de traités dont jouissent les Autochtones, bien au contraire. Par exemple, d'après la réglementation projetée, tout particulier qui souhaite obtenir un permis de possession ou d'acquisition doit fournir une photographie avec sa demande. Dans la plupart des collectivités du Nord québécois, il serait difficile de respecter cette exigence. En effet, seulement neuf localités cries possèdent le matériel voulu pour produire une photographie. Il faudrait investir 80 000 $ pour équiper les autres collectivités.

Qui plus est, selon les dispositions actuelles, de nombreux Autochtones devront suivre le cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu avant de pouvoir obtenir un permis d'acquisition. On pourrait faire valoir que cette obligation ne restreint pas de façon raisonnable le droit des Autochtones de chasser, de piéger ou de pêcher. Nous ne sommes pas du tout de cet avis. Par exemple, les collectivités cries n'ont pas d'argent pour financer l'infrastructure requise, soit les salles de classe, les manuels et l'instructeur. Nous évaluons à 500 000 $ le coût de donner le cours dans les collectivités cries.

Étant donné les conditions de vie réelles des collectivités du Nord québécois, le gouvernement est-il prêt à fournir les ressources et le financement nécessaires pour faciliter la mise en oeuvre de ces règlements? Le gouvernement fédéral s'engagera-t-il à financer la construction d'installations où pourront être prises des photographies conformes aux normes fixées par le gouvernement québécois? Le gouvernement acceptera-t-il de financer les frais courus pour donner le cours de sécurité dans le maniement des armes à feu au sein des collectivités cries?

Nous posons ces questions parce que, si les ressources requises ne sont pas fournies en temps opportun, nos citoyens risquent d'être privés de leur droit de chasser, vu qu'ils ne pourront pas se conformer à toutes les exigences en matière d'enregistrement et de permis imposées dans la réglementation. Par conséquent, nous proposons un amendement qui pourrait prendre la forme d'une disposition stipulant que le gouvernement du Canada a la responsabilité de financer l'acquisition d'équipement de photographie ainsi que d'assumer les frais de mise en oeuvre et d'administration du cours de sécurité dans le maniement des armes à feu dans les collectivités autochtones.

En quatrième lieu, nous demandons que le gouvernement du Canada modifie la réglementation de façon à permettre aux administrations locales cries de dispenser le cours de sécurité sur le maniement des armes à feu et d'émettre les certificats d'enregistrement et les permis d'arme à feu. Dans la mesure où il sera essentiel d'avoir des connaissances de base sur leur maniement sécuritaire avant de pouvoir posséder et utiliser des armes à feu, les autorités locales cries sont les mieux placées pour transmettre ces connaissances et attester qu'elles ont été acquises.

Par conséquent, nous recommandons que l'on amende la réglementation et que l'on prévoie la nomination de préposés aux armes à feu autochtones qui auront les mêmes pouvoirs et la même autorité que le contrôleur des armes à feu.

Dans les localités autochtones isolées du Nord québécois, la nomination d'un préposé aux armes à feu issu de la population locale serait un moyen réaliste de faire respecter les dispositions de la loi et de la réglementation portant sur la délivrance de permis d'armes à feu et de certificats d'enregistrement. Il n'est tout simplement pas réaliste d'envisager d'administrer à distance la délivrance de permis et, en particulier, le processus de certification substitutive prévu dans le Règlement d'adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones.

Plus important encore, nous soulignons à nouveau qu'en vertu de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, lorsque l'exercice du droit d'exploitation est assujetti à l'obtention de permis ou de licences, les Autochtones ont le droit de les recevoir par l'entremise de leurs administrations locales respectives.

Enfin, au cas où aucune de ces solutions ne serait retenue, nous demandons que tous les Cris couverts par la convention reçoivent d'office et sans frais un permis d'armes à feu. C'est le moyen le plus pratique auquel le gouvernement fédéral puisse avoir recours pour respecter les obligations prises à l'égard des Cris dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Nous rappelons au comité le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sparrow qui fait jurisprudence; la cour a en effet confirmé le rôle particulier et historique qu'ont joué les Autochtones et qui est reconnu dans la Constitution et elle a déclaré que l'État doit se faire un point d'honneur d'entretenir et de protéger ses relations de fiduciaire avec les peuples autochtones.

Pour toutes les raisons que nous avons fait valoir aujourd'hui, la réglementation envisagée, dans le cadre de laquelle on prévoit des droits d'enregistrement et de permis d'armes à feu trop élevés et des conditions trop exigeantes, causerait à nos citoyens des difficultés excessives. Si l'on se fonde sur les raisons données par la Cour suprême dans l'affaire Sparrow, cette violation apparente de nos droits issus de traités est injustifiée parce qu'elle restreint de manière déraisonnable nos droits et qu'elle enlève à notre peuple les moyens d'exercer, selon des modalités privilégiées, leurs droits de chasser, de pêcher et de piéger sur leur territoire.

Si le Parlement veut faire cadrer sa réglementation avec les droits ancestraux et issus de traités des Cris de Eeyou Astchee, nous souhaitons souligner que les recommandations que nous formulons sont fondamentales et qu'il faudrait donc les énoncer expressément dans la législation subordonnée. En tant que sénateurs, vous avez notamment la responsabilité d'appliquer la constitution de ce pays et de garantir que le Canada respecte ses obligations envers les Cris du Québec en tenant compte de leurs droits et de leurs intérêts qui sont stipulés dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

En conclusion, nous espérons que le comité reconnaît qu'en proposant ces amendements, nous cherchons à trouver un compromis. Nous sommes convaincus que ces amendements ne sont absolument pas contraires à l'objectif des règlements concernant la délivrance de certificats d'enregistrement et de permis d'armes à feu et n'en diluent pas l'efficacité, loin de là. De fait, ils renforceront la portée de la législation en en facilitant l'application au moyen d'aménagements et permettront ainsi à plus d'Autochtones de la respecter.

La présidente: Avant de passer aux questions des sénateurs, je veux qu'il soit parfaitement clair que nous avons le droit de recommander des changements aux règlements; toutefois, nous n'avons pas le pouvoir de les modifier nous-mêmes. La loi ne nous y autorise pas. Elle nous donne plutôt le pouvoir d'examiner les règlements et de faire des recommandations au ministre de la Justice.

Le sénateur Beaudoin: Je crois comprendre que vous faites cinq recommandations. Compte tenu de ce que vient de dire la présidente, naturellement, vous recommandez cinq changements. Ainsi, il y a le fameux article 2(3) de la Loi concernant les armes à feu. Je me souviens fort bien en avoir discuté en long et en large avec vous. Cette disposition dit que:

Il est entendu que la présente loi ne porte pas atteinte aux droits -- ancestraux ou issus de traités -- des peuples autochtones du Canada visés à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Dois-je comprendre que vos cinq amendements sont réputés faire partie de vos droits issus de traités inscrits à l'article 35 ou se fondent-ils sur autre chose; par exemple, êtes-vous en désaccord avec la loi ou avec les règlements?

Il faut accepter la loi telle qu'elle est, parce qu'elle a été adoptée. De plus, ses règlements d'application doivent cadrer avec elle et en relever. C'est en ce sens que nous ne pouvons pas les modifier. Par contre, si les amendements que vous recommandez se fondent sur des droits issus de traités ou sur les droits collectifs des peuples autochtones, c'est une autre paire de manches. Sur le plan juridique, ces règlements n'abrogent pas vos droits collectifs inscrits dans la Constitution et n'y dérogent pas.

Puisque nous ferons des recommandations, il nous faut savoir sur quelle autorité légale elles s'appuieront. Visent-elles à défendre vos droits protégés ou ont-elles une autre raison d'être?

Nous devrions peut-être poser cette question à votre conseillère juridique, Mme Friedman.

Mme Deborah Friedman, conseillère juridique, Grand conseil des Cris, Administration régionale crie et Association des trappeurs cris: Vous mentionnez d'abord le paragraphe 2(3) de la loi, que l'on qualifie souvent de clause non dérogatoire, une disposition générale qui précise que la loi ne porte pas atteinte aux droits ancestraux ou issus de traités. On se demande comment les tribunaux interpréteront cette disposition s'ils en sont un jour saisis. Il est prématuré, à ce moment-ci, de se lancer dans ce débat.

Toutefois, les recommandations que nous proposons aujourd'hui visent à faire en sorte que les droits issus de traités sont respectés.

À l'heure actuelle, il existe entre les Cris du Québec, le Canada et le Québec une entente qui prévoit le respect des droits issus de traités qui sont visés par le paragraphe 35(1) de la constitution canadienne. Ce que nous vous demandons aujourd'hui, c'est de faire en sorte que la réglementation soit compatible avec les droits issus de traités. Nous sommes ici pour discuter de la réglementation, non pas pour demander des modifications à la loi. D'ailleurs, ce n'est pas l'endroit indiqué pour le faire.

Les recommandations proposées permettront d'assurer cette compatibilité et d'éviter qu'on ne se retrouve devant les tribunaux dans deux ans pour confirmer qu'il y a violation des droits. Nous essayons d'éviter cette situation. Nous sommes venus ici dans un esprit de conciliation pour éviter cette longue bataille juridique devant les tribunaux.

Vous voulez savoir sur quel motif nous nous fondons pour proposer ces recommandations. L'objectif de la loi est clairement énoncé au paragraphe 2(3), qui stipule que la loi ne portera pas atteinte aux droits issus de traités. Nous sommes ici pour faire en sorte que cet objectif soit atteint par le biais des changements que nous proposons aux règlements.

Le sénateur Beaudoin: Bien entendu, il s'agit là d'une règle d'interprétation fondamentale et ce sont les tribunaux qui trancheront. À ce stade-ci, comme les tribunaux ne sont saisis d'aucune affaire, vous devez faire en sorte que vos droits collectifs sont protégés, et je comprends cela. Et si nous arrivons à la conclusion que ces droits sont brimés, les tribunaux trancheront.

Donc, si j'ai bien compris votre raisonnement, vous fondez votre argumentation, dans une certaine mesure, sur vos droits collectifs, vos droits issus de traités ou vos droits ancestraux, lesquels sont garantis par le paragraphe 2(3)?

Mme Friedman: La Convention de la Baie James et du Nord québécois renferme des dispositions très claires, dont certaines ont été reprises dans les mémoires que nous avons soumis au comité. Elles précisent que les droits qui seront exigés pour l'obtention d'un permis devront correspondre à une somme nominale. Le chapitre 24 prévoit clairement l'adoption de lois et de règlements d'application générale sur le contrôle des armes, ce sont les mots qu'utilise la Convention, si ce contrôle vise la sécurité publique.

Je ne veux pas me lancer dans un débat sur la question de savoir si la loi ou les règlements sur le contrôle des armes à feu visent effectivement la sécurité publique. Supposons que ce soit le cas. D'après la Convention de la Baie James et du Nord québécois, si des règlements sur le contrôle des armes à feu sont adoptés afin d'assurer la sécurité publique et que les particuliers doivent obtenir des permis et des licences, ces derniers doivent être délivrés pour une somme nominale.

De plus, si des permis et des licences doivent être délivrés pour des raisons de sécurité publique, les Autochtones ont le droit, toujours selon la convention, de les recevoir par l'entremise de leur administration locale. Ce que nous demandons, c'est que les règlements soient conformes à ces dispositions.

Nos représentants ont comparu devant les comités du Sénat et de la Chambre des communes. Les correctifs qu'ils ont proposés n'ont pas été apportés à la loi. Il est essentiel qu'on en tienne compte dans les règlements, sinon, les tribunaux seront saisis de l'affaire. L'arrêt Côté est très clair à ce sujet. Je recommande fortement aux sénateurs de jeter un coup d'oeil sur cette décision.

Le sénateur Beaudoin: Excusez-moi, quel arrêt?

Mme Friedman: L'arrêt R. c. Côté, une décision récente de la Cour suprême du Canada. La question portait sur l'imposition de droits. Si vous voulez exiger des droits pour quelque chose, vous devez les réinvestir dans la collectivité. Il s'agit là d'une affirmation incidente, mais la cour a clairement indiqué dans cette affaire que l'imposition d'un droit était justifiée, qu'elle ne portait pas atteinte à un droit issu de traités, à un droit ancestral de chasser, parce que les sommes recueillies étaient utilisées pour entretenir les routes qui se trouvaient dans la zone de chasse.

Il est question ici de redevances administratives qui ne seront pas utilisées au profit des Cris du Québec. Je pense que la jurisprudence est très claire à ce sujet. Nous demandons que la réglementation en tienne compte.

Le sénateur Beaudoin: Vous vous fondez sur la jurisprudence?

Mme Friedman: Sur la Convention de la Baie James et du Nord québécois, mais la jurisprudence est également très claire à ce sujet: les droits exigés doivent être réinvestis dans la communauté, c'est-à-dire la communauté autochtone.

Le sénateur Moore: Monsieur Awashish, j'ai lu votre mémoire plus tôt aujourd'hui. Je l'ai trouvé très instructif. Vous proposez des solutions pratiques.

Est-ce que les fonctionnaires fédéraux ont consulté les Cris au moment d'élaborer les dispositions de la loi qui influent sur le mode de vie traditionnel et les droits d'exploitation des Cris?

M. Awashish: Je vais m'en tenir à ce que dit le mémoire au sujet des règlements. Nous voulons mettre l'accent sur les répercussions que pourraient avoir les règlements dans la pratique. Nous avons, dans notre mémoire, cerné certains problèmes et proposé des solutions. Les chasseurs et les trappeurs cris ont été consultés à ce sujet.

En toute honnêteté, les chasseurs et les trappeurs cris ont de la difficulté à comprendre le bien-fondé de la loi et des règlements sur le contrôle des armes à feu. Ils nous ont demandé pourquoi ce projet de loi avait été déposé en premier lieu, et ce que nous comptons faire avec les règlements. Nous leur avons dit que cette loi s'imposait en raison de ce qui se passait dans ce que nous appelons «le Sud»: les autorités devaient contrôler l'utilisation criminelle des armes à feu. Les gens n'entendent pas parler de ces activités criminelles dans le Nord. Ils se sentent pénalisés en raison de ce qui se passe dans le Sud. Je ne veux pas dire par là qu'aucun crime n'est commis dans le Nord. Toutefois, il est très rare qu'on utilise les armes à feu à des fins criminelles dans le Nord.

Donc, les trappeurs ont beaucoup de difficulté à comprendre le bien-fondé de ce projet de loi. Néanmoins, nous avons essayé de nous concentrer sur l'objectif de la loi, c'est-à-dire la sécurité publique, afin de voir quel genre de recommandations nous pouvons proposer pour que la mise en oeuvre de ces règlements ne porte pas atteinte aux droits des trappeurs ou des chasseurs.

Le sénateur Moore: Est-ce que quelqu'un s'est rendu dans votre localité pour rencontrer l'association des trappeurs? Est-ce que quelqu'un vous a rencontré à l'avance? Je sais que vous êtes venu aujourd'hui nous proposer vos recommandations, mais est-ce que quelqu'un est venu vous rencontrer pour discuter de tout cela? Vous a-t-on demandé: quel impact ces règlements auront-ils sur votre communauté? Avez-vous des suggestions?

Est-ce que ces discussions ont eu lieu, ou vous retrouvez-vous devant nous aujourd'hui parce que cette loi vous a été imposée?

La présidente: Avant d'entendre la réponse, sénateur Moore, comme vous n'étiez pas ici lorsque le projet de loi a été adopté, je tiens à préciser que le projet de loi C-68 a fait l'objet de consultations suivies entre le moment où il a été déposé et le moment où il a été adopté. Or, pour ce qui est de savoir si le processus a été adéquat ou non, je vais laisser aux témoins le soin de répondre à cette question. Toutefois, c'est la démarche qui a été suivie.

Mme Friedman: J'aimerais ajouter une précision. Il y a eu des consultations. Toutefois, les Cris du Québec se sont toujours réservé le droit d'être consultés -- sous toutes réserves --, si les recommandations proposées aujourd'hui étaient conformes aux observations formulées au comité qui a rencontré les communautés cries pour discuter de l'impact de la loi et des règlements. Malheureusement, les recommandations que nous proposons aujourd'hui sont les mêmes que celles que nous avons formulées au comité. À l'époque, on nous avait dit: «Ne vous inquiétez pas. Il y a l'alinéa 117u), et nous adapterons les règlements à vos exigences.» Les règlements ont été mis de l'avant et, malheureusement, ils renferment les mêmes incohérences.

Le Grand conseil des Cris, l'Administration régionale crie et l'Association des trappeurs cris, ont démontré qu'ils étaient prêts à adopter une attitude conciliante. C'est pourquoi nous sommes ici avec des propositions concrètes, des propositions qui permettront, à tout le moins, de corriger certaines des violations les plus flagrantes de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

Le sénateur Gigantès: Madame Friedman, vous parlez d'une somme normale. Qu'est-ce que vous entendez par «normale»?

Mme Friedman: Nominale.

Le sénateur Gigantès: Nominale?

Mme Friedman: Oui.

Le sénateur Gigantès: J'ai mal compris. Excusez-moi.

Mme Friedman: C'est l'expression qui figure dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois, une somme nominale.

Le sénateur Gigantès: Par «nominale», vous voulez dire modeste?

Mme Friedman: Si j'ai bien compris la jurisprudence, l'expression «somme nominale» veut dire moins de 1 $.

Le sénateur Gigantès: D'accord. Il y a une autre question qui me préoccupe -- et je vous saurais gré si vous pouviez me donner quelques précisions, monsieur Awashish --, et c'est la suivante: d'après les statistiques qu'on nous a montrées, le nombre d'homicides, d'accidents ou de suicides commis au moyen d'armes à feu est beaucoup plus élevé dans les communautés autochtones que dans les autres.

M. Rick Cuciurean, Association des trappeurs cris: La réponse est très simple: dans le Nord, il y a plus d'armes à feu, par habitant, que dans le Sud. Si vous jetez un coup d'oeil sur le nombre de décès ou d'accidents causés par des véhicules automobiles à Ottawa, vous allez constater qu'il est beaucoup plus élevé que le nombre de décès ou d'accidents causés par des véhicules automobiles, au 7 février 1997, à Whapmagoostui, où personne, à mon avis, n'a trouvé la mort dans un accident d'automobile.

Si les habitants de Great Whale savaient à quel point les véhicules sont dangereux, ils banniraient les voitures, les motoneiges et les motocyclettes de leur village. Ils ne toléreraient pas le carnage que causent dans les communautés du Sud les accidents d'automobiles, les meurtres, ainsi de suite.

Ces statistiques font tout simplement état du nombre d'armes à feu qui sont en circulation dans le Nord, où les armes sont utilisées pour la chasse. Il arrive à l'occasion qu'elles soient utilisées à mauvais escient. Toutefois, le nombre d'armes à feu, par habitant, que l'on trouve dans le Nord est 30 fois plus élevé que le nombre d'armes à feu, par habitant, que l'on trouve à Ottawa et dans d'autres villes du Sud.

Le sénateur Gigantès: Ce que vous êtes en train de dire, c'est que plus il y a d'armes en circulation, plus le taux d'accidents mortels est élevé.

M. Cuciurean: Exactement. Si vous prenez l'avion tous les jours, vous courez un plus grand risque de mourir dans un accident d'avion. Si je marche tout le temps, je ne cours aucun risque de mourir dans un accident d'avion.

Les chasseurs et les trappeurs ont besoin de fusils pour faire leur travail; les fusils sont leurs outils de travail. Il y a, à l'occasion, des accidents, des suicides et des meurtres, mais ils sont très peu nombreux si l'on tient compte du nombre d'armes à feu, de carabines et de fusils de chasse qu'il y a dans les communautés cries.

Le sénateur Gigantès: On pourrait dire la même chose au sujet des dommages que causent les véhicules automobiles. Ils sont proportionnels au grand nombre de véhicules automobiles qui sont en circulation, ce qui n'excuse pas la conduite en état d'ébriété. L'utilisation d'une arme à feu pour commettre un crime n'est pas non plus excusable. Ces statistiques indiquent -- et elles sont peut-être fausses, pour ce que j'en sais, puisque ce n'est pas moi qui ai effectué ce sondage --, que l'utilisation d'armes à feu est beaucoup plus répandue dans les cas de violence familiale.

M. Cuciurean: Je peux vous fournir les statistiques pour la communauté crie. Je ne les ai pas avec moi. Je vais vous les envoyer par télécopieur, demain.

Elles sont très faibles. Les statistiques compilées par le Conseil cri pour les services de santé et l'Association des trappeurs cris montrent que l'abus d'alcool et la violence familiale sont beaucoup plus répandus, environ 97 p. 100, que l'utilisation d'armes à feu dans les cas de violence familiale. Un homme peut blesser sa conjointe avec ses mains, avec un couteau ou une autre arme lorsqu'il est en état d'ébriété; l'alcool constitue notre plus gros problème dans le Nord.

Le sénateur Milne: J'ai lu le Règlement d'adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones au Canada et je n'ai rien vu au sujet du paiement de droits. Toutefois, je sais que les chasseurs qui utilisent des armes à feu à des fins de subsistance bénéficient d'une dispense. Est-ce que cela veut dire que vous ne verseriez aucun droit?

M. Awashish: D'après la recommandation du ministre, les chasseurs qui utilisent des armes à feu à des fins de subsistance ne verseraient aucun droit. Nous sommes allés plus loin et nous avons recommandé, dans un premier temps, que les règlements soient modifiés afin de stipuler que tous les particuliers, et non pas simplement ceux qui ont besoin d'une arme à feu pour chasser à des fins de subsistance, soient dispensés du paiement des droits exigés. De plus, nous avons demandé que des permis d'armes à feu soient délivrés automatiquement à tous les Cris visés par la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Nous avons enfin demandé que les règlements soient modifiés afin que tous les bénéficiaires de la Convention soient pris en compte, pas seulement les chasseurs ou les particuliers qui pratiquent la chasse ou le piégeage à des fins de subsistance.

Le sénateur Milne: Monsieur Awashish, est-ce que vous proposez alors qu'on remplace cette dispense par un droit nominal?

M. Awashish: Si des droits doivent être exigés pour l'enregistrement et l'obtention d'un permis, il faut qu'ils correspondent à une somme nominale. C'est ce que prévoit la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Si cette solution n'est pas retenue, nous proposons alors que les permis d'armes à feu soient délivrés automatiquement et gratuitement.

Le sénateur Milne: Donc, vous préféreriez qu'il n'y ait aucun droit d'exigé et, si j'ai bien compris, c'est le système qui est en vigueur actuellement. Je suis un peu perdue.

Mme Friedman: Oui. Vous faites allusion ici aux articles 7 et 12 du règlement sur les droits. Ces articles précisent que le particulier, qu'il s'agisse ou non d'un Autochtone, qui a besoin d'une arme à feu pour chasser à des fins de subsistance est dispensé du paiement des droits applicables aux permis et aux certificats d'enregistrement.

Ce que nous disons, c'est que la Convention de la Baie James et du Nord québécois prévoit certains droits pour tous les bénéficiaires. La Convention ne fait aucune distinction entre les particuliers qui chassent à des fins de subsistance et les particuliers qui chassent pour d'autres motifs. Autrement dit, la Convention ne précise pas que seuls les chasseurs qui utilisent des armes à feu à des fins de subsistance possèdent des droits d'exploitation qui ne seront pas limités, sauf par des lois d'application générale, ainsi de suite.

Ce que nous disons, c'est que vous avez eu raison de vous pencher sur la question des chasseurs qui utilisent des armes à feu à des fins de subsistance -- on ne sait pas comment on appliquera cela dans la pratique, quelle définition sera utilisée, comment cette expression sera interprétée. Toutefois, si vous voulez respecter l'esprit, l'objet de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, il faut faire en sorte que les droits exigés correspondent à tout le moins à une somme nominale, et que cette somme s'applique à tous les bénéficiaires, pas simplement aux chasseurs qui utilisent une arme à feu à des fins de subsistance.

Je ne sais pas, madame le sénateur, si cela vous éclaire.

Le sénateur Milne: Ce que je lis ici c'est que le particulier est un membre d'un des peuples autochtones du Canada et pratique la chasse ancestrale selon les traditions de sa collectivité autochtone.

Mme Friedman: Je crois que je vais demander à M. Cuciurean de vous dire quelle interprétation on a souvent donné à l'expression «particulier qui chasse pour subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille».

M. Cuciurean: Premièrement, nous ne devons pas oublier que même s'il s'agit d'une loi fédérale ce sont les provinces qui l'appliquent. Au Québec, on procède à un examen des moyens d'existence pour déterminer si quelqu'un chasse ou trappe pour subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille. Il revient aussi au contrôleur des armes à feu de la province de décider si un formulaire servant à l'examen des moyens d'existence a bel et bien été rempli, signé, certifié et ainsi de suite.

Le problème c'est que le droit de chasser des Cris découle de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et que cet accord s'applique à tous les bénéficiaires cris de la convention. Il n'y est pas question d'examen des moyens d'existence ni de savoir si les particuliers chassent trois, quatre ou cinq jours par semaine -- rien du genre -- ni à quel endroit ou pour qui ils travaillent. Tous les Cris ont le droit de chasser et c'est sur ce droit que nous nous fondons pour exiger que les permis d'armes à feu soient délivrés gratuitement à tous les Cris.

Le sénateur Milne: Ou pour une somme nominale?

M. Cuciurean: Ou pour un dollar, mais un dollar pour tous les Cris.

Le sénateur Milne: Le point numéro 4, sous la rubrique «Résumé des recommandations proposées» que l'on peut trouver à la fin de votre mémoire, pique aussi ma curiosité. Auriez-vous l'obligeance de nous en dire un peu plus au sujet de votre recommandation selon laquelle le gouvernement canadien devrait permettre aux administrations locales cries de dispenser le cours de sécurité dans le maniement des armes à feu et de délivrer les permis d'armes à feu; autrement dit, qu'il nomme un contrôleur des armes à feu autochtone dans la collectivité. Vous pourriez peut-être préciser votre pensée étant donné que nous ne nous sommes pas penchés sur cette question.

M. Cuciurean: La province administre la loi en vertu de la législation et des règlements actuels. Dans la Convention de la Baie James, il est tout à fait clair, je pense, que dans ces cas les administrations locales devraient se voir confier l'administration des permis, des autorisations et les baux, et que l'on devrait pouvoir y avoir accès au niveau local.

Le sénateur Milne: Je pourrais peut-être vous interrompre un moment. J'aimerais que vous nous l'expliquiez pour les fins du compte rendu. Vous traitez de la question dans votre mémoire, mais vous ne nous en avez pas parlé, et j'aimerais que cela figure au compte rendu du comité.

M. Cuciurean: Par exemple, au Québec, le contrôleur des armes à feu a dit publiquement qu'il ne nommera pas d'Autochtones à des postes de contrôleur des armes à feu, qu'il s'en tiendra à des agents de la SQ; seuls ceux-ci seraient acceptables à ses yeux. Nous avons essayé, en vertu du projet de loi C-17, de faire nommer des contrôleurs des armes à feu autochtones dans le territoire cri, des gens qui parleraient le cri, des gens qui connaîtraient les membres de leur collectivité, des gens qui pourraient appliquer le règlement à la satisfaction de tout le monde et veilleraient au respect de la loi.

Ce que nous demandons ici au fond, c'est que si l'on veut que la loi soit appliquée il faut la structurer de façon pratique: que l'on nomme des Cris comme contrôleurs des armes à feu, que les formulaires soient imprimés en cri, que des bandes vidéo soient tournées en cri, que la loi soit rédigée en cri, que les collectivités puissent administrer et appliquer leurs règlements du mieux qu'elles le pourront bien sûr, ce qui est impossible aujourd'hui aux termes des règlements proposés. Nous demandons que quelqu'un écoute les Cris à cet égard. C'est impossible aujourd'hui aux termes de la loi et des règlements en place. En fait, j'irais jusqu'à dire que nous ne pouvons le faire de toute manière sans modifier la loi, mais je ne suis pas avocat.

Le sénateur Pearson: Vous avez soulevé là un grand nombre de questions pratiques avec lesquelles je suis tout à fait d'accord. Il n'y a aucune raison pour que vous soyez obligés de payer davantage ou que vous ayez à subir plus d'inconvénients que d'autres en subiraient autrement. J'ai donc deux ou trois questions pratiques à vous poser.

Lorsque vous parlez de la photo qui doit figurer sur le permis, la plupart de vos membres au Québec ne détiennent-ils pas un permis de conduire?

M. Cuciurean: Oui. Voici ce qu'il en est dans les collectivités cries. En ce qui a trait à la carte d'assurance-maladie, qui porte aussi une photo, et le permis de conduire du Québec, dans le cas des gens qui vivent dans des régions éloignées, on indique dans l'espace réservé à la photo que la carte est valide sans photo. Cependant, rien dans la loi ni dans le règlement ne permettrait quelque chose du genre pour l'instant.

Le sénateur Pearson: Cela crée un précédent.

M. Cuciurean: Oui, et nous avons envoyé copie des lettres de la Régie de l'assurance-maladie au Centre canadien des armes à feu afin de lui indiquer comment procéder. Cependant, le Centre estime qu'un système national et universel s'impose, qu'il n'y a qu'une seule façon de faire et qu'il ne peut rien changer.

Le sénateur Pearson: Je comprends qui peut être bénéficiaire, mais je ne sais pas très bien qui sont tous ces bénéficiaires. Vivent-ils tous dans le Nord, ou y en a-t-il quelques-uns qui vivent dans le Sud?

M. Awashish: L'article 3 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois définit les bénéficiaires. Essentiellement, pour les Cris, le bénéficiaire est une personne de descendance crie. De plus, il ne faut pas oublier que la Convention a aussi été signée par les Inuit du nord du Québec qui sont donc bénéficiaires de la Convention. Cependant, nous ne représentons ici que les bénéficiaires cris.

Le sénateur Pearson: Tous les Cris sont-ils dans le Nord ou s'en trouve-t-il à l'extérieur? S'il y en a à l'extérieur, les considère-t-on toujours comme des bénéficiaires? Comment les choses fonctionnent-elles?

M. Awashish: La plupart, et j'entends par là 95 p. 100, résident dans le territoire du Nord, c'est-à-dire le territoire cri, que nous appelons Eeyou Astchee. Un petit pourcentage vit à l'extérieur du territoire, à Montréal, à Ottawa ou ailleurs au pays. Certains des bénéficiaires cris vivent temporairement à l'extérieur du territoire, soit pour y travailler soit pour y étudier.

Le sénateur Pearson: Ce dont je me souviens, lorsque nous avons discuté de cela au moment de l'adoption du projet de loi, c'est vous avez le droit de chasser et ainsi de suite sur vos terres mais non à Montréal?

Mme Friedman: C'est exact.

M. Awashish: La Convention de la Baie James et du Nord québécois s'applique à un territoire donné, mais nous avons bel et bien des droits ancestraux à l'extérieur du territoire.

La présidente: Parce que le sénateur Pearson en a parlé, je pourrais renvoyer les membres aux articles portant sur les photos qui se trouvent à la page 6 des règlements proposés. Je lis ces propositions et vos observations et j'en conclus qu'il ne serait pas nécessaire de disposer d'un système compliqué pour prendre les photos. Il semblerait que tout appareil 35 millimètres, voir un appareil Polaroïd, pourrait être utilisé pour prendre la photo requise. Tout ce qu'on dit, c'est que vous devez avoir une photo qui montre la tête et les épaules du demandeur vu de face sur un fond neutre et que la tête doit avoir au moins 30 millimètres ou 1,375 pouce.

Je ne comprends pas très bien l'objection que vous soulevez au sujet de la photo. Je la comprends dans le cas du permis de conduire et de la carte d'assurance-maladie, parce que s'il s'agit d'une photo particulière qui peut être produite par un appareil particulier. Mais si je comprends bien, ce n'est pas ce qui est exigé ici.

M. Cuciurean: Comme je l'ai déjà expliqué, la loi est établie par le gouvernement du Canada mais appliquée par les provinces. La Province de Québec a déterminé qu'il devait s'agir de deux photos de passeport seulement. C'est le seul type de photo acceptable. Si vous envoyez une photo en noir et blanc, prise à l'aide d'un appareil photo de 35 mm, elle vous sera retournée avec le message qu'elle est inacceptable. On vous demandera de présenter deux photos de passeport qui portent un timbre dateur et la signature de la compagnie de photographie, attestant que vous êtes la personne à qui elle l'a remise et ainsi de suite.

Chacun de ces appareils photo coûte 1 376 $. Ils prendront des photos qui répondent aux normes de la SQ. Nous n'avons qu'un seul de ces appareils photo dans nos neuf collectivités. Il nous en faut donc huit de plus.

L'autre coût est celui des photos mêmes. Si vous allez chez Jean Coutu ici sur la rue O'Connor à Ottawa, vous pourrez avoir une photo de passeport pour environ 4,50 $. À Whapmagoostui, le meilleur prix que vous pouvez obtenir est 10 $ par personne. C'est le prix le moins cher et c'est le mieux que nous pouvons offrir. Nous avons besoin de 8 000 photos, donc de 80 000 $.

Le sénateur Gigantès: Je ne sais pas si c'est faisable mais supposons que le gouvernement indique qu'il paiera les 80 000 $?

M. Cuciurean: C'est pourquoi nous sommes ici. Cela ne figure pas dans les règlements, ni dans la loi, et il n'a pas encore donné d'indication en ce sens.

Le sénateur Gigantès: Vous ne vous opposez pas à la photo proprement dite mais au coût de la photo?

M. Cuciurean: Ainsi qu'aux licences, aux permis et aux cours. On nous demande 53 $ par cours. En ce qui concerne les 8 000 permis dont ont besoin les Cris, il faudrait compter pas loin de 1,5 et 2 millions de dollars pour satisfaire à toutes les modalités exigées, et pas seulement pour les photos. La question des photos n'est que la pointe de l'iceberg.

Le sénateur Watt: Ce que j'aimerais souligner, comme l'a d'ailleurs déjà fait Philip Awashish, en ce qui concerne la Convention de la Baie James et du Nord québécois, c'est que la convention est effectivement très précise en ce qui concerne les règles du jeu concernant la chasse, l'accès aux carabines et cetera. Cela est très clairement indiqué dans la convention en question.

La raison pour laquelle la convention est si précise à ce sujet, c'est que les négociations ont été faites par de véritables chasseurs. Je me souviens que Philip Awashish a dirigé cet aspect particulier des négociations jusqu'en 1975. Cela s'applique également aux Inuits. C'est le gouvernement provincial qui administre cet aspect.

Si on veut honorer et respecter les droits constitutionnels qui découlent de l'article 35, il ne faudrait pas les abroger ou y déroger par de quelconques moyens législatifs.

J'ai fait clairement connaître mes vues avant l'adoption du projet de loi mais on ne m'a pas écouté. J'ai rencontré le ministre plus d'une fois pour tâcher de le persuader de voir l'autre côté de la médaille. Je lui ai même proposé d'envisager un type de système à deux niveaux, l'un pour le Nord et l'autre pour le Sud.

En ce qui concerne les bénéficiaires, il faut éviter d'appliquer toute une série de catégories différentes aux mêmes personnes. Autrement dit, vous voulez que les droits obtenus par le biais de la Convention de la Baie James et du Nord québécois soient protégés. La seule façon de les protéger consiste à s'assurer que tous les bénéficiaires en profitent, que l'application des règlements soit la même pour les groupes autochtones de la même collectivité afin d'éviter de les compartimenter dans des catégories différentes. C'est sans doute ce que vous voulez dire.

Vous êtes probablement au courant de toute cette histoire concernant les personnes visées par la Loi sur les Indiens et celles qui ne le sont pas. Si nous n'y prenons pas garde, c'est la situation que nous risquons de créer ici. Nous nous trouverons à créer ce qu'on appelle un effet de damiers. Ce n'est pas ce que veulent les Autochtones. Quelles que soient les mesures qui s'appliquent, elles doivent s'appliquer à l'ensemble des Autochtones. Je crois qu'il existe un malentendu, même chez nos propres collègues du Sénat, quant à ce qui s'applique et ce qui ne s'applique pas.

Je crois également que le gouvernement avait promis de ne pas imposer aux Autochtones le paiement de droits. Je crois que cette promesse n'a malheureusement pas été respectée et que le gouvernement a décidé d'aborder cet aspect sous l'angle de la subsistance.

La présidente: Dans la version anglaise, on parle de «sustenance».

Le sénateur Watt: Si j'en comprends bien le sens, c'est un mot d'une moins grande portée que le mot anglais «subsistence», n'est-ce pas?

La présidente: Il a en fait un sens assez différent, sénateur Watt.

Le sénateur Watt: Il a peut-être un sens différent mais cela sème la confusion chez les gens parce que chacun d'entre nous, dans le Nord, est un chasseur de subsistance.

Le sénateur Pearson: Je pense que c'est le sens du mot anglais «sustenance».

Le sénateur Watt: Vous me voyez presque toutes les semaines. Vous ignorez ce que je fais lorsque je rentre chez moi, de qui je dois m'occuper et dont je suis chargé d'assurer la subsistance. Ce sont les facteurs qu'il faut prendre en considération lorsqu'on envisage d'appliquer la loi à notre groupe. Nous voulons nous assurer que ces dispositions ne nuisent pas à notre vie quotidienne car ce pourrait être une question de vie et de mort et compromettre nos moyens de subsistance.

Est-ce ce qui vous préoccupe lorsque vous utilisez le mot «bénéficiaire», vous voulez que le régime de bénéficiaire s'applique à tout le monde? Vous ne voulez pas vous retrouver avec un effet de damiers. C'est l'un de vos grands thèmes; dans votre recommandation, vous proposez que les pouvoirs soient confiés au gouvernement local, aux municipalités ou au conseil de bande. Je crois que dans les recommandations qui ont été formulées aujourd'hui, on a parlé d'un chef de file de la collectivité, d'un sage, à qui serait confié la responsabilité d'aider à déterminer s'il y a infraction à la loi.

C'est une notion qui se rapproche beaucoup de celle que vous proposez, mais si je vous ai bien compris, vous voulez que ce soit la structure dirigeante plutôt que le particulier qui assume cette responsabilité. Est-ce bien ce que vous êtes en train de dire?

Mme Friedman: Nous sommes en train de dire que la Convention de la Baie James et du Nord québécois prévoit clairement que si vous décidez d'accorder une dispense dans le cas des permis ou des autres autorisations, qui pourraient inclure des autorisations indirectes, comme le cours canadien sur la sécurité, il faudrait que cela se fasse par l'intermédiaire du gouvernement cri local. Ce que nous demandons, si vous devez exiger la délivrance de permis et de certificats d'enregistrement, c'est que le contrôleur des armes à feu, au lieu d'être nommé par les instances provinciales, soit un Autochtone nommé par ses pairs. Qui serait mieux placé pour administrer des licences et des permis dans une collectivité éloignée du Nord du Québec qu'un contrôleur autochtone des armes à feu? Qui sera mieux placé pour évaluer les critères qui régissent à l'heure actuelle la certification substitutive qu'un contrôleur autochtone des armes à feu, par opposition à un membre de la SQ?

Le sénateur Watt: Ce qui m'inquiète, c'est que dans une série de règlements proposés, les deux personnes qui se voient confier cette responsabilité, en partant du principe que cela se fasse, même si l'instance locale assume cette responsabilité et est chargée de l'application du règlement, il faut se rendre compte que la disposition dérogatoire prévue par ce projet de loi ne vous protège pas mais vous permet uniquement de défendre votre cause. Si vous avez enfreint les règlements, vous pouvez être poursuivi devant les tribunaux qui décideront alors, en fonction des particularités de chaque cas, s'il y a eu infraction à la loi. Il ne s'agit pas vraiment d'une protection, même si elle existe au sein de votre propre gouvernement autonome, parce que la loi applique des dispositions générales. Êtes-vous au courant de cet aspect? Cela ne vous inquiète pas?

Mme Friedman: Je ne suis pas sûre de bien comprendre la question.

Le sénateur Watt: Je vous demande simplement si vous êtes au courant de cet aspect.

Mme Friedman: D'après notre interprétation, la disposition dérogatoire est une disposition générale qui énonce que ce projet de loi, par cet article, ne vise pas à abroger les droits ancestraux ou issus de traité, ni à y déroger. Décider si nous devons faire appel ou non aux tribunaux pour établir, à l'aide de la jurisprudence, si nos droits ont été violés et leur demander de remédier aux problèmes qu'il nous est impossible de régler par des modifications réglementaires, c'est autre chose, mais il s'agit d'une disposition générale qui n'a pas encore été interprétée.

Le sénateur Watt: Si je vous ai bien compris, vous n'aimez pas ce qui s'est passé mais vous êtes prêts à mettre à l'essai la solution proposée? Si les règlements sont accompagnés de la proposition que vous avez présentée, vous êtes prêts à la mettre à l'essai?

M. Awashish: Nous mettons l'accent sur la mise en oeuvre des règlements dans la mesure du possible par les instances gouvernementales locales et également grâce à la nomination d'un contrôleur autochtone des armes à feu. Nous nous fondons sur nos propres expériences car nous avons pu constater que les instances locales, les instances autochtones, et les préposés autochtones en général, respectent effectivement les droits de chasse et de pêche des Autochtones. Je suppose que l'application des règlements mêmes par les gouvernements cris locaux et les contrôleurs autochtones des armes à feu témoignerait, dans la mesure du possible, du même respect, c'est-à-dire qu'ils continueront à respecter les droits de chasse, de pêche et de piégeage des Cris tout en maintenant l'objectif du contrôle des armes à feu pour assurer la sécurité du public.

Nous sommes prêts à défendre nos recommandations. Nous nous réservons le droit, comme vous le savez, sénateur Watt, de permettre aux Cris de suivre d'autres cours ou de prendre d'autres mesures pour protéger leurs droits. Les recommandations que nous avons déposées aujourd'hui représentent une exigence minimale destinée à nous assurer que les règlements mêmes ne portent pas atteinte à nos droits ancestraux ou issus de traités. La loi même a déjà été adoptée et pour nous, aucune loi n'est sacrée. Comme par le passé, la jurisprudence a permis d'éclaircir ou de préciser la loi.

La présidente: Pour l'information de tous les sénateurs, j'ai demandé à mon attaché de recherche de m'apporter un dictionnaire pour établir la différence entre les mots anglais «sustenance» et «subsistence». Sous toute réserve, je considère que le mot anglais «sustenance» a en fait un sens plus général. Le mot anglais «subsistence» consiste à assurer sa survie ou désigne les moyens qui permettent de subsister, ce qui signifierait, dans le cas d'un «subsistence hunter», qu'il s'agit de son unique source d'activité économique. Par contre, un «sustenance hunter» se trouverait à subvenir à ses besoins alimentaires; il s'agit d'une définition moins étroite puisque la chasse ne serait pas sa seule forme d'activité économique.

En utilisant dans la version anglaise le mot «sustenance», je pense que le gouvernement a voulu utiliser une définition plus générale que celle qui s'applique au mot «subsistence». Cela dit, sénateur Watt, on peut contester la définition du dictionnaire et je suis certainement prête à entendre les objections que vous auriez à cet égard.

Le sénateur Watt: Nous opterons pour le mot ayant la plus grande portée.

La présidente: Je pense que le gouvernement a en fait utilisé le mot ayant la plus grande portée pour protéger les Autochtones dans ces circonstances particulières; mais, ici encore, cela peut faire l'objet d'autres discussions.

M. Cuciurean: J'aimerais apporter rapidement deux précisions. Je voulais préciser à l'intention du sénateur Milne, lorsque nous avons parlé de dispenser les chasseurs de subsistance du paiement des droits de permis, d'après mon interprétation du règlement, qu'ils ne sont pas dispensés de payer des droits pour l'enregistrement de leur arme à feu. Ce chasseur obtiendrait un permis pour lui-même. Mais s'il est propriétaire d'armes à feu ou s'il fait l'acquisition d'armes à feu pendant que cette loi est en vigueur, il doit payer les frais d'enregistrement de ses armes à feu. D'après mon interprétation, aucune dispense n'est prévue pour les chasseurs de subsistance.

Sénateur Moore, vous avez posé des questions à propos de la consultation. J'ai réfléchi à cette question pendant cette discussion. Le mot «consultation» est un mot piège qui a été utilisé à maintes reprises par le gouvernement. Les Cris ont participé à de nombreuses consultations. Nous avons participé à de nombreux échanges et à de nombreuses réunions. Le gouvernement nous indique les mesures qu'il veut mettre en oeuvre et pourquoi, et de notre côté, nous lui indiquons ce dont nous avons besoin et pourquoi. Or, il me semble qu'on n'a jamais tenu compte des recommandations formulées par les Cris.

Aujourd'hui, c'est la septième fois que les Cris présentent ces recommandations au gouvernement du Canada pour qu'il les mette en oeuvre. Le hic, comme le sénateur Beaudoin l'a indiqué au début de la séance, c'est que le gouvernement n'a qu'à prendre les grands moyens pour faire adopter ces mesures; c'est alors aux Cris de payer leurs propres avocats, de prendre de leur temps et de consacrer sept ans de leur vie à se battre devant les tribunaux pour faire valoir des principes très simples, comme le droit des bénéficiaires d'obtenir gratuitement leurs permis.

Je ne suis pas avocat, mais je ne comprends pas comment quiconque peut contester les dispositions prévues par la Convention de la Baie James et pourquoi nous devons comparaître ici une septième fois pour demander que les bénéficiaires obtiennent des permis gratuits. C'est la septième fois, et on nous dit encore une fois que nous devons attendre de voir quelle sera la jurisprudence.

Le gouvernement actuel et le ministre font preuve d'une grande arrogance. Ils soutiennent qu'il incombe maintenant aux Cris de porter cette affaire devant la Cour suprême, d'allonger plus de 500 000 dollars ou 1 million de dollars en frais juridiques.

C'est la septième fois. Combien de fois faudra-t-il le répéter? Nous sommes des gens bien élevés et nous essayons de nous comporter convenablement; mais il ne se passe rien. C'est très frustrant pour tous les intéressés.

Je dirais que cette tribune est une forme de consultation. Les Cris sont venus ici pour vous consulter et vous dire qu'il faut améliorer la version actuelle de la loi. Mais nous savons très bien qu'après notre départ et d'ici 15 jours, ce projet de loi sera adopté par la Chambre sans amendement et sans recommandation; il ne se passera rien. Tout le monde dira que les Indiens font encore des histoires ou se lamentent.

C'est ce qui se produira, parce que les requêtes que nous présentons aujourd'hui ne sont pas nouvelles. Ce n'est pas la première fois que nous comparaissons devant vous. Madame la présidente faisait partie du comité, de même que le sénateur Watt, lorsque nous avons présenté ces mêmes recommandations. Ce que nous avons obtenu, c'est le fameux article du sénateur Beaudoin, lequel, à mon avis, bien que je ne sois pas avocat, n'offre qu'une protection minimale, réduite à l'essentiel. Et aujourd'hui, les Cris doivent dépenser un million de dollars pour aller devant les tribunaux réclamer la protection de cette disposition dérogatoire. Le gouvernement ajoute ces dispositions pour sauver la face et les Cris doivent payer pour protéger leurs droits issus de traités.

La présidente: Monsieur Cuciurean, deux choses: tout d'abord, n'anticipez pas les mesures que prendra notre comité. Je pense pouvoir vous assurer que notre comité formulera certaines recommandations à l'intention du ministre de la Justice au sujet de ces règlements. Deuxièmement, en ce qui concerne votre commentaire à propos de l'enregistrement, une dispense est en fait prévue.

M. Cuciurean: Je m'excuse. J'ai fait erreur.

La présidente: Simplement pour votre information, cela figure dans la partie traitant des certificats d'enregistrement et non dans la partie traitant des Autochtones. Cela aurait pu facilement échapper à l'attention de n'importe qui. Simplement pour votre gouverne et celle des sénateurs, dans le document que vous avez reçu, cette information se trouve à la page 64.

Le sénateur Beaudoin: Lorsque j'ai parlé du paragraphe 2(3), mon intention était de porter cet aspect à votre attention parce que nous en avons discuté longuement il y a de nombreux mois et je pense que c'est une disposition favorable aux Autochtones. Bien entendu, je reconnais en tant qu'avocat qu'il est coûteux d'aller devant les tribunaux.

Une autre disposition qui a été portée à mon attention est l'alinéa 117u). Il prévoit:

117. Le gouverneur en conseil peut, par règlement:

u) prévoir selon quelles modalités et dans quelle mesure telles dispositions de la présente loi ou de ses règlements s'appliquent à tout peuple autochtone du Canada et adapter ces dispositions à cette application;

Je crois que c'est une disposition très intéressante pour vous.

M. Cuciurean: Si elle est utilisée.

Le sénateur Beaudoin: Je voulais simplement vous le signaler. Je reconnais que les règlements sont très importants pour vous. À l'époque où la loi a été adoptée, la question des droits ancestraux a pris des heures et des heures. Nous y avons consacré beaucoup d'attention. Et vous méritez une telle attention, cela ne fait absolument aucun doute.

Je vous le signale pour que vous sachiez que nous sommes tout à fait conscients de la grande importance que revêtent pour vous les droits ancestraux dans le domaine des armes à feu.

La présidente: Chers collègues, nos deuxièmes témoins cet après-midi sont des représentants des premières nations Mamit Innuat.

Cela étonnera sans doute nos témoins précédents mais j'ai en fait un projet de rapport sur certaines recommandations formulées en fonction des témoignages que nous avons entendus les journées précédentes. Plus tard aujourd'hui, j'aimerais, chers collègues, vous distribuer ce projet de rapport et vous demander votre avis à propos des témoins que nous aurons entendus cet après-midi. Nous nous réunirons ensuite demain pour approuver le projet de rapport.

Je cède d'abord la parole à M. Bellefleur.

[Français]

M. Guy Bellefleur, porte-parole, Premières nations Mamit Innuat: Honorables sénateurs, il me fait plaisir de vous adresser la parole cet après-midi afin de vous faire part des préoccupations de notre peuple sur la question de la réglementation portant sur la mise en oeuvre de la Loi sur les armes à feu.

Mon nom est Guy Bellefleur et je suis le porte-parole des Premières nations de Mamit Innuat. Je suis accompagné de M. Armand Mckenzie, conseiller juridique des Premières nations de Mamit Innuat.

Les Premières nations de Mamit Innuat -- qui signifient les gens de l'Est -- représentent les quatre communautés Innu de la Basse Côte-Nord, les Québécois nous reconnaissant comme étant la nation montagnaise, à savoir Mingan, Natashquan, La Romaine et Pakua Shipi, dans lesquelles vivent les 2 500 personnes que nous représentons. À titre de Premières nations de Mamit Innuat, nous détenons des droits territoriaux sur approximativement 250 000 kilomètres carré de Nitassinan un territoire qui est aujourd'hui connu par les gens venus d'ailleurs comme étant la péninsule du Québec-Labrador. Les Premières nations de Mamit Innuat ont depuis des millénaires occupé de façon continue ce territoire. Enfin les Premières nations de Mamit Innuat sont les premiers gouvernants de Nitassinan.

Malgré l'utilisation et l'occupation abusive de notre territoire, malgré les actions et les lois des gouvernements de la société dominante, les Premières nations de Mamit Innuat continuent encore aujourd'hui d'affirmer, à titre de peuple et de nation, leur juridiction et leur loi sur le territoire de Nitassinan. En fait, à travers ces manifestations, les Premières nations de Mamit Innuat exercent leur droit à l'autodétermination.

Les Premières nations de Mamit Innuat font partie de la grande nation Innu, nation fière et forte, qui a su vivre sur Nitassinan dans le respect de l'environnement et des Êtres du Créateur. Les Innu sont un peuple au sens du droit international et possèdent tous les attributs liés à ce statut; ils ont une langue, une culture et une histoire commune, un mode de gouvernement distinct des autres peuples qui assurent la juridiction Innu sur le territoire et c'est à ce titre qu'ils ont toujours gouverné Nitassinan.

Les Premières nations de Mamit Innuat ont par ailleurs, depuis l'arrivée des Européens, entretenu des relations de nation à nation avec ces nouveaux arrivants. Toutefois, le statut de ces gens ainsi que leurs droits sur Nitassinan n'ont jamais été clarifiés par traité avec les Premières nations de Mamit Innuat. En d'autres endroits, la Couronne britannique et par la suite le gouvernement du Canada a conclu des traités avec d'autres nations autochtones afin de clarifier les droits et juridictions de chacune des partis. Un tel exercice n'a toutefois jamais réellement été réalisé avec les Premières nations de Mamit Innuat et c'est pourquoi nous poursuivons actuellement des négociations territoriales et gouvernementales fondées sur l'égalité des peuples afin de clarifier les juridictions et souverainetés territoriales de nos gouvernements respectifs.

Les Premières nations de Mamit Innuat dépendent de façon importante des activités traditionnelles de chasse et de pêche. Pour notre nation Mamit Innuat, les fusils ne sont pas considérés comme des armes à feu mais plutôt comme un outil de survivance dans l'exercice de leurs droits ancestraux. Or, la nouvelle loi sur les armes à feu ainsi que ces règlements de mise en oeuvre vise à restreindre notre utilisation et notre accès aux instruments utilisés pour l'exercice de nos droits de chasse et de piégeage. Cette législation limite notre pouvoir de réglementer les activités de chasse et de piégeage et impose des limites injustifiables à l'exercice de notre culture distinctive, de nos coutumes et de nos traditions, notamment pour la chasse collective du caribou.

Dans ce dossier, le gouvernement fédéral a agi de manière agressive pour passer et imposer la législation et sa réglementation malgré les tentatives répétées de l'assemblée des Premières nations d'amener le gouvernement à expliquer aux Premières nations quel impact aura cette législation proposée sur les droits issus de traités ancestraux. Grâce aux pressions de l'assemblée des Premières nations auprès du ministre fédéral de la Justice, il y a eu un processus de consultation qui demeure toutefois superficiel, violant par le fait même les critères de consultation énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sparrow.

Nous avons eu droit à de l'information sur la Loi sur les armes à feu, mais nous n'avons pas eu le droit de changer de manière importante et significative l'impact de cette loi et de ces règlements sur notre mode de vie traditionnel. Car les impact ne sont pas négligeables. En fait, pour les mêmes motifs, nous supportons totalement la position de l'Assemblée des Premières nations qui estime que la Loi sur les armes à feu et ces règlements sont une atteinte injustifiée aux droits ancestraux et issus de traités des Premières nations. À l'instar de l'APN, nous croyons que cette loi et ces règlements sont inconstitutionnels. Par cette législation, le gouvernement libéral ne rencontre même pas les exigences de l'arrêt Sparrow en matière de consultation auprès des autochtones lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre des politiques ou des lois gouvernementales affectant leurs droits ancestraux.

Dans le cadre de cette consultation du ministre de la Justice, même si nous avions expressément indiqué aux représentants du Centre canadien des armes à feu que les Premières nations avaient le droit d'être exemptées de la Loi, nous avons quand même émis un bon nombre de recommandations afin de limiter les effets négatifs de cette loi. Mais force est de constater que plusieurs de ces recommandations ont été reléguées aux oubliettes afin de ne pas offusquer les autorités coloniales fédérales et provinciales. Ainsi, nous avions formulé les recommandations suivantes:

nomination par le ministre, sur la recommandation de l'APN, d'un contrôleur national autochtone des armes à feu, agissant selon les mêmes conditions de financement que le contrôleur des armes à feu provinciaux, et ayant les mêmes pouvoirs, incluant le pouvoir de nommer les préposés autochtones aux armes à feu, au niveau régional ou communautaire, délivrer les permis, administrer le SMAF, distribuer les fonds concernant les travaux réalisés au niveau communautaire;

droit des Premières nations d'être exemptées de l'acquittement des frais relatifs au cours de sécurité sur le maniement des arme à feu, licences et certificats enregistrement;

droit automatique à l'obtention d'une licence pour les aînés;

des ententes bilatérales de financement entre le gouvernement fédéral et les groupes autochtones en vue de rembourser les frais d'administration et de mise en oeuvre qui doivent nécessairement être engagés.

L'ensemble de ces recommandations et plusieurs autres n'ont tout simplement pas trouvé écho auprès de vos gouvernements.

Nous recommandons que le gouvernement du Canada reconnaisse que Mamit Innuat et les Premières nations du Canada ont leurs lois traditionnelles relatives à la sécurité et au contrôle des armes à feu; que le gouvernement du Canada reconnaisse que Mamit Innuat ont une juridiction en ce domaine.

Nous vous exhortons à inviter le ministre fédéral de la Justice, Allan Rock, à créer une table Mamit Innuat Canada afin de clarifier la juridiction de Mamit Innuat sur le domaine des armes à feu et qu'elle fasse l'objet d'une discussion et que la réglementation Innu en cette matière soit discutée à cette table.

Nous vous exhortons à inviter le ministre fédéral de la Justice à mettre en place un processus pour la négociation d'arrangements appropriés entre le Canada et Mamit Innuat concernant l'application des lois des Premières nations de Mamit Innuat en matière de contrôle des armes à feu.

Honorables sénateurs, en examinant les règlements de mise en oeuvre de la Loi sur les armes à feu, vous devez reconnaître un certain nombre de principes; les peuples autochtones ont le droit de se gouverner dans les compétences relatives à la chasse, à la pêche et aux activités traditionnelles, la chasse fait partie intégrante de la culture et du mode de vie des peuples autochtones.

La possession d'armes à feu pour les fins de pratique d'activité traditionnelle est reconnue et confirmée comme étant un droit ancestral ou issu de traités.

La nouvelle loi sur les armes à feu porte préjudice aux droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones, notamment en imposant des conditions indues aux chasseurs autochtones qui désirent obtenir des licences ou permis de possession d'armes à feu.

Mamit Innuat est d'accord avec la nécessité de réduire la violence et de restreindre l'accès aux armes offensives. Toutefois, Mamit Innuat n'est pas d'avis que la nouvelle Loi sur les armes à feu constitue un moyen approprié de contrer la violence dans nos communautés Innu et est aussi d'avis que cela augmentera le risque de voir nos concitoyens entrer en conflit avec les lois canadiennes. Si vous voulez régler vos problèmes de violence qui existent dans votre société, particulièrement dans les grandes villes, c'est bien. Cependant, cela ne doit pas avoir pour effet de criminaliser davantage les peuples autochtones.

Le sénateur Beaudoin: J'ai une question de nature très générale, si je puis ainsi dire. Dans le fond, votre philosophie est clairement exprimée: vous dites que pour vous les armes à feu sont essentielles, elles ont une signification pour vous qui n'est peut-être pas la même que pour nous et, en ce sens, vous devriez avoir, peut-être, des règlements qui diffèrent quelque peu.

Mais d'un autre côté, je vois que dans les règlements il y a des articles qui sont adaptés à la situation des Amérindiens, des peuples aborigènes. Tout à l'heure, je citais l'article 117, paragraphe u), qui permet une adaptation et l'article 2, paragraphe 3, dit que les cours doivent interpréter la Loi en tenant compte des droits des Amérindiens. Est-ce que l'on peut faire davantage? Je ne le sais pas. Mais au moins on fait le minimum. C'est très bien que vous veniez devant nous pour nous faire vos recommandations. Si vous croyez que l'on ne va pas assez loin, bien mon Dieu, comme le disait madame la présidente, cela va être porté à la connaissance du ministre de la Justice. Je vous remercie d'être venu devant nous pour nous donner votre point de vue. Je pense que cela est essentiel. Je n'ai pas d'autres questions à vous poser. Je prends acte du fait que vous êtes dans une situation vraiment particulière.

M. Bellefleur: Pour répondre à vos commentaires, sénateur Beaudoin, dans nos communautés, c'est sûr que les gens vivent encore, disons, d'une façon nomade ou semi-sédentaire. Ce sont des gens qui n'ont jamais été à l'école, comme mon père qui n'a jamais été à l'école. Ce sont des gens qui ne s'expriment pas dans une langue seconde, soit en anglais ou en français. Ces gens-là ont été éduqués de façon traditionnelle, la subsistance sur le territoire. Et quand l'on parle d'arme à feu, pour nous c'est un objet qui sert, disons, à commettre des crimes, quand on traduit «arme à feu» en langue innu. Dans notre langue innu, c'est sûr que "arme à feu" n'a pas la même signification, c'est un outil dont on se sert pour notre subsistance et on sait très bien que les armes à feu sont dangereuses.

La première fois lorsque qu'on m'a enseigné à me servir d'une arme à feu, j'ai passé plusieurs mois avec mes grand-parents. Ils m'ont appris à me servir d'une arme à feu. Puis ils ont parlé à mon père et ensembles ils ont décidé vers quel âge je devais commencer à me servir d'une arme à feu. Donc ce sont eux qui ont décidé. Ce ne sont pas les policiers ou les autorités gouvernementales qui ont décidé, ce sont nos parents qui décident. Ils savent quand l'enfant doit porter une arme. Si c'est une autre autorité qui vient de l'extérieur qui décide si l'enfant ou les aînés doivent avoir un permis de port d'arme, c'est sûr que les valeurs que nous avons et tout le respect que l'on a pour nos aînés et nos parents risquent de disparaître. Ce sont nos parents qui nous disent comment se servir d'une arme à feu. Nous voulons continuer à préserver ces valeurs.

Au niveau des articles que vous m'avez énumérés, j'ai lu la réglementation sauf que notre aviseur légal pourrait répondre à ces questions. Je l'ai encore relu ce matin et je crois que c'est conditionnel à certains articles. Comme nous vivons dans des régions éloignées, la Sûreté du Québec la plus proche est à 400 kilomètres de la communauté d'où je viens, et l'autre communauté est à 600 kilomètres. Il n'y a pas de piste d'atterrissage dans plusieurs communautés et les avions peuvent voler que quand dame nature le veut, nous sommes assez éloignés du contrôleur d'arme à feu.

Donc juste pour vous donner un exemple, j'ai eu l'occasion de faire des plaintes à la Sûreté du Québec, ils m'ont dit qu'ils n'avaient pas les moyens de se rendre dans nos communautés et qu'ils prévoient y faire un voyage dans un mois ou deux. Mes les actes criminels qui ont été commis, c'est sûr que les criminels, dans un mois ou deux, ne sont plus là. Donc on n'a pas de service au niveau de la Sûreté du Québec.

Il y a la police amérindienne sauf que sa juridiction est quand même limitée. Je ne veux pas trop m'avancer là-dessus. Je vais plutôt laisser M. Armand Mckenzie compléter le témoignage au niveau des articles que vous avez mentionnés.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Mckenzie, avant que vous répondiez à la question du sénateur Beaudoin, certains de ces règlements ont-ils permis de répondre aux préoccupations exprimées par les Inuit?

M. Armand Mckenzie, conseiller juridique, Premières nations Mamit Innuat: Je ne le crois pas car avant que ces règlements soient établis, nous avions formulé un certain nombre de recommandations importantes pour garantir certaines protections des droits ancestraux dans le cadre de l'application de la loi et de ses règlements. Nous avons rencontré le représentant du Centre canadien des armes à feu. Il me semble qu'aucune suite n'a été donnée à certaines de nos recommandations, ou alors qu'on nous a répondu qu'il était impossible d'adopter nos recommandations parce qu'entre autres on ne pouvait pas «porter atteinte» aux pouvoirs du gouvernement provincial.

La recommandation concernant par exemple la nomination d'un contrôleur autochtone des armes à feu -- je suivrai les questions présentées par les Cris avant notre présentation -- est une recommandation importante mais nous ne pouvons pas y donner suite à l'aide de la Loi sur les armes à feu, pas plus, à mon avis, qu'au moyen des règlements. Il est important d'avoir un contrôleur autochtone des armes à feu parce que nous sommes mieux placés pour traiter avec notre peuple; nous connaissons leurs besoins en matière de chasse et d'activités traditionnelles et en matière d'armes à feu.

J'ai rencontré M. Beaudoin à la Commission royale cette fin de semaine à Montréal à l'Université McGill. Si nous voulons commencer à considérer les Autochtones de ce pays comme des égaux, comme des partenaires dans le cadre de la Confédération, nous devrions commencer à prendre des mesures en ce sens, y compris en ce qui concerne ces règlements. Nous devrions au moins reconnaître que les Autochtones de ce pays ont le droit d'avoir un contrôleur autochtone des armes à feu, chargé d'administrer la loi et les règlements.

Nous avons examiné ces règlements pour essayer de voir comment nous pouvons les adapter à nos besoins. C'est une tâche impossible. Le chef national Ovide Mercredi a déclaré hier à la Chambre des communes que nous ne pouvons pas améliorer une mauvaise loi à l'aide de règlements. C'est essentiellement la position soutenue par notre chef national, Ovide Mercredi.

Dans le cadre du processus de consultation avec le Centre canadien des armes à feu, nous avons tâché d'améliorer la loi ou certains de ses aspects. Et nous avons fait de même avec les règlements, comme M. Bellefleur l'a mentionné.

[Français]

J'ai regardé les règlements, nous avons tous convenu que ces règlements ne respectent pas les critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sparrow où l'on ne doit pas imposer des conditions indues aux peuples autochtones dans l'exercice de leurs droits. C'est ce que l'on voit. La loi actuelle ainsi que ses règlements ou la nouvelle législation va augmenter le fardeau des communautés autochtones pour avoir un permis de possession d'arme à feu. Si vous saviez, madame la présidente, les efforts que l'on prend pour essayer d'avoir un cours de sécurité sur le maniement des armes à feu dans nos communautés. Cela est très difficile au niveau de l'énergie, du temps et des argents qu'on y met. En fait, je pourrais reprendre chacun des arguments qui ont été énoncés tantôt par les Cris auxquels nous souscrivons. Il y a plusieurs difficultés dans l'administration de ce règlement. Nous nous sommes dit pourquoi ne pas avoir un contrôleur autochtone des armes à feu qui verra à l'administration de la loi d'une manière qui sera plus adaptée ou d'une manière plus souple qui va, à la fois, sauver des argents au gouvernement fédéral mais faciliter aussi l'administration de la loi et de la réglementation, ainsi que faciliter l'accès des Autochtones aux permis et à toutes les conditions administratives qui existent dans la réglementation pour avoir accès à une arme à feu.

[Traduction]

La présidente: Oui. Je suis sûre que vous êtes conscient que la Loi sur les armes à feu autorise la nomination de contrôleurs autochtones des armes à feu mais cette responsabilité relève de la province et non du gouvernement fédéral.

M. Mckenzie: Voulez-vous dire en vertu de la loi actuelle? Nous avons fait des représentations à Pierre Vincent, le contrôleur des armes à feu du Québec.

Pour vous le prouver, je vous renverrai à une résolution présentée par l'Assemblée des Premières nations du Québec, Labrador. Je ne la lirai pas en entier. Essentiellement, cette résolution invite le ministre de la Justice du Canada à nommer un contrôleur des armes à feu pour la province de Québec. Les Cris et les autres Autochtones ou Indiens ont tâché de faire nommer un contrôleur autochtone des armes à feu, mais sans succès parce qu'à l'heure actuelle, le gouvernement du Québec administre certains aspects de la loi de façon très discrétionnaire. C'est donc impossible, même si cette disposition est prévue par la loi. Je vous crois, mais ce n'est pas le cas. J'ignore si c'est à cause de la «société distincte», ou de quoi que ce soit d'autre.

La présidente: La réalité, c'est qu'il existe certains pouvoirs provinciaux dans ce pays. Je pense que nous sommes tous conscients des difficultés que cela pose parfois. Cependant, la loi autorise la nomination d'un proposé autochtone aux armes à feu mais cette nomination doit être faite par la province.

Le sénateur Watt: Ma question ne s'adresse pas aux témoins mais à vous, madame la présidente. Comme vous parlez de pouvoirs, il appartient donc aux gouvernements provinciaux de mettre en oeuvre cette disposition. Le gouvernement provincial est-il d'accord avec le gouvernement fédéral pour nommer des préposés locaux aux armes à feu, ou préfère-t-il ne pas le faire?

La présidente: Je ne peux pas répondre à cette question, sénateur Watt. Je peux simplement vous indiquer ce que prévoit la loi, c'est-à-dire que ce pouvoir existe. Je ne sais pas comment il sera exercé.

M. Mckenzie: J'aimerais simplement ajouter un mot sur la nomination des préposés aux armes à feu. Nous devons comprendre que le gouvernement fédéral a une responsabilité fiduciaire à l'égard des Autochtones qui vivent dans la province du Québec; de plus, en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle, les Indiens et les terres réservées aux Indiens relèvent de la compétence du gouvernement fédéral. Si nous voulons examiner toute la portée du rapport de la Commission royale, nous devons commencer par considérer les Autochtones comme des partenaires dans le cadre de la Confédération et non pas comme des citoyens d'une province. Il est possible que le gouvernement fédéral et les Autochtones qui vivent dans la province du Québec concluent des ententes sur un certain nombre de questions, y compris la nomination d'un contrôleur des armes à feu.

[Français]

M. Mckenzie: Je voudrais revenir au commentaire formulé par le sénateur concernant l'article 2.3 de la loi elle-même sur la clause de non atteinte aux droits ancestraux et ses traités. C'est bien d'avoir ces dispositions et l'article 117u) mais cela ne donne rien au peuple autochtone à l'heure actuelle. Je vais vous expliquer pourquoi. Comme viennent de l'affirmer les Cris, si nous ne pouvons pas avoir les modifications que nous voulons dans les lois et dans les réglementations, nous serons forcés d'aller devant les cours. Or, devant les cours ce que plaide le ministère de la Justice du Canada c'est justement que nous n'avons pas de droits ancestraux dans plusieurs domaines. La clause de non atteinte aux droits ancestraux ne donne pas de droits. Cette clause est une boîte vide au niveau légal. Pourquoi? Parce que le ministère de la Justice du Canada, devant les tribunaux, doit faire le contraire, il va tout faire pour nier les droits des peuples autochtones. C'est pour cette raison qu'il est insuffisant d'avoir ces clauses. C'est un minimum, c'est vrai, mais il aurait fallu rechercher plus dans les réglementations. Les peuples autochtones qui ont comparu devant ce comité et devant le comité de la Chambre des communes, ont fait bon nombre de recommandations qui sont simples et qui peuvent faciliter l'administration de la loi. Nous vous encourageons encore une fois à communiquer avec le ministre de la Justice, Allan Rock, pour que les recommandations des peuples autochtones soient prises en compte. Si la loi doit être modifiée pour nommer des contrôleurs autochtones sur une base bilatérale entre le gouvernement fédéral et les peuples autochtones qu'on le face et qu'on modifie la loi.

M. Bellefleur: Madame la présidente, nous aimerions vous remercier de nous avoir invités à comparaître devant ce comité. Il est sûr que pour nous, étant d'une région éloignée, c'est difficile au niveau du transport et c'est d'autant plus difficile quand l'on regarde la façon que sont écrits ces règlements, quand on explique à la population, aux chasseurs ou aux trappeurs que selon tel article vous ne devez pas faire ceci ou cela, il ne comprennent pas cela. Comme je le disais, mon père n'a jamais été à l'école. Lorsque qu'on leur explique que des autorités de l'extérieur les empêchent de porter une arme, d'acquérir ou d'acheter de nouvelles armes, c'est sûr qu'ils se demandent qui sont ces gens, on ne les voit pas. Ce n'est que lorsqu'il y a des crises que l'on voit ces gens. Autrement, ils ne viennent pas nous expliquer ou nous consulter sur les lois qui affectent les droits des Premières nations de Mamit Innuat.

M. Mckenzie: Avant de prendre notre avion, nous sommes partis de Sept-Îles ce matin et à 18 h 15, il nous faudra retourner. Cela engendre des coûts de transports pour les gens, des coûts énormes pour faire des représentations devant les comités. Nous espérons souvent voir des résultats de nos représentations.

Sur la question des permis -- les Cris ont parlé des coûts des permis tantôt -- s'il y a une recommandation au niveau de la réglementation, c'est pour bonifier la réglementation. C'est la même recommandation que nous avons faite lorsque nous avons rencontré les fonctionnaires du Centre canadien des armes à feu. Il ne faudrait pas faire l'erreur, à notre avis, de mettre dans le même panier les chasseurs de subsistance et les peuples autochtones. Il ne faudrait pas faire cette erreur. Il est vrai les autochtones sont des chasseurs de subsistance sauf que les chasseurs de subsistance non autochtones n'ont pas des droits garantis dans la Loi constitutionnelle de 1982.

Est-ce que moi, en tant qu'avocat, bureaucrate de ma nation qui va quelques fois dans le territoire, je vais répondre à ce critère? Suis-je un chasseur de subsistance? En tant qu'Autochtone, oui j'aimerais être exempté des droits. J'aimerais avoir des permis pour l'obtention des armes à feu. Mais en tant que chasseur de subsistance, je ne pourrais pas l'avoir. Pourquoi? Parce que je ne pratique pas la chasse de subsistance. Je suis avocat et je ne pourrais pas le faire.

C'est le cas de bon nombre de citoyens. C'est là que le pouvoir discrétionnaire du contrôleur des armes à feu de la SQ non autochtone intervient et entre en jeu. C'est un blanc qui va me dire: d'accord toi, tu ne vas pas à la chasse. Il va regarder M. Bellefleur ou un autre aîné de notre communauté et il va dire: oui, toi, tu vas à la chasse, tu pratiques tes droits ancestraux, tu as le droit d'être exempté des frais. Ce ne sera pas mon cas à moi et bon nombre d'individus.

Ne faites pas l'erreur de mettre dans le même panier chasseurs de subsistance et peuple autochtone. Les chasseurs de subsistance n'ont pas de droits ancestraux garantis dans la Loi constitutionnelle de l982.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Mckenzie, je ne sais pas si vous étiez ici lorsque nous avons fait la distinction entre les mots anglais «subsistence» et «sustenance». Dans la version anglaise, on parle en fait de «sustenance», dont la portée est plus vaste que celle de «subsistence». Je pense et j'espère que vous seriez admissible selon la définition de «sustenance»; cependant, en tant qu'avocat qui, j'espère, aura de plus en plus de succès, vous risquez de ne pas être admissible selon la définition de «subsistence».

M. Mckenzie: La version française ne fait aucune distinction de ce genre. On utilise le même mot. Cela risque de causer un léger problème.

La présidente: Effectivement. Nous aurions peut-être intérêt à porter ce problème à l'attention du gouvernement.

Je tiens à préciser que nous sommes autorisés à payer une partie des dépenses que vous encourez en tant que témoins qui comparaissent devant ce comité, ce que nous ferons d'ailleurs avec plaisir.

M. Mckenzie: Pour les deux?

La présidente: Nous ne pouvons payer les dépenses que d'un seul représentant de chaque groupe. Cependant, comme les mêmes règles s'appliquent au comité de la Chambre des communes devant lequel vous avez aussi comparu, il pourrait peut-être payer les dépenses de l'un d'entre vous et notre comité les dépenses de l'autre pour que vous soyez tous deux remboursés dans ces circonstances particulières.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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