Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 47 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 13 février 1997
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-53, Loi modifiant la Loi sur les prisons et les maisons de correction, se réunit ce jour à 10 h 32 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) préside la séance.
[Traduction]
La présidente: Bonjour, honorables sénateurs, nous sommes ici pour examiner le projet de loi C-53, Loi modifiant la Loi sur les prisons et les maisons de correction.
Nous allons entendre ce matin deux témoins du Bureau du vérificateur général du Canada.
Vous avez la parole.
M. Robert Cormier, directeur, Analyse de politiques correctionnelles, Direction des affaires correctionnelles, Solliciteur général du Canada: Madame la présidente, c'est un honneur pour moi de me trouver devant le comité pour vous parler brièvement du projet de loi C-53 modifiant la Loi sur les prisons et les maisons de correction. Nous sommes là, mon collègue et moi, sommes là pour répondre à toutes les questions que vous auriez concernant ce projet de loi, mais je voudrais commencer par un bref exposé d'introduction.
Le projet de loi sera, pour l'essentiel, à l'avantage des provinces et territoires en assurant un cadre législatif plus souple pour les programmes de permission de sortir. Il comprend quatre points essentiels que je voudrais rapidement passer en revue.
Ces programmes sont maintenant assortis d'une déclaration énonçant leur objet et les principes qui les gouvernent, déclaration inspirée de celle qui figure dans la loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition quand celle-ci fut promulguée en 1992, et elle s'applique aux libérations conditionnelles et aux permissions de sortir des établissements pénitentiaires du gouvernement fédéral. Cette déclaration d'objet et de principes, d'après notre expérience, a été précieuse en ce sens qu'elle a fourni un cadre uniforme aux programmes de libération conditionnelle.
Le deuxième point important, c'est que le projet de loi va augmenter la durée maximale des PS de 15 à 60 jours, avec pouvoir explicite de renouvellement après évaluation du dossier. Ceci assurera aux autorités compétentes une plus grande latitude qui leur est nécessaire pour assurer la gestion de la population carcérale, tout en prévoyant, à titre de sauvegarde, une réévaluation quand une demande de permission de sortir est examinée.
Le troisième point important du projet de loi, c'est qu'il permet aux autorités compétentes de créer des catégories de PS en plus des trois catégories expressément prévues par la loi -- à savoir pour des raisons médicales ou humanitaires et pour la réadaptation ou réinsertion sociale du prisonnier -- à condition que ces nouvelles catégories de PS soient conformes à l'objet et aux principes de la loi. Là encore il s'agit de donner plus de souplesse au système, mais dans un cadre cohérent et logique.
Le quatrième point essentiel, ce sont les dispositions explicites pour la suspension, l'annulation et la révocation de permissions de sortir, ainsi que le pouvoir d'arrêter et de réincarcérer. La loi actuelle a laissé ce point dans l'ombre. Il a semblé souhaitable de remiser à ce silence, les mesures à prendre dans des cas exigeant la suspension et la révocation des permissions de sortie étant importantes pour la sécurité publique.
En cinquième lieu, le projet de loi autorisera les diverses compétences à mettre en place des critères concernant l'admissibilité aux permissions de sortir. Cette admissibilité pourrait être restreinte, en fonction de la longueur de la peine ou de la catégorie du délit. Des critères pourraient également être établis pour relier entre eux les programmes de libération conditionnelle. C'est ainsi qu'un délinquant dont la libération conditionnelle a été révoquée ne serait pas admissible à une permission de sortir, à l'exception de celle accordée pour des raisons médicales.
Je vous ferai remarquer que ces amendements ont été approuvés par les ministres responsables de la justice dans les provinces et les territoires quand ces derniers se sont rencontrés en mai 1996, et ont reçu de leur part un accueil très favorable.
En résumé, le projet de loi C-53 donnera latitude aux diverses compétences pour adapter leurs programmes de PS en fonction de leurs besoins, tout en maintenant un consensus national sur certains éléments essentiels.
Cela met fin à mes remarques préliminaires. Nous sommes maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
Le sénateur Beaudoin: Vous avez déjà répondu à ma première question: toutes les provinces, dont le Québec, ont donc approuvé ce projet de loi.
M. Cormier: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec l'objet du projet de loi, mais pourquoi parlez-vous du lieutenant gouverneur, au lieu du lieutenant gouverneur en conseil? Y a-t-il une raison à cela?
M. Normand Payette, analyste principal des politiques, Analyse de politiques correctionnelles, Direction des affaires correctionnelles, Solliciteur général du Canada: Vous constaterez, sénateur, que la définition de gouverneur général est donnée à l'article 2. Elle ne se trouve pas dans le projet de loi, mais elle figure intégralement dans la Loi sur les prisons et les maisons de correction.
Le sénateur Beaudoin: Est-ce que cela comprend le Cabinet?
La présidente: La question, monsieur Payette, est la suivante, je crois: dans les définitions intégrales, est-il dit «lieutenant gouverneur en conseil»?
M. Payette: Oui, c'est effectivement ce qui y figure.
Le sénateur Beaudoin: Il est dit «en conseil» dans la loi principale.
M. Payette: Cela fait partie de la définition complète.
Le sénateur Beaudoin: Ma question suivante porte sur la Charte des droits.
[Français]
Je ne vois pas de difficulté sauf à l'article 7 concernant les principes de justice fondamentale, mais je pense que vous les rencontrez bien. Dans le fond, vous voulez donner une liberté au lieu de la restreindre. J'imagine que cela a été considéré au ministère de la Justice pour les fins de la Charte des droits.
M. Cormier: Oui, justement au niveau des principes on renforce le fait qu'il faut que la forme de surveillance soit la moins restrictive possible, dans un premier temps, et, dans un deuxième temps, en ce qui a trait au devoir d'agir équitablement, on précise que lorsqu'une décision doit être prise à l'égard d'un prisonnier, celui-ci doit avoir la possibilité de présenter ses observations avant que la décision soit prise à son égard.
Le sénateur Beaudoin: Dans ces projets de loi, je trouve toujours que l'on peut améliorer nos lois bien sûr et on le fait. Ce qui m'inquiète plus que cela, c'est l'application de ce genre de loi en pratique. Cela a été mon attitude pour les libérations conditionnelles. Je disais toujours que ce n'est pas que la loi est si mal faite mais elle est peut-être bien mal appliquée dans certains cas. On libère des gens qui ne devraient pas l'être selon la preuve.
Ce projet de loi parle des prisons provinciales où la sentence n'excède pas deux ans moins un jour. Pour des infractions fédérales la sentence se purge dans un pénitencier où les sentences sont plus longues. Il pourrait arriver, dans certains cas, que l'infraction en soit une sujette au droit criminel quand même. Cela est peut-être rare mais quelqu'un pourrait être condamné pour une infraction aux lois pénales et se retrouver dans une prison plutôt que dans un pénitencier. À ce moment-là, si l'on permet au détenu d'en sortir, il faut agir avec plus de prudence. Il n'y a rien dans la loi là-dessus.
M. Payette: Vous soulevez une excellente question. Actuellement, les provinces accordent des permissions consécutives. En vertu de la loi actuelle, on peut consentir une permission allant jusqu'à un maximum de 15 jours. Maintenant la loi accordera aux provinces le droit d'accorder des permissions de sortir, suivant le type de permission qu'il crée, jusqu'à un maximum de 60 jours, mais à la seule condition que l'autorité désignée veuille renouveler cette permission de sortir et que l'on procède à un réexamen du dossier. Vous allez voir dans l'énoncé de l'objet et des principes que l'on essaie de renforcer la protection de la société et c'est la réadaptation du délinquant qui doit primer. C'est une façon, pour ainsi dire, d'établir des normes quand même minimales mais qui vont s'appliquer à l'échelle du pays et des normes auxquelles les provinces accepteront d'adhérer.
Il est sûr, suivant le type de délinquant, que les délinquants présentent différents niveaux de risques. C'est la fonction des critères que les provinces vont devoir établir. Un individu à qui l'on a accordé une libération conditionnelle et que celle-ci par la suite est révoquée et qu'il se retrouve en établissement, ne devrait pas être admissible immédiatement et recevoir une permission de sortir. Cela serait une contradiction. Il y a un risque au niveau de la collectivité. Les préoccupations que vous avez exprimées ont été considérées dans la rédaction de ce projet de loi.
[Traduction]
La présidente: À titre d'éclaircissement, je comprends certainement qu'une permission de sortir soit donnée pour des raisons médicales ou humanitaires. Prenez le cas d'un détenu qui a besoin d'un traitement chimiothérapeutique: ce serait un motif médical. Un détenu pourrait, par exemple, avoir un parent âgé qui nécessiterait des soins, et obtiendrait une permission de sortir pour s'occuper de ce parent, ce qui serait un motif humanitaire. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de cas où un détenu obtiendrait une permission de sortir pour assurer sa réadaptation ou sa réinsertion sociale?
M. Cormier: Certainement. Prenez l'exemple d'un détenu qui voudrait se faire traiter pour sa toxicomanie, dans les cas où l'établissement ne peut assurer ce traitement, mais que celui-ci soit possible dans la collectivité. Tout programme de traitement qui semble approprié pour le détenu, si l'on pense pouvoir courir le risque de le remettre dans la collectivité, pourrait entrer dans cette catégorie.
La présidente: Si j'ai bien compris, la plupart des détenus que nous réinsérerions dans la société seraient en liberté conditionnelle de jour. Quels autres exemples de réinsertion exigeraient une permission de sortir?
M. Cormier: «Réinsertion» est un terme très vaste; il porte sur la réinsertion d'un délinquant qui, ayant purgé une peine de prison, retourne dans la société. Dans les cas de permission de sortir, ces permissions sont données à des délinquants qui ont reçu des peines plus légères et qui normalement ne sont pas admissibles à la libération conditionnelle. Ce sont là des programmes considérés comme complémentaires, en particulier pour les délinquants condamnés à des peines relativement légères et auxquelles on accorde des permissions de sortir.
Le sénateur Doyle: Dans le document d'information du projet de loi, madame la présidente, au troisième paragraphe, il est dit que ces amendements entérinent simplement les pratiques actuelles. Il y a déjà un an que ce projet de loi existe, et il a été présenté aux provinces. Ces pratiques étaient-elles courantes il y a plus d'un an, avant que nous n'ayons même pu prendre connaissance du projet de loi?
M. Cormier: Cette référence aux pratiques actuelles vise la pratique d'absence temporaire répétée. Il est exact que les provinces octroient des permissions de sortir plus longues en renouvelant simplement, tous les 15 jours, les permissions de sortir, mais c'est là une procédure problématique.
En imposant une durée maximale de 60 jours, ce projet de loi donne une base plus légitime à ces catégories d'absences temporaires prolongées, actuellement octroyées par la méthode de renouvellement. On sanctionne donc ainsi une pratique courante, mais en lui assurant un meilleur cadre législatif.
Le sénateur Doyle: Est-ce à dire que jusqu'au moment où ce que nous adoptons aujourd'hui parvienne aux établissements provinciaux, ces permissions de sortir seront administrées en fonction d'un facteur de commodité plutôt qu'en fonction des dispositions de la loi? Vous avez maintenant prolongé à 60 jours ces permissions de sortir pour les lois des provinces; qu'est-ce qui les empêche de passer à 120 jours? Avez-vous prévu un dispositif quelconque? Il me déplairait fort de voir traiter de la même manière la question de la peine de mort, si un groupe jugeait commode de la réintroduire; en effet, jusqu'à ce que la loi soit adoptée, un grand nombre de Canadiens pourraient y perdre la vie.
M. Cormier: L'intention, en l'occurrence, est de laisser plus de latitude aux provinces qui sont libres, en dernier ressort, de choisir la façon dont elles usent de cette latitude. Toutefois, en prévoyant une durée maximale de 60 jours, nous avons inclus une disposition exigeant une réévaluation de la loi. À cette fin, il faudra que les autorités provinciales s'assurent qu'une prolongation de permission est justifiée et ne présente pas de risques excessifs, pendant une autre période, pour la collectivité, quelle que soit la proposition qui est faite.
Ce cadre de fonctionnement permet la gestion intelligente du programme de permission de sortir par les provinces. Nous nous attendons à ce que ce soit géré de cette façon-là.
Le sénateur Doyle: En d'autres termes, il s'agit de lignes directrices. Il ne s'agit pas d'une règle de droit, comme dans d'autres projets de loi présentés devant ce comité. Il ne s'agit donc pas toujours de l'observer nécessairement, mais en règle générale lorsque c'est justifié.
M. Cormier: Nous avons mis en place un cadre de fonctionnement, y compris une déclaration d'objet et de principes qui a pour but de servir de guide à l'application uniforme des permissions de sortir dans les provinces et les territoires. C'est là l'intention du projet de loi.
Le sénateur Doyle: Si ce nouveau programme amélioré a été adopté par les provinces en mai dernier, où était-il entre-temps?
M. Cormier: Je ne crois pas qu'il soit juste de dire qu'il a été adopté par les provinces. Le travail accompli par les hauts fonctionnaires fédéraux, provinciaux et territoriaux pour préparer des propositions répondant aux préoccupations soulevées par la Loi sur les prisons et les maisons de correction concernant les permissions de sortir, se poursuit depuis 1993. Les résultats des recommandations de cette étude ont été acheminés aux ministres provinciaux et territoriaux en mai dernier. Ils ont appuyé ces recommandations. Bien sûr, il faut quand même modifier la loi fédérale sur les prisons et les maisons de correction. Ces dispositions ont donc été préparées sous forme de projet de loi et présentées dans les règles.
Le sénateur Doyle: C'est ce que je vous ai demandé.
La présidente: Sénateur, si vous me permettez de vous fournir ce renseignement, ce projet de loi a été déposé à la Chambre des communes le 18 juin 1996.
Le sénateur Doyle: Aucune suite n'y a été donnée depuis lors.
La présidente: Jusqu'à cette semaine, non.
Le sénateur Doyle: Voilà la réponse que je cherchais. J'ai cru pour un instant que j'avais tort.
Le sénateur Milne: Pour continuer sur la même lancée que le sénateur Doyle, si une permission de sortir de 60 jours est accordée, il doit y avoir réexamen du dossier avant qu'une nouvelle demande ne puisse être accordée. Je pense que le mot clé est «doit». Selon le projet de loi, il doit y avoir réexamen du dossier. Est-ce exact? Où trouvons-nous cela dans le projet de loi?
M. Payette: Au paragraphe 7.4(1).
Le sénateur Moore: Le mot «doit» n'y figure pas.
M. Cormier: Cela dit «après réexamen du dossier».
La présidente: Y a-t-il d'autres questions?
Monsieur Cormier, monsieur Payette, merci pour votre présentation ici ce matin.
Honorables sénateurs, le comité estime-t-il qu'il est prêt à passer à l'étude article par article et à l'adoption du projet de loi, ou préférez-vous remettre cela à notre prochaine rencontre?
Le sénateur Milne: Je serais prêt à proposer que rapport soit fait du projet de loi sans amendements.
La présidente: Les sénateurs ici présents sont-ils tous d'accord avec cela?
Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec le projet de loi.
Le sénateur Doyle: Pourvu, bien sûr, que notre hâte ne cause pas une grande consternation à l'autre endroit.
La présidente: Permettez-moi de rassurer le sénateur Doyle que je signalerai à l'autre endroit que, lorsque nous sommes saisis de bons projets de loi, nous pouvons les traiter très rapidement dans cette chambre.
Le sénateur Milne: Je propose que la présidence fasse rapport de ce projet de loi sans amendements.
La présidente: D'accord, honorables sénateurs?
Des voix: D'accord.
La présidente: Il en est ainsi ordonné.
La séance est levée.