Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 48 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 5 mars 1997
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 23, pour examiner le projet de loi S-10, Loi modifiant le Code criminel (organisation criminelle).
Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous examinons cet après-midi le projet de loi S-10, Loi modifiant le Code criminel (organisation criminelle). Il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire qui est parrainé par l'honorable Fernand Roberge.
Bienvenue, sénateur Roberge. Nous sommes heureux de vous accueillir parmi nous. Je suis certaine que les sénateurs auront des questions à vous poser, une fois votre exposé terminé.
L'hon. Fernand Roberge: Le projet de loi S-10 a été déposé au Sénat le 29 octobre. Il propose de modifier le Code criminel en définissant la notion d'organisation criminelle et en prévoyant des mesures pour lutter contre cette forme d'activité.
Le projet de loi vise à répondre aux appels répétés des autorités policières, qui réclament depuis des années une loi pour lutter contre le crime organisé. Elles m'ont d'ailleurs confirmé que le phénomène du crime organisé ne cesse de prendre de l'ampleur.
Dans un ouvrage récent intitulé The Global Mafia, qui porte sur le crime organisé international, on affirme que la perméabilité des frontières du Canada, la médiocrité de la législation visant à restreindre les mouvements de devises, la mollesse des lois en matière d'immigration et d'opérations bancaires, l'absence de politique de lutte contre le crime organisé et l'indulgence du système de justice pénale font du Canada un paradis pour le crime organisé.
[Français]
Mes collègues du Québec en particulier connaissent bien la menace que les bandes de motards représentent au Québec. Les autorités municipales et policières réclament depuis longtemps une législation spécifique pour combattre le crime organisé. Les chefs de police de Québec et de Montréal d'ailleurs appuient ma démarche aujourd'hui ainsi que plusieurs associations, notamment l'Association de la fonction publique du Québec et plusieurs autres organismes.
[Traduction]
Le projet de loi S-10 prévoit que le fait de vivre des produits provenant d'une organisation criminelle constitue une infraction. Il prévoit la saisie et la confiscation des produits provenant d'une organisation criminelle, et dispose enfin que toute personne déclarée coupable de vivre des produits provenant d'une organisation criminelle doit purger les trois quarts de sa peine avant d'être admissible à une libération conditionnelle.
J'aimerais que le Sénat fasse preuve d'objectivité politique dans ce dossier. Aucun gouvernement canadien, conservateur ou libéral, n'a jamais proposé de mesures précises pour lutter contre le crime organisé. J'estime que nous avons tous une responsabilité à cet égard en tant que législateurs et gardiens de la sécurité publique. Les Canadiens sont de plus en plus choqués de voir que les criminels utilisent la Charte des droits pour se protéger et même promouvoir leurs activités. Par conséquent, nous devons élaborer une loi qui respecte les droits et libertés garantis par la Charte, mais qui protège aussi les citoyens contre les criminels qui abusent de cette Charte.
J'aimerais que le comité se donne le mandat le plus vaste possible pour faire enquête sur le crime organisé.
[Français]
En réalité, je voudrais que le comité se transforme en quelque sorte en une CECO nationale comme il y en a eu une au Québec dans les années 1970.
[Traduction]
Nous devrions, par exemple, inviter des représentants d'organismes canadiens d'application de la loi -- la GRC et les autorités policières régionales et municipales --, des procureurs de la Couronne, des experts en la matière, des professeurs, des avocats, des anciens criminels qui sont prêts à témoigner, des juges -- du Canada et de pays qui ont pris des mesures pour lutter contre le crime organisé --, des victimes du crime organisé, les ministres fédéral et provinciaux de la Justice, les procureurs généraux, des citoyens intéressés et des associations.
Le simple fait que le Sénat se penche sur cette question porterait un grand coup aux éléments criminels qui agissent dans l'ombre. Les séances du comité devraient être largement médiatisées. Si le comité le désire, je pourrais lui proposer un plan de communication détaillé.
Je sais qu'il y a des considérations d'ordre politique qui pourraient nous décourager d'entreprendre une telle étude. Toutefois, nous avons l'obligation morale d'assurer la sécurité de nos communautés et je crois que c'est ce facteur qui devrait primer. Nous devons montrer non seulement que le crime organisé existe au Canada, mais aussi que la démocratie et les lois servent à protéger notre liberté et à assurer notre sécurité.
Avant de répondre à vos questions, j'aimerais vous lire une lettre que j'ai reçue d'un citoyen de Québec, le 18 février.
[Français]
Objet: une loi antigang.
Je demeure dans le quartier le plus pauvre de la vieille capitale, le quartier St-Roch, situé dans la basse ville de Québec, notre quartier est coupé en deux par une autoroute surélevée dont le ciment nous tombe sur la tête. Cette autoroute a été construite sous le règne de Jean Pelletier qui est aujourd'hui le chef de cabinet de M. Jean Chrétien.
Depuis des mois une guerre de gang sévit dans notre quartier, bombes, cocktails molotov, meurtres en pleine rue, encore cette nuit deux personnes ont été tirées en pleine rue.
Je fais une parenthèse. Hier matin, la même chose s'est produite dans ce quartier. Une autre personne a été tuée dans un restaurant en plein jour.
Notre quartier est dévasté, de nombreux édifices sont abandonnés, les commerces ferment les uns après les autres, ça ressemble à Beyrouth.
La moyenne d'âge de la population est la plus élevée au Canada, les gens ont peur de sortir sur la rue. Jamais nous n'avons vu notre quartier dans un tel état de délabrement et d'abandon.
Un comité qui siégerait en public est, serait nécessaire, mais comme ce comité risquerait d'éclabousser bien du monde de tous les partis politiques et de toutes les classes de la société, personne n'ose mettre en place un tel comité par manque de courage ou pour d'autres raisons.
Nous savons que le crime organisé au Canada comme ailleurs est présent partout et qu'il aurait infiltré toute les couches sociales.
Une loi antigang est nécessaire, mais nous avons l'impression que les personnes démunies comme nous, face à cette violence, sont abandonnées par les autorités gouvernementales et autres.
De simples citoyens peuvent être interceptés par la police alors que ces criminels qui terrorisent tout le monde font la pluie et le beau temps sans être incommodés, parce qu'ils font peur à tout le monde, incluant la police.
Nous sommes affligés de savoir que tant de commerces sont la propriété d'organisation criminelle et nous savons que des policiers ont toutes sortes d'emplois parallèles qui pourraient être des conflits d'intérêts inacceptables. Nous savons combien les corps policiers sont corrompus dans tant de pays et cela pourrait se produire dans notre pays ?
D'ailleurs il ne se passe pas une journée sans que des policiers ne soient traduits devant la déontologie policière, les tribunaux pour des dérapages, des crimes et cetera.
Je ne crois pas que vous réussissiez à atteindre votre but et il faut quand même beaucoup de courage pour parler et écrire sur ce sujet qui fait peur.
Nous vous remercions de votre courage et de vous battre contre vents et marées pour amener vos collègues sénateurs à réfléchir sur ce sujet et qui n'ont rien à perdre, car contrairement à des millions de Canadiens et de Canadiennes qui tirent le diable par la queue et à toutes ces victimes d'actes criminels, vos collègues reçoivent un salaire décent et s'ils étaient un peu plus courageux, peut-être, que le Sénat aurait une meilleure image parmi les citoyens de notre pays.
Cette lettre est personnelle à cause de la délicatesse du sujet.
Mes salutations les plus sincères.
Merci de votre dévouement pour notre pays.
P.S. Ce qui nous inquiète également c'est que les criminels ne purgent plus leur peine en prison, on a fermé cinq prisons au Québec et le directeur de la prison provinciale de Québec doit relâcher les criminels car il n'y a plus de places libres dans les prisons. Et des gens qui sont agressés ne portent plus plainte car ils vont se retrouver face à face à leur agresseur à sa sortie de prison.
[Traduction]
De plus en plus de Canadiens, du moins dans la province de Québec, éprouvent de vives inquiétudes au sujet des activités criminelles, en particulier du crime organisé, des bagarres entre motards et des gens innocents qui risquent d'être attaqués ou encore atteints, blessés ou tués d'une balle. Les gens commencent à s'inquiéter. Ils trouvent que la charte ne leur accorde aucune protection à cet égard. Je crois sincèrement que le comité, et le Sénat dans son ensemble, devraient mettre sur pied une commission d'enquête sur le crime organisé.
Je suis prêt à répondre à vos questions, honorables sénateurs.
La présidente: Merci, sénateur Roberge.
Sénateurs, je tiens à préciser que la version anglaise du sommaire du projet de loi contient une erreur à la cinquième ligne. On y lit ce qui suit:
[...] a term of imprisonment of not less than one year and not more than ten years.
Ce n'est pas exact. Ce n'est pas ce que prévoit le projet de loi. Il précise que la personne qui commet un acte criminel est passible d'un emprisonnement maximal de 10 ans.
Le sénateur Roberge: La version française est exacte.
La présidente: En effet. C'est la version anglaise qui est incorrecte.
[Français]
Le sénateur Nolin: Il n'y a pas de doute que vous nous invitez à entreprendre un travail qui ne se terminera pas aujourd'hui. Je prends la réunion d'aujourd'hui comme étant vraiment introductive.
Le sénateur Roberge: C'est exact.
Le sénateur Nolin: Mes questions n'ont vraiment pas l'intention de descendre dans le détail de ce projet de loi. Il n'y a pas de doute que vous avez décrit à l'aide de cette correspondance d'un Québécois, une situation qui n'est pas uniquement urbaine à Montréal mais aussi rurale. Les organisations criminelles, au Québec à tout le moins, je viens moi aussi de la province de Québec, se sont infiltrées dans plusieurs domaines d'activités légitimes. Cette situation se fait presque au grand jour, au vu et au su des autorités policières et gouvernementales. Nos lois sont impuissantes à corriger cette situation.
Le sénateur Roberge nous invite à entreprendre un effort de recherche, un peu comme cela a été fait dans d'autres juridictions, dans d'autres pays. C'est un peu sur cela, sénateur Roberge, que je voudrais que vous nous expliquiez un peu quel modèle vous avez examiné pour nous offrir ce projet de loi? Avez-vous des commentaires sur ce que qui s'est fait ailleurs aux États-Unis et en Italie?
Le sénateur Roberge: Il est sûr que la loi canadienne est totalement différente des lois de ces pays. Dans certains de ces pays, il y a beaucoup plus de latitude. La Charte n'accorde pas nécessairement la même protection aux individus qu'au Canada. Mais les États-Unis, la France, l'Italie, le Japon, la Russie, la Suisse et Hongkong ont tous des lois antigang. Je ne veux pas aujourd'hui expliquer chacune d'entre elles versus ce que l'on propose. Ce sont des lois qui existent depuis plusieurs années pour contrer ce problème grandissant à l'échelle de la planète. Vous avez la globalisation des marchés, la globalisation du crime et les ententes qu'elles ont entre elles, ce sont des ramifications incroyables qui se passent partout dans le monde.
Je pense qu'on peut adapter au Canada une loi qui protège quand même la Charte des droits et des libertés. Mais je me fie beaucoup à la capacité des sénateurs d'améliorer cette loi proposée pour apporter des suggestions pour vraiment faire face à cette situation désastreuse.
Le sénateur Nolin: Aux États-Unis plus particulièrement, il y a une Charte, un régime de protection des droits individuels. Je vois en lisant votre projet de loi que vous proposez d'utiliser une clause dérogatoire pour suspendre, à toutes fins pratiques, la protection accordée par la Charte.
Le sénateur Roberge: Oui.
Le sénateur Nolin: Pouvez-vous nous expliquer comment cela se passe aux États-Unis? Comment les Américains en sont-ils venus à mettre en place une procédure particulière pour les organisations criminelles?
Le sénateur Roberge: Ils ont défini la notion d'organisation criminelle et le nombre de personnes qui font partie d'une organisation criminelle. En définissant la notion d'organisation criminelle, ils ont adopté une loi qui empêche de faire partie d'une organisation criminelle. En rendant l'organisation criminelle comme telle illégale, à ce moment-là, on peut apporter plusieurs mesures pour pouvoir enchâsser dans notre système des protections, et de ce fait, faire face aux criminels et les inculper.
Le sénateur Gigantès: Nous avons déjà une loi qui permet la saisie des gains qui proviennent du crime. Nous avons des lois qui sanctionnent tous les crimes commis par les criminels. Alors même aux États-Unis, si je ne me trompe pas, quand on arrête quelqu'un, il faut d'abord prouver qu'il est un criminel. Il faut prouver qu'il appartient à une organisation et il faut prouver que cette organisation est criminelle. D'après ce que je lis, cette loi n'a pas produit grand-chose. Quant à une clause dérogatoire pour la Charte, là mollo, s'il vous plaît, parce que cela donne des droits draconiens à la police. Comme vous le disiez vous-même, la police n'est pas toujours composée d'anges protecteurs du citoyen mais il y a parmi eux aussi des criminels. Je n'aime pas les criminels. Je voudrais qu'ils aillent en prison, qu'ils purgent des peines, qu'ils soient condamnés, qu'ils passent en cour, qu'on les trouve coupables s'ils le sont et qu'on les mette en prison. Il faudrait nous convaincre que le système qu'on a maintenant n'est pas suffisant. Je sais que comme tout filet, il laisse passer des choses. Mais pour avoir une protection absolue, une garantie absolue, je crois que l'on cherche l'impossible. Je vous demanderais de vous pencher sur la limite qu'il y a entre un régime totalitaire qui pourrait utiliser des moyens beaucoup plus forts pour combattre le crime et un régime démocratique qui quand même protège les droits des personnes et qui est basé sur la présomption d'innocence.
Le sénateur Roberge: Je vous comprends très bien. D'ailleurs j'ai des sentiments partagés à ce sujet. Cependant je pense que l'élément le plus important que je veux apporter au comité et au Sénat, c'est l'importance pour le comité et les sénateurs d'être conscients de la situation qui empire d'année en année. Soit que le comité ou le Sénat puisse faire des lois, soit qu'il donne plus de muscle aux corps policiers pour pouvoir mieux faire le travail. Il y a plusieurs façons de le faire. Beaucoup d'éléments peuvent être apportés dans cette loi. J'espère aussi que ce comité crée une commission d'enquête sur le crime organisé pour commencer à démasquer à l'échelle nationale cette situation et de montrer à la population qu'on agit, qu'on fait quelque chose.
Nous sommes concernés, cela empire; des gens se font tuer, des innocents se font tuer. Nous sommes au troisième degré maintenant. Nous sommes au degré où les organisations criminelles achètent d'une façon ou d'une autre, des sociétés légitimes par de l'argent blanchi. Quand nous en sommes à ce point-là, c'est extrêmement dangereux.
Ce que je souhaite le plus au monde, c'est que l'on crée une commission d'enquête pour sensibiliser le législateur.
Le sénateur Gigantès: Nous savons déjà que ces choses se passent. Il y a aussi la question de l'administration du droit pénal, ce sont les provinces qui administrent le droit pénal. La législation est passée par le fédéral. Vous dites alors que l'administration du droit pénal est mauvaise, si je comprends bien? Que la police peut être malhonnête, qu'elle ne fait pas bien son job ou quoi?
Le sénateur Roberge: Non, ce n'est pas ce que je dis. J'ai dit que nous avons besoin de lois qui ont plus de muscles, de façon à donner plus de moyens aux organisations policières de combattre, et cela à tous les niveaux: fédéral, provincial, municipal.
Le sénateur Gigantès: Vous allez jusqu'à proposer une clause dérogatoire?
Le sénateur Roberge:Le comité en jugera. Ce que je vous dis aussi, c'est que cette loi est déposée pour sensibiliser le Sénat et faire connaître à la population que l'on prend action, que l'on agit, que l'on fait quelque chose, que l'on bouge. Si nous sommes capables d'améliorer cette loi, j'en serai le plus heureux.
Le sénateur Gigantès: Si je comprends bien, vous nous avez lu une lettre de quelqu'un qui est très conscient de ce qui se passe et vous aussi, vous l'êtes et «la une» des journaux du Québec est remplie de ces choses-là, tout le monde le sait. Il y a une enquête sur la Sûreté du Québec qui s'en vient et qui va toucher ces sujets. Si on se mêle de cela, est-ce que l'on ne va pas se faire dire par le gouvernement du Québec qu'on se mêle de l'administration du droit pénal, qui est du domaine provincial?
Le sénateur Roberge: Ce n'est pas du tout la même chose. C'est une loi fédérale, ce n'est pas une loi provinciale.
Le sénateur Gigantès: Mais, l'administration est provinciale.
Le sénateur Roberge: On ne parle pas de l'administration.
Le sénateur Nolin: Si je peux me permettre, sénateur Gigantès. Vous aviez tout à fait raison, l'administration de la justice est provinciale. Ce que le sénateur Roberge nous invite à entreprendre c'est beaucoup plus que cela. Si je comprends bien votre démarche, l'état de la situation du crime organisé au Canada est connu par les forces policières et mérite d'être mis au grand jour et partager ce niveau de connaissance. Vous nous proposez donc de faire cela au Sénat.
Le sénateur Roberge: D'accord.
Le sénateur Nolin: Il y a donc une première étape de prise de connaissance avec la situation du crime organisé au Canada. Après cela, votre projet de loi sera examiné. Je présume que les forces policières vont nous faire des suggestions et vont nous dire qu'elles ont les mains liées et nous présenter les faits. Ce n'est pas juste montréalais, ce n'est pas juste québécois ce problème. Les forces policières vont nous expliquer que les groupes de motards font la pluie et le beau temps et qu'il y a des limites au pouvoir que les policiers ont et vont nous expliquer ces limites. Il n'y a pas que de méchants policiers qui vont venir témoigner, il y a des gens consciencieux de la poursuite des objectifs du travail qu'on leur confie. Ils vont venir nous dire qu'ils ne peuvent plus avancer et nous présenter les limites de leur pouvoir. Ils vont nous demander de leur accorder plus de pouvoir et nous expliquer pourquoi. C'est comme cela que je vois la démarche.
Le sénateur Roberge: C'est exact.
[Traduction]
Le sénateur Gigantès: Madame la présidente, puisqu'il s'est adressé à moi, puis-je répondre?
La présidente: Oui.
[Français]
Le sénateur Gigantès: Les chefs policiers du pays se rencontrent souvent et parlent entre eux, puis ensuite ils émettent des communiqués, parlent à la presse et au public; ils connaissent la situation et on lit ce qu'ils savent de la situation. Ce n'est pas quelque chose d'inconnu.
Que va-t-on leur dire? Va-t-on leur dire qu'ils peuvent arrêter des gens sans avoir des preuves suffisantes pour ce faire? C'est-à-dire les preuves qu'un juge demanderait, à savoir un mandat d'arrestation? Va-t-on leur dire qu'ils vont pouvoir les retenir en prison plus longtemps que ne le permettrait un juge? Qu'ils n'ont pas besoin de les relâcher en 24 heures, s'ils n'ont pas...
Le sénateur Nolin: Fait comparaître devant un juge.
Le sénateur Gigantès: C'est quoi? Est-ce cela les armes qu'ils veulent?
Le sénateur Roberge: Ces gens qui vont venir témoigner à la commission d'enquête du Sénat vont venir vous dire qu'ils ont les mains liées et nous suggérer ce qu'il pourrait y avoir à l'intérieur d'une loi fédérale, qui nous aiderait à mieux contrôler cette situation désastreuse. Par exemple, pourquoi y a-t-il des billets de 1 000 $? Est-ce nécessaire d'avoir des billets de 1 000 $ qui facilitent le blanchissement d'argent? Il y a énormément de sujets que les policiers voudraient aborder devant un comité officiel du Sénat.
[Traduction]
La présidente: Avant de laisser la parole aux autres, j'aimerais avoir une précision. Vous semblez demander deux choses. Vous voulez que le comité se penche sur ce projet de loi, mais vous laissez également entendre que le projet de loi n'est peut-être pas parfait dans sa forme actuelle, et qu'il serait donc important qu'on étende notre étude à d'autres aspects de la question.
Le sénateur Roberge: C'est exact. J'avais besoin du projet de loi pour attirer votre attention.
La présidente: Mais vous auriez pu procéder d'une autre façon. Pourquoi n'avez-vous pas demandé qu'on effectue une étude spéciale? Vous auriez pu demander que le Sénat mène une étude spéciale sur le crime organisé, tout comme il l'a fait sur l'euthanasie et l'aide au suicide.
Le sénateur Roberge: Je ne connais peut-être pas assez bien les règles de procédure du Sénat. Je ne suis pas ici depuis tellement longtemps.
La présidente: Merci beaucoup.
Le sénateur Doyle: Les Américains se sont peut-être attaqués à ce problème avant nous parce que le crime organisé, dans ce pays, s'est développé plus rapidement qu'au Canada. Ils semblent avoir constaté que la meilleure façon de lutter contre les criminels organisés, c'est de les arrêter pour fraude fiscale. Les Al Capone de ce monde ont été incarcérés pour avoir commis des crimes d'affaires.
Je ne sais pas si les Américains ont réussi à mettre au point de nouvelles techniques. Nous avons, comme eux, fait du blanchiment de l'argent une infraction. Les personnes qui sont soupçonnées de blanchir de l'argent sont arrêtées par les policiers. Toutefois, je ne me souviens pas d'avoir entendu parler du cas d'une personne qui a été incarcérée aux États-Unis ou au Canada parce qu'elle était membre de la mafia ou d'une autre organisation criminelle. Je ne sais pas si d'autres pays l'ont fait. Je crois comprendre que la Suède se penche sur la question.
Le sénateur Roberge: Cela ne se fait pas en France... du moins, pas à ma connaissance. Il est vrai que les États-Unis ont d'abord réussi à mettre la main sur la plupart des gros bonnets, comme Al Capone, en les inculpant de fraude fiscale. Encore une fois, c'est un moyen que nous pourrions peut-être envisager au Canada.
Je ne saurais vous dire si l'on a arrêté, aux États-Unis, des personnes qui sont membres d'organisations criminelles depuis l'entrée en vigueur de la Loi RICO, il y a cinq ans. Je n'ai pas poussé mon analyse jusque-là. C'est pourquoi j'estime que nous devons mettre sur pied un comité ou une commission pour questionner ces spécialistes, leur demander ce qu'ils ont fait et quelles sont les mesures qui ont donné des résultats. Une fois notre étude terminée, nous pourrons élaborer une loi qui sera plus efficace que ce que nous avons présentement, et qui sera peut-être plus efficace que les mesures qu'ils ont adoptées.
Le sénateur Bryden: J'ai jeté un coup d'oeil sur ce projet de loi, et je dois avouer que je le trouve dangereux. Je parle par expérience puisque j'ai déjà été sous-procureur général. Les pouvoirs qu'il accorde sont excessifs. Le recours à la disposition dérogatoire pour supprimer certaines garanties de la Charte constitue une mesure extrême.
Par exemple, à l'alinéa a), on définit l'organisation criminelle comme étant tout groupe d'individus qui ont commis des infractions. Toutefois, à l'alinéa b), on parle d'un groupe dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'au moins cinq individus qui en font partie se livreront vraisemblablement à des activités faisant partie d'un plan d'activité criminelle organisé par le groupe ou par un individu qui en fait partie en vue de la perpétration d'une infraction de criminalité organisée.
Cela revient presque à dire que vous êtes coupable parce que vous avez songé à commettre un crime. C'est assez inhabituel.
Ensuite, il y a la présomption. Pour l'application de l'article que je viens de lire, la preuve qu'une personne vit ou se trouve habituellement en compagnie d'un membre d'une organisation criminelle -- c'est-à-dire un des cinq individus qui pourraient commettre un crime -- signifie que cette personne est membre de cette organisation criminelle. Est-ce que cela englobe un frère, une soeur ou une épouse? Qui est visé par cette définition?
Je trouve cela non seulement inquiétant, mais aussi fort surprenant, qu'on saisisse le Parlement du Canada, que ce soit au Sénat ou à la Chambre des communes, d'un projet de loi comme celui-ci. Nos traditions sont complètement différentes. Par exemple, vous avez cité, au début de votre exposé, un extrait de l'ouvrage intitulé The Global Maffia: The New World Order in Organized Crime.
Vous n'avez pas lu la première partie du paragraphe, où les auteurs affirment être étonnés du grand rôle que joue le Canada dans le livre, mais ils attribuent cela, en partie, à la perméabilité de ses frontières. Nous avons une très longue frontière. Nous sommes très fiers du fait qu'elle n'est pas défendue et que tout le monde peut y avoir accès.
Les auteurs dénoncent également la médiocrité de nos lois qui visent à restreindre les mouvements de devises. Qui dit que nos lois sont médiocres? Manifestement, c'est ce que pensent les auteurs.
Ils disent que nos lois en matière d'immigration et d'opérations bancaires ne sont pas assez sévères. D'autres pensent le contraire.
Ils dénoncent également l'absence de politique de lutte contre le crime organisé et l'indulgence du système de justice pénale. Certains ici pensent plutôt que notre système, comparativement à celui qui existe aux États-Unis ou dans d'autres pays, est «civilisé».
Je serais disposé à examiner ce projet de loi à la loupe si j'étais convaincu qu'il serait un jour adopté. Je sais que je suis en train de faire un discours au lieu de poser une question et que je vais bientôt être rappelé à l'ordre.
Vous semblez dire qu'on devrait instituer une enquête sur le crime organisé. Je pense qu'il faudrait d'abord entreprendre une étude pour cerner le problème et voir s'il existe des solutions.
Nous pourrions ensuite proposer ces solutions, qui pourraient ou non être inscrites dans une loi. Nous pourrions proposer, par exemple, de donner une meilleure formation aux corps policiers, de mieux doter nos systèmes, d'améliorer la communication à l'échelle internationale, ainsi de suite.
Vous avez utilisé ce projet de loi pour attirer notre attention. Je crois que de nombreux Canadiens le jugeraient dangereux s'il était adopté. Je n'aime pas l'expression «mesures de guerre», mais j'assimile ce projet de loi à une mesure de guerre qui vise certaines personnes, réelles ou perçues, au sein de la communauté qui, peu importe ce qu'elles font ou l'endroit où elles se trouvent, sont des citoyens canadiens et qui bénéficient de la présomption d'innocence en vertu de la Charte.
Je ne sais pas si une enquête est nécessaire. Si on me demandait d'en faire partie, je voudrais que ma sécurité soit assurée. C'est mon opinion. Je ne voulais pas siéger à ce comité aujourd'hui sans vous faire part de mes graves préoccupations. Je m'excuse si je n'ai pas formulé cela sous forme de question.
Le sénateur Roberge: Je respecte ce que vous dites, sénateur Bryden. Je ne l'ai pas mentionné plus tôt, mais de plus en plus de personnes dans ma province commencent à se poser des questions au sujet de la Charte. Ils estiment que la Charte ne protège pas leurs droits, mais qu'elle protège ceux des criminels.
Si nous continuons de laisser les gens exprimer de telles opinions dans les tribunes téléphoniques, opinions que partagent les animateurs eux-mêmes, et que nous ne faisons rien pour améliorer la situation, nous allons un jour nous trouver face à un public qui va nous demander si la Charte des droits sert à quelque chose. Nous avons une bonne Charte et je veux la protéger, mais nous devons faire quelque chose au sujet de cette question.
Le sénateur Bryden: Je comprends. Il ne fait aucun doute que nous devons tenir compte des inquiétudes qu'exprime le public dans la presse et ailleurs, mais il y a sûrement un autre moyen d'en discuter que par le biais de tribunes téléphoniques.
D'après les statistiques les plus récentes, le Canada est devenu une société non pas plus violente, mais moins violente. Vous pouvez lire les journaux et écouter les bulletins de nouvelles à la télévision et jamais vous n'entendrez parler de cela. Toutefois, si vous jetez un coup d'oeil sur le nombre de meurtres, de voies de fait graves et autres crimes qui ont été commis, vous allez constater que les chiffres sont à la baisse...
Les animateurs des tribunes téléphoniques parlent d'incidents où les motards lancent des bombes ou encore où un fou tire sur des personnes. Ces incidents peuvent faire la une pendant longtemps. Je me trompe peut-être, mais le Canada s'adapte progressivement au phénomène de la mondialisation et de l'urbanisation croissante de notre société. Pendant ce temps là, le nombre de crimes violents diminue. Le nombre de crimes contre la propriété et le nombre de crimes d'affaires augmente, mais le nombre de crimes violents diminue.
Il n'est peut-être pas nécessaire de prendre une mesure aussi draconienne que celle-ci, qui a pour effet de créer un État totalement différent, à mon avis. Il faudrait plutôt voir comment nous pouvons poursuivre nos efforts et améliorer la situation. Quelles sont les mesures qui donnent des résultats concrets? Que pouvons-nous faire de plus? Peut-être qu'une enquête serait utile, mais je ne serais pas d'accord pour dire qu'elle doit avoir comme point de départ ce projet de loi.
Le sénateur Roberge: Je comprends votre point de vue, mais je ne le partage pas. Je ne conteste pas le fait que le nombre de crimes violents diminue. Je n'ai pas les statistiques avec moi. Toutefois, je peux vous dire une chose. Si vous parlez aux chefs de police de toutes les régions du pays, y compris la GRC, vous allez constater que le nombre de crimes -- peut-être pas les crimes violents -- augmente rapidement, comme les crimes d'affaires et les crimes dits légitimes, lorsqu'ils achètent une entreprise légitime et qu'ils l'utilisent pour blanchir de l'argent, ainsi de suite. Les problèmes qu'ont connus Montréal et d'autres villes de la province dans les années 70 ont permis à de nombreuses personnes de constater à quel point la criminalité dans le monde des affaires est répandue.
Le sénateur Bryden: Vous arrivez toujours à attirer l'attention des gens lorsqu'il est question de la propriété. Il se peut fort bien que la criminalité dans le monde des affaires, comme le fait de commettre des vols de banques et ensuite de manipuler les fonds, prenne de l'ampleur, et peut-être que les personnes directement touchées devraient faire plus à cet égard.
Toutefois, nous avons de moins en moins de ressources à consacrer à la protection des simples citoyens. Or, on nous demande de faire plus dans ce domaine. Il n'y a pas de solution magique. Si vous demandez aux chefs de police s'ils pensent que la peine de mort pour certains crimes améliorerait la situation, ils vont vous dire oui. Il n'y a pas de solution magique pour les chefs de police, les corps policiers ou le système judiciaire. C'est beaucoup plus complexe que le simple fait de priver un groupe de citoyens de droits importants et de permettre à des policiers de harceler, pour des motifs purement hypothétiques, non pas seulement les mauvais éléments, mais les éléments qui ne sont pas si mauvais que cela, sauf dans l'esprit de certains policiers.
Le sénateur Roberge: Donnez-vous la chance, de même qu'au peuple canadien, d'écouter dans le cadre d'une commission d'enquête ce que ces personnes ont à dire... les milieux juridiques, les avocats toutes sortes de témoins. Amenez-y des gens d'autres pays. Écoutez ce qu'ils ont à dire sur la façon de résoudre ce problème et de légiférer efficacement. Donnez-vous une chance. Donnez une chance au peuple canadien.
Le sénateur Lewis: Je vois ce projet de loi pour la première fois. Bien que j'en comprenne dans une certaine mesure l'objectif, je réagis de la même façon que le sénateur Bryden. Certaines des dispositions suscitent chez moi de vives inquiétudes, mais je n'en parlerai pas étant donné que le sénateur Bryden a su très bien les exprimer.
Vous êtes une personne très compétente, mais, sans vouloir diminuer vos qualités, je suppose que vous ne vous considérez pas vous-même comme un rédacteur de textes législatifs.
Le sénateur Roberge: Bien sûr que non. Je n'ai pas la formation.
Le sénateur Lewis: Moi non plus. Vous n'êtes pas le rédacteur de ce projet de loi, n'est-ce pas?
Le sénateur Roberge: Non.
Le sénateur Lewis: Avez-vous eu de l'aide ou a-t-il été rédigé par un rédacteur de textes législatifs compétent?
Le sénateur Roberge: Oui, du gouvernement.
Le sénateur Lewis: Nous pourrions entendre ces gens un jour ou l'autre. Quant à moi j'estime que nous ne devrions pas adopter le projet de loi. Nous devrions retourner au Sénat et dire que nous estimons qu'une étude sur le sujet s'impose.
Le sénateur Nolin: Une étude devrait être faite avant que nous entreprenions l'étude du projet de loi.
La présidente: Sénateur Roberge, j'ai besoin d'une petite précision. Je suppose que vous avez consulté un conseiller législatif pour obtenir un avant-projet de loi qui a été rédigé conformément à vos directives.
Le sénateur Roberge: Cela avait déjà été fait à la Chambre.
La présidente: Ce projet de loi est identique au projet de loi C-203 qui a été déposé à la Chambre des communes?
Le sénateur Roberge: Oui, à quelques petites modifications près.
Le sénateur Lewis: Soit dit en passant, je remarque une erreur typographique à la page 6. Le numéro du paragraphe est incorrect. Les numéros sont 462.54 et ainsi de suite, mais on lit ici 562.
Le sénateur Roberge: C'est exact.
Le sénateur Lewis: Cela devrait être «4», juste au cas où cela se poursuivrait.
La présidente: Nous en avons pris bonne note, sénateur Lewis.
Le sénateur Lewis: Il n'est pas fait mention dans le projet de loi de la date d'entrée en vigueur de la mesure. Je suppose que cela se ferait au moment de la promulgation.
La présidente: En effet.
Le sénateur Gigantès: Vous avez fait allusion à la Charte. Vous dites que les gens s'inquiètent au sujet de la Charte. De quelle charte voulez-vous parler?
[Français]
Le sénateur Roberge: La Charte des droits et libertés.
Le sénateur Gigantès: Fédérale?
Le sénateur Roberge: Oui.
Le sénateur Gigantès: De la Constitution de 1982?
Le sénateur Roberge: Exact.
Le sénateur Gigantès: Les mêmes protections qui sont données aux criminels et dont les avocats des criminels se servent...
Le sénateur Roberge: Se servent pour se cacher derrière.
Le sénateur Gigantès: ... existent dans la Charte québécoise. Et ce que l'on oublie très souvent, si l'on prend par exemple la Loi 101, c'est qu'elle est toujours attaquée se basant sur la Charte québécoise. Les tribunaux québécois et la Cour suprême ont statué, se basant sur la Charte québécoise, qu'il y avait infraction aux droits des minorités. Alors, que peut-on faire pour la Charte québécoise ?
Le sénateur Nolin: Ce n'est pas ce dont on parle. On parle de la Charte fédérale, parce que les lois criminelles sont des lois fédérales.
Le sénateur Gigantès: La protection de l'individu existe, la présomption d'innocence existe dans la Charte québécoise aussi.
Le sénateur Nolin: Ce n'est pas de cela que l'on parle.
Le sénateur Gigantès: Même si l'on effaçait la Charte fédérale, le problème ne serait pas résolu, parce que ces gens seraient toujours protégés par la Charte québécoise.
Le sénateur Nolin: Non, non. Nous entendrons des experts pour nous expliquer cela.
[Traduction]
Lorsque j'ai lu le projet de loi la première fois, je me suis bien sûr rendu compte qu'il s'agissait d'une mesure draconienne mais nous en avions discuté avant que le sénateur dépose la mesure. J'avais déjà dit auparavant qu'il s'agit du résultat proposé après l'appréciation des faits. Il va sans dire que les mesures proposées par le sénateur Roberge sont draconiennes.
Je suis convaincu que vous ne proposez pas que nous votions là-dessus maintenant. Vous voulez que nous soyons convaincus qu'il s'agit d'une mesure applicable et que si nous jugions qu'il en est autrement, nous la modifierions. Est-ce que cela vous offusquerait?
Le sénateur Roberge: Non, bien sûr que non.
La présidente: J'ai quelques questions au sujet du Forum national sur le crime organisé. Comme vous le savez, un forum a été organisé en septembre dernier par le solliciteur général, l'honorable Herb Gray de même que le procureur général du Canada l'honorable Allan Rock.
Je n'ai pas la liste de tous les participants, mais je sais qu'il s'y trouvait des représentants de l'Association du Barreau canadien, de la Criminal Lawyers Association, de l'Association des avocats du Québec. Il va sans dire qu'il y avait aussi des représentants de la Metropolitan Toronto Police de même que de la police urbaine de Montréal. On lit dans ce rapport que les participants sont convenus à cette conférence que la criminalisation des membres d'organisations criminelles n'est pas une option législative viable dans le contexte canadien actuel.
De toute évidence, les participants au forum ont examiné au moins un aspect de ce que vous avez proposé dans le projet de loi et l'ont rejeté comme option pour le Canada.
Avez-vous participé au forum et avez-vous donné suite à l'une ou l'autre des recommandations?
Le sénateur Roberge: Premièrement, nous n'y avons pas été invités. Nous avons essayé d'y assister, mais le forum était fermé au public.
La présidente: Il fallait y être invité?
Le sénateur Roberge: Oui, de sorte que nous ne pouvions y participer.
J'ai parlé à M. Sangolo de la Communauté urbaine de Montréal. Il y était et y a participé. Je ne conteste pas le fait que les participants estiment que la criminalisation des organisations criminelles est discutable. Cependant, si nous avions l'occasion d'écouter non seulement les participants mais aussi d'autres intervenants comme des juges, d'anciens criminels, des criminels réformés, et ainsi de suite, nous pourrions élaborer un projet de loi qui serait acceptable dans le contexte législatif et judiciaire canadien. Les participants y souscriraient et il aiderait à diminuer la criminalité et à nous orienter vers de meilleures solutions.
Le sénateur Gigantès: À ce que je sache, aucun des participants n'est sorti du forum de l'automne dernier en disant qu'il s'opposait aux procédures ou aux résultats. Il me semble que ce sujet a été examiné l'automne dernier par toutes les autorités et les témoins pertinents. Ils en sont venus à la conclusion que, pour une raison ou pour une autre, il est beaucoup trop tôt pour réexaminer la question.
La présidente: Je suppose que c'est une observation.
Le sénateur Nolin: Je me demande pourquoi les criminels disent tout bas que le Canada est pour eux un paradis. C'est exactement ce que ce livre dit.
Le sénateur Doyle: Si nous entreprenons une enquête sur le crime organisé et les criminels, il y a des gens à Toronto qui nous suggéreraient de commencer par les tribunaux de la faillite.
Le sénateur Roberge: J'ai lu récemment dans les journaux de Montréal un article au sujet d'un homme qui a fait face à une procédure de faillite et qui a eu 28 millions de dollars qui sont passés par son compte en banque. Il ne pouvait justifier d'où venait cet argent et fournir des explications au juge qui s'est retrouvé coincé parce qu'il n'avait pas de preuve. Il a dit à l'homme en question qu'il ne le croyait pas. Malgré tout, l'homme n'a eu qu'une amende de 60 000 $.
Le sénateur Doyle: C'est un bon point de départ.
Le sénateur Gigantès: Le juge a dit qu'il ne le croyait pas, mais il n'y avait pas de preuve. Nous vivons toujours dans une société qui exige des preuves. Que proposez-vous? Devrions-nous autoriser le juge, comme le font les Britanniques à se fonder sur son opinion, afin de pouvoir jeter cet homme en prison même si nous n'avons pas de preuve?
Le sénateur Roberge: Je ne fais que suggérer d'écouter ce que les juges et les spécialistes ont à dire. Ils vous diront où se situe le problème et vous feront part de leur solution.
La présidente: Je vous remercie, sénateur Roberge, de votre exposé d'aujourd'hui. Nous aurons une réunion du comité de direction tout de suite après cette réunion-ci. Nous ferons des recommandations au comité dans son ensemble, mais nous vous associerons à toute décision finale que nous prendrons au sujet de cette mesure législative.
Le sénateur Roberge: Je vous remercie beaucoup de m'avoir écouté. C'est très aimable à vous.
La séance est levée.