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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 52 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 1er avril 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 13 heures, dans le but d'examiner le projet de loi C-71, Loi réglementant la fabrication, la vente, l'étiquetage et la promotion des produits du tabac, modifiant une autre loi en conséquence et abrogeant certaines lois.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bon après-midi, sénateurs. M. MacKay, qui devait se joindre à nous cet après-midi, n'a pu quitter Halifax à cause de la tempête de neige qui s'abat sur la ville. Toutefois, nous avons le grand plaisir d'avoir parmi nous M. William Schabas, de l'Université du Québec à Montréal.

Nous entendrons, comme deuxième groupe de témoins, les représentants du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac.

Le sénateur Jessiman: Avez-vous lu ce document, madame la présidente?

La présidente: Oui.

Le sénateur Jessiman: Allons-nous nous pencher là-dessus?

La présidente: Nous n'avons pas l'habitude de citer des témoins à comparaître. Il n'y a pas eu grand désaccord parmi les sénateurs des deux côtés du comité quant aux dangers que présente l'usage du tabac. Je ne vois pas quelle autre question nous pourrions poser à ces témoins. Ils vont peut-être nier l'existence de tout danger, mais nous savons qu'il y en a. Je ne vois pas pourquoi nous citerions des témoins à comparaître à ce stade-ci de notre étude.

Le sénateur Jessiman: Nous aurons parmi nous non seulement les représentants du conseil, mais également les conseillers juridiques des diverses compagnies. Ils peuvent répondre à nos questions.

La présidente: Exactement.

Monsieur Schabas, vous avez la parole.

M. William Schabas, Université du Québec à Montréal: Avant de commencer, je tiens à préciser que j'ai reçu les comptes rendus des réunions qui ont eu lieu au cours des dernières semaines. C'est le personnel du comité qui a eu la gentillesse de me les envoyer. Je vais essayer de ne pas répéter ce que les autres témoins ont dit, et d'aborder plutôt certaines questions qui ont été laissées de côté.

Les gens se posent des questions au sujet du bien-fondé du projet de loi. Les membres du comité aussi d'ailleurs, si l'on se fie à vos commentaires. Le projet de loi accorde une grande place aux règlements. Les rédacteurs ont préféré régler plusieurs des points rejetés par la Cour suprême dans l'arrêt RJR par voie de règlement plutôt que de les aborder dans le projet de loi lui-même. Je sais que certains témoins ont critiqué cette démarche. Toutefois, j'estime qu'elle est tout à fait indiquée parce qu'elle nous donne la marge de manoeuvre dont nous avons besoin pour régler les questions constitutionnelles qui ont été soulevées par la Cour suprême dans son jugement. Elle nous permettra peut-être de régler les problèmes au coup par coup, si les dispositions sont contestées, en apportant des adaptations au projet de loi. Nous devons adapter le projet de loi pour éviter qu'il contrevienne à la Charte.

En lisant l'arrêt RJR-Macdonald et les comptes rendus des témoignages entendus par le comité, j'ai constaté que certains points soulevés par les avocats avaient été analysés un peu trop rapidement. La première chose qu'il faut garder en tête, c'est que la décision a été rendue à cinq voix contre quatre. Le vote était très serré, ce qui veut dire qu'il suffit de convaincre un seul juge pour que le projet de loi résiste à l'examen de la Cour suprême du Canada.

Par ailleurs, il faut se rappeler que sur les cinq juges qui composaient la majorité, deux ont rendu des jugements différents. Il y en a un qui était nettement favorable au projet de loi, et il pourrait faire pencher la balance en faveur de ce dernier si jamais la Cour suprême en était de nouveau saisie.

Le juge McLachlin a été très sévère à l'égard du projet de loi, comme elle l'est habituellement dans toute affaire mettant en cause la liberté d'expression, où elle se range tantôt du côté de la majorité, tantôt du côté de la minorité. Elle défend vigoureusement le droit à la liberté d'expression et sa position se rapproche de celle de la Cour suprême des États-Unis, qui considère la liberté d'expression comme un droit absolu.

Toutefois, ses motifs sont formellement appuyés par un seul autre juge, soit le juge Sopinka. Les motifs rendus par la majorité ont été rédigés par le juge Iacobucci qui, dans le passé, s'est montré beaucoup plus tolérant à l'égard des restrictions imposées à la liberté d'expression que le juge McLachlin. Toutefois, le juge Iacobucci propose non pas des paramètres bien précis, mais plusieurs mesures qui devraient permettre de moduler le projet de loi et le rendre acceptable aux yeux de la Cour suprême. Ses motifs sont appuyés par le juge en chef.

Si le projet de loi se retrouve à nouveau devant la Cour suprême, il faudra absolument essayer de convaincre le juge Iacobucci de son bien-fondé. Quatre juges sont manifestement déjà en faveur du projet de loi. Ils ont appuyé l'interdiction totale imposée en vertu de l'ancien projet de loi qui a été déclaré non valide. Sur les cinq juges qui composaient la majorité, deux ont formulé des opinions différentes. Il y a également le juge Major, qui s'est dissocié des autres sur la question de la compétence en matière de droit criminel.

La situation n'est pas aussi claire ou aussi désespérée qu'on le laisse entendre. Dans sa décision, le juge Iacobucci précise que seules quelques adaptations s'imposent pour que le projet de loi résiste à l'examen de la cour. Il faudrait tenir compte de ce facteur au moment de comparer ce projet de loi à l'ancienne mesure législative qui a été déclarée non valide. Seules quelques adaptations s'imposent pour rendre le projet de loi acceptable. À mon avis, il remplit déjà, de manière générale, cette exigence.

Vous avez entendu parler du fameux critère qui a été formulé dans l'arrêt Oakes relativement à l'analyse fondée sur l'article premier, et des diverses étapes de cette analyse, dont les deux plus importantes portent sur le lien rationnel et l'atteinte minimale. Lorsque la cour entreprend une analyse fondée sur l'article premier de la Charte, elle s'attache d'abord à établir l'existence d'un lien rationnel. Une fois l'existence de ce lien établie, elle va s'attacher à déterminer si l'exigence de l'atteinte minimale est remplie.

Dans l'arrêt RJR-Macdonald, le juge Iacobucci se dit d'avis que le projet de loi satisfait au critère du lien rationnel. Certains témoins se sont demandé si l'ancien projet de loi remplissait ce critère. Vous avez une décision majoritaire. Six juges de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt RJR-Macdonald ont conclu à l'existence d'un lien rationnel. Là où le projet de loi présente un problème, d'après le juge Iacobucci, c'est sur le plan de l'atteinte minimale.

La question de la présentation des éléments de preuve tendant à démontrer l'existence d'une atteinte minimale a posé beaucoup de difficultés à la Cour suprême du Canada. Deux ou trois observations s'imposent à ce stade-ci.

En ce qui concerne les éléments de preuve, la démarche sera quelque peu différente la prochaine fois, parce qu'un grand nombre de ces éléments ont été présentés en première instance. Ces éléments de preuve n'ont pas été soumis à la Cour suprême, et elle n'a pas eu à se prononcer là-dessus. Les éléments de preuve ont été présentés devant un juge de première instance, à Montréal. Si ce projet de loi se retrouve de nouveau devant la cour, les éléments de preuve qui seront présentés pourraient être légèrement différents.

Il est un point qui se dégage des deux jugements rendus par les juges qui se sont ralliés à l'opinion de la majorité. Les juges ont été clairement irrités par le refus du gouvernement fédéral de divulguer les résultats d'une étude sur les moyens de résoudre les problèmes visés par le projet de loi. Il était évident qu'une telle étude avait été préparée. Elle contenait une analyse des solutions de rechange et des mesures qui auraient pu remplacer l'interdiction totale de la publicité. Ce qui irritait les juges, c'est que cette étude aurait pu les aider dans leur évaluation du critère de l'atteinte minimale. Manifestement, si le gouvernement a des documents qui indiquent que le même objectif peut être atteint au moyen d'une mesure qui ne porte pas atteinte de façon aussi attentatoire au droit à la liberté d'expression, cela peut aider la cour à conclure que cette démarche est peut-être la bonne.

Je pense que ces documents devraient peut-être être présentés à l'étape de l'examen en comité, et non pas devant les tribunaux. Autrement dit, le comité pourrait dire au gouvernement, lors de l'examen du projet de loi: «Écoutez, vous devez nous soumettre ces études pour que nous puissions les examiner et déterminer si cette mesure législative remplit l'exigence de l'atteinte minimale».

Il est évident, d'après les motifs invoqués, que les juges McLachlin et Iacobucci ont été préoccupés par ce fait. Le juge Iacobucci précise à un moment donné que le gouvernement, lorsqu'il défend un projet de loi devant la Cour suprême du Canada, doit être totalement transparent. Il devrait fournir tous les renseignements et tous les documents pertinents qui peuvent aider la cour dans son analyse du critère de l'atteinte minimale. Il ne devrait pas refuser de les dévoiler. Cette question pourrait même être réglée à ce stade-ci de l'étude.

Je sais que vous n'aimez pas recourir aux assignations, je ne sais pas si cette démarche est indiquée, mais il serait peut-être bon de demander au ministre, lorsqu'il comparaîtra à nouveau devant le comité, de fournir ces documents.

Quand le comité m'a invité à comparaître devant lui, c'était essentiellement pour discuter de la question de la liberté d'expression. Toutefois, parmi les points qui ont été abordés devant le comité, trois soulèvent des questions d'ordre constitutionnel. Le premier a trait à l'imprécision du projet de loi. Beaucoup de commentaires ont été formulés à ce sujet. J'estime que cet argument est utilisé à outrance dans les contestations fondées sur la Charte. On l'invoque régulièrement devant les tribunaux, presque toujours sans succès. En fait, il n'a été invoqué avec succès qu'une seule fois, soit lorsqu'une disposition draconienne du Code criminel portant sur la libération provisoire des personnes gardées en détention en attendant leur procès, a fait l'objet d'une contestation. Même si les avocats invoquent régulièrement cet argument, les tribunaux, eux, le rejettent au motif que «les mesures législatives sont parfois vagues et que les juges ont pour rôle de les interpréter». Les mesures législatives sont tellement imprécises que vous devez vous en remettre aux tribunaux pour les interpréter. Cet argument est invoqué presque toutes les fois qu'un nouveau projet de loi est proposé. Toutefois, il ne devrait pas être considéré avec sérieux du point de vue de la Charte. Du point de vue législatif cependant, le Parlement estime peut-être qu'il est dans son intérêt de voir à ce que la loi soit claire et cohérente.

Le deuxième point qui a été abordé par les témoins au cours des dernières semaines portait sur la disposition qui inverse la charge de la preuve, soit l'article 53 du projet de loi. En effet, l'alinéa 53(2) élimine la preuve hors de tout doute raisonnable dans les poursuites engagées en vertu de ce projet de loi. Cela veut dire qu'un accusé, à sa décharge, n'aura pas à susciter un doute raisonnable quant à l'existence d'un fait, mais de prouver son innocence. Il s'agit d'une disposition lourde de conséquences. Il n'y en a pas beaucoup, dans le droit pénal, qui ont une telle portée. Pour qu'elle résiste à l'examen de la Cour suprême, vous devez démontrer que la poursuite a absolument besoin de cette disposition pour obtenir une condamnation et qu'elle ne peut appliquer la loi sans celle-ci. Les tribunaux -- et la Cour suprême elle-même récemment --, ont réduit la portée de cette disposition et affirmé qu'on a peut-être raison d'obliger l'accusé à susciter un doute raisonnable quant à l'existence d'un fait, mais qu'on a peut-être tort de l'obliger à prouver son innocence. La distinction est importante. Selon la Cour suprême, si vous permettez à quelqu'un de susciter un doute raisonnable, vous ne violez pas le principe de la présomption d'innocence hors de tout doute raisonnable et, par conséquent, vous vous conformez à la loi. Les dispositions de la Charte qui sont mises en cause ici sont l'alinéa 11(d)et l'article 7.

Enfin, dans le cadre de vos discussions, on a plusieurs fois fait allusion au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, à la notion de dérogation et au fait que cette mesure législative était dans un certain sens une dérogation. Avec tout le respect que je vous dois, je pense que ce n'est pas tout à fait le terme à utiliser en ce qui concerne la mesure législative. Nous parlons ici de la limitation de la mesure législative, non de dérogation. La Charte canadienne contient une disposition de dérogation. Il s'agit de la clause «nonobstant» que nous trouvons à l'article 33. Elle permet la suspension de la mesure législative dans les conditions que vous connaissez tous. Ce serait le seul moyen dont pourrait disposer un Parlement pour contourner la Cour suprême à l'égard de cette mesure législative, même si je ne crois pas qu'il s'agisse d'une chose que personne ne suggère très sérieusement. Si le Parlement devait le faire, il verrait probablement sa mesure législative contestée, non pas devant la Cour suprême vu que ce serait impossible, mais devant le comité des droits de l'homme qui a été institué sous le régime du Pacte international. C'est ce qui s'est passé dans le cas des changements apportés au projet de loi 101 que le gouvernement du Québec a mis de l'avant après que la cour eut rendu sa décision et cela pourrait arriver dans ce cas-ci. Ce n'est vraiment pas une suggestion sérieuse.

L'autre point -- et ce dont vous parlez vraiment --, c'est la restriction à l'égard des droits. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques renferme des dispositions analogues. Il ne s'agit toutefois pas de celles auxquelles vous faisiez allusion dans vos discussions des dernières semaines. Plutôt que d'une disposition relative aux restrictions générales du genre de celle que nous avons à l'article 1 de la Charte canadienne, le Pacte international renferme une disposition à l'article 19 qui traite précisément des restrictions admissibles en ce qui a trait à la liberté d'expression. Il s'agit d'une disposition assez importante qui reconnaît que l'exercice de la liberté d'expression peut être soumis à des restrictions dans certaines circonstances, y compris pour des raisons d'ordre public, de santé, de réputation d'autrui et de propagande haineuse. Il s'agit des dispositions qui ont été citées comme défense devant la Cour suprême et adoptées par la majorité lorsque la législation sur la propagande haineuse a été contestée.

Je répondrai très volontiers aux questions que vous voudrez bien me poser.

La présidente: Merci beaucoup. Nous avons un certain nombre de sénateurs qui ont déjà manifesté leur intention de poser des questions.

Le sénateur Beaudoin: Je conviens avec vous que c'est une question de fardeau de la preuve. De toute évidence, la Cour suprême du Canada a interprété la liberté d'expression au sens large du terme. Certaines dispositions de ce projet de loi restreignent la liberté d'expression, mais le débat ne s'arrête pas là. Ce qu'il faut se demander, c'est si ces restrictions sont acceptables ou raisonnables dans une société libre et démocratique. C'est là où se situe le débat tout entier en ce qui a trait à la Charte canadienne des droits et libertés. Je vais laisser de côté la présomption d'innocence, mais j'y reviendrai peut-être plus tard.

Fondamentalement, ces restrictions imposées à la liberté d'expression sont-elles raisonnables et acceptables dans une société libre et démocratique? Il est vrai que deux juges, le juge McLachlin et le juge Iacobucci, n'ont pas été convaincus par la preuve qui a été produite. Si jamais ce projet de loi est contesté devant le tribunal, il se peut que le même problème se pose.

Les objectifs de la mesure législative sont à coup sûr très acceptables. Vous avez mis le doigt sur le critère de l'atteinte minimale. C'est peut-être que tout est conforme du moins en ce qui concerne la Charte. Il n'y a aucun doute qu'il incombe au gouvernement de prouver que c'est raisonnable dans une société libre et démocratique. Nous sommes d'accord sur le mécanisme. Nous sommes d'accord sur l'affaire Oakes. Nous sommes tous en faveur de la liberté d'expression. En tant que spécialiste, croyez-vous que le critère de l'atteinte minimale s'applique ici?

M. Schabas: Si je vous comprends bien, vous me demandez de me prononcer sur la question de l'atteinte minimale.

Le sénateur Beaudoin: Oui, mais pas personnellement. Vous êtes ici en tant que témoin-expert.

M. Schabas: Je crois qu'il n'y a pas de problème grave et que le projet de loi satisfait au critère. Il y a une question de preuve en cause et c'est très spéculatif à ce moment-ci, vu que nous ne pouvons tenir pour acquis que le genre de preuve qui a été présenté dans l'affaire précédente le sera la prochaine fois.

Cependant, supposons que le gouvernement a conservé toutes les caisses de documents qui ont été déposés la dernière fois et qu'il les ramène. À en juger par ce que j'ai lu dans les décisions, il semblerait que cette question ne posera pas de problème. Je dis cela sous réserve des préoccupations exprimées par les deux juges qui se sont plaints du fait que le gouvernement fédéral n'était pas entièrement disposé à l'égard des rapports qu'il avait.

Si le gouvernement possède et présente ces rapports, soutient que l'approche retenue par la mesure législative est légitime et tente de trouver une formule qui règle le problème tout en tenant compte, de façon raisonnable, du critère de l'atteinte minimale -- et les tribunaux ont été de plus en plus libéraux à ce sujet au cours des dernières années -- je ne crois pas qu'un problème se posera.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas la première fois que nous voyons un renversement de la présomption d'innocence. Conformément à votre principe, est-ce raisonnable et acceptable? Si je vous ai bien compris, vous en venez à la conclusion que le renversement de la présomption d'innocence, comparativement à d'autres affaires devant la Cour suprême et à d'autres lois, est acceptable.

M. Schabas: Sénateur Beaudoin, cette disposition portant inversion de la charge de la preuve me gène. Ce qui m'inquiète, c'est qu'il faut faire la preuve que cette disposition est nécessaire afin d'autoriser les poursuites en vertu de la loi. Je ne crois pas disposer de l'information qui me permettrait de juger de cette sorte de chose.

En ce qui concerne les autres questions soulevées par la mesure législative, nous pouvons profiter de toutes les décisions rendues dans l'affaire RJR-Macdonald. Nous pouvons les examiner et décider si la preuve est suffisante en ce qui a trait à l'atteinte minimale.

Lorsque j'ai lu la première fois le paragraphe 53(2), j'ai été surpris de la lourde portée de cette disposition portant inversion de la charge de la preuve. La célèbre affaire Oakes, à l'origine du critère, est une affaire du genre. Il y en a eu toute une série.

Il y a deux genres de cas en ce qui a trait à l'inversion de la charge de la preuve. Il y a ceux où l'accusé est tenu de prouver son innocence ou de fournir une preuve reposant sur des faits. C'est très large ici. Il y a aussi les cas où l'accusé n'a qu'à laisser planer un doute.

Si cet article devait un jour être contesté devant la Cour suprême, il se pourrait que le tribunal n'élimine pas la loi mais l'adapte et change cette inversion du fardeau de la preuve, qui oblige l'accusé à prouver son innocence, en un simple fardeau de laisser planer un doute raisonnable. Il va sans dire que si l'on ne parvient pas à démontrer que le paragraphe 53(2) est nécessaire pour assurer la réussite des poursuites, je m'inquiéterais à ce sujet.

Le sénateur Beaudoin: Mais une fois de plus, si je suis votre raisonnement, il incombe au gouvernement de prouver que le paragraphe est nécessaire. C'est là le critère.

M. Schabas: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Nous aurons l'occasion cet après-midi et demain de parler un peu plus de cet aspect, mais il s'agit de prouver que le paragraphe est nécessaire.

M. Schabas: Absolument. Les dispositions de ce genre peuvent résister à un examen fondé sur la Charte.

Le sénateur Beaudoin: Oh oui! Elles l'ont fait dans certaines autres lois. Il n'y a aucun doute à ce sujet. Cependant, une fois de plus, il incombe au gouvernement de prouver que le paragraphe est nécessaire.

M. Schabas: Oui.

[Français]

Le sénateur Nolin: J'ai présumé, étant professeur à l'Université du Québec à Montréal, que vous parliez français. J'aurai trois sujets. J'avoue mon ignorance pour des questions de détails. À l'article 3, on lit que la présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province.

Le sénateur Beaudoin: Des provinces.

Le sénateur Nolin: J'en conclus que ce sont toutes les provinces. Pourquoi cette disposition existe-t-elle? Je n'ai pas retrouvé dans le Code criminel si nous avions une disposition semblable. Quelle est la raison de cette disposition?

M. Schabas: Vous me posez une colle. Normalement, c'est le genre de dispositions qui existe afin de faciliter des poursuites contre la Couronne.

Le sénateur Nolin: C'est pour cela que j'ai recherché dans le Code criminel ce genre de dispositions.

M. Schabas: Je ne crois pas.

Le sénateur Nolin: Vous me corrigerez, sénateur Beaudoin, s'il y a lieu. Comme on s'entend tous que c'est le pouvoir en droit criminel qui est utilisé par la Couronne fédérale, on n'a pas à affirmer dans la loi qui découle de l'application que ce pouvoir va s'appliquer à une province.

Le sénateur Beaudoin: Il y a des précédents.

Le sénateur Nolin: C'était relativement mineur. Je veux revenir sur le «minimum impairment». Est-ce qu'il y a une traduction française?

M. Schabas: Atteinte minimale.

Le sénateur Nolin: Quand vous dites que le gouvernement fédéral dans le projet de loi C-71 semble avoir compris la décision de la Cour suprême dans RJR-Macdonald et a modifié son intention législative de façon telle que le test de l'atteinte minimale est maintenant acquis, autrement dit, on a réussi le test.

Vous dites qu'il y a une question de preuve reliée à tout cela. Je pense, et vous me corrigerez si je me trompe, que ce n'est pas tout que de déposer des liasses de documents prouvant que la Couronne a examiné des alternatives moins dommageables. Elle doit aussi démontrer que les autres avenues ne sont pas aussi efficaces que celles qu'elle a choisies.

Est-ce que cela ne découle pas du test d'atteinte minimale?

M. Schabas: Vous avez tout à fait raison. La question d'atteinte minimale est une question de démonstration. On doit la démontrer par la preuve et la cour est de plus en plus intolérante vis-à-vis du litige constitutionnel présenté devant la cour en absence de preuve. On a appris assez tôt dans le contentieux constitutionnel en vertu de la Charte qu'il faut faire une preuve. La preuve a été énorme.

Lors de la cause en première instance à Montréal, il y avait une cour pleine de documents déposés devant le juge de première instance. Cette preuve est absolument essentielle. Je présume que le gouvernement fédéral avait énormément de preuve sur la question. Mais le gouvernement fédéral avait décidé de ne pas déposer un rapport sur les choix, sur les alternatives à l'option adoptée par la législation contestée dans RJR-Macdonald.

Cette question a provoqué des commentaires des deux juges de la majorité. On ne peut pas exclure l'hypothèse que lors d'une deuxième contestation d'une nouvelle législation, la difficulté puisse se poser de nouveau. Le juge Iacobucci a dit que les juges exigent une transparence du gouvernement fédéral quant à la législation. Le rapport évaluait les différentes options.

Je présume encore une fois que cette législation découle d'études et de rapports. Je crois que la cour va vouloir les évaluer si jamais la question est débattue devant la Cour suprême suite à l'adoption d'une nouvelle loi.

Le sénateur Nolin: Ce n'est pas que le dépôt qui est nécessaire. C'est aussi l'analyse comme telle, la substance de cette analyse. Ce n'est pas tout de dire oui, j'ai examiné des alternatives et ma conclusion est que je dois affecter les droits fondamentaux de certaines entreprises.

M. Schabas: Le rapport doit démonter que c'est une option raisonnable. Le point sur lequel je voulais insister dans ma réponse au sénateur Beaudoin, c'est que la cour n'exige plus que cela soit le seul choix, que ce soit le meilleur, que ce soit l'hypothèse optimale. La cour exige que ce soit une hypothèse raisonnable, appropriée dans les circonstances. Le gouvernement peut déposer un rapport et dire qu'il y a un certaine nombre d'options qui répondent à l'objectif de la législation. Nous avons opté pour le plan B plutôt que pour le plan A, pour utiliser une expression populaire.

Le sénateur Nolin: Lors de sa comparution, le ministre a dit qu'il avait donné instruction au légiste de rédiger un projet de loi tel, advenant une décision négative des tribunaux, que la loi au complet ne tomberait pas à cause de cette décision ou d'une telle éventualité. Pouvez-vous expliquer davantage la façon de rédiger une loi qui peut résister à une décision judiciaire?

M. Schabas: Lorsque la dernière loi a été débattue devant la Cour suprême, les juges n'ont pas semblé particulièrement troublé par certaines des dispositions qui ont finalement été déclarées inconstitutionnelles. Je fais référence ici aux deux jugements de la majorité en Cour suprême. Je pense notamment à l'article 6 qui avait trait aux activités de promotion, et ceatera, «the sponsor». La cour a décidé que les dispositions, qui étaient inacceptables, étaient trop étroitement reliées aux dispositions qui, elles, étaient peut-être moins choquantes. Il a été décidé de casser une série de dispositions, soit les articles 4 à 9. Il est clair que la disposition 9, à savoir la question d'étiquetage sur les paquets de cigarettes, a fait l'objet de beaucoup de discussions à la cour; l'autre disposition fut la question de la publicité. Pour les activités de promotion, cela n'a pas posé de difficultés; la cour a décidé que cela faisait partie d'un ensemble, que nous ne pouvions les traiter en parties, qu'il fallait les voir dans un ensemble. À mon avis, le raisonnement de la cour est assez superficiel sur ce point. Nous n'avons pas beaucoup d'explications pourquoi la cour le voit ainsi. La cour semble croire que c'est une question de gros bon sens et que cela est tellement évident que l'on parle d'un ensemble, d'un projet pour répondre aux problèmes, que l'on ne peut pas amputer certaines dispositions.

Lorsque que l'on étudie le projet de loi, on y trouve certaines dispositions qui sont rédigées de façon assez curieuse. Je présume que le but est de répondre à ce souci de sévérabilité ou de séparabilité.

Le sénateur Nolin: Pouvez-vous nous donner des exemples?

M Schabas: Prenons la disposition concernant la promotion à l'article 24. Nous avons l'article 24 paragraphe 1.

Le sénateur Nolin: Selon le l'article 24 (1), on peut?

M Schabas: Oui. C'est un peu bizarre. Lorsque j'ai lu le projet de loi, la première fois, j'ai cherché la disposition où on disait : pas de promotion qui vise les enfants, puis on y lit le contraire. Je crois que l'on peut amputer le paragraphe 1 de l'article 24, et les paragraphes 2 et 3 restent...

Le sénateur Nolin: Des interdictions.

M Schabas: Oui. Même si 24 est inadmissible, 2 et 3 peuvent survivre et peut-être vice versa aussi. Il s'agit ici d'un exemple, dans la législation, de rédaction un peu compliquée. Je pense au simple citoyen qui essaie de comprendre quelque chose en lisant l'article 24. Je crois que l'hypothèse qui a été envisagée peut être la possibilité de la sévérabilité de certaines dispositions.

Le sénateur Nolin: Compte tenu de ce que vous venez de nous dire à propos de la rédaction de l'article 24, cette théorie qui veut qu'une loi vague soit questionnable, vous, qui êtes expert, avez de la difficulté à y retrouver le fil conducteur de cette rédaction. Vous nous avez également mentionné que le citoyen ordinaire pourrait avoir des difficultés à s'y retrouver. Faisant référence à la théorie de l'arrêt Hogg, tous les auteurs en ont traité, ne croyez-vous pas que la théorie de la loi vague puisse s'appliquer?

M. Schabas: Le fait qu'une loi soit compliquée ne veut pas nécessairement dire que la loi est vague. La Loi sur l'impôt est extrêmement compliquée, très technique, incompréhensible; l'article 24 n'est rien par rapport à certaines dispositions de la Loi sur l'impôt, qui pourtant ne sont pas inconstitutionnelles pour cause d'imprécision de la loi. Cela ne veut pas dire qu'une loi est imprécise du fait qu'elle soit compliquée. Nous devons retenir que nous sommes en matière de réglementation, où nous retrouvons une certaine collusion avec une valeur fondamentale: la liberté d'expression. Ce n'est pas le cas dans toutes les industries assujetties à la réglementation. Jusqu'à un certain point, il est incontournable d'aller vers une approche de détails, de technicalité et de réglementation, comme ce fut le cas dans cette loi. D'après moi, il ne s'agit pas d'un problème d'imprécision; c'est une loi complexe, qui va être interprétée par les avocats des compagnies de tabac. C'est une loi qui n'envisage pas de poursuites du simple citoyen, il y a très peu de simples citoyens qui vont lire et qui vont travailler avec cette loi. C'est une loi qui s'adresse à une industrie qui est déjà réglementée et qui a les ressources pour mettre en oeuvre la loi et pour la respecter.

[Traduction]

Le sénateur Lewis: Professeur, ce que vous avez dit au sujet de l'arrêt RJR-Macdonald était intéressant. Je crois comprendre que vous serez d'accord pour dire qu'une bonne partie du jugement final dépendra de la véritable question qui sera posée au tribunal et, bien sûr, de la preuve qui est fournie. Cela dit, seriez-vous d'accord pour dire, à ce moment-ci, qu'il est très difficile pour quiconque de faire des conjectures au sujet de la décision d'un tribunal sans connaître la véritable question qu'il devra juger et la preuve qui sera fournie?

M. Schabas: L'affaire RJR a commencé par une requête déposée par deux compagnies de tabac en vue d'obtenir un jugement déclaratoire. Même s'il se peut qu'elles posent la question de la même manière en ce qui a trait à la nouvelle mesure législative, il ne semble pas évident qu'elles empruntent la même route, en partie parce qu'un grand nombre des questions en ce qui a trait à l'application de la loi ne trouveront pas leur réponse dans cette dernière mais dans le règlement. Je suppose que cette approche ne peut être exclue comme une possibilité.

Cependant, lorsque vous tentez d'obtenir un jugement déclaratoire, vous posez des questions très générales au tribunal. Dans un certain sens, vous lui demandez d'analyser un certain nombre de dispositions, en l'absence de poursuites et de faits précis qui mènent normalement à la discussion d'une cause devant un tribunal. Les requêtes visant à obtenir des jugements déclaratoires à l'égard d'une mesure législative sont assurément une démarche reconnue et légitime.

Je crois que ce à quoi vous faites allusion, sénateur Lewis, c'est à la possibilité que ceci puisse se présenter dans un autre contexte, c'est-à-dire avec des poursuites. De toute évidence, si une poursuite est intentée parce qu'une des compagnies de tabac a contrevenu à l'une des dispositions, il ne s'agira pas alors d'attaquer la loi dans son ensemble, mais la disposition en cause.

Je ne sais pas si cela répond exactement à votre question. Bien sûr, cela dépendrait de la forme que prendrait la contestation. Dans le cas du paragraphe 53(2) par exemple, la disposition relative à l'inversion du fardeau de la preuve, la contestation viendrait du commerçant qui fait l'objet des accusations. Il se peut qu'il ait l'appui de certains avocats puissants qu'il n'a pas vraiment les moyens de payer, mais qui le seront par quelqu'un d'autre. Néanmoins, cela découlera de la poursuite d'un commerçant.

Le sénateur Lewis: Je pense davantage à notre examen de la question et à ce que nous devons décider.

M. Schabas: Je ne suis pas sûr de ce que vous cherchez.

Le sénateur Lewis: Est-ce que ce comité fera un rapport sur le projet de loi afin d'en établir l'inconstitutionnalité dans son ensemble?

M. Schabas: Dans un certain sens, vous êtes un peu dans la même position que la Cour suprême. Il y a une analogie utile. Vous devez examiner cette mesure législative afin de déterminer si elle respecte la Charte et vous devez vous fonder sur la preuve qui vous est présentée ou la justification qui vous est donnée par le ministre ou le gouvernement. Dans cette mesure, oui.

Le fait que vous soyez vous-mêmes convaincus que cela ne satisfait pas au critère de l'atteinte minimale, que toutes les autres options ont été considérées, et que cela a été fait d'une façon appropriée revêtira de l'importance s'il s'agit de résister à l'examen par le tribunal, comme j'ai déjà dit.

Le sénateur Lewis: Si je comprends bien, la question du fardeau de la preuve n'a pas été abordée dans ce jugement particulier?

M. Schabas: Non, pas du tout. Elle ne s'est pas posée. Je ne peux vous dire de mémoire si la loi précédente contenait des dispositions semblables à celles de l'article 53.

Le sénateur Lewis: Je crois comprendre qu'il y avait une disposition semblable dans la Loi sur la réglementation des produits du tabac. Le tribunal a rendu des décisions à l'égard de certains articles, mais il semble qu'il ne l'a pas fait en ce qui concerne l'inversion du fardeau de la preuve.

M. Schabas: C'est exact.

Le sénateur Lewis: Il est intéressant de signaler qu'il existe une disposition similaire dans le Code criminel, l'article 794. Cela semble donc acceptable.

M. Schabas: Le fait que cela se trouve dans le Code criminel ne signifie pas nécessairement que c'est acceptable.

Le sénateur Lewis: Cela s'y trouve, toutefois, et cela se trouvait dans la Loi sur la réglementation des produits du tabac qui a fait l'objet du jugement déclaratoire. Il y a semble-t-il une disposition analogue dans la Loi sur les aliments et drogues et dans certaines lois provinciales. Il ne semble pas pour l'instant y avoir d'objection particulière à ce genre d'article.

Le sénateur Jessiman: Il a dit qu'il incombe au gouvernement de prouver que c'est nécessaire.

Le sénateur Lewis: Vous pourriez dire cela au sujet de n'importe quelle disposition d'un projet de loi.

M. Schabas: Les dispositions relatives à l'inversion du fardeau de la preuve, depuis l'entrée en vigueur de la Charte en 1982, ont été attaquées de façon assez systématique. Un grand nombre d'entre elles se trouvent dans les lois depuis de nombreuses années comme une bombe à retardement qui n'attend que le moment de sauter. Elles peuvent y rester pendant 10 ou 15 ans encore avant que des circonstances n'incitent un accusé à décider de soulever une question et d'en appeler devant un tribunal. Il s'agit de spéculations. Ce genre de disposition résiste parfois mais est éliminé à d'autres occasions. Le fait que vous puissiez en trouver des modèles dans les lois en vigueur ne signifie pas que la Cour suprême ou un tribunal inférieur ne décidera pas que la mesure législative est équivoque et contrevient à la Charte.

Si elle est contestée en vertu de la Charte, en reprenant le même genre de raisonnement que vous avez entendu au sujet de la question de la liberté d'expression, parce qu'il s'agit de toute évidence d'une violation de la présomption d'innocence, vous allez immédiatement à l'article 1 et procédez au même genre d'analyse. Au bout du compte, vous finissez par poser les mêmes questions en ce qui a trait au lien rationnel et à l'atteinte minimale.

Le sénateur Lewis: À l'heure actuelle, aucune décision n'a été rendue à ce sujet.

M. Schabas: C'est exact.

Le sénateur Lewis: On nous a dit que le projet de loi que nous examinons a été rédigé en tenant particulièrement compte des décisions et des observations de la Cour suprême. Avez-vous un point de vue en ce qui a trait au résultat? Avez-vous examiné le projet de loi actuel afin de voir s'il est conforme aux décisions de la cour.

M. Schabas: Oui, je l'ai fait et je crois qu'il y est conforme. Je pourrais vous renvoyer plus particulièrement au paragraphe 72 du jugement du juge Iacobucci. Il y mentionne qu'il s'agit d'une mesure assez exceptionnelle, mais il reconnaît nettement l'importance et la nécessité de la mesure législative. Il précise certaines des choses qui auraient pu être faites et auraient probablement été acceptables. C'est un signal clair.

Le juge Iacobucci était même d'accord pour suspendre l'effet de la constatation de l'inconstitutionnalité afin de permettre au gouvernement de mieux adapter la mesure législative et de permettre au Parlement de proposer une mesure législative qui empiéterait moins sur les droits protégés par la Charte. Il donne des exemples comme les messages relatifs à la santé et dit qu'ils devraient être attribués à leur auteur, en toute vraisemblance Santé et Bien-être social Canada. Ce n'est pas dit en termes aussi clairs dans le projet de loi, mais il me semble que c'est ainsi qu'on réglera le problème. Il parle aussi de la publicité du tabac et dit qu'on devrait peut-être la réglementer de la même façon que celle de l'alcool. Il est tout à fait clair qu'on en a tenu compte. La Cour suprême a envoyé ces signaux très utiles au Parlement et je crois que la mesure législative en tient compte.

Le sénateur Jessiman: Vous avez dit que c'est au gouvernement qu'il incombe de prouver qu'il avait besoin de la disposition relative à l'inversion du fardeau de la preuve. Croyez-vous que c'est la même chose en ce qui a trait au paragraphe 35(1) qui autorise une visite sans mandat, à l'exception d'un local d'habitation dans des conditions très générales, et le paragraphe 39(1) qui autorise la saisie de produits du tabac sans mandat? Le gouvernement serait-il tenu de convaincre le tribunal que dans certaines circonstances cela était justifié ou croyez-vous que c'est justifié?

M. Schabas: Comme vous le savez, il s'agit de dispositions qui pourraient être contestées, probablement aux termes de l'article 8 de la Charte.

Le sénateur Jessiman: Qu'en pensez-vous?

M. Schabas: Elles ne me choquent pas. Elles semblent comparables aux dispositions que nous trouvons dans une mesure législative de ce genre dont on a en général permis la survie. Nous permettons que des compteurs d'électricité et d'eau soient installés dans nos maisons et y soient inspectés. Une disposition de ce genre est permise, comme l'a dit le gouvernement, surtout parce qu'elle ne fait pas l'objet de poursuites directes.

Le sénateur Jessiman: Par conséquent, vous pensez qu'elles résisteraient probablement à toute contestation?

M. Schabas: À mon avis, elles ne présentent pas vraiment un problème.

Le sénateur Doyle: J'ai pris quelques notes en écoutant votre exposé. D'après ce que vous dites -- du moins, c'est ce que je crois que vous avez dit --, si la loi semble vague, c'est parce que les législateurs ont voulu qu'elle le soit. Est-ce que j'exagère en disant cela?

M. Schabas: Comme je ne sais pas si cela va être consigné au compte rendu, je vais dire le contraire de ce que j'ai dit la première fois.

Il y a de nombreuses lois qui, de par leur nature, sont vagues. Lorsque nous lisons une loi et que nous avons de la difficulté à en comprendre le sens, nous disons qu'elle est vague. C'est pourquoi nous avons des tribunaux: pour expliquer et clarifier les lois dans une certaine mesure. Encore une fois, ce n'est pas le caractère vague du projet de loi qui pose problème, mais plutôt, comme je l'ai dit en réponse à la question du sénateur Nolin, sa complexité. Presque toutes les lois renferment des dispositions qui sont vagues. Ces dispositions ont, généralement parlant, résisté à l'analyse des tribunaux en vertu de la Charte, même si l'assemblée législative n'aimait pas tellement l'idée d'adopter une loi qui comportait des imprécisions. L'adoption d'une loi est assimilée à une décision de nature politique. Toutefois, il ne devrait pas vraiment y avoir de problème du point de vue de la Charte.

Le sénateur Doyle: Vous dites qu'il y a des dispositions législatives qui, pendant 15 ans, ne font l'objet d'aucune contestation, parce que la personne qui pourrait être portée à les contester n'a pas les moyens de le faire. Il faut avoir de l'argent pour entreprendre une contestation. Toutefois, au bout de 15 longues années, on réussit à démontrer que, oui, cette disposition en particulier était attaquable. Qu'en est-il de toutes les personnes qui ont été privées de droits quelconques pendant cette période, pour la simple raison que la loi n'a pas été contestée?

M. Schabas: Les temps changent. Les lois qui n'avaient rien de choquant au moment de leur adoption peuvent, 20 ou 25 ans plus tard, être contestées devant les tribunaux tout simplement parce que les attitudes ont évolué.

Il y a de nombreuses dispositions dans le Code criminel qui, au fil des ans, ont fait l'objet d'un examen beaucoup plus approfondi parce que notre façon de voir les choses a changé. Nous voyons maintenant les retombées de la Loi constitutionnelle et, en particulier, de la Charte. C'est non seulement tout à fait naturel, mais souhaitable.

Le sénateur Doyle: C'est ce que nous appelons le progrès, et je n'ai rien contre cela. Toutefois, vous avez parlé d'une loi qui est restée intacte, mais vous n'avez pas laissé entendre que les circonstances avaient changé. Vous avez tout simplement dit que la loi était restée intacte pour la simple raison que personne ne l'avait contestée. C'est cela qui m'inquiétait.

Le projet de loi, si j'ai bien compris, vise, entre autres, à mettre sur pied un programme d'information pour convaincre les jeunes notamment de ne pas commencer à fumer.

Il est difficile d'inculquer des principes à certaines personnes avec un texte aussi vague qui ne ferait que susciter de la confusion. Il serait très difficile d'appliquer la loi en l'absence d'objectifs bien définis.

Lorsque nous parlions, l'autre jour, de l'imprécision de la loi, nous faisions allusion à la nécessité d'avoir des objectifs clairement définis. Quel est le but visé par la loi et quelle approche les tribunaux ont-ils adoptée? J'aurais préféré que le juge Iacobucci consacre davantage de temps aux aspects vagues et confus du projet de loi avant qu'il ne recommande des changements. Êtes-vous d'accord avec cela?

M. Schabas: Je conviens avec vous qu'il aurait été utile que le juge Iacobucci définisse clairement les paramètres de la loi, mais il n'avait pas en main le rapport du gouvernement fédéral qui lui aurait permis de le faire.

Les tribunaux ont utilisé cette démarche dans le passé lorsque les dispositions du Code criminel sur la protection des victimes du viol ont été cassées. Un des juges a défini les nouvelles règles qui devaient être établies, et elles ont essentiellement été adoptées par le Parlement. Il arrive que des paramètres soient établis, mais le juge Iacobucci vous aurait dit: «Je n'ai pas les documents parce qu'ils ont refusé de me les fournir.» S'ils avaient accepté de me les remettre, j'aurais été en mesure de vous dire ce qu'il convient de faire et de ne pas faire.

Le sénateur Milne: Monsieur Schabas, je ne suis pas une avocate et j'ai eu un peu de difficulté à suivre votre exposé. J'ai l'impression que vous tourniez beaucoup autour du pot. Heureusement, vous avez été plus direct dans vos réponses à certaines questions.

Je voudrais savoir si, oui ou non, malgré cette formulation bizarre -- pour reprendre les propos du sénateur Nolin -- ou compliquée, le projet de loi remplit les deux critères que vous avez mentionnés, soit les critères du lien rationnel et de l'atteinte minimale?

M. Schabas: Oui.

Le sénateur Milne: Est-il conforme à la Charte?

M. Schabas: Oui.

Le sénateur Milne: Est-il constitutionnel?

M. Schabas: Oui.

Le sénateur Milne: Merci.

Le sénateur Kinsella: J'aimerais attirer votre attention sur le libellé de l'article 19. Il se lit comme suit:

Il est interdit de faire la promotion d'un produit du tabac ou d'un élément de marque d'un produit du tabac, sauf dans la mesure où elle est autorisée par la présente loi ou ses règlements.

Pour moi, cet article équivaut à une interdiction générale du droit, reconnu en common law, de faire la promotion de n'importe quel produit, sauf ceux qui sont interdits par l'État. Il s'agit d'un principe bien établi.

Quand on compare ce genre d'interdiction générale du droit à la liberté d'expression aux restrictions bien précises que l'on avait l'habitude d'imposer dans le passé, on se demande s'il s'agit là d'une tendance qui se manifeste de plus en plus dans les lois et la jurisprudence canadiennes?

M. Schabas: Dans mes réponses aux questions du sénateur Nolin, j'ai dit que nous avons devant nous une loi qui est essentiellement réglementaire. Et toute loi à caractère réglementaire comporte une interdiction générale, sauf pour ce qui est autorisé par la loi. Je ne sais pas si je peux vous donner beaucoup d'exemples, mais bon nombre des lois à caractère réglementaire vous autorisent à faire certaines choses, même si elles comportent une interdiction.

Prenons, par exemple, la conduite d'une voiture. Il est interdit de conduire une voiture, sauf dans la mesure où la personne obtient un permis, réussit l'examen, respecte le code de la route et vérifie que sa voiture est en bon état.

La façon dont cette loi est rédigée ne me choque absolument pas.

Le sénateur Kinsella: Êtes-vous d'accord pour dire que, en vertu du principe qui sous-tend l'article 19, nous n'avons plus la liberté de faire la promotion des produits qui nous intéressent, et que cette liberté sera assujettie à un régime de réglementation? Ici, vous pouvez uniquement faire la promotion d'un produit si vous vous conformez à des règles bien précises. C'est bien ce que dit le projet de loi, n'est-ce pas?

M. Schabas: Oui. Mais c'est vraiment une question de choix. Je ne vois pas cela comme un problème. Il s'agit tout simplement de trouver un moyen de s'attaquer au problème. Votre choix sera peut-être motivé par la crainte que, si vous laissez des échappatoires dans la loi, une des compagnies de tabac va finir par trouver une façon de les contourner. Elle va y consacrer beaucoup d'énergie. Il serait peut-être plus prudent de décréter une interdiction générale et ensuite de dire: «Vous pourrez faire de la promotion et de la publicité quand nous aurons défini les règles.» Point à la ligne. Vous pouvez parvenir au même résultat en utilisant l'autre méthode. La démarche serait peut-être plus compliquée, et peut-être que certaines compagnies assez rusées parviendraient à trouver des échappatoires. Mais quand on décrète une interdiction générale dans une loi, c'est plus difficile à faire.

Comme je l'ai dit, la solution retenue ne pose aucun problème. Il y a deux options qui s'offrent à nous et nous devons en choisir une.

Le sénateur Pearson: J'aimerais revenir à ce que le sénateur Kinsella a dit. Tout comme ma collègue, le sénateur Milne, je ne suis pas une spécialiste des questions juridiques et constitutionnelles. Toutefois, j'aime bien apprendre.

J'aimerais vous poser une question d'ordre général au sujet de la liberté d'expression. Je suis certaine que le comité va avoir l'occasion d'en rediscuter très souvent, parce qu'il arrive parfois que le gouvernement soit obligé de restreindre la liberté d'expression.

Vous avez mentionné deux critères qui permettent de limiter la liberté d'expression: le lien rationnel et l'atteinte minimale. J'aimerais prendre un exemple qui n'a rien à voir avec la question du tabac. Considérons un instant la situation entourant la vente des actions de la compagnie Bre-X et la question de savoir si les renseignements divulgués étaient exacts ou non. Est-ce qu'on peut invoquer la liberté d'expression pour défendre la diffusion de renseignements qui ne s'avèrent pas entièrement exacts? Je suppose que ce qu'il faut se demander à ce moment-là, c'est si l'on a délibérément tenté d'induire les gens en erreur.

M. Schabas: Je pense que vous faites allusion ici à des moyens de défense plus traditionnels qui relèvent du droit pénal et qui ont trait aux accusations qui pourraient être portées en vertu du Code criminel ou d'une loi à caractère réglementaire, comme par exemple le fait de distribuer un prospectus qui contient de faux renseignements. L'accusé peut invoquer n'importe quel moyen de défense pour susciter un doute raisonnable quant à sa culpabilité, même si les renseignements diffusés sont faux. Il peut invoquer n'importe quel moyen de défense, allant de l'erreur à l'état d'ébriété, en passant par la maladie mentale. Je ne crois pas que cela risque de se produire dans ce cas-ci, mais ce sont les options qui existent.

Il arrive parfois que l'on conteste certaines dispositions du droit criminel au motif qu'elles portent atteinte à la liberté d'expression. Mais c'est une tout autre question. Vous vous trouvez, dans ce cas-là, à contester l'existence de la loi et à dire que, parce qu'elle porte atteinte à la liberté d'expression, elle va à l'encontre de l'alinéa 2(b) de la Charte. Il y a eu des cas où cet argument a été invoqué avec succès. Dans l'arrêt Zundel, la Cour suprême du Canada a statué qu'une des dispositions du Code criminel allait à l'encontre de l'alinéa 2(b) et qu'elle ne résistait pas à l'analyse de l'article premier de la Charte. Cette disposition assimilait la communication de renseignements erronés à une infraction. Cela peut se produire chaque fois qu'il y a dans le droit pénal une disposition qui interdit une forme d'expression quelconque. Cette disposition peut être contestée au motif qu'elle porte atteinte à la liberté d'expression.

Il y a ensuite l'analyse en vertu de l'article premier, qui consiste à déterminer si cette restriction constitue une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. C'est de cela dont nous parlons lorsque nous utilisons l'expression «atteinte minimale».

[Français]

Vous dites qu'il existe une telle chose, la théorie de l'imprécision. Il ne faut pas la confondre avec la théorie des textes assez vagues. Je pense qu'il faut revenir là-dessus. Je voudrais savoir quelle est la conclusion à laquelle vous arrivez? Quand vous dites que ce texte comporte des termes vagues, ils ne sont pas vagues au point de donner naissance à la théorie de l'imprécision. Si je me fie à ce que vous avez répondu au sénateur Milne, vous dites que si cela respecte la Charte et la Constitution, c'est que la théorie de l'imprécision ne s'applique pas dans ce cas-ci. Le texte est peut-être vague mais n'est pas imprécis au point d'être inconstitutionnel. C'est ce que vous voulez dire?

M. Schabas: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Mon deuxième point concerne la théorie de la dissociabilité. La Cour suprême est arrivée à la conclusion suivante dans plusieurs cas: tel article est invalide mais la loi peut subsister, même si un, deux ou trois articles sont invalides. Si je me fie à la réponse que vous avez donnée au sénateur Milne, vous dites que quelqu'un peut prétendre qu'un article est ultra vires ou inconstitutionnel. Votre conclusion est qu'il n'y a pas d'articles inconstitutionnels. Est-ce bien votre avis comme expert?

M. Schabas: Oui, sénateur Beaudoin, la loi conforme à la Charte ne viole pas la liberté d'expression au sens qu'il y a dans la première étape de l'analyse une violation de la liberté d'expression sauvée ou protégée par l'application de l'article premier de la Charte, c'est-à-dire une limite raisonnable.

Sur la question de l'imprécision, j'ajouterai seulement que la théorie de l'imprécision est applicable, bien sûr, à cette législation comme à l'ensemble de la législation mais qu'en pratique, je ne vois pas de dispositions vagues à ce point que la théorie est susceptible d'être invoquée, j'en suis certain, elle sera invoquée et plaidée. Mais je vous signale que ce n'est que dans une affaire, je crois, que la Cour suprême du Canada a donné suite à l'application de la théorie de l'imprécision. C'est un argument qui est plaidé très souvent et qui ne fonctionne à peu près jamais et certainement pas dans un contexte de réglementation.

Là où cela s'applique, c'est dans un contexte de poursuite criminelle de détention provisoire, et cetera, un cas qui ne ressemble pas à cette législation. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Beaudoin: Votre opinion est claire, oui.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Schabas, j'aimerais, pour terminer, vous poser une question au sujet de la disposition qui inverse le fardeau de la preuve, c'est-à-dire les paragraphes 53(1) et(2). Si le projet de loi précisait qu'une personne serait déclarée coupable jusqu'à preuve du contraire, il résisterait difficilement à toute contestation en vertu de la Charte. Y a-t-il des cas où une disposition portant inversion de la preuve résisterait à une contestation?

Ce projet de loi vise à interdire certaines activités. Si nous estimons qu'il y a une exception qui joue en notre faveur, c'est à nous de le démontrer. Vous n'avez pas à prouver votre innocence, mais vous devez démontrer qu'une exception joue en votre faveur. Est-ce que cela pourrait faire partie de ces cas?

M. Schabas: À ma connaissance, il n'y a pas de lois au Canada qui inversent le fardeau de la preuve au point et qui laissent entendre qu'une personne est déclarée coupable jusqu'à preuve du contraire. Pour déclarer une personne coupable jusqu'à preuve du contraire, il faut que la police dépose une accusation contre cette personne, ou que la poursuite porte une accusation contre elle et ensuite, en l'absence de toute preuve, que cette personne prouve son innocence. À ma connaissance, de telles lois n'existent pas.

On autorise parfois, lorsque certains faits ont été établis, l'existence de faits présumés. L'accusé est alors tenu de répondre à ces faits et de les réfuter. Dans certains cas, il les réfutera en suscitant tout simplement un doute raisonnable. Dans d'autres, il doit les réfuter en prouvant le contraire. Par exemple, l'arrêt Oakes portait sur la possession de stupéfiants pour en faire le trafic. La personne trouvée en possession d'une certaine quantité de stupéfiants était alors présumée être en possession de stupéfiants pour en faire le trafic et devait démontrer le contraire. Cette disposition-ci précise que si une personne peut invoquer des moyens de défense valables -- une exception, une exemption, une excuse ou une réserve --, elle doit en faire la preuve et non pas simplement susciter un doute raisonnable quant à l'existence de ces faits.

Habituellement, si vous voulez susciter un doute raisonnable, vous devez le faire en prouvant, par exemple, qu'une exemption joue en votre faveur. Par exemple, disons qu'un enfant de 11 ans est accusé d'une infraction en vertu de la loi.

La présidente: Il ne peut pas l'être parce qu'il est un jeune contrevenant.

M. Schabas: Exactement. En théorie, le jeune pourrait être accusé parce que la Couronne pourrait croire qu'il est âgé de 19 ans. Le jeune pourrait alors invoquer cet argument, mais il serait obligé de prouver ce fait, et non pas simplement de susciter un doute raisonnable. Il faudrait non seulement qu'il suscite un doute raisonnable, ce qui constitue une règle en droit criminel, mais aussi qu'il prouve ce fait à la satisfaction du juge des faits.

La présidente: Merci beaucoup. Y a-t-il d'autres questions?

Le sénateur Nolin: Je ne connais pas la réponse. Je ne devrais alors peut-être rien dire.

[Français]

Le sénateur Nolin: Le pouvoir réglementaire, le pouvoir délégué dans cette loi est immense. Quelle est votre opinion comme professionnel, comme expert, face à cette délégation massive de pouvoir au Cabinet?

M. Schabas: J'ai constaté dans les procès-verbaux de vos délibérations une préoccupation très large de cette question de la délégation. Bien sûr, s'il s'agissait d'une délégation de pouvoir dans le contexte du Code criminel, cela serait absolument choquant que les crimes comme tels soient laissés théoriquement à un pouvoir délégué.

Je crois qu'ici nous sommes dans une matière qui s'apparente beaucoup à la réglementation de l'industrie. Je trouve la réglementation beaucoup moins choquante dans cette situation. J'ajoute que cette souplesse est peut-être nécessaire afin de répondre aux contestations constitutionnelles. On ne sera plus obligé de revenir devant le Parlement pour modifier la loi même si un règlement va trop loin. On peut faire des ajustements plus rapidement. Je pense que cela pourrait être une bonne cause.

Le sénateur Nolin: Pourquoi une loi criminelle doit-elle contenir des prohibitions votées par le Parlement et que ce serait choquant que ces prohibitions soient décidées par une autre entité que le Parlement?

M. Schabas: Le Code criminel ne vise pas à réglementer une industrie, le secteur commercial d'une société. Le Code criminel est applicable à tout le monde et doit être compréhensible et compris par l'ensemble de la population. Ce doit être accessible et facile à comprendre vu l'aspect draconien du Code criminel. On est en matière criminelle.

Sur ce plan, le gouvernement a justifié cette législation. Ce n'est pas criminel comme d'autres législations, comme le Code criminel ou la Loi sur les stupéfiants. C'est une opinion.

Évidemment, le pouvoir réglementaire est bien reconnu en matière d'impôts, par exemple, cela ne nous scandalise pas qu'il y ait une législation très importante déléguée en vertu de Loi sur l'impôt; en matière de protection de l'environnement, on va déléguer des pouvoirs énormes. Cela dépend du contexte. Dans certains contextes, c'est inadmissible et dans d'autres, c'est beaucoup plus admissible et il me semble qu'alors, il faut réagir. Lorsque l'on s'adresse à un secteur plus restreint et délimité de la société, une industrie importante par exemple, il faut une souplesse aussi dans la législation, que la réglementation permette et que la loi, la législation statutaire permette moins facilement.

Le sénateur Nolin: Vous n'êtes certainement pas familier avec l'étendue de l'industrie du tabac au Canada, moi non plus d'ailleurs. À lire ce que l'on a reçu comme documentation, il y a plus de trois entreprises ou entités commerciales impliquées dans les prohibitions dont on voit poindre l'importance dans le projet de loi mais dont on ne connaît pas la teneur exacte. On n'a qu'à penser à tous les petits dépanneurs, souvent des entreprises familiales, l'homme, la femme et les enfants, qui sont malheureusement des Canadiens nouvellement arrivés. À qui ces gens vont-ils se fier pour comprendre l'étendue des prohibitions qu'on leur impose?

M. Schabas: Il y a certainement beaucoup de dispositions qui s'adressent essentiellement aux fabricants, aux agences de publicité. Le petit dépanneur ne fait pas de publicité. Il ne va pas donner sa publicité à un Grand Prix à Montréal. Il a ses propres préoccupations qui sont la vente. La législation ne soulève pas de problème de liberté d'expression. Jusqu'à un certain point, l'affichage, il le connaît et il doit respecter cela dans d'autres domaines. Le dépanneur du coin, ce qu'il connaît est la réglementation municipale et provinciale, cet ensemble de règles avec lesquelles il doit vivre chaque jour. Je ne vois pas de difficultés. Je ne pense pas qu'il y ait des différences entre toutes les autres règles législatives réglementaires que le dépanneur doit respecter.

La présidente: Je vous remercie de votre présentation.

[Traduction]

Sénateurs, nous avons maintenant le plaisir d'accueillir des représentants du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac. Je tiens à préciser que nous n'avons pas été obligés de les citer à comparaître. Ils sont ici et nous sommes heureux de les accueillir.

Nous avons avec nous cet après-midi M. Simon Potter, conseiller juridique représentant Imperial Tobacco Limitée; M. Robert Parker, président-directeur général du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac, M. Colin Irving, conseiller juridique représentant RJR-Macdonald et M. Stephen Sofer, conseiller juridique représentant Rothmans, Benson & Hedges Inc. Il nous tarde d'entendre vos exposés. Vous avez la parole.

M. Robert R. Parker, président-directeur général, Conseil canadien des fabricants des produits du tabac: Madame la présidente, nous avons deux brèves déclarations à faire. Elles portent sur les deux grands volets du mémoire, dont l'un traite de questions d'affaires et opérationnelles, et l'autre, des incidences juridiques du projet de loi.

De toute évidence, la lutte contre le tabagisme est devenue une question controversée en matière de politique publique. Et la controverse qui se produit à l'heure actuelle est due, entre autres, au fait que plusieurs intervenants dans le dossier font des suppositions sans fondement au sujet des motifs de l'industrie. Nombreux sont ceux qui font l'erreur de croire que nous désirons poursuivre nos activités au sein des marchés entièrement libres avec le droit absolu de faire la mise en marché de nos produits sans restrictions. Ce n'est pas le cas. En réalité, nous ne critiquons même pas le droit du gouvernement fédéral de poursuivre des politiques visant à réduire la consommation et l'usage du tabac. Nous ne nous opposons pas non plus à des restrictions responsables et légalement acceptables concernant la fabrication et la vente de nos produits, ou la publicité entourant ces produits, pourvu que ces restrictions soient réalisables. Depuis plus de deux décennies, nous nous sommes imposés de telles restrictions.

Là où nous divergeons d'opinion avec bon nombre des critiques du tabagisme, notamment Santé Canada, c'est sur les questions d'efficacité, plus précisément, les preuves démontrant que ces mesures de lutte contre le tabagisme permettent réellement d'atteindre les buts visés.

Comme l'indique notre mémoire, les compagnies de tabac ont de bonnes raisons de faire de la publicité. Il y a une chose que la publicité ne fait pas: convaincre quelqu'un de commencer à fumer. La consommation de tabac par les jeunes Canadiens se situe au coeur du débat. Les fabricants s'entendent pour dire que les jeunes ne devraient tout simplement pas fumer. Nous avons dépensé plusieurs millions de dollars pour appuyer des programmes expliquant la loi aux détaillants et pour distribuer des documents visant à les aider, ainsi que leur personnel, à appliquer la loi et à s'y conformer. Comme vous l'entendrez de la part d'autres participants aux présentes audiences, tout indique que le programme donne de bons résultats et contribue à empêcher les mineurs au Canada d'avoir accès au tabac.

Cette réponse est-elle complète et définitive? Bien sûr que non, et nos entreprises membres sont disposées à collaborer avec tout organisme responsable pour réduire davantage l'usage du tabac chez les jeunes.

Nous sommes ici aujourd'hui essentiellement pour dénoncer les principaux articles de ce projet de loi qui n'ont aucun lien démontrable avec la décision des jeunes ou de toute autre personne de fumer. La Loi réglementant les produits du tabac, qui précède celle-ci, n'a pas résisté aux exigences des tribunaux et du marché. Avec ce projet de loi, l'absence de preuves concrètes concernant les répercussions sur la décision de fumer s'applique non seulement à la question de la publicité, mais également à plusieurs autres aspects, comme l'interdiction de fait touchant la commandite d'événements, les dispositions concernant la vente au détail et les mesures de contrôle proposées concernant l'utilisation de marques déposées pour le tabac sur d'autres produits.

Le 7 décembre, le ministre a déclaré: «Nous espérons qu'en l'espace de trois ans, nous serons en mesure de réduire la consommation du tabac de 15 p. 100 à 20 p. 100 ou 22 p. 100.» Lorsque nous avons relevé ces chiffres sur les répercussions prévues du projet de loi, nous avons demandé au ministère de la Santé sur quelle étude ou source d'information il s'était fondé. Le directeur de la coordination et de l'accès à l'information nous a répondu ce qui suit:

Aucune étude de Santé Canada n'a fait de telles estimations concernant la réduction de la consommation du tabac. Le ministre Dingwall affirmait simplement que le ministère de la Santé espère qu'il y aura une réduction de l'usage du tabac au cours des trois prochaines années...

Mesdames et messieurs les sénateurs, avec tout le respect que nous vous devons, les espoirs du ministre et de son ministère ne constituent pas un fondement suffisant pour établir une loi crédible en matière de lutte contre le tabagisme.

Trois autres questions sont exposées en détail dans les documents déposés devant vous.

Premièrement, même si ce projet de loi prétend être la réponse juridique à la nécessité de lutter contre le tabagisme, il constitue, en fait, un peu plus qu'un cadre prévoyant un transfert en bloc et sans précédent, des compétences législatives à la réglementation.

Deuxièmement, contrairement à la plupart des projets de loi de ce genre, le projet de loi C-71 ne contient pas les dispositions transitoires habituelles qui en permettraient la mise en oeuvre rationnelle et pratique.

Finalement, compte tenu de la récente jurisprudence sur la lutte contre le tabagisme, nous sommes incapables de comprendre pourquoi il a fallu attendre jusqu'à maintenant pour que le projet de loi C-71 contienne des dispositions qui contreviennent nettement à la Charte canadienne des droits et libertés. M. Irving va vous entretenir de ces dispositions, qui font l'objet de la Partie II de notre mémoire.

M. Colin Irving, conseiller juridique, RJR-Macdonald Inc., Conseil canadien des fabricants des produits du tabac: Honorables sénateurs, on nous dit que le projet de loi C-71 vise à remplacer la Loi réglementant les produits du tabac et à en corriger les imperfections juridiques et constitutionnelles. Pour les raisons exposées dans notre mémoire écrit -- qui est assez long, j'en suis désolé -- mais qui est également résumé, nous sommes d'avis que le projet de loi C-71 n'a pas atteint cet objectif.

Malgré son libellé, le projet de loi frappe la publicité d'une interdiction complète, déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême du Canada. Il est curieux qu'il y a quelques instants à peine, M. Schabas a dit que de son point de vue, ce projet de loi est complètement constitutionnel. Toutefois, dans le cas de la LRPT, la Cour suprême a invalidé l'interdiction concernant l'utilisation de marques déposées pour le tabac sur d'autres produits, puisqu'il n'y a aucun lien rationnel entre une telle interdiction et l'objectif visé, soit la réduction de la consommation du tabac. Elle n'est même pas arrivée à l'analyse de l'atteinte minimale. Pourtant, on retrouve cette même interdiction dans le projet de loi C-71. Sans un seul mot de justification, ce projet de loi décrète simplement ce que la Cour suprême du Canada a déclaré inconstitutionnel, il y a deux ans à peine.

Toutefois, au-delà des difficultés que présente l'arrêt de la Cour suprême du Canada, le projet de loi C-71 renferme plusieurs dispositions qui sont forcément imparfaites pour des raisons juridiques qui n'ont rien à voir avec la LRPT et rien à voir avec l'arrêt RJR-Macdonald.

Nous prétendons que dans ce projet de loi, trois groupes de dispositions sont inconstitutionnels à première vue; j'aimerais maintenant prendre le temps qu'il faut pour en parler brièvement.

À titre d'introduction, on a entendu dire que le gouvernement a fait rédiger le projet de loi C-71 astucieusement de manière que si l'un ou l'autre de ses articles était invalidé, le reste serait confirmé. C'est ce que l'on disait du Titanic: certaines parties peuvent couler, mais le navire restera à flot. Je crois que si les groupes dont je vais parler sont invalidés, le projet de loi sera vidé de sa substance et pourra très certainement être contesté.

Le premier groupe traite de la définition de «promotion» qui figure à l'article 18, soit l'interdiction de toutes les formes de promotion à l'exception de celles autorisées par l'article 19 et les dispositions de l'article 20. Vous venez juste d'entendre M. Schabas en parler: l'article 19 criminalise toutes les formes de promotion à l'exception de celles qui sont explicitement autorisées.

Examinons de près la définition de «promotion», chose qu'il faut faire pour comprendre les objectifs de ce projet de loi.

Le mot «promotion» est défini à l'article 18 et, première surprise, il n'a rien à voir avec la promotion commerciale. «Promotion» s'entend de la présentation, par tout moyen, d'un produit ou d'un service -- y compris la communication de renseignements sur son prix ou sa distribution --, directement ou indirectement, susceptible d'influencer et de créer des attitudes, croyances ou comportements au sujet de ce produit ou service.

C'est une promotion, et vous remarquerez qu'il n'est pas nécessaire qu'elle se fasse dans un contexte commercial. On aurait pu croire que si le Parlement cherchait à remplacer la LRPT, il aurait abordé la question de la même façon que cette loi, en attaquant la publicité. Cette loi attaque la promotion, un point c'est tout. La promotion n'est pas commerciale, elle est n'importe quoi. Tous les propos que je tiens ou qu'un honorable sénateur tient ici, propos susceptibles d'influencer un auditeur, pourraient constituer une promotion. Je dirais que si vous faites de la promotion, sauf dans la mesure où elle est autorisée, et qu'il s'agit donc d'un acte criminel, vous feriez mieux de le faire en anglais, car vous ne serez passible de peine criminelle et de prison que si vous créez des attitudes, croyances et comportements, tandis qu'en français, on parle d'«attitudes, croyances ou comportements».

Les deux versions ne disent pas la même chose.

La promotion est donc entièrement interdite, sauf bien sûr que les propres politiques antitabac du gouvernement devraient être interdites, puisqu'elles sont susceptibles de créer des attitudes, croyances, chez toute personne qui y adhère. Il est tellement évident qu'elles tomberaient également sous le coup de l'interdiction qu'une exemption est nécessaire. Vous la retrouvez à l'alinéa 18(2)b). L'interdiction ne s'applique pas aux comptes rendus, commentaires et opinions portant sur un produit du tabac, sauf si un fabricant ou un détaillant a donné une contrepartie, directement ou indirectement, pour la mention du produit ou de la marque. Si je suis le conseiller juridique d'une société de tabac et que je suis payé par elle, tout ce que je dis, qui pourrait facilement constituer une promotion selon la définition, n'est pas protégé par l'alinéa b); j'en conclus donc que les sociétés de tabac n'ont pas droit à la liberté d'expression.

Il y a pire encore. Si vous lisez l'article 20, vous voyez qu'il est interdit de faire la promotion d'un produit du tabac, y compris sur l'emballage de celui-ci, d'une manière fausse ou trompeuse -- disposition que l'on retrouve dans la Loi sur la concurrence --, ou susceptible de créer une fausse impression sur les caractéristiques, les effets sur la santé ou les dangers pour celle-ci du produit ou de ses émissions. C'est l'exemple -- sans précédent, je crois, dans les lois du Canada -- de la criminalisation d'une opinion. Toute opinion sur un sujet qui peut très bien faire l'objet d'une controverse scientifique est interdite et criminelle. Vous pouvez faire deux ans de prison pour exprimer une opinion, et vous n'avez pas besoin d'être payé par quiconque pour le faire. Les sociétés de tabac ne vous paient pas pour cela. Nul ne peut dire quoi que ce soit qui pourrait créer une fausse impression. Grands Dieux! Je demande aux honorables sénateurs s'ils ont déjà vu ce genre de disposition dans une loi canadienne. À mon avis, elle serait à coup sûr invalidée par n'importe quel tribunal.

Je ne crois pas que l'on puisse invoquer l'article 1 pour défendre la criminalisation d'une opinion. J'aimerais donner un exemple rapide à cet égard. Si vous avez lu le Globe and Mail d'aujourd'hui, vous avez pu voir une publicité exigeant, au nom de l'Association pour les droits des non-fumeurs, que ce comité cite les P.D.G. des sociétés à comparaître; cette annonce critique également M. Parker, qui a déclaré ne pas savoir ce que signifie «toxicomanie», et affirme qu'il serait très surprenant que M. Parker ne connaisse pas la définition de «toxicomanie» donnée par le Surgeon General. Eh bien, M. Parker la connaît et moi aussi. Toutefois, lorsque le Surgeon General a déclaré que le tabac était toxicomanogène, le gouvernement canadien, en la personne du directeur de la Direction des médicaments du Canada, a émis un communiqué sur le sujet, disant qu'une telle affirmation était complètement ridicule et concluant que la position du ministère -- son ministère, le ministère de la Santé -- devait se fonder sur des faits scientifiques et non sur une opinion de pure forme. Ce document serait criminalisé en vertu du projet de loi C-71. C'est une opinion qui pourrait très bien influencer des attitudes, croyances ou comportements. Il provient, après tout, du ministère de la Santé, et critique énergiquement le Surgeon General en réfutant la validité de ses conclusions scientifiques. Il serait invalidé par ce projet de loi.

Honorables sénateurs, à mon humble avis, ces dispositions ne peuvent pas être valides, sous leur libellé actuel. Elles seraient immédiatement invalidées.

Le deuxième groupe vise les articles 22 et 27, les dispositions sur la publicité. Comme vous le savez, il est interdit de faire la publicité d'un produit du tabac, sauf dans la mesure où cela est autorisé. Ce que l'on appelle publicité préférentielle et publicité informative est autorisé. Lorsque les tribunaux seront saisis de cette question, ce qui ne va pas manquer de se produire, on verra qu'on ne peut faire aucune publicité, sauf si elle respecte le cadre de ce qui est censément autorisé, sans courir le risque de se retrouver en prison. Une publicité, sauf dans la mesure où elle est autorisée, est criminelle et expose le publicitaire à deux ans de prison et à une amende considérable qu'il doit verser chaque jour où l'infraction est commise. Dans le cas d'une affiche, l'infraction se répète chaque jour où l'affiche reste en place.

Alors que j'écoutais M. Schabas, je me suis dit qu'il serait très réconfortant pour les gens qui sont en prison de savoir qu'ils s'y trouvent non pas pour une infraction criminelle, mais simplement pour une question de réglementation. Ils ne sont pas soumis à des règlements, ce ne sont pas des criminels, mais ils vont quand même en prison.

Vous pouvez placer des affiches dans des endroits dont l'accès est interdit aux jeunes par la loi. Prenons l'exemple d'un bar dont l'accès est interdit aux jeunes. Votre affiche est toutefois un crime, même si aucun jeune ne va la voir, et c'est un crime qui se répète chaque jour, selon le paragraphe 22(3), s'il existe des motifs raisonnables de croire que cette affiche pourrait être attrayante pour les jeunes.

Ne pouvez-vous jamais dire avec une certitude absolue qu'il n'existe pas des motifs raisonnables de croire que cela pourrait être attrayant pour les jeunes? Quels jeunes? Tous les jeunes, certains jeunes, les jeunes filles, les jeunes hommes? Il y a beaucoup de sortes de jeunes.

Le fait de dire qu'il existe des motifs raisonnables de croire, signifie, par définition, que l'inverse est également vrai. C'est aussi vaste que cela. Il est impossible de l'envisager d'une autre manière. Pourtant, il s'agit d'un crime qui ne donne pas accès à une défense basée sur la diligence raisonnable. Nous en arrivons au deuxième problème juridique que pose ce projet de loi et qui, à mon avis, n'exige même pas de preuve.

Selon la Cour suprême du Canada, lorsque des sanctions criminelles sont infligées, lorsque vous allez en prison, que vous en êtes en quelque sorte stigmatisé et que vous êtes un genre de criminel, on ne peut vous déclarer coupable d'un crime, à moins que vous n'ayez ce que les avocats appellent mens rea, une intention criminelle.

Toujours selon la Cour suprême, lorsqu'il s'agit d'infractions aux textes réglementaires -- et je conviens que cela en est une -- il est possible de substituer la négligence à ce degré de connaissance coupable, sous réserve de certaines conditions toutefois. Il est possible de remplacer la négligence dans la mesure où une défense basée sur la diligence raisonnable est prévue. Au Canada, on ne met pas des gens en prison pour négligence sans leur donner la possibilité de montrer qu'ils ont pris toutes les précautions possibles. Cela violerait tout simplement les dispositions de la Charte.

Il n'y a pas de liberté d'expression; je veux parler de l'article 7, les principes de la justice fondamentale. Personne n'en a encore parlé, autant que je sache. La justice fondamentale ne permet pas l'emprisonnement de gens sous prétexte qu'ils ont commis ce genre d'erreur, à moins qu'ils ne puissent essayer de montrer qu'ils ont pris toutes les précautions possibles pour l'éviter.

Pour en revenir à l'article 20, la Loi sur la concurrence interdit la publicité fausse ou trompeuse. Selon l'article suivant de la Loi sur la concurrence, nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction en vertu de cet article s'il montre qu'il a fait preuve de diligence raisonnable et qu'il a essayé de vérifier l'exactitude de ce qu'il disait. Toutefois, cette défense n'est pas possible en vertu du projet de loi C-71, ce qui est une grave erreur. Cela s'applique non seulement à la publicité dont il existe des motifs raisonnables de croire qu'elle pourrait être attrayante pour les jeunes, mais aussi au style de vie.

Il est parfois difficile de ne pas oublier que nous parlons ici d'actes criminels. Nous parlons de gens qui vont en prison si leur publicité, selon la définition de style de vie, associe un produit avec une façon de vivre, tels le prestige, les loisirs, l'enthousiasme, la vitalité, le risque ou l'audace ou qui évoque une émotion ou une image, positive ou négative, au sujet d'une telle façon de vivre. Essayez donc de concevoir une publicité pour laquelle vous êtes prêt à courir le risque de vous retrouver en prison, parce que vous ne pensez pas qu'elle pourrait évoquer une émotion, positive ou négative, au sujet du risque. Comment pourriez-vous faire la publicité d'un produit du tabac sans courir le risque d'évoquer une émotion, positive ou négative, au sujet du risque? Comme pour le cas précédent relatif aux jeunes, ce n'est pas une norme que les tribunaux accepteraient.

Premièrement, aucune défense basée sur la diligence raisonnable n'est possible et, deuxièmement, pour justifier le fait que des gens puissent se retrouver en prison pour négligence, même dans les cas où ils ne peuvent pas montrer qu'ils ont fait preuve de diligence, la Cour suprême a décrété que, dans les industries réglementées, des normes objectives sont fixées, auxquelles on doit adhérer si l'on devient membre de ces industries, et c'est raisonnable. C'est raisonnable si de telles normes objectives sont fixées, mais s'agit-il ici de normes objectives? Elles ne sont pas objectives du tout. Je prétends, avec tout le respect que je vous dois, que personne ici ne saurait ce qui pourrait permettre de croire que cela pourrait être attrayant pour les jeunes et ne saurait ce qui pourrait évoquer une émotion. Cela ne cadre pas avec la justification d'un emprisonnement pour négligence simplement, sans possibilité de recours à une défense basée sur la diligence raisonnable.

L'article 27 se contente simplement de frapper de nouveau l'utilisation des marques de commerce d'une interdiction que la Cour suprême du Canada a invalidée dans le cas de la LRPT. Aucune justification n'est donnée à ce sujet. C'était l'article qui, selon la cour, ne répondait même pas au critère de lien rationnel. Nous le retrouvons ici. Les critères sont les mêmes en ce qui concerne l'attrait pour les jeunes ou le style de vie.

Selon l'article 27, il s'agit bien sûr d'un crime. M. Schabas dirait que ce n'est pas un crime. Je ne vais pas discuter du sens des mots avec lui, mais le fait est que cela permet d'emprisonner les gens, et cela me suffit pour dire qu'il s'agit d'un crime.

Enfin -- je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'examiner cette question en détail, car l'explication en est donnée dans le sommaire -- un autre groupe de dispositions permet la fouille et la saisie. Il est étonnant que la Chambre des communes l'ait adopté car récemment, dans des affaires mettant en cause la loi ontarienne sur le tabac, les tribunaux ont décrété que pour pénétrer chez les gens, l'inspecteur doit avoir un mandat, mais qu'il ne peut obtenir ce mandat à moins de signer un affidavit indiquant qu'il a des motifs raisonnables de croire qu'un crime a été perpétré. En vertu de ce projet de loi, il ne sera pas utile de procéder de la sorte. Il suffira simplement à l'inspecteur de dire qu'il croit qu'un refus sera opposé à sa visite. Pourquoi les gens le laisseraient-ils entrer s'ils n'ont rien fait de mal? Ces dispositions ne peuvent être qu'invalidées.

Ces trois groupes de dispositions, une fois retirés, font du projet de loi une coquille vide et ils sont sans rapport avec l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire RJR-Macdonald ou le jugement qu'elle a rendu concernant la Loi réglementant les produits du tabac.

De plus, nous vous prouverons qu'en réalité, on ne peut pas vraiment faire de la publicité. L'interdiction qui frappe toutes les formes de publicité extérieure est totale. Bien que la Cour suprême du Canada ait statué que l'interdiction totale de la publicité extérieure n'était pas justifiable, voilà qu'on cherche à nouveau à l'interdire dans le projet de loi à l'étude, qui bannit toute publicité aux points de vente, en contradiction flagrante avec la décision de la Cour suprême. S'il faut en croire le libellé, le projet de loi n'interdit pas toute publicité-médias. Par contre, il ne faut pas oublier les problèmes que pose la publicité qui attire les jeunes et la publicité préférentielle dont je vous ai parlé tout à l'heure. En fin de compte, le projet de loi à l'étude est une nouvelle tentative d'interdiction, mais je ne crois pas que cet argument soit invoqué devant un tribunal, en raison des nombreuses autres violations de la Charte.

Je viens de vous décrire les motifs juridiques pour lesquels, si le projet de loi à l'étude était adopté, nous demanderions à un tribunal de l'invalider et, entre temps, d'en suspendre l'application. Après tout, les fabricants que mes collègues et moi-même représentons n'ont pu, pendant six ans et demi, faire la publicité de leurs produits à cause d'une loi qui a été jugée inconstitutionnelle à la fin de cette période. Manifestement, ils ne voudront pas revivre tout cela. Le projet de loi à l'étude, loin d'être une amélioration par rapport à la Loi réglementant les produits du tabac, est à de nombreux égards bien pire.

La présidente: Je vous remercie, monsieur Irving.

Le sénateur Kenny: Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. La partie de votre exposé qui porte sur les questions opérationnelles en matière de promotion m'a laissé perplexe. Si j'ai bien compris, vous dites que vous êtes obligés de faire de la publicité non pas tant pour inciter des personnes à fumer que pour conserver votre part de marché. Est-ce exact?

M. Parker: Soit pour la conserver, soit pour l'accroître.

Le sénateur Kenny: Dans ce cas-là, où trouvez-vous les nouveaux fumeurs? Puisque 40 000 fumeurs meurent chaque année, où trouvez-vous vos nouveaux clients?

M. Parker: Sénateur, un nombre prévisible de personnes cessent de fumer chaque année, et un nombre plus ou moins prévisible d'autres commencent à fumer chaque année. C'est ainsi depuis 10 ans. Il n'y a pas eu de changement important dans le pourcentage global de fumeurs au Canada, mais il y a eu une variation considérable du nombre de personnes qui cessent de fumer et des autres qui se mettent à fumer. Les raisons pour lesquelles on décide soit de cesser soit de commencer à fumer sont complexes. Que nous sachions, la publicité n'influence pas cette décision. Elle a été sans influence au Canada, aux États-Unis et dans la douzaine d'autres pays qui ont interdit, en tout ou en partie, la publicité ou la commandite, si ce n'est sur les deux, pendant près de 20 ans ou plus.

Le sénateur Kenny: Comprenons-nous bien, monsieur Parker. Vous dites que la publicité est efficace pour convaincre des fumeurs de changer de marque, mais que cette même publicité sera sans effet sur la marque choisie par la personne qui commence à fumer?

M. Parker: Les fumeurs ne choisissent habituellement pas la marque qu'ils achètent quand ils commencent à fumer. Parlez-en à des amis qui fument ou qui ont déjà fumé ou encore, si vous fumez vous-même, vous savez que les premières cigarettes fumées par la plupart leur ont été données par des amis ou ont été chipées à des frères, à des soeurs ou aux parents. La marque est sans importance. Ce phénomène s'étale sur plusieurs années.

On évalue à 80 p. 100 le nombre d'adolescents qui fument pour en faire l'expérience. Ce pourcentage n'a pas beaucoup varié au cours des quelque 40 dernières années. Toutefois, il y a 30 ou 40 ans, 45 p. 100 ou 50 p. 100 des adolescents auraient été bien ancrés dans leur habitude au bout de quelques années. Aujourd'hui, ce pourcentage est d'environ 30 p. 100. Pourquoi? Encore une fois, les raisons sont fort complexes. L'essentiel à retenir, c'est que la publicité ne convainc pas celui qui fume pour la première fois de choisir une marque en particulier. Ce n'est pas ainsi que se prend la décision, d'après tout ce que nous savons du marché.

Le sénateur Kenny: Connaissez-vous la proposition 99 de la Californie?

M. Parker: Oui, monsieur. Il s'agit de l'impôt spécialement affecté au tabac.

Le sénateur Kenny: Auriez-vous l'obligeance d'expliquer au comité la teneur de la proposition 99?

M. Parker: Sénateur, je ne suis pas un expert de la question. Je sais qu'il existe une disposition qui frappe d'un impôt spécial tous les cartons de cigarettes et que ces rentrées fiscales sont ensuite distribuées aux groupes antitabac. Je fais peut-être erreur, auquel cas vous pourrez me corriger.

Le sénateur Kenny: D'après ce que j'en sais, monsieur Parker, la proposition 99 est un impôt qui a été prélevé pendant trois ans et qui s'est traduit par une baisse importante du tabagisme. Quand je dis «importante», je parle de réductions de plus de 20 à 30 p. 100.

Dans vos études sur la publicité, avez-vous constaté qu'elle fait baisser le tabagisme?

M. Parker: Non, monsieur. Nous avons constaté que la publicité ne fait baisser, ni augmenter le tabagisme. Elle influe sur le choix de la marque parmi les fumeurs invétérés, c'est vrai. Cela ne veut pas dire pour autant que toute publicité soit efficace.

Manifestement, si deux sociétés font de la publicité et que l'une d'entre elles accroît sa part du marché au détriment de l'autre, c'est qu'une publicité était meilleure que l'autre. C'est vrai, quel que soit le produit, pas seulement dans le cas du tabac.

Au Canada, nous avons frappé les produits du tabac d'impôts élevés. La Californie n'est pas la seule compétence à avoir suivi cette voie. Bien qu'incontestablement, il existe un lien entre le prix et la consommation, les impôts élevés ont prouvé au Canada que le rapport est beaucoup plus ténu et a moins d'influence que prévu.

Juste avant février 1994, 40 p. 100 du marché canadien étaient composés de tabac de contrebande. Les prix étaient à l'origine de cette situation. Ils incitaient beaucoup les fumeurs à acheter sur le marché noir; ils ne les ont pas encouragés à cesser de fumer.

Le sénateur Kenny: Pourquoi le tabac est-il le seul produit au monde qui, quand il fait l'objet d'une publicité, n'attire pas de nouveaux clients? Prenons l'industrie de l'automobile, par exemple. Pourquoi les fabricants d'automobiles ne disent-ils pas: «Nous faisons de la publicité uniquement pour les convaincre de changer de marque?» Les constructeurs d'automobiles vous diront: «Nous cherchons de nouveaux débouchés. Nous aimerions que les acheteurs d'une première automobile choisissent notre produit. Faites le bon choix: achetez une Ford.» C'est ainsi qu'on vend de nouvelles Ford.

M. Parker: Par conséquent, le consommateur qui n'a jamais voulu d'une automobile et qui n'a jamais envisagé la possibilité d'en acheter une lit les annonces de Ford et décide qu'il lui en faut une, sénateur? Je n'admets pas ce raisonnement.

Les consommateurs qui achètent des silencieux après avoir vu la publicité de Speedy Muffler, par exemple, ont d'abord été persuadés d'acheter une automobile. Les consommateurs qui lisent les annonces des pétrolières ne conduisent pas plus pour autant.

Je ne crois certes pas que les femmes qui achètent des soutiens-gorges ont été persuadées de le faire par la publicité. Elles ont plutôt été persuadées d'acheter une marque en particulier.

Que l'argument soit fondé ou pas, certains préfèrent croire depuis longtemps que la publicité convainc les gens de faire quelque chose qu'ils n'auraient pas fait autrement. Il n'existe aucune preuve, ni d'ordre pratique, ni d'ordre commercial entres autres qui permette de l'affirmer, ni ici, ni ailleurs.

J'aimerais faire remarquer que, dans tous les témoignages entendus par le comité de l'autre endroit et votre comité à l'appui de cette mesure législative, pas un seul témoin n'a mentionné les conséquences de l'interdiction de la publicité ou des commandites sur le pourcentage de fumeurs.

Il a été beaucoup question de la santé comme enjeu. Le projet de loi à l'étude ne protège la santé que s'il provoque réellement un changement dans le comportement. Ce genre de restrictions n'a jamais été efficace, nulle part.

Le sénateur Kenny: Elles l'ont été en Californie. Je viens de vous en donner l'exemple.

M. Parker: Vous m'avez donné l'exemple d'un impôt, sénateur.

Le sénateur Kenny: Non, je vous ai parlé d'un programme de publicité, monsieur Parker, que vous ne connaissez manifestement pas. Vous avez dit que vous le connaissiez. La proposition 99 a servi à financer un programme de publicité d'une valeur annuelle de 25 millions de dollars qui a réussi à faire baisser, de concert avec l'impôt, le tabagisme en Californie.

M. Parker: Dans ce cas-là, ma question, sénateur...

Le sénateur Kenny: Non, c'est moi qui pose les questions ici, pas vous. C'est la procédure.

M. Parker: La question ne s'adresse pas à vous personnellement, sénateur; je pose plutôt une question d'ordre général. Voilà un exemple de publicité antitabac efficace. Les gouvernements et d'autres groupes ont consacré au Canada des dizaines de millions de dollars à de la publicité antitabac. Pourquoi n'a-t-elle pas été efficace? C'est la question que je pose.

Le sénateur Kenny: La réponse est plutôt évidente, je suppose. Elle n'a pas été efficace parce que les fabricants de produits du tabac ont, eux, dépensé 10 à 15 fois plus pour faire de la publicité contraire.

Je serais beaucoup plus impressionné -- en fait, je pourrais garder mon calme beaucoup plus facilement -- si, quand vous venez témoigner devant nous, vous parliez de ce que vous faites au sujet des 40 000 Canadiens qui meurent d'avoir consommé vos produits chaque année. Vous venez ici en toute quiétude, souriant, et vous nous dites: «Nous n'incitons pas vraiment les jeunes à fumer». Nul n'est dupe. Nous savons tous que les nouveaux fumeurs sont des jeunes. Nous ne sommes pas stupides.

Vous pouvez demeurer impassible et nous affirmer qu'il n'existe pas de rapport entre la publicité et la consommation, mais tous savent, y compris le public, que vous faites de la publicité qui attire les jeunes, qui se mettent à consommer votre produit et qui, pour cette raison, meurent plus tôt qu'ils ne le devraient.

M. Parker: Sénateur, je vous ai présenté les faits tels que je les connais. Nul n'a encore établi un seul rapport entre la publicité et la décision de fumer. La déclaration que vous venez de faire n'est pas une preuve.

Le sénateur Milne: Monsieur Parker, je crois savoir que l'industrie a fait faire certaines études internes concernant l'effet des commandites sur la consommation de tabac. En fait, je serais étonnée d'apprendre que ce n'est pas le cas.

M. Parker: Non, madame.

Le sénateur Milne: Vous dites que vous n'en avez pas fait faire?

M. Parker: Non.

Le sénateur Milne: Vous êtes catégorique?

M. Parker: Je travaille pour le compte de l'association industrielle depuis cinq ans, en fait, sénateur, depuis exactement cinq ans.

Je ne suis pas au courant de quelque étude que ce soit de ce genre, et aucune société membre ne m'a dit avoir effectué une étude concernant l'effet des commandites sur la consommation de tabac.

Le sénateur Milne: Dans ce cas-là, puis-je demander à M. Parker, d'Imperial Tobacco Limitée, si sa société a fait faire des études internes?

M. Simon Potter, conseiller juridique, Imperial Tobacco Limitée, Conseil canadien des fabricants des produits du tabac: Que je sache, il n'y a pas eu pareille étude, sénateur.

Le sénateur Milne: Monsieur Sofer?

M. Stephen Sofer, conseiller juridique, Rothmans, Benson & Hedges Inc.: Que je sache, il n'y en a pas eu chez nous.

Le sénateur Milne: Monsieur Irving, de RJR-Macdonald?

M. Irving: Je n'ai jamais vu pareille étude.

Le sénateur Milne: Savez-vous s'il en existe ou pas?

M. Irving: J'ignore s'il en existe. Je n'en sais rien. Par contre, je sais que, dans l'affaire de la Loi réglementant les produits du tabac, nous avons soumis tous les documents que possédait RJR-Macdonald au sujet de la mise en marché pour les 15 dernières années. Ils ont tous été remis au gouvernement et analysés en détail par ses experts. L'un d'entre eux, qui témoignera ici la semaine prochaine, est venu en cour faire le même genre d'affirmations que le sénateur Kenny. Je lui ai demandé s'il avait pu trouver un seul document de RJR-Macdonald concernant la mise en marché où une personne interrogée à des fins publicitaires n'était pas majeure et ne fumait pas déjà. En bout de ligne, il a dû reconnaître qu'il n'y en avait pas. Les fabricants de produits du tabac n'avaient pas effectué de recherches du tout chez les jeunes de moins de 18 ans. Cela, je puis l'affirmer.

Le sénateur Milne: Je crois savoir qu'Imperial Tobacco fait des sondages périodiques auprès de jeunes parfois âgés de 15 ans.

M. Potter: Vous parlez de mon client, sénateur. La réponse d'Imperial Tobacco est exactement la même que celle qu'a donnée M. Irving au sujet de RJR. Le même expert -- en fait, plusieurs experts du gouvernement -- a examiné à la loupe tous les documents de mise en marché d'Imperial.

Le sénateur Milne: Tous ceux qui lui ont été soumis.

M. Potter: Ils ont tout eu, sénateur. Je m'en suis moi-même assuré. Il n'y a jamais eu de campagne de publicité mise à l'essai auprès de groupes de fumeurs n'ayant pas l'âge légal de fumer.

Le sénateur Milne: Je parle de sondages, non pas de publicité.

M. Potter: On fait effectivement des sondages auprès des gens, tout comme Statistique Canada effectue des analyses quantitatives pour savoir combien de gens fument. C'est sans rapport avec la question de savoir si une annonce est produite en fonction de ces renseignements, et pareils renseignements n'existent pas. Mon client ne fait aucune publicité qui n'a pas été auparavant soumise de nombreuses fois et en détail aux membres du groupe cible. Ce groupe était toujours composé de fumeurs qui avaient l'âge légal de fumer.

M. Parker: sénateur, quand vous avez commencé à poser ces questions, vous m'avez demandé si j'étais au courant d'études effectuées sur la commandite.

Le sénateur Milne: Oui.

M. Parker: Pour nous, la commandite et la publicité des commandites relèvent d'une toute autre catégorie que la publicité relative aux produits. Parliez-vous de publicité en général, sans égard à cette distinction?

Le sénateur Milne: Non. Je vous interrogeais particulièrement au sujet de la commandite. Je pose la même question à tous les autres témoins.

M. Parker: Je souhaitais simplement m'assurer que je ne vous avais pas induite en erreur, par inadvertance.

Le sénateur Milne: Donnez-moi une réponse d'ordre général, monsieur.

M. Parker: En règle générale, les fabricants de produits du tabac font de la recherche en matière de publicité auprès de fumeurs adultes, comme nous vous l'avons tous les trois souligné. La part du marché les préoccupe beaucoup en raison des avantages ou du coût économique qui l'accompagnent. La façon la plus simple et la plus rapide d'expliquer les raisons pour lesquelles les fabricants de produits du tabac font de la publicité est d'examiner le cas de deux fabricants à capitaux publics ou dont les actions sont cotées à la bourse et dont les résultats financiers sont rendus publics. Le plus important fabricant détient les deux tiers environ du marché, soit environ 65 p. 100. Le deuxième en détient 20 p. 100 à peu près. Les recettes totales -- taxes de vente ou taxes spéciales sur le tabac exclues -- du premier fabricant sont cinq fois plus élevées que celles du second. Ses profits sont 11 fois plus élevés. Le phénomène s'explique par la rentabilité de la part de marché. Ils suivent de très près les parts de marché détenues par chacun. Ils présentent également au gouvernement un rapport dont les données sont ventilées par marque et par mois. Toutefois, que je sache, il n'existe pas d'étude sur la commandite.

M. Potter: Une bonne réponse à votre question est, selon moi, le creuset qu'a représenté le Canada. Pendant plusieurs décennies, jusqu'à la fin des années 80 en fait, la publicité était permise. Durant cette période, le pourcentage de fumeurs canadiens a reculé de façon plutôt draconienne et constante. Le recul a cessé lorsqu'est entrée en vigueur l'interdiction de publicité en vertu de la Loi réglementant les produits du tabac. Cela répond peut-être à votre question.

Le sénateur Milne: Êtes-vous en train de dire que la publicité n'a eu absolument aucune influence sur le fait que plus de femmes fument maintenant?

M. Potter: Tous conviendront avec moi, je crois, que les facteurs qui ont contribué à modifier le comportement des femmes canadiennes sont nombreux, qu'ils ont des racines profondes et vont beaucoup plus loin que la publicité.

M. Irving: Sénateur, cette augmentation du nombre de fumeuses s'est manifestée alors que la publicité était interdite. Le bond a commencé durant la période où la publicité des produits était interdite.

Le sénateur Milne: J'entends habituellement les témoignages avec calme. Cependant, je trouve les remarques gratuites faites par M. Parker concernant la publicité relative aux soutiens-gorges plutôt offensantes. Pourquoi ne pas prendre comme exemple les slips suspensoirs des hommes?

M. Potter: Moi aussi, sénateur, je me suis senti offensé et j'aurais préféré qu'il ait parlé de sous-vêtements d'hommes. Par contre, la conclusion est la même parce que personne d'entre nous n'achète des sous-vêtements simplement parce qu'il a vu de la publicité à leur sujet.

M. Irving: Je crois que ce qu'essayait de dire M. Parker, en un sens plus général -- et tous les théoriciens de la publicité seraient d'accord, qu'ils soient pour ou contre les fabricants de produits du tabac --, c'est qu'il est très difficile d'accrocher les gens avec de la publicité, au départ.

Le sénateur Milne: Vous l'expliquerez à Calvin Klein.

M. Irving: Quand un produit ne nous intéresse pas, on remarque à peine les annonces. On ne l'achète pas. On ne porte pas attention aux annonces de nourriture pour les chats si on n'a pas de chat. C'est ce que M. Parker disait. Dans les circonstances, il aurait peut-être été plus sage de s'en tenir à des chats, mais le fond de sa pensée était bon.

Le sénateur Milne: Messieurs, quelle est votre opinion de la déclaration faite récemment par Liggett, aux États-Unis.

M. Parker: Sénateur, j'ai vu plus de reportages que je n'ai lu de communiqués émanant des dirigeants de la société. Ils ont fait un règlement partiel. Dans le cadre de ce processus, ils ont émis deux communiqués, l'un au sujet de la vente de leurs produits à des enfants et l'autre concernant leurs vues au sujet de la dépendance créée par le tabac. Ce fabricant de produits du tabac est sans rapport avec l'industrie canadienne. Ces procès ne mettent pas en jeu des membres de l'industrie canadienne. Comme l'a souligné M. Irving, des personnes qui connaissent beaucoup mieux le sujet que le propriétaire de Liggett sont d'un tout autre avis.

C'est tout ce que j'ai à dire à ce sujet.

Le sénateur Milne: Entendons-nous sur le fait que nos vues ne concordent pas à ce sujet.

Combien de fonds l'industrie verse-t-elle chaque année à une campagne d'information au sujet de la vente à des mineurs?

M. Parker: Cette année, elle contribue en tout à peu près 800 000 $. Elle le fait depuis sept ou huit ans. Les montants varient selon que le programme change ou est simplement maintenu, mais le total se calcule en termes de millions de dollars répartis sur plusieurs années. La loi a été modifiée durant cette période. L'âge légal de fumer a été majoré, passant à 18 et, parfois, à 19 ans. Le programme actuel, cependant, est d'environ 800 000 $.

Le sénateur Milne: Cela vous semble-t-il juste alors qu'on estime que le profit réalisé au moyen de ventes illégales à des jeunes par l'industrie du tabac peut atteindre 17 millions de dollars par année?

M. Parker: Nous ne vendons pas à n'importe qui, sénateur. J'ignore d'où pourrait venir une telle évaluation. L'industrie vend son produit presque uniquement à des grossistes. Parfois, d'importantes organisations de ventes au détail font elles-mêmes la vente en gros. Les détaillants achètent des grossistes et ils revendent aux consommateurs.

Y a-t-il des jeunes qui achètent illégalement du tabac? Naturellement, et nous estimons qu'il faudrait que cela cesse. À notre avis, les détaillants sont ceux qui sont les mieux placés pour y mettre fin. Il faut les informer des dispositions de la loi et leur donner de la documentation qui les aideront à former leur personnel sur la façon de refuser de vendre le produit sans indisposer ou perdre le client, lorsqu'il n'a pas de pièces d'identité et qu'il semble ne pas avoir l'âge. Nous avons ici des modèles de ce genre de documentation que je serai heureux de vous laisser.

Le sénateur Milne: Admettez tout de même que les 17 millions de dollars tirés de ventes illégales faites par les détaillants représentent une somme rondelette.

M. Parker: Si l'accusation était fondée, je pourrais y donner suite. Toutefois, nous ne vendons pas de produits du tabac à des mineurs. Nous n'en vendons même pas à des adultes. Nous passons par des grossistes. Ce ne sont pas les fabricants de produits du tabac qui vendent le produit aux consommateurs.

Le sénateur Nolin: Mettons les points sur les i et les barres sur les t. Vous profitez de ventes illégales faites par d'autres à des mineurs. C'est bien ce que vous voulez dire. Cependant, le produit n'est pas illégal. Ce n'est pas un crime de fabriquer et de mettre en marché des cigarettes.

Je m'intéresse au programme de presque 1 million de dollars dont vous avez parlé en vue d'informer les détaillants sur la façon de réagir à des mineurs qui veulent acheter des cigarettes.

Le sénateur Nolin: Vous avez offert de nous laisser de la documentation.

M. Parker: Voici un modèle de la trousse que nous demandent les détaillants.

Le sénateur Nolin: Vous avez pris vous-même l'initiative de faire cela, sans y être obligé légalement. Est-ce bien cela?

M. Parker: La documentation est produite par une coalition que nous finançons. Les membres de la coalition -- et ils sont nombreux -- comprennent le Conseil canadien du commerce de détail, la Fédération canadienne des épiciers indépendants, la Ontario Convenience Store Association et des syndicats représentant des commerces de détail.

Le sénateur Nolin: Le gouvernement en fait-il partie?

M. Parker: Non.

Le sénateur Nolin: L'avez-vous invité à en faire partie?

M. Parker: Oui, nous l'avons fait.

Le sénateur Nolin: Il a refusé?

M. Parker: Il a effectivement rejeté notre offre. Nous lui avons demandé d'avaliser notre programme. Il a accepté d'examiner la documentation de manière officieuse, mais il a refusé de l'avaliser. Nous en ignorons la raison. Je ne puis que faire des conjectures à cet égard.

Je puis par contre vous dire que la documentation a été très bien accueillie, mieux que bon nombre des programmes qui l'ont précédée. Nous avons distribué 70 000 trousses. Certains des plus importants détaillants en ont reçu plus d'une. Cette année, le coût du programme, y compris les frais d'administration, de publicité, de production et de distribution des trousses, atteint presque 1,5 million de dollars. Le premier montant que je vous ai donné était inexact, et je m'en excuse.

Avant de produire la trousse, nous avons effectué beaucoup d'études, de concert avec des détaillants et leurs employés. Lorsqu'un client qui a l'air d'avoir 17 ou 18 ans peut-être demande des cigarettes, vous croyez peut-être qu'il est facile à la personne derrière le comptoir de refuser de lui en vendre à moins qu'il ne puisse prouver qu'il a l'âge légal. Toutefois, s'il se trouve que l'employé a 16 ans, comme cela peut arriver, ce n'est pas forcément la chose la plus facile à faire. Le client peut l'injurier. La documentation explique comment refuser fermement de vendre le produit. En fait, nous encourageons les propriétaires de commerce à licencier l'employé qui a vendu des produits du tabac sans exiger de pièce d'identité, une fois qu'il a reçu la formation. Cette idée a été fort bien reçue.

De plus en plus, les faits montrent que les magasins qui utilisent cette trousse refusent tous de vendre à des mineurs. Le système est-il sans faille? Cela veut-il dire que le magasin qui utilise la trousse ne commettra jamais d'erreur et ne vendra jamais de tabac à un mineur? Non. On ne peut pas raisonnablement s'attendre à pareil résultat. Les employés changent, ils oublient la formation reçue, et ainsi de suite. Il n'en demeure pas moins que c'est illégal. Nous ne croyons pas, pas plus que ceux qui participent à ce programme, que les jeunes devraient fumer. C'est une partie de la solution.

La véritable solution se trouve dans le point que vous avez soulevé et auquel l'autre sénateur faisait peut-être allusion, soit d'expliquer directement aux jeunes pourquoi ils ne devraient pas fumer. Nous sommes tout à fait disposés à en discuter, mais il y a manifestement un problème. Ce sont nos sociétés qui fabriquent le produit.

La première question que je me poserais en tant que responsable de la mise en marché serait: «Sommes-nous les plus crédibles interlocuteurs pour dire aux jeunes de ne pas acheter le produit?»

Le sénateur Nolin: Au moins, vous vous posez la question.

Le sénateur Lewis: En réponse à une question posée par le sénateur Milne, vous avez tous dit que vous ignoriez l'existence des études au sujet desquelles elle vous interrogeait. J'ai remarqué que vous aviez alors parlé de vos clients. Je vois, d'après la liste des témoins, que vous êtes tous des conseillers juridiques, non pas des dirigeants de ces sociétés. Vous êtes-vous informés pour savoir si des études du genre mentionné par le sénateur Milne avaient été effectuées?

M. Potter: Vous avez raison. Aucun d'entre nous ne fait partie des trois sociétés. Par contre, mon client a cru que la façon de vous être le plus utile, en tant que comité du Sénat chargé des affaires juridiques et constitutionnelles, était de vous envoyer comme porte-parole quelqu'un qui s'y connaissait en matière juridique et constitutionnelle. C'est pourquoi je suis ici. Rien ne nous laissait prévoir que le sénateur Milne poserait cette question. Je n'y étais pas préparé. Par contre, je lui ai répondu en fonction de ce que j'ai moi-même constaté, et croyez-moi, j'en ai vu de toutes les couleurs. Je peux toujours me renseigner.

Je tiens cependant à bien me faire comprendre, sénateur Lewis. Les études de marché sont une chose. Les études qui tentent de voir s'il y a un lien entre un facteur, par exemple la commandite, et un résultat, par exemple la consommation -- s'il existe un lien -- en sont une autre. Tout fabricant qui vend un produit fera constamment des analyses de marché pour essayer de le comprendre.

Tous les fabricants font des études de marché, mais, que je sache, il n'existe pas d'études cherchant à déterminer s'il existe un lien entre la commandite et la consommation.

Le sénateur Lewis: Les deux autres font-ils la même réponse?

M. Irving: Je suis au courant d'une étude qui n'a pas été effectuée par mon client. Elle est mentionnée dans la documentation. En effet, une importante étude, qui est sans rapport avec les trois sociétés, a été rendue publique en 1992 par un groupe de chercheurs. Elle portait sur la raison pour laquelle les jeunes commencent à fumer. On se penchait sur ce que l'on appelait les variables explicatives de la décision de fumer chez les adolescents. On a constaté que le sentiment de rébellion des adolescents était probablement le principal facteur. Parmi les autres, on a noté le fait que les parents fument et l'influence des pairs. Les chercheurs ont souligné qu'au moins une étude avait été effectuée sur l'effet de la présence à des événements commandités par des fabricants de produits du tabac qui, selon eux, ne permettait pas de prédire qu'une personne fumera et qu'une autre étude portait sur l'exposition à la publicité qui, elle non plus, ne permettait pas de prédire qu'une personne se mettra à fumer. La documentation fait donc état d'une étude portant sur chacun de ces sujets. Je les connais et je puis vous les fournir, si vous tenez à les avoir.

Que je sache, RJR-Macdonald n'a jamais effectué pareille étude, et je serais bien étonné d'apprendre qu'il en a effectué une. On est tout le temps en train de faire de telles études.

J'essaie de comprendre la raison pour laquelle des adolescents décident de fumer. Pourquoi se mettent-ils à fumer de la marijuana? Pourquoi commencent-ils à boire de l'alcool? Pourquoi ont-ils des relations sexuelles avant d'avoir la maturité? Les adolescents font toutes sortes de choses qu'ils ne sont pas censés faire à cet âge. Les psychologues examinent ces questions et cherchent les réponses. C'est dans cette mesure que je suis au courant de l'étude, mais c'est tout.

M. Parker: À mon retour au bureau aujourd'hui, je prends l'engagement de demander à chacune des entreprises membres de répondre à la question que voici: l'une d'entre elles ou l'association industrielle a-t-elle déjà effectué une étude du rapport entre la commandite, la publicité des commandites et la consommation de tabac? Dans l'affirmative, vous en serez avisés et, si l'étude ne renferme pas de renseignements qui pourraient avantager nos concurrents, nous vous en ferons parvenir des exemplaires. Toutefois, je répète que j'ignore l'existence de pareilles études.

Le sénateur Lewis: J'irai encore plus loin. Je me demande si ces témoins sont les bonnes personnes à qui s'adresser pour se renseigner au sujet de l'industrie du tabac. Je suis parfaitement conscient de la position délicate dans laquelle ils se trouvent. En tant que conseillers juridiques de leurs clients, ils sont liés par le secret professionnel. Je me demande s'ils sont en mesure de nous fournir tous les faits dont nous pourrions avoir besoin.

La présidente: Sénateur Lewis, le comité doit entendre plusieurs autres témoins qui pourront vous donner des réponses.

Le sénateur Jessiman: Monsieur Potter, vous avez dit que les mesures prises par le gouvernement avaient été inutiles, tant la loi adoptée en 1987-1988 et invalidée en 1995 par la Cour suprême que les mesures visant le marché.

M. Parker: Oui.

Le sénateur Jessiman: On nous a affirmé exactement le contraire, bien que l'on ne nous en ait pas encore fait la preuve. J'ai posé des questions à d'autres témoins au sujet de la période durant laquelle la loi était en vigueur, quelle que vaste qu'ait été sa portée et en dépit du fait qu'elle a été invalidée. Vous nous dites qu'en ce qui vous concerne, la loi n'a pas réussi à faire baisser la consommation de tabac.

M. Parker: Sénateur, si vous voulez bien vous reporter à la page 12 de notre mémoire, au cahier 2, vous y trouverez un tableau des résultats de diverses études menées par le gouvernement du Canada entre 1986 et 1995. Le tableau fait bien ressortir le pourcentage global de tous les Canadiens de 15 ans et plus qui fument.

Le sénateur Jessiman: Parlez-vous du pourcentage qui figure du côté gauche du tableau?

M. Parker: C'est cela. Comme vous pouvez le voir, la ligne est essentiellement uniforme, à l'exception du creux enregistré entre 1989 et 1991.

À la page 13, vous voyez le pourcentage de jeunes de 15 à 19 ans qui fument durant cette même période. La légère baisse du pourcentage global illustrée sur le tableau précédent est causée par le phénomène que vous voyez ici. Au début des années 80, le nombre de jeunes qui fumaient a nettement reculé jusqu'en 1990. Jusqu'en 1988, la publicité était autorisée; cependant, le tabagisme chez les jeunes était toujours en régression. Puis, au début de 1989, on a interdit la publicité des produits du tabac. La commandite était toujours permise, mais la publicité et l'utilisation de marques déposées étaient interdites. Le nombre de jeunes qui fumaient a continué de reculer pendant deux années, après quoi il a repris sa croissance. Durant les quatre années suivantes, il y a eu une croissance, tout cela pendant qu'était interdite la publicité des produits et qu'on augmentait sans cesse les taxes sur les cigarettes. La consommation a retrouvé son niveau du début des années 80. Pourquoi? Nous l'ignorons. On a observé des baisses et des augmentations analogues du nombre de jeunes qui fumaient aux États-Unis et ailleurs.

Ce que j'essaie de faire comprendre, c'est qu'à première vue, il ne semble pas y avoir de rapport entre la consommation et les diverses mesures prises, soit l'interdiction de la publicité, l'augmentation des taxes, l'agrandissement des caractères des mises en garde, l'interdiction de la consommation, les campagnes de publicité antitabac et diverses autres mesures de lutte contre le tabagisme.

Revenons au tableau de la page 12. Voyez comment la ligne se maintient pendant 10 ans. Pourrait-elle changer demain, toutes autres choses étant égales par ailleurs? Bien sûr! Cependant, elle n'a pas changé depuis 10 ans. C'est ce qui me porte à faire pareilles affirmations.

Le sénateur Jessiman: Vous êtes tous dans une position délicate, en ce sens que vous êtes des avocats agissant pour le compte de fabricants de produits du tabac. Vous dites qu'à votre avis, les jeunes de moins de 19 ans, soit l'âge prévu dans le projet de loi à l'étude, ne devraient pas fumer. Cependant, monsieur Potter, vous avez aussi dit que 30 p. 100 des fumeurs ont moins de 19 ans. C'est le chiffre que j'ai retenu. Est-ce exact?

M. Parker: Non, monsieur. J'ai peut-être fait un lapsus. J'ai dit qu'entre 75 et 80 p. 100 des gens font l'expérience de la cigarette pour la première fois à l'adolescence. Ils ne deviennent pas tous des fumeurs invétérés. Dans quelques instants, je demanderai à M. Irving de renchérir parce qu'il a devant lui la plus importante et la plus récente étude relative à la consommation de tabac chez les jeunes Canadiens.

Le sénateur Jessiman: L'un d'entre vous nie-t-il que le tabac crée une dépendance? Obtiendrons-nous la même réponse qu'auparavant?

M. Parker: Sénateur, comme je l'ai déjà dit, le problème réside dans le fait qu'il n'existe pas de définition de la dépendance au sujet de laquelle nous soyons tous d'accord et qui soit sensée. Un rapport du chef des services de santé des États-Unis d'il y a plusieurs années donne une définition de la dépendance. Quand il a été publié, son homologue canadien a rejeté la définition comme étant farfelue. La définition qu'utilise le gouvernement du Canada, qui est mentionnée dans l'annonce que nous vous avons montrée, dit certes que, selon ces critères, le tabac crée autant de dépendance que le café, le chocolat et les croustilles.

On compte 7 millions de fumeurs au Canada et presque autant d'ex-fumeurs. Quelque 95 p. 100 d'entre eux ont renoncé à cette habitude sans aide extérieure. Je ne dis pas que ce fut facile pour eux, mais qu'ils ont cessé de fumer sans hypnose, sans timbre ou quoi que ce soit d'autre. Je ne crois pas que de dire aux gens qu'ils ont une dépendance leur rend la tâche plus facile. D'après certains experts auxquels j'ai parlé, cette dépendance leur sert de prétexte pour éviter d'avoir à cesser de fumer.

Que le tabac soit toxicomanogène ou non, selon la définition donnée, est une question d'opinion et non de fait. Telle est notre position qui, je l'espère, est suffisamment claire.

Le sénateur Jessiman: Que pouvons-nous faire pour que les jeunes ne commencent pas à fumer? Si ce que vous dites est juste, je ne suis pas sûr que cette mesure législative donne les résultats escomptés.

M. Irving: Effectivement. Si vous lisez les documents qui expliquent pourquoi les enfants commencent à fumer, vous en arriverez à la conclusion que ce genre de loi ne sera pas utile. Je ne suis pas sûr qu'elle ne va pas à l'encontre du but recherché.

Les enfants, qui sont de nature rebelle, sont les moins portés à écouter ce qu'un grand frère, un gouvernement ou quiconque leur dit de faire. Pour la plupart des gens, le mot «toxicomanogène» désigne quelque chose de plus fort qu'eux-mêmes -- ils deviennent toxicomanes. C'est la raison pour laquelle la science n'utilise plus le mot «toxicomanie» depuis de nombreuses années. Ce mot est moralisateur et donne aux gens la fausse impression qu'ils ne peuvent pas cesser de fumer.

Dire aux gens que le tabac est toxicomanogène est la mesure d'intérêt public la plus stupide jamais vue. Leur dire: «Il est très difficile de cesser de fumer» n'est pas la chose à dire. Les gens cessent de fumer s'ils le veulent bien et des millions le font.

Au cours de la période dont parlait M. Parker, c'est-à-dire jusqu'aux années 80, c'est parmi les plus jeunes que la diminution de l'incidence du tabagisme a été la plus importante. Cette information se trouve dans les sondages sur la main-d'oeuvre effectués par le gouvernement du Canada. Le groupe d'âge des 15 à 19 ans est celui où la diminution de l'incidence du tabagisme est la plus importante de tous les groupes. Les groupes des plus jeunes arrivent au deuxième rang. Les enfants cessent de fumer. Bien sûr qu'ils commencent à fumer, mais ils expérimentent tout ce que leur offre la vie. Ils sont parfaitement capables de cesser, et le font.

Utiliser un mot effrayant comme «toxicomanie», qui ne veut rien dire scientifiquement parlant, n'est pas utile. Le principal témoin qui s'est élevé contre les sociétés dans le cas de la LRPT, a fait paraître dans le Lancet un article intitulé «Filtering Smokers' Hot Air». Il écrit que les gens auxquels on demande s'ils ont essayé de cesser de fumer vont bien sûr répondre par l'affirmative. Lorsqu'on leur demande s'ils ont vraiment essayé de cesser de fumer, ils vont bien sûr répondre par l'affirmative aussi, car on sous-entend qu'il serait stupide de ne pas le faire. Lorsqu'on leur demande s'ils y sont arrivés et qu'ils disent que non, ils s'expliquent en disant: «Bien sûr que non, puisque je suis toxicomane.» Cela leur sert de béquille, d'excuse.

L'American Psychiatric Association utilise certains concepts. Ainsi, dans son manuel sur toutes les formes de problèmes psychologiques ou psychiatriques, le mot «toxicomanie» n'apparaît jamais. C'est plutôt le mot «dépendance» qui donne une idée de continuum qui est utilisé -- certains ont peu de difficulté à cesser, d'autres en ont plus et d'autres encore en ont beaucoup. Ce n'est pas nouveau. C'est une approche beaucoup plus sensée. Toutefois, la documentation qui explique les raisons pour lesquelles les enfants fument et qui indique ce que l'on peut faire pour lutter contre les influences en cause, indique que dans le monde entier, il apparaît clairement que le fait de simplement interdire la publicité est peut-être une bonne politique, mais que ce n'est pas une bonne mesure d'intérêt public, car cela ne donne pas les résultats escomptés.

M. Potter: Monsieur le sénateur, je tiens à vous féliciter d'avoir posé la question qu'il fallait. M. Irving et moi-même avons passé sept ans à lutter contre une loi; la cour a finalement déclaré qu'elle était inconstitutionnelle et qu'elle empiétait sur les libertés individuelles dans une société libre démocratique. Dans certains documents, le gouvernement reconnaissait que la LRPT était purement symbolique. Il n'y avait aucune raison de croire qu'elle permettrait une diminution de l'incidence du tabagisme. Par conséquent, vous posez exactement la question qu'il faut.

Au lieu de déployer toutes nos énergies dans ce comité, dans les deux Chambres du Parlement et dans les conseils d'administration du pays à propos d'une mesure purement symbolique, que devrions-nous faire? C'est la question à poser, monsieur le sénateur. Nous devrions de toute évidence promouvoir des programmes comme celui que M. Parker vient juste d'expliquer; l'opération identification. Cela semble assez clair.

Le sénateur Jessiman: Au lieu d'un million et demi, il faudrait y consacrer un milliard et demi de dollars. Je ne crois pas qu'un million et demi de dollars soit une grosse somme, sauf si vous ne l'avez pas.

M. Potter: C'est une grosse somme. Outre l'argent, il faudrait, au Canada, prévoir plus de consultation et de travail d'équipe au lieu de commencer à examiner un projet de loi une fois qu'il est déposé, sans qu'il ait fait l'objet de la moindre consultation préalable. Il vaudrait beaucoup mieux que tous les intervenants de l'industrie parlent des mesures à prendre pour répondre à votre question.

Le sénateur Doyle: Messieurs, un autre comité du Sénat examine un aspect des habitudes de fumer. J'ai récemment siégé au sein d'un groupe d'élèves du secondaire d'Ottawa qui déployaient tous leurs efforts pour essayer de persuader les plus jeunes de cesser de fumer. D'après eux, ils commencent à fumer dès l'âge de sept, huit ou neuf ans. J'ai demandé ce qui les attire, ce qui les amène à fumer. Ils ont répondu que les parents et les amis fument. Par ailleurs, fumer donne un certain prestige, toutes les personnalités fument. Ils les voient fumer très souvent au cinéma et à la télévision. Ce n'est plus l'acteur principal qui allume la cigarette de sa partenaire, mais dix personnages qui fument en même temps.

J'ai demandé quel était le facteur le plus important et ils m'ont répondu que c'était le coût des cigarettes. Lorsque le coût a baissé après que le gouvernement eut cédé, ils ont tous recommencé à fumer. Je ne sais pas ce que vous faites ou essayez de faire à ce sujet.

Est-il indiqué dans vos documents combien d'argent est affecté à la promotion qui permet aux sociétés cinématographiques de présenter la consommation du tabac dans des contextes excitants ou agréables? À mon avis, il y a toujours trois personnes au moins qui fument dans n'importe quelle séquence d'émission télévisée. C'est fascinant. Y a-t-il quelque chose qui est fait à ce sujet que nous devrions ou que vous devriez savoir?

M. Parker: Vous posez deux ou trois questions. Est-ce que les sociétés canadiennes dépensent de l'argent pour que leurs produits apparaissent dans des films ou à la télévision? La réponse est non. Certaines sociétés le font aux États-Unis. Autant que je sache, cela ne s'est jamais fait ici. C'est formellement interdit dans le code d'autoréglementation de l'industrie.

Le sénateur Doyle: Vous dites que vous ne dépensez pas d'argent. Distribuez-vous des cigarettes ou d'autres produits gratuitement?

M. Parker: Non. Il est illégal de distribuer des cigarettes gratuitement en vertu de la LRPT.

La deuxième question porte sur ce que l'on peut faire pour éliminer ou diminuer la consommation du tabac chez les jeunes. Je crois que l'on peut faire beaucoup dans le domaine de la publicité. Évidemment, des renseignements sont donnés au sujet des risques pour la santé. Il y a aussi des groupes de jeunes qui participent à des activités; ainsi, des jeunes ont comparu devant votre comité. Il y a des campagnes publicitaires, bien que je sois moins convaincu de leur efficacité que le sénateur Kenny.

Je travaille pour l'industrie depuis cinq ans et il me semble que les groupes antitabac s'efforcent essentiellement -- et c'est d'ailleurs indiqué dans leurs politiques -- d'attaquer les sociétés de tabac et les particuliers, dont moi. Monsieur le sénateur, personne ne fume pour faire plaisir à une société de tabac ou aux lobbyistes. Les gens qui fument des cigarettes ou d'autres produits du tabac n'ont jamais arrêté de fumer sous prétexte qu'ils n'aimaient pas une société de tabac; par ailleurs, ils n'ont jamais commencé sous prétexte qu'ils aimaient une société de tabac. Les raisons sont bien différentes. Les groupes antitabac obtiennent des subventions en fonction de la publicité qu'ils sont en mesure de produire; attaquer les sociétés de tabac est peut-être amusant, mais cela ne modifie en rien la décision de fumer.

Nous pourrions peut-être améliorer la situation en atténuant le message hystérique de certaines campagnes qui disent: «Ne fume pas, ne fume jamais, arrête tout de suite, je vais te renvoyer de la maison si jamais je te surprends en train de fumer». Beaucoup de parents sont ici présents. Est-ce là une façon de convaincre vos adolescents ou existe-t-il des méthodes plus douces, plus persuasives et plus efficaces? Je crois que l'on peut répondre «oui» à cette question.

Le sénateur Doyle: Un jeune que je connais se plaignait de ne pas pouvoir cesser de fumer. Il essayait et retombait dans ses mauvaises habitudes. Je lui ai donc dit: «C'est la semaine de Noël, si tu cesses de fumer pendant un an, je te donnerai 1 000 $; nous allons te mettre à l'épreuve.» Nous n'avons jamais cité le nom des sociétés. Il s'est abstenu de fumer jusqu'au 15 décembre de l'année suivante.

M. Parker: A-t-il recommencé par la suite?

Le sénateur Doyle: Oui, et il continue de fumer. C'est un client fidèle.

M. Sofer: Dans la partie 4 de notre mémoire, nous proposons des changements au projet de loi dont l'un consisterait à interdire la promotion d'un produit du tabac ou d'une marque de tabac dans tout cinéma, film, vidéo, et cetera. Vous voyez donc que nous sommes d'accord avec votre proposition.

Vous avez demandé comment régler la question de la consommation du tabac chez les jeunes. Je ne connais pas la réponse, mais lorsque le ministre a comparu devant vous, en réponse à une question posée par le sénateur Pearson, il a dit que d'après le sondage des groupes cibles de Santé Canada, la pression des pairs serait le meilleur moyen de faire cesser les jeunes de fumer. Par conséquent, je pense qu'il serait d'accord avec les autres audiences qui se déroulent actuellement.

Le sénateur Doyle: Vous ne seriez pas en faveur d'une forte et immédiate augmentation du coût des cigarettes?

M. Parker: Non, monsieur le sénateur. L'un des problèmes que cela poserait est illustré par le tableau 1 de la page 12. L'augmentation de la consommation du tabac, tout d'abord chez les jeunes femmes et ensuite chez les jeunes hommes, à partir du minimum de 1990 ou 1991 jusqu'au maximum de 1994, s'est produite alors que les taxes étaient très élevées et augmentaient. Dans cinq provinces, le gouvernement a considérablement diminué les taxes sur les cigarettes en février 1994. Depuis, vous pouvez voir ce qui arrivé en matière de consommation chez les jeunes. Il y a des hauts et des bas.

Certaines personnes bien intentionnées ne ménagent pas leurs efforts pour essayer de prouver que les provinces où la taxe est élevée ont connu une diminution plus importante et que les provinces où la taxe est peu élevée ont connu une augmentation de la consommation, ou encore, que plus de personnes ont cessé de fumer dans les provinces où la taxe est élevée et que plus de personnes ont recommencé à fumer dans les provinces où la taxe est peu élevée ou qu'elles fument davantage. Honnêtement, les données ne mènent pas à de telles conclusions. Elles montrent que la consommation du tabac s'est stabilisée au moment où la taxe a baissé. Elle ne s'est pas modifiée de façon significative. Peu importe que la taxe soit élevée ou non, la consommation du tabac parmi les jeunes, les hommes, les femmes, est la même aujourd'hui qu'il y a deux ans. En fait, elle est à peu près identique aujourd'hui à ce qu'elle était il y a 10 ans. Ce n'est pas notre recherche, c'est celle de Santé Canada et de Statistique Canada.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais revenir à la question de l'illégalité. M. Irving et M. Potter, vous avez dit que, dans ce cas, il s'agit de l'équivalent d'une interdiction totale. Dans l'affaire Macdonald, il s'agissait d'une interdiction totale et absolue. Jusqu'à présent, les juristes qui ont comparu devant nous ont parlé d'une restriction de la liberté d'expression, mais ils n'ont pas utilisé l'expression «équivalent d'une interdiction totale».

Cela veut-il dire que les articles 20, 22 et 24 violent la Charte, qu'ils ne peuvent être justifiés par l'article 1 et qu'ils sont donc invalides? Peut-on les disjoindre ou anéantissent-ils tout le projet de loi? La loi peut-elle rester valide même s'ils sont invalides?

M. Irving: Monsieur le sénateur, permettez-moi de répondre de deux façons, car il s'agit d'une interdiction totale dans les deux sens.

La LRPT a interdit toute forme de publicité. Elle visait particulièrement la publicité aux points de vente, laquelle a été interdite à un moment donné, l'affichage, qui a été interdit à un autre moment et la publicité-médias. Tout était inclus. La Cour suprême a décrété, au bout du compte, qu'une interdiction totale de la publicité était injustifiée. Nous revoilà confrontés à une interdiction totale de l'affichage et à une interdiction totale de toute forme de publicité aux points de vente, ce qui va à l'encontre de l'arrêt RJR-Macdonald.

La Cour suprême n'a jamais parlé des annonces. Elle a parlé de l'impact de la publicité et a laissé entendre que la publicité préférentielle, ce qu'on appelle les rappels d'emballage, la publicité informative et la publicité entourant les nouveaux produits étaient acceptables. Il n'y a rien, dans sa décision, qui donne à penser que vous pouvez interdire la publicité de manière générale, sauf dans les publications dont 85 p. 100 des lecteurs sont des adultes ou sur des affiches placées dans un bar. Cette question n'a jamais été soulevée, et elle n'a jamais été abordée dans aucune des études réalisées par le gouvernement. Cette mesure interdit totalement presque toutes les formes de publicité et va donc à l'encontre de l'arrêt RJR-Macdonald.

Théoriquement, la publicité préférentielle et la publicité informative ne sont autorisées que dans les publications qui sont expédiées par le courrier et qui sont adressées à un adulte désigné par son nom, dans les publications dont au moins 85 p. 100 des lecteurs sont des adultes ou sur des affiches placées dans des endroits où les jeunes ne peuvent les voir. Même si, en théorie, ce type de publicité est autorisé, vous commettez quand même une infraction si vous faites de la publicité dont il existe des motifs raisonnables de croire qu'elle pourrait être attrayante pour les jeunes, même s'ils ne la verront jamais, ou de la publicité de style de vie.

Les avocats peuvent très bien dire: «Je pense que vous pouvez probablement utiliser cette annonce-ci ou cette annonce-là»; toutefois, pour les gens qui font face à deux années de prison et à une amende de 300 000 $, c'est une décision assez difficile à prendre. Dans ce sens, est-ce que les gens peuvent vraiment utiliser une annonce qui pourrait être assimilée à la publicité préférentielle? Non. Vous pouvez théoriquement installer une affiche dans un endroit qui n'est pas bien en vue, mais vous prenez un risque énorme. Je ne vois pas comment une agence de publicité pourrait concevoir une annonce que je conseillerais ensuite à mon client d'utiliser en toute impunité. Ce n'est pas moi qui vais aller en prison. Voilà ce qu'il me répondrait.

Le sénateur Beaudoin: Donc, pour vous, ce projet de loi équivaut à une interdiction totale qui va à l'encontre de la Charte et qui ne peut être justifiée en vertu de l'article premier. Le témoin précédent a dit le contraire.

Quelles sont vos conclusions? Supposons que vous ayez raison. Est-ce que cela veut dire que toutes les dispositions du projet de loi sont inconstitutionnelles, ou seulement celles-ci?

M. Irving: Il ne faut pas oublier qu'il y a d'autres motifs. Ceux que j'ai mentionnés plus tôt n'ont rien à voir avec RJR-Macdonald et le jugement de la cour. À première vue, il y a toute une série de dispositions qui sont inconstitutionnelles. Certaines le sont parce qu'elles portent atteinte au droit à la liberté d'expression, tout comme dans la LRPT. Il faut donc les éliminer.

M. Schabas a dit qu'il s'agissait d'une loi à caractère réglementaire et que le gouvernement cherche à réglementer une industrie. Or, les tribunaux ont été unanimes à dire que le Parlement du Canada n'a pas la compétence voulue pour réglementer une industrie particulière au Canada. Pour justifier toute intervention en ce sens, il doit invoquer sa compétence en matière de droit criminel. Une fois que vous éliminez toutes ces dispositions pénales, ce que feront sur-le-champ les tribunaux, vous vous retrouvez avec une loi qui dit voici ce que vous pouvez mettre et ne pas mettre dans les cigarettes, ainsi de suite, une loi à caractère réglementaire qui sera déclarée inconstitutionnelle parce que toutes les dispositions pénales auront été supprimées.

Il faut agir avec prudence parce que le Parlement du Canada n'exerce aucune compétence en matière de publicité. Cette responsabilité relève des provinces. C'est ce qui découle du jugement Irwin Toy. Le Parlement du Canada n'a pas le pouvoir de réglementer des industries particulières au Canada. La loi est très claire là-dessus. La seule façon dont il peut justifier ce projet de loi, c'est en disant qu'il s'agit d'une loi qui vise à protéger la santé et qui relève donc de sa compétence en matière de droit pénal. Si les dispositions pénales sont toutes jugées inconstitutionnelles, alors le projet de loi sera nul et sans effet.

M. Sofer: Le comité se retrouve dans une position difficile quand le premier témoin dit que le projet de loi est constitutionnel, et que le deuxième témoin affirme le contraire. Le but de cet exercice n'est pas de marquer des points. Toutefois, M. Gall a dit qu'il est difficile de faire une distinction entre l'interdiction totale et l'interdiction de la publicité de style de vie, qui englobe presque tout. Il sait que nous nous trouvons dans une situation difficile. Mme Lessard elle-même a indiqué qu'elle aurait de la difficulté à déterminer quel type de publicité préférentielle ne tomberait pas sous le coup de l'interdiction de la publicité de style de vie. La majorité des gens estiment qu'il est difficile d'établir ne distinction entre l'interdiction totale et l'interdiction quasi-totale.

Le sénateur Beaudoin: Qu'elle soit totale ou relative, ou qu'elle soit justifiée ou non, voilà la question qui est au coeur du problème.

M. Potter: Sénateurs, avec tout le respect que je dois à M. Schabas, je crois qu'il analyse la question avec les yeux d'un universitaire. Je vous encourage, quand vous allez examiner ces dispositions, à avoir à l'esprit l'image d'une annonce publicitaire. Vous devez vous demander si l'annonce remplit trois critères. D'abord, est-ce que quelqu'un pourrait avoir des motifs raisonnables de croire que cette publicité pourrait être attrayante pour les jeunes de moins de 19 ans? Ensuite, êtes-vous certain que cette publicité n'évoquera pas une émotion ou une image, positive ou négative, au sujet de certaines façons de vivre?

Le troisième critère est l'article 20. Vous accusera-t-on de faire de la publicité qui est susceptible de créer une fausse impression?

Si vous parvenez à satisfaire ces trois critères -- et je ne crois pas que c'est possible --, vous ne pouvez pas dire en toute impunité: «Je ne serai pas pénalisé si j'utilise cette annonce», mais supposons que vous arriviez à le faire. Vous lisez alors le paragraphe 22(2) et vous vous rendez compte qu'il n'y a que trois endroits où vous pouvez placer cette annonce. Vous ne pouvez pas la diffuser dans les points de vente, sur les panneaux-réclames ou dans les dépliants. Elle peut uniquement figurer dans les publications qui s'adressent à des lecteurs en particulier, qui sont expédiées par courrier et adressées à un adulte désigné par son nom, ou sur des affiches placées dans des endroits dont l'accès est interdit aux jeunes par la loi.

Une fois vos trois critères satisfaits -- et encore une fois, j'estime que c'est impossible --, vous devez vous poser la question suivante: «Est-ce que cette annonce vaut la peine d'être utilisée?» La réponse sera non. Vous devez arriver à la conclusion que ce projet de loi équivaut à une interdiction complète, la Cour suprême ayant déjà décidé qu'une telle démarche va à l'encontre de la Charte.

Toutefois, même si la réponse est non, vous devez encore vous demander: «Est-ce qu'il va trop loin? Est-ce que ce projet de loi satisfait le critère de l'atteinte minimale?» Lorsque que vous vous rendez compte que vous ne pouvez pas placer cette annonce, peu importe son contenu, dans un point de vente ou sur un panneau-réclame, vous arrivez à la conclusion que l'interdiction est trop générale.

M. Schabas vous a dit que ce projet de loi va à l'encontre d'un principe de common law séculaire, qu'au lieu de dire aux gens ce qu'ils ne peuvent pas faire, il leur dit qu'ils ne peuvent rien faire, sauf ce qui est autorisé par le Parlement. Est-ce que cela change quelque chose? À son avis, non; ce sont tout simplement deux démarches qui nous permettent d'arriver au même résultat. Je ne suis pas d'accord, parce que ce projet de loi, dans sa forme actuelle, est, par définition, d'une portée trop vaste; il doit être considéré comme un tout, que le législateur ait ou non envisagé toutes les possibilités.

La promotion, les moyens de communication ou les messages qui sont interdits n'ont rien à voir avec la décision d'adopter ou non un certain comportement.

M. Irving: M. Potter vous a parlé des restrictions qui s'appliquent à la publicité. Vous pouvez faire de la publicité, sous réserve de toutes ces restrictions, dans les publications dont au moins 85 p. 100 des lecteurs sont des adultes.

On invoque, comme argument, que certaines formes de publicité incitent les jeunes à fumer. Les entreprises canadiennes peuvent faire de la publicité dans les publications dont au moins 85 p. 100 des lecteurs sont des adultes. Toutefois, les Américains, eux, peuvent en faire dans n'importe quelle publication. Sports Illustrated, par exemple, n'est pas une publication dont 85 p. 100 des lecteurs sont des adultes. Elle contient toutes sortes d'annonces qui sont interdites au Canada, sous peine d'amendes.

S'il s'avère que le gouvernement a raison de dire que cette forme de publicité n'a pas uniquement pour but de faire la promotion d'un produit, comment avez-vous pu, en toute connaissance de cause, tolérer une telle chose?

Certains dénoncent le fait qu'on utilise des personnages de bandes dessinées pour faire la promotion de marques auprès des jeunes. Or, cette publicité se retrouve dans ces publications. Elle est toujours considérée comme étant légale au Canada et continuera de l'être, sous prétexte que ces marques ne sont pas vendues au Canada. C'est la raison qui a été invoquée dans l'affaire mettant en cause la LRPT. C'est peut-être vrai, mais cela revient à dire que les annonces publicitaires font uniquement la promotion des marques. Si elles incitent vraiment les jeunes à fumer, comment peut-on alors justifier cette forme de publicité? Les compagnies canadiennes peuvent uniquement faire de la publicité dans les publications dont les lecteurs sont des adultes, et le contenu de leurs annonces est rigoureusement réglementé. Or, les compagnies américaines, elles, peuvent utiliser des personnages de bandes dessinées dans leur publicité, dans n'importe quelle publication. Cela ne se justifie pas.

M. Potter: Votre dernière question portait sur la divisibilité. Logiquement, si vous jetez un coup d'oeil sur l'article 22, vous allez vous rendre compte qu'il ne peut pas être reconnu comme étant constitutionnel. Vous ne pouvez pas dissocier l'interdiction qui est prévue à l'article 19 de celle qui est prévue à l'article 22.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas un problème pour moi. Je vous ai tout simplement demandé: si vous avez raison, est-ce que toutes ces autres dispositions sont inconstitutionnelles?

M. Potter: Je pense que toute la partie 4 est inconstitutionnelle.

Le sénateur Beaudoin: Logiquement, si vous avez raison, elle l'est. Toutefois, vous dites que cela équivaut à une interdiction totale.

Le sénateur Nolin: Monsieur Parker, vous avez dit, il y a quelques instants, que vous appuyez l'objectif du projet de loi. Tous les membres du comité appuient cet objectif.

Pouvez-nous dire quel genre de rapports vous avez établis avec le ministère de la Santé pendant les cinq années que vous avez occupé ce poste?

M. Parker: J'aurais aimé pouvoir vous dire qu'ils sont meilleurs, sénateur. J'ai fait beaucoup de consultation, à Ottawa, entre le secteur privé et le secteur public. Les discussions que nous avons eues avec le ministère, les échanges de renseignements, n'ont pas été à la hauteur de mes attentes.

Je ne veux pas attribuer tout le blâme au ministère ou à l'industrie. Les deux groupes ne s'entendent pas. Je suppose que l'objectif ultime du ministère, c'est d'acculer l'industrie à la faillite.

Toutefois, comme nous l'avons dit au début, l'industrie est consciente du fait que le gouvernement va essayer de réduire la consommation de tabac en raison des dangers que présente ce produit pour la santé. Nous n'avons rien à redire à cela.

Le sénateur Nolin: Êtes-vous prêt à aider le ministère à atteindre cet objectif?

M. Parker: Vous parlez de la consommation de tabac chez les jeunes ou chez les adultes?

Le sénateur Nolin: Chez les jeunes.

M. Parker: Absolument. Nous lui avons fait cette offre à maintes reprises. Il ne l'a pas accepté.

Comme je l'ai dit, je me pose de sérieuses questions au sujet de notre crédibilité, mais nous avons beaucoup de renseignements sur le comportement des fumeurs. Cela peut aider le gouvernement à mettre au point des stratégies.

Le sénateur Nolin: Est-ce que vos offres étaient faites par écrit, ou de vive voix lors d'un cocktail auquel assistait le ministre?

M. Parker: Sénateur, nous n'avons pas eu de cocktails avec le ministre. Nous l'avons rencontré une fois depuis qu'il a été nommé à ce poste, et c'était en février dernier.

L'offre a été faite de vive voix et par écrit à plusieurs reprises et je tiens à le répéter aux fins du compte rendu.

Le sénateur Nolin: Monsieur Irving, est-ce que l'étude à laquelle vous avez fait allusion est le rapport Smee? Je veux bien m'assurer que nous y avons accès, parce qu'il y a des témoins qui vont nous en parler.

M. Irving: Je faisais allusion à une analyse documentaire préparée par un groupe de chercheurs américains, qui ont examiné toutes les études publiées sur la question pour essayer de déterminer pourquoi les jeunes commencent à fumer. Je ne l'ai pas avec moi, mais nous pouvons vous en fournir une copie.

Ils sont arrivés aux conclusions que j'ai mentionnées plus tôt. Ce document n'a pas été présenté comme élément de preuve dans l'affaire de la LRPT, parce qu'il n'a été publié qu'en 1992. Nous pouvons vous en fournir une copie.

Le rapport Smee, qui est une étude britannique, porte le nom de M. Smee, qui travaillait pour le ministère de la Santé. On le cite souvent comme étant en faveur de l'interdiction de la publicité. Je ne comprends pas pourquoi. Il a fait sa propre analyse de régression.

Le sénateur Nolin: Nous allons entendre ce que M. Lewis a à dire à ce sujet.

M. Irving: M. Lewis connaît très bien cette étude, tout comme moi, mais il ne faut pas oublier que le rapport Smee a été rejeté par le gouvernement britannique.

M. Parker: L'étude précédente, qui portait sur les raisons qui incitent les jeunes à fumer, a été réalisée par trois universitaires: Conrad, Flay et Hill. Nous pouvons vous en faire parvenir des copies.

Le sénateur Nolin: J'aimerais bien en avoir. Elle s'attaque au fond du problème.

Vous dites dans votre mémoire que vous êtes en communication avec d'autres secteurs de l'industrie du tabac au Canada et à l'étranger. Avez-vous consulté des spécialistes aux États-Unis, en France et dans les autres pays où la publicité est interdite?

M. Parker: Nous échangeons des informations sur demande, sénateur. Parfois, nous nous renseignons auprès d'autres associations de fabricants. Le problème entre le Canada et les États-Unis, entre le Canada et la France, le Royaume-Uni, l'Australie, ainsi de suite, c'est que nous avons tous des régimes politiques et des objectifs différents. Nos lois sont différentes, le comportement des fumeurs est différent, et les restrictions qui sont en place et celles qui sont proposées sont différentes. J'occupe ce poste depuis cinq ans et, au cours de cette période, j'ai communiqué avec mon homologue à Washington à deux reprises -- une fois en personne, et une autre fois au téléphone.

Le sénateur Nolin: Je parlais de vos contacts dans les autres pays, puisque vous en parlez dans votre mémoire.

M. Parker: Oui.

Le sénateur Nolin: À la page 15 de votre mémoire, vous parlez de l'Australie, de l'OCDE, de la Norvège et de la France. Je vous encourage à lire l'expérience de la Norvège. La consommation de tabac a augmenté de 45 p. 100 chez les jeunes depuis qu'elle a interdit la publicité des produits du tabac. Elle fait face à un problème énorme.

M. Parker: Je n'ai peut-être pas bien compris votre question. Ces renseignements n'ont pas été fournis par des associations de fabricants. Les notes en bas de page indiquent le pays où les études ont été réalisées, de même que la source.

Le sénateur Nolin: Malgré la vive concurrence qui existe entre les fabricants, est-ce que vous échangez toujours des données, des renseignements qui pourraient être utiles au Canada?

M. Parker: Nous avons échangé des renseignements, comme par exemple les études sur l'incidence qui ont été réalisées par le gouvernement canadien et qui ont servi à établir les deux tableaux que j'ai mentionnés plus tôt. Elles ont fait l'objet d'une analyse. Nous fournissons régulièrement des renseignements aux associations nationales de fabricants qui en font la demande. Nous avons communiqué avec d'autres associations au cours des derniers mois pour obtenir des renseignements sur ce qui s'est passé en France après que ce pays eut interdit la commandite des produits du tabac en 1992-1993. Il y a une citation dans le texte qui est tirée d'une étude française. Je ne sais pas exactement qui en est l'auteur. Notre bibliothécaire pourrait sans doute vous le dire. Elle a peut-être été fournie par l'association des fabricants, mais elle ne vient pas d'eux. Ce document a été préparé par quelqu'un d'autre.

Le sénateur Lewis: Je suppose que vous êtes des fabricants, et non pas des détaillants.

M. Parker: Non.

Le sénateur Lewis: Mais vous vous occupez de la publicité?

M. Parker: Oui.

Le sénateur Lewis: C'est vous qui la faites?

M. Parker: Nous ne sommes les seuls, quoique ce sont les fabricants qui font le gros de la publicité.

Le sénateur Lewis: Comme n'importe quel autre annonceur, son objectif est de vendre son produit.

M. Parker: Oui.

Le sénateur Lewis: Je crois comprendre d'après ce que vous avez dit que vous visiez la part des ventes du produit ou du marché, comme vous l'appelez.

M. Parker: Oui.

Le sénateur Lewis: Il ne s'agit toutefois pas d'un marché statique, je suppose, étant donné, comme l'a dit le sénateur Kenny, que 40 000 fumeurs meurent chaque année. Vous devez renouveler votre clientèle. Je crois comprendre qu'en faisant la promotion d'une marque vous faites celle du tabac en général. Vous devez viser un nouveau marché. Autrement dit, vous essayez en fait d'inciter les gens à commencer à fumer.

M. Parker: Je ne sais pas quoi faire pour être plus convaincant.

Le sénateur Lewis: Il serait assez incroyable de penser autrement, n'est-ce pas?

M. Parker: Non. Si c'est ce que nous essayons de faire, nous avons alors les agents de publicité et de commercialisation les plus incompétents de n'importe quelle industrie qu'il me soit donné de connaître, étant donné que le marché s'amenuise depuis 30 ans. Le marché n'a pas progressé. Il est compréhensible qu'une ou plusieurs entreprises puisse avoir affaire, pendant une certaine période, à des agents de publicité et des chefs de produit qui soient moins compétents que ceux de leurs concurrents, mais il semble incroyable qu'après avoir essayé sans succès pendant 30 ans d'accroître notre part du marché, nous persisterions encore dans notre tentative.

Un problème de terminologie se pose ici. Est-ce que la compagnie «A» essaie d'accroître sa part du marché? Est-ce qu'Imperial essaie de vendre plus de cigarettes que l'an dernier? Est-ce qu'elles essaient de les vendre à des non-fumeurs et de persuader les gens qui ne fument pas de commencer à fumer sa marque? Non. Pourquoi? Elles ne savent pas comment le faire.

Est-ce que les compagnies d'essence essaient de persuader les gens de conduire davantage? Elle pourrait ainsi accroître leur part du marché. Je n'ai jamais vu une annonce de pétrolière qui aurait pu être interprétée comme suggérant aux gens de conduire davantage. Les compagnies leur disent plutôt que, s'ils font le plein chez elles, la conduite de leur voiture sera plus agréable, leur voiture fonctionnera mieux, leur consommation d'essence s'améliorera ou que sais-je encore. C'est ce qui se passe dans les marchés du tabac.

Tous les ans, des gens joignent le rang des fumeurs. Personne ne le conteste -- certainement pas moi. D'autres personnes cessent de fumer. La question est de savoir si la publicité a un rôle à jouer dans cette décision. Nous n'en voyons aucune preuve parce que, dans des pays où la publicité est interdite, le même phénomène se produit. Les gens décident de commencer à fumer malgré l'interdiction de la publicité, de la commercialisation ou de la promotion du tabac.

Le sénateur Lewis: Vous payez peut-être trop cher votre publicité.

M. Parker: Eh bien! Quelqu'un de l'industrie a dit il y a 40 ans: «La moitié du budget que je consacre à la publicité est gaspillée. Le problème est de savoir de quelle moitié il s'agit.»

Le sénateur Lewis: De toute évidence il serait incroyable de notre part de penser autrement, à savoir que la publicité n'élargit pas le marché.

M. Parker: Elle ne l'a pas fait. Vous avez les graphiques sous les yeux; ils sont tirés d'enquêtes qui ont été effectuées par le gouvernement.

Le sénateur Lewis: Le marché n'étant pas fixe, vous ne pouvez tout simplement pas vous limiter à vous le partager. Si c'était le cas, il vous suffirait de vous réunir et de vous bagarrer pour décider de la part d'Imperial pour cette année et ainsi de suite.

M. Parker: La Loi sur la concurrence contient quelques paragraphes à ce sujet.

Le sénateur Lewis: Il y a peut-être une autre façon de procéder, comme déclencher une offensive.

Je suppose que la publicité inclut les prétendues commandites. Je ne veux pas aborder cette question, mais ne s'agirait-il pas d'une composante de votre publicité? Connaissez-vous le montant global que l'industrie du tabac consacre à la publicité?

M. Parker: En ce qui a trait aux commandites, on parle d'environ 60 millions de dollars par année, ce qui englobe deux catégories de dépenses. Il y a, d'une part, le montant d'argent qui est versé à l'organisateur d'une manifestation pour monter son activité. Si vous organisez un festival de feux d'artifice, par exemple, et que vous voulez que ma compagnie vous commandite, vous me direz ce que vous ferez en ce qui a trait à la reconnaissance de la commandite, de l'affichage et de la promotion. Vous utiliserez cet argent pour diverses choses mais, en principe, ces fonds devraient servir à démarrer votre activité, à vous aider à vendre des billets et à prendre des engagements auprès des artistes ou des équipes qui s'affronteront. La société promotrice dépensera en plus de l'argent pour sa propre publicité de commandite. Les deux sortes de publicité font la promotion de la marque. Le montant total en ce qui a trait à la publicité du produit, la commandite et la publicité de commandite se situe entre 70 et 80 millions de dollars pour les trois compagnies qui veulent obtenir leur part des 220 millions de dollars fluctuants que génèrent les ventes.

Le sénateur Lewis: Il s'agirait de la facture totale de publicité?

M. Parker: Non, les 220 millions de dollars seraient les nouvelles recettes attribuables aux ventes engendrées par la publicité. Les compagnies dépensent 80 millions de dollars pour tenter d'obtenir leur part des 220 millions.

Le sénateur Lewis: On parle donc de 80 millions de dollars au total?

M. Parker: Oui.

Le sénateur Lewis: Où inscrivez-vous ces dépenses dans vos livres? Les inscrivez-vous à l'égard de la publicité ou en imputez-vous une partie en dons?

M. Parker: Non. Ce que les compagnies classent comme commandite sont des frais promotionnels qui constituent une dépense d'entreprise. Chaque entreprise dispose de budgets de dons; cependant, il s'agit aussi de frais d'entreprise, si je comprends le droit fiscal.

Le sénateur Lewis: Ce serait différent de la promotion des ventes, n'est-ce pas?

M. Parker: Oui.

Le sénateur Milne: Est-ce que la plupart de vos dépenses de publicité se rapportent à des commandites?

M. Parker: Oui. Une des raisons en est que, jusqu'en septembre de l'année dernière, la publicité du produit était illégale.

Le sénateur Lewis: Avant 1989, quel serait le total?

M. Parker: Je peux vous obtenir cette information, sénateur. Je ne devrais pas faire de conjectures.

Le sénateur Kenny: Monsieur Parker, il se peut que vous ne soyez pas d'accord mais, d'après une étude faite en 1994 par l'Université de Berkeley, un impôt, combiné à un programme de sensibilisation, contribuerait à réduire la consommation de tabac.

M. Parker: En général, je ne serais pas en désaccord avec cette proposition. Comme je l'ai déjà dit, il existe un lien entre le prix et la consommation, surtout pour les jeunes. Le problème qui s'est posé au Canada, c'est que le prix était tellement élevé que les cigarettes de contrebande sont devenues très accessibles, même aux jeunes. Je ne serais pas en désaccord avec l'idée que la sensibilisation et le prix ont un rôle à jouer.

M. Potter: En ce qui trait à la loi constitutionnelle et à la Charte, sénateur, il est clair également que les avocats qui peuvent se plaindre d'une attaque à la liberté d'expression ne peuvent protester contre le fait que le gouvernement informe d'avantage plutôt que moins les gens.

Le sénateur Kenny: Monsieur Parker, si vous êtes d'accord sur le fait qu'un impôt, combiné à un programme de sensibilisation du public, contribuerait à faire baisser la consommation de tabac, pourquoi dites-vous dans votre mémoire: «Même si personne d'autre ne faisait de publicité, aucun directeur de produit ne pourrait prendre le risque de ne pas en faire?» Nous voyons ici une incroyable justification de votre raisonnement relatif à la part du marché. Pourtant, nous ne voyons rien en ce qui a trait aux gestes que vous posez à l'égard des 40 000 Canadiens qui meurent annuellement. Nous ne voyons aucun programme de votre part. Vous parlez de 800 000 $ qui peuvent être consacrés à un programme de sensibilisation des détaillants. Que penseriez-vous de consacrer le même montant à un programme de sensibilisation de nos jeunes?

M. Parker: Sénateur, les produits du tabac rapportent annuellement 6 milliards de dollars au gouvernement. Ce qui est beaucoup plus que les fabricants en ont retiré ou n'en retireront jamais. Les gouvernements ont consacré 10 millions de dollars -- à coup sûr au cours de la dernière décennie, mais encore avant cela -- à faire précisément ce que vous suggérez. Ils n'ont pas réussi à faire bouger les choses d'un iota.

Laissez-vous entendre que nous devrions entrer dans la danse et proclamer que nous allons persuader les jeunes de cesser de fumer alors que les gouvernements n'y sont pas parvenus? Comme je l'ai dit à plusieurs reprises cet après-midi, nous avons dit au gouvernement que nous sommes disposés à collaborer avec lui pour tenter de régler ce problème.

Un programme qui viserait à convaincre les enfants de ne pas commencer à fumer et qui serait mis de l'avant volontairement par l'industrie du tabac serait attaqué avec véhémence par les témoins que vous entendrez cette semaine -- la ligue antitabac. Ces gens ont qualifié de «promotion déguisée» le programme visant à dire aux détaillants de ne pas vendre de cigarettes aux enfants. Il y a des limites aux sornettes que l'industrie veut supporter.

Il faut nous prendre au sérieux lorsque nous disons vouloir aider les jeunes à cesser de fumer. Si vous connaissez des moyens efficaces que nous pourrions prendre en ce sens de concert avec le gouvernement, je serais heureux de les entendre.

Le sénateur Kenny: Vous semblez vouloir sérieusement jouer le jeu que les compagnies de tabac jouent depuis des générations. Vous tergiversez, vous vous esquivez, vous arrivez accompagnés d'avocats surpayés et vous trouvez des moyens de duper le public canadien pour qu'il achète votre produit. Personne n'y croit et personne ne l'accepte. Vous menez un combat d'arrière-garde et vous essayez d'obtenir un sursis du comité et du gouvernement.

M. Parker: Non, sénateur.

Le sénateur Kenny: Pourquoi ne nous présentez-vous pas une proposition plus productive que celle-ci pour aider les jeunes à cesser de fumer? Vous dites vouloir coopérer. Vous dites que vous trouvez que c'est une mauvaise chose. Mais les compagnies continuent quand même à nous servir la même rengaine. Vous voulez simplement gagner encore quelques années pendant que des enfants et des adultes meurent à cause de la cigarette.

M. Parker: Ce n'est pas nous qui avons légalisé ce produit. C'est votre responsabilité. Si ce produit devient illégal, ces compagnies devront cesser leurs activités.

Le sénateur Kenny: Nous le savons. Nous savons également que si nous nous lançons dans ce genre d'entreprise, nous aurons le même problème qu'à l'époque de la prohibition. Nous savons que vous vendez un produit accoutumant. Nous savons que si nous l'interdisons, nous recréerons la même situation que dans les Années folles.

Est-ce que vos activités de promotion visent entre autres à charger des représentants de vous défendre?

M. Parker: Non.

Le sénateur Kenny: Je n'ai pas fait l'objet de pressions de la part des fabricants de tabac. Les pressions proviennent de groupes sportifs et culturels, de tous ces gens qui, à cause de vous, dépendent maintenant de l'argent du tabac. Comment expliquez-vous cette situation?

M. Parker: Sénateur, êtes-vous en train d'insinuer que le Grand Prix est une façade pour l'industrie du tabac?

Le sénateur Kenny: Oui, c'est exactement ce que je suis en train d'insinuer. J'insinue que vous avez conçu un plan de commercialisation qui aura des répercussions politiques ici à Ottawa. Vous avez organisé une campagne dans l'ensemble du pays en choisissant tout un éventail de groupes qui viendront à leur tour exercer des pressions auprès de nous en votre nom.

M. Parker: Sénateur, ils comparaîtront devant vous. Vous pourrez leur poser la question. En ce qui nous concerne, je vous dis que c'est faux. Nous n'agissons pas ainsi. Pendant 25 ans, des compagnies se sont fait concurrence pour assurer la commandite d'événements culturels et sportifs dans la collectivité. Les commanditaires changent de temps à autre. Ces partenariats sont importants pour les compagnies. Elles appuient les organisations qui mettent sur pied les événements. Lorsque le gouvernement a présenté ce projet de loi, les organisateurs d'événements ont fait appel à l'industrie et ont dit: «Nous voulons nous battre contre ce projet de loi parce que nous croyons qu'il nous mènera à la faillite.» Les compagnies ont répondu: «Oui.» Cette organisation est peut-être une façade selon votre définition, mais je ne peux tout simplement pas être d'accord avec vous.

Le sénateur Kenny: Monsieur Parker, qu'est-ce que vous et vos compagnies allez faire pour empêcher que 40 000 Canadiens meurent chaque année? Qu'allez-vous faire pour mettre un terme à des dépenses directes de santé de trois milliards de dollars et à des dépenses générales de 10 milliards de dollars par année pour les Canadiens?

M. Parker: Sénateur, ces compagnies fabriquent un produit acheté par sept millions de Canadiens adultes. Elles continueront à fabriquer et à vendre ce produit tant qu'il sera légal. Elles continueront à respecter la loi à la lettre, y compris l'étiquetage des paquets et l'ensemble des nouveaux règlements et exigences qui nous seront imposés si ce projet de loi est adopté. Nous continuerons à publiciser ce produit dans la mesure où cela sera légal et autorisé. Nous continuerons à promouvoir l'interdiction de vendre aux mineurs en informant les détaillants, comme je l'ai décrit plus tôt. Nous continuerons à travailler avec tout organisme responsable, désireux d'envisager des moyens de réduire le tabagisme chez les jeunes.

Ce produit présente des risques pour la santé. La liste des maladies est interminable et le risque de les contracter augmente si vous fumez. Tout le monde au Canada le sait. Parce que ces risques existent, nous considérons que l'usage du tabac est une décision adulte.

Si le gouvernement ou les assemblées législatives du Canada décident de remédier à ce problème à l'aide d'une mesure législative différente, nous l'accepterons. S'ils décident d'interdire le produit, nous devrons nous en accommoder. Cependant, nous ne pouvons pas faire plus que ce que nous faisons à l'heure actuelle à moins que vous ayez d'autres propositions à nous présenter.

Le sénateur Kenny: Et vous n'avez pas de responsabilité au-delà de celle que vous avez envers vos actionnaires?

M. Parker: Sauf votre respect, ce n'est pas ce que j'ai dit.

La présidente: Je pense que nous voyons ce que vous voulez dire, sénateur Kenny.

J'aimerais vous poser quelques questions concernant plusieurs études que j'ai lues récemment. J'aimerais connaître votre opinion sur ces études. L'une porte sur le tabagisme chez les jeunes et je crois que vous la connaissez. Elle a été commandée par Santé Canada mais n'a pas été faite par Santé Canada.

On y lit ce qui suit:

Les jeunes Canadiens sont très conscients des événements et des activités commandités ou publicisés par les sociétés de tabac. Quarante-neuf pour cent de tous les jeunes âgés de 10 à 14 ans et 51 p. 100 des jeunes âgés de 15 à 19 ans ont indiqué avoir vu des annonces pour des événements commandités par des sociétés de tabac...

Quatre-vingt-cinq pour cent des fumeurs et 83 p. 100 des non-fumeurs...

...et il s'agit du groupe d'âge ciblé...

...conviennent que ces panneaux-réclames et ces affiches sont un moyen de publiciser certaines marques de cigarettes. Enfin, 43 p. 100 des fumeurs et 58 p. 100 des non-fumeurs conviennent que ces panneaux-réclames et affiches sont un moyen d'encourager les gens à fumer.

M. Parker: J'ai lu cette étude. J'aimerais signaler deux ou trois choses. Tout d'abord, de nombreuses études sur l'influence de la publicité et de la commandite sur les jeunes et les adultes en général ont fait valoir qu'être conscient de l'existence de la publicité ne signifie pas qu'on se laisse influencer par la publicité. À notre avis, il existe une distinction entre la publicité des cigarettes et la publicité d'un événement par une compagnie de cigarettes. Je suppose qu'il n'est pas vraiment important que cela soit le cas ou non pour d'autres. Cependant, ce n'est pas le véritable problème. Même si la totalité d'entre eux disent avoir vu l'annonce de l'événement ou disent avoir assisté à l'événement même, il me semble que la question à leur poser est la suivante: «Cela vous a-t-il incité à fumer?» D'après la dernière ligne que vous avez lue, l'opinion était que cela encourageait d'autres gens à fumer. Mais c'est une opinion personnelle non fondée, exprimée dans le cadre d'un sondage d'opinion.

N'importe qui peut avoir une opinion sur n'importe quoi, sans qu'elle s'appuie sur des preuves. On se contente de dire: «C'est ce que je crois» et c'est très bien, puisque c'est le genre de pays où nous vivons.

Revenons aux pays où la publicité et la commandite sont interdites et posons la question que nous avons posée à Santé Canada. Ils savent aussi bien que nous, et depuis longtemps, quels sont les pays où ces interdictions existent. C'est le genre d'études que Santé Canada aurait dû commander mais le ministère n'a pas demandé que l'on aille dans ces pays examiner les résultats effectivement obtenus pendant que ces interdictions étaient en vigueur.

Dans notre mémoire, nous présentons certaines preuves empiriques et succinctes provenant des divers pays en question, mais Santé Canada était en mesure de faire des études détaillées sur ces pays et de dialoguer avec les gouvernements. Le ministre a indiqué avoir rencontré le ministre français de la Santé et il savait que les courses automobiles continuaient à avoir lieu et que les voitures ne portaient pas de logos.

L'un de vos collègues a demandé si cela avait influé sur les taux de tabagisme. Le ministre a répondu qu'il vous obtiendrait ces chiffres. Je crois comprendre que vous ne les avez pas encore reçus. Nous croyons savoir que le taux de tabagisme en France aujourd'hui chez les jeunes et les adultes est identique à celui qui existait lors de l'entrée en vigueur de l'interdiction et devant ce résultat, on se pose la question que vous avez entendue à propos du projet de loi.

La présidente: Monsieur Parker, je serais la première à dire que je ne crois pas que la publicité soit l'unique raison qui incite les jeunes à fumer; je ne crois pas non plus que ce soit la principale raison qui incite les gens à fumer. Je crois que la principale raison, c'est l'influence des camarades. Je pense que cela ne fait absolument aucun doute.

J'ai toutefois de la difficulté à accepter l'argument voulant que la publicité n'ait aucune influence sur les jeunes pour ce qui est de les inciter à fumer. Je dis cela parce que selon toutes les études que j'ai lues, si un jeune n'a pas commencé à fumer au moment où il a atteint l'âge de 19 ans, il est fort probable qu'il ne fumera pas. Ils subissent une influence quelconque. Je dirais que c'est surtout l'influence des camarades, mais il y a d'autres facteurs qui entrent en jeu également.

J'ai aussi lu une étude faite par une agence de publicité de New York, Shepardson, Stern et Kaminsky, publiée en décembre 1996, où on a interrogé environ les deux tiers des 300 directeurs de publicité sur les influences. Ils ont indiqué qu'à leur avis, la publicité de la cigarette ciblait les adolescents et 82 p. 100 des personnes sondées estiment que les adolescents ont compris le message transmis à propos de la cigarette.

Donc, si l'industrie de la publicité considère que la publicité cible les adolescents et que de votre côté vous ne le croyez pas, n'avez-vous pas les mauvais annonceurs?

M. Parker: Je ne suis pas au courant de cette étude. J'aimerais beaucoup en avoir une copie.

Cette étude semble axée sur les directeurs de publicité qui considèrent que l'industrie cible les adolescents. Vous entendrez le témoignage de quelqu'un qui se spécialise dans ce genre d'accusations à propos des compagnies de tabac. Vous trouverez peut-être intéressant de comparer ce qu'il a dit aux comités de la Chambre des communes ou ce qu'il pourra vous dire et ce qu'il a déclaré sous serment dans l'affaire concernant la LRTP, car je peux vous assurer que ces déclarations sont tout à fait différentes étant donné qu'il n'existe aucune preuve pour appuyer cette affirmation.

Si vous dites qu'il s'agit d'une question d'opinion personnelle, comme dans le cas des directeurs de publicité, ou qu'ils croient que les jeunes ont compris le message, je n'ai pas d'objection à ce genre d'opinion personnelle. Je ne suis pas d'accord avec ce genre d'opinion, mais je n'ai pas d'objection. Le problème, c'est qu'il n'y a pas de preuves.

Existe-t-il un lien clair entre les énormes dépenses consacrées à la publicité de Joe Camel, par exemple, et le fait que les jeunes fument une marque particulière de cigarettes? Non. Dans l'ensemble, les marques que préfèrent les jeunes sont les marques qui sont les plus populaires chez l'ensemble des fumeurs. Y a-t-il des exceptions? Oui. Il existe une marque de cigarettes en Europe, qui s'appelle Death. Le paquet est noir et porte une tête de mort blanche. La compagnie cible ainsi directement les jeunes, comme elle l'a d'ailleurs déclaré. Elle vend également des Death Lights, dans un paquet blanc, avec une tête de mort noire.

La compagnie cible spécifiquement les jeunes, en particulier les adolescents qui aiment la mode des Doc Martens, en faisant de la promotion à l'envers. Voici la publicité que faisait cette compagnie: «Ne fumez pas. Si vous fumez déjà, cessez. Si vous n'avez jamais fumé, ne commencez pas. C'est un produit terrible; ne l'achetez pas.» Comment des jeunes, rebelles par nature, réagiront-ils à un tel paquet de cigarettes? Ils voudront l'avoir dans leurs poches.

M. Sofer: Oui, il existe des études qui présentent le genre d'affirmations que vous venez de lire. Cependant, nous avons eu une expérience plutôt inhabituelle. Il n'y a pas longtemps, nous avons participé à un procès qui a duré 70 jours, au cours duquel le gouvernement a convoqué des experts de partout dans le monde, qui ont dit exactement la même chose que cette étude en particulier. Nous avons eu recours au système juridique canadien, c'est-à-dire l'unique moyen dont disposent ceux qui veulent contester une loi. Le gouvernement a eu l'occasion de convoquer tous les témoins qu'il voulait.

Oui, il ne fait aucun doute que certains diront: «À mon avis, la publicité des produits du tabac est axée sur les jeunes et c'est ce qui donne l'impulsion au marché.» Toutes ces choses ont été dites, mais dans le cadre du système juridique qui existe dans ce pays, lorsque nous avons pu regarder les gens en face et leur poser des questions, un juge de la cour canadienne, dont la décision a été confirmée par la Cour suprême, a déclaré: «Ce sont uniquement des suppositions et des opinions.» Le principal témoin du gouvernement a déclaré: «Je ne le crois même pas. Il a trafiqué les chiffres pour obtenir sa réponse.»

La Cour suprême a admis tout cela mais a considéré que le bon sens dictait que l'on réglemente la publicité de style de vie.

Ce sera sans aucun doute l'opinion de bien des gens. Cependant, dans ce pays, nous n'en sommes pas encore arrivés au point où nous dérogerons aux arrêts de la Cour suprême dans l'espoir que la prochaine fois, les témoins et le juge seront différents. Ce serait comme le référendum au Québec: continuer jusqu'à ce qu'on obtienne la réponse voulue. Ce n'est pas ainsi que nous fonctionnons. Ces questions ont fait l'objet d'une enquête en bonne et due forme, avec le résultat que l'on connaît.

M. Potter: Le message de la Cour suprême, c'est que même si on prend pour acquis que certains types de publicité sont un facteur, aussi faible soit-il, parmi tant d'autres et même si on le fait sans preuve concrète, comme l'a fait la Cour suprême, la question demeure: Est-il alors nécessaire de la supprimer complètement ou d'en supprimer un aspect aussi important, comme le fait le projet de loi C-71? C'est la question à laquelle doit répondre votre comité; à savoir si le projet de loi C-71 n'a pas encore une fois, en répétant une erreur qui a déjà été commise, été trop loin.

La présidente: On vous a demandé plus tôt si vous aviez fait des études de marché sur les commandites. J'aimerais savoir si vous avez fait une étude de marché sur les non-fumeurs. Dans l'affirmative, pourriez-vous la mettre à notre disposition?

M. Sofer: Je peux répondre à cette question en ce qui concerne RJR-Macdonald. En ce qui concerne la LRPT, non. Pour faire une campagne publicitaire, il faut étudier les gens que l'on veut cibler. S'il s'agit de produits pour femmes, on parle aux femmes; s'il s'agit de produits pour hommes, on parle aux hommes. C'est la logique même. Ils ont dû reconnaître, tout comme les témoins du gouvernement, qu'après avoir examiné toutes les études faites pendant 15 ans, ils n'avaient jamais interviewé de personnes de moins de 18 ans qui n'étaient pas des fumeurs.

Il existe une étude sur les jeunes, dont le professeur Pollay n'arrête pas de parler. Il ne s'agit pas d'une étude de RJR-Macdonald; il s'agit d'une étude universelle. J'ai oublié qui l'a faite. Elle portait sur les attitudes des jeunes en général, et tous ceux qui le voulaient pouvaient y participer.

Comme le professeur Pollay vous l'indiquera, RJR-Macdonald y a participé. Il ne vous dira pas toutefois qu'ils ont écrit une lettre à la compagnie, que nous pourrons d'ailleurs vous fournir, en disant: «Nous ne ciblons pas les jeunes de moins de 18 ans. Nous voulons en savoir plus sur les attitudes des jeunes mais nous voulons connaître uniquement les résultats concernant les jeunes de 18 à 24 ans.». Je crois que l'étude portait sur les jeunes âgés de 15 à 24 ans. RJR-Macdonald a expressément demandé à connaître les résultats concernant uniquement les jeunes de 18 à 24 ans.

Le professeur Pollay ne vous le dira pas, mais il vous dira que nous avons participé à l'étude sur les jeunes. C'est la seule étude à laquelle nous avons participé et en ce qui concerne toutes les autres, nous n'avons examiné que les fumeurs de 18 ans.

Habituellement, ils essayaient de cibler les fumeurs d'Imperial parce qu'ils voulaient trouver un moyen de les faire changer de marque. C'est la façon dont ils procéderaient.

M. Potter: Je tiens à préciser qu'Imperial a remis tous ses documents aux spécialistes du gouvernement dans ce cas. Il n'existe aucune étude de marketing axée sur les non-fumeurs. Il existe toutefois un document que certains militants antitabac présentent comme tel, et il s'agit d'un document public. Il a été déposé dans ce cas. Il s'agit de l'étude Viking. C'était un sondage d'attitudes qui visait à déterminer si Imperial pouvait utiliser ses techniques de commercialisation ou de publicité pour transmettre un message susceptible d'influencer le climat général du débat sur le tabac au Canada. Cette étude a conclu qu'elle ne le pouvait pas. Cela s'est arrêté là.

Le sénateur Nolin: Monsieur Parker, j'aimerais revenir au programme de coalition d'associés, axé sur les détaillants. Je vous ai demandé si vous aviez offert au gouvernement de faire partie de cette coalition et la réponse a été non. Avez-vous fait cette offre par écrit?

M. Parker: Nous avions deux objectifs lorsque nous l'avons établi. Le premier était d'obtenir tous les conseils que nous pouvions du gouvernement à ce sujet. Nous faisions de la recherche. Deuxièmement, nous voulions, en collaboration avec le gouvernement, déterminer s'il serait utile, dans le cadre de ses initiatives avec les détaillants, qu'il le leur recommande. Que signifie «caution»? Pouvait-il recommander cette formule? Est-ce qu'à leur avis, ce serait une méthode qui fonctionnerait et y en a-t-il d'autres? S'agit-il, selon eux, de la meilleure méthode qui existe? Leur serait-il possible de devenir membres de la coalition sans avoir à dépenser de l'argent? Toutes ces options étaient possibles.

Le climat politique n'existe pas uniquement à Santé Canada. Certains des groupes antitabac subventionnés par le gouvernement éprouvent exactement la même chose. On considère qu'il n'est tout simplement pas politiquement correct de dialoguer de façon raisonnable avec l'industrie du tabac.

Il y a donc eu un examen informel de la documentation et elle n'a pas fait l'objet de commentaire vraiment significatif. Ils n'ont rien trouvé à redire. Ils ont fait quelques propositions qui ont été suivies.

La présidente: Je vous remercie beaucoup pour ce qui a sans doute été un après-midi difficile pour vous. Vous nous avez permis de compléter nos connaissances, ce qui est notre objectif. Nous vous remercions de votre temps et de votre attention.

M. Parker: Merci, madame le sénateur.

La séance est levée.


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