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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 53 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le mercredi 2 avril 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-71, Loi réglementant la fabrication, la vente, l'étiquetage et la promotion des produits du tabac, modifiant une autre loi en conséquence et abrogeant certaines lois, se réunit aujourd'hui à 13 h 20 pour en faire l'étude.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Chers collègues, ce matin nous accueillons trois témoins. Il s'agit de M. Charles Lapointe de l'Office des congrès et du tourisme du Grand Montréal, de M. Kirk Shearer, de Tourisme Toronto; et de M. Raymond Greenwood de la Vancouver Fireworks Society.

Nous commencerons par vous, monsieur Lapointe. Vous avez la parole.

[Français]

M. Charles Lapointe, c.p, président-directeur général, Office des congrès et du tourisme du grand Montréal: Je vous remercie de me permettre de comparaître devant vous aujourd'hui. Cela me fournit l'occasion de vous exprimer les vives inquiétudes que m'inspire ce projet de loi, plus particulièrement dans le secteur où je suis impliqué, c'est-à-dire l'industrie touristique montréalaise et la promotion touristique de la métropole du Québec.

Selon les faibles connaissances dont je dispose et après lecture de ce projet de loi, je crois qu'il peut y avoir des répercussions économiques négatives résultant de l'adoption du projet de loi. Je ne puis vous démontrer comme un plus un font deux que tel ou tel événement disparaîtra le jour de l'adoption du projet de loi, nous avons cependant certaines inquiétudes. Vous avez la possibilité d'apporter des amendements, qui pourraient atténuer les effets négatifs potentiels et continuer de permettre la tenue de grands événements, qui peuvent inviter les citoyens, particulièrement les jeunes, à pratiquer des activités culturelles et sportives.

Si les commandites de l'industrie du tabac pour les grands événements culturels, que ce soit les grands festivals ou certains événements sportifs comme le tennis et la course automobile, devaient disparaître du jour au lendemain, cela représenterait une perte financière énorme pour les organisateurs de ces événements ; une perte financière difficile à combler.

Ce ne sont certainement pas les gouvernements municipaux, régionaux ou provinciaux ou fédéral qui vont rouvrir leur gousset pour fournir plus d'argent à ces événements puisque l'on assiste depuis au moins les trois dernières années à une restriction des subventions de ces gouvernements.

Remplacer les commandites des compagnies de tabac par d'autres commandites de compagnies privées, je crois que cela est plus facile à dire qu'à faire, parce que les commandites des compagnies de tabac sont très importantes. Nous n'avons pas les chiffres précis étant donné qu'il s'agit d'informations commerciales, mais nous croyons que pour la région montréalaise, il s'agirait d'un montant d'environ 20 millions de dollars injecté dans ces événements et activités sportives chaque année. C'est donc un montant que l'on ne peut pas trouver du jour au lendemain. J'aurai l'occasion de vous proposer certaines modalités qui pourraient peut-être nous aider à solutionner ce problème.

Pour Montréal, l'impact du projet de loi est assez dommageable, plus qu'ailleurs au Canada peut-être. Depuis plusieurs années, les festivals et les grands événements sportifs sont au coeur même de l'image que nous projetons de la métropole québécoise sur tous nos marchés touristiques, que ce soit aux États-Unis, dans le reste du Canada, en Europe ou en Asie. Les retombées économiques de ces événements dans l'économie montréalaise se chiffrent à plus de 100 millions de dollars. C'est un outil de promotion exceptionnel. Certains d'entre vous avez sûrement déjà visité Montréal. Si vous vous trouvez à Montréal lors d'un événement comme le Grand Prix de la course automobile, par exemple, vous serez à même de constater que toute la ville vit au rythme du Grand Prix. Dans les restaurants, les bars, les magasins, vous y verrez les drapeaux à carreaux à l'emblème du Grand Prix. Certaines rues du centre-ville sont fermées: la rue Crescent, Peel, et ceatera. Les Ferrari et autres marques de voitures de course sont exposées à travers toute la ville. Pendant cinq jours, la ville vit à ce rythme.

Même chose avec le Festival de jazz, les hôtels, clubs de nuit et restaurants arborent les emblèmes du festival, partout à travers la ville. C'est une activité qui perméabilise notre vie quotidienne à nous les Montréalais. Il y va de même pour le Festival juste pour rire, le Festival des films du monde, les Feux d'artifices Benson & Hedges et l'Omnium de tennis du Maurier. Tous ces événements sont au coeur de notre image.

La promotion, qui sera publicisée cet été, se lira comme suit: «The world needs more Canada à la Montréal», «Montreal the City of Festivals». Tous les événements, dont on fait la promotion aux États-Unis, au Canada et ailleurs dans le monde, qui sont des événements majeurs pour l'image de Montréal, reçoivent des commandites des compagnies de tabac.

Le secteur des grands événements a des retombées économiques importantes pour Montréal, il nous assure une fréquentation touristique importante. L'industrie touristique à Montréal représente plus de 1 milliard de dollars en retombées; c'est un secteur qui va bien. Il y a beaucoup de choses qui vont mal à Montréal, on en entend parler dans les articles de journaux; mais voilà un secteur qui va bien. Il nous a fallu plus de 10 à 15 ans à bâtir des événements qui possèdent un caractère international. Il y a un mois et demi, des critiques de jazz aux États-Unis ont décrété le Festival international de jazz de Montréal comme étant le plus grand événement de jazz au monde.

Je crois qu'il serait dangereux de déranger ce secteur qui se porte bien. Au moment où je vous parle, l'organisation Montréal international, dirigée par l'honorable Francis Fox et Jacques Girard , et la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, donnent une conférence de presse à Montréal. Ils vont y exprimer la position respective de Montréal international et de la Chambre de commerce. Ils proposent aux membres du comité des affaires juridiques et constitutionnelles deux amendements, que j'endosse totalement, de même que l'Association des hôtels du Grand Montréal.

En premier lieu, nous sommes d'avis qu'une période supplémentaire d'une durée de trois ans, assorti d'un fonds de compensation décroissant est tout à fait essentiel pour permettre aux organisateurs d'événements de s'ajuster à la nouvelle réalité créée par l'entrée en vigueur des dispositions du projet de loi.

La première année 100 p. 100 de la valeur actuelle des commandites devrait être remboursé; la deuxième année 50 p. 100; la troisième année 25 p. 100. Ce qui donnerait le temps aux organisateurs d'événements de trouver les fonds nécessaires pour remplacer les commandites de compagnies de tabac. Ce fonds national devrait être mis sur pied par le gouvernement du Canada.

En second lieu, Montréal international, la Chambre de commerce, l'Association des hôtels du Grand Montréal et l'Office des congrès et du tourisme du Grand Montréal sont d'avis que la future loi ne devrait pas s'appliquer dans le cas de certains grands événements internationaux. Les grands événements internationaux, pour être exemptés, devraient répondre aux cinq critères suivants. Premièrement, que l'événement soit sanctionné par une organisation ou une association internationale reconnue; deuxièmement, que l'événement fasse partie d'un circuit international; troisièmement, que l'universalité de la provenance des concurrents ou participants à l'événement soit reconnue; quatrièmement, que l'événement soit télédiffusé dans un nombre très important de pays, assurant ainsi visibilité et une notoriété qu'il serait très coûteux d'obtenir autrement; et cinquièmement, que l'événement génère des retombées économiques et touristiques appréciables.

Si un tel amendement était accepté, le Grand Prix de Formule I de Montréal, les courses de Formule CART de Toronto et de Vancouver ainsi que les Internationaux de tennis du Canada, disputés à Montréal et Toronto, pourraient répondre à ces critères et être exemptés.

Ce sont les recommandations que je voulais humblement vous proposer. Je crois que ces amendements respecteraient l'esprit du projet de loi C-71. Nous permettrions ainsi la survie d'un secteur important de l'économie montréalaise de et de toutes les grandes villes canadiennes.

[Traduction]

M. Kirk Shearer, président et chef de l'exploitation, Tourisme Toronto: Madame la présidente, je suis heureux d'être ici aujourd'hui. Tout d'abord, j'aimerais souligner qu'en tant que président du Metropolitan Toronto Convention and Visitors Bureau, j'ai l'appui de mon conseil et de la Chambre de commerce; cependant, je ne suis pas ici à titre de porte-parole de l'industrie du tabac. En fait, nous ne recevons pas un sou de l'industrie du tabac.

Je suis ici pour parler des retombées économiques des événements culturels et sportifs pour le secteur du tourisme. Tout d'abord, je tiens à mentionner que l'industrie du tourisme en Ontario crée 400 000 emplois et produit des retombées économiques d'une dizaine de milliards de dollars. Dans la région métropolitaine de Toronto seulement, l'industrie du tourisme crée 101 000 emplois et entraîne des retombées économiques de 4,8 milliards de dollars. Ce secteur verse environ 1,8 milliard de dollars en taxes.

L'industrie du tourisme est le secteur d'activité le plus concurrentiel au monde, et la lutte n'a jamais été aussi acharnée pour attirer des visiteurs. Le Canada, l'Ontario et Toronto en fait, se préparent depuis longtemps à l'essor que connaît maintenant ce marché. Il semble assez inquiétant qu'on veuille compromettre le financement de ce type d'activités commerciales.

Les événements culturels et sportifs jouent un rôle très important. Les gens viennent au Canada, en Ontario ou à Toronto pour toutes sortes de raisons, entre autres pour assister à la Symphony of Fire, qui a des retombées de 61 millions de dollars pour Toronto uniquement et qui génère une trentaine de millions de dollars dans le secteur du tourisme. La course Molson Indy a des retombées de 26,5 millions de dollars et de 5,7 millions de dollars uniquement dans le secteur du tourisme. Le festival de jazz a des retombées de 17 millions de dollars et de 3 millions uniquement dans le secteur du tourisme. Pour Toronto et Montréal, le tennis rapporte 10 millions de dollars et 1,5 million au secteur du tourisme. L'Omnium canadien de golf a des retombées de 7,7 millions de dollars et de 1,3 million dans le secteur du tourisme.

Mais ces chiffres ne traduisent pas la réalité car ces événements sont des moyens d'attirer une première fois des touristes à Toronto, en Ontario ou au Canada. Notre propre enquête à la sortie indique qu'un touriste qui a visité Toronto une fois y revient en moyenne 17 fois. Par conséquent, on sous-évalue sans doute énormément les retombées économiques de ces événements.

Il a fallu un certain temps avant que le Canada soit reconnu comme l'un des meilleurs sinon le meilleur pays au monde. Il a fallu 200 ans pour que Toronto finisse par être considérée comme peut-être l'une des villes les plus intéressantes au monde.

C'est ce que nous pensons tous de nos villes mais la revue Fortune a vanté les charmes de Toronto comme l'a fait le National Geographic. Là où je veux en venir, c'est qu'aujourd'hui le secteur du tourisme est en plein essor et qu'à Toronto et en Ontario le tourisme se porte très bien malgré les contraintes financières auxquelles nous faisons face. Une bonne partie des retombées dont nous profitons maintenant se prépare depuis des années grâce à ce que nous avons appelé les médias gratuits -- c'est-à-dire la presse et la publicité évidemment -- mais les aspects dont nous faisons la promotion sont les événements, les attractions, le théâtre, les prix raisonnables, les excellents hôtels, la sécurité et la propreté de notre ville, son caractère ethnique et la promesse d'une expérience inoubliable. Tous ces aspects se greffent jusqu'à un certain point aux événements dont la tenue est en train d'être sérieusement compromise.

Comme je l'ai déjà mentionné, de tous les secteurs, c'est le tourisme qui connaît l'essor le plus rapide dans le monde. On évalue que d'ici l'an 2005, une personne sur 10 au Canada travaillera directement ou indirectement dans le secteur du tourisme. La concurrence est donc féroce. Je tiens à répéter que les événements jouent un rôle clé dans ce secteur et que nous sommes ici pour parler de ce qui risque de se produire sur le plan économique si nous compromettons la tenue de ces événements.

L'ironie, c'est que le budget de la région métropolitaine de Toronto pour la commercialisation des destinations diminue depuis les trois dernières années et le budget de la province a subi une réduction spectaculaire au cours des sept ou huit dernières années. Heureusement, le gouvernement fédéral dans sa sagesse a créé la Commission canadienne du tourisme à laquelle M. Lapointe a fait allusion tout à l'heure. Il s'agit d'une injection de 50 millions de dollars pour la commercialisation des destinations au Canada et d'une somme équivalente de 50 millions de dollars de la part de la Commission, ce qui porte à 100 millions de dollars le budget destiné à promouvoir le Canada comme destination. Si le gouvernement a pris cette initiative, c'est qu'il a déterminé qu'il s'agit d'un secteur d'activité très important auquel il était tout naturel que nous participions et qui est devenu le secteur le plus concurrentiel au monde. Par conséquent, nous devons protéger la qualité de notre produit, c'est-à-dire les marchés vers lesquels nous attirons les touristes et le budget de publicité qui permet de les attirer ici.

C'est pourquoi il faut à tout prix essayer de trouver un moyen de tenir compte des objectifs du gouvernement en matière de santé tout en continuant à assurer la viabilité des commandites de l'industrie du tabac pour ceux qui appuient ces événements. Nous devons faire la promotion de ces événements et mettre l'accent sur les événements et non sur les compagnies de tabac. Je vous demande donc d'examiner sérieusement les amendements qui vous ont été présentés aujourd'hui.

La présidente: Je vous remercie, monsieur Shearer. Nous allons maintenant entendre quelqu'un qui lui aussi, j'en suis sûre, trouve que sa ville est la plus belle au monde.

M. Raymond Greenwood, président, Vancouver Fireworks Society: Je tiens à vous remercier de m'avoir invité à venir de la merveilleuse côte ouest -- naturellement splendide, comme diraient les Vancouverois -- vous faire part de mes réflexions. Je suis président de la Vancouver Fireworks Society, qui est l'hôte de la Symphony of Fire parrainée par Benson & Hedges depuis maintenant huit ans. Comme vous pourrez le constater, 1,5 million de gens se rendent sur les bords de la baie English, à Vancouver-Ouest, au parc Cyprus, à Burnaby Mountain et partout dans la région de la baie English pour assister à ce spectacle de feux d'artifice. Nous avons même eu la visite de navires militaires l'année dernière et de deux bateaux de croisière à destination de l'Alaska qui ont fait escale pour assister au spectacle. Comme ce monsieur de Toronto l'a dit, cet événement est en train de prendre énormément d'ampleur. J'aimerais maintenant vous présenter un court film vidéo.

(Présentation d'un film vidéo)

M. Greenwood: L'organisation du spectacle dans la baie English auquel vous venez d'assister a coûté un million de dollars. Comme mon collègue l'a dit, grâce aux fonds supplémentaires que l'honorable Judd Buchanan et le premier ministre ont accordés au secteur du tourisme, nous avons réussi à attirer de nombreux touristes à Vancouver. J'aimerais faire circuler parmi vous les résultats d'une enquête économique réalisée par Tourisme Vancouver, qui vous permettra de constater que cet événement, c'est-à-dire uniquement les quatre soirs de notre concours de feux d'artifice, a des retombées économiques de 9,7 millions de dollars. Cette enquête indique que 20 p. 100 des visiteurs sont venus strictement pour voir le spectacle Symphony of Fire et sont restés ensuite un peu plus longtemps, nous l'espérons. Fait intéressant à souligner, les soirs où ont lieu nos spectacles de feux d'artifice, notre système de transport en commun réalise un profit, ce que je suis très heureux d'apprendre. Il transporte un nombre énorme de passagers jusqu'à la baie English.

Cette enquête a été faite de façon indépendante en 1984 par Tourisme Vancouver. Je n'ai rien eu à voir avec cette enquête. Certaines questions posées portaient sur les soirs où les feux d'artifice ont eu lieu.

À la deuxième page, vous verrez une lettre adressée à l'honorable David Dingwall par Tourisme Vancouver exprimant les préoccupations de Tourisme Vancouver à propos de cet événement. Tourisme Vancouver compte 1 200 membres. La lettre décrit les conséquences qu'aurait le projet de loi C-71 sur nos événements -- et certainement sur ceux dont je m'occupe -- et un grand nombre d'autres activités spéciales qui ont lieu dans la collectivité. Par exemple, Women in View, qui a reçu un don de l'industrie du tabac, a indiqué très clairement qu'il lui serait impossible d'organiser son événement sans commandite.

Sur la page suivante, vous verrez une liste de gens et d'organisations commandités par l'industrie du tabac. C'est incroyable. Nous nous adressons au gouvernement pour obtenir de l'argent mais il n'en a pas à nous fournir. Pourtant, cet argent est disponible ici. Nous avons besoin des commandites de l'industrie du tabac.

Il y a une réservation faite par Gadabout Tours et un fax d'un couple de la Suisse qui a passé sa lune de miel à Vancouver et qui veut y revenir pour assister à la Symphony of Fire. Il y a également une demande de l'Oklahoma adressée au Centre du tourisme de Vancouver.

Il y a une lettre de la Burma Star Association qui tient son congrès à Vancouver à cause de la Symphony of Fire. L'association a écrit à M. Dingwall lorsqu'elle a eu connaissance de ce problème. Je n'ai jamais entendu parler de ce monsieur et il m'a envoyé une lettre.

J'ai également inclus certaines notes de remerciements, dont l'une du Consulat général des États-Unis. L'année dernière, le sous-secrétaire d'État est venu voir les feux d'artifice pendant qu'il était en vacances à Seattle. Les premiers ministres y assistaient, de même que de nombreux députés.

Tout ce que je vous demande aujourd'hui, c'est de vous montrer raisonnables au sujet du projet de loi C-71 qui n'est pas raisonnable. Je crois comprendre qu'en vertu de ce projet de loi, je pourrais être arrêté si je portais l'épinglette Benson & Hedges que je porte maintenant.

Je vous fournis également notre brochure. Apparemment la commandite sera limitée à 10 p. 100. Pourquoi une compagnie de tabac voudrait-elle commanditer un événement comme le nôtre si on lui interdit de s'identifier comme commanditaire? C'est complètement déraisonnable.

J'ai demandé une entrevue avec M. Dingwall mais sans succès. Il était à Vancouver il y a deux semaines. Nous aurions pu le rencontrer à cette occasion mais il n'a pas eu la courtoisie de nous rendre visite. Je lui ai écrit à maintes reprises.

Je tiens à vous remercier de me permettre de comparaître devant vous. Il y a de nombreux groupes à Vancouver qui aimeraient faire connaître leur point de vue à votre comité. Pourquoi ne venez-vous pas dans l'Ouest? C'est un endroit merveilleux, aussi beau que Toronto ou Montréal. Ce pourrait être une expérience très agréable et vous pourriez ensuite aller faire du ski à Whistler. Tout ce que je vous demande, c'est d'être raisonnables et de tenir d'autres discussions avant d'adopter ce projet de loi.

La présidente: Je vous remercie, monsieur Greenwood.

Le sénateur Kenny: Monsieur Shearer, si toutes les choses dont vous avez parlé ont des retombées positives pour l'économie de Toronto, pourquoi vos membres ne les subventionnent-ils pas puisqu'ils en profitent?

M. Shearer: Personne à mon avis n'est capable de les subventionner comme peut le faire l'industrie du tabac. En fait, je ne crois pas qu'il existe beaucoup de compagnies, qu'il s'agisse d'une compagnie automobile ou d'une banque, capables de contribuer même un vingtième du montant que les compagnies de tabac contribuent.

Le sénateur Kenny: Pourquoi devrait-on favoriser le secteur du tourisme aux dépens de la santé des Canadiens? Pourquoi devrions-nous accepter que 40 000 Canadiens meurent chaque année pour que vous puissiez avoir du pain et des jeux à Toronto?

M. Shearer: Il y a probablement des gens mieux en mesure que moi de répondre à cette question sur le plan médical. Je suis ici pour parler de l'impact économique sur le tourisme et les emplois à Toronto.

Le sénateur Kenny: Je parle ici de 40 000 Canadiens qui meurent chaque année, et cela vous est égal.

M. Shearer: Pas du tout. Mais je me soucie également du tourisme et de la création d'emplois.

Le sénateur Kenny: Comment pouvez-vous concilier les deux?

M. Shearer: Je suis ici pour parler du tourisme et non pas pour concilier ces deux aspects.

Le sénateur Kenny: Vous n'en tenez pas compte dans votre équation?

M. Shearer: J'en tiens également compte dans mon équation personnelle, mais dans le contexte du tourisme, il est très important de comprendre que nous ne sommes pas en train de réduire le financement assuré par les compagnies de tabac mais que nous sommes en train de compromettre la tenue d'événements, ce qui est le problème qui me préoccupe et la raison de ma présence ici.

Le sénateur Kenny: Ne voyez-vous pas que les sociétés productrices de tabac vous utilisent? Vous dépendez de leur argent et vous vous en servez pour abuser le public.

M. Shearer: Je ne reçois pas un sou des sociétés de tabac.

Le sénateur Kenny: Non, mais les gens qui vous payent apprécient de toute évidence les événements qu'elles organisent.

M. Shearer: C'est une goutte d'eau dans la mer par rapport à mon budget. Les fonds que nous recevons des événements dont nous parlons équivalent probablement à moins de 1 p. 100 de mon budget Je suis venu parler de l'importance de ces événements pour ce qui est du tourisme.

Le sénateur Kenny: Si ce n'est que 1 p. 100, vous pouvez sûrement trouver des fonds ailleurs.

M. Shearer: Là n'est pas la question. Le fait est que nous ne pouvons pas remplacer ces événements qui attirent les gens à Toronto.

Le sénateur Kenny: Vous pouvez sûrement trouver ailleurs ce 1 p. 100.

M. Shearer: Oui, monsieur, mais je ne crois pas que ce soit la question.

Le sénateur Kenny: Vous venez nous parler de ces événements sensationnels qui ont lieu grâce au financement de sociétés qui suppriment des vies. À cause de ces sociétés, nous devons supporter des coûts médicaux directs de 3 milliards de dollars canadiens par an, des coûts indirects de 7 milliards de dollars par an; à cause d'elles également, nous enregistrons 40 000 décès par an. Elles ont réussi à vous faire venir de Vancouver, de Toronto et de Montréal pour les défendre.

M. Shearer: Je fais ce voyage à mes frais. C'est un jour que j'offre de mon plein gré. Je crois en l'importance de ces événements, puisqu'ils permettent d'attirer les touristes. Nous ne recevons pas un sou des sociétés de tabac et je ne suis certainement pas ici leur porte-parole, mais il serait irresponsable de ma part, étant donné que je travaille dans le domaine du marketing de destinations pour la Communauté urbaine de Toronto, de ne pas souligner l'importance de ces événements dans un secteur extrêmement concurrentiel.

[Français]

M. Lapointe: Je désire vous souligner que nous ne sommes pas ici pour dire que nous ne regrettons pas que la cigarette cause de la dépendance chez les fumeurs et même certaines maladies. Nous sommes devant vous pour dire que nous croyons que le projet de loi est mal inspiré, notamment dans les aspects qui concernent les commandites des compagnies de tabac.

Nous vous proposons des moyens qui nous permettent de passer à travers une période intérimaire, de telle sorte que nous puissions conserver des événements qui sont la base des économies de villes comme Toronto, Montréal et Vancouver. Nous ne sommes pas venus vous dire que nous ne sommes pas préoccupés par les questions de santé de nos concitoyens canadiens.

[Traduction]

M. Greenwood: Je suis vendeur à commission pour Pitney Bowes du Canada et j'ai pris congé pour venir ici. Votre comité m'a invité et paie mes frais de déplacement. Je ne suis pas le porte-parole de quelque organisation que ce soit, mis à part la Vancouver Fireworks Society.

Le sénateur Kenny: C'est formidable. Je tiens à dire que je trouve sensationnel que l'on organise de tels événements. Tout le monde les apprécie. J'ai déjà vu vos feux d'artifice. Je n'ai pas eu besoin d'aller à votre spectacle. Toutefois, aucun d'entre vous ne met l'accent sur le coût réel. Aucun d'entre vous ne met l'accent sur vos amis et voisins, c'est-à-dire les gens qui vivent dans vos villes et qui sont en train de mourir du cancer.

Les sociétés de tabac ont trouvé un moyen fort efficace de conquérir les Canadiens. Grâce à vos efforts de promotion, elles récupèrent énormément de publicité gratuite et bénéficient également du travail de lobbyistes politiques puisque, au lieu de venir se défendre elles-mêmes, elles ont des gens comme vous qui s'en chargent.

Toutes proportions gardées, quatre soirées de magie valent-elles un cancer du poumon?

M. Greenwood: Je n'ai pas les compétences nécessaires pour dire jusqu'à quel point l'événement que j'organise contribue au cancer du poumon. Je ne suis pas médecin. Comment le saurais-je?

Le sénateur Kenny: La raison pour laquelle la société Benson & Hedges finance votre événement, c'est parce qu'elle sait que ses ventes de cigarettes vont augmenter.

M. Greenwood: Permettez-moi de ne pas partager votre point de vue. Je devrais également vous dire que c'est moi-même qui suis allé à la compétition de Montréal et qui ai invité Benson & Hedges à venir à Vancouver; ce n'est pas elle qui m'a demandé de la faire venir à Vancouver.

Le sénateur Kenny: Très bien. Ce ne sont pas des gens stupides; ils sont très habiles. Ils ne vont pas dépenser un sou, à moins que ce ne soit à leur avantage. Croyez-vous que c'est par altruisme et uniquement pour le plaisir des spectateurs qu'ils veulent des feux d'artifice à Vancouver?

M. Greenwood: Non, c'est juste pour mon plaisir.

Le sénateur Kenny: Merci.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Ma question s'adresse à M. Lapointe. Vous avez proposé deux amendements et j'ai très bien saisi le sens du deuxième amendement. Cependant, j'aimerais que vous me répétiez quel est le but du deuxième. Le projet de loi propose que les commandites continuent pour 2 ans, si je ne fais pas erreur?

M. Lapointe: Deux ans.

Le sénateur Nolin: Dix-huit mois, l'article 66.

Le sénateur Beaudoin: Dix-huit mois? Bon.

Le sénateur Nolin: Il y a une date fixe: le 1er octobre et/ou avant.

Le sénateur Beaudoin: Le 1er octobre 1998.

Le sénateur Nolin: Ou avant.

Le sénateur Beaudoin: Proposez-vous d'étendre cela à trois ans? Vous avez donné les chiffres de: 100, 50 et 25.

M. Lapointe: Ce sont des pourcentages.

Le sénateur Beaudoin: Alors, cela s'étendrait sur trois ans au lieu de 18 mois; c'est cela?

M. Lapointe: C'est cela. Et la première année j'aimerais que l'amendement soit à l'effet que le fonds compensatoire indemnise les organisateurs d'événements pour 100 p. 100 du montant qu'ils reçoivent des compagnies de tabac, la deuxième année 50 p. 100, la troisième année 25 p. 100.

Le sénateur Nolin: C'est une sorte de sevrage.

M. Lapointe: C'est cela.

Le sénateur Beaudoin: Ce serait décroissant. Au lieu d'être 18 mois, ce serait 36 mois.

M.Lapointe: C'est cela.

[Traduction]

Le sénateur Doyle: Monsieur Shearer, nous avons entendu un autre témoin que vous connaissez, j'en suis sûr; il s'agit de M. Beck qui représente Place Ontario, laquelle a été créée à Toronto par suite de l'exposition de la Banque Toronto Dominion.

Tout comme vous, il a parlé du grand intérêt que suscitent les événements touristiques comme les feux d'artifice, les concerts symphoniques et les manifestations sportives. Il a également dit qu'il est malheureux que cela coïncide avec la diminution des contributions du gouvernement pour le tourisme. Êtes-vous du même avis?

M. Shearer: Certainement. Les dépenses de notre province pour le marketing de destinations connaissent probablement une baisse de 25 p. 100 par rapport à il y a sept ou huit ans. Mon budget sera réduit de 30 p. 100 d'ici le 1er janvier 1998, en l'espace de 30 mois seulement.

Ces restrictions touchent un secteur du marché qui dépense plus d'argent que jamais. Je parle du marketing de destinations au Canada, aux États-Unis, en Europe et en Asie.

L'Australie à elle seule, par exemple, dépense maintenant 103 millions de dollars pour inciter les touristes à venir en Australie. L'argent ne suffit pas. Il faut de bonnes raisons pour attirer les gens au Canada, en Ontario et à Toronto. Les événements et les attractions dont nous parlons sont ce qui font venir les gens.

Le sénateur Doyle: N'avez-vous jamais pensé que les gouvernements vous ont légèrement roulés lorsqu'ils ont dit: «Nous allons faire des compressions. Nous allons diminuer les fonds qu'il vous faudra trouver ailleurs.»

Vous bâtissez une industrie; vous ne vous en servez pas pour des fêtes locales. Vous utilisez vos compétences pour bâtir une industrie qui attirera des visiteurs de l'extérieur, lesquels dépenseront de l'argent dans votre collectivité, ce qui vous permettra de réaliser tous les projets que vous avez en vue.

Là où auparavant le gouvernement contribuait de façon importante, le gouvernement provincial, et ce n'est peut-être pas le seul, a pris ses distances. Pourquoi croyez-vous que le gouvernement ontarien n'assume plus vraiment ses responsabilités en matière de tourisme et vous pousse à vous porter à la défense de sociétés comme Benson & Hedges?

M. Shearer: Nous dépendons de telles commandites depuis déjà longtemps.

Par exemple, le Toronto Film Festival existe depuis 22 ans. Il a connu un succès subit il y a à peine cinq ans et se place maintenant au deuxième rang des festivals de cinéma dans le monde, après Cannes. Toutefois, cela n'est pas arrivé tout seul. Les commandites dont vous parlez existent depuis quelque temps, tandis que les compressions financières sont relativement nouvelles en ce qui me concerne. Je ne suis pas sûr qu'elles vont nécessairement de pair.

Ce qui m'inquiète, c'est que d'autres pays et destinations dépensent plus pour le marketing de destinations; s'il fallait dépenser moins et ne plus offrir le même produit, ces événements seraient compromis.

Le sénateur Doyle: Selon M. Beck, la diminution de l'appui du gouvernement local est un phénomène relativement récent. Il a rappelé l'époque où l'industrie du tabac a commencé à intervenir, soit il y a 10 ans environ. C'était donc bien après la création du festival du cinéma. Je ne crois pas que ce festival était alors appuyé par l'industrie du tabac, n'est-ce pas?

M. Shearer: Désolé. Je parlais du financement de la Communauté urbaine de Toronto, non de la province. M. Beck a tout à fait raison. Mon budget a représenté une fraction de 1 p. 100 du financement de la province et, il y a deux ans, 68 p. 100 du financement de la communauté urbaine de Toronto. Je parle ici de mon budget, non de la contribution provinciale.

Le sénateur Doyle: Je ne veux pas être méchant, je cherche simplement à obtenir des chiffres et des faits. Toutefois, je dois reconnaître qu'à l'occasion je me demande s'il n'y a pas eu pareille discussion au temps des Romains.

Le sénateur Jessiman: J'aimerais aller un peu plus loin avec M. Shearer. L'Omnium canadien n'est pas commandité par une société de tabac actuellement, n'est-ce pas? C'est Bell qui en est le principal commanditaire.

M. Shearer: C'est exact.

Le sénateur Jessiman: Des événements comme Symphony of Fire à Montréal, sont attrayants, rapportent beaucoup d'argent et seraient sûrement intéressants pour la Communauté urbaine de Toronto, la province de l'Ontario, Vancouver et la Colombie-Britannique. Ne pourriez-vous pas obtenir des fonds ailleurs ou par l'entremise du gouvernement lui-même?

M. Shearer: C'est ce qu'on pourrait penser et espérer. Si je n'avais pas passé plusieurs années de ma vie à demander à des sociétés des fonds de commandite, des fonds pour des événements, des fonds pour la publicité et la promotion, c'est ce que je pourrais croire.

Un des points les plus révélateurs, c'est que le principal commanditaire de Symphony of Fire est une société de tabac. Le deuxième commanditaire contribue, je crois, un vingtième des fonds. J'aimerais que les banques, l'industrie de l'automobile et d'autres grandes sociétés de notre pays se manifestent et appuient les événements de cette nature. Malheureusement, ce n'est pas le cas, car d'autres sociétés peuvent acheter les médias qu'elles veulent. C'est plus ciblé, plus économique et plus rentable. Les sociétés de tabac n'ont pas d'autres choix que de commanditer des événements. Cela leur coûte sans doute dix fois plus. J'aimerais qu'il soit possible de rencontrer les dirigeants des banques, de l'industrie automobile et d'autres grandes entreprises du Canada pour trouver d'autres sources de financement. Toutefois, je ne crois pas que cet argent soit disponible. J'aimerais qu'il le soit et on pourrait penser qu'il l'est.

Le sénateur Jessiman: Le gouvernement détient la majorité non seulement à la Chambre des communes, mais aussi au Sénat. Ce projet de loi va probablement être adopté. Vous risquez de vous trouver dans une position où vous devrez parler à ces banques et à ces autres sociétés et peut-être aussi à vos gouvernements municipaux et provinciaux.

M. Greenwood: La capitale de Victoria a bénéficié de la commandite de sociétés pour les feux d'artifice de la Fête du Canada. Auparavant, c'était financé par Patrimoine Canada. Ce financement a complètement disparu. La ville place maintenant des boîtes de collecte dans les magasins pour que le public puisse contribuer en vue de financer les feux d'artifice.

Le Festival de la planche à neige, événement d'importance, a lieu cette semaine à Whistler. La brochure annonçait des feux d'artifice qu'il a fallu annuler car on ne disposait pas des 3 500 $ nécessaires.

Il y a eu une publicité dans le Vancouver Sun pour le congrès de l'APEC. Qui cherche de l'argent et des commanditaires? Apparemment, c'est le gouvernement fédéral. Tout le monde cherche des commanditaires. Il n'y a tout simplement pas assez d'argent.

Vous avez vu toutes les lettres envoyées par des membres de l'alliance. Il n'y a tout simplement pas d'argent de commandite.

Nous avons accueilli le congrès parlementaire de l'APEC plus tôt cette année. J'ai aidé les organisateurs en leur prêtant des photocopieurs. Personne n'a proposé d'argent liquide. Je ne connais pas de source de financement où l'on peut demander 1 ou 10 millions de dollars pour commanditer un événement. Cela n'existe pas. Lorsqu'une grande manifestation dans un important lieu de villégiature en Amérique du Nord doit être annulée, c'est qu'il y a un problème au niveau des banques et de toutes les grandes sociétés qui ne veulent pas financer quoi que ce soit. Nous avons besoin de l'industrie du tabac et il faut être raisonnable. Il faut que M. Dingwall soit plus raisonnable.

Le sénateur Jessiman: J'imagine qu'il faut parvenir à un équilibre. C'est le problème qu'il nous faut résoudre.

Le sénateur Lewis: En 1985, un projet de loi a été présenté au Parlement et a été finalement adopté une année plus tard environ sous l'appellation Loi réglementant les produits du tabac. Cette loi -- qui est toujours en vigueur à l'exception de certaines de ses parties -- instituait une interdiction totale de la publicité des produits du tabac. À l'automne 1995, certaines dispositions relatives à l'interdiction de la publicité des produits du tabac ont été annulées par la Cour suprême. Toutefois, à partir de la promulgation de la loi jusqu'à l'automne de 1995, une telle publicité était complètement interdite.

Je vais commencer par M. Greenwood. Pendant cette période, la publicité était complètement interdite. Quand Benson & Hedges a-t-elle commencé à commanditer votre événement?

M. Greenwood: En 1990.

Le sénateur Lewis: Lorsque la publicité était interdite?

M. Greenwood: C'est exact.

Le sénateur Jessiman: La commandite était autorisée?

M. Greenwood: Oui.

Le sénateur Lewis: Pour ce qui est de Toronto, depuis quand les sociétés de tabac commanditent-elles les événements?

M. Shearer: Depuis 10 ans, je crois.

Le sénateur Lewis: Qu'en est-il de Montréal?

M. Lapointe: Cela varie selon les événements. L'Orchestre symphonique est commandité depuis 40 ans. Toutefois, dans le cas de Benson & Hedges, c'est depuis 15 ans.

La présidente: J'aimerais que l'on aborde la question des fonds de remplacement si les sociétés de tabac ne peuvent plus commanditer ces événements.

Les banques enregistrent des profits de 6 milliards de dollars par an contre 220 millions de dollars pour l'industrie du tabac, laquelle consacre 60 millions de dollars aux commandites. Les banques n'offrent pas le même genre de programmes de commandite. Il me semble difficile de croire qu'un festival important comme le vôtre, monsieur Greenwood -- les festivals de moindre importance m'inquiètent différemment -- n'arrive pas à trouver de commanditaire.

M. Greenwood: Cette année, nous avons essayé par tous les moyens de trouver des commanditaires. Nous nous sommes adressés à une très grande société de téléphone, ainsi qu'à une très grande banque, et notre demande a été rejetée.

Les banques reçoivent des lettres tous les jours. Elles ont un comité de dons. J'ai examiné ce dossier que je n'avais jamais vu auparavant. On y retrouve beaucoup de lettres qui demandent à la Banque de la Nouvelle-Écosse et à la Banque Royale de commanditer des événements. La Banque Royale commandite beaucoup d'événements. C'est sa décision. Il s'agit d'une société d'affaires et nous ne pouvons pas la forcer à commanditer des événements.

Nous avons frappé à de nombreuses portes. Nous avons une société d'État qui est commanditaire -- bien que je ne sois pas sûr que ce soit toujours une société d'État -- je veux parler d'Air Canada. Cette société commandite beaucoup de nos événements et semble en tirer beaucoup de satisfaction.

Il est difficile de trouver un million de dollars. Un témoin vous a dit plus tôt que la somme d'argent la plus importante jamais donnée s'élevait à 500 000 $. Je ne sais pas vraiment où j'irais chercher un million de dollars. Je le répète, je n'arrive pas à trouver 3 500 dollars pour les feux d'artifice de cette fin de semaine.

La présidente: Il ne s'agit toutefois pas d'un événement majeur, n'est-ce pas?

M. Greenwood: Le Festival de la planche à neige de Whistler est maintenant l'événement sportif hivernal le plus important. Whistler a été élu premier centre de villégiature en Amérique du Nord; c'est donc un centre important. La télévision y est très présente également, mais les banques ne donnent tout simplement pas d'argent.

La présidente: Pour ce qui est du fonctionnement général de votre festival de feux d'artifice, quelle est la part du budget assumée par Benson & Hedges?

M. Greenwood: Cette société assume tous les frais.

La présidente: Vous n'avez pas d'autres commanditaires mis à part Benson & Hedges?

M. Greenwood: Non. En fait, je verse 240 000 $ à la Ville de Vancouver pour les frais liés au maintien de l'ordre et à la fermeture des rues. Nous faisons ce versement à la ville ou sinon, c'est Benson & Hedges qui s'en charge.

Non, nous n'avons pas de commanditaire. Vous remarquez la présence de sous-commanditaires. Il s'agit essentiellement d'ententes conclues pour les billets d'avion, les téléphones Cantel, et cetera.

Nous n'avons pas d'autre argent de commandite. Je dois donc dire que notre événement risque de disparaître, ce qui dérangera les électeurs du Lower Mainland, ainsi que beaucoup de touristes.

La présidente: A combien s'élève votre budget total?

M. Greenwood: Il dépasse largement le million de dollars.

La présidente: Benson & Hedges fait un chèque d'un million de dollars?

M. Greenwood: Cette société paye tout.

La présidente: Merci beaucoup d'avoir comparu devant le comité cet après-midi.

Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant M. Pierre Bourque, maire de la Ville de Montréal.

[Français]

M. Pierre Bourque, maire, Ville de Montréal: Je suis très heureux d'être ici. Je voudrais vous présenter mon collègue Robert Letendre, qui est avec moi. Madame la présidente, merci d'avoir accepté de m'entendre comme témoin. Je vous suis reconnaissant de me donner l'occasion de vous sensibiliser aux préoccupations de la Ville de Montréal et d'un très grand nombre de Montréalais et de Montréalaises à l'égard du projet de loi C-71.

Au départ, je veux vous dire que je partage l'objectif du gouvernement de travailler à réduire le tabagisme au Canada et plus particulièrement chez les jeunes, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés comme maire par le gouvernement du Québec. J'ai d'ailleurs signé hier une décision interdisant complètement l'usage de la cigarette dans tous les locaux et véhicules de la Ville de Montréal. Cette décision s'appliquera à partir du 1er mai. Nous avons fait depuis six mois une campagne de sensibilisation et d'éducation auprès de tous les employés de la Ville. Je dépose d'ailleurs une copie de cette décision auprès de votre comité. Je peux témoigner que la très grande majorité de nos employés, vous savez qu'il y en a 12 000, même les fumeurs, appuient cette mesure.

Les craintes que je viens aujourd'hui vous exprimer touchent plutôt les dispositions très sévères, contenues dans le projet de loi C-71, qui restreignent la liberté de commandite. Ces mesures me semblent déraisonnables en regard du tort considérable qu'elles occasionneront à l'économie de Montréal, du Québec et du Canada.

Je voudrais vous parler de la nouvelle économie de Montréal et des impacts économiques des industries des événements culturels et sportifs.

Je sais que plusieurs d'entre vous connaissez Montréal, son histoire. Montréal traverse depuis 20 ans une période intense de restructuration économique, qui a vu disparaître plusieurs activités qui, à l'époque, avaient fait la fortune de notre ville. Que l'on pense aux industries du transport ferroviaire, de la chaussure, du textile. Cette période a été très difficile et, à bien des égards, elle le demeure. Le plus récent rapport de Statistique Canada indique que le taux de chômage sur l'île de Montréal est de 15 p. 100. C'est un niveau inacceptable.

Malgré toute la difficulté de cette situation, les gens d'affaires, les entrepreneurs, les décideurs gouvernementaux ne se sont pas croisé les bras. Ils se sont employés à construire la nouvelle économie de Montréal, en misant sur ses forces, notamment la notoriété internationale de notre ville, sa qualité de vie exceptionnelle et la richesse de sa vie culturelle. C'est ainsi que Montréal est devenue progressivement une ville de grands événements sportifs et culturels.

Le plus important de nos événements, le Grand Prix du Canada, génère quelque 50 millions de dollars chaque année en dépenses, soit quelque 7 millions par jour dont 5.6 millions proviennent des touristes de l'extérieur du Canada. Il est diffusé dans 129 pays et son audience est estimée à quelque 310 millions de spectateurs.

Les retombées de l'Omnium de tennis du Maurier sont de 10 millions de dollars et le quart de sa clientèle provient de l'extérieur de la région de Montréal. L'Omnium dégage des profits majeurs réinvestis dans le développement des jeunes tant à Montréal que dans le reste du Canada.

Je vous signale par ailleurs que les trois niveaux de gouvernement et Tennis Canada viennent tout juste de consacrer 24 millions de dollars à la rénovation du centre de Tennis du parc Jarry où se tient cet événement.

Les quatre grands festivals de Montréal: le Festival de jazz, Juste pour rire, le Festival des Films du monde et les Francofolies ont des retombées économiques estimées à 165 millions au Québec et créent 3 600 emplois. Ils attirent annuellement quelque 2,9 millions de spectateurs dont 16 p. 100 sont des touristes provenant de l'extérieur de la région, qui dépensent 52 millions de dollars à Montréal.

Quant aux feux d'artifices, l'International Benson & Hedges, ils attirent en moyenne 1,5 millions de spectateurs et engendrent des dépenses de quelque 15 millions par année.

En résumé, nous parlons de plus de 4 000 emplois à Montréal. Il s'agit donc de l'image internationale de Montréal et du Canada, de notre notoriété et de notre force d'attrait sur le plan touristique.

Tout ce travail patient pour construire ces événements est compromis par la version actuelle de la loi C-71. Comme maire, je suis venu vous demander de prendre soin de Montréal et de ne pas la blesser par une mauvaise politique.

Nous avons fait parvenir à la greffière de votre comité la résolution adoptée le 10 mars dernier par le conseil municipal de Montréal au sujet du projet de loi C-71. J'en dépose une copie officielle aujourd'hui.

Notre toute première demande est de prévoir dans la loi C-71 une exception pour les grands événements internationaux comme l'on fait plusieurs pays, notamment l'Australie, l'Autriche, la Belgique et la Hongrie. Nous suggérons aussi que le ministre de l'Industrie du Canada, qui est également responsable du Tourisme, puisse décréter qu'un événement culturel ou sportif est de portée internationale et ainsi, pouvoir l'exempter de l'application de la loi.

Cela me semble d'autant plus justifié que la télévision, qui rejoint des centaines de millions de personnes, continuera à diffuser des images portant les noms de fabricants de cigarettes. Qu'aurons-nous à gagner lorsque le Grand Prix du Canada sera devenu le Grand Prix de Chine et que des images, peut-être plus offensantes que celles que nous voyons maintenant, seront projetées sur nos petits écrans ? Rien, absolument rien.

J'espère que votre comité étudiera attentivement ces expériences étrangères pour en tirer les leçons qui s'imposent. À défaut de vous rendre vous-même à l'étranger, ce qui serait idéal, je souhaite que vous puissiez entendre des experts d'autres pays. Il me semble d'ailleurs, c'est une recommandation que nous vous faisons, que le gouvernement du Canada qui a tout le temps été un champion du multilatéralisme devrait, de concert avec l'Organisation mondiale de la santé, proposer à la communauté internationale un traité harmonisant les restrictions imposées à la publicité sur le tabac.

Le Canada est très connu pour son innovation et on pourrait de cette façon harmoniser toute la publicité dans le monde.

Notre deuxième demande touche la phase de transition pour l'entrée en vigueur de cette législation. L'article 66 prévoit présentement 2 ans. Nous croyons que ce laps de temps est insuffisant pour permettre aux événements de s'adapter aux pertes de commandite qui découleront de la loi.

De deux choses l'une: ou bien le gouvernement allonge ce délai de trois à cinq ans, ou bien il assure lui-même un financement intérimaire de ces événements à même les revenus énormes qu'il tire lui-même de la taxe sur le tabac.

Permettez-moi enfin de soulever un dernier point. Les organisateurs d'événements de Montréal sont très inquiets du flou entourant l'article 22 de la loi et notamment la définition de la notion de «publicité de style de vie». Vous êtes d'éminents législateurs et je crois comprendre qu'il existe un principe sacré en droit constitutionnel qui exige qu'une infraction soit définie de manière précise et compréhensive. Je vous demande d'examiner cette question de près et de faire en sorte que les responsables d'événements soient traités de façon juste et honorable, sans être terrorisés par les imprécisions de la loi ou la crainte de commettre une offense criminelle.

Votre comité a un grand défi à relever au cours des prochaines semaines, c'est celui de mener un combat efficace contre le tabagisme tout en préservant les grands événements sportifs et culturels qui sont devenus l'apanage de plusieurs grandes villes canadiennes. Je sais pouvoir compter sur votre sagesse pour trouver cet équilibre.

Le sénateur Beaudoin: Je désire vous remercier, monsieur Bourque, d'avoir accepté l'invitation qui vous a été transmise, de venir devant le comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles. Vous proposez une phase de transition. M. Lapointe nous a fait une proposition qui allait un peu dans la même direction; il suggérait trois ans au lieu de 18 mois et la première année 100 p. 100, deuxième année 50 p. 100, la troisième année 25 p. 100. Allez-vous dans la même ligne?

M. Bourque: Nous allons un peu dans la même ligne, parce qu'on s'est concerté avant de venir ici. Cela concerne les grands événements, de façon à laisser le temps aux promoteurs de trouver des commandites. Le bassin est quand même petit à Montréal et il y a de grands événements. Ceci n'empêche pas que pour les décisions concernant les événements internationaux, vu que la décision est prise à l'étranger nous demandons une exemption, comme pour le Grand Prix et l'Omnium du Maurier.

Le sénateur Beaudoin: Deuxièmement, vous suggérez des exemptions, mais il faudrait très bien les définir, parce que ce serait une exception à la loi, si j'ai bien compris?

M. Bourque: Exact.

Le sénateur Beaudoin: Il s'agirait d'événements internationaux. Vous dites avec beaucoup d'aplomb et vous avez raison, comme cette loi est basée sur notre compétence en matière de droit criminel, il faut que les infractions soient précises, très bien délimitées, très bien définies. Vous avez raison. Mais, il doit en être ainsi pour les exemptions parce que c'est infini, il n'y a pas seulement Montréal il y a d'autres villes. Évidemment, nous qui sommes de Montréal, du Québec, nous en avons quelques-uns, mais Vancouver et Toronto peuvent réclamer la même chose. Avez-vous une définition générique des événements que vous visez? Parlez-vous, par exemple, des événements internationaux, pourriez-vous préciser?

M. Bourque: Ce sont des événements, de nature internationale, où la décision de tenir ou pas l'événement se prend à l'étranger. Ils ont des impacts énormes internationalement, par la radiodiffusion, par la télévision, par les commandites, mais la décision est prise par un tiers à l'étranger et sur laquelle nous n'avons pas de prise. Par exemple, ce n'est pas contre Molson qu'on en a pour le Grand Prix... je ne veux pas défendre Molson. La décision va se prendre à Londres ou à Paris de ne pas venir ici à Montréal, cela va se décider dans des forums internationaux. C'est un peu comme l'Australie, l'Australie a exempté le Grand Prix d'Australie, a exempté aussi la Course autour du monde, dans le domaine de la voile, parce que cela se déroulait en Australie et dans d'autres pays et qu'ils ont des notoriétés internationales.

Nous, on recommande que ce soit le ministre de l'Industrie, qui est responsable du tourisme, qui décrète ces événements internationaux. Il faudrait une décision du cabinet, mais les événements internationaux de cette notoriété sont faciles à identifier.

Le sénateur Beaudoin: Autrement dit, pour éviter tout litige possible, il faudrait que ce soit des critères objectifs?

M. Bourque : Objectifs, absolument.

Le sénateur Beaudoin: De nature internationale, au départ.

M. Bourque: Absolument.

Le sénateur Beaudoin: Et des événements qui échappent à l'autorité d'une ville en particulier, que ce soit Montréal ou une autre?

M. Bourque: Exact.

Le sénateur Beaudoin: Par exemple, si la décision est prise à Genève, à Londres ou à Paris, il faut que ce soit vraiment une décision externe.

M. Bourque: Exactement.

[Traduction]

Le sénateur Jessiman: Vous parlez d'exception pour les événements internationaux. Voulez-vous parler de ceux que vous avez déjà de manière qu'ils soient protégés, ou d'autres qui pourraient être organisés à l'avenir?

[Français]

M. Bourque: Je parle uniquement de ceux que nous avons et non pas pour les événements internationaux à venir. Il s'agit d'une bonne précision.

Le sénateur Beaudoin: Si j'ai bien compris votre exposé, ce serait le Grand Prix et l'Omnium du Maurier pour le tennis?

M. Bourque: Exact.

Le sénateur Beaudoin: Il y en aurait quatre ou cinq, c'est ça?

M. Bourque: À Montréal, nous avons ces deux-là. Pour les autres, on demande une période de transition plus longue, comme M. Lapointe vous a expliqué, pour les événements dont le contrôle est local. Le Festival du jazz, le contrôle est montréalais; le Festival de l'humour et les Francofolies, le contrôle est montréalais; nous demandons une période de transition un peu plus longue, pour permettre le financement, soit à même les taxes sur le tabac ou soit une nouvelle formule à trouver...

Le sénateur Prud'homme: Nous sommes très heureux de vous recevoir au comité du Sénat, qui effectue toujours un travail un peu plus... je n'oserais pas dire «sérieux» parce que j'ai été député 30 ans, mais un peu plus approfondi que la Chambre des communes. Nous devrions effectuer le même travail d'ailleurs pour tous les autres projets de loi, même les projets constitutionnels, linguistiques et autres. J'ai voté pour vous et je ne vois aujourd'hui aucune raison qui me ferait voter différemment s'il y avait des élections à Montréal. J'ai établi mes cartes claires.

Le sénateur Nolin: Vous êtes objectif, sénateur Prud'homme.

Le sénateur Prud'homme: Je suis très objectif, comme à mon habitude, c'est très clair. J'ai examiné les deux côtés, nous sommes l'objet de pressions immenses de la part des lobbies, autant du côté du tabac que des gens de la santé. Je fume, mais je ne respire pas. «Like Mr. Clinton, I don't inhale. I smoke for six months and I stop for six months». Au point de vue de la santé, je reconnais que c'est mauvais de fumer. J'espère que cela ne choquera pas les lobbies du tabac.

Le sénateur Nolin: Ils l'ont admis eux-mêmes, hier.

Le sénateur Prud'homme: Ils l'ont admis, mais ils dépensent beaucoup pour faire fumer les gens quand même.

Lorsque nous sommes devant un problème aussi difficile que celui-là, je soumettrai que la patience, le temps et l'éducation peuvent aider. Je me souviens, comme jeune député, nous avions un grand problème; à savoir si nous devions donner la pension de vieillesse à 65 ans. Des gens disaient que l'économie du Canada ne pouvait pas l'absorber et qu'il fallait que cela reste à 70 ans. J'étais jeune député, sous M. Pearson, et je suivais la bataille entre les 70 ans et les 65 ans. C'est devenu une bataille sérieuse. A un moment donné, M. Pearson et quelques libéraux, qui avaient plus d'intelligence que d'autres, ont décidé que la solution ce serait de tranquillement aller vers l'objectif d'une retraite à 65 ans. Nous avons même gagné deux ou trois élections avec cela. Alors, qu'est-ce qui est arrivé? Vu que l'économie ne veut pas absorber les 65 ans, nous allons donc opter pour y aller en décroissant: cette année 70, l'année prochaine 69; sur une période de cinq ans. Nous étions alors en 1965. Certaines gens ont craint que cela n'arrive pas, que ce soit du mensonge vu que les élections s'en venaient. Pourtant, nous sommes passés de 70 ans à 69, 68, 67, 66, 65. L'économie canadienne l'a absorbé, l'opinion publique s'est ralliée. Les gens, qui trouvaient que la bourse canadienne ne pouvait pas le débourser, ont fini par y croire. Je ne vois pas ce qu'il y a de magique à s'énerver, comme M. Dingwall et dire qu'il faut que ce soit en vigueur immédiatement, alors que d'autres disent que cela ne devrait jamais se faire.

Je divise cela en deux et vous pose la question. M. Chrétien, dans sa sagesse, a dit tout le monde s'énerve pour que cela se fasse immédiatement, d'accord ce sera, je pense...

Le sénateur Beaudoin: Dans 18 mois.

Le sénateur Prud'homme: Dix-huit mois, deux étés de plus. Peut-être M. Chrétien se souvient-il du temps où il a siégé avec M. Pearson et qu'il opte pour éduquer les gens sur les méfaits de fumer, alors les éduquer et leur permettre de se ressaisir. Je ne suis pas membre de ce comité ni d'aucun comité, parce que je suis indépendant; c'est la tragédie, mais je suis présent quand même.

Il s'agit donc d'une question de temps. M. Chrétien a demandé à M. Dingwall d'attendre un peu et il a permis 18 mois de plus. L'an 2000 s'en vient, c'est symbolique pour la «chrétienté», c'est symbolique pour bien des gens, alors pourquoi pas le 31 décembre 1999, pour une partie: pour le Festival du jazz, les Francofolies et les deux autres...

M. Bourque: Le Festival du jazz et le Festival des films du monde.

Le sénateur Prud'homme: Le Festival des films du monde. Je ne pourrai pas faire l'amendement pour demander la date du 31 décembre 1999. Je crois cependant que la Chambre des communes, vu qu'il doit y avoir des élections, nous pouvons leur vendre un amendement facile, c'est-à-dire de prolonger un peu. Je serais prêt à demander à ce que mes collègues propose la date du 31 décembre 1999. La semaine prochaine je serai en Corée du Sud, où je ferai des représentations pour Montréal et le Canada. Est-ce que le 31 décembre 1999 vous apparaîtrait acceptable?

[Traduction]

La présidente: Sénateur, vous commencez à prendre plus de temps que le témoin.

Le sénateur Prud'homme: C'est parce que nous nous connaissons très bien.

Le sénateur Nolin: Ils ont voté l'un pour l'autre!

[Français]

Le 31 décembre 1999 serait-il une date acceptable?

M. Bourque: Absolument.

Le sénateur Prud'homme: En ce qui concerne l'Omnium de tennis du Maurier et le Grand Prix, personnellement je ne crois pas que les gens soient à ce point infantiles que lorsqu'ils voient «Marlboro», ils vont se ruer à acheter des Marlboro. Je suis prêt à faire une distinction entre les deux. Est-ce que cela va dans le même sens des représentations que vous êtes venu nous faire aujourd'hui?

M. Bourque: Le sénateur vient de proposer un peu ce que sont nos recommandations, c'est-à-dire de faire une exemption pour les événements internationaux dont la décision est extérieure au pays et sur lesquels nous n'avons aucun impact décisionnel, un peu comme on l'a fait en Australie, en Hongrie et dans d'autres pays.Nous voudrions une extension permanente pour l'Omnium de tennis du Maurier et le Grand Prix.

Pour les grands festivals de Montréal, qui sont aussi de notoriété internationale, c'est la période de transition que l'on aimerait voir se prolonger. Le sénateur Prud'homme propose le début de l'an 2000, nous proposons de trois à cinq ans, avec compensation, avec des discussions avec le gouvernement du Canada, à même les taxes énormes perçues, le temps de se retourner de bord. Nous sommes capables de faire preuve d'imagination.

Il faut absolument sauver le Grand Prix. Je vous donne des chiffres, la Ville de Montréal investit des millions de dollars chaque année, pour réparer la piste, pour tout mettre en ordre sur l'Île Notre-Dame. Nous avons cet événement depuis 30 ans, cette année. Nous pouvons nous retrouver devant une décision de ne plus tenir l'événement. Nous n'avons que des ententes de cinq ans, renouvelables.C'est pour cette raison, qu'il faut absolument exempter le Grand Prix, comme cela s'est fait en Australie. Vous allez me dire qu'en France ils ne l'ont pas fait, mais la France c'est le pays qui a vu naître le Grand Prix. En France, se trouvent tous les constructeurs: Renault, Citroën; en Allemagne il y a Mercédès. Ce sont eux qui sont les grands promoteurs de cette course. Nous n'avons pas cette force de négociation, donc c'est pour cela qu'il faut plus comparer notre situation à celle de l'Australie, de la Hongrie et à d'autres pays où il y a des exemptions. Il y aura toujours de la compétitivité. Actuellement, il y a la Malaisie, la Chine, à cause des lois là-bas... C'est pour cela que je propose d'harmoniser avec l'Organisation mondiale de la santé.

La semaine dernière, j'ai discuté de ce sujet-là avec Neil Collishaw, un grand expert canadien, toute sa vie il a combattu le tabagisme. J'ai expliqué aux sénateurs et peut-être serait-il intéressant que le sénateur Prud'homme connaisse la décision du maire d'interdire, à partir du 1er mai, le tabac dans tous les véhicules, les bâtiments de la Ville de Montréal. Mais, il ne s'agit pas de cela ici, il s'agit de garder la notoriété internationale de Montréal, de garder des événements internationaux à Montréal... qu'on a beaucoup de difficulté à garder.

Pour ce qui est du tennis, ils sont en train de revoir la classification. Il y a cette éventuelle possibilité de perdre les Internationaux de tennis du Canada contre Cincinnati, parce qu'il y aura de grands tournois mondiaux, qui seront décidés par les Fédérations internationales. Et s'ils ne viennent plus, Toronto sera tout autant pénalisé que Montréal. L'Omnium de tennis du Maurier est un autre événement international qui a des retombées énormes sur la jeunesse; et je crois qu'il devrait y avoir des exemptions dans la loi.

Le sénateur Nolin: Vous avez parlé de consultation, de toute évidence vous en avez parlé avec M. Lapointe. En avez-vous parlé avec les autorités provinciales, des membres du gouvernement fédéral? Est-ce que cela a des chances de survivre la réunion d'aujourd'hui?

M. Bourque: Nous avons un très large consensus à Montréal, autant au niveau de la Ville, du gouvernement du Québec, le ministère de la Métropole, au niveau de la Chambre de commerce, Montréal international, l'Office du tourisme et des congrès, le gouvernement du Canada. Je pense qu'il y a un très large consensus pour exempter ces deux grands événements. Ce n'est pas facile d'aller chercher un événement international, c'est une bataille très féroce entre les pays, à coup de millions, puis les gouvernements doivent investir beaucoup. Il y a un très large consensus pour garder le Grand prix du Canada à Montréal. Les retombées sont énormes. C'est une promotion, c'est le Grand Prix du Canada, il ne faut pas l'oublier. Il y en aura pas d'autres si on le perd; la même chose pour le tennis, c'est le Canada qui est en vedette dans le monde entier. Il y a donc un très large consensus à tous les niveaux.

Le sénateur Nolin: Plus spécifiquement, le gouvernement du Québec a-t-il été consulté dans l'élaboration de ces discussions?

M. Bourque: Absolument.

Le sénateur Beaudoin: Oui?

M. Bourque: Oui, absolument.

Le sénateur Pearson: Merci beaucoup d'être venu. Je trouve cela très intéressant. J'ai été touchée par l'idée de faire des démarches auprès de l'Organisation mondiale de la santé. Pouvez-vous en parler un petit peu plus longuement de cela? Je crois que cela a déjà commencé un peu?

M. Bourque: Oui. Par amitié, je connais très bien le directeur général, M. Neil Collishaw, qui est un Canadien d'ailleurs. Il travaille beaucoup dans l'Europe de l'Est. Vous savez que l'industrie du tabac se déplace de l'Amérique vers l'Europe de l'Est, vers la Chine, vers l'Asie. M. Collishaw a été invité, au nom de l'Organisation mondiale, pour harmoniser, pour introduire des législations qui vont diminuer le tabagisme dans ces pays. Il a une vision globale. Parce que nous, si nous perdons le Grand Prix, puis on va le donner à un pays où il y a un plus grande laxisme, une plus grande liberté d'action on ne gagnera rien, parce que les images de la télévision vont nous donner des images pires que celles que l'on verrait à Montréal. Pour cette raison, le gouvernement du Canada, qui a une très grande notoriété sur la scène internationale, de concert avec l'Organisation mondiale de la santé, devrait essayer d'harmoniser.

Si tous les pays s'entendent, la loi va pouvoir s'appliquer intégralement partout. Nous, en pénalisant inutilement, pour une question de publicité, un événement extraordinaire, je pense que l'on ne joue pas à l'avantage de Montréal et du Canada.

[Traduction]

La présidente: Monsieur le maire, nous avons entendu plus tôt l'honorable Charles Lapointe qui a parlé de la nécessité de prévoir un délai de trois ans. Vous semblez parler de cinq ans. S'agit-il d'une cible mobile?

[Français]

M. Bourque: Non. J'ai mentionné «entre trois et cinq ans», c'est la résolution du conseil municipal, dont je vous ai donné copie. C'est mentionné de trois à cinq ans.

Le sénateur Prud'homme: Juste une précision. De trois à cinq ans, mais pour un chapeau pas pour les deux?

M. Bourque: Non, non, pour la partie des grands festivals et non pas pour le Grand prix, non.

Le sénateur Prud'homme: D'accord.

[Traduction]

Le sénateur Anderson: Vous avez parlé d'accepter le Grand Prix et les tournois internationaux de tennis. Savez-vous si d'autres manifestations sportives internationales ont lieu dans d'autres villes du Canada?

[Français]

M. Bourque: Les courses Indy, je crois qu'elles ont aussi une connotation internationale. Je crois que oui, c'est plutôt nord-américain, mais c'est quand même international; il y a également le Grand Prix de Toronto qui est le même que Montréal. Il y a peut-être d'autres événements, la Course du monde en voilier, mais il y en a pas beaucoup, on peut les compter sur les doigts de la main.

Le sénateur Nolin: Mais à tout le moins, cela permettrait à Montréal, Vancouver, Toronto de tenter d'aller chercher de ces événements. M. Lapointe nous a parlé de critères très rigides, mais suffisamment précis pour que des gens comme vous et d'autres, qui faites la promotion de leur ville à l'étranger, puissiez aller justement attirer ce genre d'événements, qui ne sont pas uniquement sportifs.

M. Bourque: Je voudrais terminer en vous mentionnant à quel point Montréal compte sur sa personnalité internationale. Nous sommes dans beaucoup de domaines une agence des Nations Unies. Nous avons obtenu le Secrétariat sur la biodiversité. Nous travaillons très fort actuellement avec le gouvernement du Canada, pour obtenir un autre secrétariat sur la lutte contre la désertification dans le monde. C'est à Montréal que s'est signé le protocole sur la protection de la couche d'ozone. Nous avons aussi l'aviation civile. Nous avons 85 organisations internationales à Montréal. C'est une des forces de notre ville. C'est une des forces compte tenu de son caractère français, anglais, multiculturel, compte tenu de son histoire, ses universités et compte tenu de sa vitalité culturelle. C'est notre réponse à la restructuration de la ville. Cette ouverture sur le monde est essentielle. Alors, toucher à cela, c'est toucher à ce qu'il y a vraiment de plus précieux de Montréal.

Le sénateur Prud'homme: Cela fait 35 ans que je suis au Parlement, je ne suis pas habitué de tourner en rond et de ne pas appeler les choses par leur nom. Ou bien le tabac est nocif et on l'interdit formellement ou bien on s'accommode parce que l'on n'a pas le choix. Autrement, cela devient de l'hypocrisie monstrueuse; j'adore le mot, il est fort, il est dur. Ou bien on interdit complètement le tabac, ce qui est peut-être souhaitable pour la santé -- la mienne comprise -- ou bien on s'accommode et on fait de l'éducation. J'ai l'impression que plus on va l'interdire, plus on va en susciter l'attrait. Je ne peux croire que les gens vont se lancer sur Marlboro parce qu'ils voient cette publicité associée à Jacques Villeneuve. Vous avez dit, monsieur Bourque, que les intérêts de la Ville de Montréal n'enlèvent pas les intérêts des autres régions du Canada et je suis d'accord avec vous. Nous avons un problème: il faut que les gens diminuent la consommation du tabac. Alors, on le fait par l'éducation et le temps.

[Traduction]

Je reviens à ce que j'ai dit au sujet de M. Pearson. J'ai l'honneur de saluer le sénateur Pearson, qui est la belle-fille de M. Pearson. C'est lui qui m'a appris la patience.

[Français]

Avec de la patience et du temps, on finit par avoir ce que l'on veut. Insistez non pas sur la consommation du tabac, mais sur le temps et la patience. J'espère qu'on apportera des amendements au projet de loi C-71. Je souhaite qu'il y ait des amendements dans le sens où le maire de Montréal l'a exprimé avec des distinctions. Personnellement, je serais d'accord pour un délai d'une période de cinq ans, madame la présidente, pour une partie du projet de loi et pas de restriction pour l'autre partie. Je ne suis pas membre du comité, mais j'ai droit de vote au Sénat. Alors j'ai été clair.

[Traduction]

La présidente: Je crois que c'est très clair, monsieur le sénateur, comme cela l'est habituellement.

Sénateurs, nous remercions le maire de Montréal d'avoir accepté notre invitation cet après-midi.

Nous accueillons maintenant M. John Luik. J'avais espéré que M. Luik forme un groupe spécial avec M. Allan Best. M. Luik qui est un universitaire, a écrit des articles sur la publicité du tabac. M. Allan Best ne partage pas le point de vue de M. Luik. Il ne pourra pas se joindre à nous cet après-midi, mais lundi. Nous sommes heureux d'accueillir M. John Luik cet après-midi. Je vous invite maintenant à faire votre exposé.

M. John Luik: Contrairement à beaucoup de vos témoins, je viens aujourd'hui vous parler simplement à titre particulier et en m'appuyant sur les connaissances que je possède au sujet d'une petite partie de la question dont vous êtes saisis. Je ne parle pas au nom de qui que ce soit; à un moment donné cependant, j'aimerais présenter quelques preuves. Je vous ai d'ailleurs fait venir des exemplaires d'un livre que moi-même et M. Mike Waterson avons publié au Royaume-Uni. Dans un certain sens, la présentation que je fais aujourd'hui est conjointe, bien que M. Waterson ne soit pas en mesure d'être parmi nous aujourd'hui.

Tous les ans, plusieurs douzaines d'organismes m'engagent comme consultant pour toute une gamme de projets. J'ai par exemple travaillé pour de nombreux organismes de services de santé sur tout un éventail de questions liées à la santé. En toute franchise, je dirais que j'ai également travaillé pour plusieurs sociétés de tabac au sujet de la question dont vous êtes saisis, c'est-à-dire la publicité et, en particulier la publicité du tabac et les jeunes.

J'aimerais parler brièvement du travail que M. Waterson et moi-même avons accompli ces dix dernières années au sujet de la publicité en général et de la publicité du tabac en particulier. Ce travail a fait l'objet d'articles publiés dans plusieurs revues spécialisées. Ils sont maintenant regroupés dans un livre intitulé Advertising and Markets, que nous avons publié l'année dernière au Royaume-Uni et dont je vais vous remettre des exemplaires.

Cet après-midi, j'aimerais soulever quatre points au sujet de la publicité avant de vous donner la possibilité de poser des questions précises.

Je crains que la plupart des commentaires que je souhaite faire ne soient négatifs ou critiques à l'endroit de certaines déclarations faites au sujet de la publicité, de la publicité du tabac, de la publicité du tabac et des jeunes et de l'effet des interdictions en matière de publicité du tabac. En fait, c'est sur ces quatre grandes questions que nous avons concentré notre recherche ces 10 dernières années. J'aimerais toutefois terminer ma présentation sur une note positive, car il me semble que beaucoup des témoins qui ont comparu devant vous sont extraordinairement critiques à l'endroit du gouvernement, sans pour autant chercher à répondre à la question suivante: Quelles sont les politiques les plus efficaces que l'on pourrait mettre en oeuvre pour régler le problème de l'usage du tabac chez les jeunes? En d'autres termes, je pars du principe que quiconque comparaît devant vous s'intéresse au problème de l'usage du tabac chez les jeunes au Canada.

Il semble notamment que l'on puisse affirmer que les moyens envisagés en partie dans le projet de loi dont vous êtes saisis, ne permettront absolument pas de régler le problème de l'usage du tabac chez les jeunes, compte tenu des travaux de recherche et des preuves que nous avons examinées. Il revient donc à l'auteur d'une telle attaque de proposer de meilleures mesures d'intérêt public. J'aimerais conclure en ce sens.

Dans une certaine mesure, ce que je vais dire est une répétition des propos tenus il y a presque 10 ans par vos prédécesseurs dans cet endroit et dans l'autre, où j'avais présenté un mémoire suggérant que l'interdiction imposée par le ministre Epp en matière de publicité n'ait aucun effet sur la consommation du tabac ou le déclenchement de l'usage du tabac chez les jeunes au Canada. Les chiffres, selon moi -- et la recherche présentée dans ce livre -- tendent à montrer que c'est le cas. Cela ne devrait pas être surprenant et ce, pour les raisons suivantes.

Tout d'abord, la publicité, comme n'importe quel publicitaire ou universitaire pourrait vous le dire, consiste à vendre des produits de marque. Chaque année au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni ou dans toute l'Europe, des publicitaires font des campagnes de publicité pour près de 10 000 produits de marque différents.

En même temps, d'après les sondages, les consommateurs sont en mesure de reconnaître de 400 à 500 de ces produits de marque au maximum, grâce à la publicité en question. Cela ne devrait pas vous surprendre, n'importe quel professionnel de la publicité affirmant que seulement 20 p. 100 des efforts publicitaires ont un impact sur un groupe particulier de consommateurs, quel que soit le produit de marque visé.

La publicité par conséquent, telle que la voient les publicitaires, est un outil qui permet d'obtenir une part de marché ou une situation concurrentielle pour une marque donnée et non pas un outil qui permet d'augmenter la taille globale d'un marché. Dans leur jargon exaspérant, les économistes parlent constamment de la «taille agrégative du marché», ce qui signifie simplement la taille totale du marché.

En fait, lorsque vous examinez les preuves -- de quelles preuves parlez-vous, monsieur Luik -- présentées par les universitaires et celles présentées par les publicitaires, que découvrez-vous au sujet de la capacité d'augmenter la taille agrégative du marché ou la taille totale du marché de quelque produit que ce soit? Fait tout à fait surprenant, surtout à la lumière du projet de loi du gouvernement du Canada, vous découvrez que la publicité semble ne pas avoir la capacité d'augmenter la taille réelle du marché dans le contexte des marchés établis.

Vous pouvez dire que cet argument est bien commode et qu'il ne s'applique qu'au tabac ou peut-être à l'alcool. Je répondrais en disant que dans le monde entier, tout semble indiquer que cette conception de la publicité prévaut dans tous les marchés, indépendamment de leur taille.

Il se peut qu'un témoin comparaissant devant vous se moque de la notion de marchés établis en disant qu'une telle expression n'est en fait pas reconnue. Je dirais alors que les travaux universitaires font très souvent mention des marchés établis.

Permettez-moi de vous donner l'exemple d'une étude intéressante effectuée par Jones sur deux périodes de 10 ans au Royaume-Uni au sujet de la publicité des produits alimentaires et de son impact sur ce marché. Nous ne parlons pas de tabac, mais d'aliments.

Il est arrivé à la conclusion que les milliards de dollars de publicité dépensés au cours de ces deux périodes de 10 ans, n'avaient eu aucun effet sur la taille globale du marché. En fait, dans beaucoup de catégories de produits, il avait enregistré une baisse significative de la demande du produit le plus fréquemment visé.

Dans un marché bien établi comme celui de l'alimentation, la publicité avait en fait incité le consommateur à changer de marque et c'est d'ailleurs ce que l'on prétend au sujet de la publicité des produits du tabac.

Tout d'abord, je dirais que ceux qui viennent vous présenter toutes sortes de preuves au sujet de l'impact de la publicité qui, selon eux est capable de manipuler et de forcer les gens à faire des achats ou à prendre des décisions d'achat qu'ils ne prendraient pas autrement -- j'appellerais cela la ligne dure -- ne sont pas au courant de la recherche universitaire au sujet de la publicité.

Ne parlons plus des universitaires, probablement confinés dans leur tour d'ivoire. Parlons de personnes réelles, c'est-à-dire les professionnels de la publicité. Pensent-ils, en fait, que la publicité peut augmenter la consommation? Pensent-ils, en fait, que la publicité peut déclencher la consommation?

On retrouve dans les recueils des prix publicitaires du Royaume-Uni 25 années de données concrètes. Les publicités primées dont il est question remontent à près de 20 ans. Il s'agit de 500 études de cas et de prix remis pour des campagnes publicitaires.

Point intéressant, vous ne trouverez pas une seule campagne publicitaire concrète -- et n'oubliez pas qu'il a été prouvé que ce sont les seules qui marchent vraiment -- qui ait été conçue pour augmenter le marché global d'une catégorie de produits, encore moins du tabac. Par conséquent, dire que la publicité vise à augmenter la taille agrégative du marché ne tient pas.

Permettez-moi de préciser un point au sujet de la publicité des produits du tabac. Vous pouvez dire, monsieur Luik, que cela s'applique à la publicité en général, mais peut-être que la publicité des produits du tabac est une exception particulière. Si tel est le cas, ce serait la seule exception au monde.

La publicité dans l'industrie du tabac vise précisément les mêmes objectifs: essayer d'inciter le consommateur à changer de marque et présenter une rationalisation économique d'un tel changement. Toutefois, vous pourriez dire: «Les consommateurs des produits du tabac sont tout à fait différents: ils meurent chaque année et il faut les remplacer.» Je répondrais à cela: «J'imagine que les consommateurs de déodorant, de pâte dentifrice et de voitures ne meurent pas chaque année et que par conséquent il n'est pas utile de les remplacer.»

La mort du consommateur n'a rien à voir. Le fait que le tabac fasse maintenant partie du contexte social du Canada et d'autres pays signifie que les gens vont l'expérimenter ou le consommer, notamment les jeunes, tout simplement parce que c'est un produit légal. Tout publicitaire qui le comprend ne va pas gaspiller son argent, car il sait fort bien que cela n'augmente pas la taille de ce marché; par contre, il va s'efforcer d'obtenir une part du marché pour une marque commerciale donnée.

La troisième question vise les jeunes et l'usage du tabac, l'usage du tabac et la publicité, puisque c'est la question qui est peut-être la plus litigieuse. Il me semble curieux que le ministre qui a comparu devant vous, que les responsables qui ont passé des années à parcourir le monde pour essayer de trouver des preuves irréfutables, n'en ont pas trouvé de nouvelles, autres que celles qui avaient été présentées aux audiences et aux procès liés à la Loi réglementant les produits du tabac.

Vous pourrez dire que nous n'avons pas de preuve indiquant qu'il existe un lien entre la publicité des produits du tabac et le déclenchement de l'usage du tabac. En fait, j'aimerais dire le contraire. Permettez-moi de prendre un exemple donné non pas par une société de tabac ou par un chercheur comme moi-même, mais par une commission royale. Le rapport Smee a été cité à plusieurs occasions dans cette salle.

Il y a trois ans environ, M. Waterson et moi-même avons fait une analyse détaillée du rapport Smee, que nous avons publiée dans trois articles de synthèse et revues spécialisées.

Fait intéressant au sujet du rapport Smee, c'est que personne en faveur de ce projet de loi ne parlerait du rapport Smee pour justifier l'interdiction de la publicité des produits du tabac ou établir un rapport entre le déclenchement de l'usage du tabac et la publicité. En fait, M. Smee est arrivé à deux conclusions fort intéressantes dont vous n'avez probablement jamais entendu parler. La première, c'est que, après des études rigoureuses et détaillées, le gouvernement du Royaume-Uni représenté par Smee, n'a pas pu trouver de preuve établissant un rapport entre l'augmentation totale de la consommation des produits du tabac et la publicité. Deuxièmement, preuve encore plus pertinente, à propos des jeunes et de l'usage du tabac, M. Smee a effectué une étude économétrique détaillée, ainsi que des recherches dans des revues spécialisées pour voir s'il pouvait établir que la publicité avait un effet sur le déclenchement de l'usage du tabac chez les jeunes Britanniques âgés de 15 ans et plus.

Si vous lisez son rapport attentivement, vous constaterez -- parce qu'il a enfoui sa conclusion politiquement incorrecte dans l'annexe -- qu'il n'a pas relevé de rapport entre la publicité sur le tabac et la consommation chez les jeunes de 15 ans et plus au Royaume-Uni, durant les 20 ans qu'a duré son étude.

Si un témoin vous affirme que le ministre ou le gouvernement est justifié de vouloir imposer des restrictions à la publicité sur le tabac parce que ces restrictions influeront sur le phénomène du tabagisme chez les jeunes Canadiens, je l'interrogerais au sujet de l'excellente recherche effectuée par M. Smee et par le gouvernement du Royaume-Uni. M. Smee n'est certes pas un chaud partisan de la publicité du tabac, comme il l'avoue lui-même.

Ce genre de preuve s'appuie sur des douzaines d'autres études effectuées pour trouver les moyens les plus fiables de prédire que des jeunes se mettront à fumer.

Hier, M. Irving a mentionné l'étude menée par Conrad, Flay et Hill dont vous devriez recevoir copie. Elle est également citée dans notre ouvrage. Il s'agit de l'analyse la plus complète peut-être des études transversales menées au Canada et ailleurs.

Il est tout de même extraordinaire que deux de ces auteurs aient été membres du comité consultatif de l'Institut national du cancer, mais que le rapport présenté au ministre de la Santé ne mentionne pas leurs travaux, pourtant décrits dans des revues spécialisées.

Je peux seulement spéculer sur la raison pour laquelle ces articles n'ont pas été inclus dans le rapport, par exemple croire que les conclusions étaient politiquement incorrectes. La lecture du rapport de Conrad, Flay et Hill et de l'analyse qu'ils font des études cherchant à déterminer pourquoi les jeunes se mettent à fumer est révélatrice.

Parmi les indices qui permettent le mieux de prédire si un jeune se mettra à fumer, on note une faible estime de soi, une faible performance économique, des facteurs socio-économiques, l'insubordination, la propension à prendre des risques et différentes perceptions du risque.

En d'autres mots, la publicité n'est pas un facteur déterminant sur le plan statistique. En fait, les trois auteurs -- dont deux ont pris part aux études citées par le ministre -- ont précisé qu'ils n'avaient relevé que deux articles, dans toute la documentation dépouillée, qui portaient sur la publicité en tant que moyen permettant de prédire le tabagisme chez les jeunes. Dans les deux, on affirmait qu'il n'y avait pas de preuve statistique permettant de dire qu'en fait la publicité incite les jeunes à fumer.

Même si l'on ne tient pas compte de la recherche faite à l'étranger, si on s'en tient simplement à la recherche qu'a examinée Santé Canada et qu'il vous a présentée, on peut répondre à la question en fonction de ce qu'ont à dire les chercheurs cités par le gouvernement du Canada. Voyons ce qu'ils ont vraiment dit quand ils n'étaient pas en train de rédiger un rapport édulcoré pour le ministre, ce qu'ils ont écrit dans d'autres revues. Ces mêmes auteurs ne sont pas d'accord pour dire que la publicité sur le tabac incite les jeunes à fumer.

Enfin, j'aurais un commentaire à faire au sujet de l'interdiction de la publicité sur le tabac. Ce sera ma dernière critique, car j'aimerais aussi dire du bien de la publicité afin de ne pas donner l'impression de chanter toujours le même refrain.

Si vous m'avez suivi jusqu'ici, j'ai d'abord parlé du rôle joué par la publicité sur le marché, du point de vue tant des chercheurs que des publicitaires. Je me suis ensuite concentré sur la question de savoir si la publicité sur les produits du tabac fait augmenter la demande globale. J'ai ensuite essayé de vous dire avec plus de précision ce qu'affirment les études au sujet de l'effet de la publicité sur les jeunes et sur la décision de fumer, sujet qui vous intéresse le plus, je crois.

Supposons que le projet de loi à l'étude est adopté. Supposons un retour à la situation vécue au Canada, il y a presque huit ans, lorsque la publicité et la promotion des produits du tabac était ni plus ni moins interdite. En bout de ligne, il faudra que ceux qui prônent cette solution, y compris le ministre, vous soumettent une hypothèse raisonnable. J'ai remarqué que, très souvent, ils utilisent des mots comme «logique» et «gros bon sens». Chez nous, quand on utilise ces mots, c'est qu'on ne dispose pas de données empiriques valables, et je vous ai laissé entendre qu'ils n'en ont pas.

Supposons donc, pour les besoins de la cause, que le projet de loi à l'étude est adopté. Quel sera l'effet d'une interdiction de la publicité au Canada? Pouvons-nous affirmer avec certitude, comme il se doit, qu'elle réduira sensiblement le nombre de jeunes qui décident de fumer, que le tabagisme chez les jeunes en sera réduit? Si vous examinez la documentation présentée dans l'ouvrage de M. Waterson et de moi-même, vous relèverez un fait intéressant. Dans toute la documentation parue dans le monde au sujet de l'interdiction de la publicité, un fait ressort nettement, soit qu'il n'existe absolument aucun lien entre la sévérité des restrictions imposées ou l'efficacité des mesures prises et l'impact sur la décision des jeunes de continuer ou de commencer à fumer et sur une réduction de la consommation de tabac.

L'un des arguments les plus étonnants militant contre les mesures de lutte contre le tabagisme appliquées au Canada durant les 20 dernières années, particulièrement durant la période où l'interdiction était totale, est certes la recherche effectuée par Santé Canada même au sujet du cycle du tabagisme chez les jeunes ou les données réunies par Statistique Canada qui montrent que, durant la période d'interdiction, selon la population visée et la période étudiée, le tabagisme chez les jeunes Canadiens a augmenté de 3 à 4 p. 100.

Un des articles publiés dans le livre a été rédigé par un certain Michael Stewart, auteur en 1988 d'un article sur l'effet probable au Canada de l'entrée en vigueur d'une loi interdisant la publicité. M. Stewart a prédit, avec assez de prémonition à mon avis, que pareille interdiction de la publicité au Canada ferait vraisemblablement augmenter de 2 ou de 3 p. 100 la consommation de tabac chez les jeunes. Ces prévisions sont étrangement proches de la réalité.

En résumé, il ne me semble pas y avoir de données établissant nettement que les interdictions ou restrictions envisagées dans le projet de loi à l'étude seront utiles, si l'on se fie aux études menées partout dans le monde. Libre à vous de dire que le Canada est en quelque sorte unique, que l'expérience vécue dans 33 autres pays et au sein d'autres juridictions, est sans rapport! Toutefois, si c'est ce que vous décidez de faire, je vous conseille d'examiner ce qui se passe un peu plus près de chez vous, par exemple en Saskatchewan. Cette province a interdit la publicité sur l'alcool pendant presque 58 ans, interdiction qui a été levée en 1981. C'était une expérience intéressante puisque, pendant 80 années -- donc, du vivant de tous ceux qui habitent la Saskatchewan --, il n'y a pas eu de publicité sur l'alcool.

Si l'on se fie au raisonnement du ministre Dingwall, l'arrivée de la publicité, là où elle n'existait pas auparavant, aurait dû avoir deux résultats. D'une part, elle aurait dû encourager une nette augmentation de la consommation chez les jeunes, parce que c'est ce que laisse entendre son argument; d'autre part, elle aurait dû aussi faire croître sensiblement la consommation globale en Saskatchewan. Or, si vous examinez les travaux de Makowsky et de Whitehead, qui ont publié deux articles sur la question, ils affirment n'avoir pas pu relever, au Canada, de preuve que le recours à une publicité énergique influe sur la consommation d'alcool, pas plus chez les jeunes qu'au sein de la population générale. Par conséquent, si la preuve accumulée partout dans le monde au sujet de l'interdiction de la publicité n'est pas convaincante, que penser de la preuve réunie ici même, dans le cadre d'une expérience particulièrement contrôlée?

Mais, trêve de critiques! J'aimerais conclure sur une note plus positive.

On entend souvent dire que des personnes comme moi qui étudient le tabagisme chez les jeunes et l'effet de la publicité sont continuellement en train de critiquer le gouvernement, de l'accuser d'avoir une politique inefficace ou d'avoir mal conçu les mesures envisagées, qu'ils n'ont jamais rien de bon à dire. Je ne travaille pas pour un des intéressés au dossier. Je puis donc faire mes propres suggestions, sans avoir à tenir compte d'intérêts spéciaux. En réalité, il ne s'agit pas d'une suggestion de mon crû. J'aimerais dire que l'on aurait peut-être avantage à orienter la partie de la politique en matière de soins de santé qui porte sur le tabagisme chez les jeunes en fonction du rapport du Forum national sur la santé, ce rapport commandé, produit et appuyé par le gouvernement et rendu public il y a environ six semaines.

Le Forum national sur la santé, dans le cadre de ses travaux, a commandé une série d'études, dont environ 25 portent sur ce qu'on appelle les facteurs déterminants de la santé. Une étude en particulier porte principalement sur la toxicomanie chez les jeunes, plus particulièrement sur la consommation excessive de tabac et d'alcool. Cette étude effectuée par Pamela Fralick esquisse, selon moi, une nouvelle façon d'aborder le tabagisme chez les jeunes, une approche différente à laquelle le gouvernement du Canada ne s'est même pas arrêté, à laquelle il a encore moins réfléchi.

Le document de Mme Fralick m'a frappé pour deux raisons. Tout d'abord, on n'y relève aucune mention des points envisagés dans le projet de loi à l'étude comme moyens de prédire la décision de fumer chez les jeunes. Lorsque vous examinez la documentation, vous pouvez être tentés de croire que je me contente de venir vous dire que la publicité est sans rapport. Toutefois, si vous vous arrêtez à ce qu'ont à dire les professionnels de la santé, vous verrez que ce n'est pas le cas. Si vous lisez ce document mûrement réfléchi d'une auteure canadienne au sujet des raisons qui incitent les jeunes à fumer, vous constaterez beaucoup de recoupements avec ce qu'affirment Conrad, Flay et Hill. Il est constamment question des mêmes prédicteurs.

Second point, on s'étonne de l'absence des nombreuses causes qui vous ont été avancées pour expliquer le tabagisme chez les jeunes. Il n'est pas question, dans le document de recherche du Forum national sur la santé, de la publicité du tabac comme cause du tabagisme chez les jeunes. Cette absence est encore plus criante si, troisième point, vous tenez compte -- nous voici en réalité au coeur de la question -- de ce que propose ce membre du secteur des soins de la santé, dans un rapport de recherche commandé dans le cadre du Forum national sur la santé, comme politique du gouvernement du Canada en vue de régler la question du tabagisme chez les jeunes.

Permettez-moi simplement de vous énumérer -- dans l'ordre, pour ne pas me tromper -- les priorités définies par Mme Fralick. Voici donc les possibilités d'action selon elle importantes pour régler le problème du tabagisme chez les jeunes et de leur décision de fumer. Elle propose que l'on favorise un milieu de vie sain, une réduction des disparités et des iniquités socio-économiques chez les jeunes et le maintien aux études. Elle suggère aussi de trouver des solutions à l'analphabétisme, de faire participer activement les jeunes à de saines activités sportives et récréatives, de leur fournir des modèles et des mentors, d'accroître leur capacité d'adaptation, leur compétence et leur estime de soi.

En d'autres mots, pour la première fois en 25 ans au Canada, un membre de l'élite de la santé a produit un document sur la façon de régler le problème du tabagisme chez les jeunes qui établit un lien avec ce que les chercheurs définissent comme étant le problème. L'auteure affirme que notre politique rate en réalité la cible parce qu'elle ne s'attaque pas aux véritables causes. Il est très facile pour un ministre de déposer un projet de loi interdisant la publicité pour régler le problème.

Il est beaucoup plus difficile de trouver des moyens innovateurs et bien financés de régler le problème du tabagisme chez les jeunes en s'attaquant aux causes véritables du phénomène décrites dans ce genre de recherche. À mon avis de simple observateur dans ce débat, si les membres du comité souhaitent vraiment trouver une solution définitive au problème -- une véritable solution plutôt qu'un simple maquillage superficiel -- et, en fin de compte, de l'aveu même des autorités, à l'échec de la politique de lutte contre le tabagisme, particulièrement en ce qui a trait à la publicité, il faudrait, selon moi, que vous vous penchiez sérieusement sur les travaux du Forum national sur la santé plutôt que de vous en tenir au superficiel et, en bout de ligne, au futile. Si l'expérience vécue durant les huit années où la publicité du tabac était interdite au Canada est un indice de ce qui se produira si l'on n'adopte pas une approche plus positive, on perdra simplement huit ou dix autres années pendant lesquelles on aurait pu s'attaquer au coeur du problème plutôt que de simplement colmater les brèches.

J'espère avoir réussi à contrebalancer mes critiques par une note plus positive. Le problème du tabagisme chez les jeunes n'est pas sans solution. Par contre, il exige beaucoup de créativité, d'argent, d'attention et de concentration sur les bonnes questions, ainsi qu'une compréhension réaliste de ce que les chercheurs, les professionnels et les faits révèlent au sujet de la publicité.

Si je n'avais qu'un seul conseil à vous donner, ce serait: «S'il vous plaît, ne concentrez pas toutes les forces sur ce qu'on pourrait qualifier de chimère, soit la publicité ou une formule magique -- tout en ignorant ce que pourraient avoir à dire les professionnels de la santé au sujet des véritables moyens de régler le problème».

La présidente: Monsieur Luik, je vous remercie.

Le sénateur Pearson: Je vous remercie beaucoup de cet exposé. Il me semble que tout ce que la publicité a réussi à faire, c'est de faire connaître les publicitaires. Si elle est aussi inefficace que vous le prétendez, c'est à se demander pourquoi les sociétés y consacrent autant de temps et d'argent.

Le sénateur Jessiman: Elles cherchent à s'accaparer la part du marché qui leur revient.

Le sénateur Pearson: Je le sais. Je parlais plutôt de créer une demande, au départ. J'en viens à un second point, qui n'a rien à voir avec le tabac, soit un examen de la façon dont tous ces facteurs interagissent.

M. Luik: Vous avez parfaitement raison. Quelqu'un a déjà dit: «Je sais que la moitié de l'argent que je consacre à la publicité rapporte, mais j'ignore quelle moitié». Il importe d'en tenir compte quand on parle d'un nouveau produit. Par exemple -- et la documentation sur la publicité en fait foi --, la publicité a énormément contribué à faire adopter les fours micro-ondes et les magnétoscopes. La publicité peut donner bien des résultats lorsqu'il s'agit d'introduire de nouveaux produits et d'en vanter les avantages. Toutefois, elle se rapproche beaucoup plus d'un art incertain que de la science que lui attribuent certains quand il s'agit de modifier le comportement.

Le sénateur Pearson: Je suis certaine que c'est vrai, mais je persiste à croire que c'est un élément important de notre culture.

M. Luik: Oui.

Le sénateur Pearson: Elle a probablement des effets qui n'étaient pas voulus par les publicitaires, voire par l'industrie, par exemple sur l'image de soi qu'ont les jeunes filles. Si l'on compare les jeunes filles d'aujourd'hui à celles de ma génération et de la génération de mes filles, elles sont de plus en plus minces. La préoccupation des jeunes au sujet de leur poids est directement liée à l'image que leur renvoie d'eux-mêmes la publicité.

M. Luik: En ce qui concerne les images qui sont véhiculées dans la culture populaire, je serais porté à croire que la publicité reflète ces images plus qu'elle ne les crée. Je ne crois pas qu'un publicitaire puisse créer une image qui deviendra pertinente dans la culture populaire. Je pense que les publicitaires s'inspirent de ces images.

Le sénateur Pearson: C'est un peu comme la question de la poule et de l'oeuf. Je ne crois pas que quelqu'un décide délibérément de faire de la publicité pour glorifier les filles très minces mais il existe un lien très étroit entre l'image et ce qu'ils considèrent ensuite être une image vendable. Je ne sais pas sur qui on peut rejeter la faute dans ce cas mais c'est manifestement un aspect très important de la façon dont on influe sur le comportement des jeunes. Il est probable que ceux qui ont conçu ou transmis les messages à propos du tabac considéraient que ces messages comportaient un aspect qui confère un caractère séduisant à l'usage du tabac. Je suis tout à fait d'accord. Il serait sans doute impossible d'établir un lien direct entre le visionnement de l'annonce «A» et la décision de fumer. Je sais qu'il y a bien d'autres aspects qui entrent en jeu mais il y a quelque chose dans la culture générale qui fait des cigarettes un produit populaire.

M. Luik: Je suis d'accord en partie avec ce que vous dites. J'aimerais toutefois émettre certaines réserves. L'usage du tabac comporte un aspect culturel en ce sens qu'il est devenu un artefact de notre culture. La publicité du tabac aujourd'hui a réussi de manière spectaculaire à produire une génération d'enfants très conscients des méfaits du tabac et qui, pour la plupart, considèrent que l'usage du tabac est inacceptable. Je vous donnerai un exemple qui revient souvent, c'est-à-dire une étude faite par un Australien du nom de Richard Mizerski. Il s'est particulièrement intéressé au phénomène Joe Camel. On a beaucoup entendu parler de Joe Camel. Chacun a son opinion à ce sujet. La recherche du professeur Mizerski est intéressante et se rapporte à ce que vous venez de dire. Elle vient étoffer cette notion à propos de l'influence de la publicité.

La rumeur selon laquelle Joe Camel serait le personnage publicitaire le plus populaire auprès des jeunes Américains de moins de dix ans a piqué la curiosité de Mizerski. Or, c'est faux. Il s'agit en fait d'un personnage de feuilleton et non d'un personnage associé au tabac.

Il a interrogé de petits Américains à propos de Joe Camel. Il a demandé à un groupe d'enfants s'ils savaient ce que Joe Camel représentait. Il leur a posé une autre question et c'est là où sa recherche devient très intéressante. Il a dit: «Les enfants savent ce que représente Joe Camel.» Puis il a demandé: «Quel est l'impact de ce symbole dans la société?» Il a demandé aux enfants à quoi ils associaient Joe Camel. Environ 87 p. 100 des enfants interrogés ont répondu qu'ils associaient Joe Camel à une activité désagréable et probablement fatale à laquelle ils n'avaient pas l'intention de se livrer. En fait, ce que Joe Camel et ce type de publicité ont réussi à accomplir, de manière spectaculaire à mon avis, c'est à inculquer aux jeunes enfants la notion de maladie, de mort et d'absence de santé et de vitalité.

Nous devons être prudents avant de dire que la publicité a une influence autre que négative. Beaucoup de faits nous indiquent qu'elle suscite chez la plupart de ces jeunes une impression générale assez négative.

Le sénateur Pearson: Cela m'amène à ma dernière question. Vous avez parlé de la publicité commerciale. Des orateurs aujourd'hui ont abordé un autre aspect, ce que nous appelons la publicité sociétale, c'est-à-dire des images publicitaires qui neutralisent d'autres types d'images. Selon vous ce type de publicité est-il tout aussi inefficace?

M. Luik: Des études intéressantes ont été effectuées entre autres sur les campagnes faites par le gouvernement pour encourager par exemple le port de la ceinture de sécurité, afin de déterminer l'utilité de la publicité de style de vie ou de la contre-publicité.

Je dois avouer -- et je regrette d'avoir à le dire car j'aimerais que la situation soit différente -- que les avis sont très partagés. Un certain nombre d'études faites sur cette question semblent indiquer que l'influence de la publicité sur le comportement des gens est minime. C'est regrettable, direz-vous. Pour ma part, je dirais que c'est logique. Si nous soutenons, comme tout semble l'indiquer, qu'il n'existe pas de preuves solides permettant d'établir que la publicité peut persuader les gens de faire ce qu'ils ne veulent peut-être pas faire, comment peut-on alors croire que la publicité peut les inciter à modifier leur style de vie, qui est si profondément ancré? Cela ne signifie pas, si on prend l'exemple du port de la ceinture de sécurité, qu'après une campagne publicitaire et selon certaines indications provenant d'Australie, les personnes interrogées lors d'un sondage sont incapables de vous indiquer quels sont les risques. La campagne publicitaire a très bien réussi à sensibiliser la population aux risques que comporte le fait de ne pas porter la ceinture de sécurité sans pour autant arriver à les persuader dans les faits de boucler leur ceinture. Cela soulève à nouveau toute la question de la promotion des soins de santé et l'idée que la publicité est un outil si efficace qu'il suffit d'émettre une série d'injonctions sur la façon de bien vivre pour que les gens les suivent sans hésiter.

Or, en ce qui concerne le tabac ou le port de la ceinture de sécurité, ce n'est pas le cas. Il semble que la publicité, même la bonne publicité, n'influence qu'un très faible pourcentage de la population et uniquement lorsqu'elle est déjà portée à adopter un certain type de comportement ou à modifier son comportement.

Le sénateur Pearson: La solution est donc d'imposer une amende?

M. Luik: Oui.

Le sénateur Pearson: Je parle des ceintures de sécurité.

M. Luik: Je pense qu'elle doit s'accompagner de mesures plus coercitives. Cependant, si vous examinez la question sous l'angle des soins de santé, il faudrait espérer que des campagnes, bien conçues, de sensibilisation aux risques parviennent à modifier le comportement d'un grand nombre de gens.

À cet égard, il suffit de constater l'échec des campagnes de lutte contre les maladies transmissibles sexuellement. Elles n'ont pas réussi à modifier les comportements sexuels. Les gens diront que ces campagnes publicitaires n'ont pas connu beaucoup de succès. Il est très difficile et risqué de recourir à la publicité pour inciter les gens à modifier leur comportement, ce que vous diront d'ailleurs sans doute la plupart des gens qui font de la publicité. Rien n'indique que ce type de publicité fonctionne.

Le sénateur Doyle: Je me demande si notre témoin a déjà eu affaire à un petit Canadien de quatre ans, deux semaines avant Noël. Vous ne pourrez plus douter de l'efficacité de la publicité et des annonces télévisées.

Je dirais que la présidente du comité porte une couleur très à la mode. C'est ce que vient de m'apprendre une amie. J'ignore si c'est un résultat direct de la publicité.

M. Luik: C'est un résultat direct de son bon goût.

Le sénateur Doyle: Par contre, j'ai constaté que les dames que je connais un peu mieux sont tout à fait prêtes à accepter l'avis des soi-disant arbitres de l'élégance, qui ne sont ni plus ni moins que des publicitaires. La maison Dior n'a pas inventé un nouveau style du jour au lendemain. Elle a mis sur pied une campagne soigneusement orchestrée pour lancer un style entièrement nouveau de vêtements pour femmes, qui a eu énormément de succès.

Prenez les produits dont la marque n'a pas d'importance pour le consommateur... comme la margarine, par exemple. Nous constatons que l'industrie de la margarine fait rarement la publicité d'une marque en particulier au Canada. Elle a plutôt tendance à faire de la publicité pour un produit générique, comme le font les fabricants de beurre, de lait, de sirop d'érable et d'oeufs. Ce sont des produits dont on me rappelle constamment l'existence. Peu importe la forme que prend la publicité, elle me rappelle qu'il y a deux semaines que je n'ai pas mangé de sirop d'érable et de crêpes. Cela m'incite à utiliser ce produit en général, quelle que soit la marque.

J'ai discuté de cette question avec un groupe d'étudiants du secondaire à Ottawa, qui travaillent à réduire le tabagisme. Comme vous, ils considèrent que la publicité n'est certainement pas le principal facteur qui incite les jeunes de neuf et dix ans à commencer à fumer, puisque ce n'est pas le groupe d'âge ciblé. Ces jeunes ne lisent ni ne regardent les annonces. S'ils ont commencé à fumer, c'est parce que leur grand frère fumait ou, comme Mme Fralick l'a mentionné, parce que leurs parents ou des membres de la famille qu'ils admiraient le plus, un joueur de tennis ou un musicien rock bien connus, fumaient. C'est le genre de choses qui influencent les jeunes de neuf et dix ans.

Ils ont également indiqué être attirés par les quelques annonces diffusées à la télévision et au cinéma qui n'ont pas l'air de messages publicitaires. Disons que vous êtes en voiture et que vous passez devant un énorme panneau-réclame qui montre une plantureuse jeune femme en train de fumer. Il y a 30 ans, dans une grande ville, on l'aurait montrée en train d'exhaler la fumée. Il n'y a rien à redire du changement.

J'ai du mal à croire comme vous que tout va bien, que la publicité ne les influencera pas et qu'il faudrait trouver une autre cible.

M. Luik: Vous avez soulevé un certain nombre de points, sénateur. Permettez-moi de vous répondre en disant trois choses. Je commencerai avec la dernière chose que vous avez dite, à savoir que «tout ne va pas bien».

En ce qui concerne le tabagisme chez les jeunes, il y a de nombreux problèmes dont il faut s'occuper. J'ai voulu à la fin de ma présentation vous signaler que les études faites à ce sujet semblent indiquer que l'orientation en matière de publicité n'est pas particulièrement prometteuse.

Deuxièmement, je doute que vous voyiez «une plantureuse jeune femme» sur des panneaux-réclames au Canada. En fait, ce type de publicité n'existe pas ici, car elle est interdite au Canada en vertu du code d'autoréglementation. Ce genre de publicité existait peut-être il y a 30 ou 40 ans.

Troisièmement, j'aimerais aborder directement le point que vous avez soulevé à propos de ce que les publicitaires essaient de faire et particulièrement à propos de la publicité dont font l'objet des produits comme le beurre, les oeufs, la margarine et le lait. Il y a une quinzaine d'années, les plus grosses dépenses au monde sur certains marchés étaient consacrées précisément à la promotion de ces types de produits puisqu'on partait du principe que la publicité de produits génériques permettrait d'accroître l'ensemble du marché. Les études que j'ai mentionnées plus tôt, particulièrement l'étude faite en Grande-Bretagne, à propos des campagnes semblables lancées en Europe par les gouvernements pour tâcher de se débarrasser de leur énorme surplus de produits agricoles, ont indiqué qu'elles ont été des échecs retentissants.

L'une des constatations intéressantes à propos de la publicité des produits alimentaires, c'est que plus on y consacre de l'argent, plus le marché pour ce type de produits semble rétrécir. Ce type de publicité n'a donc pas l'influence que l'on croit.

Il semble tellement facile et plausible de dire que si on consacre tant d'argent à la publicité, ce doit être pour inciter les gens qui n'utilisent pas le produit à l'utiliser. Dans l'étude que nous avons faite, nous avons cité plusieurs articles classiques. Le plus célèbre est sans doute celui de Brian Sturgess de l'Université de Nottingham en Angleterre. Il dit que c'est un mythe. Si vous examinez les campagnes publicitaires, vous aurez de la difficulté à en trouver qui ont été conçues en fonction de ces principes. Je ne dis pas qu'il n'en n'existe pas. Je dirais qu'elles font partie des 80 p. 100 des campagnes publicitaires qui n'auraient pas dû être faites. Je pense que les publicitaires apprennent très vite que cela ne fonctionnera pas.

Pour revenir au fait que «tout ne va pas bien», je pense qu'en ce qui concerne les variables explicatives du tabagisme, nous mettons beaucoup trop l'accent sur un seul aspect du problème, sans prendre en compte les autres variables explicatives du tabagisme. Les gens disent: «Tous ces autres aspects relèvent d'autres volets de la politique gouvernementale. Il n'est pas nécessaire que le ministre de la Santé s'occupe de la disparité socio-économique, de l'estime de soi, et cetera.» Je regrette mais je n'ai pas l'impression que le gouvernement actuel ou de nombreux gouvernements provinciaux se soient engagés à s'occuper de ces aspects. En fait, je crois que généralement on n'en tient pas compte.

Si vous examinez la pauvreté chez les jeunes dans ce pays depuis 1989, vous constaterez qu'elle a augmenté de 40 à 50 p. 100. On ne tient pas compte des besoins particuliers des jeunes aux prises avec le décrochage scolaire, l'analphabétisme ou le manque d'estime de soi, les trois plus importantes variables prédictives du tabagisme chez les jeunes. Des interventions intéressantes ont été mises à l'essai un peu partout dans le monde.

Lorsqu'on décide de prendre des mesures pour garder les jeunes à l'école et pour donner suite à leurs préoccupations scolaires, on constate que les taux de tabagisme chez les jeunes auprès desquels on effectue ce genre d'interventions chutent de façon spectaculaire.

Je trouve incroyable que nous perdions notre temps à parler de ce qui, selon moi, n'est pas le véritable problème même s'il est intéressant sur le plan théorique, au lieu de dire au ministre: «Vous pourriez peut-être prendre certaines initiatives qui permettraient de remédier de façon créative à certains de ces aspects.»

Le sénateur Doyle: Monsieur Luik, vous avez mentionné les sondages effectués sur la margarine et le beurre et le type de campagnes publicitaires faites en Angleterre et Europe. Des études semblables ont-elles été menées aux États-Unis et au Canada où le marché est peut-être différent de même que la clientèle?

M. Luik: Non. Les études sur la margarine et le beurre ont été faites au Royaume-Uni et dans l'Union européenne. Des études ont peut-être été effectuées aux États-Unis et au Canada mais ce ne sont pas celles qui ont paru dans la recherche courante.

En fait, je l'ignore. Ce serait une question intéressante. Je ne crois pas que les tendances en matière de consommation soient si différentes au Royaume-Uni.

Au Royaume-Uni, ces dernières années, et ce phénomène a été constaté également au Canada, les dépenses publicitaires les plus coûteuses par habitant ont été consacrées à la publicité des spiritueux, suivie de très près par la publicité de la bière. Or, si vous examinez le marché au Royaume-Uni, vous constaterez que ces dernières années le marché du vin a connu une hausse de 1 500 p. 100 tandis que le marché des spiritueux s'est effondré. Le marché de la bière a également diminué de quelques centaines de pour cent.

Donc, contrairement à ce qu'on pourrait croire, plus on consacre d'argent à la publicité, plus on fait de la publicité, moins la taille du marché augmente. Quelle en est la raison? Cela revient à ce que votre collègue a dit, sénateur. C'est qu'au Royaume-Uni en particulier, où les producteurs de vin font à peine de la publicité, et dans toute l'Europe, les gens ont changé leurs habitudes de consommation. Ils ont délaissé les spiritueux et la bière au profit du vin. Les producteurs de vin n'ont rien fait pour provoquer ce phénomène. C'est un facteur social lié à bien d'autres aspects. Pour répondre à la question concernant l'influence de la publicité, la publicité a eu exactement l'effet contraire à ce qu'on aurait cru mais a eu exactement l'effet que les chercheurs vous auraient prédit.

Le sénateur Doyle: En ce qui concerne la dégringolade du marché de l'alcool, lorsque cela s'est produit ici nous savions pourquoi. C'est parce qu'on a commencé à arrêter les gens qui prenaient le volant en état d'ébriété. Je ne crois pas qu'un publicitaire puisse riposter.

Le sénateur Kenny: Je trouve ce que vous dites très intéressant. Je me demande si certaines des réponses au sujet du vin et des spiritueux n'étaient pas un peu simplifiées. Je me souviens qu'à une époque, comme le thé perdait en popularité, une agence de publicité a lancé une campagne assez réussie pour retarder la diminution des ventes du thé. L'idée n'était pas d'accroître le marché du thé mais de freiner la diminution des ventes.

M. Luik: S'agissait-il des ventes de thé en général ou des ventes d'une marque de thé en particulier?

Le sénateur Kenny: Il s'agissait des ventes de thé, un point c'est tout. Les Canadiens buvaient moins de thé.

M. Luik: Il s'agissait donc d'une campagne de publicité d'une association?

Le sénateur Kenny: Oui.

M. Luik: Il s'agit d'un point important.

Le sénateur Kenny: Il est difficile de s'attaquer à votre argument selon lequel la source de motivation est complexe et que beaucoup de facteurs entrent en jeu lorsqu'il s'agit d'amener les gens à changer de comportement.

Cela dit, si vous êtes prêt à admettre que la publicité joue un rôle dans tout cela, c'est-à-dire qu'elle est un facteur qui peut amener les gens à changer d'idée, peut-être qu'il serait opportun d'agir sur ce front maintenant à la condition d'intervenir plus tard sur les autres fronts. Seriez-vous d'accord avec cela?

M. Luik: Non. Je ne partage pas votre avis pour une raison théorique et pratique.

Vous avez très bien fait valoir l'argument en recourant à une une hypothèse, ce qui ne se fait pas souvent. Rien ne prouve que la publicité a un lien avec ces choses. Si vous, monsieur, ou le gouvernement du Canada, qui n'a cessé de dire ceci, pouvait fournir une preuve qui contredirait 400 pages des meilleures recherches universitaires assez bien documentées dans le monde à ce sujet, je serais très heureux de l'accepter et d'examiner à fond une étude après l'autre. Si c'était vrai, alors je serais d'accord.

Cela fait 20 ans que des gens affirment: «Éliminons simplement la publicité et remettons à plus tard ces questions difficiles auxquelles il nous faut réfléchir.» À cela je répondrais: «Pourquoi consacrer tout ce temps à discuter de quelque chose qui ne permet pas à ce point de prévoir le comportement en ce qui a trait à l'usage du tabac et ne pas commencer plutôt à nous occuper de façon créative de ces autres questions qui ne sont aucunement contestées?»

Si vous deviez par exemple, sénateur, convoquer des témoins au sujet d'un projet de loi qui traitera systématiquement de ces huit ou neuf autres prédicteurs, je ne pense pas qu'aucun d'entre eux ne vous dirait qu'il s'agit de choses que vous devriez éviter de faire. Vous pourriez toutefois argumenter sur l'échéancier et le coût.

Là où je veux en venir, c'est que nous consacrons tellement d'effort dans ce pays à un débat stupide, rhétorique et psychologiquement épuisant en ce qui a trait à la publicité alors qu'il saute aux yeux que nous oublions la question de l'usage du tabac chez les jeunes.

Le sénateur Kenny: Vous avez utilisé beaucoup d'adjectifs qui ne me semblent pas tout à fait universitaires.

M. Luik: C'est parce que je me passionne beaucoup pour cette question.

Le sénateur Kenny: Connaissez-vous la Proposition 99 en Californie?

M. Luik: Oui, mais pas en détail.

Le sénateur Kenny: À ce que je crois comprendre, la Proposition 99 a eu pour effet d'imposer une taxe de 25 p. 100 sur le paquet de cigarettes. Les revenus de cette taxe ont servi pour un programme didactique qui fait plus particulièrement appel aux médias de masse. Le programme a eu un grand effet sur l'utilisation du tabac en Californie. Selon une étude faite par l'Université Berkeley, il s'est vendu annuellement 819 millions de paquets de moins sur une période de trois ans.

Nous avons ici une situation ne comportant que deux éléments. Il y a d'une part un programme didactique qui, je crois comprendre, consistait en un programme-choc auquel on avait associé une modeste, si l'on en juge du moins par ce qui se passe ici, hausse de taxes sur le paquet de cigarettes. Il semble que cela eu un impact important sur une population d'à peu près la même taille que celle du Canada.

L'étude était-elle imparfaite? Est-ce que mes chiffres sont réalistes? Est-ce que je n'ai qu'une partie de l'histoire? Que répondez-vous, monsieur?

M. Luik: Permettez-moi de vous parler de la conception et de la méthodologie de l'étude et de vous donner un contre-exemple qui vous montrera à quel point il est difficile d'en arriver à ces conclusions.

Je dirais que l'étude n'est pas rigoureuse parce qu'on ne peut tout simplement faire une analyse à deux variables de quelque chose d'aussi compliqué que la publicité et dire que nous avions une consommation x, que nous avons pris la mesure A et qu'à un certain moment y, nous avons obtenu un résultat.

Quiconque procède à l'étude de cette question en recourant à deux techniques, c'est-à-dire la méthode Box et Jenkins et l'analyse Granger, qui est le fondement de suppositions comme celles-ci, serait obligé de dire que cette étude, à toutes fins utiles, est essentiellement inutile. Pour le profane, cela veut dire que 10 autres facteurs entraient probablement en ligne de compte, y compris une hausse du prix et d'autres éléments qui ont eu une incidence.

Le sénateur Kenny: J'accepte tout cela, monsieur.

M. Luik: Vous ne pourriez en venir à cette conclusion.

Le sénateur Kenny: Le problème c'est que la conclusion à laquelle vous arrivez est mon scénario et que je ne rends pas justice à l'étude.

M. Luik: Vous avez eu raison d'en parler et c'est ma critique. Je ne veux pas que l'on pense que je m'oppose à considérer que le prix est un facteur pour régler ce problème.

Le sénateur Kenny: J'essaie de convenir comme vous qu'il n'y a pas qu'un seul élément, mais un ensemble de facteurs. Il faut bien commencer quelque part. On doit prendre une première initiative avant de passer à une autre, puis à une autre encore, et ainsi de suite. C'est en faisant un premier pas qu'on finira peut-être par changer les attitudes.

M. Luik: Si vous jetez un coup d'oeil à un programme quelque peu similaire mis de l'avant au Massachusetts, où la hausse des taxes était encore plus importante, vous constaterez, d'après le département de santé de cet État, que l'usage du tabac chez les adolescents a progressé pendant la même période. C'est la raison pour laquelle il me semble impossible de tirer des conclusions fiables de ce genre de chose.

Le sénateur Kenny: C'est délicat parce que lorsqu'on a haussé les prix ici, le nombre de fumeurs a aussi augmenté. Cependant, cela ne tenait pas compte du fait qu'il se fumait des cigarettes de contrebande.

M. Luik: Lorsque vous fragmentez les données et tenez compte de la contrebande pendant cette période, vous pouvez alors faire certaines hypothèses assez précises.

Le sénateur Kenny: Il est difficile de faire la part des choses entre le produit de contrebande et le produit légal. Le paquet ne l'indique pas.

M. Luik: Si vous utilisez les chiffres de Statistique Canada dont la réputation n'est plus à faire dans le monde, pour les fins de...

Le sénateur Kenny: J'ai l'impression qu'il n'y avait pas beaucoup de statisticiens à Cornwall lorsque les embarcations traversaient.

M. Luik: Avec tout le respect que je vous dois, on peut certainement faire une évaluation comme l'a fait le premier ministre lorsqu'il a dit en 1994 que probablement 40 p. 100 en Ontario et plus des deux tiers au Québec des cigarettes fumées provenaient de la contrebande. Ces chiffres sont assez justes.

À partir de ces statistiques, vous pouvez vous faire une assez bonne idée de la contrebande et tirer ensuite vos conclusions sur ce qui s'est passé relativement à l'usage du tabac chez les jeunes. Vous admettrez sûrement qu'il a augmenté considérablement pendant la période d'interdiction complète de la publicité au Canada.

Le sénateur Kenny: Si je suis disposé à concéder qu'une ou deux choses ne régleront pas le problème, êtes-vous prêt à concéder qu'un programme didactique à plusieurs volets diffusé par l'entremise des médias de masse est plus facile à mettre en oeuvre au moyen de la publicité? Si nous associons cela à une modeste hausse d'impôt qui n'encourage pas la contrebande, n'est-ce pas là la dernière chance qui s'offre à nous de modifier le comportement en ce qui a trait au tabagisme?

M. Luik: Je suis d'accord, en partie, avec ce que vous dites parce que le prix des cigarettes a une influence marquée sur la consommation de tabac chez les jeunes. Par contre, j'ai des réserves au sujet de l'efficacité d'une campagne de publicité à plusieurs volets. Les campagnes lancées dans le passé ont donné des résultats décevants. Toutefois, en ce qui concerne la publicité, si c'est la meilleure solution que nous puissions trouver, alors utilisons-la.

Le sénateur Kenny: Laissons de côté le mot «publicité» et parlons d'éducation.

M. Luik: Nous pourrions parler de promotion de la santé.

Le sénateur Kenny: Est-ce qu'une hausse modeste des taxes, combinée à un programme d'éducation, constitue, pour vous, une bonne solution?

M. Luik: Oui, mais c'est un élément parmi d'autres. Je dois vous dire, en toute franchise, que ce ne serait pas mon premier choix parce que, comme l'indiquent les études qui ont été réalisées sur le sujet et, en particulier, le rapport du Forum national sur la santé, ce ne sont pas les principaux moyens d'action qu'on utiliserait pour empêcher les jeunes de commencer à fumer.

Si vous voulez opter pour cette solution, allez-y, mais pourquoi choisir celle-là? Pourquoi ne pas s'attaquer à la source du problème et mettre l'accent sur le rendement scolaire, les disparités socio-économiques, la motivation et l'estime de soi?

Le sénateur Kenny: D'abord, l'estime de soi, la motivation et le rendement scolaire sont tous des thèmes que l'on retrouve dans notre programme d'éducation.

M. Luik: Je parle de moyens qui encouragent les jeunes à rester à l'école.

Le sénateur Kenny: Changer le statut socio-économique d'une personne, c'est beaucoup demander du gouvernement.

M. Luik: Sauf votre respect, sénateur, c'est exactement ce que le citoyen attend du gouvernement.

Le sénateur Kenny: Je vous dirai alors pour qui voter aux prochaines élections.

La présidente: Vous avez dit que vous avez également comparu devant notre comité lorsque nous avons examiné le projet de loi antérieur.

M. Luik: C'est exact.

La présidente: Pouvez-me dire pourquoi vos suggestions n'ont pas non plus été retenues à ce moment là?

M. Luik: C'est difficile à dire. Je ne voudrais pas dénigrer qui que ce soit.

Si j'étais ministre de la Santé et que j'étais saisi d'un dossier délicat comme le tabagisme chez les jeunes, je pourrais facilement déclarer à la Chambre, ou encore à la télévision: «Je dépose aujourd'hui un projet de loi qui vise à enrayer l'usage du tabac chez les jeunes en interdisant la commandite et la publicité des produits du tabac.» Ou bien, comme le sénateur Kenny le laisse entendre, il serait facile de dire: «Nous allons organiser une campagne d'information pour les jeunes et augmenter le prix des cigarettes.»

Il est beaucoup plus difficile, comme je viens de le dire, de s'attaquer aux disparités socio-économiques, d'encourager les jeunes à rester à l'école, de s'attaquer aux causes des problèmes sociaux. Ce n'est pas que les gens n'écoutent pas; ils ont tout simplement de la difficulté à composer avec ces situations.

Je ne dis pas cela sous le coup de la colère. Je cherche tout simplement à vous dire que nous sommes encore en train de discuter, neuf ans plus tard, de publicité et que nous n'avons pas encore commencé à aborder les autres questions, qu'il s'agisse de hausses de taxes, de campagnes de promotion, ainsi de suite. C'est parce que nous n'avons pas encore manifesté la volonté et la créativité nécessaires pour le faire. Il est difficile de lancer des initiatives comme celles-là. Vous voyez-vous en train de dire, «Aujourd'hui, j'annonce une nouvelle politique de lutte contre l'usage du tabac chez les jeunes. Nous allons éliminer les disparités socio-économiques au Canada. Merci beaucoup.»

C'est très difficile de faire cela. Ce sont de grandes questions de principe. Nous avons besoin de gens qui vont faire le premier pas, comme vous l'avez dit, qui vont fixer des objectifs mesurables.

Mme Fralick énumère dans son étude une liste de projets qui ont été lancés à l'échelle nationale. Elle donne des exemples de personnes qui se sont efforcées de développer les habiletés d'adaptation des jeunes, de les encourager à rester à l'école, ainsi de suite.

Le sénateur Jessiman: En parlez-vous dans votre livre?

M. Luik: Non.

Le sénateur Jessiman: Avez-vous une copie de son étude?

M. Luik: Oui. Comme vous le savez, elle en a réalisé plusieurs. Je peux vous fournir celle qui porte sur la santé et qui résume son point de vue.

La présidente: On peut également l'obtenir auprès du ministère de la Santé.

M. Luik: Oui. Donc, je suppose que c'est la difficulté de la tâche qui pose problème.

La présidente: Ma dernière question porte sur les produits standards. Un produit standard, c'est un produit qui se trouve sur le marché depuis de nombreuses années. Le magnétoscope, par exemple, n'est pas un produit nouveau. Toutefois, il peut le devenir, à un moment donné, pour un certain groupe de consommateurs.

On nous a dit hier que personne n'achète de voiture après avoir vu de la publicité là-dessus. Je ne suis pas d'accord. Je pense que les gens se laissent influencer. Ils peuvent changer non seulement de marque, mais également de type de voiture si on arrive à les convaincre qu'une fourgonnette serait plus utile, par exemple, qu'une voiture à deux places.

Quel impact cette publicité a-t-elle sur les jeunes? Voyons les choses dans leur contexte. Une femme n'est pas tellement intéressée à se teindre les cheveux lorsqu'elle est très jeune. Elle peut s'y intéresser au fur et à mesure qu'elle vieillit, bien que certaines se contentent de dire «Au diable avec tout cela» et ne s'y intéressent pas du tout. Toutefois, à un moment donné, ce produit devient un produit nouveau pour un consommateur en particulier.

M. Luik: Oui. Cela vaut pour tous les produits. Dans un sens, les gens, au fur et à mesure qu'ils vieillissent, sont exposés à toute une gamme de produits différents.

La présidente: Est-ce que cela ne s'applique pas aussi au tabac? À un moment donné, le tabac, pour les jeunes, ne devient-il pas un produit nouveau?

M. Luik: Je pense que cela vaut pour n'importe quel produit. Toutefois, la question que vous devez vous poser est la suivante: lorsque les gens voient de la publicité sur un produit de marque, est-ce qu'ils vont décider d'utiliser ce produit à cause de la publicité ou pour d'autres raisons?

Je pense qu'ils vont décider de l'utiliser pour d'autres raisons, non pas à cause de la publicité. Mais il est vrai qu'il s'agit d'un produit nouveau pour ce groupe particulier de consommateurs. Vous avez raison.

La présidente: Mais ne croyez-vous pas que le jeune qui regarde le Grand Prix, qui voit son héros Jacques Villeneuve porter une combinaison où apparaît le logo Rothmans, ne sera pas tenté de commencer à fumer et, de façon plus précise, d'acheter des cigarettes de marque Rothmans parce que son héros, qui ne fume pas, porte une combinaison où le logo Rothmans apparaît partout?

M. Luik: Non. Je ne le crois pas, et c'est bien prouvé. Je ne crois pas qu'un jeune va commencer à fumer en raison de l'attrait qu'exerce sur lui son héros. C'est un point discutable. Je me demande même s'il est vrai qu'il va commencer à fumer des cigarettes de marque Rothmans en raison de ce qu'il voit.

La commandite, à mon avis, n'a pas beaucoup d'impact. Donc, je ne crois pas qu'il existe des preuves en ce sens. La commandite peut peut-être avoir une incidence, quoique très faible, sur le choix de la marque, mais je ne crois pas que le personnage lui-même peut inciter quelqu'un à fumer.

Le sénateur Kenny: J'ai deux petits points à soulever. La commandite ajoute un élément de plus. On peut facilement changer de poste quand on voit des messages publicitaires à la télé. Le commanditaire, lui, est omniprésent. Il est présent pendant toute la course. Son nom apparaît dans les journaux du lendemain. Ce n'est plus seulement une annonce publicitaire à la télé. Il fait soudainement partie de l'actualité quand le vainqueur apparaît non pas dans une annonce, mais dans une chronique sportive, accompagnée de sa photo. Il fait partie du paysage.

Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que cette question est complexe. Le problème auquel nous sommes confrontés, en tant que politiciens, c'est que nous devons décomposer le problème en quatre ou cinq points. Vous l'avez dit vous-mêmes lorsque vous avez déclaré, «Je vais changer vos conditions socio-économiques».

M. Luik: C'est vrai.

Le sénateur Kenny: Si nous ne procédons pas par étape, si nous ne décomposons pas le problème, nous n'aboutirons à rien.

M. Luik: Vous avez raison.

Le sénateur Kenny: Donc, si nous voulons décomposer le problème, je ne vois pas pourquoi le seul volet auquel vous vous opposez, c'est celui de la publicité.

M. Luik: Je reviens à ce que j'ai dit. À mon avis, il n'existe absolument aucune preuve convaincante qui mérite d'être examinée. Les faits sont indéniables.

Le sénateur Kenny: Mais les dirigeants de compagnies de tabac sont très intelligents et se débrouillent fort bien depuis très longtemps. Ils ne jettent pas leur argent par la fenêtre. Vous le savez aussi bien que moi.

M. Luik: C'est ce que j'aimerais bien croire. Toutefois, il y en a beaucoup qui ne sont pas aussi intelligents que vous le pensez. Comme je l'ai dit au début, il y en a beaucoup qui, en matière de publicité, font preuve d'une incroyable stupidité. Seulement 20 p. 100, tout au plus, des campagnes publicitaires donnent des résultats. Cela vaut aussi bien pour le tabac que pour n'importe quel autre produit. Donc, par définition, ces gens font preuve de stupidité dans 80 p. 100 des cas, sénateur.

Le sénateur Kenny: Quelle était la moyenne au bâton de Ted Williams? Vingt pour cent, c'est beaucoup.

M. Luik: Ce ne sont pas des génies.

La présidente: Nos derniers témoins cet après-midi sont MM. Robert Allan et Pierre Fortin.

M. Robert Allan, professeur d'économie, Département d'économie, Université de la Colombie-Britannique: Madame la présidente, je tiens d'abord à dire que j'appuie le projet de loi C-71 et que je vous encourage à l'adopter parce qu'il vise à protéger la santé. Je crois aussi qu'il existe de bonnes raisons de croire que l'interdiction de la publicité de tabac réduirait la consommation des produits du tabac et contribuerait à améliorer la santé.

Toutefois, il n'y a pas que ce facteur. Toute politique destinée à réduire l'usage du tabac doit prévoir l'imposition de taxes plus élevées pour accroître le prix des cigarettes, un élément qui influe de façon marquée sur la consommation du tabac chez les jeunes. Toutefois, le prix n'explique pas tout. Il n'explique pas les hausses et les baisses que connaît la consommation des produits du tabac. Je crois que les restrictions relatives à la publicité y sont aussi pour quelque chose.

Par exemple, comme l'a mentionné M. Luik, il se peut que le manque d'estime de soi incite un jeune à fumer. Toutefois, à mon avis, la publicité et les images qui entourent les produits du tabac sont pour quelque chose dans cette décision. Il faut donc intervenir à ce chapitre.

De plus, il me semble, comme certains d'entre vous l'ont signalé, que les fabricants de produits du tabac ne sont pas des gens totalement irrationnels, et que si l'enjeu de la publicité du tabac était simplement une question de part de marché et non d'expansion du marché, alors M. Parker vous aurait encouragé hier à appuyer le projet de loi C-71 parce que, si ne n'est qu'une question de part de marché, à ce moment-là, toutes les dépenses liées à la publicité du tabac réduisent les profits que réalise l'industrie. Donc, si l'industrie n'est pas réglementée, la collusion requise pour réduire l'usage du tabac pourrait être illégale. Par conséquent, le plus simple, bien entendu, serait que le gouvernement l'interdise.

Si l'enjeu des campagnes publicitaires était uniquement une question de part de marché, alors l'industrie devrait appuyer cette mesure. Son opposition laisse sous-entendre que la publicité lui permet également d'élargir son marché.

J'aimerais dire quelques mots au sujet des programmes d'éducation. Je ne crois pas qu'ils constituent un moyen efficace de réduire la consommation du tabac. Nous ne sommes pas en 1955. Les gens connaissent très bien les risques que le tabac entraîne pour la santé. Si vous interrogez des enfants de huit ans, vous allez constater qu'ils savent tous que fumer est mauvais pour la santé. Ils vous diront tous qu'ils ne fumeront pas. Or, à 15 ans, 30 p. 100 des jeunes fument. Le simple fait de les sensibiliser aux méfaits du tabac ne donnera pas vraiment grand-chose. Vous devez augmenter le prix des produits du tabac pour empêcher les jeunes d'acheter des cigarettes. Vous devez également modifier les règles relatives à la publicité afin de réduire l'attrait qu'exercent les produits du tabac.

De toute façon, tous ces facteurs influent sur la demande du produit. Je voudrais surtout vous parler de l'impact économique que peut entraîner l'interdiction de la commandite.

Les fabricants de produits du tabac financent les grands événements comme le Grand Prix, les spectacles pyrotechniques, les festivals, ainsi de suite. Ces événements génèrent des retombées économiques. Or, si de nombreuses personnes s'opposent au projet de loi C-71, c'est parce qu'elles craignent de voir ces retombées disparaître si la commandite est interdite. Or, à mon avis, les événements financés par les fabricants de produits du tabac ne génèrent pas beaucoup de retombées. Cette crainte ne justifie donc pas le maintien de la commandite.

J'aimerais diviser mon exposé en deux parties. J'aimerais d'abord vous parler des dépenses et ensuite des événements à grand déploiement, comme les foires internationales, qui devraient générer des retombées assez importantes. Or, si vous jetez un coup d'oeil sur ces grandes activités promotionnelles, vous allez constater qu'elles génèrent en fait très peu de retombées. Par conséquent, les retombées que génèrent les événements de moins grande envergure, comme les courses automobiles, sont donc négligeables.

Parlons d'abord des dépenses. Lorsque vous prenez un événement important, comme une course automobile ou un spectacle pyrotechnique qui génère une certaine activité commerciale, vous devez faire une distinction entre deux types de dépenses. Il y a d'abord l'argent neuf qui est investi dans la publicité et la promotion des produits du tabac. Cela ne comprend pas l'argent que vont dépenser les clients qui assistent à ces événements.

Les fabricants de produits du tabac investissent de l'argent neuf lorsque de grands événements sont organisés. Ces événements attirent beaucoup de gens qui vont dépenser de l'argent au restaurant, de l'argent qu'ils auraient dépensé ailleurs. Or, cet argent ne constitue pas un profit net, mais tout simplement de l'argent qui a été redépensé ailleurs.

Prenons l'exemple suivant. Trois types de Trois-Rivières décident, un après-midi, non pas d'aller jouer aux quilles, mais d'aller voir le Grand Prix à Montréal, où ils consomment quelques bières et hot-dogs. L'argent qu'ils dépensent dans un restaurant à Montréal représente une perte pour la salle de quilles de Trois-Rivières. Lorsque vous analysez l'impact de la commandite, vous devez tenir compte de tous ces facteurs et du fait aussi que les profits réalisés par le commerçant qui se trouve à proximité de l'événement commandité se traduisent souvent par des pertes pour un autre. Or, les autorités provinciales ne considèrent pas l'argent qui est redépensé ailleurs comme une source de profit net. Pour elles, l'unique source de profit net, c'est l'argent neuf que les compagnies de tabac investissent dans la publicité.

Il est possible, dans une économie avec un taux de chômage comme le nôtre, que cet investissement entraîne la création de quelques emplois. J'ai fait quelques calculs, que vous allez trouver dans mes notes. Supposons que les compagnies de tabac consacrent 100 millions de dollars à la promotion et à la commandite. Cela peut se traduire par la création de 2 000 emplois à temps plein, et par un nombre encore plus élevé d'emplois à temps partiel. Il faut admettre que ce n'est pas beaucoup. Si cet appui financier était éliminé et que ces emplois disparaissaient, le taux de chômage ne fluctuerait pas, puisque le nombre d'emplois en jeu serait trop négligeable.

J'exagère de toute façon pour ce qui est pertes d'emploi, car l'important, c'est de savoir ce qui arriverait aux 100 millions de dollars s'ils n'étaient pas investis dans des activités promotionnelles. Si l'argent était investi ailleurs, des emplois seraient créés ailleurs.

Par exemple, si l'industrie du tabac décidait d'utiliser cet argent pour contester la validité constitutionnelle du projet de loi C-71, cela aurait pour effet de créer de nombreux emplois pour les avocats. Ou bien, si l'argent était distribué sous forme de dividendes aux actionnaires canadiens, ceux-ci le dépenseraient ailleurs. Dans le pire des scénarios, le nombre d'emplois en jeu serait dérisoire. De toute façon, il y a tout lieu de croire que ces pertes ne se matérialiseraient jamais. Je ne crois pas que ce facteur soit tellement important.

J'aimerais maintenant vous parler de l'impact économique de la commandite et des événements à grand déploiement. Je pense notamment aux foires internationales, comme Expo 67 à Montréal et Expo 86 à Vancouver. Ces activités ont fait l'objet d'un grand battage publicitaire et on a laissé entendre qu'elles ont généré des retombées énormes. Toutefois, si l'on jette un coup d'oeil sur les résultats, on constate que les retombées sont plutôt négligeables.

J'ai examiné divers indicateurs économiques des années 60 au Québec et dans les autres provinces, et des années 80 en Colombie-Britannique et dans les autres provinces, dans le but d'analyser l'impact économique de ces événements. Si l'on prend, par exemple, les restaurants et les hôtels, on remarque qu'une foire internationale ne génère pas de retombées importantes.

Ce graphique indique les recettes générées par les restaurants, traiteurs et tavernes, pour reprendre l'expression utilisée par Statistique Canada. La ligne du bas s'applique au Québec, et celle du haut, aux autres provinces. En 1967, les recettes des restaurants ont augmenté très légèrement, en raison d'Expo 67. Elles ont atteint un sommet l'année précédente, mais il n'y a pas eu de hausse comparable dans les autres provinces. Voilà l'impact qu'a eu Expo 67.

Quelle a été l'ampleur de cet impact? Au Québec, les recettes des restaurants, des traiteurs et des tavernes ont connu une hausse de 6 p. 100 cette année là. Les recettes des hôtels ont connu une hausse similaire.

Toutefois, dans l'ensemble, l'effet sur l'économie a été plutôt nul. Les ventes au détail ont augmenté de 2 p. 100 au Québec en 1967, ce qui n'est pas beaucoup. En ce qui concerne les recettes totales de la province, elles n'ont pas bougé.

Le deuxième graphique illustre les retombées de l'Expo de Vancouver. En 1986, les recettes ont enregistré une hausse. L'exposition de la Colombie-Britannique était deux fois plus petite que celle du Québec. Les recettes ont augmenté d'environ 3 p. 100.

Si l'on jette un coup d'oeil sur l'ensemble de l'économie de la Colombie-Britannique, on constate la même chose pour ce qui est des hôtels. Les ventes au détail, elles, ont chuté au cours de l'exposition. Le même phénomène que j'ai décrit plus tôt s'est reproduit. Au lieu d'acheter des grille-pain et des vêtements, les habitants de la Colombie-Britannique ont dépensé leur argent à l'Expo, dans les divers kiosques.

Si l'on jette un coup d'oeil sur les recettes totales de la province, on remarque qu'elles diminuent. Il n'y a aucun gain.

Cette comparaison vise à vous montrer que les événements qui sont commandités n'ont absolument pas la même envergure que ces foires internationales. Ces foires se poursuivent pendant six mois. Elles ont lieu dans divers pays, attirent un très grand nombre de visiteurs et font l'objet d'intenses campagnes de promotion. Si les retombées qu'elles génèrent sont si négligeables, si l'exposition de Vancouver n'entraîne qu'une hausse de 3 p. 100 du chiffre d'affaires des restaurants, une hausse qui s'accompagne d'une baisse dans les autres secteurs d'activité économique, de sorte qu'il n'y a pas de profit net, comment peut-on prétendre que l'élimination de la commandite aura un impact grave sur l'économie? Elle va avoir un impact sur les commerçants qui se trouvent à proximité du lieu où la course se déroule. Toutefois, une fois qu'on s'éloigne de cet endroit, il n'y a plus rien. On assiste tout simplement à un déplacement de l'activité économique.

Donc, à mon avis, l'argument voulant que l'interdiction de la commandite entraîne des problèmes économiques graves n'est pas valable.

La présidente: Monsieur Fortin, vous avez la parole.

[Français]

M. Pierre Fortin, professeur en économie, Département d'économie, Université du Québec à Montréal: J'appuie le projet de loi C-71 dans sa conception. Il y a toujours certains aspects d'une loi avec laquelle on peut diverger d'opinion, mais le principe de la loi est très bon. Je l'ai appuyé quand je suis allé témoigner devant la Chambre des communes et je l'appuie encore maintenant que je suis devant le Sénat.

J'ai effectué une étude de l'incidence sur l'emploi du projet de loi C-71 avec l'hypothèse qui m'a semblé assez raisonnable que cela entraînerait, sur une période de 10 années, une réduction de 20 p. 100 du tabagisme au Canada. Il s'agit de l'hypothèse résultant de certaines études d'impact effectuées dans la période précédant la préparation du projet de loi.

Les conséquences sont qu'en fait il y aurait une réduction de plus de 400 millions de dollars en coûts annuels de soins de santé réduits au Canada.

Deuxièmement, il y aurait une baisse modeste du nombre d'emplois dans l'industrie du tabac d'environ 20 p. 100. Par exemple, dans le cas de ma province, le Québec, il y a environ 2 300 emplois dans la fabrication du tabac. La réduction de 20 p. 100 des effectifs signifieraient une réduction de personnel d'environ 430 personnes, 20 p. 100 de 2 300. Cela serait étalé sur 10 années. Par conséquent, cela signifie une réduction de 43 emplois par année, ce qui peut très bien se faire dans les trois usines qui sont situées dans cette province, simplement par les retraites et les départs volontaires. Cela ne causerait pas de difficultés sérieuses dans l'industrie de la fabrication du tabac.

D'autre part, ce qui est extrêmement important et ce qui a été démontré à plusieurs reprises, c'est que la réduction du tabagisme, dans un sens, créerait de l'emploi encore plus abondant ailleurs dans l'économie, parce, évidemment, quand vous réduisez le tabagisme, il a deux effets sur l'emploi. Il y a un effet négatif, qui est l'incidence sur l'industrie du tabac de la culture à la distribution sur l'emploi d'un côté, mais il y a aussi un effet positif de recréation d'emplois lorsque le consommateur prend son argent et le redépense ailleurs dans l'économie.

Ce qui se produit est que le tabac est un produit qui est très taxé et à peu de valeur ajoutée pour chaque dollar de dépense du consommateur, alors que les autres produits sur lesquels seraient redépensés le dollar, contiennent beaucoup moins de taxes et beaucoup plus de valeur ajoutée. Par conséquent, il se créerait par la réduction du tabagisme, par la redistribution de l'emploi beaucoup plus d'emplois dans les secteurs qui récupéreraient le pouvoir d'achats économisé par la réduction du tabagisme qu'il s'en détruirait dans le secteur du tabac lui-même.

Évidemment, à long terme, la création d'emplois au total est nulle parce que tout finit par se rééquilibrer à un certain niveau d'emploi qui ne peut pas dépasser les ressources de l'économie, mais l'impact de départ n'est certainement pas négatif pour l'économie. Il y aurait évidemment une réduction importante du fardeau fiscal que représenteraient les taxes sur le tabac, parce que le taux moyen de taxation du tabac au Canada est de l'ordre de plus de 60 p. 100.

Malgré cette perte de revenus de la part des gouvernements, qui serait de l'ordre, dans l'hypothèse que j'ai utilisée, d'une réduction de 20 p. 100 étalée sur 10 ans, une perte de 750 millions de dollars pour l'ensemble des 10 provinces et pour le gouvernement national. Cela signifierait donc cette réduction. Il faut évidemment soustraire de cela le gain en réduction de coûts de la santé de sorte que la perte nette pour l'ensemble des gouvernements serait de l'ordre de 320 millions de dollars selon l'estimation que j'avais présentée. Ce 320 millions de dollars, à étaler sur 11 gouvernements et sur 10 ans, ne serait pas une très importante somme pour aucun des gouvernements concernés.

D'autre part, compte tenu de la nouvelle évolution favorable des dépenses publiques, ce serait une des meilleures façons de redépenser pour le gouvernement le dividende budgétaire qu'il va retirer du fait de l'assainissement de la réduction de la dette et de l'assainissement du budget.

Le problème cependant -- c'est mon dernier point -- c'est l'effet, dans certains cas peut être assez désagréable, que la législation prévue du projet de loi C-71 pourra avoir sur la commandite d'événements culturels et sportifs, qui sont financées aujourd'hui en partie par l'industrie du tabac. En fait, j'ai beaucoup de difficulté à comprendre pourquoi ce serait un problème, si on y met suffisamment de bonne volonté à le résoudre. C'est certain que dans n'importe quelle action gouvernementale, qui est généralement faite pour le bien-être de l'ensemble des citoyens, cela implique des déplacements, des changements de contextes législatifs et même des changements de droits de propriétés dans certains cas. Il y a pour une très grande majorité de gagnants toujours une petite minorité de perdants.

Malgré ce que M. Robert Allan vient de dire, à savoir, par exemple, que l'impact macro-économique de la commandite serait relativement faible, il faut tout de même constater que pour les populations locales, les individus locaux qui subissent ce tort, d'une législation favorable pour l'ensemble des citoyens, mais très défavorable sur eux, ces montants sont loin d'être négligeables.

Par exemple, le 6 p. 100 d'Expo 67 qui peut avoir l'air d'environ 25 millions de dollars en dollars de 1967, mais peut-être 100 millions de dollars aujourd'hui, ce n'est rien pour le Canada, ce 100 millions de dollars, mais pour l'économie régionale de Montréal et les personnes impliquées qui perdraient ce 100 millions de dollars, il s'agit d'un montant très considérable.

Je ne veux pas dire par là qu'il faut changer la loi à ce sujet. Mais ce pourquoi je veux plaider aujourd'hui, c'est que le Sénat mette au point une suggestion comme mécanisme de compensation pour des gens qui sont profondément lésés dans leur activité économique libre qu'ils vivent jusqu'ici. Ils en souffrent profondément de cette loi même s'ils sont d'accord avec l'esprit et la lettre de l'ensemble de la législation pour la réduction du tabagisme.

Comme on l'a fait dans plusieurs situations, par exemple, lorsqu'il y a des progrès technologiques dans les entreprises, l'État met à la disposition des gens des cours de perfectionnement et de recyclage qui leur permettent de se replacer ailleurs. C'est un problème semblable. Le progrès technologique favorise l'ensemble de la population. Cela favorise le consommateur pour acheter des biens moins chers qu'auparavant.

D'autre part, les gens qui perdent leurs emplois parce que ce changement technologique implique des déplacements de personnel importants subissent des préjudices qui même s'ils sont négligeables au niveau de l'ensemble du Canada sont très importants pour les individus concernés. C'est pour cela que les gouvernements ont mis sur pied des mécanismes de compensation tout au moins par l'assurance-chômage et la formation de la main d'oeuvre.

C'est la même chose dans le cas de l'harmonisation de la TPS qui pour assurer une fin nationale souhaitable, causait un certain préjudice aux provinces de l'Atlantique. On a tout simplement compensé les provinces de l'Atlantique pour la perte que cela leur faisait encourir.

La même chose lorsque le gouvernement veut faire passer des routes pour le bien-être de l'ensemble de la collectivité dans certains endroits en campagne. On ne fait pas seulement qu'exproprier les gens mais en plus on leur donne une compensation pour le préjudice causé.

Je ne comprends pas que dans ce cas-ci pourquoi on refuserait de compenser les gens affectés et lésés par une loi qui est absolument nécessaire pour le bien-être collectif des Canadiens. Par exemple, on pourrait mettre sur pied un fonds de subventions ou d'aide aux événements culturels et sportifs qui remplacerait la commandite qui deviendrait interdite. C'est un fonds qui pourrait être financé à même un impôt supplémentaire sur les compagnies de tabac et qui pourrait être financé par le dividende économique et budgétaire qui ressortirait des améliorations de l'économie suivant la réduction du tabagisme et qui pourrait être également géré par un conseil d'administration mixte, public et privé et qui donnerait toute les possibilités, les apparences et la réalité de l'impartialité dans le choix des personnes qui seraient sudventionnées.

On a au Canada un organisme qui fonctionne très bien dans le domaine culturel, Téléfilm Canada qui remplit très bien ce rôle. Téléfilm Canada est là parce qu'il y a une défaillance du marché privé à offrir des fonds pour la production télévisuelle et cinématographique canadien. C'est complètement justifiable en vertu des principes économiques les plus élémentaires de le faire.

Je pense que dans le cas du tabac, c'est exactement le même problème qui se pose. On a une loi qui est votée pour le bien-être de l'ensemble de la collectivité. Il faut une compensation qui serait sous la forme d'un fonds de subvention d'événements culturels et sportifs qui pourrait être financé à même les argents que les compagnies de tabac ne dépenseraient plus en commandite. Donc on pourrait en taxer une partie en allant le chercher dans leur poche ou ailleurs avec le dividende budgétaire qui découlerait de l'amélioration de la santé des Canadiens. C'est la suggestion que j'ai à vous faire.

Dans certains cas, et je ne suis pas certain que tout le monde me suivrait là-dessus, il faudrait même réfléchir à la possibilité de prolonger le délai. Étant donné l'importance culturelle et la réputation internationale du Canada, des événements comme le Festival international de jazz, le Grand Prix du Canada automobile, le festival Juste pour rire et les Internationaux de tennis, il faudrait rallonger le délai qui va jusqu'en octobre 1998 et même penser des façon d'avoir une règle plus permanente qui dise que les événements d'envergure internationale auxquels le Canada participe seront exemptés. Ceci injectera sa culture au niveau international et donnera une plus grande réputation internationale au Canada et il n'y aura pas donc seulement des effets de création d'emplois sur lequel Robert Allan a insisté, et qui sont d'accord, au niveau macro-économiques négligeables, mais qui sont des produits produits valorisés par les gens et qui donnent de l'emploi à un certain nombre de personnes qui les perdraient autrement.

Il faut envisager la possibilité de faire des exceptions un peu comme l'Australie fait une exception pour le Grand Prix d'Australie. Ma position là-dessus est, pour l'amour du ciel, que je ne comprendrais pas pourquoi on ne mettrait pas sur pied ce fonds alternatif de subventions aux événements culturels ou sportifs pour remplacer la perte de la commandite au Canada qu'il faut conserver. Je suis contre la commandite des compagnies de tabac. Il faut la remplacer par quelque chose qui maintienne les activités et compense les personnes lésées.

Dans certains cas où l'activité est tellement importante au niveau culturel ou au niveau de la réputation internationale du Canada, je pense qu'il faudrait songer à faire des exceptions dans ces cas sur la base de l'envergure internationale de l'événement tout comme l'Australie nous a montré à le faire.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Nous venons d'entendre deux témoins fort intéressants, madame la présidente. Je les ai écoutés très attentivement.

Monsieur Fortin, je veux m'assurer que j'ai bien compris ce que vous avez dit au début de votre exposé. Avez-vous dit que ce produit a un impact moindre sur l'économie que les autres biens de consommation?

M. Fortin: Oui. Le dollar qui sert à acheter des cigarettes génère beaucoup moins de valeur ajoutée et, par conséquent, beaucoup moins d'emplois que le dollar qui est dépensé ailleurs, pour la simple raison que le taux moyen de taxation sur le tabac est de 60 p. 100, et sur les autres produits, de 20 p. 100.

Le sénateur Kenny: Donc, à votre avis, l'argent versé au gouvernement ne sera pas dépensé de façon aussi efficace qu'il le serait dans le secteur privé?

M. Fortin: On présume que le consommateur dépenserait son dollar ailleurs, et le gouvernement toucherait le quart de ce montant. Toutefois, ce montant est défalqué des pertes nettes de 750 millions de dollars que j'ai mentionnées plus tôt.

Le sénateur Kenny: Je pense avoir saisi la première partie de votre argument.

Pour ce qui est du reste de votre argumentation, vous avez tout à fait raison. Le gouvernement aurait pu, peut-être, augmenter le prix de la cartouche de un dollar. Cela n'aurait pas été suffisant pour entraîner une reprise des activités de contrebande. Toutefois, cette hausse aurait généré des recettes de 120 millions de dollars. La moitié aurait servi à financier ces événements, et l'autre, un programme d'éducation.

On aurait pu aussi obliger les compagnies à continuer de financer les événements pendant une certaine période, disons pendant trois ou cinq ans. Vous n'en avez pas parlé dans votre exposé. Avez-vous envisagé cette solution? Si oui, qu'est-ce qu'il faudrait prévoir comme période de transition pour venir en aide aux tierces parties?

M. Fortin: Je ne le sais pas. Le gouvernement pourrait, par exemple, proposer une période de cinq ans, de manière à permettre aux organisateurs de s'adapter et de trouver de nouvelles sources de financement.

Toutefois, une fois les cinq ans écoulés, il faudrait examiner la situation et voir s'il n'y aurait pas lieu de mettre un terme à cette période d'adaptation. Je ne suis pas contre l'idée d'avoir une période de transition si vous pouvez me démontrer que les organisateurs n'auront plus besoin d'aide au bout de cinq ans.

Le sénateur Kenny: Est-ce que trois ans suffiraient?

M. Fortin: Au lieu de trois, oui.

Le sénateur Kenny: Non, est-ce qu'une période de trois ans suffirait?

M. Fortin: Non. Je crois que les organisateurs ont besoin de cinq ans. C'est très difficile, dans bien des cas, de trouver de nouvelles sources de financement. Il ne sera pas tellement difficile, à mon avis, de trouver de nouveaux commanditaires pour un grand événement international comme le Grand Prix par exemple, qui est le plus important événement sportif au monde. Si les compagnies de tabac devaient dès demain céder leur place, elles seraient très vite remplacées par d'autres commanditaires. Le problème dans le cas du Canada, c'est que les organisateurs tiendraient cet événement ailleurs.

Le sénateur Kenny: Vous avez mentionné le Grand Prix, le Festival Juste pour rire et le Festival de jazz, qui sont tous de grands événements.

M. Fortin: Oui.

Le sénateur Kenny: Monsieur Allan, j'ai trouvé vos graphiques intéressants. J'aimerais vous poser une question au sujet des revenus touristiques. Est-ce qu'ils fluctuent? Est-ce qu'ils augmentent de façon marquée lors de certains événements?

M. Allan: Les revenus touristiques fluctuent beaucoup. Ils ne sont pas stables. Je n'ai pas examiné les chiffres d'Expo 67. Dans le cas d'Expo 86, les revenus ont augmenté, mais ils fluctuent beaucoup.

Le sénateur Kenny: Les revenus touristiques augmentent peut-être, mais pas de façon importante.

M. Allan: Ils comptent seulement s'ils ont été dépensés dans les restaurants et les hôtels. C'est là qu'on récolte cet argent. Les recettes totales des restaurants comprennent les revenus touristiques.

Le sénateur Kenny: Toutefois, rien n'indique que certaines personnes vont venir dans le simple but d'assister à l'événement. Les gens ne viennent pas au Canada uniquement pour le Grand Prix.

M. Fortin: Oui, absolument.

M. Allan: Les recettes en témoignent.

Le sénateur Kenny: Donc, si nous suivons votre raisonnement, tout ce qui se passe, c'est que les gens vont dépenser leur argent non pas à Kamloops mais à Vernon, non pas à Vernon mais à Burnaby, ou non pas à Burnaby mais au centre-ville de Vancouver.

M. Allan: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Ce sont les mêmes dollars qui sont tout simplement dépensés ailleurs au Canada. C'est ce que vous dites. Cela ne change rien à notre situation économique.

M. Allan: C'est exact.

Le sénateur Kenny: M. Fortin a dit que certaines villes tirent grandement profit de ces événements. Or, je n'ai entendu personne dire que les villes qui n'accueillent pas ces événements souffrent beaucoup.

M. Allan: J'avais l'impression, en écoutant M. Fortin, que j'étais le seul à parler au nom du propriétaire de la salle de quilles de Trois-Rivières.

Le sénateur Kenny: J'ai l'impression que le propriétaire de la salle de quilles a d'autres clients, et que seules ces trois personnes sont allées au Festival de jazz. Or, il y en a d'autres de Shawinigan et de Sherbrooke qui s'y sont rendues.

Les pertes enregistrées ailleurs au pays ne sont pas aussi prononcées que les gains réalisés par les régions où ces événements ont lieu, n'est-ce pas?

M. Allan: À mon avis, les profits que réalise la région où se déroule l'événement doivent égaler les pertes que subissent les autres localités, bien qu'elles puissent être moins évidentes.

Le sénateur Kenny: Croyez-vous qu'elles le sont?

M. Allan: Je ne le sais pas.

Le sénateur Kenny: On soutient que les compagnies commanditent certains événements dans le but de se faire du capital politique. Elles ne vendent peut-être pas plus de cigarettes, puisqu'elles en auraient vendu autant à Vernon ou à Burnaby, en concentrant leurs activités à Montréal, Vancouver et Toronto, mais elles parviennent à acquérir un pouvoir politique énorme.

M. Allan: C'est un argument qui est souvent utilisé en économie. Prenons l'exemple des tarifs. On impose un tarif sur certains produits importés, ce qui a pour effet d'avantager une industrie en particulier. D'un côté, il y a un groupe de personnes qui tire profit de cette hausse, de l'autre, il y a les consommateurs qui souffrent parce que le produit coûte plus cher, mais ce n'est pas une grosse perte. Les économistes sont toujours en train de comparer les pertes subies par certains groupes et les profits réalisés par d'autres, c'est-à-dire les gens auxquels vous avez fait allusion.

Le sénateur Kenny: On pourrait dire la même chose des offices de commercialisation.

M. Allan: Exactement.

Le sénateur Kenny: Nous avons devant nous une sorte d'office de commercialisation politique, si vous me permettez l'expression. Êtes-vous d'accord? Est-ce que cela vous paraît logique? Il y a peut-être des motifs non pas économiques, mais politiques qui justifient cette démarche.

M. Allan: Je le pense aussi.

Le sénateur Kenny: Avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Fortin: Non.

Le sénateur Pearson: Monsieur Fortin, je trouve l'idée d'un fonds d'aide très intéressante. Il ne faudrait toutefois pas créer un programme d'aide comme celui du Conseil des arts du Canada, puisqu'il ne serait pas permanent. Ce serait tout simplement une mesure transitoire.

M. Fortin: Le fonds relèverait du ministère du Patrimoine, mais il serait administré de façon indépendante.

Le sénateur Pearson: C'est un facteur très important. Naturellement, j'aimerais qu'on augmente les fonds consacrés aux arts, mais c'est une autre question.

M. Fortin: Nous partageons les mêmes valeurs.

Le sénateur Pearson: Je crois que ce fonds permettrait de couper l'herbe sous le pied des compagnies de tabac.

M. Fortin: Ce qui m'inquiète, c'est que même si les gens finissent par souscrire au projet de loi et à la loi, une fois celle-ci entrée en vigueur, la commandite a suscité tellement de discussions qu'elle a eu pour effet de reléguer au second plan toutes les autres questions entourant ce projet de loi. Si nous ne créons pas un fonds d'aide, la loi elle-même n'aura pas beaucoup d'effet sur de grands pans de la population canadienne.

La présidente: Je vous remercie tous les deux pour vos exposés.

La séance est levée.


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