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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 56 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 9 avril 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-70, Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, la Loi de l'impôt sur le revenu, la Loi sur le compte de service et de réduction de la dette et des lois connexes, se réunit à 15 h 20 pour en faire l'étude.

Le sénateur Sharon Carstairs: (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bon après-midi, honorables sénateurs. Nous accueillons cet après-midi le ministre et on vient de m'informer qu'il a moins de temps à nous consacrer que je ne le croyais.

Par conséquent, pour la période de questions, j'accorderai préséance aux sénateurs de l'opposition par rapport aux sénateurs du gouvernement. De cette façon, ils seront sûrs de pouvoir interroger le ministre.

On me dit que le ministre n'a qu'une heure et quart à passer avec nous. J'avais cru comprendre qu'il pouvait rester jusqu'à 17 heures. Voilà pourquoi nous allons accorder priorité à l'opposition.

Bienvenue, monsieur le ministre. Veuillez présenter votre déclaration.

L'honorable David Dingwall, député, c.p., ministre de la Santé: J'ai suivi vos audiences avec intérêt. J'aimerais aborder certains points qui ont été soulevés et répondre à toutes questions que vous pourriez avoir.

Au cours des dernières semaines, vous avez entendu des personnes et des organismes qui ont exprimé divers points de vue sur des éléments relatifs au projet de loi C-71, lequel nous permettra de réglementer quatre aspects clés: l'accès, l'étiquetage, la réglementation du produit et la promotion du tabac.

Il y a seize mois, mon prédécesseur dévoilait un plan directeur, document de consultation, qui établissait les orientations législatives proposées par le gouvernement fédéral. Jusqu'ici, nous avons reçu environ 3 000 mémoires au sujet de la loi antitabac. Nombre d'organismes ont examiné attentivement le document et ont présenté des mémoires analytiques.

À la lumière de ces mémoires, nous avons tenu des consultations: avec les producteurs de tabac et les fabricants, distributeurs et détaillants de produits du tabac; les organismes culturels, y compris les représentants des principaux festivals; les associations de sport; et les principaux groupes nationaux du secteur de la santé. Nous avons également consulté les gouvernements provinciaux et territoriaux.

Pour la gouverne du comité, je souhaite déposer une liste des personnes qui ont soumis des mémoires exhaustifs, qui, j'en suis sûr, ne manqueront pas d'intéresser la greffière.

Lorsque nous avons pu tenir compte des préoccupations des parties intéressées sans compromettre nos objectifs en matière de santé ou aller à l'encontre des conseils de la Cour suprême, nous l'avons fait.

Lorsque les détaillants nous ont dit qu'il serait impossible d'appliquer dans la pratique la proposition du plan directeur visant à limiter l'étalage des cigarettes dans les commerces de détail à un paquet par marque, nous avons modifié notre approche.

Lorsque le projet de loi a été déposé, l'industrie du tabac nous a dit craindre que le projet de loi C-71 l'empêche de distribuer ses produits au-delà des frontières provinciales. Pour qu'il soit encore plus clair que la distribution des fabricants aux détaillants ne serait pas touchée, nous avons amendé la clause sur la distribution interprovinciale au moment de l'étude par le comité permanent de la Chambre.

Les producteurs craignaient que le projet de loi n'entrave inutilement les rouages internes de leur industrie. Au stade du rapport, nous avons modifié les clauses de définition et d'application du projet de loi pour leur donner l'assurance que celui-ci avait pour objet l'intérêt public et non les mécanismes internes de l'industrie.

Pour dissiper les craintes des fabricants d'accessoires de fumeur, comme les allumettes, nous avons modifié la clause pertinente pour confirmer que le gouvernement n'avait jamais eu l'intention de réglementer la distribution d'accessoires arborant des logos autres que ceux de compagnies de tabac.

Enfin, comme vous le savez tous, certaines des restrictions proposées à la promotion du tabac par la commandite n'entreront pas en vigueur avant octobre 1998. Ce délai de mise en application tient compte des préoccupations des groupes culturels et sportifs commandités par l'industrie du tabac.

Vous avez tous pris connaissance des modifications soumises par le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac. Celui-ci a proposé des modifications qui transformeraient, pour l'essentiel, le projet de loi dont vous avez été saisis en un projet de loi ressemblant fort à la Loi réglementant les produits du tabac qu'ils se sont débattus pour faire annuler par la Cour suprême.

Je suis sûr que tous les membres du comité ont le document suivant. Il s'agit d'un résumé de la liste de tous les amendements que l'industrie du tabac m'a demandé, à titre de ministre chargé du dossier, de mettre en oeuvre, et qui, essentiellement, nous ramèneraient précisément à la situation antérieure.

Vous avez entendu des opposants au projet de loi C-71 qui laissent entendre que le projet de loi n'est pas raisonnable. Un témoin a même dit qu'il était fondamentalement vicié et inconstitutionnel -- une réimposition des dispositions déclarées invalides par la Cour suprême. Il a même exprimé l'opinion qu'il est difficile d'imaginer une forme de promotion du tabac qui n'aurait pas pour effet de conduire l'annonceur en prison.

Lorsque j'ai comparu devant vous précédemment, j'ai parlé de ce que la loi autoriserait et interdirait. J'ai expliqué qu'elle avait été soigneusement pensée pour respecter les avis de la Cour suprême. Le projet de loi prévoit une série de restrictions détaillées de la promotion du tabac -- pas une interdiction totale. Les compagnies de tabac vont communiquer des informations à leurs clients adultes, mais le recours à des éléments de style de vie et à des mesures visant les jeunes sera assujetti à des restrictions.

Malgré les affirmations du contraire, je peux vous fournir des exemples des formes de promotion qui seront vraisemblablement permises en vertu de la nouvelle loi. Par exemple, cette annonce de la Player's Première est conforme à ce qui pourrait être attendu après l'entrée en vigueur de la loi. Comme vous pouvez le voir, la mise en garde se trouve dans le dixième le plus bas de la surface de l'annonce. Est-il déraisonnable de demander cela aux compagnies de tabac dans la foulée de cette mesure législative?

Lorsque les restrictions de la commandite entreront en vigueur en octobre 1998, nous pourrions voir des annonces comme celle-ci de la commandite de ski extrême par Export "A". Nous avons simplement descendu le nom commercial dans le dixième le plus bas de la surface de l'annonce. Ce modèle serait acceptable.

Je vais maintenant vous montrer ce qui ne serait pas acceptable. À mon avis, la différence n'est pas une différence déraisonnable.

Peut-être pourrait-on faire circuler cela aux membres du comité.

Le sénateur Jessiman: Je ne vois pas de différence.

La présidente: Pour plus de précisions, sénateurs, l'annonce dont le fond est brun est acceptable et celle dont le fond est blanc ne l'est pas.

Le sénateur Nolin: Monsieur le ministre, nous avez-vous montré l'annonce qui serait autorisée?

M. Dingwall: Oui. Pour vous montrer encore une fois ce qui serait raisonnable, vous pourriez également voir le plus grand coureur automobile du Canada, Jacques Villeneuve, dans une combinaison aux couleurs de la compagnie de tabac qui le commandite, mais sans son logo, comme c'est le cas quand il participe à des courses dans certains pays d'Europe.

Voilà de quoi l'annonce aurait l'air. Elle affiche les couleurs d'une compagnie de tabac, mais non son logo. C'est ce qu'on utilise en Europe.

J'aimerais également profiter de l'occasion qui m'est offerte pour réitérer ma volonté d'étudier la possibilité d'établir un mécanisme de pré-autorisation quelconque, qui permettrait d'évaluer les promotions au préalable pour en déterminer l'acceptabilité ou non. Je vois là une façon très efficace de procurer aux organisateurs d'événements les garanties dont ils ont besoin aux fins de planification. En dernière analyse, toutefois, ce projet de loi n'a pour objet ni les arts ni les sports. Il porte sur la santé.

Mme la juge McLachlin, en rédigeant la réponse de la Cour suprême du Canada concernant la Loi réglementant les produits du tabac, a affirmé que:

[...] même une infime diminution de l'usage du tabac peut entraîner un avantage important pour la santé des Canadiens et justifier une restriction de la liberté d'expression [...]

À mon avis, nous fixons des limites -- des limites raisonnables -- à la promotion du tabac pour protéger la santé des Canadiens, et en particulier des jeunes. Les stratégies de marketing du tabac créent et entretiennent la perception que l'usage du tabac est désirable, acceptable sur le plan social, sain et plus répandu dans la société qu'il ne l'est en réalité.

L'industrie elle-même ne le conteste pas. Par exemple, un document d'Imperial Tobacco ayant pour titre «Overview 1988» a été déposé en preuve devant la Cour suprême du Canada en 1995. On y affirme que les objectifs et la philosophie du marketing devraient être, et je cite, de:

[...] maintenir l'acceptabilité sociale de l'usage du tabac par les actions de l'industrie ou des sociétés (par ex.: qualité du produit, publicité axée sur un style de vie positif, activités sélectives sur le terrain, programmes de relations publiques et de marketing).

Par suite de révélations récentes aux États-Unis, les projecteurs ont été braqués sur les activités de marketing des compagnies de tabac. Il y a environ trois semaines, un fabricant de tabac américain, Liggett, a admis que l'industrie du tabac américaine vise expressément les jeunes. Le vice-président Gore a déclaré que la compagnie a «reconnu publiquement ce que nous savions depuis des années». D'autres résultats de recherche aux États-Unis confirment cette conclusion. Une enquête menée par le National Centre for Tobacco-Free Kids a révélé que 76 p. 100 des adolescents croient que les annonces de cigarettes les ciblent expressément.

Malgré l'intérêt de la nouvelle, la vraie question n'est pas de savoir que les compagnies de tabac visent sciemment les jeunes, mais de déterminer si leurs stratégies promotionnelles atteignent et influencent les jeunes. Nous savons qu'elles le font. Les jeunes sont constamment et partout exposés à des promotions du tabac. L'industrie conteste ces faits en prétextant que «personne n'a jamais commencé à fumer parce qu'il avait assisté à un événement commandité.»

Nous n'avons jamais prétendu que la relation entre la promotion et l'usage du tabac chez les jeunes est aussi simpliste. Assister à un événement commandité par une compagnie de tabac n'est qu'un exemple d'exposition à la promotion du tabac.

Qu'ils fassent la promotion de boissons gazeuses ou de cigarettes, les professionnels du marketing savent qu'aucune annonce ou promotion toute seule ne se traduira par des ventes instantanées. Ils savent que c'est l'effet cumulatif de leur stratégie promotionnelle -- et non une seule annonce ou une seule affiche -- qui en bout de ligne influence les consommateurs.

Dans le cas de la promotion du tabac, chacune des douzaines de marques au Canada cherche à faire adopter l'image de marque séduisante qui lui est propre.

Selon des experts du marketing, et je cite ici une étude réalisée par le professeur Richard Pollay:

L'analyse du contenu de la publicité montre que l'imagerie publicitaire de la cigarette consiste dans une large mesure en images de santé et d'indépendance, que l'industrie fait correspondre aux besoins d'autonomie et de liberté des adolescents.

Les enfants et les adolescents reçoivent de nombreux messages contradictoires, dont les promotions du tabac ne sont qu'un exemple. Souvent, ils reconnaissent les dangers du tabac, mais tendent à oublier ses effets à long terme sur la santé et à faire passer en premier des besoins immédiats comme celui de rester mince ou de faire comme les autres. La promotion du tabac, qu'elle consiste à montrer le paquet ou à faire connaître un événement commandité par une compagnie de tabac, renforce ces besoins et y répond.

L'Institut national du cancer du Canada s'exprime ainsi:

En résumé, des études qualitatives et quantitatives qui ont porté sur les effets de la publicité sur les adolescents donnent à penser que la teneur des messages publicitaires influence les attitudes, les croyances et les valeurs par rapport au tabac. Elle produit cet effet en mettant en valeur des bons côtés du tabagisme qui correspondent aux intérêts et aux préoccupations des adolescents, à savoir l'acceptation par les pairs, l'approbation sociale, l'indépendance et l'autonomie, l'image de soi, l'image corporelle, la recherche de l'aventure et le comportement normatif.

D'autres pays, comme la France et l'Australie, ont également reconnu l'existence d'un lien entre la publicité du tabac et le tabagisme. Le président Clinton a résolument entrepris aux États-Unis une démarche très semblable à celle du Canada en restreignant la publicité et la promotion du tabac à cause de leur effet sur les jeunes.

Chez nous, la Cour suprême du Canada a déjà reconnu le lien entre la publicité et l'usage du tabac, et elle a clairement confirmé que le gouvernement fédéral a le droit de limiter la publicité de ce produit. Cette loi est importante, cela est incontestable. Mais comme je l'ai déjà dit, ce n'est pas une panacée.

Il est évident qu'il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les gens commencent à fumer -- presque toujours quand ils sont jeunes -- ou continuent de fumer une fois adultes. Les décisions individuelles au sujet de chacune de ces questions sont fondées sur des facteurs qui incluent l'estime de soi, le prix du tabac, la mesure dans laquelle le fumeur est préoccupé par les effets de son habitude sur sa santé. D'autres facteurs sont les comportements des amis et de la famille, ainsi que les influences du milieu, comme les messages véhiculés par la promotion du tabac.

Nous savons aussi que la dépendance physique joue un grand rôle. Le Surgeon General des États-Unis a jugé que la nicotine crée autant une dépendance que l'héroïne ou la cocaïne.

De plus, quand elle a comparu devant votre comité, la présidente de l'Association médicale canadienne a confirmé que «les enfants sont plus vulnérables à la dépendance».

L'Organisation mondiale de la santé et les gouvernements nationaux dans le monde reconnaissent que la meilleure façon d'enrayer l'épidémie mondiale de tabagisme est d'adopter une approche globale de la lutte contre le tabac. C'est le genre d'approche que le Canada a adopté. Le gouvernement fédéral s'est adjoint de nombreux partenaires: tous les gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que les organismes non gouvernementaux à l'échelle nationale.

Bien que le Canada soit reconnu comme un chef de file mondial dans la lutte antitabac -- dans une large mesure grâce à ses mesures législatives --, nous avons aussi utilisé d'autres moyens. Au cours de vos audiences, diverses parties vous ont demandé souvent quel pourcentage de la réduction du nombre de personnes qui fument ou de cigarettes qu'elles fument est directement attribuable à l'une ou l'autre de nos mesures antitabac.

Ce serait bien si c'était si simple, mais ce ne l'est pas. La stratégie doit être examinée dans sa totalité, et même là, ce n'est pas tout. Les gouvernements et leurs partenaires ne sont que quelques-uns des acteurs. D'autres personnes, comme les parents et les êtres chers, ont également un rôle à jouer pour réduire le tabagisme.

En tant que ministre de la Santé, je m'inquiète que le pourcentage de personnes qui fument soit demeuré relativement constant au cours des dernières années. Je suis encore plus troublé quand on se sert de ce fait pour insinuer que les efforts du gouvernement ont été vains. Nous savons que nous avons aidé des gens à cesser de fumer. Nous savons que des jeunes ont décidé de ne pas commencer à fumer parce que des programmes à leur école les ont aidés à acquérir les aptitudes nécessaires pour mieux résister aux pressions sociales qui incitent à fumer.

Ces gens ne comptent-ils pas pour les critiques? Combien de Canadiens et de Canadiennes de plus fumeraient aujourd'hui si les gouvernements, fédéral, provinciaux et territoriaux, des organismes engagés aux niveaux national, provincial et régional, ainsi que des particuliers, avaient abandonné la lutte contre le tabac?

Votre appui permettra à la loi de devenir une pièce importante de la lutte antitabac au Canada. Nous commencerons maintenant à changer le contexte. Nous rendrons plus difficile pour les jeunes d'acheter des cigarettes. Nous ferons en sorte que les Canadiens reçoivent plus d'information sur les conséquences néfastes de l'usage du tabac. Nous limiterons l'exposition aux promotions qui communiquent le message qu'il n'y a pas de mal à fumer. Et nous serons prêts à réglementer les produits du tabac à mesure qu'évolueront nos connaissances de la science et du comportement des fumeurs au cours des mois et des années à venir.

Vous avez entendu le témoignage de nombreux particuliers et groupes qui s'opposent à ces mesures. La politique de lutte contre le tabagisme n'a jamais été facile. Nombre des arguments que vous avez entendus au cours des dernières semaines sont les mêmes auxquels mon prédécesseur, l'honorable Jake Epp, a fait face en 1987. Il ne s'agit pas de décisions faciles. Je ne me fais aucune illusion à ce sujet. Cela dit, il s'agit de mesures qui aideront à empêcher les enfants de commencer de fumer. Et je crois que les enfants canadiens méritent des politiciens qui sauront prendre les décisions difficiles qui sont essentielles pour leur santé.

Voilà qui met fin à ma déclaration liminaire, madame la présidente. Je ferai de mon mieux pour répondre aux questions des honorables sénateurs et si j'ignore la réponse à leurs questions, je serai assez honnête pour l'avouer.

Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur le ministre, je tiens à le répéter, pour que ce soit bien compris: que de notre côté, nous n'avons jamais été contre l'orientation et l'objectif du projet de loi. Comme vous l'avez signalé, ce projet de loi a vu le jour parce que celui du ministre Epp a été abrogé, en partie parce qu'il allait au-delà de ce que la majorité des juges de la Cour suprême du Canada jugeaient être des limites raisonnables. J'espère que le projet de loi à l'étude remédiera à cette situation.

Ce qui nous préoccupe dans ce projet de loi, c'est que son libellé soit très général, voire vague, et qu'il peut donner lieu à des interprétations contradictoires. Il s'agit essentiellement d'une déclaration d'intention générale plutôt que d'un guide précis sur les modalités à prendre pour concrétiser ses intentions. En grande part, elle ne peut être mise en oeuvre que par voie de réglementation.

Nous en avons déjà discuté, mais même vos collègues de votre parti dans l'autre endroit avaient de sérieuses réserves quant aux pouvoirs qui seraient conférés au gouverneur en conseil pour la mise en oeuvre de cette loi par voie de règlement. Par conséquent, un amendement a été proposé qui garantirait qu'aucun règlement n'entrerait en vigueur sans qu'il ne soit d'abord examiné par un comité de la Chambre des communes. C'est certainement un pas dans la bonne direction.

J'insiste sur ce point parce que je ne sais pas combien de gens comprennent que si le projet de loi est adopté tel que libellé, il donnera au gouvernement un droit de surveillance et de direction sur toutes les étapes de la fabrication d'un produit du tabac, qu'il s'agisse du contenu ou de la composition ou encore du conditionnement, de la mise en marché, de la publicité, de la promotion et de la vente au détail.

On nous demande de transformer le gouvernement en principal administrateur d'une industrie qui est légale au Canada. Jamais le gouvernement n'a intervenu ou souhaité intervenir dans une telle mesure ailleurs, ni encore de le faire par voie de règlement.

L'amendement selon lequel les règlements feraient l'objet d'un examen par la Chambre des communes m'apparaît être un pas dans la bonne direction. Toutefois, nous croyons qu'il faudrait qu'il soit libellé de façon que le Parlement soit obligé d'examiner ces règlements, au lieu de dire tout simplement que ces projets de règlements doivent être transmis à un comité, lequel est libre de présenter son rapport comme bon lui semble. Pour être plus précis, le projet de loi dit qu'un projet de règlement doit être déposé devant le Parlement et renvoyé à un comité, lequel peut faire enquête ou tenir des audiences publiques.

Nous estimons qu'il serait plus approprié que les règlements soient renvoyés au comité mixte d'examen de la réglementation. Nous estimons que ce comité a une vaste expérience de l'examen des règlements et il nous semble que c'est le choix logique pour l'examen des règlements. Au lieu d'adopter un texte qui rendrait optionnelle l'examen de la question la convocation de témoins, nous en ferions une obligation et nous dirions que le comité «doit» ouvrir une enquête et tenir des audiences publiques. On se féliciterait que le Parlement n'abdique pas totalement ses responsabilités quant à la mise en oeuvre de cette importante loi et qu'il aura au moins son mot à dire sur le réglage fin et les détails.

J'estime que s'il incombe au Parlement d'examiner les règlements, il doit être tenu de faire un examen véritable en tenant des audiences publiques et en entendant des témoins experts, non pas pour retarder la mise en oeuvre des règlements mais bien pour faire en sorte que l'objectif visé soit atteint. Les règlements devraient ensuite être renvoyés à la Chambre des communes. Il ne faudrait pas que le Sénat soit appelé en dernier lieu à donner son approbation. Que cette obligation repose avec la Chambre des communes. Le Sénat contribuerait à l'examen et la Chambre des communes aurait le dernier mot.

C'est un long détour pour en venir à la question. Toutefois, ce pouvoir de réglementation est un élément important de la loi que le gouvernement nous demande d'approuver.

Accepteriez-vous de modifier l'article 42.1 du projet de loi pour corriger les problèmes que je viens d'énumérer?

M. Dingwall: Honorables sénateurs, votre collègue vient de faire une intervention de fond que je prends très au sérieux.

Nous avons pris le temps voulu pour examiner très attentivement, avec les avocats du ministère de la Justice, la décision de la Cour suprême du Canada afin de veiller à ce que nous nous conformions aux directives de cette cour, autant que faire se peut.

Les préoccupations que vous venez d'exprimer sont celles que j'ai moi-même exprimées aux rédacteurs de la loi. Nous avons retourné l'avant-projet pour que de changements y soient apportés, particulièrement en ce qui concerne la certitude. Cela a été fait non seulement dans l'intérêt de l'industrie mais aussi dans celui des groupes oeuvrant dans le secteur de la santé et de tous les citoyens du pays.

Les projets de règlement sont normalement publiés dans la Gazette du Canada. Nous avons renforcé les exigences pour que les règlements ne deviennent pas indûment écrasants lorsque les objectifs du projet de loi ne sont pas atteints ou ses exigences respectées.

Par conséquent, nous avons dit très clairement dès le départ que nous allions consulter l'industrie et tous les groupes intéressés quant au contenu des règlements avant que ces derniers ne soient publiés dans la Gazette du Canada.

Dans un troisième temps, nous avons inclus un mécanisme de pré-autorisation afin de donner aux organisateurs d'événements la possibilité d'obtenir très rapidement et efficacement une décision préalable afin d'éviter toute infraction aux règlements ou à la loi. Voilà à notre avis les trois principaux éléments du projet de loi et des règlements d'application.

Enfin, nous avons fait mention d'un comité parlementaire. Il ne m'appartient pas, madame la présidente, de décider de ce que le comité peut faire. Cependant, je ne crois pas qu'un comité qui se verrait renvoyer ce dossier prendrait la chose à la légère.

Je suis convaincu que l'industrie et les groupes oeuvrant dans le secteur de la santé seront toujours vigilants. Si les règlements doivent être modifiés ou faire l'objet d'un examen, je suis convaincu qu'ils s'empresseront de venir présenter des arguments bien ficelés. Je souhaiterais ne pas en venir à cela, à moins que cela ne soit absolument nécessaire. Je souhaite que tous les intéressés puissent être consultés rapidement, après publication dans la Gazette et l'enclenchement des mécanismes d'autorisation préalable, afin de pouvoir prendre en compte les préoccupations des particuliers et des organisations, quels qu'ils soient, à l'égard du projet de loi et des règlements.

Je prends très au sérieux ce que vous venez de dire. Nous avons beaucoup fait pour que vos préoccupations puissent être prises en compte grâce au processus que nous avons mis en place.

Le sénateur Lynch-Staunton: Soyons bien clairs. Peu importe ce qui sera accepté à l'unanimité par les parties en ce qui a trait aux règlements, ces derniers doivent néanmoins être approuvés par un comité de la Chambre des communes. Nous sommes d'accord là-dessus, mais nous voulons faire en sorte que le comité de la Chambre des communes fasse une véritable enquête. Nous souhaitons que cela soit une obligation et non pas une option. Nous semblons être d'accord sur le but visé.

J'ai une autre préoccupation, dont j'ai parlé avec M. McNaught, concernant les perquisitions et les saisies. Le projet de loi permet à un inspecteur de procéder à la visite de tout lieu sans la permission du propriétaire et de l'occupant et, sans mandat, de saisir toute chose dont il a des motifs raisonnables de croire qu'elle a servi ou donné lieu à une infraction à la loi.

Il me semble excessif de donner à une personne le pouvoir de faire la visite de tout lieu, autre qu'un local d'habitation, sans mandat, et de lui donner le droit de saisir toute chose, sans la permission du propriétaire de la chose ou de la personne qui en a la charge. Il faut un mandat pour saisir des drogues illégales. Je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas une protection égale de la loi pour les drogues légales. Je sais qu'une réponse sera donnée à cette question.

Comme M. McNaught l'a dit, il y a des lois fédérales qui s'appliquent, de sorte que si un inspecteur est témoin d'une violation d'un code sanitaire, il peut saisir les biens contaminés sans délai. Toutefois, la personne qui a la charge des biens a habituellement un permis. Les conditions dont sont assortis les permis, si cela concerne les aliments, par exemple, stipulent que ces marchandises doivent être conservées dans un état propre à la consommation. Dans ce cas-ci, nous parlons de personnes qui n'ont pas de permis ou d'autorisation du gouvernement fédéral pour s'adonner à leurs activités. Cependant, ces personnes s'engagent, par l'entremise du Parlement, à faire l'étalage et la publicité de leurs marchandises d'une certaine façon. Si elles violent ces obligations, alors il me semble que le gouvernement doit à tout le moins exiger l'obtention d'un mandat avant que les biens ne soient saisis.

Une fois les biens saisis, il appartient au propriétaire de ces biens de s'adresser aux tribunaux et de leur présenter des arguments en vue de la restitution de ces biens. On impose au propriétaire des biens des obligations que nous sommes nombreux à trouver injustes. Qu'en dites-vous?

M. Dingwall: Honorables sénateurs, la question a déjà été posée et M. McNaught y a répondu.

Si ma mémoire est fidèle, plusieurs des témoins qui ont comparu devant le comité ont donné leur aval aux dispositions relatives au mandat réglementaire et ont essentiellement affirmé que le projet de loi, notamment aux articles que vous avez mentionnés, les articles 34 à 42, ne viole pas la Charte.

Je tiens à signaler d'abord qu'aux termes de l'article 34 du projet de loi, le ministre a le pouvoir de désigner des personnes. Ensuite, il n'y a pas de différence appréciable entre cette loi et la Loi sur les aliments et drogues. Enfin, aux fins de la poursuite, un mandat devra être obtenu d'un juge de paix.

Vous avez tout à fait raison de dire que le propriétaire doit présenter une requête pour obtenir la restitution de marchandises qui ont été dûment saisies. Ce n'est pas un fardeau indu. Si l'on juge par la suite que le comportement de l'inspecteur était déraisonnable, on peut toujours demander une injonction ou demander au tribunal d'émettre un mandamus pour que le comportement soit corrigé.

Je prends bonne note de vos arguments, mais je ne suis pas d'accord pour dire qu'il s'agit d'un fardeau indu.

Le sénateur Lynch-Staunton: Le fait qu'il y a des dispositions semblables dans d'autres lois n'est pas suffisant pour les justifier. Dans d'autres lois nous avons prévu le renversement du fardeau de la preuve. C'est le cas dans le projet de loi de contrôle des armes à feu que nous avons adopté et cela se retrouve dans ce projet de loi aussi. Nous ne croyons pas qu'il est acceptable que le Parlement renverse le fardeau de la preuve pour le faire porter aux particuliers. Le gouvernement a des pouvoirs suffisamment grands. Il ne doit pas priver les particuliers de la protection minimale qui leur est garantie.

Dans ce cas-ci, un inspecteur peut saisir un produit du tabac ou «toute autre chose». Aucune précision n'est donnée quant à la nature de la chose. On ne précise pas que la «chose» doit être liée aux produits du tabac. Au cours de la visite autorisée en vertu de cette loi, l'inspecteur peut saisir toute chose -- notamment un produit du tabac -- dont il a des motifs raisonnables de croire qu'elle a servi ou donné lieu à une infraction à la présente loi.

Cela l'autorise à entrer où il veut et à saisir n'importe quoi. Si au moins le projet de loi disait «doit s'adresser à un juge pour obtenir un mandat en motivant sa requête», comme c'est normalement le cas, il pourrait ensuite aller saisir ce que bon lui semble. Mais dans ce cas-ci, nous lui donnons carte blanche. C'est ensuite le propriétaire des marchandises qui doit trouver le moyen d'obtenir la restitution de ces biens. Ces derniers sont entreposés et l'inspecteur n'a même pas à porter d'accusation. Rien dans ce projet de loi ne dit que l'inspecteur doit porter une accusation contre le propriétaire pour une quelconque violation de la loi.

Cela confère à l'inspecteur des pouvoirs extraordinaires qui peuvent conduire à des excès. Si mon interprétation est juste, je crois que le Parlement n'agirait pas de façon responsable s'il permettait l'adoption de pareille disposition.

M. Dingwall: Nous devrons admettre nos divergences d'opinion là-dessus.

Le sénateur Lynch-Staunton: Contestez-vous la justesse de mon interprétation?

M. Dingwall: Je ne partage pas les conclusions que vous avez tirées ici aujourd'hui. Comme je l'ai dit, mon interprétation du projet de loi tel qu'il est libellé a été validée par les experts qui ont comparu devant vous et par les hauts fonctionnaires du ministère de la Justice détachés auprès de mon ministère. Nous ne partageons pas vos conclusions à cet égard.

C'est toujours la Couronne qui a le fardeau de la preuve. La Couronne doit établir une preuve hors de tout doute. Cela reste. La jurisprudence est claire. Voilà pourquoi les experts qui ont comparu devant vous vous ont dit que tout est comme il se doit.

Le sénateur Lynch-Staunton: Rien dans le projet de loi n'indique que la Couronne doit établir une preuve. Tous les articles qui traitent de cela disent que le propriétaire dont les biens ont été saisis doit se présenter devant un juge et le convaincre de restituer ses biens, après quoi la Couronne interviendrait et présenterait ses propres arguments.

J'imagine le cas d'un propriétaire de dépanneur dont l'étalage de produits du tabac contreviendrait à la loi. Mettons qu'au lieu d'avoir un paquet, si c'est ce que la loi autorise, il aurait dix cartouches. L'inspecteur, à juste titre, pour des motifs raisonnables, constate la violation. Il entre dans le magasin et saisit tout, obligeant le commerçant à fermer ses portes.

J'estime que la loi, telle qu'elle est rédigée, l'autorise à faire cela. Cela ne devrait pas être autorisé et j'espère que vous admettrez que le projet de loi doit être modifié pour préciser que pareille chose ne serait pas autorisée.

M. Dingwall: Je vais demander à M. McNaught de répondre à cette question précise.

M. Chris McNaught, conseiller juridique, Services juridiques, Santé Canada: Après avoir entendu les commentaires du ministre et ceux du sénateur Lynch-Staunton lors de la première séance et encore aujourd'hui, j'ai l'impression, si je peux me permettre de reprendre une métaphore populaire au printemps, d'avoir à vider les buts. Je n'aurai pas l'arrogance de croire que je frapperai un coup de circuit. Je ferai tout mon possible pour tirer tout cela au clair, si je le puis.

Le sénateur a raison de s'inquiéter du sort du petit détaillant. Il faut replacer cette question dans son contexte. La saisie, dans le contexte de la politique d'exécution de la loi du ministère, n'est pas une activité capricieuse ou conditionnée; c'est une action qui intervient après des visites antérieures et des lettres d'avertissement.

Vous avez demandé pourquoi une accusation ne serait pas portée. Autrement dit, pourquoi l'affaire n'est-elle pas renvoyée devant les tribunaux? Cela semblerait normal. C'est une question qui se comprend bien. Cependant, encore en ce qui a trait à la politique du ministère, la poursuite intervient en dernier recours. Ce mandat n'a pas pour but de faciliter les mises en accusation. Dans de nombreux cas -- et je pourrais peut-être vous donner quelques exemples --, la saisie est appropriée pour permettre l'exécution des responsabilités administratives normales de l'organisme de réglementation, sans que le contribuable et la personne visée par l'action réglementaire ne soient assujettis au coût et à la lourdeur de la poursuite.

Par exemple, si à l'avenir un produit frelaté était découvert, il serait approprié de le saisir comme c'est le cas en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. Cependant, il ne serait peut-être pas approprié, compte tenu des circonstances, d'entamer une poursuite. Comme l'a dit à juste titre le sénateur, il s'agira peut-être d'un petit dépanneur. Pourquoi faudrait-il de l'avis du procureur général entamer une poursuite dans pareil cas? Or, il est dans l'intérêt du public de saisir un produit dangereux pour la santé, sans qu'il soit nécessaire d'entamer des poursuites.

Lorsqu'un inspecteur a visité les locaux d'un petit commerçant à plusieurs fois et qu'il a vu des indices d'infractions ou constater l'absence de panneaux d'avertissements relatifs à la santé en dépit des exigences de la loi, alors une saisie pourrait être faite. Dans ce cas-là aussi il ne serait peut-être pas nécessaire d'entamer une poursuite.

Dans ce contexte, j'aimerais citer quelques faits pour le compte rendu. D'abord une citation du professeur Schabas qui a comparu devant vous le 1er avril. Commentant les dispositions relatives aux perquisitions et aux saisies, il a dit:

Elles ne me choquent pas. Elles ressemblent à des dispositions que nous trouvons dans des lois semblables qui n'ont pas été invalidées. Nous permettons que des préposés entrent dans nos maisons pour vérifier les compteurs d'électricité et d'eau. Voilà le genre d'activité qui est permise et particulièrement parce qu'elle n'est pas... un cas de poursuite [...]

Excusez-moi d'utiliser une locution latine, sénateur, mais a fortiori si nous permettons à une personne d'entrer dans nos maisons sans mandat pour faire la lecture du compteur d'électricité, pourquoi un détaillant réglementé qui vend un produit potentiellement létal s'opposerait-il à une visite sans mandat d'un inspecteur, lorsqu'il s'agit d'un produit dangereux?

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne veux pas me lancer dans ce genre de discussion parce que, si je voulais jouer au petit malin, je répondrais que si nous n'avons pas payé notre facture, il n'est pour autant autorisé à sceller le compteur. L'inspection est une chose, mais ce qui nous dérange, c'est la confiscation des marchandises. Je pense avoir été convaincant.

Monsieur le ministre, si vous ne modifiez pas le projet de loi, j'espère que l'une ou l'autre des nombreuses petites boutiques qui se trouvent dans votre circonscription, et j'en connais d'ailleurs quelques-unes, n'aura pas un beau jour à fermer ses portes pour n'avoir pas respecté la loi. Étant donné la formulation actuelle du texte de loi, cela pourrait fort bien arriver.

M. Dingwall: Madame la présidente, je suis tout à fait convaincu que les petits dépanneurs de ma circonscription respecteront aussi bien l'esprit que la lettre de la loi. J'ai la certitude qu'il n'y aura jamais de poursuites de ce genre dans mon beau comté de Bras d'Or.

Le sénateur Lewis: S'agissant de la saisie des marchandises en vertu de l'article 39, le sénateur Lynch-Staunton a mentionné «saisir toute chose». Si nous lisons cet article plus attentivement, nous constatons qu'il dit ceci:

[...] peut saisir toute chose [...] notamment un produit du tabac [...] dont il a des motifs raisonnables de croire qu'elle a servi ou donné lieu à une infraction à la présente loi.

L'inspecteur ne peut pas saisir tout et n'importe quoi, il ne peut confisquer que les choses qui ont donné lieu à infraction.

Le sénateur Lynch-Staunton: Cela reste néanmoins très vague.

Le sénateur Nolin: Merci, monsieur le ministre, pour cette nouvelle comparution. J'aurais quatre petites questions à aborder, mais ce sont néanmoins des questions importantes pour ceux qui sont directement intéressés.

En ce qui concerne l'article 8(1), nous avons entendu de nombreuses interventions concernant l'utilisation du mot «fournir» en français et «furnish» en anglais. Ce sont les détaillants et les producteurs de tabac qui ont été les plus nombreux à le faire valoir.

Ces gens ont lu votre circulaire de février, celle dans laquelle vous dites que la loi n'a pas pour but de poursuivre un travailleur qui est un jeune selon la définition donnée par la loi. Il n'empêche qu'ils réclament des assurances à ce sujet.

Ils ont d'ailleurs proposé un petit amendement qui préciserait les choses. Cet amendement consisterait à ajouter à la fin de l'article 8(1) la phrase suivante: «Sauf si le jeune en question est à l'emploi du grossiste ou du détaillant et si le produit du tabac n'est pas destiné à sa consommation personnelle».

Voilà une précision qui me semble raisonnable. Je voulais avoir votre avis à ce sujet avant que nous n'entamions demain l'étude article par article et savoir si vous accepteriez une disposition de ce genre.

Ma deuxième intervention a trait à l'article 12 qui concerne les appareils distributeurs. Un groupe de gens d'affaires dont c'est le domaine nous ont dit que ce ne serait peut-être qu'un problème de libellé. De fait, les distributrices seront autorisées dans les bars pourvu qu'il y ait un mécanisme quelconque, une télécommande par exemple, qui permette aux responsables de vérifier l'identité de quiconque veut se servir de la machine pour acheter un paquet de cigarettes. Ces gens -- je pense que leur argument est sensé -- ont le sentiment que cette disposition est un peu inique. Si les épiceries, les dépanneurs et les pharmacies ont le droit de vendre des cigarettes, pourquoi un appareil distributeur ne pourrait-il pas être installé dans un restaurant pourvu qu'il soit muni d'une télécommande. Pour ces gens-là, l'installation et l'entretien des machines distributrices de cigarettes dans les restaurants représentent près de 50 p. 100 de leur chiffre d'affaires. Le reste représente les machines qui sont installées dans les bars.

Ce groupe a donc lui aussi proposé un amendement dont je n'ai pas le texte précis sous les yeux mais que je proposerai demain. Mais avant d'essayer de convaincre mes collègues, j'aimerais savoir si selon vous ce genre de disposition serait raisonnable. Je pense que ce serait plus juste pour ces gens-là et je ne crois pas que cela change en quoi que ce soit l'intention poursuivie.

Ma troisième intervention a trait à l'article 29 qui concerne les rabais. Les détaillants nous ont dit, en premier lieu, que leur marge bénéficiaire est très mince, de l'ordre de 1 p. 100. Pour eux, le tabac représente souvent près de 60 p. 100 -- parfois même 80 p. 100 -- de leur chiffre d'affaires, et ils nous ont dit que s'ils payaient leurs commandes à la livraison, le distributeur, le grossiste ou le fabricant leur concédait automatiquement un rabais.

Demain, je recommanderai à mes collègues un amendement restreignant l'application de l'article 29 aux consommateurs, ce qui exclurait donc les relations commerciales qui existent déjà entre les fabricants, les distributeurs et les détaillants. Je suis convaincu que vos fonctionnaires ont déjà entendu parler de ce problème.

M. Dingwall: Pourriez-vous être un peu plus précis?

Le sénateur Nolin: Je proposerai que l'article 29 ne s'applique qu'au niveau du consommateur, à l'exclusion donc des transactions entre un fabricant et un détaillant. Les détaillants nous ont expliqué que leur marge bénéficiaire était très mince et qu'ils obtenaient du fabricant un rabais d'environ 2,5 p. 100 s'ils payaient à la livraison.

M. Dingwall: Votre amendement concernerait donc le fabricant et le détaillant, mais non pas le consommateur, n'est-ce pas?

Le sénateur Nolin: L'article 29 ne concernerait que le consommateur sans toucher aux rabais couramment offerts aux détaillants. Cela semble raisonnable, mais avant de défendre ma thèse demain matin, j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Enfin, je vous renvoie à l'article 66 relatif à l'entrée en vigueur. Selon le texte actuel, l'article 66 ne parle que de l'entrée en vigueur des paragraphes (2) et (3) de l'article 24. Puisque le projet de loi reste muet en ce qui concerne l'entrée en vigueur du texte complet, nous en revenons à la règle habituelle qui dit que sitôt qu'un projet de loi reçoit la sanction royale, il acquiert force de loi. L'entrée en vigueur est donc immédiate.

Il me semble qu'il devrait y avoir une période transitoire comme c'était le cas dans le projet de loi de M. Epp. Pour ce qui est des panneaux publicitaires le long des routes, les gens du métier nous ont dit que sitôt la loi adoptée, tous ces panneaux deviendraient illégaux. Je sais que la réglementation ne sera pas en place au moment même où le projet de loi recevra la sanction royale mais, techniquement parlant, tous ces gens deviendront ipso facto -- même si c'est un terme que je ne tiens pas à utiliser -- des criminels. Ce serait effectivement le cas à en juger d'après les articles concernant les délits et les sanctions.

Je voudrais dès lors proposer un amendement qui permettrait au gouverneur en conseil de décider de la date d'entrée en vigueur du projet de loi. Le conseil des ministres aurait ainsi le pouvoir de décider, lorsque tous les éléments seront mis en place, de la date effective d'entrée en vigueur. Je suis convaincu qu'avec tous les moyens dont vous disposez, vous pourriez vérifier auprès de tous les intervenants avant de prononcer l'entrée en vigueur.

Voilà donc mes quatre petites questions. Voudriez-vous nous donner votre avis?

M. Dingwall: Honorables sénateurs, je suis ici à titre d'invité et il n'appartient pas à un invité de dire à des sénateurs ce qui peut ou ne peut pas être adopté.

Le sénateur Nolin: Je voulais simplement vérifier.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous sollicitons votre concours.

M. Dingwall: Je ne suis qu'un simple passant dans ce dossier.

Je vais devoir vérifier ce qu'il en est au juste. Pour ce qui est de l'article 29 et du rabais, d'après les chiffres qui ont circulé, certains détaillants pensent qu'ils pourraient y perdre beaucoup. Bien sûr, il faut faire l'adéquation entre cela et ce qu'il en coûte au niveau de la santé publique, ce qui est énorme -- 3,5 milliards de dollars -- par rapport au chiffre qu'ils avancent pour leur perte, c'est-à-dire 60 millions de dollars.

Sénateur, je pense que nous répondons bien à votre préoccupation. L'article 29 doit être mis en corrélation avec l'alinéa 18(2)c). Le projet de loi porte en effet que la partie IV concernant la promotion ne s'applique pas aux promotions qui accompagnent les transactions entre producteurs, fabricants, distributeurs et détaillants tant et aussi longtemps que ces promotions ne se répercutent pas, directement ou indirectement, au niveau des consommateurs. Je pense donc que nous répondons ici à votre préoccupation.

Pour ce qui est d'une période de transition pour les panneaux publicitaires, nous devons être très précis. La réalité est que, dans ce secteur d'activité, tout le monde était au courant. Sitôt que le texte de notre collègue et ami M. Epp a été jugé inconstitutionnel, le gouvernement publia en novembre 1995 son plan d'action pour un train complet de mesures destinées à limiter l'usage du tabac. Tout le monde était au courant. Cela ne fut une surprise pour personne. Nous avons multiplié les consultations partout au Canada. Les dispositions et les axes porteurs du projet de loi étaient donc bien connus.

Si vous voulez que nous donnions suite à ce que vous dites au niveau de la réglementation plutôt que dans le corps même du projet de loi, je suis prêt à m'y engager. Cela étant, je ne vois pas la nécessité de modifier le projet de loi.

À l'article 8, vous appelez l'attention sur le terme «fournir». Lorsque la question a été évoquée pour la première fois à la Chambre des communes, j'avais bien précisé que les employés, les jeunes et les moins jeunes n'auraient pas d'inquiétude à avoir pour ce qui est de la vente d'un produit. Sous l'angle du droit, un employé n'acquiert aucun intérêt lorsqu'il ou elle agit pour le compte du détaillant en acceptant une livraison ou un retour de marchandise. C'est le détaillant lui-même qui a une obligation légale et non pas son employé.

Le meilleur exemple que je pourrais vous donner est celui de la Régie des alcools de l'Ontario. Si une chose de ce genre se produisait dans un magasin de la Régie, il n'y aurait pas non plus de responsabilité légale. Notre circulaire répond à cette objection.

Pour ce qui est de la réglementation sur les appareils distributeurs, il faut bien se souvenir qu'en 1992, il y avait au Canada plus de 62 000 machines de ce genre. En travaillant de concert, les provinces et le gouvernement fédéral ont réussi à en faire disparaître 57 000. On n'en compte plus actuellement qu'environ 4 200. Ce que nous voulions faire avec cet article, c'est imposer des transactions en personne, surtout là où on risque de trouver des jeunes.

Au Canada, dans certaines régions, il est permis aux mineurs d'entrer dans certains établissements où on vend de l'alcool. Bien sûr, ces établissements ne peuvent pas leur en servir, mais dès lors qu'ils seraient sur les lieux, ils pourraient avoir accès à des appareils distributeurs. C'est donc cela que nous voulions faire avec cet article 12 et ses différents paragraphes.

Le sénateur Nolin: Pour revenir à la question des appareils distributeurs, cet impératif de la transaction en personne se concrétiserait étant donné que la transaction serait sous le contrôle de la personne qui commande la machine. Ainsi donc, ce genre de dispositif de télécommande a reçu l'aval du ministère. S'il y a doute quant à l'âge de la personne qui demande de pouvoir utiliser la machine, le ou la responsable du dispositif de télécommande n'a qu'à demander une pièce d'identité, comme n'importe quel préposé dans un dépanneur, dans une pharmacie ou tout autre magasin.

La majorité de ces 4 000 appareils distributeurs se trouve au Québec. Tous ceux qui sont venus nous parler de ce problème venaient de cette province, où il s'agit d'un commerce tout à fait légitime. Ces gens-là sont favorables à votre projet de loi. Ils veulent simplement qu'il soit modifié, sans pour autant battre en brèche l'intention poursuivie. Et bien entendu, ils approuvent cette notion de transaction en personne et c'est la raison pour laquelle ils ont fait valoir l'idée d'un dispositif de télécommande. Je pense que c'est quelque chose de tout à fait raisonnable. C'est la raison pour laquelle je proposais cet amendement mineur, mais je ne pense pas que nous y arrivions.

Pour ce qui est des commandites, nous pouvons, je pense, convenir que nous ne sommes pas d'accord. Nous avons entendu des témoins nous parler de toutes sortes de documents, d'études, de travaux de recherche, d'opinions et autres articles de journaux. Pour finir, lundi dernier, nous avons entendu le témoignage du Dr Smith, un psychologue. Cet expert nous a dit que pour se former un avis, il ne tablerait que sur les textes de référence écrits par ses homologues. Il a proposé de transmettre au comité une bibliographie, et nous la recevrons lundi. J'attendrai donc de la recevoir pour me faire une opinion.

Je ne présenterai demain au comité aucun amendement relatif aux commandites mais, si je le juge nécessaire, j'en proposerai un au Sénat même lors de la troisième lecture, et ce sera probablement un amendement du genre de celui qui avait été proposé par le Ralliement pour la liberté des commandites. Vous avez probablement lu cet amendement, que j'estime d'ailleurs, quant à moi, raisonnable, d'autant plus qu'il s'impose volontairement de nombreuses restrictions.

M. Dingwall: Sénateur, vous pourriez peut-être nous rappeler la teneur des propositions de ce groupe.

Le sénateur Nolin: En effet, j'ai ce texte ici. Avons-nous également le texte du mémoire?

La présidente: Si nous l'avons, nous pouvons le faire reproduire rapidement.

Le sénateur Nolin: C'est un long amendement qui se rapporte, bien entendu, à l'article 24. Je vais vous le lire.

(2) Les promotions en commandite autorisées sont régies par les restrictions suivantes:

a) la représentation du produit du tabac ou d'un emballage de tabac est interdite;

b) des éléments d'une marque liée au tabac ne peuvent être représentés sur plus de 20 p. 100 de la surface utilisée pour la promotion en commandite, ni apparaître dans un caractère plus grand que celui utilisé pour le nom de l'événement;

c) aucune promotion en commandite ne peut apparaître dans une publication ou une émission dont la clientèle ou l'auditoire adulte est inférieur à 85 p. 100;

d) aucune promotion en commandite ne peut être affichée à moins de 200 mètres de l'enceinte d'une école primaire ou secondaire;

e) aucune promotion en commandite ne peut représenter un mannequin professionnel ayant moins de 25 ans;

f) les matériels promotionnels pour des événements en commandite ne peuvent être placés en plein air que pendant les trois mois qui précèdent l'événement en question et pendant le mois qui suit sa clôture.

Vous devez en avoir un exemplaire.

La présidente: Excusez-moi, mais nous n'en avons pas ici.

Le sénateur Nolin: Vous pouvez tirer une photocopie de mon texte.

Si je compare cela à ce qui se trouve dans le projet de loi, je pense que c'est tout à fait raisonnable. Je ne demande même pas de preuve formelle. Aucun expert ne nous a dit qu'il y avait un lien entre les commandites et l'âge auquel on commence à fumer. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Dingwall: Sénateur, vous qui êtes quelqu'un d'éminemment raisonnable, vous devrez admettre que nous qui nous sommes penchés sur le dossier avec tous ses tenants et aboutissants, nous sommes laissés guider par la Cour suprême du Canada. Ce n'est pas moi qui le dit. La Cour suprême du Canada a jugé, en tablant sur le simple bon sens, que la promotion, la commandite et la publicité étaient intimement liées à la consommation.

Le sénateur Nolin: Monsieur le ministre, la version antérieure de la loi n'interdisait nullement les commandites.

M. Dingwall: Laissez-moi poursuivre si vous voulez bien.

Le sénateur Lynch-Staunton: Tout ce qui concernait de la commandite était donc absent du recours devant les tribunaux.

M. Dingwall: Le Ralliement nous a déjà livré le même argument auparavant. Nous avons étudié son argumentation, nous avons étudié les quatre grandes composantes des stratégies de marketing, et qu'il s'agisse de Nike ou de Coca-Cola, nous sommes intervenus à ce sujet. Nous sommes intervenus au niveau du prix. Peut-être ne sommes-nous pas intervenus suffisamment au niveau du prix, mais le prix est ce qu'il est aujourd'hui, selon tous les renseignements et toutes les preuves que la GRC a pu nous communiquer, parce que nous ne voulions pas réanimer la contrebande.

Nous avons regardé la question des emplacements, et là aussi, nous avons imposé des restrictions. Nous avons étudié toute la question des promotions et, encore, nous avons imposé des restrictions.

Sénateur, il ne fait pour mois aucun doute, même si ce n'est peut-être pas le cas pour tout le monde, que ces publicités étaient faites à proximité des écoles sous les auspices mêmes du code que l'industrie du tabac s'était elle-même imposé et qu'elle n'a pas respecté. Il y avait des publicités visibles à beaucoup moins de 200 mètres ou de 200 pieds des écoles. La plupart des gens sensés ne diraient pas que ce genre de publicité s'adresse aux personnes âgées. Je pense que nous savons tous à qui elles s'adressent, elles s'adressent aux jeunes gens. Vous non plus, vous ne direz pas que cette publicité s'adresse aux personnes âgées.

Le sénateur Gigantès: Pourrions-nous y jeter un coup d'oeil de plus près?

M. Dingwall: Sénateur, vous venez d'ajouter de l'eau à mon moulin. Les jeunes ont le même genre de réaction. Les jeunes gens veulent ressembler aux personnes qu'ils voient dans cette publicité, ils trouvent que c'est cool.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pensez-vous que les jeunes gens vont commencer à fumer parce qu'ils ont regardé ce genre de publicité?

M. Dingwall: Regardez donc cela. Est-ce que cela séduit de la même façon les personnes âgées?

Le sénateur Lynch-Staunton: Mais est-ce qu'ils commencent à fumer?

M. Dingwall: Je dirais moi, que ce genre de publicité n'évoque rien pour les personnes âgées. C'est une publicité directe qui sert à rendre la cigarette séduisante pour les jeunes gens. Tous les jeunes gens, pendant leurs années formatrices, 14, 15 et 16 ans, veulent être plus vieux. Ils se pensent invulnérables et c'est à cela qu'ils veulent ressembler.

Pour répondre à votre question précise, sénateur, je pense qu'effectivement, cela touche les gens.

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce que le fait de voir une annonce publicitaire semblable ou celle d'un commanditaire fabricant de tabac va inciter une personne à commencer à fumer?

M. Dingwall: Comme je l'ai dit lors de mon exposé, je ne pense pas qu'un seul événement, une publicité ou une annonce précise puisse déclencher l'envie de commencer à fumer chez une jeune personne. C'est l'effet cumulatif qui joue. On a créé un milieu où fumer est cool et acceptable: «J'ai 14 ans, je suis une jeune fille et à l'abri de tout risque lié à la santé.» C'est ainsi que pensent les jeunes. Lorsqu'on parle à des adolescents, c'est ce qu'ils vous répondent.

J'étais en Ontario pendant la fin de semaine et j'ai entendu deux jeunes filles de 14 et 15 ans, une nageuse et l'autre joueuse de basket-ball, le dire très clairement. Leur environnement, qu'il s'agisse des affiches, de la documentation publicitaire ou de tous les accessoires qui l'accompagnent, présentent le tabagisme comme une option attrayante pour les jeunes, et ces derniers veulent faire pareil. Sénateur, c'est l'effet cumulatif de toutes ces publicités qui jouent, mais pas un seul événement ou une seule annonce.

Le sénateur Beaudoin: Au sujet de la promotion, vous avez distribué des affiches. J'aimerais vérifier quelque chose auprès de vous. Les 10 p. 100 se trouvent-ils dans le paragraphe 24.(2)? Autrement dit, ces dispositions se trouvent dans le projet de loi mais pas dans le Règlement? De toute façon, je pense que c'est mieux ainsi. Mais est-ce bien le cas?

M. McNaught: C'est un exemple parfait de la façon dont la loi s'applique sans passer par les règlements. Avec ses annonces publicitaires actuelles, il est évident que l'industrie du tabac comprend ce que 90 p. 100 et 10 p. 100 représentent.

Le sénateur Beaudoin: C'est très clair dans ce cas-là. Dans le cas de Villeneuve et la question du logo, le terme «logo» est-il défini dans le projet de loi ou n'est-ce pas un problème sur le plan pratique?

M. Dingwall: Non, ce n'est pas un problème dans la pratique.

Le sénateur Beaudoin: Si ce n'est pas un problème, c'est très bien.

L'article 3 prévoit ce qui suit:

La présente loi lie sa Majesté du Chef du Canada ou d'une province.

Je n'ai rien à redire à cela. Toutefois, à moins de me tromper, je ne vois dans la loi aucune obligation de la part de la Couronne en Chef du Canada de faire quoi que ce soit dans le domaine de l'éducation des jeunes. Je sais que cette question est du ressort provincial et c'est très important.

M. Dingwall: Si vous recommandez au gouvernement fédéral d'assumer de nouvelles responsabilités en matière d'éducation, je le ferai.

Le sénateur Beaudoin: Non. C'est pourquoi j'ai dit cela. Toutefois, dans ce domaine précis, rien n'empêche le gouvernement du Canada ou le Chef du Canada de prendre des mesures en créant un fonds ou en faisant quelque chose en vue de sensibiliser la population. Je ne parle évidemment pas des universités, des cégeps ou autre. En général, rien n'empêchera le gouvernement du Canada d'agir car la Constitution lui confère le pouvoir de dépense à cet égard. Il n'y a pas d'obligation mais cela ne veut pas dire que le gouvernement ne peut pas le faire. J'aimerais qu'une obligation soit imposée au gouvernement à ce titre. Est-ce exprès que ce n'est pas prévu dans le projet de loi?

M. Dingwall: Non, ce n'est pas fait exprès. Le train global de mesures que nous avons proposées en nous fixant des objectifs législatifs est clair. Nous avons également annoncé que des fonds seraient réservés aux fins de mieux informer les jeunes gens dans tout le pays au sujet des risques que présente le tabagisme pour la santé.

Quant à nos études et nos enquêtes, nous avons constaté que les méthodes traditionnelles appliquées par les écoles ou les déclarations faites par ceux qui occupent des postes à responsabilité ne sont pas très efficaces. Il vaut beaucoup mieux faire participer des jeunes aux campagnes de sensibilisation des autres jeunes. L'influence des camarades est un facteur déterminant dans la décision que prennent les jeunes de commencer à fumer.

Le gouvernement du Canada a dépensé des sommes considérables à collaborer avec divers groupes dans le pays en vue de diffuser cette information et de leur permettre de faire la promotion nécessaire pour convaincre les jeunes. Permettez-moi de vous citer un exemple.

Dimanche, j'ai assisté à une réunion d'un groupe d'élèves de sixième année qui vont préparer leur propre vidéo sur les risques du tabagisme. Dans bien des cas, les risques dont ils parlent et qui sont liés à la consommation de tabac ne sont pas les mêmes que ceux auxquels pensent les adultes. Ils disent par exemple: «Cela me brûle les yeux. Ça pue. Le tabac vous jaunit les doigts et les dents.» Ce genre de renseignements fournis par d'autres jeunes peuvent être communiqués de manière beaucoup plus efficace que l'information émanant d'un adulte ou d'une personne en situation d'autorité. C'est ainsi que nous comptons travailler avec ces groupes dans tout le pays. De nombreuses demandes ont été présentées en vue de mettre au point ce processus éducatif.

Le sénateur Beaudoin: Dans ma question, je voulais mettre l'accent sur un élément positif: l'éducation. C'est une chose d'adopter des lois, mais il faut faire davantage si nous voulons rallier les jeunes à notre cause.

Le sénateur Jessiman: Les règlements que vous avez promulgués jusqu'ici ne sont qu'une proposition, n'est-ce pas? Autrement dit, ils ne sont pas encore en vigueur. Une fois le projet de loi adopté, vous adopterez les règlements qui en découlent?

M. Dingwall: Si je vous ai bien compris, oui, nous avons consulté divers intervenants lors de l'élaboration des règlements et nous continuerons de le faire. Il faut ensuite que les règlements soient publiés dans la Gazette du Canada, de sorte qu'il y aura d'autres consultations. Il est prévu dans le projet de loi un mécanisme de pré-autorisation pour venir en aide à divers groupes et les règlements seront ensuite examinés par un comité permanent de la Chambre des communes.

Le sénateur Jessiman: Vous avez peut-être répondu à ma question, mais je n'ai pas bien compris.

Ce que vous avez promulgué jusqu'ici s'appelle un projet de règlement?

La présidente: Je pense que le terme «promulgué» n'est pas le bon à employer.

Le sénateur Jessiman: C'est ce que j'ai lu.

La présidente: Je ne le pense pas. Les règlements ont pu être distribués ou publiés, mais pas promulgués.

Le sénateur Jessiman: Très bien, il s'agit de projets de règlements.

M. Dingwall: Dans un esprit de collaboration avec les divers intervenants, nous leur avons fait parvenir à l'avance les projets de règlements à l'étude. Il est utile pour eux comme pour nous de tenir ce genre de consultations.

Le sénateur Jessiman: J'en conviens. Une fois la loi entrée en vigueur -- c'est-à-dire après que le projet de loi serait adopté --, vous promulguerez des règlements, n'est-ce pas?

M. Dingwall: Après avoir suivi le processus normal, oui.

Le sénateur Lynch-Staunton: Puis il faudra que ce soit soumis à la Chambre des communes.

Le sénateur Jessiman: Oui. Est-ce exact?

M. Dingwall: Oui.

Le sénateur Nolin: Pas au Parlement, seulement à la Chambre des communes.

Le sénateur Gigantès: Le sénateur Lynch-Staunton ne veut pas que le Sénat en soit saisi.

La présidente: Ce n'est pas ce qu'a dit le sénateur Lynch-Staunton. Ce n'est pas le moment d'en parler. Le sénateur Jessiman a une question à poser.

Le sénateur Jessiman: Vous avez dit que votre ministère a examiné l'affaire RJR-Macdonald c. le procureur général du Canada dont le compte rendu occupe une centaine de pages. Dans la décision majoritaire rendue par la Cour suprême, Mme la juge McLachlin a déclaré qu'il est difficile de concevoir que la présence d'un logo du tabac sur un briquet, par exemple, puisse accroître la consommation, et pourtant ce genre de chose est interdite. Elle a déclaré que l'article 8 de la loi ne remplit pas le critère du lien logique.

Vous dites que la publicité de Jacques Villeneuve est acceptable. Est-ce qu'il faudrait respecter le critère du 10 p. 100 en dessous de ce produit? Est-ce que l'image en elle-même est acceptable si le nom du fabricant se trouve au-dessus ou doit-il figurer en dessous?

M. Dingwall: Non.

Le sénateur Jessiman: Vous supprimez le logo même si Mme la juge McLachlin a estimé que cela serait acceptable sur les briquets.

M. McNaught: Il existe une distinction nette entre un accessoire et ce qui sert à la promotion. En fait, notre loi respecte tout à fait la décision de Mme la juge McLachlin. En vertu de la loi, le logo peut paraître sur le briquet.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Les remarques que je vais faire sont un peu dans la foulée de celles du sénateur Beaudoin. Quand vous regardez ce projet de loi, c'est un projet de loi essentiellement de prohibition ou un projet de loi de défense pour atteindre les objectifs que je partage.

[Traduction]

Je partage vos objectifs et, dans l'ensemble, j'approuve le projet de loi. Je vous félicite de nous en avoir présenté un résumé aussi clair. Toutefois, je pense qu'il aurait fallu y ajouter une disposition concernant l'éducation. Parlons des adolescents. C'est un projet de loi qui interdit tout.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Tout le volet de l'éducation est absent. Je n'ai pas d'amendement à vous proposer. À l'article 60, paragraphe 7...

[Traduction]

Il n'est peut-être pas trop tard pour ajouter à l'article 60, qui porte sur les accords, une disposition selon laquelle il est possible également de conclure des accords avec les provinces relativement à des mesures éducatives concernant les non-fumeurs, ou quel que soit le nom qu'on leur donne.

Vous savez aussi bien que moi que les adolescents veulent fumer pour prouver qu'ils sont plus malins que leurs parents ou que les personnes qui les entourent. Si vous voulez vraiment que cette loi ne leur donne pas l'impression de tout leur interdire, il faudrait peut-être leur faire comprendre qu'il importe d'avoir le sens des responsabilités. Je sais que vous prévoyez mettre sur pied des programmes d'information, et cetera, mais si les choses étaient dites plus clairement, le projet de loi ne donnerait pas une impression aussi négative. Les jeunes auraient l'impression que l'on prend des mesures positives pour les aider et leur faire accepter les limites qu'on leur impose.

M. Dingwall: Vous avez raison, sénateur. Ce projet de loi ne se limite pas à une simple interdiction. Si nous pensons pouvoir atteindre nos objectifs simplement en imposant des interdictions, nous nous trompons lourdement.

Sur un autre plan, nous collaborons avec les gouvernements provinciaux à la préparation de divers accords, et notamment dans le secteur de l'application de la loi. Certaines provinces s'en chargeront dans certains secteurs.

En matière d'éducation, nous essayons de travailler en collaboration avec les provinces et les institutions non gouvernementales, et notamment la Société canadienne du cancer et des groupes nationaux et provinciaux pour les jeunes. C'est là que doivent porter nos efforts, tant pour ce qui est de l'interdiction que de l'éducation.

Notre première priorité consiste à modifier le milieu actuel où la publicité et la promotion entourant le tabac occupent une place si importante. Il faut les atténuer si nous voulons que les programmes d'éducation soient plus efficaces.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je n'ai aucune objection aux mesures que vous prenez pour modifier le milieu, et cetera. Ce projet de loi aurait donné une impression plus positive si vous y aviez ajouté:

[Français]

[...] un volet sur l'éducation et le travail de collaboration avec les provinces dans ce domaine.

[Traduction]

Cela aurait donné un ton plus positif au projet de loi.

Le sénateur Doyle: Monsieur le ministre, je dois dire que je trouve ce projet de loi trop timide et trop axé sur l'idée d'éviter les interdictions. Personnellement, j'aurais été beaucoup plus direct. Toutefois, j'ai jeté un coup d'oeil aux publicités que vous avez distribuées. J'ai été frappé par celle qui présentait un éclaté d'une cigarette et expliquait ce qui était bien dans cette cigarette. Au verso, il est dit que ce genre d'image pourrait être autorisé, moyennant quelques légères modifications. On me dit aussi que cette cigarette ne perd rien en goût et irrite moins la gorge. Elle offre des qualités de dispersion. Je n'ai jamais entendu parler de ce genre de choses. Encore une fois, on précise que l'irritation est moindre. Moindre par rapport à quoi? Moins irritante que quoi? Cela se fonde sur des recherches effectuées auprès de fumeurs. Quels fumeurs? Moi, par exemple?

Cette représentation pseudo-scientifique ne devrait pas nous faire rire, à mon avis. L'adolescent qui essaie de convaincre sa mère qu'il a trouvé une belle cigarette ne présentant aucun risque et offrant des qualités de dispersion pourra trouver un argument valable au deuxième essai et le trouvera peut-être même plus convaincant que de regarder des étoiles du hockey. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait interdire totalement ce genre de publicité qui prétend que cette cigarette est bonne pour la santé?

M. Dingwall: Vous prêchez à un convaincu, sénateur. En effet, le produit est à notre avis très dangereux pour la santé. Il existe de nombreuses preuves, qui ont été présentées à votre comité en d'autres occasions, quant aux effets du tabac.

Malheureusement, sénateur, je dois respecter la décision de la Cour suprême du Canada. Celle-ci nous a dit, au gouvernement, au Parlement et à moi-même, que, dans les limites raisonnables, il faut permettre aux fabricants du produit de présenter celui-ci aux Canadiens.

Si nous avions su il y a des années ce que nous savons aujourd'hui au sujet du tabagisme, je suis certain que ce produit serait illégal. Toutefois, il faut tenir compte de la réalité, comme vous le savez, monsieur, à savoir qu'un grand nombre de Canadiens sont des fumeurs invétérés. Nous ne pensions pas que la solution consiste à adopter une loi draconienne qui aille à l'encontre de la décision de la Cour suprême du Canada.

Je comprends parfaitement le sens de vos observations quant aux effets nocifs de ce produit. C'est très mauvais également pour les jeunes lorsque les vedettes dans divers domaines sont partisanes du tabagisme. Cette publicité représente une incitation supplémentaire à commencer à fumer.

Le sénateur Doyle: J'ai toujours du mal à croire que la Cour suprême du Canada puisse invoquer les qualités de dispersion comme motif au tabagisme.

Le sénateur Haidasz: Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir comparu devant le comité cet après-midi.

C'est l'un des projets de loi les plus complets que j'ai eu l'occasion de voir depuis 40 ans que je suis parlementaire. Il y a des milliers de gens comme moi-même qui sont mécontents qu'on y consacre tant de temps et d'efforts pour cibler la publicité et les événements sportifs commandités par les fabricants de tabac.

La science a beaucoup progressé depuis que le Dr Normand Delarue, mon professeur de chirurgie à l'Université de Toronto, est arrivé à la conclusion en 1947, après avoir effectué des centaines d'opérations thoraciques, que les cigarettes sont à l'origine de ces cancers. C'est à cause des taux élevés de nicotine et de goudron que 45 000 personnes meurent chaque année prématurément à cause du tabac. Ce problème entraîne des dépenses directes en matière de santé de 3 milliards de dollars.

Les économistes de la santé, et notamment un de votre ministère qui est actuellement détaché à l'Organisation mondiale de la santé à Genève, ont estimé que les dépenses indirectes totales du tabagisme avaient coûté environ 22 milliards de dollars à notre économie dans les années 80. Outre cet énorme coût financier, il faudrait cibler le coût humain des 45 000 décès prématurés chaque année et des centaines de milliers de maladies cliniques liées au tabac, monsieur le ministre.

Je sais que vous vous y êtes préparés dans votre projet de règlement, mais dans les observations que vous nous avez faites cet après-midi, vous nous avez dit que vous êtes disposé à réglementer les produits du tabac à mesure que notre connaissance de la science et du comportement du consommateur évolue, dans les mois et années à venir. Nous savons depuis 50 ans que les maladies sont dues au taux élevé de nicotine et de goudron dans les cigarettes. Pourquoi faut-il attendre si longtemps pour adopter des règlements précis pour obliger les fabricants à produire des cigarettes dont le taux de nicotine est inférieur à celui qui crée la dépendance, et le taux de goudron est inférieur à celui qui commence à provoquer des cancers et d'autres maladies?

M. Dingwall: Sénateur, vous êtes depuis longtemps un défenseur d'une législation meilleure et plus efficace concernant le tabac dans notre pays. Je tiens à vous remercier de vos efforts. J'espère que nous avons utilisé à bon escient les dispositions que renfermait votre projet de loi d'initiative parlementaire et les autres renseignements que vous avez fournis lors de la rédaction de ce projet de loi.

Vous avez raison de dire, sénateur, que la science est très avancée à l'heure actuelle. C'est elle qui nous a menés à ce que nous savons aujourd'hui. Nous espérons en apprendre davantage grâce aux nombreuses études réalisées dans le monde entier.

Vous avez parlé de l'Organisation mondiale de la santé, qui a adopté une résolution l'an dernier. La majorité des 193 pays présents effectuent actuellement leurs propres enquêtes et évaluations scientifiques, auxquelles nous avons accès. Forts de cette nouvelle information, les décideurs seront mieux à même de modifier ce projet de loi ou d'adopter de nouvelles lois portant sur les terribles maladies dues au tabagisme.

Je vous remercie de votre travail dans le dossier du tabac. Vos efforts se sont révélés très utiles pour notre ministère.

La présidente: Merci, monsieur le ministre.

La séance est levée.


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