Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 59 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 17 avril 1997
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel est renvoyé le projet de loi C-27, modifiant le Code criminel (prostitution chez les enfants, tourisme sexuel impliquant des enfants, harcèlement criminel et mutilation d'organes génitaux féminins), se réunit aujourd'hui à 11 h 02 pour en faire l'examen.
Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Aujourd'hui, nous commençons notre étude du projet de loi C-27, Loi modifiant le Code criminel (prostitution chez les enfants, tourisme sexuel impliquant des enfants, harcèlement criminel et mutilation d'organes génitaux féminins).
Nous accueillons aujourd'hui des représentantes du ministère de la Justice: Carole Théberge, conseillère juridique de la Section de la politique pénale, Lucie Angers, conseillère juridique pour la même section et Carole Morency, Section de la famille, des enfants et des adolescents.
Nous vous souhaitons la bienvenue parmi nous aujourd'hui. J'espère que vous passerez quelques minutes à nous donner certaines précisions sur le projet de loi. Les sénateurs auront ensuite des questions à vous poser. Si vous voulez bien commencer.
Mme Lucie Angers, conseillère juridique, Politique pénale, ministère de la Justice: Comme vous l'avez proposé, nous sommes prêtes à vous fournir certaines indications sur le projet de loi. Nous nous ferons ensuite un plaisir de répondre à vos questions.
Le projet de loi C-27 porte sur trois aspects du droit où des modifications s'imposent. Il s'agit de la prostitution chez les enfants, y compris le tourisme sexuel impliquant des enfants et l'exploitation sexuelle des enfants, le harcèlement criminel et la mutilation d'organes génitaux féminins.
Tous ces aspects concernent la violence faite aux femmes et aux enfants. On a souligné à plusieurs reprises au niveau national et international la nécessité de s'occuper du problème de la violence faite aux femmes et aux enfants. J'aborderai chacun des trois aspects sur lesquels porte le projet de loi.
Tout d'abord, en ce qui concerne le tourisme sexuel impliquant des enfants, le projet de loi autoriserait le Canada à poursuivre ses citoyens et ses résidants permanents impliqués dans la prostitution des enfants à l'étranger. À l'heure actuelle, les Nations Unies travaillent à un projet de protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l'enfant, sur la vente d'enfants, la prostitution et la pornographie juvéniles. Le Canada a ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant en 1991, et nous prenons une part active au développement d'un protocole facultatif constructif se rapportant à la Convention relative aux droits de l'enfant.
[Français]
Notre travail sur le Protocole facultatif à la convention, ainsi que notre participation à Stockholm, l'an dernier, au Congrès mondial sur l'exploitation sexuelle d'enfants à des fins commerciales, nous a permis de réaliser qu'il existe déjà un consensus, au niveau international, qui nous permet de modifier notre législation afin de pouvoir poursuivre nos citoyens et résidents permanents lorsqu'ils sont impliqués dans l'exploitation sexuelle d'enfants à des fins commerciales, ou ce que certains appellent le tourisme sexuel impliquant des enfants.
Toutefois, ce même consensus semble plus difficile à développer en droit international en ce qui a trait à l'exploitation sexuelle d'enfants à des fins non commerciales. En effet, les États participant aux discussions sur le Protocole facultatif à la convention ne s'entendent pas, à l'heure actuelle, sur la définition de ce crime qui peut englober tant les contacts sexuels, l'inceste que la pornographie juvénile. C'est pour cette raison que le projet de loi C-27 impose des exigences procédurales supplémentaires dans le cas de crimes d'exploitation sexuelle d'enfants à des fins non commerciales commis à l'étranger par des Canadiens.
[Traduction]
Deux exigences procédurales sont imposées dans le cas de l'exploitation sexuelle des enfants à des fins non commerciales, à laquelle se livrent des Canadiens à l'étranger. Premièrement, l'État étranger où un citoyen canadien ou un résident permanent commet une infraction relative à l'exploitation sexuelle non commerciale des enfants doit demander au Canada d'entamer des poursuites criminelles. Deuxièmement, le procureur général de la province où se trouve le présumé contrevenant est tenu de consentir à ce que des poursuites soient intentées au Canada.
Ces exigences permettront au Canada de s'assurer de la coopération de l'État étranger pour recueillir des preuves et faire en sorte que la poursuite intentée au Canada réussisse, tout en protégeant le principe de la souveraineté de l'État étranger.
Le deuxième aspect sur lequel porte le projet de loi, qui se rattache à la question du tourisme sexuel impliquant des enfants, est la prostitution chez les enfants. Les mesures suivantes sont prises en ce qui concerne la prostitution chez les enfants: tout d'abord, la création d'une nouvelle infraction de proxénétisme grave qui prévoit des peines sévères pour ceux qui vivent des produits de la prostitution d'enfants et qui usent de violence à leur égard en plus de les aider et de les encourager à se livrer à la prostitution à des fins de profit. On a jugé qu'une peine minimale de cinq ans d'emprisonnement était essentielle pour bien faire comprendre à quel point on désapprouve une conduite aussi abominable.
[Français]
Deuxièmement, le projet de loi modifie l'article du Code criminel qui traite de l'obtention des services sexuels d'une personne de moins de 18 ans. Des consultations nationales sur la prostitution ont révélé que cet article était difficile à mettre en application dans certaines provinces. En effet, cet article exige la preuve que la personne de qui les services sexuels ont été obtenus avait moins de 18 ans lorsque l'infraction a été commise.
Or, cette preuve est difficile à obtenir puisque, dans la majorité des cas, les jeunes refusent de témoigner par crainte de représailles de leur proxénète. Pour cette raison, le projet de loi propose de modifier l'article de façon à permettre l'utilisation d'agents doubles ou d'autres personnes, par exemple des prostitué(e)s plus âgé(e)s, qui viendraient témoigner à l'effet qu'ils se sont fait demander les services sexuels d'une personne âgée de moins de 18 ans. Une présomption vient faciliter la preuve de l'infraction.
Troisièmement, toujours dans le domaine de la prostitution impliquant des jeunes, le Code criminel serait modifié de façon à faciliter les choses pour les jeunes qui veulent témoigner contre leurs clients ou proxénètes. Ces protections existaient déjà pour certains jeunes plaignants qui témoignaient devant le tribunal sous forme de mesures telles que le témoignage derrière un écran, l'utilisation de bandes vidéo et l'ordonnance limitant la publication de l'identité des jeunes.
[Traduction]
En ce qui concerne le deuxième aspect dont traite le projet de loi, le harcèlement sexuel, le projet de loi C-27 consoliderait les dispositions de 1993 déjà prévues par le Code criminel. Le projet de loi énoncerait qu'une personne qui commet un meurtre après avoir harcelé sa victime, si elle avait l'intention de faire craindre à la victime pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances, par exemple ses enfants, pourrait être trouvée coupable de meurtre au premier degré.
Le projet de loi propose également que le tribunal qui détermine la peine à infliger à une personne déclarée coupable de harcèlement, si elle a contrevenu ainsi à une ordonnance préventive, soit tenu de considérer une telle violation comme une circonstance aggravante.
Enfin, le projet de loi C-27 permettrait de donner suite au problème de la mutilation des organes génitaux féminins. Cette pratique constitue déjà une infraction en vertu de la disposition du Code criminel relative aux voies de fait graves, punissable par un maximum de 14 années d'emprisonnement. Cependant, par souci de clarté, le projet de loi C-27 inclut spécifiquement la mutilation des organes génitaux féminins dans la définition de «blessure» ou «mutilation», prévue à l'article 268. Personne ne peut consentir à la mutilation d'organes génitaux féminins, qui entraîne des lésions corporelles.
Cette modification au Code criminel aidera entre autres les ministères de la Justice, de la Santé, de la Condition féminine, de la Citoyenneté et de l'Immigration et du Patrimoine canadien à produire des documents d'information publics sur les aspects juridiques, culturels et relatifs à la santé de la mutilation des organes génitaux féminins.
[Français]
Maintenant, madame la présidente, madame Morency, madame Théberge et moi-même sommes à votre disposition pour répondre à toute question que vous aurez concernant le projet de loi C-27.
Le sénateur Beaudoin: Je dois vous avouer qu'au départ, je suis plutôt favorable à cette mesure. La première question que j'aurais à poser concerne l'article 741 du Code criminel. Évidemment, le Canada, depuis le statut de Westminster, peut légiférer de façon extraterritoriale. Et l'amendement que vous proposez comporte un article qui a une application extraterri- toriale. Le gouvernement canadien peut le faire et je suis favorable à cela. Mais l'application de cette disposition législative me préoccupe. Cela va bien quand ce sont des pays comme les États-Unis, la France, l'Angleterre, l'Amérique du Sud, l'Europe, mais on peut s'interroger sérieusement sur les difficultés d'application de cette mesure dans des pays qui ne sont pas réputés pour leur sévérité en matière de tourisme sexuel.
On les connaît, en général, les pays qui ne sont pas réputés pour leur sévérité en matière de tourisme sexuel impliquant des enfants et desquels les autorités canadiennes doivent solliciter la collaboration. J'aimerais qu'on me rassure sur ce plan. Comment va fonctionner ce système dans certains pays? Nous avons besoin de leur collaboration pour poursuivre les contrevenants. On a besoin de leur collaboration pour détecter les crimes. Allez-vous me le dire? C'est mieux que rien. Je suis d'accord avec vous. Mais a-t-on tout de même des chances de réussir dans certains pays dont la réputation n'est pas tellement évidente?
Mme Angers: Vous soulevez une question extrêmement importante qui nous a été posée lors de notre comparution devant le comité de la Chambre des communes. Ce problème se pose d'ailleurs pour les pays qui ont adopté une telle législation d'une portée extraterritoriale, comme l'Australie, la Belgique, la Nouvelle-Zélande, et cetera. Cette question aussi est soulevée dans les forums internationaux; par exemple, nous assistons aux réunions du groupe de travail sur le Protocole facultatif à la Convention sur les droits de l'enfant. Il s'agit d'un problème. Il est certain qu'une des raisons pour lesquelles les États ont adopté une loi à ce sujet, est parce qu'ils considéraient que les pays dans lesquels ces pratiques sévissaient n'étaient peut-être pas assez équipés ou pas nécessairement intéressés à poursuivre les cas de la façon appropriée.
Et la plupart des pays, vous vous en doutez bien, ont des lois qui interdisent d'avoir des relations sexuelles avec des jeunes de moins de 18 ans lorsqu'il y a un échange d'argent. Donc cette position est interdite dans la plupart de ces pays. Comment peut-on mettre ces lois en application lorsque la police ou l'État n'est pas toujours intéressé à cause des devises qui sont apportées dans le pays et qui peuvent supposément aider le pays à se développer un peu plus?
Par contre, dans les forums internationaux, ces pays sont de plus en plus conscients de l'impact considérable qu'a le tourisme sexuel impliquant des enfants sur leurs propres ressources. Cela coûte très cher d'avoir une partie de la population qui souffre du sida, qui a des problèmes de santé, qui n'est pas éduquée. Avoir toute une partie de la génération montante qui ne peut pas aider au développement du pays, c'est important.
Par exemple, les Philippines et la Thaïlande ont maintenant décidé d'être beaucoup plus sévères à l'égard de tels crimes commis par des étrangers dans leur pays. C'est ainsi que le tourisme sexuel est un phénomène qui se déplace d'un pays à l'autre.
Maintenant, il y en a moins aux Philippines ou en Thaïlande, mais il se développe supposément au Laos, au Cambodge. Les pays s'en rendent compte et il y a un certain effort fait pour poursuivre les crimes dans leur propre pays.
Vous vous posez la question suivante: qu'est-ce qui se passe si nous décidons de poursuivre en justice lorsque nous constatons que le pays ne peut pas le faire? Vous connaissez très bien la façon dont on traite les crimes contre l'humanité, par exemple les crimes de guerre. Évidemment, cette procédure est coûteuse puisqu'on envoie des commissions rogatoires dans le pays pour essayer de recueillir les témoignages ou sinon, essayer de faire venir le témoin au Canada.
Le pays va nous assurer de sa collaboration, d'abord en signant le Protocole facultatif à la Convention sur les droits de l'enfant. Si le pays signe, il s'engage à avoir une certaine coopération entre les États et, aussi, même dans la mesure où le protocole facultatif n'est pas terminé, le pays nous assure de sa collaboration avec des mesures telles que les relations entre les ambassades se poursuivent.
Par exemple, si nous entendons parler d'un cas qui s'est produit en Thaïlande ou aux Philippines, nous essayons, par les voies diplomatiques, de contacter informellement le pays et nous leur demandons quelles sont leurs intentions. Les autorités ont-elles l'intention depoursuivre en justice? Avez-vous l'intention de poursuivre? Si tel est le cas et si on pense que ce sera fait de la bonne façon, évidemment, le pays où le crime a été produit a le premier titre de juridiction. S'ils ne sont pas intéressés, à cause du projet de loi C-27, nous pourrions leur dire: «Écoutez, nous pouvons le faire chez nous, on va essayer d'obtenir des preuves, on va vous envoyer des policiers, et cetera.»
De cette façon, par l'intermédiaire des canaux diplomatiques et en ayant recours à la pression internationale, on pourrait traiter cette question.
Le sénateur Beaudoin: C'est très bien, et je suis content que vous me citiez deux ou trois pays où la situation s'améliore, parce que ce n'est pas facile dans certains pays.
[Traduction]
Le sénateur Pearson: Il y a maintenant de plus en plus de jurisprudence dans ce domaine. L'Australie a déjà été saisie de plusieurs causes, tout comme la Suède et d'autres pays. Comme on l'a déjà indiqué, la coopération avec les Philippines et la Thaïlande a été excellente. Il existe des gens dans ces pays qui profitent de ce mouvement, qui a vraiment pris de l'ampleur grâce au Congrès de Stockholm, pour créer leur propre loi qui sera même meilleure que la nôtre ou qui correspondra davantage à la nôtre.
Il est important de souligner qu'à l'occasion de l'assemblée des Nations Unies l'automne dernier, tous les États membres des Nations Unies ont convenu à l'unanimité de poursuivre le travail amorcé à Stockholm et d'adopter le programme d'action de Stockholm, qui constitue l'une de ses principales plates-formes.
De plus, aujourd'hui, 190 pays ont ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant. Les trois seuls pays qui ne l'ont toujours pas fait sont Cook Islands, qui a certaines difficultés à s'organiser; la Somalie, pour des raisons évidentes, entre autres parce qu'elle n'a pas de gouvernement; et les États-Unis.
Le sénateur Beaudoin: Les États-Unis? Cela est très étonnant.
Le sénateur Pearson: Ce sont les trois seuls pays qui n'ont pas ratifié la convention.
Le sénateur Jessiman: J'ai appris qu'il existe un projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-246. Êtes-vous au courant de ce projet de loi? J'ai appris qu'il accorde une portée extraterritoriale à un plus grand nombre de lois criminelles du Canada ayant trait à la prostitution des enfants et s'appliquerait à davantage de gens, par exemple, non seulement à des citoyens canadiens, comme le prévoit le présent projet de loi, mais aussi à ceux qui sont habituellement résidants du Canada ainsi qu'aux personnes présentes au Canada à la suite de l'infraction.
Pourquoi le gouvernement a-t-il adopté une approche plus restrictive dans le projet de loi C-246 pour ce qui est de définir ceux à qui s'appliqueraient les modifications proposées?
Cette approche ne limite-t-elle pas l'efficacité proposée du projet de loi? Pourquoi en limiter la portée uniquement aux citoyens et aux résidents permanents tel que les définit la Loi sur l'immigration? Vous n'en avez pas élargi la portée aux proxénètes, par exemple, qui pourraient également être des citoyens canadiens ou des résidents permanents.
Y a-t-il des mesures en vigueur ou prévues concernant les activités de voyagistes ou d'agences de voyage qui font la promotion du tourisme sexuel à l'étranger? Je suis étonné de constater que ce genre d'individu existe. Je fais souvent affaires avec des voyagistes. J'ignorais qu'il existait des agences de voyage qui s'occupent de tourisme sexuel.
Pouvez-vous répondre à toutes ces questions, je vous prie?
Mme Angers: Oui. Vous parlez du projet de loi C-246, qui est le projet de loi de Mme Gagnon du Bloc québécois.
Le sénateur Jessiman: Oui.
Mme Angers: La portée du projet de loi proposé par Mme Gagnon était beaucoup plus vaste. Il comporte deux éléments: premièrement, il vise les résidents permanents et les citoyens canadiens comme le fait le présent projet de loi et mentionne également toute une série d'infractions prévues par le Code criminel. Cependant, le comité de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes a décidé de suivre les recommandations formulées par certains témoins afin d'inclure dans le projet de loi C-27 révisé par le comité non seulement le tourisme sexuel impliquant des enfants -- c'est-à-dire la prostitution enfantine -- mais aussi une liste de plusieurs autres infractions mentionnées également dans le projet de loi de Mme Gagnon. Par exemple, il y a maintenant l'expérience sexuelle non désirée, les contacts sexuels, l'agression sexuelle par une personne en situation d'autorité, et cetera. Nous traitons de certaines infractions supplémentaires prévues par le Code criminel qui figuraient dans le projet de loi de Mme Gagnon.
Le sénateur Jessiman: Et les proxénètes?
Mme Angers: En ce qui concerne votre deuxième question à propos des proxénètes, ils sont visés par le projet de loi. Tout citoyen canadien ou résident permanent du Canada est assujetti au projet de loi comme n'importe qui d'autre, peu importe qu'il s'agisse ou non d'un proxénète. Si les proxénètes se livrent à des activités visées par le projet de loi, ils sont assujettis au projet de loi. Il ne fait aucun doute que les proxénètes seraient visés par le projet de loi.
Le sénateur Jessiman: Vous dites qu'ils sont visés par le projet de loi.
Mme Angers: Oui, c'est effectivement ce que je dis.
Par ailleurs, en ce qui concerne les voyagistes canadiens qui offrent des voyages organisés au Canada, cette activité est déjà visée par le Code criminel. Le Code criminel renferme un article relatif au proxénétisme.
Le sénateur Jessiman: Cela ne figure pas dans le projet de loi mais figure ailleurs dans le Code criminel.
Mme Angers: C'est déjà dans le Code criminel.
Le sénateur Jessiman: La situation est-elle la même pour les voyagistes?
Mme Angers: Oui, quiconque incite quelqu'un à aller à l'étranger pour se livrer à des activités sexuelles illicites.
Le sénateur Jessiman: Les proxénètes seraient-ils visés par ce projet de loi ou par d'autres dispositions?
Mme Angers: Les proxénètes seraient visés en raison de leur statut de citoyen canadien ou de résident permanent du Canada.
Le sénateur Gigantès: Vous avez employé l'expression «se livrer à ces activités». Est-ce que cela inclut le fait de faciliter à un tiers l'exercice de ce genre d'activités ou cela signifie-t-il que le proxénète a eu des relations sexuelles avec des enfants?
Mme Angers: Non, cette expression englobe également le cas d'une personne qui facilite ce genre d'activités selon les dispositions du Code criminel portant sur la complicité.
Le sénateur Gigantès: Je vous remercie.
Le sénateur Doyle: Ma question, je suppose, est une question de style. Nous parlons ici de prostitution des enfants. J'ai consulté le mot «prostituée» dans mon dictionnaire. Je constate que c'est une personne qui offre son corps à quiconque veut avoir des rapports sexuels avec elle, ou une personne qui se livre à des pratiques infâmes, une personne débauchée, une personne immorale ou un politicien corrompu ou vénal. On n'y parle pas des enfants.
Il n'y a pas longtemps, on avait tendance dans nos lois à employer l'expression «enfants illégitimes». Cette expression n'est plus utilisée. Je ne sais pas pourquoi nous persistons à utiliser l'expression «prostitué enfant» lorsqu'en fait, le contrevenant est celui qui prostitue les enfants. Bien qu'on puisse dire que c'est désormais la tendance dans le monde, chaque voyage commence par un petit pas, même au niveau du style. Cette expression me dérange.
L'expression «prostitution juvénile» me dérange encore plus parce qu'elle laisse supposer un certain empressement et une certaine intention de la part des jeunes prostitués et ne reflète pas le fait qu'ils ont été obligés, souvent par la force, de se prostituer. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Mme Angers: Vous avez soulevé un point intéressant qui a été soulevé à plusieurs reprises au cours des consultations nationales sur la prostitution. C'est pourquoi au lieu d'utiliser l'expression «prostitués juvéniles», on utilise de plus en plus l'expression «jeunes impliqués dans la prostitution», pour indiquer qu'il ne s'agit pas de prostitués à proprement parler mais d'enfants qui ont été impliqués -- c'est-à-dire par quelqu'un d'autre, ou d'enfants dont un proxénète a vendu les services sexuels. C'est une nouvelle tendance.
Il est vrai que l'expression «prostitué enfant» ne traduit pas le fait qu'un enfant ne se prostitue pas volontairement mais y est forcé. C'est ce que nous tâchons autant que possible de faire valoir dans notre loi et également dans nos discours.
Le sénateur Doyle: Je suis le dernier à vouloir proposer au ministère de la Justice de suivre la tendance, mais ici même, sur la page couverture du projet de loi C-27, on lit «prostitution chez les enfants». Si cette question a été soulevée et si elle a été présentée au comité de la Chambre des communes, pourquoi donc avons-nous fait un pas en arrière?
Mme Angers: Nous n'avons pas changé l'expression employée dans le titre par opposition à son utilisation dans le projet de loi en tant que tel, par souci de concision. Comme je l'ai dit, nous n'utilisons plus cette expression. Nous aurions pu utiliser l'expression «enfants impliqués dans la prostitution», mais, par souci de concision, nous avons tenu à garder le titre aussi court que possible.
Le sénateur Gigantès: Nous nous y opposons parce que nous parlons d'enfants qui sont forcés de se prostituer. Ils ne se prostituent pas de leur plein gré.
Le sénateur Doyle: L'expression «prostituer des enfants» ne fait qu'ajouter deux mots. Cela ne laisse pas croire qu'ils ont agi d'eux-mêmes.
Le sénateur Gigantès: Je suis un maniaque de la concision mais je suis d'accord avec le sénateur Doyle. Il y aurait suffisamment d'espace à la troisième ligne pour qu'on y ajoute un ou deux mots de plus. Vous pourriez ajouter une ligne de plus. Je suis étonné de constater que le ministère de la Justice a craint d'être verbeux. Cela semble contraire à ses habitudes.
Mme Angers: Oui. Nous n'utilisons pas l'expression «prostitution chez les enfants» dans le projet de loi. Elle est utilisée uniquement dans le titre. Évidemment, le titre ne paraîtra pas dans le Code criminel. Il est vrai qu'il s'agit d'une expression qui n'est plus autant utilisée.
Par ailleurs, il existe une controverse au sujet des enfants plus âgés, par exemple des enfants de 17 ans. Certains témoins qui ont comparu devant le comité de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes ont indiqué: «J'ai commencé à me prostituer à l'âge de 17 ans. Je l'ai fait volontairement. Personne ne m'y a obligé et je reconnais que je suis une prostituée. Je veux rester une prostituée. Comment osez-vous me traiter de victime?»
J'ai été étonnée d'entendre de telles choses. Nous savons que les prostitués ont tendance à être impliqués dans la prostitution à un jeune âge. Certains continuent à se considérer comme des prostitués et en sont fiers.
Cela n'explique pas le titre. C'est une observation dont nous ne manquerons pas de tenir compte.
Le sénateur Doyle: Bien que le ministère de la Justice décourage peut-être l'utilisation de cette expression, elle est utilisée environ une vingtaine de fois dans le résumé législatif préparé par la bibliothèque.
Le sénateur Milne: Je suis obligée d'être d'accord avec le sénateur Doyle. Mon français n'est pas très bon, mais il me semble que la version française du titre est mieux rédigée.
Le sénateur Doyle: C'est habituellement le cas.
Le sénateur Milne: Dans le préambule du projet de loi, on utilise l'expression correcte «la prostitution des enfants», ce qu'il est facile de faire.
Les cinquième et sixième paragraphes du préambule du projet de loi énoncent que l'on se préoccupe de la prostitution des enfants au Canada ou à l'étranger, et que l'on veut protéger les enfants contre toute forme d'exploitation sexuelle.
Ce qui me préoccupe, c'est la protection des enfants. Supposons que les témoignages de jeunes prostitués sont essentiels pour intenter des poursuites efficaces en vertu de la disposition proposée concernant le tourisme sexuel impliquant des enfants, comment pouvons-nous leur garantir que leur sécurité future et la sécurité de leur famille ne seront pas compromises s'ils témoignent devant un tribunal?
Il y a des cas ici au Canada où les familles de ces jeunes courent de graves risques si des mineurs sont convoqués comme témoins. J'aimerais savoir comment ce projet de loi permettrait, selon vous, d'y remédier ou comment nous pouvons résoudre ce qui constitue en fait une contradiction. Vous essayez de protéger l'enfant et pourtant, jusqu'à un certain point, vous lui faites courir des risques ainsi qu'à sa famille.
Mme Angers: Les meilleurs témoignages sont les témoignages directs -- c'est-à-dire faire témoigner l'enfant qui a été forcé de se prostituer. Il y a toutefois des cas où d'autres personnes peuvent témoigner en ce sens et par conséquent il n'est pas nécessaire que l'enfant témoigne.
Premièrement, à l'échelle nationale, le projet de loi tâche de faciliter l'application de la disposition relative à l'obtention de services sexuels d'enfants. C'est l'objectif visé par le projet de loi car nous voulons éviter que les enfants aient à témoigner dans ces cas.
Deuxièmement, il est vrai qu'il s'agit d'un problème fréquemment soulevé en ce qui concerne les enfants mais qui est également soulevé en ce qui concerne les adultes -- c'est-à-dire des femmes qui sont impliquées dans la prostitution et qui disent: «Je ne veux pas témoigner contre mon proxénète. J'ai trop peur.» C'est pourquoi certaines mesures sont prises au Canada.
Nous pourrions envisager des mesures semblables dans le contexte du tourisme sexuel impliquant des enfants pour protéger ces témoins. Il existe des programmes de protection des témoins et certains types de programmes de réinstallation. Un membre de la GRC serait mieux placé pour vous en parler. Il existe certaines mesures qui pourraient être appliquées aux enfants qui viennent témoigner.
Nous avons également toutes les mesures prévues comme l'enregistrement des témoignages sur magnétoscope auquel je faisais allusion et entre autres aux témoignages à l'extérieur de la salle d'audience. Toutes ces mesures permettent d'alléger le fardeau des enfants qui témoignent. Il est évident qu'on ne contrôle pas nécessairement les agissements du proxénète par la suite, mais toutes ces mesures visent à protéger l'enfant.
Le sénateur Milne: J'ai entendu parler de cas où des jeunes impliqués dans la prostitution ont réussi à échapper à leurs proxénètes. On les a déplacés d'une région du Canada à une autre et ils ont réussi à échapper à leurs proxénètes et à rentrer chez eux. Mais les proxénètes savent d'où ils viennent. Ils connaissent la famille et menacent le reste de la famille, entre autres les enfants plus jeunes ou les petites soeurs de ces pauvres malheureuses. Le résultat, c'est que celles qui ont réussi à échapper à leurs proxénètes retournent à la prostitution pour protéger leur famille. Je ne vois pas comment la réinstallation des témoins peut aider à régler de quelque façon ce type de problème.
Mme Angers: Mme Morency répondra à cette question.
Mme Carole Morency, conseillère juridique, Section de la famille, des enfants et des adolescents, ministère de la Justice: Sur le plan international, votre préoccupation première concernait le tourisme sexuel impliquant des enfants et le type d'appui ou de protection qui peut être offert aux jeunes victimes qui participeraient à une poursuite au Canada.
Comme le sénateur Pearson l'a indiqué, le Congrès mondial qui s'est tenu à Stockholm a entraîné l'adoption par tous les États présents d'une déclaration et d'un programme d'action. Ces deux documents insistent sur le consensus auquel doivent arriver les États pour développer des services de soutien pour les enfants de leur pays, victimes de ce type d'agissements et de fournir des services appropriés à la famille pour que les familles ne poussent pas leurs enfants à se livrer à ce genre d'activités, si c'est le cas.
Dans le même sens, il y a également le protocole facultatif ou la préparation d'un protocole facultatif de la Convention relative aux droits de l'enfant, qui tâche d'appuyer la mise sur pied de services semblables dans les différents États. L'adoption de ces instruments à l'échelle internationale et les initiatives prises pour préparer un protocole facultatif indiquent clairement que ces États sont disposés à essayer de fournir les services appropriés à ces enfants et à leur famille.
Il ne s'agit pas nécessairement d'une initiative qui émanerait, par exemple, du gouvernement canadien qui intente la poursuite, bien que ma collègue, Lucie Angers, ait indiqué comment le gouvernement peut tâcher d'apaiser ces craintes dans le cadre de la poursuite. Lorsque l'État étranger se dit prêt à travailler avec le gouvernement canadien pour poursuivre un contrevenant, cela suppose également qu'il s'engage à tâcher d'appuyer les victimes dans leur propre pays.
Votre deuxième question concerne davantage la situation au pays et je laisserai ma collègue en parler.
Mme Angers: Vous avez dit que certains proxénètes arriveront à trouver les familles et les menaceront. Oui, cette possibilité demeure mais elle existe de toute façon lorsqu'un enfant est victime de violence ou dans toute affaire comportant de la violence. Dans les cas d'agressions contre des femmes, il y a également la crainte de retomber entre les mains du même agresseur ou la crainte de représailles contre la famille de la victime. C'est une préoccupation qui existe dans l'ensemble du système de justice pénale. Il existe donc des mesures qui visent à apaiser cette crainte.
Le sénateur Milne: Le projet de loi prévoit-il des mesures en ce sens?
Mme Angers: Les mesures visent plutôt à favoriser les témoignages au moyen d'ordonnances de non-publication de l'identité de l'enfant. Ce sont des mesures très pratiques qui tâchent, de toutes les façons dont le permet le Code criminel, de donner suite à ces préoccupations, bien qu'elles n'empêchent pas que des incidents se produisent par la suite.
Nous essayons toujours d'étendre cette protection aux groupes plus vulnérables, par exemple, les enfants. Nous essayons toujours d'élargir le plus possible le champ d'application de cette disposition. Nous y apportons constamment des modifications, parce que nous essayons de prévoir de nouvelles mesures de protection pour apaiser ces craintes.
Le sénateur Milne: De quelle disposition s'agit-il?
Mme Angers: De l'article 6, au bas de la page 6, et aux pages 7 et 8. Le paragraphe 6.(1) traite des témoignages donnés à l'extérieur de la salle d'audience. Le paragraphe 6.(2) décrit la procédure que doit suivre le juge lorsqu'il est nécessaire d'entendre le témoignage d'un enfant, mais que celui-ci éprouve de la difficulté à communiquer les faits.
Viennent ensuite les conditions relatives à l'exclusion, qui visent à assurer le respect des droits de l'accusé.
Le paragraphe 6.(4) traite des ordonnances limitant la publication. L'article 7 traite des déclarations enregistrées sur bande magnétoscopique.
Le sénateur Gigantès: Vous avez parlé plus tôt de réinstallation. Je ne suppose pas que vous voulez dire que, si nous ramenons ici un enfant qui a été forcé de se prostituer pour qu'il témoigne contre un Canadien, nous sommes prêts à réinstaller cet enfant et sa famille au Canada. Je ne suis pas contre cette idée. Je tiens à le préciser.
Mme Angers: Normalement, nous intentons des poursuites contre les citoyens canadiens ou les résidents permanents qui se trouvent ici. Si vous décidez de faire venir la personne au Canada, alors cela peut poser un problème. Il est probablement préférable de renvoyer l'enfant dans son pays pour mieux le protéger contre ce Canadien en particulier.
Le sénateur Gigantès: J'appuie le projet de loi. C'est une mesure positive. Toutefois, malgré les protocoles internationaux, je crois qu'il faudra attendre de nombreuses années avant que les enfants forcés de se prostituer puissent bénéficier d'une protection s'ils acceptent témoigner, parce que certaines cultures ne jugent pas la prostitution enfantine comme une activité condamnable. C'est très triste. Toutefois, nous devons commencer quelque part.
Mme Angers: C'est un premier pas. Par ailleurs, de plus en plus de pays s'accordent pour dire qu'il faut trouver une solution à ce problème, sinon la situation risque de s'aggraver. Il y a un consensus qui se développe, mais c'est un processus laborieux. Certains pays voient d'un bon oeil l'adoption de mesures législatives à ce stade-ci. Le Canada essaie de tirer parti de ce sentiment.
Le sénateur Pearson: J'ai une question supplémentaire à poser au sujet des proxénètes.
La loi évolue constamment. On y ajoute de nouveaux éléments lorsqu'on se rend compte qu'elle ne permettra pas vraiment d'atteindre l'objectif visé.
Il y a des problèmes. C'est ce que nous ont dit plusieurs témoins qui ont parlé de l'influence des proxénètes, des menaces dont font l'objet les familles, ainsi de suite, et de la difficulté parfois à obtenir des preuves contre eux.
Est-ce que cette loi va nous permettre de mettre la main sur le proxénète en ayant recours à des leurres -- c'est-à-dire un policier en civil qui va essayer de faire croire au proxénète qu'il est plus jeune qu'il ne l'est en réalité?
Mme Angers: Le problème concerne surtout les clients. Certaines provinces ont dit qu'il est très difficile de faire condamner un client qui a des relations sexuelles avec un enfant prostitué. Dans le cas des proxénètes, vous avez habituellement des preuves.
Toutefois, oui, le projet de loi prévoit le recours à des leurres ou à des policiers en civil, ou encore l'utilisation du témoignage de prostitués plus âgés pour essayer de mettre la main sur les clients.
Les prostitués plus âgés ne veulent pas de problèmes. Ils ne veulent pas voir d'enfants dans le secteur. Ils essayent également de protéger leur «territoire». Ils ont indiqué aux autorités policières, et au cours des consultations, qu'ils seraient prêts à témoigner et à dire que cet enfant a 16 ans et qu'il ne devrait pas être là.
La loi va être utile parce qu'elle va permettre à ces prostitués de dire: «Oui, un client a demandé à obtenir les services sexuels d'un enfant de 12 ans», et cela suffira pour appliquer cette disposition.
Le sénateur Pearson: Le paragraphe 212(4) constituait un gros problème.
Mme Angers: Oui. Nous avons essayé de le régler. Certaines personnes soutiennent que cette disposition ne règle absolument pas le problème, mais nous ne sommes pas de cet avis. Il y a plusieurs façons d'aborder la question. Si le libellé n'est pas satisfaisant, je suis certaine que le ministre de la Justice acceptera de le réexaminer.
Le sénateur Lewis: Ce sont avant tout les articles 6 et 7 du projet de loi qui m'intéressent. Ils traitent des jeunes qui ont de la difficulté à donner un témoignage en raison d'une déficience quelconque. Ces modifications visent le Code criminel. Pouvez-vous nous expliquer la portée de ces changements et l'impact qu'ils auront sur les dispositions du Code criminel?
Mme Angers: Ces dispositions figurent déjà dans le Code criminel, comme vous l'avez indiqué. Tout ce que nous faisons dans ce projet de loi, c'est d'étendre l'application de ces dispositions aux témoignages donnés à l'extérieur de la salle d'audience et aux déclarations enregistrées sur bande magnétoscopique. Nous voulons qu'elles s'appliquent à un plus grand nombre d'infractions, à savoir la prostitution et la pornographie juvénile, pour aider ces personnes à témoigner.
Ces dispositions, dans le passé, ne visaient que les plaignants, pas les témoins. Un plaignant ou un témoin peut maintenant se prévaloir des dispositions du Code criminel relativement à toutes ces infractions.
Deux grands changements ont été apportés. D'abord, nous avons étendu le champ d'application des dispositions aux témoins; ensuite, nous avons élargi la portée des dispositions visées par la loi.
Le sénateur Lewis: Ce projet de loi étend leur portée.
Mme Angers: Oui.
Le sénateur Lewis: Comment ces dispositions seront-elles appliquées dans la pratique?
Mme Angers: Elles seront appliquées à la demande de la victime ou de la personne qui veut y avoir recours, parce que, manifestement, dans certains cas, le témoin ou le plaignant recherchera la publicité. Ils vont vouloir dire au monde que cette personne les a exploités, ou autre chose de ce genre. Dans d'autres cas, ils préféreront ne pas y avoir recours. C'est à eux de décider. Ils demandent à être protégés, et ensuite le juge décide ce qu'il convient de faire dans ces cas.
Le sénateur Jessiman: La question était: comment seront-elles appliquées dans la pratique?
Le sénateur Lewis: J'ai mal formulé la question.
Mme Angers: J'y ai mal répondu.
Le sénateur Lewis: Je vais la formuler autrement. Comment ont-elles été appliquées jusqu'ici?
Le sénateur Jessiman: Le savez-vous? Vous ne connaissez peut-être pas la réponse.
Mme Angers: Mme Morency a une plus grande expérience du droit de la famille. Elle sera en mesure de répondre à votre question.
Mme Morency: Ces dispositions ont d'abord fait partie du projet de loi C-15, déposé en 1988, qui modifiait en profondeur les dispositions du Code criminel visant les poursuites pour des infractions relatives à l'exploitation sexuelle des enfants. Ces réformes donnaient suite aux recommandations du rapport du comité Badgley, déposé après trois années d'études exhaustives, qui se disait en faveur de l'adoption de dispositions pour faciliter l'obtention de témoignages des enfants victimes d'exploitation sexuelle.
Le Parlement devait procéder à un examen de la loi quatre années après son entrée en vigueur. Cet examen a été mené en 1993. Dans son rapport, le comité Horner indiquait que, grâce à ces dispositions, il était plus facile d'entamer des poursuites relativement à ces infractions, parce que les enfants pouvaient maintenant donner leur témoignage malgré les problèmes et les difficultés qu'ils éprouvent dans les situations de ce genre.
Le rapport ajoutait qu'il y aurait lieu d'avoir plus souvent recours à ces dispositions néanmoins très importantes. Elles ont été jugées constitutionnelles par la Cour suprême du Canada dans des contestations fondées sur la Charte. Ces dispositions se sont avérées très efficaces et peuvent faciliter les poursuites dans ces cas.
Nous nous attendons à ce que les dispositions relatives à la prostitution juvénile donnent les mêmes résultats.
Le sénateur Lewis: Est-ce que leur mise en application a posé des problèmes?
Mme Morency: Les problèmes viennent du fait qu'elles ne sont pas utilisées. Par exemple, la télévision à circuit fermé ou les bandes magnétoscopiques ne sont pas utilisées aussi souvent qu'on le souhaiterait. Parfois, c'est parce qu'il n'y a pas suffisamment de ressources. Les poursuites de ces cas relèvent des provinces. Si vous habitez une petite ville, vous n'avez peut-être pas toujours accès aux installations que l'on trouve dans les villes plus grandes.
Cela dit, les provinces intentent un grand nombre de poursuites en vertu de ces dispositions, lorsqu'elles sont en mesure de le faire. Par exemple, certaines provinces ont créé des unités mobiles. On a de plus en plus recours à ces dispositions et nous aimerions, bien entendu, qu'elles soient utilisées encore plus souvent. Le ministère essaie de parvenir à un arrangement avec les provinces sur ce point. Le fait est que ces dispositions sont appliquées et qu'elles sont efficaces.
Le sénateur Moore: L'article 7, qui traite des témoignages effectués au moyen d'un enregistrement vidéo, dispose que:
[...] un enregistrement magnétoscopique réalisé dans un délai raisonnable après la perpétration de l'infraction reprochée et le montrant en train de décrire les faits à l'origine de l'accusation est admissible en preuve s'il confirme dans son témoignage le contenu de l'enregistrement.
Qu'est-ce qu'on entend par «confirme»? Expliquez-moi la procédure qui est suivie. Comment une personne peut-elle «confirmer» le contenu de l'enregistrement? Est-ce quelque chose que l'on montre au tribunal ou qu'elle accepte qu'on utilise? Que signifie ce mot dans ce contexte?
Mme Angers: Il est question ici de délais judiciaires. Quand le procès a lieu deux ans après la perpétration de l'infraction, il est difficile de se souvenir de tous les faits. C'est pour cette raison que cette disposition a été incluse. Lorsque le procès débute, vous pouvez utiliser le témoignage qui a été donné et le confirmer.
Le sénateur Moore: Vous pouvez utiliser ce témoignage et le confirmer ou choisir de l'utiliser plutôt que de vous fier à votre mémoire?
Mme Angers: Oui. Vous confirmez le contenu de l'enregistrement, et ensuite l'avocat de l'accusé peut vous contre-interroger.
La présidente: La disposition est beaucoup plus claire en français, comme c'est souvent le cas, le français étant une langue beaucoup plus précise. La version française dit «s'il confirme».
Mme Angers: Vous devez dire: «Oui, ce témoignage est tout à fait exact. Il décrit tout ce qui s'est produit.» Si vous confirmez le contenu de l'enregistrement, vous n'êtes pas nécessairement obligé de témoigner. Toutefois, vous pouvez être contre-interrogé.
Le sénateur Moore: Vous confirmez le contenu de l'enregistrement qui décrit votre version des faits.
Mme Angers: Exactement.
Le sénateur Moore: De sorte que vous n'êtes pas obligé de témoigner en direct, mais vous pouvez être contre-interrogé au sujet du contenu de l'enregistrement.
Mme Angers: Exactement.
Le sénateur Lewis: Dans la version anglaise, le mot «adopts» a peut-être un sens plus fort en droit pénal que le mot «confirms». Je ne le sais pas.
Le sénateur Moore: Ou de l'expression «elect to use».
Mme Angers: Je ne suis pas une spécialiste de la langue anglaise, mais Mme Morency me dit que c'est le terme qui est utilisé dans ce contexte.
Mme Morency: Ce sont les termes que nous utilisons en droit pénal.
Le sénateur Moore: Vous confirmez le contenu de l'enregistrement. Vous choisissez d'utiliser cet enregistrement.
Mme Angers: Vous confirmez votre témoignage.
Le sénateur Jessiman: J'aimerais maintenant parler de l'infraction de proxénétisme grave. C'est quelque chose qui a été ajouté. Le Code criminel précise que toute personne qui vit des produits de la prostitution d'une personne âgée de moins de 18 ans peut être passible d'une peine d'emprisonnement de 14 ans. Pourquoi a-t-on ajouté le mot «grave»? Je sais que cela veut dire que le proxénète use de violence à l'égard de cette personne et qu'il l'aide à se livrer à la prostitution.
Vous avez prévu une peine minimale de cinq ans. Pourquoi les tribunaux n'ont-ils pas imposé, en vertu de la loi actuelle, des peines de cinq ans et plus? Est-ce une pratique courante chez les tribunaux? Quel genre de peine imposent-ils lors de la première, de la deuxième ou de la troisième infraction? Est-ce pour cette raison que vous avez inclus cette disposition?
Mme Angers: Lorsque nous avons mené nos consultations nationales sur la prostitution, certaines provinces nous ont dit que les peines prévues pour les proxénètes n'étaient pas assez sévères. Si vous ajoutez, à l'acte de proxénétisme, le facteur violence et le facteur profit, vous vous retrouvez avec un crime tellement horrible que, d'après certaines personnes, il faudrait imposer une peine minimale obligatoire pour bien faire comprendre à ces gens que, si vous vous livrez à ce genre d'activités, vous devrez passer cinq ans en prison. D'après ce que nous avons appris, certains proxénètes obtenaient des peines de six mois, de deux ans ou de trois ans, même si la peine maximale pouvant être imposée est de 14 ans.
En enlevant aux juges tout pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de la peine à imposer dans le cas d'une infraction de proxénétisme grave, nous voulions envoyer un message très clair, à savoir que cette pratique ne serait jamais tolérée au Canada. C'est pour cette raison que nous avons imposé une peine minimale obligatoire. Il y en a très peu dans le Code criminel. Nous voulons passer le message que cette pratique ne sera jamais tolérée.
Le sénateur Jessiman: Mais vous devez prouver qu'il y a eu infraction au-delà de tout doute raisonnable.
Mme Angers: Bien entendu.
Le sénateur Jessiman: Mais pas dans l'autre cas?
Mme Angers: Cela s'applique également à l'infraction de vivre des produits de la prostitution, sauf qu'une présomption viendra faciliter la preuve de l'infraction.
Le sénateur Jessiman: Je crois comprendre que la loi actuelle n'est pas aussi rigoureuse que celle-ci. Est-ce exact?
Mme Angers: Vous avez raison de dire cela, parce que nous ajoutons des éléments additionnels à l'infraction de vivre des produits de la prostitution. Nous ajoutons deux nouvelles circonstances, soit l'usage de la violence et les profits. Nous disons que si ces deux circonstances sont présentes, une peine minimale obligatoire sera imposée.
Il faudra démontrer qu'il y a eu infraction de la même façon qu'avant, sauf qu'il faudra prouver l'existence de deux circonstances additionnelles.
Le sénateur Jessiman: A-t-on discuté du fait que cette peine minimale de cinq ans pourrait être contestée en vertu de l'article 12 de la Charte?
Mme Angers: Certaines personnes ont soulevé cette possibilité au cours des consultations, et aussi devant le Comité de la justice et des questions juridiques. Par exemple, dans l'arrêt Smith rendu par la Cour suprême, l'accusé avait été trouvé en possession d'une quantité minimale de drogues, et la peine imposée avait été jugée tout à fait disproportionnée à la gravité de l'infraction.
Le ministre ne croyait pas que la même chose allait se produire ici. Il est très difficile d'imaginer un cas où l'infraction serait tellement dérisoire que l'imposition d'une peine de cinq ans serait jugée excessive dans ce cas-là. Si vous avez un proxénète qui vit des produits de la prostitution et qui use de violence, il est difficile d'imaginer, contrairement à ce qui s'est produit dans le cas Smith, qu'on pourrait imposer une peine qui serait jugée trop excessive. Le ministre de la Justice n'avait aucune inquiétude à ce sujet.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Vous avez piqué ma curiosité en disant que les États-Unis n'avaient pas signé la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant. Ma question n'est pas pertinente, on peut refuser d'y répondre, mais est-ce qu'on en connaît la raison?
Mme Angers: Je vais vous avouer que je ne suis pas dans le secret des dieux américains. Comme vous le savez, la Convention sur les droits de l'enfant va quand même assez loin. Les États membres s'engagent à faire beaucoup de choses. Il est certain que certains États, lorsqu'ils signent et ratifient de telles conventions, prennent leurs engagements moins au sérieux. Les États-Unis prétendent que lorsqu'ils signent et ratifient la convention, ils vont faire tout ce qu'ils sont obligés de faire pour en respecter les dispositions.
Je ne sais pas si c'est pour cette raison. Je dois vous avouer que je ne suis pas au courant, et Mme Morency non plus. Ils ne nous ont pas fait part de leurs raisons. Ce sujet est constamment abordé avec eux, entre autres à la Commission des droits de l'homme. Il a été soulevé à la réunion sur le protocole optionnel relatif à la convention. Je peux juste deviner leurs raisons.
Le sénateur Beaudoin: Je soulève cette question parce que comme ce sont nos voisins sur 3 000 milles. Cela peut poser un certain problème au Canada, non? Ils ne sont pas liés par la convention?
Mme Angers: Dans quel sens?
Le sénateur Beaudoin: Comme ils ne sont pas liés par la convention, cela veut dire qu'ils ne légiféreront pas sur la convention et pour les voisins, est-ce que cela peut susciter des difficultés?
Mme Angers: Comme vous le savez, la plupart des éléments inclus dans la convention sont des éléments inclus dans la plupart de nos lois et dans la plupart des lois américaines. Lorsque l'on traite de la question du travail des enfants, de l'exploitation sexuelle des enfants, des abus, les Américains ont quand même des lois. Souvent, le fait de signer et de ratifier une convention ne vient pas nécessairement ajouter à votre fardeau législatif puisque vous avez déjà ces lois. Je ne le sais pas et je ne voudrais surtout pas me prononcer au nom du gouvernement des États-Unis, mais je ne pense pas qu'il y ait des problèmes pour nous.
Mme Morency m'indique que les États-Unis auraient peut-être signé mais pas ratifié la convention. Je suis désolée d'avoir donné une mauvaise réponse. Mme Morency veut ajouter quelque chose.
[Traduction]
Mme Morency: Ils ont également participé de façon active aux discussions que nous avons eues à l'échelle internationale sur l'adoption d'un protocole facultatif pour la convention. Ils ont joué un rôle très actif lors du Congrès mondial à Stockholm. Malgré leur position relativement à la convention, ils consacrent beaucoup d'efforts à ce dossier à l'échelle internationale.
La présidente: Il se peut aussi qu'ils aient beaucoup de difficulté à faire adopter un amendement qui reconnaisse l'égalité des hommes et des femmes.
Le sénateur Pearson: Mes observations viennent s'ajouter à cela parce qu'il faut reconnaître que nos voisins ont signé la convention et ne l'ont pas ratifiée.
Le sénateur Beaudoin: Oui, mais cela ne veut rien dire si le Sénat ne la ratifie pas.
Le sénateur Pearson: On nous a dit que le problème c'est que, lorsque les Américains ratifient un traité international, ils l'intègrent à leur législation beaucoup plus rapidement que nous. Il y a deux ou trois éléments dans la convention. Par exemple, certains États américains autorisent toujours la peine capitale pour les enfants.
Le sénateur Beaudoin: C'est peut-être la réponse.
Le sénateur Pearson: Cela va tout à fait à l'encontre de la convention relative aux droits de l'enfant. Je me suis laissé dire que le gouvernement actuel a l'intention, dans un premier temps, de ratifier la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et, dans un deuxième temps, la Convention relative aux droits de l'enfant. Nous allons espérer.
Comme l'a dit Mme Morency, sur toutes ces questions de prostitution, de pornographie et ainsi de suite, ils sont très coopératifs. En fait, ils ont parfois des lois qui sont bien meilleures que les nôtres.
La présidente: J'aimerais poser une question à l'ensemble du groupe. Elle découle du discours bien réfléchi qu'a prononcé hier après-midi le sénateur Andreychuk relativement au projet de loi C-27.
Le sénateur a parlé du malaise de plus en plus profond qu'elle ressent parce que nous recourons à des solutions de nature pénale. Elle a dit qu'il y avait de toute évidence d'autres solutions aux problèmes de la prostitution enfantine et de la pauvreté chez les enfants, laquelle mène fréquemment les enfants à se prostituer, et qu'il faut chercher une solution de nature sociale qui soit exhaustive et générale.
Elle a ajouté que nous devons nous pencher plus sérieusement sur les racines du tourisme rose, de la prostitution enfantine ou de l'utilisation des enfants aux fins de prostitution de même que sur toute la question des enfants autochtones.
Elle a terminé en disant que les témoignages enregistrés sur bandes magnétiques ou derrière des écrans ont une valeur limitée mais que cela reste une expérience horrible pour l'enfant. Elle a ajouté qu'il vaudrait beaucoup mieux empêcher que ces enfants se trouvent dans ces situations.
Je ne peux m'empêcher de réfléchir à notre propre situation dans bien des petites collectivités autochtones. Cela ne servirait pas à grand chose d'y amener un car de reportage. Tout le monde connaît la victime ou le coupable dans ces petites localités isolées.
J'aimerais savoir ce que le ministère de la Justice, et plus particulièrement votre direction, fait en collaboration avec les gouvernements provinciaux pour essayer de trouver certaines des sources de ces problèmes.
Mme Angers: Ce qu'on a soulevé le plus souvent pendant les consultations nationales, et ce dans chaque province, c'est le fait que la justice pénale n'est pas la solution. Nous pouvons aider à trouver la solution. Nous pouvons aider à appliquer la loi, mais cela ne réglera pas le problème. Comme vous le dites, il faut nous pencher sur les racines du mal.
D'après certaines recherches, les personnes qui se livrent à la prostitution ont été victimes d'agressions sexuelles, sont issues de familles violentes et ainsi de suite. Le groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la prostitution a été mis sur pied en 1992 pour essayer de rassembler les personnes qui peuvent se pencher sur cette question -- pas seulement le gouvernement fédéral mais aussi les provinces -- parce que les services sociaux et l'éducation relèvent de la compétence exclusive des provinces et des territoires.
Parmi les principales recommandations qui ont reçu l'appui pendant les consultations se rangeait la création de services d'approche qui contribueraient à empêcher les enfants de se prostituer. On a aussi recommandé de cesser d'idéaliser la profession. Je crois que c'est dans le film Pretty Woman que l'on dépeignait la prostitution comme étant un métier très agréable parce qu'il permettait de trouver un mari, de tomber amoureux et ainsi de suite.
Certaines mesures sont prises dans la collectivité pour tenter de trouver une solution à ce problème. La communication aux fins de prostitution, à savoir le racolage sur la voie publique, pose un problème pour certaines collectivités. Nous essayons d'unir nos efforts pour trouver une meilleure solution multidisciplinaire.
Le groupe de travail déposera son rapport cet automne, en tenant compte des consultations. Ce n'est un secret pour personne que le groupe de travail recommandera principalement la mise sur pied de services qui aideront non seulement les enfants qui se livrent à la prostitution, mais aussi les adultes qui y sont associés, à abandonner le métier s'ils le veulent et à les empêcher de s'y adonner.
La Colombie-Britannique, par exemple, ne ménage pas ses efforts pour s'attaquer à ces causes, à l'instar de la Nouvelle- Écosse qui avait un réseau de proxénètes dont elle est parvenue à se débarrasser.
Certaines choses sont faites en marge de la justice pénale, mais dans notre sphère de compétence. C'est notre façon d'essayer de résoudre le problème.
La présidente: Je vous remercie de votre exposé d'aujourd'hui.
Honorables sénateurs, êtes-vous prêts à procéder à l'étude article par article? Si c'est le cas, quelqu'un pourrait-il présenter une motion à cet effet?
Le sénateur Lewis: Je propose que nous fassions rapport du projet de loi sans amendement.
La présidente: Il a été proposé de faire rapport du projet de loi sans amendement. Est-ce que les deux côtés sont d'accord?
Le sénateur Nolin: Oui.
Des voix: D'accord.
La présidente: La motion est adoptée.
La séance est levée.