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Sous-comité de l'éducation postsecondaire au Canada

 

Délibérations du sous-comité de l'enseignement postsecondaire
du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 3 - Témoignages du 5 décembre


OTTAWA, le jeudi 5 décembre 1996

Le sous-comité de l'enseignement postsecondaire du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 8 h 30 pour poursuivre l'étude de l'interpellation sur l'enseignement postsecondaire au Canada.

Le sénateur M. Lorne Bonnell (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui Mme Mary Ann McLaughlin, directrice du Centre national sur les affaires et l'enseignement du Conference Board du Canada. Madame McLaughlin, vous avez la parole.

Mme Mary Ann McLaughlin, directrice, Centre national sur les affaires et l'enseignement, Conference Board du Canada: Je suis accompagnée aujourd'hui de l'un de nos adjoints de recherche principaux, M. Michael Bloom.

Le Conference Board est un institut de recherche appliquée privé et sans but lucratif. Nous effectuons des recherches sur des questions qui revêtent une importance stratégique pour nos membres composés en majorité de grandes entreprises et de ministères fédéraux et provinciaux. Comme nous ne sommes pas un organisme de pression, il nous arrive rarement de nous retrouver devant un groupe comme le vôtre, mais je crois que nous pouvons effectivement jeter un éclairage particulier sur la question dont le comité est saisi.

En 1989, je crois, certains de nos membres ont commencé à soulever le problème du manque de main-d'oeuvre qualifiée et ont demandé au Conference Board d'effectuer des recherches à ce sujet. C'est ainsi qu'est né le Centre national sur les affaires et l'enseignement dont le mandat est de favoriser l'établissement d'une relation professionnelle entre les dirigeants du monde des affaires, de l'éducation et du gouvernement.

En clair, notre travail porte principalement sur deux questions, à savoir les compétences et les partenariats. Nous cherchons à voir comment les entreprises peuvent élaborer leurs propres stratégies leur permettant de s'impliquer dans le domaine de l'enseignement, de quel système d'enseignement public et de quelle main-d'oeuvre spécialisée notre pays doit se doter pour assurer une bonne qualité de vie à tous les Canadiens. Je tiens à signaler que nous sommes en faveur l'établissement d'un système d'éducation public solide partout au Canada.

Le Centre a été créé il y a six ans, et depuis, nous avons élaboré divers produits grâce à notre recherche et à notre dialogue, lesquels produits sont utilisés actuellement par tous les ministères de l'Éducation au Canada, par de nombreux établissements d'enseignement, y compris les universités et les collèges, et par les entreprises. Pour répondre à la question: «Que cherchent les employeurs?», nous avons élaboré, en anglais et en français, un document générique intitulé «Profil des compétences relatives à l'employabilité: ce que les employeurs recherchent», dont je peux remettre des exemplaires aux membres du comité. Nous avons élaboré un autre document intitulé «Science Literacy for the World of Work de même qu'un Guide d'éthique pour le partenariat affaires-enseignement».

En réponse à certaines des préoccupations soulevées au sujet de la motivation que peuvent avoir les entreprises et les employeurs en général à s'impliquer dans le domaine de l'éducation, nous avons créé un groupe d'organisations, incluant des employeurs, des spécialistes de l'éducation et des syndicats, lequel était chargé d'élaborer un guide d'éthique concernant l'établissement de partenariats dans tout le pays.

Le Conference Board vient de publier un rapport intitulé <#0102>«Canada's Performance and Potential». M. Michael Bloom a joué un rôle prépondérant dans la rédaction de ce rapport selon lequel les ressources humaines et l'éducation sont les éléments clés de la prospérité de notre pays. J'ai demandé à M. Bloom de rédiger un mémoire portant sur le travail que nous avons fait au centre en ce qui concerne l'opinion générale qu'a énoncée le Conference Board à propos de la performance et du potentiel du Canada, lequel, j'espère, orientera un peu votre travail en ce qui concerne les compétences et les partenariats.

M. Michael Bloom, adjoint de recherche principal, Centre national sur les affaires et l'enseignement, Conference Board du Canada: Il y a quelques années, le Conference Board a établi trois objectifs principaux pour l'éducation dans notre pays, à savoir préparer les jeunes à assumer leur citoyenneté, à accéder au marché du travail et à adopter l'apprentissage continu. Je veux vous parler du deuxième objectif, soit préparer les jeunes à accéder au marché du travail, car c'est une question à laquelle nous nous sommes particulièrement attachés.

Nous nous sommes intéressés plus particulièrement à la façon dont l'enseignement postsecondaire favorise le développement des connaissances et des compétences afin que les jeunes puissent devenir très productifs. Dans notre dernier rapport intitulé «Rendement et potentiel: Évaluation du rendement social et économique du Canada», nous insistons sur le fait que nos succès économiques sont véritablement tributaires de notre main-d'oeuvre. Nous reconnaissons que le bien-être des individus et des pays revêt de nombreux htmects, mais dans ce rapport, nous nous concentrons sur le volet économique.

Pourquoi les gens sont-ils importants? On peut déplacer des capitaux, on peut faire toutes sortes d'ajustements aux diverses conditions qui existent dans un pays, mais on ne peut pas déplacer les gens. Les gens sont créateurs de richesse, et notre recherche indique une corrélation évidente entre l'éducation, la connaissance, les compétences, les revenus et la qualité de vie.

Le Canada investit beaucoup en matière d'éducation. Les derniers chiffres dont je dispose indiquent que nous y consacrons plus de 8 p. 100 de notre produit intérieur brut parce que nous considérons que cela est important. Aujourd'hui, nous accordons plus de 15 milliards de dollars à nos 77 universités et quelque 200 collèges. De fait, nous sommes parmi les pays du monde qui consacrent le plus d'argent à l'enseignement postsecondaire. Nous consacrons plus de 2 p. 100 de notre PIB et près de 30 p. 100 de nos dépenses totales en éducation à l'enseignement postsecondaire, soit plus que tous les autres pays du G-7. Actuellement, 1,5 million de Canadiens participent à l'enseignement postsecondaire.

Il y a 20 ans, 18 p. 100 des jeunes âgés de 18 à 24 ans fréquentaient l'université à plein temps, et en 1993, on en comptait 31 p. 100. Il s'ensuit, bien sûr, que le niveau de scolarité des Canadiens monte, que le nombre d'années passées à l'école a augmenté constamment et que les Canadiens sont davantage diplômés.

Pour replacer ces statistiques dans leur contexte, de 1984 à 1994, 800 000 emplois ont été créés au Canada pour les personnes détenant un diplôme d'études postsecondaires. Durant la même période, 1,4 million de Canadiens titulaires d'un diplôme d'études secondaires ou moins ont perdu leur emploi. Notre dernière recherche indique qu'il en va ainsi, même dans le secteur des techniques de l'information. Certains soutiennent que la technologie de l'information amènera des pertes d'emplois; cependant, nous constatons qu'il n'en est rien. Dans l'ensemble, aucun emploi n'est perdu à cause de la technologie de l'information. Ce qui se produit, c'est que les emplois peu spécialisés disparaissent pour être remplacés par des emplois très spécialisés.

Le sénateur Lavoie-Roux: Pas de façon égale.

M. Bloom: Oui, de façon égale, c'est la dernière conclusion à laquelle nous en sommes venus. Les résultats de l'étude n'ont pas encore été publiés, mais c'est ce que nous avons trouvé.

Cependant, les niveaux actuels d'investissement dans l'enseignement postsecondaire sont peu susceptibles de se maintenir à l'avenir. Au moment où notre économie reprend de la vigueur, et que les gouvernements continuent d'appliquer leurs programmes de compressions budgétaires -- et nous tous ici autour de la table connaissons bien la question -- la part du PIB consacrée à l'enseignement postsecondaire est susceptible de diminuer. Même si cela n'était pas le cas, les Canadiens continueraient de se préoccuper du fait que nous ne produisons pas les diplômés dont nous avons besoin pour maintenir notre niveau de vie élevé. Ils se demanderaient vraiment si le système d'éducation postsecondaire fournit aux jeunes la bonne combinaison de connaissances et de compétences dont ils ont besoin pour réussir.

Cette question des compétences est intéressante. Quand on parle de compétences, la plupart des gens pensent à des compétences techniques, axées sur un emploi, et elles sont importantes. Cependant, nous constatons de plus en plus dans notre travail au Conference Board que les employeurs recherchent une combinaison de compétences techniques ou axées sur un emploi et ce que nous appelons les compétences relatives à l'employabilité, c'est-à-dire des compétences génériques reliées à la scolarité, à la gestion du personnel et au travail d'équipe.

Un membre du Conference Board, qui est un cadre supérieur de l'une des grandes banques, a fait remarquer un jour que sa banque engageait des gens en fonction de leurs compétences théoriques et les congédiait parce qu'ils n'avaient pas les compétences nécessaires en matière de gestion du personnel et de travail d'équipe, ce qui était pour lui une révélation, point de vue que partagent nombre de cadres supérieurs. Nos deux ouvrages sur les compétences relatives à l'employabilité, de même que notre document intitulé «Science Literacy for the World of Work», s'intéressent à la nature de ces compétences, ou à tout le moins, à la manière dont nous pouvons les combiner de façon générale.

Le défi consiste à faire en sorte que les universités et les collèges forment des gens possédant à la fois des compétences techniques et des compétences de base plus générales. Si nous échouons, nous compromettons nos chances de succès à l'avenir. Nous ne disposons pas de données récentes sur les compétences de base de la population en général; nous cherchons actuellement des moyens d'obtenir cette information. Les seules données que nous ayons concernant les compétences de base viennent d'un rapport publié récemment sur l'alphabétisation et ne portant que sur une partie des compétences relatives à l'employabilité.

Les Canadiens sont de plus en plus diplômés, mais ce qui nous inquiète, c'est que ces diplômes sont concentrés dans le domaine des sciences humaines, et non en sciences et en technologie. En 1992, 52 p. 100 des diplômes universitaires au Canada étaient décernés dans le domaine des sciences humaines, soit deux fois plus qu'en Allemagne et au Japon, et plus que dans tous les autres pays du G-7. On ne sait pas avec certitude si cette situation aura des répercussions négatives pour nous.

La prolifération de la technologie, le caractère technique des emplois et l'exigence de plus en plus grande de comprendre les sciences, les mathématiques et la technologie nous portent à croire que même si un vaste pourcentage de nos jeunes reçoivent des diplômes universitaires ou collégiaux, il se peut que nous ayons encore des problèmes à faire concurrence sur la scène mondiale.

La question de l'enseignement postsecondaire préoccupe les employeurs. Dans une étude récente, 88 p. 100 des principaux employeurs se sont dits préoccupés par la capacité de notre système d'éducation de préparer les étudiants au monde du travail. Environ 40 p. 100 des 500 plus grandes entreprises au Canada investissent plus de 100 000 $ par année dans le système d'éducation public. Certaines d'entre elles y consacrent plusieurs millions de dollars par an. Parmi celles-ci, 43 p. 100 contribuent parce qu'elles veulent aider à former une main-d'oeuvre plus scolarisée et plus compétente. L'enseignement postsecondaire est un secteur dans lequel elles investissent beaucoup. Les bourses d'études constituent la forme d'aide à l'éducation la plus courante parmi les sociétés; en effet, 78 p. 100 des entreprises qui contribuent à l'éducation accordent des bourses d'études, la plupart étant destinées à l'enseignement postsecondaire. En outre, manifestement, elles contribuent à l'immobilier, à la recherche et au développement et de plus en plus aux partenariats du monde des affaires et de l'éducation. Les entreprises investissent en général dans les domaines de la science, de la technologie et des mathématiques plutôt que dans des programmes de sciences sociales, de santé et de lettres, bien qu'elles s'intéressent également à ces domaines.

Il est difficile d'évaluer les répercussions de l'aide accordée par les entreprises sur les résultats scolaires des étudiants, le développement des compétences et, indirectement, sur leur salaire et leur productivité. Je crois que la tendance est bien marquée et que les employeurs sont peu susceptibles de retirer leur aide.

Sur le plan déontologique, quelles répercussions a l'implication d'autres groupes dans le domaine de l'éducation? Nous avons élaboré notre guide d'éthique pour le partenariat affaires-enseignement afin de tenter de régler ce problème. Nous avons essayé de concevoir une forme de dialogue qui aiderait les gens à élaborer des partenariats éthiques durables, et nous espérons que les collèges et les universités l'utiliseront; certains le font déjà.

Dans l'ensemble, il y a beaucoup d'éléments positifs au sujet de l'enseignement postsecondaire au Canada, beaucoup de choses dont nous pouvons être fiers, mais il y a aussi des signaux de danger, des inquiétudes, plus précisément au sujet des matières qui sont étudiées; on se demande également si les disciplines répondent aux changements qui se produisent dans le milieu du travail et offrent les compétences dont les gens ont besoin pour réussir une fois entrés sur le marché du travail. Nous estimons devoir aborder ces problèmes graves; bien sûr, il n'y a pas de remède miracle. Jusqu'à maintenant, nous avons compté sur les gens, de même que sur nos ressources naturelles, les compétences, la créativité et l'entrepreneuriat pour réussir et prospérer. L'enseignement postsecondaire d'ici à la fin de la décennie et après sera un élément clé pour former les personnes qui peuvent nous aider à réussir au XXIe siècle.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je sais que nous vous avons demandé de parler de l'enseignement postsecondaire, mais le Conference Board s'est-il intéressé également à l'enseignement primaire et secondaire? Nous savons que les taux de décrochage y augmentent. En outre, de nombreuses familles n'ont pas les moyens de garder leurs enfants à l'école, même jusqu'au secondaire. Est-ce que le Conference Board s'intéresse également à ces questions? Bien sûr, les grandes entreprises veulent recruter les diplômés les plus brillants en technologie de pointe, mais les problèmes dans le domaine de l'éducation sont beaucoup plus vastes que cela.

Mme McLaughlin: Sénateur, vous soulevez là une question intéressante. Lorsque le Conference Board a commencé à s'intéresser à l'éducation en 1989-1990, il a décidé de se concentrer sur l'enseignement élémentaire et secondaire exactement pour les motifs que vous soulevez.

Les entreprises ont toujours fourni de l'aide aux établissements postsecondaires pour préparer les diplômés à occuper des emplois précis, mais nous nous sommes ensuite rendu compte que l'éducation est un investissement à long terme et qu'il nous fallait viser juste dès les premières années. Au sein même de notre organisation, on se demande si l'on n'aurait pas dû se concentrer sur les programmes préscolaires et nous avons cherché à y parvenir en relation avec la volonté d'apprendre. Nous n'avons pas élaboré de programmes précis, mais certains membres du Conference Board examinent actuellement les politiques de la famille et du travail.

Pour répondre brièvement à votre question, nous concentrons une bonne partie de nos recherches sur l'enseignement élémentaire et secondaire et sur la façon dont les entreprises, les employeurs et les collectivités en général pourraient travailler avec ces éléments du système d'éducation.

En clair, nous disons que la collectivité doit assumer une certaine responsabilité au chapitre de l'éducation de ses enfants. Nous voulons aider la collectivité à comprendre comment elle peut faciliter l'enseignement élémentaire, secondaire et postsecondaire de ses enfants.

Le sénateur Lavoie-Roux: Comment pouvez-vous amener les grandes entreprises à s'intéresser aux deux premiers niveaux de l'éducation? Il est plus facile de les impliquer dans l'enseignement postsecondaire parce que les avantages sont plus immédiats, mais elles semblent se contenter de laisser aux autres le soin de s'occuper des niveaux élémentaire et secondaire?

M. Bloom: D'après mes calculs, au cours des 10 dernières années au Canada, à peu près 300 000 employeurs, sur un total d'environ deux millions, ont participé à l'enseignement coopératif, à des expériences et à des placements professionnels. Une grande partie de cette implication se situait au niveau secondaire.

Grâce à nos programmes Partenariat Monde des Affaires-Monde de l'éducation, nous avons des preuves évidentes d'une implication de plus en plus grande des entreprises qui appuient les objectifs d'éducation au niveau élémentaire et secondaire. Au Canada aujourd'hui, il existe des milliers de partenariats affaires-enseignement, dont le défi est d'établir un lien valable entre des compétences précises et les besoins du système d'éducation. Nous constatons que le Canada compte certains des partenariats les plus innovateurs au monde.

Le sénateur Lavoie-Roux: D'après le tableau à la page 7 de votre mémoire, une bonne partie de l'aide des entreprises en matière d'éducation est consacrée à la technologie. Que pensez-vous de la possibilité d'établir un meilleur équilibre entre les sciences humaines et la technologie? Nous pourrions tous devenir de bons techniciens, mais la vie est plus compliquée que cela.

M. Bloom: J'ai moi-même un doctorat en histoire médiévale, et je respecte certainement ce point de vue.

Les entreprises ont tendance à s'impliquer dans les secteurs de l'éducation pour lesquels elles ont des compétences; elles hésitent à intervenir dans des secteurs qu'elles connaissent moins bien. Les éducateurs eux-mêmes sont plus à l'aise avec les sciences et la technologie. C'est une des raisons pour lesquelles une grande proportion de l'aide des entreprises est consacrée à la science et à la technologie.

Je crois que les entreprises ont un rôle à jouer pour appuyer les sciences humaines, et je pense qu'elles trouvent de plus en plus les moyens de le faire. Cependant, je dois dire que les relations entre les entreprises et le monde de l'éducation se bâtissent étape par étape. S'intéresser soudainement aux arts et aux questions sociales sans consultation adéquate pourrait nous faire faire un pas en arrière. La science et la technologie constituent un choix beaucoup plus naturel de nos jours, c'est d'ailleurs ce qu'indiquent les données. Je prévois qu'elles changeront à l'avenir.

Le sénateur Lavoie-Roux: Même si les gens ont les compétences pour travailler dans les domaines de la science et de la technologie, ils ne trouvent pas toujours d'emploi. Vous me dites que c'est à cause du marché du travail. Est-ce que vous décelez des faiblesses dans la formation offerte par nos collèges et universités?

[Français]

... la formation ou l'entraînement des étudiants qui fait qu'ils ont de la difficulté à se placer sur la marché du travail? Vous comprenez le français un peu? Si vous avez un doctorat en études médiévales, vous devez comprendre le français un peu?

[Traduction]

Mme McLaughlin: Au lieu de parler des faiblesses, je crois que nous nous intéressons aux forces que recèlent les établissements qui offrent la possibilité aux étudiants, jeunes et vieux, d'établir un lien avec le marché du travail pendant qu'ils sont encore à l'école. C'est la raison pour laquelle nous appuyons fortement l'approche du système d'éducation coopérative, ou une forme d'enseignement comme celle-là. C'est un établissement local qui implante cet enseignement dans la collectivité et qui lui convient. Le principe sous-jacent, c'est qu'il y a un rapport entre ce que les étudiants font à l'école ou dans leur milieu d'apprentissage et la situation de l'emploi. Ils acquièrent les attitudes, les comportements et les capacités nécessaires pour résoudre les problèmes qui les aident véritablement à établir le lien avec le marché du travail une fois qu'ils sont diplômés.

M. Bloom: Nous avons constaté des cas où les collèges et les universités cherchent de plus en plus à aller au-delà de leurs structures traditionnelles pour impliquer les autres. Je suis certain que vous connaissez le travail qu'a fait l'ACCC avec les collèges pour se positionner sur le marché de l'Asie. Manifestement, il existe une tendance dans les systèmes d'éducation postsecondaire du monde entier au dépassement des limites traditionnelles, voire des frontières nationales. Aujourd'hui, on peut obtenir au Canada un diplôme d'un établissement américain grâce à l'enseignement à distance tout comme on peut obtenir à l'extérieur du Canada un diplôme d'un établissement canadien. C'est la tendance qui existe et qui est susceptible de se maintenir.

En outre, les collèges et les universités souhaitent de plus en plus développer les compétences. Les collèges, dès le début, se sont intéressés à cette question, mais ils se tournent maintenant davantage vers les compétences relatives à l'employabilité, les compétences de base. De même, certaines universités participent à notre forum sur les compétences relatives à l'employabilité créé récemment, preuve de leur intérêt, de leur désir d'élargir leur rôle dans le domaine de l'éducation. Nous espérons que la tendance se poursuivra.

Le président: Pouvez-vous nous dire ce que font les gouvernements, les entreprises et des groupes comme le vôtre pour communiquer leurs résultats aux élèves des écoles secondaires afin qu'ils puissent prendre des décisions éclairées quant aux matières qu'ils devraient étudier à l'école?

Mme McLaughlin: Depuis les six dernières années, nous avons déployé de nombreux efforts pour promouvoir le concept de compétences relatives à l'employabilité. Nous évaluons à environ 10 millions le nombre d'exemplaires de notre document sur ce sujet sous une forme ou sous une autre au Canada dans les bureaux des orienteurs, sur les tableaux d'affichage, sous forme de graphiques, et cetera.

Le président: Est-ce que c'est sur Internet?

Mme McLaughlin: Oui. Nous encourageons les autres organisations à le modifier et à l'utiliser selon leurs besoins. Nous encourageons les conseils scolaires à en discuter avec les parents et à élaborer leur propre version du document pour dire ce qu'ils attendent des élèves à la fin des études primaires, secondaires, collégiales et universitaires. Nous utilisons toute une gamme de stratégies pour essayer de faire passer le message suivant, à savoir qu'il y a des compétences de base dont tout le monde a besoin pour être employable ou devenir travailleur autonome. C'est dans notre intérêt d'essayer de faire comprendre que ces compétences sont compatibles avec un objectif de l'éducation, c'est-à-dire obtenir un emploi. Bien sûr, nous savons que ce n'est pas là le seul but de l'éducation.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez parlé de lignes directrices en matière d'éducation, monsieur Bloom, et vous avez dit que ces lignes directrices concernaient les partenariats. Est-ce que vous parliez du type de recherche et des organismes qui s'en chargeraient ou si vous vous exprimiez en termes plus généraux? Est-ce que cette étude et le guide d'éthique qui en a résulté portaient sur des préoccupations et une tendance dont vous vous inquiétiez?

M. Bloom: L'établissement du guide d'éthique découlait avant tout d'un intérêt manifesté chez les gens d'affaires qui souhaitaient clarifier les rôles et les responsabilités des entreprises au sein des partenariats. À quelques occasions, des spécialistes de l'éducation s'étaient dits d'avis que certaines entreprises avaient tenté d'utiliser le partenariat monde des affaires-monde de l'éducation à leur avantage sur le plan économique, sur le plan matériel. Nos membres se sont impliqués dans des partenariats parce qu'ils voulaient améliorer le système d'éducation. Ils considéraient cela comme un avantage pour la société et pour eux-mêmes.

Le rapport ci-joint porte sur certaines théories qui sous-tendent les partenariats. La notion de poursuite de ses propres intérêts est un élément du partenariat. Si l'on fait du bien à la collectivité, aux étudiants, on se fait du bien à soi-même et que vous deveniez un employeur privilégié ou que vous amélioriez le propre moral de vos propres employés ou les liens avec la collectivité dans laquelle vous exploitez l'entreprise, vous pouvez en profiter. Et cela se produit lorsque la confiance s'installe entre les partenaires et la collectivité.

C'est cette question de confiance qui a amené l'élaboration des guides d'éthique qui nous indiquaient comment nous pourrions définir les préoccupations que les gens avaient au sujet des partenariats de façon à les dissiper et à amener les intéressés à comprendre ce qu'ils tentaient d'accomplir pour les aider à trouver un terrain d'entente. Cette petite brochure et le rapport qui l'accompagne visent à donner aux gens les outils dont ils ont besoin pour dissiper ce genre d'inquiétude. Nous constatons qu'une fois que la confiance est instaurée, les partenariats fonctionnent bien. Cependant, si la confiance n'est pas là, l'évolution de ces partenariats risque d'être compromise.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit que l'on consacre 50 p. 100 de nos ressources aux sciences humaines alors que le Japon et l'Allemagne favorisent davantage les sciences. La question n'est pas seulement de savoir qui se dirige vers les sciences humaines et qui se dirige vers les sciences, parce que certaines universités intègrent les sciences humaines à leurs programmes de sciences et vice-versa. Est-ce que vous êtes en train de dire que nous ne préparons pas les gens à occuper des emplois précis comme le font ceux qui mettent l'accent sur les sciences? Est-ce que vous dites que les Japonais et les Allemands, par exemple, font un meilleur travail dans le cadre de ce modèle axé sur les sciences?

M. Bloom: Non, à vrai dire.

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais aussi savoir où cela nous mène. Si nous avons besoin de ces compétences spéciales mais qu'en même temps il nous faut de vastes compétences en gestion d'équipes et ce genre de choses, comme jumeler les deux?

M. Bloom: Pour ce qui est du premier point que vous avez soulevé, le fait que 52 p. 100 des diplômés étaient dans le domaine des sciences humaines nous a préoccupés. Je pense qu'on n'a pas fait suffisamment d'analyses pour connaître vraiment toutes les implications de ce modèle. Nous comptons des gens très compétents au Canada, mais nous avons aussi un taux très élevé de diplômés dans le domaine des sciences humaines. Le Conference Board ne dispose pas encore d'une analyse lui permettant de dire si cela a des répercussions sur le plan économique.

Le sénateur Andreychuk: Mais certainement, au sein de la collectivité, tout indique que nous n'allons pas dans la bonne direction, et de plus en plus d'entreprises discutent de cet htmect négatif de notre système d'éducation. Vous dites qu'il n'y a pas de données indiquant que cela nous place en situation désavantageuse.

M. Bloom: Je ne dispose pas de données à cet effet.

En ce qui concerne votre deuxième point au sujet des compétences, on a longtemps pensé qu'elles peuvent être intégrées à n'importe quel programme. Il est possible, grâce à des programmes au niveau postsecondaire, de donner aux étudiants des compétences techniques, des compétences axées sur un emploi précis et des compétences plus générales. Nous ne proposons certainement pas l'établissement de nouveaux programmes. Nous préférerions que l'on s'efforce davantage à intégrer ces compétences aux structures existantes.

Le sénateur Andreychuk: Si vous deviez faire une recommandation au gouvernement fédéral en matière d'enseignement postsecondaire, quelle serait à votre avis la recommandation la plus importante à faire aujourd'hui?

Mme McLaughlin: Comme nous ne sommes pas un organisme de pression ni d'établissement de politiques, c'est là une question difficile pour nous, vous en conviendrez. Notre recommandation générale, basée sur le mandat de notre centre et les intérêts de nos membres, et, nous croyons, de la société canadienne, est que nous devons véritablement nous intéresser à ce lien qui existe entre l'éducation et l'emploi, que ce soit un emploi de travailleur autonome ou l'emploi par quelqu'un d'autre, et que peu importent les structures qui seront mises en place, elles doivent porter sur une vaste gamme de compétences génériques et solides qui seront développées dans le cadre de programmes d'études.

Le sénateur Forest: Vous avez parlé de succès, et j'aimerais connaître votre définition du succès. Nombre de gens d'affaires qui réussissent aujourd'hui ne font pas de leur vie un succès. Je pense à Allan Eagleson et à quelques autres... et je ne parle pas seulement de ceux qui sont corrompus. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

Je crois aux programmes d'enseignement coopératif et ainsi de suite. Je suis impliquée dans le domaine de l'éducation depuis longtemps. Les citadins et les étudiants doivent marcher main dans la main, cela ne fait aucun doute. Il existe une philosophie voulant que si les étudiants sont bien ancrés dans le domaine des arts et des sciences humaines, qu'ils ont une vaste perspective du monde et des qualités déontologiques que nous considérons comme importantes, ils sont bien préparés à acquérir des compétences en matière d'emploi. Les gens savent qu'il nous faut collaborer et avoir des partenariats avec les entreprises qui sont rentables, mais, par contre, ils tiennent à ce que les étudiants, certainement au cours des premières années du postsecondaire, soient libres de s'intéresser aux htmects généraux de l'éducation. Quand j'entends que 52 p. 100 sont dans le domaine des sciences humaines, je pense que c'est merveilleux. Il ne fait aucun doute que les compétences professionnelles sont importantes, mais d'après ce que je comprends, certaines entreprises disent: «Donnez-nous les jeunes étudiants brillants qui ont des normes éthiques et sont capables de penser, et nous leur fournirons les compétences professionnelles propres à notre entreprise.»

Mme McLaughlin: C'est exactement notre message, à savoir que les compétences relatives à l'employabilité ne doivent pas être axées sur un emploi mais plutôt sur des attitudes et des comportements positifs, des normes déontologiques, toutes ces choses dont vous parlez. Voilà pour un premier élément.

Deuxième élément, nous souscrivons en tous points au principe voulant que la préparation à l'emploi n'est pas le seul but de l'éducation. Nous nous intéressons à ce principe parce que nous avons les compétences pour le faire, mais cela n'est qu'un but de l'éducation.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: Je vais parler en français. C'est plus facile. Cela me fait plaisir de vous revoir, madame McLaughlin, et de parler encore d'éducation. Mes questions ont été soulevées un peu par mes collègues. Les miennes seront peut-être un peu plus spécifiques parce que je vais me référer aux mathématiques, aux sciences, à la technologie, à la culture scientifique, au travail.

La semaine dernière, dans la revue Châtelaine en version anglaise, on faisait allusion qu'il y a des postes très bien payés au Canada, des postes et beaucoup de postes, qu'ils ne peuvent pas remplir parce qu'on n'a pas une formation adéquate, on n'a pas de personnes capables de remplir ces postes. Cela touche à la science et à la technologie.

Il y a deux volets à ma question: premièrement, si je regarde ceci, il y a des choses qui touchent le curriculum, si on peut dire, le programme d'études et, considérant que l'éducation est du ressort provincial, est-ce facile de mettre en application, de rendre accessible l'information scientifique si, dans la province, on dit que ce n'est pas la priorité.

Je me réfère encore aux tests nationaux sur les sciences et sur les mathématiques, assez récemment. Les étudiants canadiens n'ont pas obtenu des notes n'étaient si élevées. Je me souviens du Nouveau-Brunswick qui était à 59 p. 100, je ne me souviens pas trop des autres provinces.

J'ai deux volets à ma question: d'abord la question du curriculum provincial, et deuxièmement, la question des sciences et de la technologie. Comment pourrait-on réparer cela? À la page 8, M. Bloom, vous dites :

[Traduction]

Nous devons trouver une solution rapide en matière d'éducation afin de ne pas perdre une autre génération d'étudiants. Or, cela n'est pas facile. Je crois que le système d'éducation a toujours accusé du retard par rapport aux tendances dans la société. Il faut mettre du temps avant d'apporter des changements dans le système d'éducation.

Mme McLaughlin: Ce document a été publié en octobre pour souligner la Semaine nationale des sciences et de la technologie; c'est donc un tout nouveau document, même si nous nous intéressons à la question précise de l'employabilité depuis un certain temps. Entre autres membres qui ont travaillé à la rédaction du document, mentionnons les ministres provinciaux de l'Éducation. En fait, on nous a informés par écrit que ce document sera utilisé et examiné afin de voir s'il est possible de l'intégrer au programme pancanadien de sciences que l'on est actuellement à mettre au point et qui, nous l'espérons, sera en place en 1998. Nous sommes très emballés à l'idée que les écoles élémentaires et secondaires de tout le Canada auront accès à un programme de portée nationale, mais qui inclut également le genre de concept décrit dans ce document.

En ce qui a trait à la troisième étude internationale sur les mathématiques, le sondage effectué auprès des étudiants a révélé qu'ils trouvent cette matière ennuyante, que le contenu du programme est ennuyant, tout comme l'enseignement de cette matière. C'est précisément ce problème que nous tentons de régler. Que peut faire la collectivité pour aider les enseignants à rendre les sciences et les mathématiques intéressantes? Nous savons que les professeurs ne peuvent pas tout faire en classe, mais il existe de nombreuses possibilités d'établir un lien entre la collectivité et les programmes de sciences et de mathématiques. Nous estimons être sur la bonne voie, nous concevons des programmes et prenons des initiatives pour essayer de susciter l'intérêt chez les jeunes afin qu'ils perçoivent l'importance de ces notions et compétences que proposent les programmes d'études.

Le sénateur Losier-Cool: Quand vous dites «collectivité», est-ce que vous parlez seulement des établissements financiers ou si vous incluez les parents et d'autres groupes?

Mme McLaughlin: Nous incluons les parents et des groupes comme la troupe de théâtre locale. Nous tenons un concours annuel pour trouver le meilleur partenariat du monde de l'éducation et des affaires, et les candidatures commencent à entrer maintenant. Chaque année, nous publions un livre intitulé The One Hundred Best Partnerships in Canada. Ces partenariats couvrent toute la gamme des organisations, qu'il s'agisse d'un très petit organisme de services sociaux communautaires, du Y, de la troupe de théâtre, de l'hôpital, et cetera. Ce sont tous des employeurs. Nous croyons qu'il est important de tenir compte de leurs points de vue.

Le sénateur Losier-Cool: Certains parents essaient d'intéresser leurs enfants aux mathématiques, mais ils disent qu'ils ne peuvent plus les aider parce qu'ils n'arrivent pas à comprendre les nouveaux programmes de mathématiques.

Mme McLaughlin: Nous étudions cette notion d'aptitude à l'apprentissage. Nous réfléchissons à la façon dont les employeurs peuvent travailler de concert avec les employés pour les aider à motiver leurs enfants dans les domaines qui sont importants et pour s'assurer que leurs enfants sont prêts à apprendre. Nous croyons pouvoir faire avancer les choses dans ce domaine.

Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant M. Larry Brown du Syndicat national des employées et employés généraux du secteur public.

M. Larry Brown, secrétaire-trésorier national, Syndicat national des employées et employés généraux du secteur public: Honorables sénateurs, on vous distribue actuellement une brochure que nous avons réalisée, laquelle inclut notre mémoire officiel ainsi que divers documents d'information auxquels nous faisons référence dans notre mémoire. Comme nous ne représentons pas de membres au Québec, la plupart de nos documents sont unilingues. Nous n'avons presque aucun document en français, tous les documents d'information sont uniquement en anglais. Je m'en excuse, mais c'est tout ce que nous pouvions faire.

Permettez-moi d'offrir nos félicitations au comité pour avoir entrepris ce travail. À notre avis, l'examen de l'enseignement postsecondaire est absolument essentiel parce que, d'après nos observations, le développement du système d'enseignement postsecondaire canadien a atteint un point critique, et nous nous demandons vraiment si nous allons dans la bonne direction.

Le Syndicat national des employées et employés généraux du secteur public est un syndicat fédéré. Nous sommes le deuxième syndicat en importance au Canada, qui représente environ 310 000 travailleurs dans tout le pays grâce à des organisations indépendantes qui se sont réunies sous la direction de notre organisme il y a environ 15 ans. Par exemple, le syndicat des fonctionnaires de la Saskatchewan et le Syndicat des employées et employés de la fonction publique de l'Ontario sont membres de notre organisation.

Nous représentons environ 40 000 travailleurs dans le secteur de l'éducation, principalement dans les collèges communautaires et les établissements d'enseignement postsecondaire à l'échelle provinciale autres que les universités. Bien que nous représentions certains travailleurs dans les universités, les écoles secondaires et les conseils scolaires, la majorité de nos membres dans le secteur de l'éducation sont des personnes qui travaillent pour les ministères provinciaux de l'Éducation et plus précisément dans les collèges communautaires. De concert avec le Syndicat canadien de la fonction publique, la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants et l'Association canadienne des professeurs d'université, nous sommes membres d'une coalition axée sur l'éducation postsecondaire. Permettez-moi de dire que nous appuyons les mémoires qu'a présentés ce groupe à votre comité.

Hier soir, je lisais le mémoire de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants et je dois dire que même si j'étais au courant du contenu général du mémoire, j'ai trouvé certains détails assez remarquables, comme l'augmentation des frais de scolarité et ainsi de suite, de même que la dette que les étudiants auront lorsqu'ils sortiront de l'université. J'ai un fils de 19 ans qui est sur le point d'entrer à l'université, et le mémoire m'a donc intéressé pour deux raisons.

En guise d'introduction de notre mémoire, mentionnons la préoccupation générale que nous avons, et qu'on nous a répétée à maintes reprises, à savoir que nous vivons dans une ère de mondialisation, d'internationalisation des marchés, que la vieille économie est en train de disparaître pour être remplacée par une nouvelle économie qui nécessite une main-d'oeuvre instruite et bien formée, clé de la prospérité du Canada. Même si nous contestons certaines de ces déclarations, nous sommes en accord avec cette orientation; nous devons absolument disposer, il nous semble, d'une main-d'oeuvre instruite et bien formée pour nous adapter aux développements économiques qui se produisent à l'échelle mondiale.

Nous avons même fait ressortir ce que nous considérons comme un mythe au sujet du chômage au Canada, à savoir que la principale cause du chômage est le manque de scolarité et de formation des travailleurs. À notre avis, c'est le manque d'emplois qui crée le chômage. De toute façon, de nombreuses déclarations officielles du gouvernement semblent laisser entendre que si les travailleurs étaient plus instruits et mieux formés, le problème du chômage chez nous ne serait pas aussi grave.

Enfin, nous signalons un problème particulier auquel font face les jeunes Canadiens, lequel est attribuable au taux de chômage élevé, c'est-à-dire l'impossibilité d'entrer sur le marché du travail, la disparité entre l'enseignement qu'ils reçoivent et leur capacité d'accéder au marché du travail et ainsi de suite. Lorsque nous amenons toutes ces préoccupations sur la table et que nous examinons ce qui se passe au Canada du fait que le gouvernement fédéral coupe les subventions à l'enseignement postsecondaire -- et à l'éducation en général dans certaines provinces -- nous n'arrivons tout simplement pas à voir comment ces deux choses s'imbriquent l'une dans l'autre. Il nous semble qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Si l'éducation est aussi nécessaire qu'on le dit -- et nous sommes d'accord là-dessus --, alors pourquoi toutes ces compressions dans les transferts fédéraux aux provinces en matière d'éducation? Nous croyons tout simplement que ces deux idées ne vont pas très bien ensemble.

Notre mémoire officiel renferme plusieurs pages sur l'histoire de la participation du gouvernement fédéral à l'enseignement postsecondaire. Il est évident que l'histoire ne s'est pas faite d'un coup de baguette magique ou par suite d'une décision prise du jour au lendemain; elle s'est constituée à la suite d'une réaction soigneusement élaborée aux politiques établies au Canada et à la nécessité d'instaurer un système d'enseignement postsecondaire. Nous recommandons au Sénat d'examiner cette section de notre mémoire, et nous nous demandons pourquoi toute cette évolution historique a soudainement perdu toute sa valeur.

Depuis 20 ans, nous avons vu se préciser le rôle du gouvernement fédéral au chapitre du financement de l'enseignement postsecondaire, du développement d'un système national, et tout à coup, depuis cinq ou six ans, on assiste à un virage à 180 degrés. Nous croyons que l'augmentation des crédits fédéraux en matière d'éducation et l'accroissement des transferts fédéraux aux provinces pour leur permettre de préserver des normes élevées d'enseignement postsecondaire ont toujours leur place. C'est là une histoire dont nous devrions tirer des leçons, au lieu de fermer les yeux sur la réalité.

Trois faits nouveaux sur le plan fédéral expliquent la situation actuelle. Premièrement, le fameux, ou infâme, TCSPS, le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, que le gouvernement fédéral a utilisé pour réduire de 7 milliards de dollars ses transferts aux provinces. Cela s'ajoute à ce que le C.D. Howe Institute estime être une accumulation de 30 milliards de dollars dans les compressions sur neuf ans, compressions effectuées par le gouvernement précédent, et que le gouvernement ontarien, lui, estime à 41 milliards de dollars. Peu importe le chiffre retenu, la somme est considérable. Le TCSPS est venu ajouter 7 milliards de dollars à ces compressions.

Le gouvernement canadien soutient qu'il a maintenant établi un plancher de 11 milliards de dollars en deçà duquel les transferts en espèces aux provinces ne tomberont pas, mais le gouvernement de la Saskatchewan, entre autres, soutient que les transferts seront inférieurs à ces 11 milliards de dollars. De toute façon, il s'agit ici des transferts fédéraux pour l'éducation, la santé et les services sociaux, et cela n'est simplement pas suffisant pour donner au gouvernement fédéral le pouvoir dont il a besoin pour appliquer des normes nationales dans ces domaines. Déjà, les provinces ne suivent plus la consigne du fédéral en matière de santé et de services sociaux. Il n'y a tout simplement pas assez d'argent dans le système pour que le gouvernement fédéral impose des normes nationales.

Notre mémoire renferme un certain nombre de données qui font état des répercussions ultimes des compressions effectuées à l'aide du Transfert canadien. Je sais que des personnes différentes vont arriver à des sommes différentes, mais quand on parle de 100 milliards de dollars, que ce soit 100 ou 107 milliards de dollars, cela n'a pas véritablement d'importance. Les compressions effectuées dans le cadre du TCSPS auront d'énormes répercussions. Bien que des facteurs externes indiquent que nous devons réagir pour faire face à une économie mondiale, nous estimons que le TCSPS, en réalité, nous a éloignés de la possibilité d'établir de nouvelles normes en matière d'éducation.

Selon la loi régissant le TCSPS, les nouvelles normes nationales concernant les services sociaux, la santé et l'éducation doivent être ratifiées à l'unanimité par les provinces et le gouvernement fédéral. Nous nous demandons s'il est pratique de penser que, par exemple, les gouvernements de l'Ontario, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique s'entendront sur l'une ou l'autre de ces trois choses. Nous nous demandons quand le gouvernement fédéral et les dix provinces s'entendront sur l'élaboration d'une politique en même temps. Cela dit, bien que de nouvelles normes nationales soient possibles en théorie, en réalité, cette possibilité est pratiquement inexistante. À notre avis, nous nous éloignons de ce que nous avions dans le passé pour adopter une position qui, en pratique, aboutira presque certainement à l'impossibilité d'établir des normes nationales en matière d'éducation.

Outre les compressions apportées aux transferts du gouvernement fédéral aux provinces, le gouvernement fédéral a mis un terme à sa pratique établie depuis longtemps d'acheter des places dans les collèges communautaires pour ses employés, ce qui créera beaucoup d'instabilité au niveau des établissements provinciaux. Si au lieu de réserver des places dans les collèges communautaires, le gouvernement donne l'argent aux employés qui pourront eux-mêmes acheter leurs cours, la stabilité du système d'enseignement postsecondaire sera ébranlée. Trouver le meilleur cours et au meilleur prix dans le système d'enseignement postsecondaire n'est souvent pas la meilleure aubaine à long terme parce que la qualité et les normes offertes par les établissements de formation privés qui font concurrence aux établissements publics laisseront à désirer.

En outre, le gouvernement fédéral propose maintenant de confier aux provinces tous les volets du rôle qu'il joue en matière d'emploi, y compris le fait de retirer les gens des rangs des chômeurs pour les faire retourner aux études. Vous trouverez à la page 8 de notre mémoire les propos du gouvernement fédéral même sur le rôle qu'il compte continuer à jouer sur le marché du travail, et je demande aux honorables sénateurs d'examiner ce paragraphe. C'est la propre opinion du gouvernement fédéral sur le rôle qu'il jouera sur le marché du travail une fois le transfert effectué aux provinces. À mon avis, ce rôle sera absolument minime.

À la page 9 de notre mémoire, nous citons certaines réactions des gouvernements provinciaux à tout cela, ce qui nous laisse certainement croire que notre analyse n'est pas erronée. Pour reprendre le langage commun, les provinces disent ceci au gouvernement fédéral: «Si vous ne payez pas, retirez-vous. Si vous n'avancez pas l'argent, ne venez pas nous dire comment diriger nos systèmes.»

Toutes les provinces, à l'exception de la Colombie-Britannique et du Nouveau-Brunswick jusqu'à maintenant, ont prévenu leurs établissements d'enseignement postsecondaire qu'il y aura d'autres compressions au niveau provincial par suite des changements apportés à la politique fédérale. Au Nouveau-Brunswick, ce revirement, si vous voulez, est financé par des augmentations énormes des frais de scolarité, alors que le gouvernement de la Colombie-Britannique apporte actuellement des changements importants à certains de ses engagements. On ne sait pas encore si ce gouvernement respectera sa promesse de ne pas couper les vivres au système d'enseignement postsecondaire.

Aux pages 10 et suivantes de notre mémoire, nous établissons les tendances que nous avons repérées en travaillant de concert avec nos membres qui offrent des services d'enseignement postsecondaire de niveau non universitaire dans tout le pays. Premièrement, cette énorme machine que l'on appelle la rationalisation n'est rien d'autre que l'abandon et la fusion des programmes, un resserrement du système et une réduction des subventions qui sont actuellement offertes aux établissements d'enseignement postsecondaire de niveau non universitaire.

Plus précisément, presque toutes les provinces ont réduit le nombre de cours de base aux adultes et d'anglais langue seconde à un point tel que dans certaines provinces, il ne reste pratiquement plus rien de ces deux cours fondamentaux de niveau postsecondaire.

On constate une tendance dans les établissements publics qui consiste à cesser de former les techniciens de laboratoire médical. Cependant, des laboratoires du secteur privé offrent un programme de formation axé sur des emplois dans ce domaine, où ils forment les gens pour leur apprendre uniquement ce dont ils ont besoin de savoir pour occuper un poste précis auprès d'un employeur donné. À notre avis, les laboratoires du secteur privé, en formant en fait une main-d'oeuvre captive, jouent ce rôle au détriment du système d'éducation public et de sa transférabilité dans le domaine de la technologie médicale.

Dans le domaine du nursing, on constate une tendance marquée à l'amélioration d'une part, où les infirmières sont formées dans les universités et non plus dans les collèges communautaires, et à la diminution d'autre part, où les infirmières sont remplacées par des personnes qui ont une formation minimale et qui viennent d'établissements de formation du secteur privé.

Nous constatons dans tout le pays une tendance de plus en plus marquée à la privatisation du système d'enseignement postsecondaire de niveau non universitaire, laquelle se fait de trois façons. Premièrement, il y a de plus en plus d'établissements privés qui se font concurrence pour offrir un enseignement postsecondaire, comme Joe's Comp College et des établissements du genre, et certains d'entre eux offrent probablement un enseignement de grande qualité. Il ne fait aucun doute que ce n'est pas le cas pour tout le monde. Bien sûr, certains d'entre eux offrent un diplôme qui n'est pas transférable sur le marché du travail. Les étudiants peuvent dépenser des milliers de dollars pour obtenir leur diplôme et l'employeur leur dit: «Mais d'où venez-vous? Je ne connais pas l'établissement d'enseignement qui vous a formés.»

Il ne fait aucun doute que nous allons assister à des faillites de plus en plus nombreuses parmi les établissements d'enseignement privé en plein milieu de l'année scolaire. Dans chacune des provinces, nous avons vu des étudiants qui, après avoir payé des sommes énormes pour leurs frais de scolarité, se retrouvent en plein milieu d'un programme dans un établissement de formation privé qui fait faillite. Aucune province n'a échappé au phénomène. C'est là une forme de privatisation qui nous inquiète beaucoup.

Deuxième préoccupation que nous avons au sujet de la privatisation du système d'éducation: l'imposition par le secteur privé de ses buts et opinions, de sorte que l'enseignement devienne un enseignement pour un emploi et non un enseignement en général. Enfin, nous sommes inquiets de la privatisation de certains éléments du système public, comme les services éducatifs complémentaires.

Nous constatons deux autres tendances dans chaque province, à savoir la régionalisation de la structure de gestion et des fonctions administratives. Nous notons d'énormes bouleversements dans les systèmes d'enseignement postsecondaire de niveau non universitaire du fait que les gouvernements restructurent leurs opérations pour tenter de répondre aux besoins nouveaux. Dans l'ensemble, nous constatons une diminution du travail et une augmentation de l'utilisation de la technologie, ce qui, à notre avis, n'est pas entièrement mauvais, mais cela a certainement des répercussions importantes sur les personnes qui offrent les services.

Aux pages 13 et suivantes, nous avons essayé de mettre en relief certaines des répercussions province par province, à l'exception du Québec. Je recommande simplement aux membres du comité de les lire.

Par exemple, Terre-Neuve vit actuellement des difficultés d'ordre économique à l'égard de son système d'enseignement postsecondaire. Nous dressons la liste de certaines des compressions qui ont déjà été effectuées dans cette province dans ce domaine. En Nouvelle-Écosse, on songe à réaliser des fusions et à fermer cinq campus. Au Nouveau-Brunswick, les frais de scolarité auront augmenté d'environ 400 p. 100 en quatre ans. L'Île-du-Prince-Édouard envisage d'effectuer des coupes importantes dans les revenus de ses établissements. Nous vous donnons certains exemples du genre de compressions qui sont effectuées actuellement en Ontario, et ainsi de suite dans toutes les provinces. Aucune n'y échappe.

Enfin, à la page 20 de notre mémoire, nous disons qu'il y a des solutions de rechange, que tout cela n'est pas nécessaire. Dans le climat actuel de mondialisation des marchés, nous estimons que le gouvernement fédéral doit réagir à ces tendances. Comme le chômage est un problème national, nous estimons que le gouvernement fédéral doit réagir. Nous recommandons la création d'un comité permanent au niveau fédéral qui serait chargé d'examiner la question des normes relatives à l'enseignement postsecondaire dans tout le pays.

Nous croyons qu'il faut injecter plus d'argent dans le système. À notre avis, le gouvernement fédéral doit s'assurer que, lorsqu'il donne de l'argent aux provinces pour l'enseignement postsecondaire, c'est à cela que les fonds doivent servir. Le TCSPS, comme vous le savez, n'exige absolument rien de semblable; il s'agit simplement d'une somme accordée aux provinces qui peuvent en faire ce qu'elles veulent.

Nous recommandons que les établissements d'enseignement public continuent d'être les principaux fournisseurs de l'enseignement postsecondaire, assurant ainsi l'équité et la qualité des programmes.

Nous croyons que toutes les provinces, à l'exception du Québec où la situation est différente, doivent avoir des normes nationales. Le fait de ne pas avoir de normes nationales dans le climat actuel nous paraît absolument insensé. Ce que nous disons aux dix provinces, comme on l'a dit à la province de Terre-Neuve qui fait face à une crise financière: «De nos jours, c'est à vous qu'il appartient d'assurer un enseignement postsecondaire de qualité».

En conclusion, nous croyons qu'il y a une grave disparité actuellement entre les besoins des Canadiens et les mesures que les gouvernements à tous les niveaux adoptent à l'égard du système d'enseignement postsecondaire. Nous lisons les discours dans lesquels les gens disent qu'une main-d'oeuvre bien formée et instruite sera absolument essentielle pour que nous soyons en mesure de livrer concurrence sur les marchés; or, nous constatons ce qui se passe dans le système, et nous n'arrivons tout simplement pas à concilier les deux idées. Nous recommandons au Sénat d'attirer l'attention des Canadiens sur les répercussions que cette restructuration et toutes les autres compressions dans les paiements de transfert ont eues sur notre système d'enseignement postsecondaire. Si vous y arrivez, nous croyons que vous n'aurez pas perdu votre temps.

Le président: Vous n'avez pas parlé beaucoup du rôle du Conseil des ministres de l'Éducation. Croyez-vous qu'ils sont très efficaces?

M. Brown: Oui, mais dans les limites qui leur sont imposées. Nous croyons qu'en général, les ministres de l'Éducation provinciaux ont cette tendance particulière à défendre leur province et non à proposer un modèle canadien. Plusieurs ministres de l'Éducation affichent une étrange mentalité provinciale en disant: «Dans la Constitution de 1867, l'éducation nous a été confiée, donc nous en gardons la responsabilité. Nous ne voulons absolument pas que le gouvernement fédéral mette son nez là-dedans. Nous avions l'habitude de le tolérer à cause de l'argent qu'il nous fournissait. Mais si l'argent ne vient plus, nous n'allons même pas accepter une intrusion.» Voilà une intervention très intéressante et qui se veut à la défense de leur province, mais nous ne sommes pas certains que cette attitude soit la meilleure pour répondre au besoin que nous avons actuellement d'établir un système d'enseignement postsecondaire pancanadien.

Lorsque l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a été adopté et que les provinces se sont vu confier la compétence en matière d'éducation, les gouvernements ne jouaient pas un rôle très actif dans ce domaine. C'était tout simplement une de ces petites concessions que l'on pouvait faire aux gouvernements provinciaux. Je ne crois pas que la loi de 1867 visait à faire en sorte qu'il n'y ait pas de normes nationales en matière d'éducation.

Le sénateur Lavoie-Roux: N'y avait-il pas d'autres raisons de confier l'éducation aux provinces que le simple transfert d'argent?

M. Brown: Je suis certain que oui.

Le sénateur Lavoie-Roux: Les raisons ont surtout trait à une question de langue, et c'est pourquoi le Québec tient tellement à garder sa compétence en matière d'éducation. Je comprends la province d'agir ainsi.

M. Brown: Nous aussi. J'ai effectivement fait remarquer que la situation au Québec est différente. La langue, la culture et l'histoire du Québec sont différentes et des normes nationales ne devraient pas invalider le système du Québec. Par contre, l'autonomie provinciale en matière d'éducation à l'Île-du-Prince-Édouard ou à Terre-Neuve ou dans ma propre province de la Saskatchewan est beaucoup moins sensée.

Le président: Vous avez dit également que le gouvernement fédéral doit établir un mécanisme pour s'assurer que l'argent destiné à l'enseignement postsecondaire est effectivement dépensé pour cela. Avez-vous des preuves qu'une partie de cet argent n'est pas consacrée actuellement à l'enseignement postsecondaire?

M. Brown: L'ancien système prévoyait que si le gouvernement fédéral transférait de l'argent à une province pour l'éducation, elle devait consacrer ces crédits à l'éducation. Si elle voulait construire une route avec son propre argent et dépenser l'argent du gouvernement fédéral pour l'éducation, elle pouvait le faire. Dans le cadre du TCSPS, qui est en place uniquement depuis le mois d'avril, même cette exigence n'existe plus. Le gouvernement fédéral donne effectivement un chèque en blanc aux provinces. C'est un chèque en blanc beaucoup moins important qu'avant, mais le gouvernement ne dit pas que la province doit consacrer cet argent à l'éducation. Il dit simplement: «Voici votre allocation», et les provinces ont toute la latitude voulue pour dépenser l'argent comme elles le veulent.

Dans le domaine des services sociaux, il existe une norme nationale: les provinces ne peuvent pas restreindre l'admissibilité aux services ou les services sociaux. Elles peuvent faire ce qu'elles veulent avec le financement global du gouvernement fédéral dans la mesure où elles respectent cette exigence concernant les services sociaux.

Dans le domaine de la santé, il y a environ sept normes que doivent respecter les provinces. En éducation, il n'y a pas de normes nationales, il n'y a simplement pas d'exigences nationales. Bref, la province n'est pas tenue de dépenser l'argent du TCSPS pour l'éducation. Le gouvernement fédéral ne peut absolument pas dire: «Vos normes en matière d'éducation sont inférieures à ce que nous considérons comme acceptable, donc nous ne vous donnons plus d'argent.»

Le président: Vous avez dit que le gouvernement fédéral devrait mettre un mécanisme en place pour cela. Quel genre de mécanisme aviez-vous en tête?

M. Brown: Premièrement, nous estimons que si le gouvernement fédéral transfère de l'argent aux provinces pour l'enseignement postsecondaire, les provinces devraient être tenues de consacrer une certaine partie de cet argent à l'enseignement postsecondaire, ce qui n'est pas le cas. Nous disons que les crédits du gouvernement fédéral devraient être davantage une subvention de contrepartie de sorte que lorsque la province dépense son propre argent, le gouvernement fédéral en dépense aussi. C'est la première chose.

Deuxièmement, nous croyons que le gouvernement fédéral devrait réserver une certaine partie des fonds attribués aux provinces pour l'éducation. L'argent que le gouvernement fédéral transfère dans le cadre du TCSPS peut être utilisé pour construire des routes, pour accorder des subventions aux agriculteurs ou autre chose; il n'est pas nécessaire qu'il soit consacré à l'éducation.

Nous soutenons que, d'abord, une province devrait être tenue de dépenser son propre argent et, ensuite qu'une certaine partie de l'argent provenant des transferts fédéraux devrait être affectée à l'éducation.

Le sénateur Andreychuk: Essentiellement, le gouvernement fédéral a dit qu'une partie de l'argent va à l'éducation, mais vous soutenez que les provinces peuvent définir l'éducation comme elles l'entendent. En réalité, est-ce que vous dites que les provinces peuvent prendre l'argent affecté à l'éducation et faire ce qu'elles veulent avec en toute conscience? D'après ce que je comprends, l'argent est accordé aux provinces en supposant qu'elles vont le consacrer à l'éducation, mais le terme «éducation» peut être défini de façon créative, si bien qu'il ne cadre pas avec la définition généralement acceptée.

M. Brown: Je ne parlerai jamais de ce que les gouvernements font en toute conscience parce que cela dépasse mes compétences. En termes pratiques, je pense qu'il est important de comprendre que selon les règles établies avant, si le gouvernement fédéral donnait de l'argent à une province pour la santé ou pour l'éducation, c'est à ces deux postes qu'elle était tenue d'affecter l'argent. Selon les anciennes règles, les provinces n'étaient pas tenues de dépenser leur propre argent en matière de santé ou d'éducation, mais elles le faisaient. On avait apposé une sorte d'étiquette sur les subventions. Cet argent devait aller directement dans l'enveloppe de l'éducation.

Selon le TCSPS, les provinces reçoivent une somme globale pour la santé, l'éducation et les services sociaux et, si une province en particulier décide de réduire de moitié ses crédits à l'éducation, de diminuer ses dépenses en matière de santé et de ne rien dépenser pour les services sociaux, si elle n'impose pas de restrictions à l'admissibilité aux services sociaux, c'est parfait. Sauf ce problème de conscience, rien n'oblige une province à affecter à l'éducation l'argent qui est transféré du gouvernement fédéral.

Le président: Il y a de nombreuses années, j'ai eu le privilège d'être ministre de la Santé de ma province, et à cette époque, les provinces soutenaient que la santé et l'éducation étaient de compétence provinciale et que le gouvernement fédéral ne devait pas leur dire comment dépenser leur argent dans ces deux domaines. Comme elles avaient compétence en matière d'éducation et de santé, les provinces ont persuadé le gouvernement fédéral de leur donner un financement global. C'était peut-être une erreur, mais ce qu'il faut retenir, c'est que c'est de cela que les provinces ont tiré leur force pour s'unir et pour faire ce qu'elles souhaitaient avec l'argent tout en laissant le grand patron en dehors de tout cela. Aujourd'hui, le gouvernement fédéral ne dispose d'aucun contrôle pour assurer une éducation uniforme dans tout le Canada.

M. Brown: Nous n'irions pas jusqu'à dire que le gouvernement fédéral devrait établir chaque exigence pour chaque détail en matière d'éducation dans les provinces non plus, parce que nous croyons que cela n'a pas de sens. Le meilleur équilibre que l'on puisse trouver dans un système fédéral, c'est lorsque les deux paliers de gouvernement partagent les responsabilités et la prise de décisions. Par suite de décisions purement financière, les provinces se retrouvent aujourd'hui avec une pleine autonomie en matière d'éducation, une autonomie quasi complète en matière de services sociaux et un gros point d'interrogation au sujet des soins de santé. Je ne crois pas que c'est ce que les Canadiens ont demandé à leurs gouvernements de faire. De fait, la dernière fois qu'il y a eu un vote sur la question de la dévolution des pouvoirs aux provinces, l'amendement constitutionnel a été rejeté. Pourtant, nous assistons aujourd'hui à une dévolution énorme des pouvoirs aux provinces, au point que nous nous retrouvons avec 10 systèmes d'éducation distincts et différents sans que le gouvernement fédéral ne puisse imposer aucune norme nationale.

Lorsque les revenus pétroliers viendront à manquer à la Nouvelle-Écosse, à la Saskatchewan et à l'Alberta, elles seront obligées de financer le système d'éducation postsecondaire -- un système de catégorie mondiale conçu pour faire face à la compétitivité internationale et à toutes ces situations aux noms compliqués. Ces provinces vont devoir financer un système d'éducation postsecondaire par leurs propres moyens, et nous croyons que cela n'a pas de sens. Cela n'a pas de sens de leur dire qu'elles n'ont aucun rôle à jouer, mais de dire au gouvernement fédéral qu'il n'a pas de rôle non plus pour financer l'éducation ou pour la définir, cela ne semble pas non plus crédible.

Nous représentons des travailleurs au niveau provincial et nous disons que le gouvernement fédéral, en retirant ses billes, donne simplement aux provinces la possibilité d'administrer les mises à pied lorsqu'elles feront face à la prochaine crise économique. Certains gouvernements provinciaux du Canada ne sont tout simplement pas en mesure de financer un système d'éducation de haute qualité -- et je pourrais partir sur une tangente au sujet de l'autre chose qu'a apportée le TCSPS, c'est-à-dire éliminer tous les programmes automatiques de stabilisation du gouvernement fédéral. Lors de la prochaine récession, ces gouvernements provinciaux vont avoir beaucoup moins de revenus, pratiquement aucune aide du gouvernement fédéral et on attendra d'eux qu'ils forment des gens capables de faire concurrence dans un système d'éducation international. Comment fermer la quadrature du cercle?

Le sénateur Andreychuk: Cela nous amène-t-il à conclure naturellement que les petites provinces, comme Terre-Neuve, la Saskatchewan et le Manitoba, seront affaiblies parce qu'elles auront moins de souplesse et de ressources, par opposition à l'Ontario, au Québec ou à la Colombie-Britannique?

M. Brown: Si vous regardez notre ventilation province par province, vous constaterez que c'est déjà le cas. Terre-Neuve n'a pas besoin d'attendre la prochaine récession, elle est déjà en état de crise à cause notamment de la situation de la pêche. Certaines régions de Terre-Neuve comptent un taux de chômage de 45 p. 100, et le retrait de plus en plus marqué du gouvernement fédéral au chapitre du financement de l'enseignement postsecondaire fait en sorte que son système d'éducation est déjà en état de crise.

Il existe diverses théories sur la nature de notre système de gouvernement national, mais l'une d'elles soutient qu'il permet d'équilibrer les forces et les faiblesses des régions. À certains moments, c'est l'Ontario qui sera en moins bonne posture économique que l'Alberta. Les régions les plus faibles ne seront pas nécessairement les seules qui en souffriront, mais elles seront certainement les premières à être vulnérables.

Notre province natale à nous deux, la Saskatchewan, n'est pas suffisamment grande pour faire face à une grave crise économique tout en étant en mesure d'offrir un système d'éducation postsecondaire de qualité à propos duquel tout le monde semble s'entendre aujourd'hui. Il y aura des périodes dans notre histoire où la Colombie-Britannique, l'Alberta et la région de l'Atlantique seront prospères alors que l'Ontario pourra faire face à une crise du secteur manufacturier. Je ne crois pas que les choses aillent dans un sens seulement.

Le sénateur Forest: Je comprends les préoccupations que vous avez exprimées ici. Je pense que nous tous qui sommes impliqués dans le domaine de l'éducation avons reconnu que lorsque le financement global a été approuvé, le gouvernement fédéral n'aurait plus rien à dire. Nous avons aussi reconnu que les provinces soutenaient que si le gouvernement fédéral ne leur donnait pas d'argent, il n'était pas autorisé à diriger leurs affaires. Je crois que cela a été malheureux.

J'aime bien la recommandation dans laquelle vous dites que lorsque le gouvernement fédéral verse de l'argent, les provinces ont la responsabilité de faire de même, mais je ne sais pas comment nous pourrions y arriver.

Le président: Pourriez-vous donner plus de détails sur votre recommandation concernant les changements à apporter à la formule de financement?

M. Brown: Les documents d'information que nous avons déposés ce matin renferment un chapitre détaillé sur cette question.

Permettez-moi d'expliquer ma réponse... et je suis fort sérieux. Parfois, les moyens que nous employons pour changer importent moins que le fait de reconnaître que nous devons changer de direction. Si nous décidons de prendre une autre direction, il y a probablement une centaine de formules tout aussi valables que la nôtre. En fait, ce dont nous parlons, c'est d'une combinaison du revenu par habitant et par province, principalement par habitant, ce qui signifierait en réalité que le gouvernement fédéral serait responsable du transfert d'un certain montant basé sur le revenu provincial par habitant, et que le montant de ce financement augmenterait d'office au même rythme que le PIB ou que le taux d'inflation. Nous avons essayé de ne pas compliquer inutilement les choses. Selon nous, la formule importe moins que la nécessité d'avoir un financement à long terme, stable et prévisible.

Je n'insisterais pas si vous n'acceptiez pas l'une des données de notre formule, mais nous croyons que la stabilité, la prévisibilité et une augmentation basée sur des faits concrets sont les éléments qui doivent être présents -- le tout reposant sur la prémisse voulant que pour recevoir cet argent, une province doit d'abord satisfaire à certaines normes.

Le président: Merci. Nous entendrons maintenant le point de vue du Syndicat canadien de la fonction publique.

Mme Morna Ballantyne, adjointe administrative à la présidente nationale, Syndicat canadien de la fonction publique: Permettez-moi d'abord de vous expliquer les raisons de l'absence de Judy Darcy. Comme vous le savez peut-être, elle est très prise actuellement par le dossier des lignes aériennes, et elle vous demande de l'excuser.

Cathy Remus, agente supérieure de recherche au sein de notre organisme, m'accompagne aujourd'hui. De fait, Mme Remus possède beaucoup plus de compétences que moi pour ce qui est des questions relatives à l'enseignement postsecondaire. Je vais d'abord vous donner quelques précisions sur le Syndicat canadien de la fonction publique.

Le SCFP est le plus grand syndicat du Canada. Nous représentons plus de 450 000 travailleurs partout dans le pays, et plus de travailleurs dans les universités et les collèges que tout autre syndicat canadien. En effet, environ 40 000 de nos membres travaillent dans des universités et des collèges: personnel de soutien, personnel administratif, préposés aux bibliothèques, techniciens, travailleurs des services d'alimentation, employés d'entretien et personnel de garde, personnel de sécurité, ouvriers chargés de l'entretien des terrains, assistants à la recherche, adjoints à l'enseignement et chargés de cours à temps partiel.

Nous représentons également les parents de nombreux étudiants qui fréquentent des établissements de niveau postsecondaire, et peut-être même un plus grand nombre de parents d'étudiants qui voudraient poursuivre des études postsecondaires.

J'aborderai les principaux points soulevés dans notre mémoire, et Cathy en traitera en profondeur.

Le premier point dont nous voulons vous entretenir est notre inquiétude face à la tendance actuelle, au Canada, à la privatisation des établissements d'enseignement supérieur. Nous croyons qu'il est primordial que l'enseignement postsecondaire reste du domaine de l'État et sous le contrôle de l'État.

Une autre de nos préoccupations est l'accès de plus en plus difficile à un enseignement postsecondaire à coût abordable. Ce point tient fort à coeur à nos membres. A toutes nos réunions, ou presque, peu importe où ils travaillent, nos membres expriment leur inquiétude face à l'avenir de leurs enfants, notamment la disparition progressive des emplois disponibles. Nos membres croient que la meilleure façon d'assurer des emplois à leurs enfants est de se battre pour garder leurs propres emplois pour que leurs enfants puissent un jour les occuper, et de donner à leurs enfants la chance de recevoir une formation postsecondaire dans un collège ou dans une université. C'est là une préoccupation réelle pour nos membres.

Dans le même ordre d'idées, nos membres s'inquiètent également de ce qu'ils perçoivent comme l'abandon progressif par le gouvernement fédéral de sa responsabilité de subventionner un enseignement postsecondaire de qualité et de rendre cet enseignement accessible à tous les Canadiens, peu importe leur lieu de résidence. Ce sont les trois points dont nous voulons vous entretenir aujourd'hui.

Mme Cathy Remus, agente de recherche, Syndicat canadien de la fonction publique: Nous exposerons d'abord les raisons pour lesquelles nous croyons qu'il est important d'avoir un système public d'enseignement postsecondaire.

Nos membres ont été témoins de diverses formes de privatisation sur les campus. Par exemple, les cadres supérieurs sont censés agir plus comme des dirigeants de grandes sociétés que comme des chefs de file universitaires; les administrateurs qui détiennent des investissements et des participations dans le monde des affaires sont plus préoccupés par leurs propres affaires que par leurs tâches dans l'établissement d'enseignement; les programmes de recherche et de formation sont évalués en fonction de leur viabilité commerciale; on encourage de plus en plus les membres du corps professoral à devenir des entrepreneurs dans le cadre de leurs tâches; des pressions s'exercent pour revoir à la baisse les salaires du personnel; l'infrastructure devient un facteur de compétitivité; on met l'accent sur la valeur commerciale de la recherche plutôt que sur la formation offerte; enfin, la restructuration des programmes et la redéfinition de la mission des universités visent surtout à attirer des fonds privés. Ce sont là certains des exemples que nous avons vus.

Nous savons que l'importance de l'enseignement postsecondaire n'est plus contestée. Une multitude d'études dans divers domaines montrent que le Canada a besoin d'une main-d'oeuvre instruite, et que de plus en plus d'emplois exigent une formation poussée. Il faut maintenant se demander si un système d'enseignement privé peut offrir le type de formation nécessaire dans l'économie contemporaine. Nous prétendons que ce n'est pas possible, et nous tentons d'expliquer pourquoi dans notre mémoire.

Le premier point que nous soulevons est l'abordabilité du système public, et la première question que nous posons est celle-ci: «Ce serait bien, évidemment, mais pouvons-nous nous le permettre?» Le SCFP, en collaboration avec des organismes actifs dans d'autres secteurs, est impliqué dans un processus que nous appelons «budget fédéral parallèle». Dans le cadre de ce processus, nous avons préparé des budgets parallèles aux deux derniers budgets fédéraux; ces budgets parallèles prévoyaient la restauration et l'augmentation des programmes de dépenses fédérales en matière d'enseignement postsecondaire, un système national de bourses pour aider les étudiants à faire face à l'augmentation des frais de scolarité, du prix des livres et des autres dépenses, et des subventions plus élevées pour l'enseignement aux membres des premières nations.

Le budget parallèle suggère des façons de financer les politiques et les mesures gouvernementales par une réforme de la fiscalité et par l'adoption d'une stratégie visant à favoriser la croissance économique. L'enseignement postsecondaire fera à nouveau partie, cette année, du budget fédéral parallèle.

En deuxième lieu, nous alléguons qu'un système privé n'offrirait pas la même qualité d'enseignement qu'un système public. Nous croyons que l'enseignement postsecondaire joue un rôle de premier plan en donnant au Canada un électorat informé, des animateurs communautaires, des professionnels, des artistes, des chercheurs et des spécialistes... une collectivité véritable à laquelle chacun contribue de son mieux. Le transfert des connaissances est une composante importante de l'économie, et ce vaste mandat ne peut être rempli que dans un système public d'enseignement. Nous pensons que le mandat d'un système privé serait beaucoup plus étroit, plus axé vers des objectifs à court terme.

Les établissements d'enseignement postsecondaire dépendant de plus en plus des fonds privés pour leur financement, nous constatons que les cours offerts et la restructuration des établissements reflètent beaucoup plus les priorités des grandes entreprises et du monde des affaires que les besoins des étudiants et les priorités de l'ensemble de la collectivité.

Il est intéressant d'étudier ce qui se produit actuellement à l'Université Carleton où on procède à une restructuration majeure, où on étudie les changements à apporter et où on tente de définir ce que devrait être la mission de cette université. On envisage de concentrer les activités sur deux programmes hautement commercialisables, liés à la demande du secteur privé. Le premier programme serait orienté vers les industries de haute technologie, le second sur la consultation en matière de politiques publiques, avec pour objectif de former des conseillers dans ce domaine parce que l'Université Carleton est située à Ottawa.

Il est intéressant d'étudier les motifs de cette orientation. On ne tient pas compte des besoins des étudiants. Ni les étudiants, ni les membres de l'agglomération d'Ottawa n'ont été consultés. Le secteur de la haute technologie se félicite des changements proposés, parce que ses besoins seront satisfaits. Toutefois, nous croyons que les universités et les collèges doivent voir plus loin que les besoins d'une partie de la société et trouver un moyen de concilier les besoins du monde des affaires et ceux des autres groupes. Je me permets d'inviter les honorables sénateurs à se pencher sur la situation qui existe ici même, à l'Université Carleton.

Nous ne prétendons pas que les universités et les collèges ne doivent pas viser la plus grande efficience et la plus grande efficacité, mais nous croyons qu'ils peuvent atteindre cet objectif à l'intérieur d'un système public.

Le dernier point ayant une incidence sur la qualité de l'enseignement postsecondaire est la prévisibilité du financement. Les universités et les collèges ne peuvent planifier pour l'avenir et offrir un large éventail de cours que s'ils savent pouvoir compter sur un financement prévisible à long terme, ce qui n'est possible que dans le secteur public. Cela est en effet impossible dans le secteur privé, parce que le secteur privé établit des objectifs à court terme.

La responsabilité financière est un autre problème lié à la privatisation. Nous alléguons que dans un système privé, l'imputabilité n'existe tout simplement pas, et nous avons de nombreux exemples pour étayer cet argument. De plus en plus d'entreprises s'installent sur les campus pour y fournir des services. Ces entreprises signent des contrats privés, protégés par les règles sur la confidentialité. Ceux qui paient pour les services universitaires -- les étudiants qui versent des frais de scolarité et les contribuables qui paient des impôts -- n'ont pas le droit d'être informés des modalités de ces contrats qui sont protégés par la loi. La privatisation crée donc un problème de transparence pour ce qui est des services offerts au public.

Une autre raison qui nous amène à plaider en faveur d'un système public est l'impact économique des universités et des collèges sur les collectivités dont ils font partie. Nous avançons que l'économie -- tant l'économie locale ou régionale que l'économie nationale -- est du ressort du gouvernement, et que par conséquent, les universités et les collèges doivent faire partie de la planification gouvernementale en matière d'économie locale.

Les dépenses du secteur public, notamment les sommes consacrées à l'enseignement postsecondaire, sont d'une importance économique vitale. Les collèges et les universités jouent un rôle de premier plan dans l'économie locale, régionale, provinciale et nationale. Ils contribuent à cette économie et sont souvent le plus important employeur de leur collectivité. Nous ne pouvons pas passer sous silence les répercussions des compressions budgétaires sur l'économie locale.

Une étude réalisée par le Conseil des universités de l'Ontario révèle que chaque dollar dépensé dans les universités par le gouvernement de l'Ontario génère des activités économiques d'une valeur de quatre dollars. Cette étude estime par ailleurs qu'en 1994, des réductions de 20 p. 100 des subventions aux universités auraient fait économiser 376 millions de dollars au gouvernement provincial, mais auraient entraîné des retombées négatives de plus de un milliard de dollars. Au moment de prendre une décision au niveau fédéral, il faut en évaluer les répercussions au niveau local.

En ce qui a trait à l'accessibilité et à l'abordabilité, le SCFP croit que tous les Canadiens devraient avoir droit à un enseignement postsecondaire de haute qualité à coût abordable. De nos jours, les gouvernements admettent ouvertement qu'ils refilent le coût de l'enseignement postsecondaire aux étudiants et à leurs familles, sous prétexte que c'est la personne qui reçoit l'enseignement postsecondaire qui en profite. Nous alléguons que la société en profite tout autant que l'individu. Nous connaissons tous des personnes qui ont reçu un enseignement postsecondaire dont nous avons profité autant qu'elles. Pensez à votre plombier, à votre avocat, à votre médecin, à l'infirmière en salle d'urgence ou à l'urbaniste qui a dressé les plans du quartier que vous habitez. Toutes ces personnes ont profité de l'enseignement postsecondaire qu'elles ont reçu, mais nous en avons sans doute profité autant qu'elles.

Par ailleurs, ceux et celles qui ont reçu un enseignement de niveau supérieur font moins appel aux ressources de la société. Des études montrent que ces personnes sont en général en meilleure santé et qu'elles ont moins recours au système public de santé que les personnes ayant moins de scolarité.

Le sénateur Lavoie-Roux: C'est inexact; ils s'en servent plus. Mais nous y reviendrons.

Mme Remus: Ils sont moins susceptibles de faire appel à des programmes tels l'assurance-emploi et l'assistance sociale. Ils sont plus susceptibles de contribuer à l'économie parce que leurs revenus sont habituellement plus élevés. Ils sont plus susceptibles d'acheter des maisons et des voitures et de participer à l'activité économique.

L'augmentation des frais de scolarité est un problème, le résultat direct des compressions de l'État. Fait à noter, ils sont un facteur clé de l'inflation. Chaque fois que l'IPC est annoncé, les frais de scolarité sont toujours l'un des principaux facteurs d'inflation.

A notre avis, un programme national d'aide aux étudiants est nécessaire. Il n'est tout simplement pas réaliste de croire que les banques feront passer les besoins des étudiants avant les intérêts de leurs actionnaires. Leur rôle est de protéger les intérêts de leurs actionnaires. Ce n'est que dans le cadre d'un système national que tous les étudiants du pays pourront recevoir l'aide dont ils ont besoin.

Nous préconisons le retour à un système d'aide aux étudiants au moyen de bourses plutôt que de prêts. Nous croyons qu'un système de bourses facilite l'accès à l'enseignement postsecondaire, particulièrement aux groupes qui, traditionnellement, n'ont pas été intégrés dans le système d'enseignement. Nous nous opposons aux prêts étudiants remboursables en fonction du revenu. Nous considérons que cette réforme de l'aide aux étudiants est fondamentalement injuste, parce qu'elle signifie que les étudiants à faible revenu paieront plus cher leur formation que ceux dont le revenu sera élevé.

Une question d'équité est également en jeu. Les femmes, les personnes de couleur et les personnes handicapées paieront plus cher leur formation parce qu'elles devront payer plus d'intérêt que ceux et celles qui n'ont pas à emprunter pour poursuivre leurs études ou qui peuvent rembourser leurs prêts rapidement. Certaines questions d'équité sont inhérentes à ce concept global. Il nous faut des régimes de remboursement souples, un allégement des intérêts et un allégement de la dette, mais un régime de prêts remboursables en fonction du revenu n'est pas la solution.

Le SCFP s'inquiète du peu d'empressement du gouvernement fédéral à élaborer des normes nationales pour les programmes sociaux. Nous savons qu'en vertu de la Constitution, l'enseignement est du ressort des provinces, et qu'il est important que ces dernières soient impliquées dans l'élaboration de normes nationales. Toutefois, nous aimerions que les gouvernements fédéral et provinciaux parviennent à s'entendre sur la façon d'instaurer le type de système d'enseignement dont le Canada a besoin.

Nous énumérons, dans notre mémoire, nombre de raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral devrait être impliqué dans l'enseignement postsecondaire: premièrement, l'enseignement postsecondaire est une composante essentielle d'une stratégie nationale du marché du travail. Deuxièmement, comme les établissements d'enseignement postsecondaire sont des centres d'apprentissage et de formation en vue de l'entrée sur le marché du travail, des centres de perfectionnement personnel, des moteurs de recherche et de développement régional, ils ont des répercussions importantes sur les économies locale, régionale et nationale. Troisièmement, le gouvernement fédéral devrait prendre l'initiative pour s'assurer que les Canadiens auront la possibilité d'acquérir les compétences et les connaissances dont ils ont besoin pour s'adapter efficacement aux conditions qui changent rapidement.

Nous recommandons que le rôle du gouvernement fédéral dans le financement de l'enseignement postsecondaire et dans l'établissement de normes nationales soit défini dans une loi. Ceux qui ne croient pas à l'importance du rôle du fédéral dans le financement n'ont qu'à voir quelles répercussions a le TCSPS. Ce programme a déjà eu des répercussions sur la qualité, sur les sommes disponibles pour l'enseignement postsecondaire et sur la qualité de l'enseignement offert dans les universités et les collèges. Il n'est pas trop tôt pour évaluer les effets du TCSPS.

Le pouvoir fédéral de dépense est beaucoup critiqué de nos jours, mais personne n'a encore avancé une meilleure idée. Si les provinces collaboraient davantage avec le gouvernement fédéral pour établir des normes nationales, le pouvoir fédéral de dépense ne serait peut-être pas un tel problème.

Si le Québec demande des arrangements distincts, il devrait y avoir des dispositions distinctes pour le Québec. Cela ne signifie pas que chaque province devrait recevoir la même chose que le Québec. Nous croyons qu'il est sûrement possible d'établir des dispositions applicables au Québec et des dispositions applicables aux autres provinces, si tel est leur désir.

En ce qui a trait aux normes nationales, nous approuvons celles qui sont mentionnées par le sénateur Bonnell dans les notes afférentes à son étude. Ce sont de bons points de départ. J'en fais la lecture, pour les fins du compte rendu.

1. L'enseignement postsecondaire doit être subventionné par l'État.

2. L'enseignement postsecondaire doit être accessible et abordable.

3. Les étudiants doivent pouvoir se déplacer d'une province à l'autre.

4. Notre système d'enseignement supérieur doit être complet.

5. Les cours suivis dans un établissement doivent être crédités dans un autre établissement.

Nous croyons que ces points doivent être discutés avec les provinces dans un forum public semblable au conseil des ministres qui existe actuellement. Les provinces n'ont pas de mandat de leurs électeurs pour entreprendre les négociations dans lesquelles elles s'engagent. Nous croyons que le public devrait participer à ces négociations. Nous recommandons l'établissement d'un conseil consultatif national sur l'enseignement postsecondaire, conseil auquel on pourrait faire appel au cours des négociations.

Le président: Je note que vous préconisez un système de bourses. Avez-vous des suggestions concrètes à offrir sur le mode de fonctionnement d'un tel système?

Mme Remus: Le budget fédéral parallèle illustre un moyen de financer ce système, moyen qui devrait sans doute être fondé sur un examen des besoins. À une autre époque, nous aurions préconisé un programme de bourses non fondé sur un examen des besoins et auquel tous les étudiants auraient accès pour acquitter leurs frais de scolarité et couvrir leurs frais de logement et autres, mais dans la conjoncture actuelle, un programme fondé sur un examen des besoins serait formidable.

Le président: Avez-vous fait des recherches sur l'efficacité des dispositions de notre régime fiscal concernant l'éducation? Est-ce que les déductions et les crédits d'impôt rendent l'enseignement postsecondaire plus abordable?

Mme Ballantyne: Nous n'avons pas fait de recherche précise sur les diverses exemptions fiscales, les crédits et autres allégements fiscaux. Nous croyons qu'il existe des injustices inhérentes au régime fiscal, et pensons que nous devrions déterminer à qui profitent actuellement les avantages fiscaux, particulièrement la réduction d'impôt pour frais de scolarité, peu importe le nom qu'on donne à cette mesure. Nous avons un groupe de recherche qui se penche sur cette question, alors elle fait partie du budget parallèle que nous proposons.

Mme Remus: Au cours de l'examen des programmes sociaux, nous avons étudié l'idée d'un régime enregistré d'épargne-études, parce qu'une proposition en ce sens avait été déposée. Mais nous avons été déçus lorsque nous avons compris qui pourrait se prévaloir de ces régimes, ce qui nous ramène aux questions d'équité que nous avons abordées plus tôt.

Le sénateur Forest: Vous avez mentionné que l'Université Carleton se concentre sur les domaines de haute technologie. Je suis évidemment d'accord avec vous pour dire que le champ doit être beaucoup plus vaste. En Alberta, un groupe d'étude sur l'enseignement postsecondaire analyse ce que certains collèges peuvent faire mieux que les autres. Le collège de Lethbridge offre un excellent programme à l'intention des autochtones, Olds College et Lakeland College des programmes en agriculture, et le Grande Prairie Regional College des programmes de recherche et de développement sur le pétrole, et ainsi de suite. C'est un bon système, parce qu'il fait un usage optimal des meilleures ressources. Tous ces établissements offrent d'autres programmes, mais ils offrent ceux dans lesquels ils excellent. Cela permet également d'éviter le dédoublement.

Le sénateur Lavoie-Roux: Quand vous dites que les gens sont...

[Français]

...sont plus qualifiés, ils coûtent moins cher à l'État parce qu'ils se servent moins des services de santé. Je vous demanderais de le vérifier. Les études que j'ai vues ne sont pas nécessairement à l'effet contraire mais, possiblement, ce sont les gens les moins fortunés qui se servent le moins des programmes d'éducation et qui se servent le moins des services de santé.

[Traduction]

Les moins fortunés attendent d'avoir une jambe cassée et de ne plus pouvoir marcher. Il est faux de dire que les pauvres sont toujours à l'hôpital à réclamer toutes sortes de soins; il faut prendre garde à cela.

Mme Remus: Il serait intéressant de savoir de quels services nous parlons. Nous savons que les soins en salle d'urgence coûtent plus cher que les soins ponctuels prodigués par le médecin traitant.

Le sénateur Lavoie-Roux: Il faudrait étudier cela aussi.

Mme Remus: Des études ont révélé un lien entre le chômage et la maladie.

Le sénateur Lavoie-Roux: Mais il s'agit de choses différentes. Nous parlons d'enseignement postsecondaire ou d'absence d'enseignement postsecondaire. Vous dites que plus une personne est instruite, moins elle est une charge pour la société. Je n'en suis pas sûre.

Mme Remus: Les risques d'être au chômage sont beaucoup moins élevés. Il y a un lien entre le chômage et les soins de santé.

Le sénateur Lavoie-Roux: Pour ce qui est des services publics auxquels vous faites référence, je ne puis être d'accord avec vous.

Insinuez-vous qu'il ne devrait pas y avoir de système d'enseignement privé? J'appuie certainement l'idée d'un système public abordable et accessible à tous. Toutefois, un système privé est peut-être préférable dans certains secteurs de formation. Je ne suis pas sûre que nous devrions nous débarrasser de tout ce qui s'appelle «privé».

Mme Remus: Notre position est plutôt que les fonds publics ne devraient pas servir à générer des bénéfices pour le secteur privé.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je suis d'accord.

Le sénateur Andreychuk: Vous opposez-vous à toute privatisation? Je ne crois pas que quelqu'un ait plaidé contre un système mixte. Ne croyez-vous pas que vous devriez plutôt proposer que si certains segments doivent être privatisés, il serait préférable que le processus soit soumis à un examen approfondi par le gouvernement, et que des normes soient établies?

Mme Ballantyne: Ce que nous essayons d'expliquer, c'est que nous constatons qu'il existe une tendance alarmante à la transformation des universités et des collèges en centres commerciaux. Les services auxiliaires tels les services d'alimentation, les librairies, sont assurés par l'entreprise privée. Ce sont là des changements visibles, mais il se passe beaucoup de choses qui ne sont pas visibles. Les universités ont désespérément besoin d'argent et sont à la recherche de toute source de financement disponible.

Nous croyons que le secteur privé et les entreprises ont un rôle à jouer dans le financement de l'enseignement postsecondaire, parce qu'ils en retirent des avantages directs. Ce qui nous inquiète, c'est le financement direct que nous voyons maintenant, souvent sous forme de contrats commerciaux confidentiels conclus entre les établissements ou des membres du corps professoral ou même, dans certains cas, entre nos propres membres et des adjoints à la recherche et des chargés de cours à temps partiel. La nature de ces ententes est fort inquiétante.

Les recherches effectuées dans un établissement subventionné par l'État ne profitent pas nécessairement à l'ensemble de la population parce qu'elles sont poursuivies pour une société en particulier, pour satisfaire un besoin précis de l'entreprise. Nous nous inquiétons aussi du fait qu'il ne semble pas y avoir de débat public sur cette question. C'est pourquoi nous sommes si heureux que votre comité s'intéresse à l'enseignement postsecondaire.

Nous ne prétendons pas que les établissements d'enseignement postsecondaire ne doivent pas satisfaire les besoins du secteur privé, notamment les besoins du marché du travail. Il s'agit de la façon dont ces ententes sont conclues. Dans les universités comme dans les collèges, les décisions se prennent à huis clos, et les membres de la collectivité sont exclus du processus décisionnel.

L'administration des universités est un système plutôt fermé. Nous croyons que cela renforce l'opinion générale voulant que les universités sont des établissements élitistes, opinion qui est préjudiciable aux universités.

Le sénateur Andreychuk: Nombre d'établissements subventionnés par l'État doivent rendre des comptes à leur conseil d'administration et à leur sénat dont des représentants de la collectivité font partie. Je sais que des représentants de la collectivité, notamment des représentants syndicaux, siègent aux conseils d'administration de deux universités de la Saskatchewan. Les membres de ces conseils peuvent soulever diverses questions, et il leur est arrivé de provoquer des débats et de tenir des audiences sur ces questions.

Je comprends que les conseils d'administration des universités semblent être constamment en réunion et qu'il est difficile pour le public de comprendre ce système, mais je ne crois pas que ce soit plus compliqué que de comprendre le fonctionnement d'un gouvernement. Qu'y a-t-il donc de spécial au sujet du système universitaire?

Mme Ballantyne: La différence est sans doute due au fait que, contrairement à ce qui se produit dans le cas des hôpitaux et du système de santé en général, la majorité des Canadiens ne sont pas directement impliqués auprès des universités. Dans l'esprit de nombreux Canadiens, les universités restent entourées d'un certain mystère. Il est vrai que certains conseils d'administration s'ouvrent au public et que l'on constate une tendance à la démocratisation, mais le processus de nomination reste obscur. L'expérience que nous avons vécue, lorsque nos membres ont été nommés au conseil de direction, c'est que nous nous sommes battus et avons obtenu le droit d'être représentés à un certain nombre de conseils, mais nous n'avons pas obtenu le droit de choisir nos propres représentants. Ces représentants n'ont pas nécessairement à rendre compte à notre syndicat ni à l'ensemble de la collectivité. Je crois qu'il y a beaucoup à faire à cet égard.

Nos membres qui font partie de ces divers conseils d'administration se plaignent qu'une grande partie des affaires sont traitées d'une façon telle qu'ils ont l'impression qu'on ne les met pas au courant de tous les faits. Il faut donc résoudre cette question si on veut que les établissements et le système d'enseignement se gagnent un appui plus solide du grand public. C'est là un obstacle que nous avons dû surmonter auprès de nos membres.

Le sénateur DeWare: Les universités dont nous parlons sont celles qui, sans doute à cause de la baisse des subventions, ont décidé qu'elles devaient réduire leurs coûts et qui, par conséquent, ont décidé de privatiser leur cafétéria ou leur librairie. Cela signifie qu'une entreprise s'installe et offre ces services à ses frais plutôt qu'aux frais de l'université, ce qui permet à cette dernière de faire des économies. Vous comprenez pourquoi cela se produit partout au pays. Ce qui vous inquiète, c'est que cette entreprise s'infiltre dans le processus universitaire. Est-ce là ce que vous voulez dire?

Mme Remus: Dans bien des cas, le service en souffre, et c'est un problème de taille. On s'attend à ce que les étudiants paient de plus en plus cher pour des services réduits.

Le sénateur DeWare: Vous voyez pourquoi cela était inévitable. Si le gouvernement fédéral coupe les paiements de transfert aux universités, ces dernières se disent sans doute: «Nous devons soit augmenter les frais de scolarité de façon exorbitante, soit nous tourner vers d'autres sources.»

Mme Remus: Autre point à considérer: les fausses économies. Prenons par exemple l'entretien. Dans un nombre croissant d'universités, les infrastructures se détériorent parce qu'on manque d'argent pour effectuer les réparations. Plutôt que de confier ces travaux au personnel d'entretien, comme le veut la tradition, on fait appel à des entrepreneurs indépendants. Les plaintes relatives à la qualité des travaux se multiplient, et le personnel interne doit revoir le travail des entrepreneurs, faire des réparations et surveiller les travaux.

On est en droit de se demander si des économies réelles sont réalisées, mais il est impossible de le savoir parce que les documents sont confidentiels.

Le sénateur DeWare: Est-ce qu'on embauche des étudiants dans les secteurs privatisés? L'objectif de la privatisation des cafétérias, des librairies et des services d'entretien est de permettre aux étudiants de gagner de l'argent pour les aider à acquitter leurs frais de scolarité.

Mme Remus: Les étudiants ont toujours fait ce travail. À l'Université Carleton, l'association des étudiants a toujours offert des emplois aux étudiants sur le campus, mais a dû couper le nombre d'emplois, faute de fonds. La privatisation n'améliore aucunement la situation d'emploi des étudiants; de fait, sur le campus, le nombre d'emplois pour les étudiants diminue.

Le sénateur DeWare: Les sociétés privées n'engagent-elles pas les étudiants?

Mme Ballantyne: Votre question est fort pertinente. Un certain nombre d'universités ont collaboré avec nos syndicats sur le campus et négocié, dans les conventions collectives, des clauses qui leur permettent d'engager de préférence des étudiants pour combler les postes à temps partiel. Nous avons négocié ces clauses parce que nous reconnaissons que l'université est un employeur important pour les étudiants. Quand ces services sont privatisés, l'université perd son rôle d'employeur et ne peut plus exercer de contrôle sur les politiques d'emploi, à moins qu'elle ne réussisse à négocier ce droit avec l'entrepreneur privé. Comme vous l'avez mentionné, cette tendance à la privatisation a pris forme parce que tout le monde cherche à faire des économies. Quand vous êtes dans une situation désespérée, vous n'êtes pas en mesure d'imposer bien des conditions à un entrepreneur privé.

À mesure que le gouvernement confie au secteur privé des pans de l'économie, il perd ses moyens d'imposer des pratiques en matière d'emploi. C'est ce qui commence à se produire sur les campus.

Le sénateur DeWare: C'est une question intéressante. Notre objectif est de donner aux étudiants la chance de fréquenter l'université ou le collège tout en gagnant un revenu. Ce que vous nous dites aujourd'hui, c'est que cette chance de gagner un revenu sur le campus est en train de disparaître. Je suis contente que vous ayez soulevé ce point, parce qu'il est important que nous en soyons informés.

Le président: Quel montant d'endettement le SCFP considère-t-il raisonnable pour un étudiant?

Mme Ballantyne: Cela peut varier. Je peux vous dire que le revenu annuel moyen de nos membres est de 24 à 26 000 $. Si on compare cela aux salaires d'autres travailleurs dans des emplois semblables, nos membres sont bien payés parce qu'ils occupent des postes syndiqués, mais les postes syndiqués se font de plus en plus rares au Canada. Pour quelqu'un dont le revenu annuel est de 24 à 26 000 $, le niveau d'endettement raisonnable n'est pas très élevé.

Le sénateur DeWare: Combien de membres le SCFP représente-t-il?

Mme Ballantyne: Nous représentons 450 000 travailleurs partout au Canada, dont environ 40 000 oeuvrent dans les universités et les collèges. Nous sommes le plus grand syndicat canadien.

Le président: Quelle est la position du SCFP sur la permanence dont jouissent certains professeurs d'université?

Mme Ballantyne: Nous ne représentons pas les membres du corps professoral. Nous représentons les chargés de cours à temps partiel, qui n'ont pas la permanence, et les adjoints à l'enseignement, qui sont des étudiants diplômés à l'emploi de l'université et qui ne peuvent travailler qu'un nombre d'heures limité par semaine. Aucun de nos membres ne jouit de la permanence.

Le président: De toute façon, avez-vous des commentaires sur la permanence?

Mme Ballantyne: Nous comprenons les motifs pour lesquels les associations et les syndicats de professeurs défendent la permanence; ces motifs sont basés sur la liberté universitaire. Nous croyons que la permanence est essentielle à la protection de la liberté universitaire. Nombre de ces clauses sont négociées entre les associations ou les syndicats de professeurs et les universités qui les emploient, et ces clauses, à l'instar de toutes les dispositions qui font l'objet de négociations, doivent être respectées.

Comme nous ne représentons aucun membre du corps professoral, nous ne croyons pas pouvoir offrir d'autres commentaires sur la question de la permanence. Nous n'avons aucune politique à cet égard.

C'est une question fort délicate sur les campus. Je suis sûre que vous comprenez qu'à mesure que les universités font des coupes, elles doivent distribuer leurs fonds entre les employés et décider lesquels elles gardent à leur emploi et lesquels elles doivent remercier. L'expérience nous a appris que nos membres sont les premiers remerciés. Cela crée inévitablement des tensions entre les groupes d'employés sur les campus.

Nous avons travaillé très fort avec divers groupes d'employés et d'étudiants de chaque campus pour tenter de trouver des points communs. Nous croyons tous que la qualité de l'enseignement postsecondaire doit être sauvegardée. Nous collaborons pour essayer de trouver des façons d'y arriver sans nous nuire mutuellement dans les négociations ou dans d'autres situations.

La séance est levée.


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