Délibérations du sous-comité de l'enseignement
postsecondaire
du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 8 - Témoignages - Séance de l'après-midi
REGINA, le jeudi 13 février 1997
Le sous-comité de l'enseignement postsecondaire du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 14 heures pour poursuivre son étude de l'enseignement postsecondaire au Canada.
Le sénateur M. Lorne Bonnell (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, notre premier témoin aujourd'hui appartient à la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants de la Saskatchewan, Marjorie Brown. Veuillez commencer, madame Brown.
Mme Marjorie Brown, présidente, Fédération canadienne des étudiantes et étudiants de la Saskatchewan: J'aimerais commencer par m'excuser du peu de temps que vous avez eu pour examiner notre mémoire. J'espère que cela ne vous a pas causé trop de problèmes.
Dans notre mémoire, nous expliquons certains des problèmes les plus urgents que connaissent à l'heure actuelle les étudiants du niveau postsecondaire en Saskatchewan. Dans cette province, nous devons faire face à une augmentation des frais d'inscription et des frais accessoires, à la mise en place de frais différentiels pour certains programmes, à des facultés qui risquent d'être décimées en raison des programmes de retraite anticipée et à de nombreuses autres sources de tension qui à notre avis sont en train de précipiter le système d'enseignement postsecondaire vers la crise.
Cette crise n'est pas un phénomène soudain mais le résultat de nombreuses décisions qui ont nui à l'enseignement postsecondaire. Ces décisions découlent de choix faits par les gouvernements en fonction des réalités qui leur ont été présentées par diverses parties. Nous avons discuté dans notre mémoire de la réalité que le secteur privé présente avec insistance à un grand nombre de nos dirigeants politiques. Cette réalité rétrécit leur vision et les empêche d'envisager toutes les options à leur disposition. Cette réalité les incite à ignorer la réalité étudiante, la réalité de ceux qui fréquentent les établissements postsecondaires en Saskatchewan et partout au pays.
J'aimerais vous donner un exemple de cette réalité étudiante. L'expérience de l'un des anciens présidents de notre organisation témoigne de façon éloquente de la situation que vivent de nombreux étudiants. Il s'agit d'une étudiante adulte, c'est-à-dire qui a passé un certain temps dans la population active avant de fréquenter l'université. Après s'être rendue compte que sans études postsecondaires ses possibilités d'emploi étaient restreintes, elle a décidé de s'inscrire à l'Université de Regina. Lorsqu'elle a obtenu son diplôme à la Faculté de Justice humaine, elle avait accumulé une dette de près de 50 000 $ et depuis, elle n'a réussi à trouver que des emplois temporaires. À l'aide de ses maigres ressources, elle doit non seulement essayer de rembourser une dette énorme mais subvenir également aux besoins de son enfant. On ne peut qu'imaginer le cruel dilemme devant lequel se trouve une mère célibataire lorsqu'elle doit choisir entre le remboursement de son prêt étudiant et l'achat d'un nouveau manteau pour son enfant. Malheureusement, c'est un choix que de nombreux étudiants sont appelés à faire.
Ce n'est pas le choix que les tenants du financement privé veulent présenter à la population. Selon eux, l'enseignement postsecondaire est un luxe qui ne peut être financé à même les fonds publics; ils soutiennent que les Canadiens n'ont pas les moyens d'avoir un système d'enseignement postsecondaire; ce système doit être financé par le particulier. Nous soutenons que le démantèlement d'un système d'enseignement universel, subventionné par l'État en faveur d'un système qui ne profite qu'à l'élite économique de la société, qui profite aux banques qui perçoivent de l'argent sur les dettes exorbitantes de nombreux étudiants, est un choix que nous ne pouvons pas nous permettre de faire.
Mme Jessica Peart, secrétaire-trésorière, Fédération canadienne des étudiantes et étudiants de la Saskatchewan: Il existe de nombreuses options qui tiennent compte de la réalité étudiante et qui seraient bénéfiques pour les étudiants et par conséquent pour la société. Nous estimons que c'est là l'objectif que doit viser le gouvernement, que c'est là sa raison d'être: créer la réalité la plus équitable, la plus satisfaisante et la plus enrichissante possible.
Si l'on veut construire ce type de pays productif, il est tout indiqué de commencer par l'enseignement postsecondaire, car de nombreux changements pourraient y être apportés, entre autres en ce qui concerne les normes nationales.
Il existe des disparités dans le type d'enseignement offert d'une province à l'autre. Par exemple, les frais d'inscription moyens au Québec sont d'environ 1 600 $ par année pour un programme de cours complet. À l'Université de Calgary, le même programme coûte 3 200 $. Des frais d'inscription plus élevés constituent un obstacle à l'accessibilité et ne reflètent pas nécessairement la qualité de l'enseignement offert par l'établissement. Nous estimons que les frais d'inscription devraient être aussi uniformes que possible dans l'ensemble du pays. De plus, il faudrait que les frais d'inscription soient le plus bas possible pour ne pas restreindre l'accès à l'enseignement postsecondaire. Nous ne voulons pas faire de la discrimination envers les étudiants en fonction de leurs circonstances financières.
Un autre exemple de cette disparité se manifeste au niveau des programmes provinciaux de prêts étudiants. Le niveau de l'aide financière varie beaucoup d'une province à l'autre tout comme le niveau des possibilités de remise. C'est un autre obstacle à l'accessibilité.
Nous aimerions que les prêts provinciaux aux étudiants fassent l'objet de lignes directrices plus fermes. Nous sommes très inquiets en Saskatchewan depuis que le gouvernement a confié l'administration du programme de prêts étudiants à la Banque Royale. Les étudiants sont désormais obligés d'ouvrir un compte et de payer des frais de service extrêmement élevés s'ils veulent se voir accorder un prêt. Les frais exigés par d'autres établissements, comme la caisse de crédit, ne sont pas aussi élevés mais les étudiants n'ont plus le choix et doivent désormais obtenir leur prêt étudiant auprès de cet établissement. Nous sommes d'autant plus inquiets de constater que les banques jouent un plus grand rôle dans le processus de sélection des étudiants admissibles à un prêt. Nous aimerions qu'on augmente l'aide financière offerte au moyen des prêts étudiants et qu'on accroisse les possibilités de remise de prêts. Nous aimerions surtout qu'on rétablisse un régime de subventions qui assure une aide financière suffisante pour permettre d'améliorer le sort des étudiants dont les ressources financières sont limitées.
Par ailleurs, le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux a sérieusement nui au financement de l'enseignement postsecondaire par les provinces. Non seulement le montant que reçoivent les provinces a-t-il diminué mais on a dilué les lignes directrices fédérales sur la façon de dépenser cet argent. C'est exactement le contraire de ce que nous préconisons. Nous préconisons le financement accru de nos programmes sociaux si précieux et une participation fédérale accrue dans l'orientation de ces programmes. Nous croyons en un Canada fort et uni qui s'appuie sur une structure sociale solide. Pour atteindre cet objectif, il faut des programmes universellement accessibles qui améliorent la vie de tous les Canadiens. Cela ne sera possible que grâce à un gouvernement fédéral fort et à un engagement solide de sa part envers le financement de ces programmes.
Mme Brown: Pour terminer, il faut que le Canada se donne comme objectif de rendre l'enseignement postsecondaire accessible à tous; il s'est d'ailleurs engagé auprès des Nations Unies à atteindre cet objectif, pour tous les niveaux d'enseignement, et à rendre l'enseignement accessible sans frais de scolarité. Si le Canada ne fait rien pour tenir sa promesse, quel message transmettons-nous à nos partenaires des Nations Unies à propos de la richesse de notre pays et de son statut de pays parmi l'un des plus riches au monde?
Au Canada, les grosses entreprises continuent à enregistrer des profits record. Or, ces grosses entreprises qui profitent des avantages que procure le type de société que les Canadiens ont bâti à la sueur de leur front contribuent très peu à sa continuation. Nous devons les rappeler à l'ordre, contester la réalité qu'elles présentent et condamner l'idéologie qu'elles véhiculent et qui privera les Canadiens des services dont ils ont besoin. Elles présentent une réalité qui n'a rien à voir avec celle des Canadiens ordinaires. La réalité, c'est que les Canadiens veulent pouvoir faire des études postsecondaires. C'est la raison pour laquelle nous avons signé des documents comme le protocole des Nations Unies réclamant l'enseignement universellement accessible, à tous les niveaux. C'est la raison pour laquelle les étudiants continuent de revendiquer ce droit. La réalité, c'est que l'enseignement postsecondaire est une nécessité pour les Canadiens qui comptent sur le gouvernement fédéral pour qu'il intervienne et s'assure qu'ils y ont accès. Je vous remercie.
Le sénateur Andreychuk: Le message qui ressort des témoignages des nombreux groupes d'étudiants que nous avons entendus, c'est que vous avez de la difficulté à vous en sortir. Je pense que nous avons tous eu la même impression. Il y a 30 ans, bien des étudiants n'appartenant pas à des milieux privilégiés n'avaient aucun espoir de faire des études mais pouvaient au moins espérer se trouver un emploi. On nous a signalé que les étudiants ont besoin de plus d'information et qu'il existe en fait toutes sortes de possibilités pour les étudiants d'augmenter leur revenu, mais qu'ils ignorent en quoi elles consistent ou comment s'en prévaloir. On est donc en train de prendre certaines initiatives pour communiquer cette information aux étudiants. On a laissé entendre que cela devrait atténuer les problèmes. J'aimerais savoir si vous pensez que cela vous sera utile.
Mme Brown: Il ne fait aucun doute qu'il serait utile d'avoir plus d'information sur les différentes possibilités financières qui existent; cependant, en ce qui concerne les emplois, il est difficile de donner de l'information sur des emplois qui n'existent tout simplement pas. Le chômage a atteint des niveaux record depuis la dépression et pour l'étudiant qui suit cinq cours, il est très difficile de travailler et d'étudier et pour certains d'élever un enfant. Cela empiète sur le temps consacré aux études. Suite à l'augmentation des frais de scolarité -- à l'Université de Regina, depuis 1990, ces frais ont augmenté de 80 p. 100 -- le temps consacré à travailler à un salaire moyen pour payer ces frais empiète évidemment sur le temps consacré aux études.
Mais pour répondre à votre question, nous aimerions obtenir cette information, mais il faut qu'elle s'accompagne de possibilités concrètes.
Le sénateur Andreychuk: On a beaucoup parlé des programmes d'enseignement coopératif en expliquant qu'ils sont très utiles et contribuent non seulement à améliorer vos chances d'obtenir un emploi, mais à vous améliorer en tant que personne, grâce aux expériences multiculturelles qu'elles vous procurent, aux expériences professionnelles, à la promotion de l'esprit d'équipe, à l'acquisition d'aptitudes à la communication et ainsi de suite. Selon certaines études et certains rapports -- que j'essaie d'ailleurs de me procurer -- les étudiants qui travaillent à temps partiel, par opposition aux étudiants qui suivent des cours universitaires à temps plein, obtiennent de meilleurs résultats à l'université. Où se trouve le point de rupture?
Une personne qui suit des cours à l'université à temps plein et travaille en plus 10 heures non seulement améliore son revenu mais semble également améliorer son rendement scolaire. C'est peut-être là où se situe le point de rupture.
Savez-vous si des études ont été faites à ce sujet?
Mme Peart: J'ai travaillé pendant toutes mes études universitaires et je conviens que cela a enrichi ma vie. Je fais une double majeure et j'ai dû parfois faire des heures supplémentaires à cause de problèmes que connaissait la compagnie. J'ai fini par tomber malade. Certains y arrivent, d'autres pas. Si je devais en plus m'occuper d'un enfant, je n'y arriverais pas. Comme je vis à la maison, je n'ai pas à m'inquiéter de payer les factures, l'épicerie et toutes ces choses stressantes. Je travaillais à temps partiel au salaire minimum. Je gagnais à peine de quoi payer mes frais de scolarité. Et je vis à la maison. Je n'ai pas à payer ma nourriture, ni mon logement. Je ne vois pas comment les étudiants qui doivent subvenir à leurs besoins peuvent s'en sortir. C'est sans doute pourquoi tant d'étudiants vivent sous le seuil de la pauvreté.
Le sénateur Andreychuk: Autrefois, le grand avantage du système d'enseignement, c'est que la plupart des étudiants vivaient à la maison. À l'époque où je fréquentais l'université, dans les années 60, la population canadienne était en voie d'urbanisation et on commençait à construire des centres d'excellence pour y regrouper les étudiants, qu'il s'agisse de collèges communautaires, d'universités ou d'autres établissements techniques.
Est-ce que la plupart des étudiants vivent avec leur famille aujourd'hui?
Mme Brown: Malheureusement, ce n'est plus le cas. Ici, le gouvernement provincial a mis l'accent sur la rationalisation. Il veut bâtir des centres d'excellence mais de façon très restreinte en offrant, par exemple, des programmes professionnels uniquement à l'Université de Regina ou à l'Université de la Saskatchewan. En fait, il a l'intention de rationaliser certains programmes professionnels en ne les offrant que dans une région du pays. Par conséquent, des programmes d'études en médecine ou en médecine dentaire ne pourraient être offerts que dans une des provinces des Prairies, ce qui obligerait sans aucun doute les étudiants à se déplacer.
Par ailleurs, nous devons tenir compte de la réalité rurale qui existe toujours en Saskatchewan. Un étudiant pourrait préférer, pour une raison quelconque, aller étudier dans une autre région du pays. Par exemple, un étudiant des Prairies pourrait décider d'aller étudier au Québec pour parfaire ses connaissances linguistiques. Je suis venue de Calgary pour suivre le cours en sciences politiques qui est offert ici à cause des professeurs et de certains cours offerts par cette université.
Dans notre charte, je crois que nous parlons de la tranférabilité des services d'un bout à l'autre du pays. Je n'aimerais pas que cet htmect soit compromis parce qu'on exige que les étudiants fassent leurs études postsecondaires dans leur région.
Le sénateur Perrault: Il a été proposé à plusieurs reprises au cours de nos audiences de mettre sur pied un programme qui permettrait aux étudiants qui ont emprunté de l'argent de rembourser leur prêt en fournissant un service public quelconque.
Par exemple, le Canada veut lutter contre l'analphabétisme; nous avons un ministre chargé de cette mission. La formation que reçoivent les étudiants universitaires leur permettrait peut-être de rembourser leur dette en aidant les gens analphabètes.
Que pensez-vous de cette idée?
Mme Brown: Je trouve que c'est une excellente façon pour les étudiants de contribuer à la société. Si leurs études postsecondaires sont subventionnées, les étudiants ont alors du temps libre et seraient sans doute prêts à participer à ce genre de causes sociales.
Le sénateur Perrault: Cela pourrait même déboucher sur un emploi, après qu'ils obtiennent leur diplôme.
Mme Brown: Une fois que les étudiants ont terminé leurs études universitaires, s'ils ont suffisamment de temps libre et n'ont pas à cumuler deux emplois pour rembourser leurs dettes, je suis sûre qu'ils feraient du service communautaire.
Le sénateur Perrault: Et vous savez qu'en bout de ligne, il peut être utile d'ajouter ce genre de service à son curriculum vitae.
Le Parti démocratique des États-Unis a envisagé une autre solution, à savoir que l'étudiant ne rembourse sa dette qu'une fois qu'il a un emploi où il gagne plus que le salaire minimum; qu'il est vraiment déraisonnable de s'attendre à ce qu'une personne qui travaille au salaire minimum commence à rembourser ces prêts. Avez-vous envisagé cette option?
Mme Brown: Nous avions une plus grande marge de manoeuvre lorsque nous avions le gel de six mois sur les paiements et les intérêts. Maintenant, nous payons l'intérêt à partir de la date à laquelle nous obtenons notre diplôme.
Le sénateur Perrault: Oui.
Mme Brown: Un répit serait très utile jusqu'à ce qu'on touche un revenu suffisant. J'hésiterais toutefois à envisager l'option du remboursement du prêt en fonction du revenu car cela risque de cantonner les gens dans des emplois sans avenir et de les priver de la possibilité de changer d'emploi. Mais évidemment, si le remboursement pouvait être reporté jusqu'à ce qu'un étudiant ait davantage les moyens de rembourser sa dette, ce serait extrêmement souhaitable. Dans l'exemple que j'ai donné de l'étudiante adulte avec enfant qui après l'obtention de son diplôme s'est retrouvée avec une dette de 50 000 $, il est évident que sa vie serait beaucoup plus facile si elle n'avait pas à faire des paiements aussi énormes.
Le sénateur Perrault: C'est effectivement un grave problème pour de nombreux étudiants et il est pénible de penser que des jeunes gens capables et talentueux pourraient être privés de la formation qui leur permettrait de donner leur pleine mesure. Il ne faudrait pas qu'ils se heurtent à des obstacles financiers, surtout s'ils sont prêts à travailler.
Le sénateur Forest: Des fonctionnaires et des représentants des banques sont venus nous rencontrer, à Ottawa, pour discuter des prêts étudiants. Comme les programmes de prêts fédéral et provinciaux créent une certaine confusion chez les étudiants, ils tentent de trouver une solution pour qu'il n'y ait, en fait, qu'un seul guichet de services, ce qui faciliterait les choses pour les étudiants.
Vous avez dit, entre autres, que ce sont les banques qui décident quels étudiants peuvent obtenir un prêt. Cette question nous intéresse beaucoup. Les fonctionnaires et les banques nous ont dit que ce ne sont pas les banques qui choisissent les étudiants, mais les gouvernements.
Savez-vous si les étudiants ont de la difficulté à distinguer les programmes et à se tenir au courant des nouvelles règles qui sont établies, ainsi de suite?
Mme Peart: J'ai de nombreux amis qui ont reçu des prêts et qui ne savent pas pourquoi ils ont reçu un montant en particulier. Je crois qu'il serait utile de mieux informer les étudiants. On pourrait peut-être organiser des séminaires dans les universités pour renseigner les étudiants sur les programmes de prêts, y compris les taux d'intérêt.
On pourrait peut-être aussi leur fournir des renseignements sur la façon de gérer leurs finances. Comme nous l'avons entendu aujourd'hui, personne ne peut garantir quels seront les taux d'intérêt à la fin des études. Je ne crois pas que les étudiants pensent à cela lorsqu'ils font une demande de prêt. C'est peut-être un problème pour eux lorsqu'ils terminent leurs études et se retrouvent avec une dette de 20 000$.
Le sénateur Forest: On nous a dit aussi que l'étudiant pouvait bénéficier d'une période de grâce de six mois une fois ses études terminées, mais qu'il pouvait également, s'il avait de la difficulté à décrocher un emploi, obtenir un délai additionnel de 18 mois pour régler ses affaires. Avez-vous des précisions à nous fournir là-dessus?
Mme Brown: Les étudiants peuvent obtenir une remise de dette, mais, comme vous l'indiquez, il s'agit-là d'un processus coûteux et difficile. De plus, cette remise ne vise que le capital; ils doivent continuer de verser les intérêts. Comme vous le savez, l'intérêt sur un prêt de 40 000 ou de 50 000$ est élevé, et il commence à être calculé le jour suivant l'obtention du diplôme.
Le sénateur Forest: C'est vrai.
Mme Brown: Il y a beaucoup de confusion qui entoure cette question. J'ai fait transférer mon prêt de la CIBC à la Banque de Montréal, parce que la CIBC ne voulait pas que les étudiants se présentent à la banque sous prétexte que cela dérangeait les autres clients.
Le sénateur Forest: Pardon?
Mme Brown: C'est vrai. La CIBC nous a demandé de faire nos transactions au guichet bancaire plutôt qu'à la banque même. J'ai donc décidé de transférer mon prêt à la Banque de Montréal.
Le sénateur Perrault: Vous avez préféré entrer par la porte arrière?
Mme Brown: Oui, je cachais mon visage chaque fois que j'entrais! Ensuite, la Banque de Montréal a cessé de s'occuper des prêts étudiants. La situation était très confuse à ce moment-là. Je me posais plusieurs questions. Est-ce que j'obtiendrais quand même un prêt? Qu'allais-je faire? Je suis allée voir la Banque de Nouvelle-Écosse, où l'on m'a dit que je devais rencontrer le directeur de banque. J'ai finalement décidé de faire affaire avec la Centrale des caisses de crédit.
Je trouve l'idée de Jessica excellente. Il faudrait organiser des séminaires. Même les étudiants doués pour les chiffres ont des problèmes. Nous avons vraiment besoin d'aide.
Le sénateur Forest: Des séances d'information.
Mme Brown: Oui.
Le sénateur Andreychuk: J'ai eu vent récemment de cas absolument incroyables concernant le Programme canadien de prêts aux étudiants. Les fonctionnaires du ministère me disent -- et leurs statistiques le prouvent --, que le nombre de plaintes qu'ils reçoivent par rapport aux prêts consentis est assez faible. Est-ce que vous ne communiquez pas avec eux lorsque vous avez des plaintes, comme, par exemple, le problème que vous avez eu? Moins de 1 p. 100 des cas sont problématiques. Toutefois, on entend un autre son de cloche sur le terrain.
Mme Peart: Je pense que les étudiants ne savent pas trop à qui s'adresser. Le processus est très impersonnel. Tout se fait par courrier. Lorsque vous voulez rencontrer quelqu'un à l'université, on vous renvoie d'un bureau à l'autre. C'est très frustrant pour les étudiants. Ils ne savent pas à qui s'adresser.
Le sénateur Andreychuk: Je vois.
Mme Peart: Ils pensent peut-être que personne ne les écoutera. On note de l'indifférence partout sur le campus. Les étudiants se disent: «À quoi bon? Le gouvernement est une machine tellement énorme que personne ne m'écoutera.» Par conséquent, ils ne pensent pas que le fait d'écrire des lettres peut servir à quelque chose.
Il serait peut-être utile que le ministère consulte les étudiants ou encore qu'il organise des séminaires.
Mme Brown: Nous avons beaucoup de chance à l'Université de Regina, parce que le syndicat des étudiants a embauché un expert-conseil -- qui est rémunéré à même les cotisations syndicales, ce qui fait que nous payons pour ces services --, à qui nous pouvons nous adresser pour obtenir de l'aide. Ce ne sont pas tous les établissements qui offrent un tel service.
Le sénateur Perrault: Est-ce que vous êtes en contact avec les fédérations d'étudiants d'autres pays? Par exemple, je crois comprendre que l'enseignement est gratuit en Australie, mais que le programme de remboursement des prêts est assez rigide. Est-ce que vous connaissez le modèle australien? Combien de pays offrent l'enseignement gratuit?
Mme Brown: La majorité, en fait. Nous considérons souvent les États-Unis comme l'exemple à suivre. Ils constituent une exception dans le monde de l'enseignement postsecondaire, parce que leur système est privatisé.
Le sénateur Perrault: Mais il faut que l'étudiant arrive à être admis à l'université, n'est-ce pas?
Mme Brown: L'enseignement est gratuit en Grande-Bretagne, tout comme dans de nombreux pays de l'Europe du Nord-Ouest.
Le sénateur Perrault: Et qu'en est-il des pays du Pacifique, le Japon et la Corée, par exemple?
Mme Brown: Dans le cas de Singapour, par exemple, l'enseignement est gratuit, mais l'accès est très limité parce que, bien entendu, les droits démocratiques ne sont pas tellement respectés là-bas.
Le sénateur Perrault: Les conditions d'admission sont très sévères?
Mme Brown: Pas seulement les conditions d'admission.
Le sénateur Andreychuk: Le fils du président y a accès, mais pas le fils du plombier.
Mme Brown: L'enseignement est gratuit en Australie, mais le gouvernement a institué un régime de remboursement en fonction du revenu. Je crois que c'est à cela que vous faisiez allusion plus tôt.
Le sénateur Perrault: Tout dépend du moment où l'étudiant trouve un emploi.
Mme Brown: Oui.
Le sénateur Perrault: Le remboursement s'échelonne sur plusieurs années.
Mme Brown: J'ai voyagé pendant un an et demi et, durant cette période, j'ai rencontré beaucoup d'Australiens qui ne voulaient pas se trouver un emploi parce qu'ils étaient incapables de rembourser leur prêt.
Le sénateur Perrault: Donc, le modèle australien n'est pas recommandé?
Mme Brown: Nous sommes en faveur de la gratuité scolaire, mais pas du régime de remboursement en fonction du revenu. Nous préférons le système en vigueur en Grande-Bretagne, qui mise sur la gratuité scolaire et les subventions, bien que celles-ci soient en train d'être réduites.
Le sénateur Perrault: Est-ce que l'enseignement est gratuit en Nouvelle-Zélande? Qu'en est-il des autres pays du Commonwealth?
Mme Brown: Je ne sais pas si l'enseignement est toujours gratuit dans ces pays en raison des programmes de compressions qu'ils ont institués.
Mme Peart: Au Danemark, on paie les étudiants pour qu'ils suivent des cours. On leur donne de l'argent pour le logement et la nourriture. C'est très différent du système en vigueur au Canada.
Le sénateur Perrault: Oui, je suppose que le système doit être financé d'une certaine façon. Je présume que les fonds sont tirés des recettes générales.
Mme Peart: Oui. L'impôt sur le revenu dans les pays scandinaves oscille autour de 60 p. 100, mais tout le monde reçoit des subventions pour le logement, des allocations familiales. Le niveau de vie en Suède est l'un des plus élevés au monde.
Le sénateur Perrault: L'État est très organisé. Donc, l'enseignement est gratuit dans la plupart des pays, sauf qu'ils utilisent des moyens différents pour financer le...
Mme Brown: Il s'agit en fait d'un document qu'a préparé la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants sur le mode de financement en vigueur dans les différents pays.
Le sénateur Perrault: Pouvez-vous nous en fournir un exemplaire?
Mme Brown: Avec plaisir.
Le sénateur Perrault: J'aimerais le lire. On nous dit qu'il n'y a plus que trois provinces qui offrent des programmes de subventions. Nous sommes peut-être en retard sur les autres dans certains domaines. C'est, en tout cas, votre avis.
Le président: Marjorie, je tiens à remercier les témoins pour leur excellent exposé.
Mme Brown: Merci.
Le président: Si vous avez d'autres renseignements à nous fournir, vous pouvez communiquer avec notre attaché de recherche.
Le président: Nous accueillons maintenant M. Robert Chernomas, de la Manitoba Organization of Faculty Associations.
Vous avez la parole.
M. Robert Chernomas, président, Manitoba Organization of Faculty Associations: J'aimerais remercier les honorables sénateurs, au nom des 1 600 membres du corps enseignant que je représente. J'aimerais également vous féliciter, car votre intérêt pour ce dossier fait ressortir l'importance de l'enseignement postsecondaire et les changements que connaît actuellement ce secteur.
Je suis non seulement le président de l'Association, mais également le coprésident du comité de l'enseignement postsecondaire qui a préparé une version modifiée du budget fédéral. Je suis aussi un économiste qui s'intéresse à la stratégie industrielle. Je serai bref, je vous le promets. Je parle très vite.
Cela dit, j'aimerais ajouter d'autres chiffres à ceux qui ont été cités ce matin -- et le personnel a maintenant une copie du chapitre en question, ainsi que le titre de l'ouvrage. En ce qui concerne l'impôt payé par les sociétés canadiennes, celles-ci occupent l'avant-dernier rang parmi les pays du G-7. Elles versent le tiers de ce que paient les entreprises japonaises. Pour ce qui est des fonds que consacrent les pays du G-7 à la R-D, entre 1986 et 1991, le Canada occupait l'avant-dernier rang -- c'est l'Italie qui investit le moins. Il se situait même très loin derrière ses concurrents. Presque la moitié des travaux de R-D sont financés par le secteur public.
Les entreprises japonaises versent trois fois plus d'impôts, mais investissent quatre fois plus d'argent dans la recherche et le développement. En ce qui a trait aux dépenses que consacre le Canada à l'éducation, en 1987 -- et ce sont les statistiques les plus récentes que j'ai, -- nous étions classés troisième, ce qui est assez élevé. Les investissements publics, quant à eux, étaient très faibles. Seuls les États-Unis et le Royaume-uni se classaient derrière le Canada pour ce qui est des investissements d'infrastructure. C'était encore une fois le Japon qui occupait le premier rang à ce chapitre.
Prenons maintenant la productivité globale des facteurs. Entre 1980 et 1991, le Canada occupait le dernier rang; de plus, il était le seul à afficher un résultat négatif. Enfin, pour ce qui est du PIB réel par tête, entre 1990 et 1991, le Canada occupait encore une fois le dernier rang parmi les pays du G-7.
Le sénateur Andreychuck: Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par cela?
M. Chernomas: Si vous prenez le revenu national pour 1990, 1991, jusqu'à 1995, et que vous le divisez par le nombre d'habitants, vous arrivez à environ 18 000 $ par personne. Ce montant est passé de 18 000 à 18 100 $, ou, dans notre cas, de 18 000 à 17 900 $.
J'ai une autre série de chiffres à vous fournir. On trouve dans la version modifiée du budget fédéral un graphique à barres qui établit des comparaisons, sur cinq ans, entre le Canada et d'autres pays -- même la Grande-Bretagne nous devance et il y a d'autres pays où la croissance est plus marquée. Je vais vous en fournir une copie.
En ce qui concerne le libre-échange, l'ALÉNA, la mondialisation, tous les arguments que nous avons entendus au sujet du village planétaire, on nous a dit que l'éducation était plus importante que jamais. Nous vivons à l'âge de l'information; les ressources et les investissements ne seront pas aussi importants que l'éducation. L'éducation est essentielle à notre croissance économique. Nous en parlons dans notre mémoire.
Ce que nous disons dans ce document, c'est que l'abandon de l'enseignement postsecondaire par le gouvernement fédéral a signifié pour les provinces qu'elles pouvaient modifier l'enseignement postsecondaire comme elles le voulaient de façon à répondre aux besoins provinciaux locaux -- et je pourrais vous montrer, par des exemples, comment cela s'est fait dans ma propre province.
Les compressions dans les paiements de transfert fédéraux ont entraîné une réduction des subventions destinées aux universités et aux collèges. Il en est alors résulté une augmentation des frais de scolarité, une diminution des inscriptions, un contingentement des programmes et une élimination d'emplois et, j'ajouterais, de débouchés. Ainsi, étant donné que le secteur privé au Canada n'investit pas autant que les secteurs privés d'autres pays, c'est le secteur public qui doit fournir le manque à gagner -- et il commence à en donner moins. Lorsque le gouvernement commence à réduire les dépenses publiques, ce sont surtout les étudiants des quartiles inférieurs qui en souffrent. Manifestement, les étudiants qui viennent d'un milieu plus aisé sont moins touchés. D'après les statistiques recueillies aux États-Unis, lorsqu'on remplace les subventions par des prêts, les étudiants des quartiles inférieurs cessent de s'inscrire à l'université. L'impact est beaucoup plus grand sur les quartiles inférieurs.
Toujours d'après les données recueillies aux États-Unis, le taux d'inscription baisse de 7 p. 100 chaque fois que les frais de scolarité augmentent de 100$. Toutefois, il s'agit-là d'une moyenne. Nous savons que les étudiants du quartile inférieur seront les plus durement touchés.
Si l'on prend le CRSNG comme exemple -- et n'oubliez pas que dans d'autres pays, le secteur privé consacre beaucoup plus de fonds à la R-D --, entre 1985 et 1991, le budget du CRSNG a augmenté. Dans le domaine de la recherche scientifique, entre 1991 et 1994, les contributions se sont stabilisées. Et si l'on se fie au dernier budget libéral, les fonds consacrés au CRSNG vont être considérablement réduits.
En ce qui concerne les dépenses et les recettes des universités, en 1992-1993, environ 62 p. 100 du budget de l'Université de Lethbridge, par exemple, provenait des subventions provinciales. En 1997-1998, on prévoit que 64 p. 100 du budget de l'université sera financé par les frais de scolarité. Donc, les frais de scolarité en 1992-1993 représentaient 37 p. 100 du budget; en 1997-1998, ils vont représenter 64 p. 100 du budget.
Le sénateur Andreychuk: En quelle année?
M. Chernomas: À Lethbridge, en 1992-1993, le budget était financé dans une proportion de 61,56 p. 100 par les subventions, et de 37,23 p. 100 par les frais de scolarité. On prévoit qu'en 1997-1998, les contributions représenteront 35,53 p. 100 du budget, et les frais de scolarité, 63,61 p. 100.
Excusez-moi, je dois faire une précision -- les chiffres que je viens de vous citer s'appliquent à la faculté des arts et des sciences.
Le sénateur Andreychuk: Merci.
M. Chernomas: Nous pouvons voir, toutefois, que depuis quelques années, les gouvernements accordent de moins en moins de fonds aux universités. Ce que j'essaie de vous dire, c'est que nous sommes en train de décimer, de détruire notre infrastructure sociale et physique. Les fonds versés au CRSNG diminuent. Nos étudiants vont devoir payer des frais de scolarité de plus en plus élevés; de façon plus précise, les étudiants qui viennent de milieux moins nantis pourront de moins en moins se permettre de fréquenter l'université. Qu'arrivera-t-il à l'avenir économique du Canada?
Aux pages 4 et 5 de notre mémoire, nous proposons, de concert avec une coalition de groupes d'étudiants, l'adoption d'une loi sur l'enseignement supérieur. Nous proposons également, à la page 6, l'établissement d'un fonds d'enseignement postsecondaire.
Il me semble que si le gouvernement adoptait une loi sur l'enseignement supérieur et mettait sur pied un fonds d'enseignement postsecondaire, il recevrait non seulement des félicitations pour cette initiative, mais il pourrait également exiger des comptes et une certaine transparence des établissements d'enseignement. Nous estimons que l'adoption d'une loi sur l'enseignement supérieur donnera au gouvernement fédéral les moyens nécessaires pour définir le rôle qu'il doit jouer dans ce domaine, et obligera les provinces à se conformer aux principes suivants: administration publique, accessibilité, ensemble et admissibilité. De plus, la mise sur pied d'un fonds d'enseignement postsecondaire permettra de verser des contributions aux étudiants, et des fonds aux conseils de recherche. En échange, le gouvernement pourra s'attribuer le mérite d'une telle initiative, et aussi faire preuve de transparence en créant des normes nationales, en fixant des objectifs et en établissant un plan cohérent pour l'avenir, comme le font les Allemands et les Japonais, entres autres.
Permettez-moi aussi d'ajouter que 70 p. 100 des dépenses de ce budget proviennent des retombées de notre programme; 30 p. 100 proviennent des taxes, une hausse de l'impôt sur les sociétés et de l'impôt des particuliers dont le salaire se situe entre 100 000 $ et 150 000 $. Il faut alors se demander ce que nous faisons de notre revenu dans ce pays? Les sociétés et le milieu des affaires sont-ils socialement responsables? S'ils ne le sont pas, si nous en taxons une plus large part, si nous ne ghtmillons pas cet argent mais le consacrons plutôt à des subventions aux étudiants, le mettons à la disposition du CRSNG, est-ce que nous ne servons pas alors leurs intérêts de même que ceux de notre pays?
L'une des choses intéressantes que nous avons accomplies l'an dernier lorsque nous avons préparé notre budget, ce fut l'examen des profits des sociétés. Nous en sommes venus à la conclusion qu'ils augmenteraient par suite de l'expansion de l'économie. Nous les taxons donc pour des raisons comme une capacité, une utilisation accrue. Nous croyons qu'il est socialement responsable de taxer ces profits, même si cela représente un montant minimal. Il se pourrait que leurs profits augmentent comme ce fut le cas l'an dernier; quant à notre économie sa croissance est assez faible.
Robert Reich, ancien secrétaire américain au Travail, a écrit un livre avant d'occuper ce poste. Il y décrivait deux Amériques. Dans l'une d'entre elles, un petit groupe, soit quelque 25 p. 100 de la population établissait ses propres réseaux de transport et de communication et mettait en place ses propres systèmes d'éducation, de santé, de police et de loisirs. Ses membres érigeaient d'énormes murs autour de ces collectivités. De plus, ils ne voulaient pas payer d'impôt et se justifiaient en disant qu'ils payaient déjà pour leur propre collectivité.
Puis, il y avait le reste de l'Amérique, l'autre 75 p. 100 qui voyait se détériorer ses équipements de transport, de communication, éducatifs et récréatifs. Ce qu'il faut nous demander, c'est si nous voulons poursuivre dans cette voie, si c'est le genre de pays dans lequel nous voulons vivre.
Je vous dirais que les budgets que nos gouvernements préparent, de même que ce qui se passe dans l'enseignement postsecondaire, nous orientent dans cette direction.
Le sénateur Andreychuk: Je ne vais pas discuter de cela avec vous parce que je ne crois pas que la tribune soit appropriée pour ce faire. Ce que nous cherchons, c'est de positionner l'enseignement dans le débat global au Canada.
Cependant, on vient tout juste de me remettre les statistiques sur les recettes publiques des pays membres de l'OCDE. Je suppose qu'il est possible de les interpréter selon le graphique que vous utilisez. L'impôt sur le revenu des corporations pour 1994 -- la dernière année pour laquelle nous avons des statistiques vu qu'il s'agit de l'édition 1996 -- représentait 6,6 p. 100 de l'impôt global au Canada. Dans le cas des États-Unis, on parle de 8,9 p. 100. En ce qui a trait à l'Allemagne et à la France, on parle de 2,9 p. 100 et 3,7 p. 100 respectivement. Où voudriez-vous que j'aille? Dans le cas de la Suisse, il s'agit de 5,4 p. 100.
Par rapport au PIB, l'impôt sur le revenu des sociétés représente 2,4 p. 100 pour le Canada, 2,8 p. 100 pour la Suisse et 4,1 p. 100 pour le Japon.
En ce qui a trait aux recettes fiscales en tant que pourcentage du PIB, c'est-à-dire la productivité que j'aimerais considérer, les pourcentages sont de 36,6 pour le Canada, de 27,6 pour les États-Unis, de 39,3 pour l'Allemagne et de 51 pour la Suède.
Je suppose que ce qui nous intéresse n'est pas entièrement les comparaisons. Nous pouvons discuter de ce qu'est la meilleure politique économique. Mais il ne s'agit pas que de cela. Il s'agit plutôt de décider du genre de société que nous voulons et de la façon dont nous comptons la mettre en place. Y parvenons-nous par l'entremise d'une assiette fiscale? Y parvenons-nous en intensifiant l'activité des sociétés, l'activité commerciale?
Soit dit en passant, de toutes les statistiques que vous avez données, la plus pertinente pour moi était -- celle que vous avez relevée et avec laquelle je souscris -- que le Canada est le pays, après l'Italie, qui contribue le moins à la R-D. J'estime que cela a eu un effet tragique sur l'enseignement postsecondaire, sur notre économie.
J'aimerais que vous me disiez, en tant que professeur, ce que vous avez remarqué comme impact. Les chiffres en ce qui a trait à la recherche et au développement ont diminué progressivement. Quelles sont les répercussions pour les facultés et comment prodiguez-vous l'enseignement? Autrement dit, est-ce que cela diminue vos chances en ce qui a trait à la recherche? Qu'en est-il de votre professionnalisme? Quel effet cela a-t-il sur les étudiants auxquels vous enseignez et sur la qualité de l'enseignement? Je crois que c'est là où nous avons un véritable rôle à jouer.
M. Chernomas: C'est une vaste question. Nous savons que les nouveaux scientifiques de nos facultés de sciences ont beaucoup de mal à obtenir des subventions. Nous savons, comme des représentants d'autres universités de ma propre province vous l'ont dit, que l'infrastructure elle-même se désagrège. Les laboratoires de chimie sont menacés. En médecine, en génie, en sciences et ainsi de suite, il est de plus en plus difficile d'obtenir des subventions.
Dans ma faculté, on en donne surtout en sciences sociales. Les gens perdent espoir et ne font plus rien. Lorsque cela se produit, les diplômés et les aides-enseignants ne sont plus embauchés. Les gens perdent même courage pour même essayer d'obtenir des subventions pour la recherche. Il s'agit de gens qui ont un bon dossier à cet égard et qui publient énormément. Le résultat de tout ceci c'est que les nouveaux étudiants ne reçoivent pas l'enseignement qu'ils devraient recevoir parce que l'argent manque, la bibliothèque et la recherche manquent, l'infrastructure n'existe pas.
Le bureau du doyen continue d'insister pour que nous fassions des demandes de subventions, mais de moins en moins de gens se donnent même la peine de le faire étant donné que la probabilité d'en obtenir et de moins en moins grande.
En septembre je vais enseigner à 200 étudiants les principes de l'économie. Je serai assisté par un aide-enseignant. Je n'aurai qu'un nombre limité d'heures tout comme l'aide-enseignant, à consacrer à ces étudiants. Je ne vais pas demander de dissertations à ces étudiants parce que je n'aurai pas le temps de les lire ni de les corriger. Et il en ira de même pour mon assistant. Je vais donc donner des examens à choix multiples. Quand j'ai commencé à enseigner à l'Université du Manitoba, il y avait au maximum 80 étudiants dans une classe traitant des principes d'économie. Chacun de mes étudiants devait me présenter au moins une dissertation par session. C'est tout simplement la norme.
Maintenant, au niveau supérieur, je continue d'exiger deux ou trois dissertations. Mais on m'a dit que ces cours ne tiendront pas vraisemblablement longtemps étant donné ma faible productivité. Et comment la mesure-t-on? On la mesure par le nombre d'étudiants à qui j'enseigne. Ainsi, si j'enseigne à 200 étudiants, je suis très productif. Si je donne un séminaire à des élèves qui doivent écrire des articles et les défendre, on me dit alors que je ne vais plus enseigner à mes étudiants inscrits aux programmes spécialisés. En fait, nous allons probablement laisser tomber nos programmes d'études avec spécialisations parce que je n'y enseigne qu'à 10 ou 12 élèves. Je vous dirais, en tant qu'économiste, que cette façon de mesurer la productivité est fausse, pour dire le moins.
Ils ont finalement dû construire un immeuble pour la recherche architecturale parce que celui qui la logeait avait été condamné. La bibliothèque en fait, était fermée; l'édifice qui loge la Faculté des sciences infirmières est sur le point d'être condamné. Les laboratoires de chimie, je crois comprendre, sont dans le même état. Les laboratoires de génie subiront le même sort. Et il devient de plus en plus difficile d'obtenir des fonds surtout pour entreprendre de nouvelles recherches.
De même, il y a l'htmect de l'enseignement, comme je viens juste de le dire. Certaines facultés plus que d'autres sont favorisées, mais nous souffrons tous.
Le sénateur Andreychuk: Cela c'est le mauvais côté. La technologie a-t-elle de quelque manière atténué cela ou vous a-t-elle donné l'occasion de modifier l'agencement, d'arrêter la descente?
M. Chernomas: Notre gouvernement provincial met le paquet en ce qui a trait à l'enseignement à distance. Certains de mes collègues donnent des cours à distance. Je suppose... je ne suis pas si vieux que cela mais je me sens un peu comme un dinosaure. J'ai assisté à ces cours où des gens communiquent à distance. Au moins, je peux communiquer avec mes 200 étudiants. Les discussions en salle de classe les incitent à se parler entre eux. Lorsque j'étais étudiant en 1er cycle, j'ai appris autant sinon plus de conversations qui ont été suscitées dans la salle de classe par ce qu'avait dit le professeur. L'interaction était très salutaire; nous avons participé à des groupes d'études.
Mieux vaut avoir l'enseignement à distance que rien du tout, je suppose!
Le sénateur Perrault: C'est un pis-aller.
M. Chernomas: Mais un pis-aller très médiocre.
Le sénateur Andreychuk: Êtes-vous en train de dire que les technologies de télé-enseignement -- j'ai perdu de vue ce domaine quand j'ai commencé à travailler en développement international. À ce moment-là, l'enseignement à distance consistait à rassembler les étudiants sur un campus éloigné. Il y avait donc une certaine forme d'interaction; le groupe comptait toujours, quelque part, un étudiant de cycle supérieur.
M. Chernomas: Je ne suis pas un expert du télé-enseignement. Je suis sûr qu'on continue de faire, quelque part, ce que vous venez de décrire. Un de mes collègues travaille en fait à une émission télévisée d'accès local durant laquelle les étudiants peuvent l'appeler pour lui parler. Il y a donc de l'interaction, mais elle est très bien et ponctuelle, quand il y en a. La méthode classique d'enseignement permet beaucoup plus de débats. On discute à la sortie de la classe. Les étudiants se présentent à mon bureau, soit individuellement ou en groupe. Avant un examen, il y a toujours sept ou huit étudiants qui attendent à la porte de mon bureau. Nous pouvons discuter pendant une heure ou deux. Ce n'est pas ce qui se passe en télé-enseignement. C'est peut-être une façon moins chère d'enseigner à 200 étudiants, mais quel en est le résultat général?
Le sénateur Lavoie-Roux: Vous avez proposé l'adoption d'une loi de l'enseignement supérieur qui reposerait sur les principes suivants: administration publique, accessibilité, ensem- ble et admissibilité. Cela ressemble beaucoup au principe guidant la santé...
M. Chernomas: Nous avions trouvé l'idée plutôt bonne et nous estimons qu'il faudrait la reprendre.
Le sénateur Lavoie-Roux: Par contre, ces principes ont créé plusieurs problèmes aussi. Les choses ne se déroulent pas aussi bien qu'au début. Je me demande si, en reprenant le même modèle, la même chose ne se produirait pas en éducation.
M. Chernomas: Je commence par préciser qu'en ce qui concerne la documentation que je vous ai remise, j'ai fourni le chapitre en entier, plutôt que seulement les tableaux, parce qu'il fait une analyse des différentes stratégies du gouvernement. En fait, le livre entier est une analyse.
En ce qui concerne le secteur de la santé, l'une des raisons, si raison il y a, pour laquelle tout ne va pas aussi bien que prévu, c'est que la réforme ne s'applique pas à suffisamment d'htmects. Ainsi, il faudrait l'appliquer aux médicaments et à toute une gamme d'autres éléments. Or, il faudrait que le gouvernement fédéral engage des dépenses.
J'ai comparé les systèmes de santé des États-Unis et du Canada. Si vous examinez avec soin les nombres réels, vous constaterez que les coûts sont inférieurs et l'accès meilleur là où les coûts sont assurés. Ainsi, dans le domaine des médicaments, lorsqu'il n'y a pas d'assurance, les coûts des soins de santé augmentent.
Nous croyons donc que les lois en matière de santé devraient au contraire couvrir plus d'éléments. L'accessibilité et l'efficacité y gagneraient. Je suis donc partisan des nouvelles lois dans le secteur de la santé et j'aimerais que l'on adopte les mêmes mesures dans le secteur de l'éducation.
Le sénateur Lavoie-Roux: Vous avez aussi proposé la création d'un fonds d'enseignement postsecondaire. Je suppose que vous prévoyez remettre le fonds aux provinces seulement si elles garantissent que l'argent servira à des fins éducationnelles.
M. Chernomas: Ces fonds formeraient une enveloppe distincte; ils ne seraient pas noyés dans une enveloppe avec la santé et toutes sortes d'autres choses. C'est exact.
Le sénateur Lavoie-Roux: Vous avez peut-être entendu parler de la stratégie d'emploi des jeunes élaborée par le gouvernement selon laquelle plus de deux milliards de dollars seraient dépensés dans ce domaine sur une période de plusieurs années. À mon avis, il faut faire quelque chose pour créer de l'emploi pour les jeunes ou, du moins, pour leur permettre d'acquérir de l'expérience en milieu de travail, mais je me demande s'il ne faudrait pas détourner une partie de ces deux milliards vers l'enseignement supérieur.
Qu'est-ce qui, selon vous, serait plus avantageux pour nos jeunes?
M. Chernomas: Quand les Libéraux ont rendu public leur Livre rouge, de l'argent était réservé à la recherche et au développement. Que je sache, cet argent n'a jamais été dépensé.
Le sénateur Lavoie-Roux: Le budget sera déposé demain. Il comportera peut-être quelque chose à ce sujet.
Le sénateur Andreychuk: Nous attendrons de connaître le budget.
Le sénateur Perrault: Il est très déprimant de lire, à la page 6 de votre mémoire, que 7 850 étudiants au Canada ont déclaré faillite en 1995-1996. Ce n'est pas très réjouissant, n'est-ce-pas? Vous dites que cette situation oblige bon nombre d'étudiants à mettre fin à leurs études ou à les interrompre et qu'elle décourage aussi énormément les personnes qui ont les aptitudes et qui veulent poursuivre des études postsecondaires d'entrer dans le système. Avez-vous des données statistiques à ce sujet? Est-ce une approximation ou avons-nous des chiffres réels sur le nombre d'étudiants qui ont décroché en raison de leur situation financière?
M. Chernomas: Je l'ignore. La Fédération canadienne des étudiantes et étudiants a peut-être des données à ce sujet. Je n'ai pas de chiffres à l'appui. Je puis vous décrire la situation à ma propre université. Notre faculté des arts a fait des études.
Le sénateur Perrault: Le phénomène y est observable.
M. Chernomas: Il nous semble évident qu'à mesure qu'augmentent les droits de scolarité, les inscriptions diminuent à la faculté des arts de l'Université du Manitoba.
Le sénateur Perrault: Des témoins nous ont dit: «Nous sommes conscients que l'idée de laisser les gouvernements provinciaux exercer le contrôle exclusif sur l'éducation ne fait pas l'unanimité. Cependant, il faudrait se doter d'une stratégie nationale. Il faudrait inviter à la table des partisans des deux camps. Mettez de côté les intérêts sectaires. Il faut adopter un plan, parce qu'il est extrêmement difficile de survivre dans le monde compétitif d'aujourd'hui».
Voyez ce qui se fait dans les pays de la ceinture du Pacifique. De nombreux pays frappent actuellement à leurs portes. Le PIB a augmenté de 8 p. 100 là-bas. On se livrera une concurrence acharnée pour capter ces marchés. Les Allemands y sont, tout comme les Américains. Il faut donner à nos gens une formation commerciale et linguistique. En faisons-nous assez dans ce domaine?
M. Chernomas: Non, je ne le crois pas. Vous laissez entendre qu'il faut adopter un plan stratégique, qu'il ne faut pas se contenter d'injecter des fonds.
En réalité, nous avons proposé la formation d'un groupe consultatif chargé de l'enseignement postsecondaire qui aurait...
Le sénateur Perrault: Un peu comme l'idée d'avoir une stratégie.
M. Chernomas: ... qui aurait effectivement une stratégie afin de régler ce problème. On met beaucoup l'accent sur les facultés de gestion et de génie; toutefois, c'est à la faculté des sciences sociales qu'on apprend d'autres langues, qu'on peut se renseigner au sujet d'autres cultures et de l'économie des autres pays.
Le sénateur Perrault: Je me suis porté bénévole pour une mission de promotion du commerce, il y a environ cinq ans. Pendant que j'étais en Thaïlande, j'ai rencontré nos attachés commerciaux à Bangkok. Ils m'ont parlé de la façon dont les Japonais avaient décidé d'être la principale présence économique en Thaïlande... la principale présence étrangère. À cette fin, ils ont établi un programme d'apprentissage de la langue et de promotion du commerce. Ils ont recruté de jeunes gens brillants et capables qui connaissaient l'histoire et la culture thaïlandaises. Les Japonais sont devenus la force dominante en Thaïlande, parce qu'ils avaient un plan; ils l'ont exécuté comme une opération militaire.
Comparez cela à l'homme d'affaires trop pressé de Montréal, de Toronto ou de Vancouver qui pense conclure un marché en 48 heures et qui revient chez lui fourbu et les mains vides. Vous savez de quoi je parle.
Nous ne semblons pas avoir de stratégie. Nous faisons de l'excellent travail pour développer nos marchés dans la ceinture du Pacifique et je m'en réjouis, mais nous n'avons pas de stratégie dans de nombreux autres secteurs, n'est-ce-pas?
Je me suis intéressé au télé-enseignement. Il en existe dans toutes les provinces, je suppose, ou dans bon nombre d'entre elles. C'est certes un pis-aller, mais c'est beaucoup mieux que l'idée tentée il y a quelques années. On envoyait des jeunes du nord de la Colombie-Britannique -- région que je connais le mieux -- au pensionnat. Maintenant, ils peuvent demeurer au sein de leur collectivité et apprendre grâce au téléenseignement. Un aide-enseignant est sur place, paraît-il, pour voir à ce que les travaux soient remis à temps. Les technocrates me disent qu'il y a moyen d'accroître l'interaction entre l'enseignant et les étudiants. Il semble que nous vendons avec succès cette technologie en Indonésie, qui compte mille îles. La technologie canadienne est très utile pour prodiguer l'enseignement là-bas.
Toutefois, je conviens avec vous qu'un dialogue entre l'enseignant et l'étudiant est de loin préférable.
En quoi la technologie changera-t-elle l'enseignement au Canada, dans les années à venir? Nous avons maintenant Internet, qui a un rôle à jouer comme outil de recherche. Prévoyez-vous des changements radicaux dans ce domaine?
M. Chernomas: Je ne me prétends pas un expert de la question. J'utilise Internet; c'est un outil précieux. Par contre, mes collègues m'envoient des messages sur Internet alors que leur bureau se trouve à seulement quelques portes du mien.
Le sénateur Perrault: Quelqu'un m'a dit qu'on peut maintenant lire à l'écran, sur Internet, le roman de Tolstoï intitulé Guerre et Paix. Pouvez-vous vous imaginer en train de lire ce volumineux roman à l'écran?
M. Chernomas: Par contre, Internet me permet de communiquer avec des collègues de New York à beaucoup moins de frais. Je peux lire ce qu'ils sont en train d'écrire. C'est important de pouvoir le faire.
Le sénateur Perrault: Certaines universités examinent l'idée de créer des universités virtuelles, n'est-ce pas, pour offrir certains cours? En théorie, il serait possible d'offrir ces cours partout dans le monde, à tous ceux qui sont branchés à Internet.
M. Chernomas: Prenons l'exemple d'un lauréat du Prix Nobel -- il faudrait que ce soit un lauréat plutôt qu'une lauréate, car nous parlons d'économie -- qui donnerait son cours à l'écran partout dans le monde. Quel serait le résultat? Vous connaîtriez alors son point de vue à lui et seulement le sien. Il n'y aurait pas d'échange.
Le sénateur Perrault: Permettez-moi une dernière observation. L'Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, envisage d'offrir des cours virtuels davantage en sciences techniques qu'en philosophie, je crois. J'ai assisté à une réunion là-bas, il y a quelques mois. Ils vont de l'avant avec le projet. Comment ils prévoient le commercialiser, je n'en ai aucune idée; j'ignore aussi comment seront calculés les frais. Ces cours deviendront peut-être des centres de revenu pour les universités.
M. Chernomas: Enseigner le calcul intégral de cette manière est une chose; par contre, se servir de cette méthode pour enseigner la littérature serait beaucoup plus inquiétant.
Le sénateur Perrault: Je suis d'accord avec vous. Votre mémoire comporte d'excellentes idées.
Le sénateur Lavoie-Roux: Tout le monde est entiché de cette technologie, affirmant que les étudiants vont apprendre beaucoup plus, qu'ils feront leurs travaux plus rapidement et que ce sera merveilleux!
Quand j'étais dans le milieu de l'enseignement, on s'est mis à utiliser des cassettes vidéo pour enseigner la grammaire au primaire et au secondaire. Les enfants trouvaient cela plaisant. Toutefois, après quelques années, nous avons découvert que toutes les cassettes vidéo avaient été rangées dans les placards. Il y en avait des milliers. Je travaillais en fait pour une importante commission scolaire qui avait une clientèle de 230 000 étudiants. Il y avait beaucoup de cassettes vidéo. Je n'étais pas entièrement d'accord avec cette méthode d'enseignement, toutefois. Je me demande si cela n'a pas contribué à...
Tout ce que les enfants avaient à faire, c'était de s'asseoir et de regarder l'écran. Ils n'avaient pas à fournir beaucoup d'effort.
M. Chernomas: C'est de l'apprentissage accidentel.
Le sénateur Lavoie-Roux: Oui. En plus, ils regardaient la télévision à la maison. Je me demande... je sais que ce n'est pas la même chose, mais il y a quand même des similitudes; c'était aussi de la technologie. Selon vous, toute la nouvelle technologie, Internet, etc., aura-t-elle le même effet? Nous nous fions parfois beaucoup trop à la technologie.
Je suis d'accord avec vous quand vous dites préférer vous déplacer pour parler à un collègue.
M. Chernomas: Je ne suis pas un expert de l'enseignement, mais bien de l'économie. Quand j'ai visité la classe de maternelle de mon fils, j'y ai vu un ordinateur. Je suis heureux qu'il y en ait un. Par contre, je me préoccupe davantage de ce qui se passe entre mon fils et son enseignant. Voilà ce qui importe.
Le sénateur Lavoie-Roux: Au niveau postsecondaire, vous souhaitez former l'esprit critique. Je ne suis pas sûre que ce soit possible par des moyens mécaniques. Pour développer ce genre de capacité, il faut qu'il y ait une interaction.
M. Chernomas: L'esprit critique, la communication orale, la communication écrite, voilà le genre de choses qu'il faut apprendre. Selon moi, il est impossible de le faire par télé-enseignement ou sur Internet.
Le sénateur Forest: Nous avons parlé du besoin d'avoir une perspective nationale et, peut-être, des lignes directrices nationales; certains vont jusqu'à proposer l'adoption d'une loi nationale de l'enseignement. Il a aussi été question du financement de l'éducation. La baisse des fonds en R-D me préoccupe. Le Canada traîne la patte par rapport aux autres.
À mon avis, il est très important d'avoir à la fois de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée parce que les deux formes de recherche ont des retombées de grande valeur. Je vous ai entendus, vous ainsi que certaines autres personnes, parler de l'infrastructure et des sommes nécessaires pour consolider cette infrastructure. Diriez-vous que c'est là un des secteurs critiques de la R-D?
M. Chernomas: Je dois admettre que je ne suis pas un expert de la question. Cependant, je sais que dans le domaine des sciences sociales, l'infrastructure matérielle revêt moins d'importance.
Le sénateur Forest: Non.
M. Chernomas: Nous avons besoin de fonds pour les dépenses de fonctionnement.
Le sénateur Forest: Oui.
M. Chernomas: Nous avons besoin de fonds pour embaucher des étudiants diplômés.
Un collègue d'Angleterre est venu nous rendre visite et, d'après ce qu'il a vu, il a conclu que l'Angleterre faisait partie du tiers monde, que le Canada était dans le deuxième monde et que l'Allemagne était dans les pays de tête pour ce qui est des bibliothèques, des laboratoires et le reste. Il a dit que l'Allemagne avait une infrastructure de premier ordre. Il ne s'en était pas rendu compte avant de voyager.
La faculté de génie de l'Université du Manitoba est en train de se détériorer à vue d'oeil. On le dit partout.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Chernomas pour votre excellent exposé.
Notre prochain témoin est M. Lloyd Barber, ancien président de l'Université de Regina. Il est aussi ancien président du Forum entreprises-universités. Il a travaillé au sein de nombreux organismes et entreprises.
Il a aimablement accepté de nous faire profiter de sa connaissance intime du système d'enseignement postsecondaire au Canada.
Bienvenue, monsieur Barber.
M. Lloyd Barber: Merci beaucoup, monsieur le président.
Je ne me présente pas avec un mémoire officiel. En outre, puisque je ne suis plus sur la ligne de front depuis maintenant six ou sept ans, je m'en tiendrai à des commentaires généraux et philosophiques plutôt que de parler d'htmects précis de la situation actuelle.
Ce qui me frappe, c'est la nécessité de plus en plus évidente de rappeler et de renforcer les principes philosophiques fondamentaux de l'université. Il me semble que le milieu universitaire met aujourd'hui l'accent sur l'atteinte de résultats ou de profits immédiats, sur l'enseignement à distance, sur la technologie qui se substitue à l'institution et sur l'influence de tous ces facteurs sur le mode de fonctionnement des universités. La tâche fondamentale de l'université n'a pas changé beaucoup depuis 3 000 ans et, à mon avis, il est peu probable qu'elle change dans un avenir prévisible. La responsabilité de l'université, c'est d'inculquer aux étudiants et à l'ensemble des citoyens les valeurs fondamentales de la société où elle se trouve, de leur inculquer les fondements de la pensée critique, de la capacité d'examen et de compréhension, de les sensibiliser à la variété des opinions et des cultures qui existent dans notre monde de plus en plus petit, dans notre «village planétaire», pour reprendre l'image de McLuhan.
En raison des changements rapides qui surviennent et de toutes les forces qui entrent en jeu, il n'est plus aussi facile aujourd'hui de clarifier le rôle de l'université qu'il l'était à des époques moins complexes. Dans un tel contexte, il me paraît donc très important que nous ne perdions pas de vue le rôle fondamental de l'institution, rôle qu'aucune autre institution de notre société ne peut remplir comme le fait l'université.
Il y a une phrase de John Masefield, qui était un poète officiel de la Cour, que j'aime bien citer au sujet de l'université. Il a prononcé ces paroles à l'occasion d'une convocation où il représentait plusieurs de ses collègues en 1948. Je crois que ces paroles sont aussi valables aujourd'hui qu'elles l'étaient en 1947 ou en 1948. Il a dit:
Il y a, sur cette terre, peu de choses aussi belles qu'une université.
C'est un lieu où ceux qui haïssent l'ignorance peuvent s'efforcer
d'apprendre; où ceux qui savent saisir la vérité peuvent
ouvrir les yeux des autres; où ceux qui recherchent et ceux qui apprennent,
unis dans la quête de la connaissance,
rendront hommage à la pensée sous ses formes les plus élevées,
où ils accueilleront les penseurs dans la misère ou en exil,
où ils maintiendront la dignité de la pensée et du savoir et
où ils exigeront des normes dans ces domaines.
Au jeune qui a l'âge auquel on est impressionnable ils donneront
le sentiment d'un objectif commun, le sentiment
de créer des liens forts pour la vie.
Ils donnent au jeune cette camaraderie à
laquelle la jeunesse htmire, l'occasion de ces discussions sans fin
sur les sujets éternels sans lesquelles la jeunesse semblerait temps perdu.
Il y a, sur cette terre, peu de choses plus remarquables qu'une université.
En ces temps où les frontières bougent, où les valeurs s'écroulent,
où toutes les digues cèdent et les inondations créent
la détresse, en ces temps où l'avenir semble si sombre,
où les certitudes immémoriales basculent dans le néant du doute,
là où s'élève une université elle dure et brille,
là où s'élève une université, l'homme à l'esprit libre est
appelé à une recherche intellectuelle profonde et vraie
et peut encore marquer du sceau de la sagesse les affaires humaines.
Le président: Cela pourrait très bien servir de préface à notre rapport.
M. Barber: À mon avis, l'université est une expérience; ce n'est pas une série de cours suivis et de connaissances acquises. La sagesse reste encore très rare. La sagesse s'acquiert par l'expérience vécue à l'université, pas par les connaissances inculquées, et c'est cela qui n'est pas facilement reproduit. Chaque étudiant qui fréquente l'université vit une expérience différente des autres étudiants. Même les étudiants qui suivent les mêmes cours avec les mêmes professeurs et qui reçoivent le même diplôme vivent tous l'expérience différemment. C'est parce que ce qu'ils vivent à la cafétéria, dans leur pension, dans la résidence d'étudiants, sur le terrain de sport ou pendant les cours de musique est différent. Cependant, si leur expérience est positive, elle ne cessera pas de leur rapporter. En outre, elle est permanente car elle permet d'acquérir la capacité de développer une pensée critique et d'agir de façon responsable pendant toute la vie. L'expérience est différente pour chacun, mais à tous les étudiants elle permet d'acquérir les connaissances nécessaires pour vivre une vie réussie et productive, pour apporter une contribution à la collectivité où chacun vit. On n'arrête jamais d'apprendre, mais si on ne possède pas l'éducation de base permettant d'assimiler les connaissances additionnelles, ces connaissances sont perdues. Il faut posséder une éducation de base et c'est à l'université qu'on l'acquiert, après s'être constitué des bases solides, de la maternelle jusqu'à la fin des études préuniversitaires. Je ne connais pas d'autres moyens d'acquérir cela. Pendant des milliers d'années, les sociétés ont financé les universités qu'elles voyaient parfois comme des organismes indépendants, autonomes, embarrassants, difficiles, voire comme des parias, mais elles n'ont jamais cessé de les soutenir parce qu'aucune autre institution humaine n'a réussi à donner les mêmes résultats au fil des ans, des décennies et des siècles.
Le sénateur Perrault: C'est splendide.
M. Barber: Je m'arrête là-dessus.
Le sénateur Perrault: Merveilleux.
Le président: Merci beaucoup.
Le sénateur Perrault: Qui est le nom de ce gentleman qui a écrit le poème que vous avez cité?
Le sénateur Andreychuk: J'ai ce texte encadré dans mon bureau.
Le sénateur Perrault: J'aimerais y jeter un coup d'oeil.
Le sénateur Lavoie-Roux: Ce que vous avez dit est très beau. On comprend que ceux qui ne sont pas allés à l'université ne peuvent pas développer le même caractère, le même...
Le sénateur Andreychuk: La sagesse.
Le sénateur Lavoie-Roux: Cependant, beaucoup de personnes qui n'ont pas fréquenté l'université ont atteint un haut degré d'humanité et ont réalisé beaucoup de choses. Je reconnais que ce que vous avez dit est vrai et vous l'avez bien dit, mais je pourrais, dans une certaine mesure, vous contredire.
M. Barber: Je prends note de votre intervention. L'université n'est pas la seule voie. Cependant, dans notre société, il n'existe pas d'autre institution qui a pour raison d'être le but dont j'ai parlé.
Cela ne veut pas dire du tout que, si vous ne fréquentez pas l'université, vous deviendrez nécessairement un rebut de la société, pas du tout. L'université n'est pas la seule voie d'accession à la sagesse.
Si vous vous reportez au deuxième rapport annuel du Conseil économique du Canada, lorsque John Deutsch était à son meilleur, vous y trouvez un vibrant appel pour un soutien additionnel des universités au Canada. À cette époque, je crois que c'était en 1962-1963, l'attitude qui prévalait, c'était que tout le monde devait faire des études universitaires. Je crois que l'on a fait une erreur en poussant beaucoup de jeunes à s'inscrire à l'université. Cela les a peut-être désavantagés parce que l'université n'était pas faite pour eux pour toutes sortes de raisons, que ce soit la capacité intellectuelle, leur formation antérieure, leurs intérêts ou leurs désirs.
L'université n'est pas pour tout le monde, mais, pour la majorité de ceux qui y vont, l'expérience qu'ils vivent est comme celle que j'ai décrite dans mon exposé.
Cependant, vous avez raison, beaucoup de gens ont acquis une grande sagesse et ont apporté une excellente contribution à la société sans jamais avoir fréquenté l'université. Beaucoup de ces gens comptent parmi les plus ardents partisans de l'université. Certains des pires détracteurs de l'université possèdent un diplôme universitaire, mais y ont vécu une expérience épouvantable et n'ont pas acquis ce que l'université doit inculquer, comme je le disais.
Le sénateur Andreychuk: Je suis très heureuse de vous avoir comme témoin devant notre comité. Cela me donne une fois de plus l'occasion de dialoguer avec vous.
Honorables sénateurs, une des meilleures choses à l'Université de Regina, c'est que nous ne nous contentions pas de discuter au niveau du conseil d'administration et lors des milliers de réunions quotidiennes qu'il y avait, mais que nous prenions souvent la peine de parler de l'avenir et c'était, en grande partie, je crois, grâce à M. Barber. Il m'a enseigné que l'université était bien plus qu'un établissement d'enseignement.
Jusqu'au jour où je suis devenue chancelière de l'université, mon seul contact avec les universités, à l'exception de mes études, c'était la participation à des fonctions officielles, à des concerts et le reste. J'avais donc une vision de l'université qui se rapprochait beaucoup de celle des étudiants que nous avons entendus -- emploi, pensée critique, et le reste --. Cependant, l'université c'est beaucoup plus: c'est la recherche universitaire, l'importance de cette recherche et son apport pour la collectivité.
Je me demande si vous pourriez parler un peu plus de la recherche, me donner un cours récapitulatif pour me rafraîchir la mémoire. De plus, en raison de vos fonctions au sein de nombreuses entreprises, vous pouvez certainement établir des liens entre le monde universitaire et l'entreprise privée.
Le sénateur Perrault et moi-même avons participé aux réunions du comité des affaires étrangères récemment, où il a été question de l'importance du commerce international et de la nécessité pour notre pays de faire entre autres de la R-D si nous voulons être un pays de commerçants. J'aimerais que vous parliez de l'employabilité, de l'essor de l'économie et du fait que ces deux facteurs dépendent de la R-D qui se fait dans les universités, et d'ajouter tout ce que vous jugez pertinent à la discussion.
M. Barber: Je commencerais par parler de notre vocation de commerçants. Nous sommes un pays exportateur et il y a une grande différence entre exporter et commercer. Malheureusement, notre pays est riche en matières premières et il nous a suffi d'extraire nos ressources pour les exporter, sans valeur ajoutée; très peu de matière grise est associée à la production de ces ressources, même si un bon nombre des industries de matières premières sont beaucoup plus avancées sur le plan technologique qu'on ne le croit. Je m'y connais un peu dans le domaine minier et je sais qu'il faut beaucoup de compétences intellectuelles pour produire une livre de cuivre. Cependant, nous commençons à constater que le commerce va bien au-delà de la simple extraction des ressources.
La R-D est négligée depuis longtemps dans notre pays. Elle a souffert de ce dont souffent bien des activités au Canada, les problèmes constitutionnels entre le gouvernement fédéral et les provinces et tout ce qui entoure cette question. Elle a également souffert de la courte vue des parlementaires. Quatre ans, ce n'est pas long, tandis qu'il faut compter des dizaines et des douzaines d'années pour que des travaux de recherche sérieux portent fruit.
M. Paul Yanny a reçu le Prix Nobel pour ses travaux sur le laser, mais le laser n'était qu'un sujet de curiosité pour lui au départ; il n'occupait pas la place prépondérante qu'il occupe actuellement en médecine et dans les techniques industrielles. Le laser était plutôt un sujet de curiosité quand il a commencé à s'y intéresser. Et je pourrrais vous citer une foule d'autres exemples montrant que le chemin est long et tortueux entre le moment où un sujet commence à piquer la curiosité des scientifiques et son application pratique, mais je vais me limiter à un seul exemple assez amusant.
J'étais membre du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie. J'ai un ami qui siégeait à ce conseil et qui portait sur lui dans son portefeuille un article paru dans le New York Times à la fin des années 50 sous le titre «Les laboratoires de Bell annoncent aujourd'hui la découverte de ce qu'ils appellent le transistor.» Dans cet article, il est fait état de possibles applications de cette invention.
Le problème, c'est que nos horizons à court terme nous amènent à vouloir des applications dès maintenant. Toutefois, la période de gestation du stade de curiosité et de recherche aux applications pratiques est longue et semée d'embûches, voire mène parfois nulle part. Il arrive que les recherches ne soient pas concluantes, qu'elles n'intéressent que les scientifiques et qu'elles ne débouchent sur aucune invention pratique. En d'autres occasions, elles ont pour résultat une invention révolutionnaire comme le laser ou le transistor, pour ne donner que ces deux exemples.
En outre, au Canada, nous avons coutume de nous en remettre aux universités pour la recherche fondamentale et une bonne partie de la recherche appliquée dans notre société. Toutefois, nous n'avons pas reconnu à quel point nous dépendons de l'université à titre d'institution fondamentale responsable non seulement de la recherche en matière de curiosités, mais encore de la recherche fondamentale et d'une bonne part de la recherche appliquée qui sont réalisées dans nos départements d'informatique et, plus récemment, dans nos départements de génie, ainsi que de celles qui l'étaient auparavant dans nos écoles de pharmacie et nos écoles de médecine, notamment. Les universités ont été le principal moteur de la recherche au Canada.
Du côté du gouvernement, le CNRC, les laboratoires provinciaux de même que les laboratoires agricoles ont joué un rôle non négligeable, mais ce sont les universités qui font la plus grande partie de la recherche. Et ce facteur a été négligé. Les universités sont considérées principalement comme des établissements d'enseignement. L'objectif premier des universités a été de trouver des emplois aux étudiants. Certes, c'est ça le rôle principal des universités, mais, à mon avis, cet objectif ne peut être atteint sans l'existence de l'autre mandat des universités, celui de mettre à la disposition de chercheurs talentueux les ressources voulues leur permettant d'examiner toutes sortes de choses.
Le sénateur Perrault: C'est bon de vous revoir, monsieur Barber. Vous avez tellement contribué au bien-être du Canada. Nous vous vouons le plus grand respect.
Revenons à l'Internet. À certains égards, l'Internet pourrait être, pour les enseignants, un outil inestimable à titre de complément de leurs propres activités. Il est absolument incroyable de penser que des jeunes vivant près du cercle arctique puissent contempler, dans toute leur splendeur, les trésors artistiques du Louvre sur l'Internet. L'an dernier était le 200e anniversaire de l'invention de la presse typographique, qui s'est traduite par la diffusion d'un torrent d'informations, de recherches et de documentation que tous croyaient impossible. En ce qui concerne l'Internet, je pense que nous avons découvert un autre puissant outil qui permettra la diffusion d'une grande quantité d'informations. On nous dit que la somme de connaissances de l'humanité double tous les cinq ans.
Le pape a annoncé que tous les documents importants de l'Église catholique romaine seront diffusés sur l'Internet afin que les penseurs du monde entier y aient accès. C'est une première. Les mesures comme celles-là feront passer l'Internet du stade de curiosité à celui d'un outil inestimable.
Vous avez été plutôt modéré dans vos observations sur l'Internet. Ne croyez-vous pas que cet outil pourrait jouer un rôle non négligeable en servant de complément aux efforts de nos enseignants dans le monde entier?
M. Barber: Cela ne fait aucun doute. Et la presse typographique a eu le même résultat. Cependant, cette dernière n'a pas eu pour effet de détourner les chercheurs des bibliothèques qu'ils fréquentaient avant cette invention. De même, le fait que les principaux documents de l'Église catholique seront accessibles sur l'Internet n'empêchera pas les gens d'aller à la bibliothèque du Vatican.
Le sénateur Perrault: Mais il pourrait être un outil complémentaire très utile.
M. Barber: Je n'en doute pas. D'ailleurs, nous ne vivrons pas assez longtemps, vous et moi, pour connaître tous les effets qu'il aura dans l'avenir. Les gens s'inquiètent de toutes les informations parasites que l'on trouve sur l'Internet. Les presses du monde entier ont imprimé une incroyable quantité d'informations sans valeur depuis l'invention de l'imprimerie.
Il faut avoir des connaissances de base. À défaut de quoi, les documents de Rome diffusés sur l'Internet pourraient aussi bien être en latin.
Le sénateur Perrault: Oui c'est cela, en latin.
M. Barber: Ils pourraient aussi bien être en latin si vous ne pouvez pas les lire, si vous n'avez pas les connaissances de base pour les lire.
Le sénateur Perrault: C'est une bonne analyse.
M. Barber: Si vous ne savez pas lire, l'Internet ne vous sera d'aucune utilité. J'en reviens donc au point relatif à l'objectif de base de l'éducation, celui de donner aux gens les rudiments leur permettant d'utiliser ces outils. Les images du Louvre, je les ai fait apparaître sur mon écran.
Le sénateur Perrault: Remarquable.
M. Barber: Quand nous étions sur les bancs d'école -- et cela fait plus longtemps encore que nous voulons bien l'admettre vous et moi --, nous avions aussi des images du Louvre, de sorte que même dans une petite école de la Saskatchewan nous avions accès aux trésors artistiques du monde. Même si j'ai vu la Joconde dans mon livre d'école, cela ne m'a pas empêché de vouloir aller au Louvre pour contempler cette peinture.
Le sénateur Perrault: Je suis d'accord avec vous parce que j'ai vécu la même chose. Mais l'Internet pourrait être utile; sa forme et sa dimension définitives restent à déterminer. Peut-être disparaîtra-t-il dans un trou noir à cause des 55 millions de personnes qui y ont maintenant accès; quelque chose doit céder.
M. Barber: En ce qui concerne mon idée de base, comme la masse d'informations mondiale croît de façon exponentielle, il est d'autant plus important que chacun possède une éducation de base afin de pouvoir déterminer si cette masse d'informations qui double tous les cinq ans mérite d'être considérée comme sérieuse et d'être jetée aux orties. Pareille tâche requiert bien plus de sagesse et de jugement qu'il ne nous en fallait il y a 20 ou 25 ans, quand nous avons fait notre apprentissage de la vie.
Le sénateur Perrault: Voilà une réponse fort éloquente. Et je dois dire que je suis d'accord avec vous.
Un certain nombre de témoins qui ont comparu devant le comité ont dit qu'ils s'inquiétaient des services offerts par les universités et d'autres établissements d'enseignement postsecondaire ainsi que de la qualité de l'éducation, laquelle déclinerait selon eux...
Le sénateur Andreychuk: Laquelle est en état de crise.
Le sénateur Perrault: ... à cause des compressions; l'éducation est un état de crise, comme le sénateur l'a dit. Avez-vous constaté une dangereuse diminution des normes d'enseignement et des normes universitaires depuis cinq ans?
M. Barber: Il est très difficile de le déterminer avec précision. L'une des questions qui m'ont hanté pendant toute ma carrière universitaire est le fait que l'on peut mesurer certains facteurs comme le nombre de professeurs, le nombre d'étudiants, les dépenses engagées pour l'achat de livres. Bref, on peut mesurer les facteurs de ce genre.
Cependant, on ne peut pas mesurer le rendement d'une université. On ne sait pas, même sur 20 ans, si les étudiants ont réussi; dans l'affirmative, on ne sait pas s'ils ont réussi grâce à nous ou malgré nous. C'est un problème qui nous hante en éducation postsecondaire.
Je pourrais, bien sûr, vous dire que tout s'écroule, que c'est la goutte qui fait déborder le vase; mais les universités ont une grande capacité d'adaptation et de changement, elles sont capables de trouver des façons de faire nouvelles et plus efficaces. Je pense que le domaine de la recherche est dans un pire état que celui de l'enseignement. Cependant, les universités ont été aux prises avec une sorte de double problème: une hausse du nombre d'étudiants dans les années 60 et 70 par suite de la poussée démographique de l'après-guerre et l'opinion de nombre de politiques et de décideurs selon laquelle la dénatalité entraînerait une diminution des inscriptions, et donc du financement, comme si le ratio de financement était de un pour un.
Mais cela ne s'est pas produit. Les inscriptions ont continué d'augmenter en dépit de la dénatalité et de la décroissance du groupe des 18-24 ans. Je n'ai pas été mêlé d'assez près au milieu universitaire ces dernières années pour savoir exactement ce qui se passe, mais je sais que les universités ont dû faire face à une forte hausse des inscriptions; elles ont engagé nombre de professeurs qui vieillissent maintenant et approchent de la retraite. Pendant un bon bout de temps, aucun nouveau professeur n'a été engagé. Il se peut que nous ayons du rattrapage à faire pour que le système continue de bien fonctionner; mais, encore une fois, il faudrait que vous demandiez à quelqu'un qui connaît mieux les détails. En outre, les conditions varient d'une région du pays à l'autre à cause des migrations internes ainsi que des différents buts et objectifs poursuivis par différents établissements.
Oui, certes, il y a de vraies tensions et de vrais dangers, et ce n'est pas à coups d'argent qu'on réglera les problèmes.
Le sénateur Andreychuk: Êtes-vous en train de nous dire que les universités ou le gouvernement devraient faire preuve de plus de créativité ou voulez-vous dire autre chose?
M. Barber: Oh, les deux; par exemple, la rationalisation. Il y a de nombreuses années, longtemps avant que cela devienne à la mode, des efforts ont été déployés dans l'Ouest canadien pour la formation d'un regroupement de bibliothèques universitaires afin d'en venir à un meilleur partage des ressources dans cette région. Ces efforts ne se sont pas concrétisés, pour une variété de raisons. Quand j'y repense, la technologie que nécessitait l'établissement d'un tel regroupement était assez minimale comparativement à celle que nous avons maintenant à notre disposition à cet égard.
Je suppose, comme je n'y ai pas été associé directement, que des efforts accrus ont été déployés pour obtenir la collaboration entre les bibliothèques. Toutefois, à mon avis, l'achat d'un même livre par plusieurs bibliothèques n'est peut-être plus nécessaire, compte tenu de l'existence de l'Internet et d'autres outils technologiques, compte tenu de la capacité de savoir, par voie électronique, quels livres se trouvent à la bibliothèque Simon Fraser ou à celle de l'Université de la B.-C.; il n'est pas nécessaire que tous les livres se trouvent dans ma propre bibliothèque. Et cela semblera peut-être une hérésie pour quelques universitaires, mais je n'ai jamais pensé qu'une bibliothèque comptant un million de livres est nécessairement une merveilleuse bibliothèque. Ce n'est là qu'un exemple de ce qu'on pourrait faire.
Nous avons réussi à revitaliser notre département de physique en engageant de jeunes gens ayant fait de la recherche expérimentale chez Triumph. Quelqu'un a payé leur vol pour aller chez Triumph; ils ont fait leurs expériences, ils sont revenus ici et ont amorcé leur réflexion. Tout a semblé donner de fort bons résultats. Ce sont des savants itinérants.
L'Institut de recherche de Fraser Mustard, et son réseau de Centres d'excellence: il met en réseau différents chercheurs sur l'Internet en diverses occasions. Il s'agit là d'un exemple des moyens que nous pouvons utiliser pour en avoir pour notre argent, mais encore là ce n'est pas gratuit.
Le sénateur Forest: Monsieur Barber, je constate avec plaisir que vous n'avez pas perdu votre candeur ni votre enthousiasme. Vous dites que vous êtes hors circuit depuis quelques années, et cela vaut peut-être mieux pour nous.
Nous sommes à la recherche de suggestions pour l'orientation du rapport que nous allons remettre au Sénat, rapport qui, je l'espère, sera utile et dont, je l'espère aussi, certaines des recommandations, à tout le moins, seront applicables. Si vous participiez à la rédaction du rapport -- vous n'avez pas assisté aux audiences, mais vous avez écouté et contribué au débat pendant des années --, quels éléments considéreriez-vous comme importants?
M. Barber: Le premier serait la constatation que les universités ont été dans le passé les principaux centres de recherche du pays, et qu'ils continuent de l'être. Et on ne gagne rien en le disant; il est inutile de dire à l'industrie de faire plus de recherche. L'industrie ne fera que la recherche qui l'intéresse, en fonction de ses besoins particuliers.
Prenons encore l'exemple de mon expérience dans les mines. Nous éprouvions des problèmes dans une mine où nous n'arrivions pas à récupérer le minerai de la pulpe, etc. Nous avons fait appel aux meilleurs métallurgistes pour examiner le problème et, fort heureusement, les universités comptent des métallurgistes, de sorte que nous pouvons nous adresser aux universités pour obtenir les services de métallurgistes. Nous sommes en train de mettre au point une nouvelle technologie d'extraction du cuivre par fusion sans avoir à le brûler; on peut utiliser des techniques hydrologiques pour l'extraire par fusion. Ces travaux sont faits en collaboration avec l'Université de la Colombie-Britannique; des chercheurs de cette université y participent. Ce genre de collaboration doit se poursuivre, mais elle doit être fondée sur le fait que l'université doit avoir cette masse critique de gens vers lesquels les industries peuvent se tourner. Très peu d'industries ont les moyens de se payer de gros centres qui font de la recherche pour le plaisir de la chose.
La collaboration entre les industries et les universités fait l'objet de nombreuses controverses. Je n'ai jamais eu l'impression que les industries répugnaient à collaborer avec les universités. Les industries existent pour des raisons commerciales pratiques. Elles ne visent pas à prendre le contrôle des universités. Elles ne comprennent pas des gens malveillants. Il peut sortir beaucoup de bien de la recherche de ce genre de collaboration.
Comme vous l'avez déjà entendu, j'ai initialement participé à l'établissement du Forum entreprises-universités, dont la contribution a été fort utile. Toutefois, il est également de la plus haute importance de renforcer le rôle fondamental de l'université dans la société.
Au fil des ans, les universités ont eu le monopole de la remise de diplômes. Pour obtenir un B.A., il fallait aller à l'université. Aujourd'hui, si nous ne contenons pas l'explosion des connaissances et des nouvelles technologies, l'importance ou la qualité des diplômes en souffrira, comme d'autres témoins l'ont déjà dit. J'estime que vous devriez vous pencher sur la qualité des diplômes et de ce qu'ils représentent. J'ai bien peur qu'il y aura beaucoup d'impostures à mesure que l'Internet évoluera et que le «diplôme virtuel» deviendra réalité. Je l'entends déjà: «Le B.A. virtuel.»
Le sénateur Perrault: L'université virtuelle et le diplôme virtuel.
M. Barber: Nous allons avoir des banques virtuelles et toutes sortes d'autres machins virtuels.
Le sénateur Perrault: Peut-être des partis politiques virtuels!
Le sénateur Andreychuk: Je pense que M. Eber Hampton a parlé fort calmement et éloquemment de l'éducation des Indiens. Compte tenu de vos titres de compétences -- et vous pourriez peut-être les énumérer en même temps que vos antécédents parce que mes collègues ne les connaissent pas --, que pensez-vous du concept que nous avons créé à l'Université de Regina en matière d'éducation des Indiens et des effets qu'il aura sur la société?
M. Barber: Je commencerai par mes antécédents. J'ai été nommé au Conseil législatif des Territoires du Nord-Ouest par M. Pearson et j'y ai siégé de 1967 à 1970. En qualité de membre de ce conseil, je me suis directement occupé des affaires de cette région et d'un certain nombre de peuples autochtones des Territoires.
En 1969, après la parution du Livre blanc sur les affaires autochtones, M. Trudeau m'a demandé d'examiner la question des revendications des Autochtones au Canada. De 1969 à 1977, j'ai donc fourni, de façon ponctuelle, des conseils au gouvernement sur la meilleure façon de régler l'épineuse question des revendications des Autochtones, et ce processus se poursuit. J'ai participé depuis au règlement d'une ou deux importantes revendications. La revendication fondée sur des droits fonciers issus d'un traité en Saskatchewan, qui planait sur la province depuis cent ans, a enfin été réglée. Par conséquent, je pense que l'évolution est positive plutôt que négative. Nous nous tournons vers l'avenir au lieu de nous déchirer pour des injustices passées. Ce faisant, à cause des liens étroits que j'ai entretenus avec les Autochtones, nous avons pu mettre en lumière toute la question du contrôle des Autochtones sur leur propre éducation et ces derniers ont proposé la création d'un collège fédéré. Comme vous le savez, un tel collège a été créé chez nous.
J'ai toujours pensé que l'un des grands avantages d'un collège fédéré chez nous à l'Université de Regina est que les étudiants non autochtones ont appris à connaître la société autochtone beaucoup mieux qu'ils ne l'auraient fait autrement; de plus, la création d'un pareil collège a contribué à démolir nombre de malheureux stéréotypes entretenus par les non-Autochtones à propos des Autochtones. J'estime que le collège fédéré s'est révélé fort utile également en permettant aux Autochtones d'acquérir une éducation. Son grand succès a été que c'étaient les Autochtones et non pas les non-Autochtones qui étaient responsables de son fonctionnement.
Ils ont évidemment éprouvé des problèmes en cours de route, ils ont eu des hauts et des bas, mais Reid Robinson, mon collègue, et moi avons décidé de ne pas agir de façon paternaliste, de ne pas intervenir pour régler les problèmes. Et ils ont réussi; il n'y a pas eu d'échec. Nous aurions échoué si nous étions intervenus en invoquant notre supériorité blanche. Et il a été fort enrichissant d'accorder aux Autochtones tant le droit à l'échec que la responsabilité de leur propre succès. À cet égard, l'expérience a été couronnée de succès en montrant qu'un peuple autrement privé de droits peut devenir partie intégrante du processus d'éducation dominant.
Le collège fédéré compte maintenant entre 1 000 et 1 500 étudiants autochtones comme non autochtones. En outre, le collège offre un programme d'enseignement externe, d'éducation à distance. L'éducation à distance peut être très valable dans la mesure où l'on se rend compte qu'elle ne peut pas se faire de façon isolée, qu'elle a besoin de cette base dont j'ai parlé. Mais les modèles de comportement mis au point pour les Autochtones de notre province ont été très conséquents avec les idées du Native Law Centre, de Saskatoon, entre autres, voire liés à ces dernières; toutes ces initiatives ont largement contribué à atténuer des problèmes qui, autrement, auraient été bien plus graves dans notre province et dans notre société.
Le sénateur Andreychuk: Quand nous siégeons à Ottawa, nous entendu souvent parler du taux de criminalité et du taux d'incarcération des Autochtones; mais nous entendons rarement parler des questions positives. Je pense que le collège fédéré autochtone a été une expérience fort enrichissante.
Comment pouvons-nous diffuser ce message?
M. Barber: Non, comment les Autochtones peuvent diffuser ce message. Peut-être ne le veulent-ils pas.
Le sénateur Andreychuk: Mais en tant que comité, pouvons-nous en parler?
M. Barber: Bien sûr, vous pouvez en parler parce que...
Le sénateur Andreychuk: Pouvons-nous en parler, oui ou non?
M. Barber: Vous savez, en cette période de discussion sur l'autonomie gouvernementale, c'est un bon exemple du fonctionnement de cette dernière au sein d'une institution régie de façon autonome conformément aux lois de l'État, tant des lois provinciales que des lois fédérales, qui contrôle ce que l'université peut faire et ne doit pas faire. D'une certaine manière, l'université contrôle ce que le collège fédéré peut faire et ne peut pas faire parce qu'il y a des normes universitaires à maintenir. Comme John Masefield l'a fait remarquer, nous avons des normes en ces matières et vous, les membres de cette collectivité, devez les respecter. Dans le cadre de son mandat, le collège fédéré est libre de faire ce qu'il veut.
Je ne sais pas ce que comprend le programme d'études autochtones; ce sera à vous de le déterminer. Les études autochtones évolueront, tout comme les études en chimie l'ont fait. Ne me demandez pas à moi de le déterminer; faites-le vous-même. Et si le programme est conforme aux normes, le milieu universitaire vous remerciera de votre présentation.
Les dirigeants du collège ont le droit d'engager leur propre personnel, et cela se fait en collaboration avec le département concerné. Ils ont également la responsabilité, de façon indépendante, de créer des cours en langues autochtones; ils peuvent agir à leur guise en cette matière. Toutefois, j'avais le pouvoir de mettre mon veto à leurs nominations à des postes de professeur. À cet égard, le collège fédéré a voulu engager une femme pour enseigner le cri, mais elle n'avait qu'une deuxième ou une troisième année. Comment peut-on, pour l'amour du bon Dieu, engager une personne n'ayant qu'une deuxième ou une troisième année pour donner un cours de niveau universitaire? Je vais vous le dire. Les personnes ayant un Ph.D. en cri sont plutôt rares, de sorte que si une personne ayant une deuxième ou une troisième année est capable de bien enseigner le cri et si les responsables de la création des programmes d'apprentissage du cri sont satisfaits de la compétence de cette personne, qu'y a-t-il de mal à l'engager même si elle n'a ni B.A., ni M.A., ni Ph.D. ni même de certificat de 12e année? Si la personne peut enseigner le cri à la satisfaction de ceux qui savent comment doit se parler la langue crie, loin de moi l'idée de dire qu'elle ne devrait pas faire partie du personnel enseignant de l'université. L'intéressée a donc été engagée et elle a enseigné le cri, avec succès si je ne m'abuse. C'est une des décisions qui ont dû être prises pour faire avancer les choses.
Le sénateur Perrault: Intéressant.
Le sénateur Andreychuk: Je voudrais aborder de nouveau la question des normes en général, et non pas celles qui intéressent seulement les Autochtones. On entend constamment parler de normes nationales. Vous connaissez fort bien les problèmes du gouvernement fédéral en matière d'éducation. Est-il souhaitable de recommander l'adoption de normes nationales comme l'accessibilité, l'abordabilité, la mobilité, la transférabilité?
M. Barber: Eh bien, je pense qu'il existe des principes souhaitables au niveau universitaire, avec des frictions ici et là. Ces normes ont été instituées au fil des ans par les registraires. Dans un système régi par aucun pouvoir central ou qui ne pourra l'être tant que la Constitution ne sera pas modifiée, le régime de transfert d'une université à l'autre est raisonnable. Vous allez entendre des histoires d'horreur à propos d'étudiants qui ont perdu des crédits, un an ou trois ans, ou Dieu sait quoi, en passant de l'Université Queen's à l'Université de la Colombie-Britannique, mais on n'entend pas souvent dire que des étudiants passant des arts à l'Université Queen's aux sciences à l'Université de la Colombie-Britannique perdent aussi quelques crédits. Ainsi, de façon générale, compte tenu du fait qu'il n'y a pas de pouvoir central, le régime de transfert et de normes au niveau universitaire au Canada fonctionne de manière plutôt efficace.
L'OCDE nous a accusés de ne pas avoir de système d'éducation universitaire au Canada. Quand on y regarde de plus près, et si vous vous y connaissez pas mal en cette matière, vous saurez que nous avons un fort bon système qui est passé d'un système plus ou moins autonome à un système uniformisé par tous les intéressés. Certes, il existe des frictions, de la jalousie et des luttes entre les universités; mais cela arrivera qu'il y ait un système centralisé ou non. Toutes les universités cherchent à défendre leurs intérêts propres.
Quant à la question de savoir si les normes nationales sont une bonne chose, et je pense que nous en avons, j'estime qu'il serait utile de demander à un organisme comme l'AUCC de vous expliquer comment fonctionnent les normes, afin de dissiper en partie cette préoccupation suivant laquelle nous n'avons pas de normes, car nous en avons.
Le sénateur Lavoie-Roux: Je suis bien heureuse de l'apprendre.
Le sénateur Andreychuk: J'ai eu le plaisir de travailler dans d'autres pays, en Europe, dans des pays dits du tiers monde, je dois dire que j'ai été assez frappée par le niveau d'angoisse et d'inquiétude des étudiants et du personnel universitaire. Je savais qu'il y avait des inquiétudes, mais depuis que nous avons amorcé cette étude, elles ont atteint leur comble à mon avis. Comment pouvons-nous insuffler un peu d'optimisme dans tout cela, car vous semblez être plus optimiste à cet égard, et j'ai tendance à être d'accord avec vous, mais, si seulement nous avions des normes, tout irait bien, si seulement nous avions plus d'argent, tout irait bien.
M. Barber: Tout irait bien si nous commencions à penser que le verre est à moitié plein au lieu d'être à moitié vide. Et je ne pense pas que l'alarmisme se limite aux universités. Il y a un sentiment général de mécontentement et d'inquiétude, et je ne sais pas vraiment pourquoi. Certes, le taux de chômage s'établit à 9,7 p. 100, mais cela signifie que 90 p. 100 des gens travaillent. Mais ce sont des emplois à temps partiel et subalternes. Eh bien, il y a toujours eu des emplois à temps partiel et subalternes. Je ne sais pas ce que c'est. Si on compare les problèmes de l'éducation postsecondaire avec ceux du régime d'assurance-maladie, les responsables de l'éducation postsecondaire devraient-ils être aussi inquiets que ceux du second? Devraient-ils être aussi inquiets que ceux, notamment, de la fonction publique dont des milliers de membres vont être licenciés? L'inquiétude n'est pas sans cause, mais cela ne doit pas nous empêcher de faire notre travail. Il y a un travail à faire. Personne ne crève de faim dans les milieux universitaires. Les ressources sont certes limitées, mais elles le sont toujours.
Un observateur cynique m'a déjà dit que la raison d'être de l'université était d'obtenir le plus d'argent possible et de tout dépenser. Il y a beaucoup de bonnes choses à faire dans les universités, mais pas assez de ressources; et si vous n'avez les ressources voulues, il faut songer à une autre façon de résoudre les problèmes. Les universités existent depuis des milliers d'années et, à mon avis, elles ne vont pas disparaître de sitôt. C'est en ce sens-là que je suis optimiste. Le court terme est le court terme.
Le sénateur Andreychuk: Il y a donc matière à inquiétude, mais pas de crise?
M. Barber: Je ne pense pas qu'il y ait une crise. Il y a beaucoup de problèmes pour le règlement desquels il faut mobiliser les meilleurs cerveaux et les meilleures capacités, mais ce sont des défis, pas des crises.
Le président: Je vous remercie de votre excellent exposé, monsieur Barber. Je suis d'accord avec vous pour dire que nous aurions moins de problèmes si nous avions un peu plus de solutions, de sorte que nous sommes à la recherche de solutions.
Si vous avez d'autres observations à formuler, d'ici le mois prochain, je vous prie de nous en faire part. Je propose que nous utilisions votre citation dans notre premier rapport.
La séance est levée.