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SAFE

Sous-comité de la sécurité des transports

 

Délibérations du sous-comité de la
Sécurité des transports
du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 7 - Témoignages du 19 avril 1997 (séance de 9 h 52)


MONTRÉAL, le mercredi 19 février 1997

Le sous-comité de la sécurité des transports du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 52 pour étudier l'état de la sécurité des transports au Canada.

Le sénateur J. Michael Forrestall (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous avons le plaisir d'accueillir les Teamsters du Canada.

Veuillez commencer.

M. François Laporte, directeur, Affaires gouvernementales/Relations publiques: Nous ferons notre présentation en français aujourd'hui, puisque nous sommes à Montréal.

[Français]

On le fait en anglais lorsqu'on est à Ottawa puis on va le faire en français à Montréal, si vous n'y voyez pas d'inconvénients.

On a préparé un document. En principe, on nous avait dit qu'on pouvait avoir un échange, que ce n'était pas nécessaire d'avoir un document. Est-ce que vous préférez qu'on aille sur la base d'un échange ou qu'on lise le document?

Le sénateur Rivest: Faites votre présentation.

M. Laporte: Oui? Très bien. Alors, depuis de nombreuses années, les transporteurs routiers ont fait face à une concurrence de plus en plus féroce, conséquence de la déréglementation consacrée par la Loi sur les transports nationaux de 1987.

La concurrence accrue a incité plusieurs transporteurs, la plupart des indépendants, à adopter malgré eux des comportements et des pratiques dangereuses.

Ce phénomène, combiné au laisser-aller des autorités gouvernementales en matière de contrôles routiers, a créé un marasme tel qu'aujourd'hui les utilisateurs du réseau routier voient leur sécurité dangereusement compromise.

Il est beaucoup trop facile de jeter le blâme uniquement sur les transporteurs. Les gouvernements qui ont laissé à elle-même l'industrie, ont également leur part de responsabilité.

Cependant, la concurrence ne peut excuser les comportements dangereux adoptés par certains transporteurs. Les autorités gouvernementales et l'industrie doivent tout mettre en oeuvre pour responsabiliser les transporteurs, et je devrais ajouter aussi les expéditeurs. À cette fin, lors du processus de la formation de la main-d'oeuvre, une importance aussi grande doit être accordée, tant au sens des responsabilités qu'à l'aspect théorique de la conduite d'un véhicule lourd.

Pour ce qui est des politiques gouvernementales, les autorités doivent mettre en pratique une série de mesures visant à resserrer les contrôles routiers, plus particulièrement quant aux heures de conduite, au poids des chargements et à l'état mécanique des équipements. Aussi, la désignation d'un réseau routier pour le transport lourd faciliterait le resserrement des contrôles.

Ce comité se veut pour nous une occasion privilégiée pour exprimer nos préoccupations et nos vues sur le quotidien de nos membres conducteurs de camions.

Avant d'élaborer sur les politiques en matière de sécurité routière touchant le transport des marchandises, j'aimerais faire une brève récapitulation des bouleversements économiques qu'a subis l'industrie du camionnage depuis la déréglementation. Le but de cette récapitulation n'est pas de susciter quelque sympathie que ce soit, mais bien de tenter d'établir un lien entre les pressions économiques que subissent les transporteurs et la situation actuelle en matière de comportement de certains camionneurs sur nos routes.

D'aucuns savent que la Loi sur les transports nationaux, promulguée le 28 août 1987, fut la consécration du concept visant à substituer les forces du marché au régime réglementaire qui régissait l'industrie des transports. Au moment de sa promulgation, tous s'entendaient pour dire que la déréglementation aurait un impact important sur l'avenir de l'industrie des transports.

Il n'est pas question aujourd'hui, pour nous, de débattre des mérites de la déréglementation de l'industrie du camionnage, chacun d'entre nous ayant une opinion différente selon les intérêts que nous défendons. Cependant, à la lumière des différentes études et rapports publiés, soit par l'Office national des transports, soit par Statistique Canada ou tout autre organisme crédible, nous constatons que les statistiques ne mentent pas quant à l'impact qu'a eu la déréglementation sur l'industrie du camionnage.

Selon la revue annuelle de 1993 publiée par l'Office national des transports du Canada, de 1989 à 1993, 35 813 demandes de licence de transport par camion extra-provincial ont été déposées. De ce nombre, très peu ont été refusées, conséquence des nouvelles dispositions concernant l'inversion du fardeau de la preuve lors des demandes d'émission de permis.

Sans avoir une formation économique très poussée, ces chiffres nous en disent beaucoup sur l'évolution de la concurrence dans l'industrie du camionnage.

Donc, en vertu des nouvelles dispositions d'obtention de permis, sur une période de 5 ans, des milliers de nouveaux permis d'exploitation ont été émis augmentant d'autant le niveau de la concurrence.

Qu'en est-il de la viabilité financière des transporteurs? Alors, de 1974 à 1987, les recettes de l'industrie du camionnage ont connu une croissance réelle de 62 p. 100. À titre de comparaison, au cours de la même période, le produit intérieur brut a progressé de 52 p. 100. De 1988 à 1990, pendant que le PIB croissait de 10 p. 100, les recettes de l'industrie du camionnage ont chuté, elles, de 8 p. 100, donc un recul considérable.

Une chute des revenus, combinée à une plus forte concurrence, a forcé les transporteurs à adopter certaines mesures, soit pour rationaliser leur opération dans le cas des grandes compagnies, soit pour rentabiliser un investissement dans le cas des petits transporteurs indépendants ou les artisans.

Un des indices les plus couramment utilisés dans l'industrie du camionnage pour mesurer l'état de la santé financière des transporteurs est le ratio d'exploitation. Les analystes financiers s'entendent généralement pour dire qu'un ratio d'exploitation de l'ordre de 95 p. 100 est un signe de santé financière.

Depuis 1988, les ratios d'exploitation des transporteurs canadiens ont progressé: à 96 p. 100 en 1988, pour atteindre un sommet de 100 p. 100 en 1991, et diminué à 99,8 p. 100 en 1992 et 99,6 p. 100 en 1993. Nous sommes donc loin d'une situation financière très saine.

Concrètement, les répercussions du mauvais état financier de l'industrie ont été dramatiques. À titre d'exemple, de 1988 à 1990 les propriétaires exploitant ont vu leur rémunération moyenne au kilomètre chuter de 0,04 $, soit l'équivalent de 4,5 p. 100. Cette réduction, combinée à une augmentation des frais d'exploitation pour la même période, a été très néfaste. Plusieurs transporteurs ont été acculés à la faillite. Et du côté des salariés qui, eux, sont gouvernés par des conventions collectives, eh bien les conventions collectives, on a subi également des reculs ou des gels salariaux assez importants durant cette période.

Une question se pose immédiatement. comment, dans un contexte de diminution des revenus au kilomètre, maintenir ou augmenter sa rémunération?

Poser cette question, c'est un peu y répondre. On se doit d'augmenter le nombre de kilomètres parcourus et ainsi passer beaucoup plus de temps sur les routes.

La firme Price Waterhouse, dans une étude commandée par le ministère de l'Emploi et de l'Immigration Canada en 1990, nous révèle que, pour percevoir un revenu brut de 100 000 $, un tractionnaire doit travailler 12 heures par jour, 7 jours par semaine.

Selon la même étude, un chauffeur indépendant recevant 0,62 $ brut au kilomètre, l'équivalent de 1,00 $ au mille, -- et gardez à l'esprit que ce dollar au mille, c'est un peu le même montant d'argent qu'on obtient encore aujourd'hui en 1997 -- dégage avec 1,00 $ au mille un revenu net de 0,20 $ par kilomètre, soit 0,30 $ au mille. À ce tarif, un camionneur doit parcourir plus de 240 000 kilomètres par année pour toucher un revenu net de 45 000 $. À une vitesse moyenne de 80 km/h, on doit conduire un véhicule pendant 3 000 heures, soit 60 heures par semaine pendant 50 semaines, pour atteindre ce revenu. Et cela, c'est en respectant la réglementation.

Ces quelques données sur l'état des revenus de l'industrie et la rémunération des camionneurs nous amènent à constater que beaucoup d'entre eux, pour demeurer en affaires, ont dû redoubler d'ardeur et conduire sur une plus longue période.

Aussi, dans un contexte fort compétitif, l'aspect du service est primordial. Beaucoup d'expéditeurs, non seulement exploitent à fond la compétition que se livrent entre eux les transporteurs, mais aussi ils insistent pour des délais de livraison encore plus précis et encore plus courts.

Il n'est donc pas étrange de voir des camionneurs, dans le but de remplir leurs obligations contractuelles, adopter de plus en plus des comportements et des pratiques, qui dans une certaine mesure, peuvent mettre en danger la sécurité du public.

J'aimerais souligner qu'il existe, en matière de comportement dangereux sur nos routes, une distinction importante entre les transporteurs dont les relations de travail sont régies par une convention collective et ceux dont les relations de travail ne le sont pas.

Le chauffeur syndiqué, lui, peut refuser de céder aux pressions d'employeurs qui voudraient le forcer à excéder les vitesses, à prendre un véhicule surchargé ou en mauvaise condition mécanique. Il a recours généralement à une convention collective qui peut le défendre.

Le chauffeur non-syndiqué, lui, n'a aucun recours et, malheureusement, s'il refuse d'obtempérer aux directives de son employeur ou des expéditeurs, même si ces directives font de lui un contrevenant, il risque de perdre son emploi.

Il n'est pas faux de prétendre qu'actuellement il existe deux types d'industrie du camionnage, soit celle encadrée et régie par des conventions collectives et celle où il n'existe aucun contrepoids aux impératifs de profitabilité et où des pressions énormes sont mises sur les chauffeurs.

C'est là que réside tout le problème de la concurrence inéquitable qui existe dans l'industrie du camionnage. Cependant, les pressions économiques et la compétition ne peuvent et ne doivent pas justifier, ni même excuser des comportements dangereux sur nos routes.

C'est donc le rôle du gouvernement, par le biais de nos organismes de réglementation et de contrôle provinciaux, d'établir un juste équilibre entre les impératifs de rentabilité et les intérêts de la communauté.

Il est évident que le gouvernement ne peut pas mettre sur les routes des contrôleurs derrière chaque camion. Cependant, il dispose de certains moyens pour assurer à la population un réseau routier sécuritaire. Seule sa volonté à le faire peut déterminer les résultats. Cependant, avant même que les agents du gouvernement n'interviennent sur nos routes, un travail énorme peut être fait en matière de sécurité routière par le biais de l'éducation et de la formation de la main-d'oeuvre.

Le syndicat des «Teamsters» est profondément convaincu que la formation professionnelle des conducteurs peut non seulement être bénéfique à l'industrie mais aussi au gouvernement en donnant accès au réseau routier à des individus qui sont responsables.

En matière de formation professionnelle des conducteurs de camion, nous croyons qu'une importance aussi grande doit être donnée à la responsabilisation de l'individu par rapport à la communauté, qu'à l'aspect technique de la conduite d'un véhicule lourd.

Les aspirants conducteurs de camions et d'autobus doivent avant tout prendre conscience que l'instrument dont ils auront le contrôle sur la route peut être dangereux et meurtrier s'il n'est pas piloté d'une façon responsable et intelligente. Plusieurs accidents impliquant des collisions ou la perte de contrôle de véhicules lourds auraient pu être évités si le conducteur avait adopté une attitude plus sécuritaire et plus responsable. Combien de fois voyons-nous des véhicules lourds suivre, sur l'autoroute, un autre véhicule à des distances qui ne lui permettent pas d'arrêter en cas d'urgence? Combien de véhicules lourds voyons-nous verser sur le côté parce qu'une courbe a été prise à une vitesse trop grande?

Il faut que chaque conducteur de véhicule lourd soit conscient qu'à chaque manoeuvre qu'il effectue, il y a possibilité de perte de vie s'il perd le contrôle.

Ce sens de la responsabilité doit être inculqué au chauffeur au moment de sa formation professionnelle. Conduire un véhicule lourd, c'est beaucoup plus que des manoeuvres d'embrayage, de changement de voie et d'arraisonnement au quai de chargement. La prévention, par le biais de la formation, doit donc être une priorité.

Ce qui nous amène aussi à l'obtention du permis. Les exigences doivent être beaucoup plus sévères, et pas seulement quant aux aptitudes du candidat mais aussi quant à son attitude. Encore aujourd'hui, des écoles de formation offrent à des prix ridicules, soit environ 500 $, un cours garantissant l'obtention de la classe 1. Si on considère les coûts reliés à l'utilisation de l'équipement et au salaire de l'instructeur, cela nous indique le niveau de la qualité de la formation qui est donnée dans ces écoles.

Aussi, nous sommes d'avis que des tests périodiques, permettant de vérifier les qualifications du conducteur, seraient souhaitables. À titre d'exemple, plusieurs détenteurs de la classe 1 n'ont pas opéré de véhicule lourd depuis de nombreuses années. Leurs compétences ne correspondent peut-être pas aux standards d'aujourd'hui.

Il n'y a pas que la formation des conducteurs pour assurer un réseau routier plus sécuritaire. Les gestionnaires d'entreprises doivent aussi faire leur part. L'industrie doit réaliser qu'elle oeuvre en société et que, conduire un camion ou un autobus n'est pas seulement une affaire de technique, mais aussi de comportement. Des pressions moins grandes doivent être exercées sur les chauffeurs quant aux délais de livraison. Aussi, les entreprises doivent adopter des politiques de gestion du temps des chauffeurs afin de normaliser le plus possible les heures de travail et de ramener le conducteur chez lui le plus souvent possible.

J'en profite ici pour inciter les décideurs gouvernementaux à ne pas céder devant les pressions de groupes d'intérêts qui voudraient voir adopter des dispositions réglementaires qui auraient pour incidence d'augmenter le nombre d'heures de conduite permissibles.

Les chauffeurs de camion sont parmi les travailleurs les plus productifs si on compare leur temps de travail à celui des autres travailleurs. Pendant que la majorité de la classe ouvrière travaille en moyenne entre 35 et 40 heures par semaine, les chauffeurs de camion doivent se résigner à travailler de 60 à 70 heures par semaine. Ces conditions s'apparentent à celles du début du siècle où la semaine de travail était de 60 heures réparties sur 6 jours.

Il est grand temps de ramener la semaine de travail des chauffeurs de camion à une dimension plus humaine et plus moderne.

Combien d'entre nous seraient efficaces et alertes derrière un volant après avoir conduit 13 heures par jour et 70 heures par semaine? C'est une question très importante pour la sécurité routière.

Les règles actuelles donnent déjà aux transporteurs toute la flexibilité requise pour remplir leurs obligations. Déjà les règles canadiennes en matière d'heures de conduite sont beaucoup plus libérales que les règlements américains et, à mon avis, augmenter le nombre d'heures de conduite permissibles aurait un impact majeur sur la sécurité routière.

Parmi les autres moyens dont disposent nos gouvernements pour assurer une meilleure sécurité sur nos routes, il y a l'établissement d'un réseau routier prédéterminé pour le trafic de camions lourds, et ce réseau doit être accompagné de postes de contrôle opérant 24 heures par jour.

Le syndicat des «Teamsters» est toujours convaincu que l'application intégrale des limites de vitesse, et plus particulièrement pour les poids lourds, est bénéfique pour la sécurité routière et que le non-respect doit être accompagné de pénalités extrêmement sévères pour les contrevenants.

Toujours dans le domaine des moyens que détient le gouvernement pour assurer la sécurité routière, il y a la technologie. Aujourd'hui, il est possible d'équiper les camions d'appareils électroniques afin d'aider les agents d'inspection à déterminer s'il y a eu infraction quant aux heures de conduite et aux excès de vitesse. La technologie existe et seule la volonté de nos gouvernements peut faire en sorte qu'elle soit appliquée dans l'industrie du transport routier.

J'aimerais souligner que la plupart des analyses des impacts sur la Loi des transports nationaux de 1987 ont porté sur des aspects très statistiques, à savoir, la baisse des revenus, les ratios d'exploitation, le nombre de transporteurs nouveaux, les faillites, et cetera. Très peu d'études ont analysé les répercussions sociales et humaines de cette loi. Je n'ai pas la prétention de vouloir le faire. Cependant, je sais que des milliers d'emplois bien rémunérés avec des bénéfices marginaux importants ont été perdus à tout jamais. Ces emplois ont été remplacés par d'autres au statut très précaire.

L'industrie du camionnage est dans un tel marasme qu'elle n'arrive même plus à attirer une main-d'oeuvre jeune et qualifiée, capable de répondre à ses besoins et ce, malgré que des dizaines de milliers de chômeurs soient inscrits au bureau de l'Assurance-emploi. L'industrie du camionnage et les chauffeurs doivent retrouver leur dignité, cette dignité qui a été perdue par suite de la déréglementation.

Les quelques suggestions de politiques en matière de transport que j'ai mentionnées précédemment portaient essentiellement sur le contrôle de l'industrie.

À mon avis, il est inacceptable que, dans une société moderne comme la nôtre, nous ne puissions pas oeuvrer sur nos routes en toute sécurité et ce, en tout temps, parce que des individus au comportement illuminé font la loi.

Les camionneurs sont en général des gens responsables et il est malheureux qu'une infime minorité, au comportement de cowboy, vienne ternir leur réputation. C'est pourquoi tout doit être mis en oeuvre, par le biais de politiques de contrôle, pour mettre fin aux pratiques dangereuses. Ces contrôles ne doivent pas être considérés par l'industrie comme étant des entraves, mais bien des moyens visant la responsabilisation des comportements des transporteurs vis-à-vis la communauté.

En terminant, j'aimerais simplement glisser quelques mots quant au manque de vision globale et d'harmonisation de nos gouvernements en matière de transport des marchandises et des passagers. Il n'existe aucune politique globale canadienne en matière des transports, si ce n'est la loi du marché. Or, cette politique est un échec tant en matière de transport routier, aérien, ferroviaire que maritime. Nos entreprises de transport sont, à quelques exceptions près, toutes en situation de survie. La compétition est non seulement très forte à l'intérieur d'un mode de transport donné, mais elle crée une lutte inter-modale avec des conséquences néfastes.

Le Canada est un vaste territoire très peu peuplé. La nécessité d'une politique globale de transport où les modes seraient en complémentarité plutôt qu'en compétition est, à notre avis, la seule voie possible pour le développement durable de notre système de transport.

Le sénateur Rivest: Effectivement, c'est un des problèmes extrêmement sérieux sur le plan, non seulement de la viabilité de l'industrie du camionnage -- il y a des gens qui sont impliqués là-dedans, des entreprises et des travailleurs --, mais aussi sur le plan de la sécurité. J'ai une série de questions à vous poser.

Au départ, je dois vous dire que j'ai un «CB» dans le camion. J'écoute souvent les travailleurs dans l'industrie du transport. Votre témoignage et les propositions que vous avez faites finalement, les chauffeurs de camion le vivent et en parlent quotidiennement avec les pressions qu'ils font.

Et on voit les pressions d'ailleurs très fortes qu'ils subissent, non seulement en termes d'heures de travail qu'ils doivent faire, de rentabilité, et cetera et aussi des pressions que leurs employeurs ou même que le marché leur impose par leur obsession de se poser la question à savoir si le poste de surveillance est ouvert ou pas. Le long de l'autoroute 20, c'est la grande question qui circule parce que, évidemment, ils prennent des chances parce qu'ils n'ont pas le choix. Je pense que vous avez très bien décrit la situation.

Je voudrais vous demander le ratio des «brokers» par rapport aux travailleurs. Le «broker», c'est le type qui est propriétaire de son camion par rapport à ceux qui travaillent mettons pour les grandes entreprises, Day & Ross, et cetera.

M. Laporte: La proportion?

Le sénateur Rivest: Oui.

M. Laporte: Je prétendrais qu'il y a environ 15 à 20 p. 100 de main-d'oeuvre dans le camionnage qui est syndiqué à l'heure actuelle au Québec. Donc, près de 80 p. 100 est opéré par des salariés ou des artisans ou des camionneurs indépendants non-syndiqués. C'est environ cette proportion.

Le sénateur Rivest: C'est ce que vous avez souligné. Pour réduire le temps de travail, libérer au fond le travail du camionneur qui subit les pressions, soit du marché, soit de l'employeur qui veut rentabiliser à cause de la concurrence et de la réglementation dont vous avez parlé, est-ce que vous avez en tête l'idée, par rapport à l'industrie du camionnage au Québec et même dans les autres provinces -- mais parlons spécifiquement plus du Québec --, d'une structure un peu comme dans l'industrie de la construction où il y a une convention collective générale?

M. Laporte: Écoutez, il est facile pour nous de monter aux barricades et de réclamer une re-réglementation de l'industrie, mais on sait que, concrètement, on ne retournera pas à cette époque. Cependant, lorsque l'on parle d'émission des permis, lorsque le gouvernement émet des permis d'opération -- je ne parle pas du gouvernement canadien, je parle de chaque gouvernement, de chaque juridiction provinciale ou territoriale --, les critères doivent être extrêmement sévères, tant au niveau des assurances que de la formation et de la connaissance du candidat par rapport aux lois et règlements; c'est une chose.

La deuxième chose: il y a un manque d'harmonisation total à l'heure actuelle, au niveau canadien, en matière de contrôle de sécurité routière et en matière de réglementation routière. On n'a même pas une réglementation standard à travers le pays quant à la longueur des équipements. On n'a même pas, non plus, au niveau des heures de conduite, à l'exception de la limite quotidienne de 13 heures par jour, une uniformité par rapport au cycle que doivent respecter les camionneurs. À titre d'exemple, l'Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba n'ont aucune limite à l'intérieur d'un cycle de sept jours ou de huit jours que les chauffeurs doivent respecter. Leur seule contrainte est de respecter la limite quotidienne de 13 heures par jour. Alors, il n'y a même pas d'uniformisation au niveau de la réglementation canadienne par rapport à ces questions; c'est très difficile.

Pour répondre plus précisément: non, on ne souhaite pas qu'on aille dans un système comme la construction au Québec, sauf que nous, on considère que l'entrée dans l'industrie doit être très très sévère. Moi, demain matin, je perds mon emploi, j'ai la classe 1; je n'ai même plus besoin d'avoir d'équité financière pour acheter un camion, j'ai simplement à aller le louer pour faire une demande de permis puis aller offrir mes services à quiconque, indépendamment du fait que je connaisse les règlements ou non. Alors, ce qu'on dit nous, c'est que l'entrée dans l'industrie doit être strictement contrôlée par le biais de la connaissance de la réglementation.

Le sénateur Rivest: Je vois souvent dans les hebdos de la région de Saint-Hyacinthe et de Drummondville les spécifications requises -- je ne nommerai pas le transporteur qui place sa petite annonce où il y a une pénurie de main-d'oeuvre incroyable, je suppose que dans d'autres régions du Canada, c'est la même chose--: connaissance de l'anglais et du francelais, des cours, effectivement, de formation professionnelle à 500 $, ce qui est complètement ridicule. Bien sûr, c'est un domaine qui relève du gouvernement du Québec au niveau de la formation professionnelle. Les mesures que le ministre Brassard, par exemple, a évoquées récemment sur l'industrie du camionnage semblent des pistes intéressantes là-dedans?

Deuxièmement, sur les exigences de la formation professionnelle, qu'est-ce que vous attendez du gouvernement canadien ou même surtout du gouvernement du Québec à cet égard? C'est peut-être l'illustration la plus percutante du malaise dans l'industrie du camionnage. C'est un des seuls secteurs où il y a une pénurie de main-d'oeuvre -- dans une situation par ailleurs économique --, où il y a du chômage; pour une raison, parce que les gars ne veulent pas y aller, parce que ce n'est pas payant, parce que c'est trop contraignant, comme vous l'avez décrit. Puis, d'autre part, ceux qui sont très mal pris peuvent y entrer parce qu'il y a une demande sans formation évidemment, avec les conséquences que cela peut avoir sur la sécurité.

M. Louis Lacroix, président, Teamsters Canada: On est associé à la formation par le biais d'un organisme canadien où on accrédite conjointement -- employeur, syndicat, gouvernement -- des écoles de formation et, au Québec, de la même façon, c'est déjà en marche. Dans ce sens, cela va bien.

Mais le problème demeure toutes ces écoles non approuvées qui, pour 500 $, émettent des permis. Tout le monde pense qu'il y a beaucoup de gens qui viennent sur le marché, un an après, ils n'y sont plus parce qu'ils pensent qu'ils vont devenir millionnaires en achetant un tracteur. Une fois qu'ils ont acheté leur tracteur et qu'il faut qu'ils changent les roues, les pneus, et cetera, et cetera, au bout d'un an, ils s'aperçoivent tout simplement qu'ils sont incapables de le faire ou ils sortent du marché.

C'est intéressant ce qui se fait au Québec. C'est intéressant aussi ce qui est en train de se faire au niveau de la formation au niveau canadien, mais il faut que cela aille beaucoup plus loin. Il faut que ce soit beaucoup plus réglementé.

Le problème de la déréglementation qu'on a vécue, c'est que même si on était opposé à la déréglementation, la déréglementation aurait pu se faire si d'abord il y avait eu un forum national sur le transport, si on s'était assuré que dans la compétition Etats-Unis-Canada les règles soient équitables, si on avait uniformisé les règles, s'il y avait eu des moyens de contrôle adéquats. À partir de tout cela, si cela avait été fait d'abord, on aurait pu par la suite déréglementer. Mais, malheureusement, on a déréglementé, puis rien de cela ne s'est fait.

Le sénateur Rivest: Cette déréglementation me semble avoir été faite beaucoup plus pour les gens qui ont besoin des camions que pour l'industrie du camionnage, c'est-à-dire pour baisser les coûts de transport des entreprises, mais sans se préoccuper des conséquences dans l'industrie. C'est cela?

[Traduction]

M. Lacroix: Je passerai maintenant à l'anglais pour ceux qui ont des problèmes à suivre la traduction. Lorsque l'industrie a été déréglementée, il aurait fallu qu'avant la déréglementation, on organise une tribune nationale sur le transport pour que le gouvernement fédéral et les provinces adoptent des règles semblables.

Le président: Pourriez-vous nous donner plus de précisions sur cette tribune nationale et sur son importance?

M. Lacroix: Par exemple, les règlements ne sont pas les mêmes dans chaque province. Les heures de travail ne sont pas nécessairement les mêmes dans chaque province, la taille du camion n'est pas nécessairement la même dans chaque province. Il existe donc un certain nombre d'aspects à propos desquels les politiques varient d'une province à l'autre. De plus, le transport interprovincial relève de la compétence du gouvernement fédéral.

Par conséquent, l'organisation d'une tribune nationale à laquelle participeraient les provinces et le gouvernement fédéral, ainsi que des représentants de l'industrie et des syndicats, nous permettrait d'essayer de parvenir à une forme quelconque d'entente, sur le plan national, dans tous ces secteurs. Cela ne s'est jamais fait. Des réunions ont eu lieu avec les ministres des Transports mais ils ne se sont jamais vraiment occupés du problème pour tâcher d'y remédier correctement. C'est ce que j'entends par tribune nationale.

Le sénateur Rivest: Une dernière question, si vous me le permettez.

[Français]

Le sénateur Rivest: Qu'est-ce que vous feriez avec une bonne réglementation au point de vue de la sécurité, de la formation professionnelle, et une beaucoup plus grande syndicalisation effective des travailleurs dans le secteur? À 10 ou 15 p. 100, vous êtes probablement l'un des secteurs les moins syndiqués dans le domaine de l'industrie. Qu'est-ce qui se produira avec les camions américains qui rentrent?

M. Lacroix: Je veux juste parler. peut-être le faire en anglais.

Le sénateur Rivest: Oui, oui, allez-y.

[Traduction]

M. Lacroix: Lorsqu'on pose la question à propos des camions américains, ce ne sont pas seulement les camions américains qui nous inquiètent. Comme vous le savez, on a suspendu l'admission des camions mexicains aux États-Unis pour l'instant, mais cela ne durera pas. Nous savons très bien que cela ne durera pas. Entre 80 et 90 p. 100 des camions mexicains qui entraient aux États-Unis avant la suspension étaient des camions non sécuritaires.

Leurs contrats n'indiquaient pas exactement ce qui se trouvait à bord de leurs camions; certains transportaient des matières dangereuses sans indication à cet effet. Ces camions étaient vieux et 80 p. 100 d'entre eux n'étaient pas sécuritaires. Ces camions ne vont pas se contenter d'arrêter à la frontière américaine. Un grand nombre de ces camions peuvent entrer au Canada, par l'Ouest. On nous a dit que l'une des raisons pour lesquelles on a interdit temporairement aux camions mexicains d'entrer aux États-Unis, c'est que les douaniers n'étaient pas équipés pour traiter correctement tous les problèmes de sécurité que présentaient les camions qui entraient au pays. La même chose se produira dans le cas de camions en provenance du Mexique qui entreront au Canada.

Il n'y a donc pas seulement le problème de tous les propriétaires exploitants en provenance des États-Unis où d'ailleurs les règlements sont différents, la concurrence est différente, parce qu'ils sont autorisés à faire certaines choses au Canada que nous ne sommes pas autorisés à faire aux États-Unis, il y a tous ces propriétaires exploitants qui entrent au Canada et qui sortent. Je ne sais pas comment on arrivera à assurer la sécurité à ce niveau, mais il faudra le faire. De plus, bientôt, des chauffeurs mexicains entreront au Canada et c'est une perspective terrifiante parce que j'ai vu des vidéos sur certains de ces camions qui franchissent la frontière aux États-Unis et s'ils arrivent dans l'Ouest du Canada, je ne sais pas ce qui se passera.

Puis il y a la question de l'adaptation de ces chauffeurs mexicains à nos lois, la compréhension de notre langue et ainsi de suite.

[Français]

M. Laporte: Peut-être en complémentarité à la réponse de M. Lacroix, j'ajouterais que les lois de l'immigration américaine, à l'heure actuelle, ne permettent pas aux Canadiens de faire des livraisons, de point à point, à l'intérieur du territoire américain. C'est considéré comme du cabotage et si vous faites du cabotage aux État-Unis, vous n'avez pas les permis de travail, donc vous n'avez pas le droit de faire cela.

Les Américains, par contre, à l'heure actuelle au Canada, ont le droit de faire deux types de mouvement: des mouvements de repositionnement et des mouvements incidentaux. Et le problème que cela occasionne, c'est que les Mexicains ne pourront pas faire plus de cabotage aux États-Unis à cause des lois de l'immigration, pas plus que les Canadiens. Cependant à l'avenir, il risque d'y avoir des mouvements de repositionnement de camionneurs mexicains à l'intérieur du territoire canadien pour être capable de prendre des chargements en sol américain et retourner au Mexique. Et cela va être un problème important auquel les autorités canadiennes vont devoir s'adresser.

À l'heure actuelle, les Canadiens n'ont pas le même accès au marché américain que les Américains ont accès à notre marché. C'est déjà un problème, mais le problème va être amplifié -- je ne sais pas de combien -- lorsque les Mexicains pourront le faire. Alors c'est un point intéressant et important auquel nos autorités gouvernementales vont devoir s'adresser.

Le sénateur Bacon: Moi, je dois vous dire que je trouve votre mémoire très réaliste parce qu'on se promène un peu, on entend bien des choses et je trouve que cela colle à la réalité de ce qu'on entend. Et on comprend votre préoccupation par rapport à la sécurité.

Depuis la déréglementation en 1987, les provinces et le gouvernement fédéral ont essayé de développer un code national de sécurité pour l'industrie du camionnage qui pourrait étudier les heures uniformes de travail, les limites de chargement qui pourraient être acceptables. Est-ce que vous êtes en faveur d'un tel code et pourquoi cela a-t-il pris tant de temps pour le développer? Pourquoi est-ce si long à le développer?

M. Laporte: Oui, on est favorable. Le Code national de sécurité routière est le fruit du Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé, le CCNTA en anglais. Cependant, ce sont des standards nationaux et l'application de ces standards n'est pas obligatoire d'une province à l'autre.

En d'autres termes, si une juridiction -- si l'Ontario, le Québec, comme cela peut être la Saskatchewan, l'Alberta -- décide que ce standard ne correspond pas à leur réalité ou juge que, politiquement, on n'a pas intérêt à adopter ce standard dans notre réglementation, on ne l'adopte pas.

Alors, le problème qu'on a, c'est qu'on développe de très beaux documents... le Code national de sécurité routière est fantastique. Cependant, il n'est pas appliqué. Il n'est pas appliqué parce que certaines provinces...

Le sénateur Bacon: Est-ce qu'il serait applicable?

M. Laporte: Il le serait parce que, dans certaines mesures, des provinces l'appliquent. L'Ontario, le Québec, par exemple, qui sont les deux plus grands partenaires commerciaux au Canada, ont par rapport aux heures de conduite, par exemple, des heures de conduite relativement uniformes. Pourquoi est-ce que, par rapport aux longueurs des véhicules, il n'y a pas uniformité. Pourquoi? Est-ce qu'il y a une raison logique? Alors, ce que je veux dire, c'est que dans certains aspects du code national, là où il y a un intérêt, on l'adopte et, là où il n'y a pas d'intérêt ou cela va contre les intérêts de cette province, on ne l'adopte pas. C'est le problème fondamental de l'administration de la sécurité routière. La décentralisation de la Fédération canadienne cause ces problèmes à l'heure actuelle et il n'y a aucun organisme national chargé d'imposer des normes nationales uniformes à travers le pays. C'est le problème fondamental.

Le sénateur Bacon: Êtes-vous en train de me dire que, parce qu'on laisse cela aux provinces, on a des problèmes?

M. Laporte: Ce n'est pas le fait que c'est laissé aux provinces; c'est le fait que les provinces sont incapables de s'entendre entre elles pour l'application de ce code. Le point n'est pas de savoir si c'est de juridiction fédérale ou provinciale, mais qu'on s'entende sur l'application intégrale d'un standard auquel, en principe, on a adhéré et auquel, en principe, on a participé à la rédaction au niveau du Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé.

Le sénateur Bacon: Iriez-vous jusqu'à nous suggérer de recommander à la Conférence des ministres provinciaux du transport de regarder cela de plus près?

M. Laporte: Absolument.

Le sénateur Bacon: Et de trouver des solutions.

M. Laporte: Absolument.

Le sénateur Bacon: Dans votre mémoire, vous parlez des conducteurs qui sont syndiqués. Vous nous avez dit qu'il y a 20 p. 100 de syndiqués, je pense, si j'ai retenu le nombre.

M. Laporte: À peu près.

Le sénateur Bacon: Vous dites qu'ils ne sont pas obligés de faire des heures supplémentaires parce que, à cause de leur syndicalisation, ils peuvent refuser de conduire quand ils sont fatigués. Ils peuvent aussi refuser de transporter des chargements qui sont trop lourds. Ils ne sont pas obligés de faire des excès de vitesse même s'il y a des pressions pour les délais de livraison.

Est-ce que cela veut dire que les accidents qu'on voit avec le camionnage sont causés par les 80 p. 100 qui ne sont pas syndiqués? Les routes sont un peu plus délabrées qu'elles ne l'étaient. Il y a la crainte peut-être aussi des automobilistes quand ils rencontrent ou quand ils partagent la route avec des poids lourds. Le syndicat est-il la réponse à tout? Demandez-cela aux «Teamsters».

M. Lacroix: Écoutez. Si vous laissez de côté simplement le fait que, bien sûr on a un parti pris, mais si vous laissez cela de côté, il y a des réalités qui vont répondre à cette question. Prenons, par exemple, beaucoup des plus gros transporteurs, Robert au Québec par exemple. Il a des moyens de contrôle sur ses camions où le chauffeur ne peut pas dépasser une certaine vitesse, sinon automatiquement il y a un rapport.

Le sénateur Bacon: Les contrôles sont installés sur les camions.

M. Lacroix: Et il y a une pénalité et une mesure disciplinaire. Alors, ce n'est pas parce qu'ils sont syndiqués mais c'est parce que les compagnies syndiquées ont des contrôles adéquats pour s'assurer que, en fait, ce sur quoi on s'est entendu par la convention collective est respecté. Et aussi que les normes routières sont respectées.

L'autre phénomème c'est que les inspecteurs -- et cela, on le voit souvent -- qui ont à faire le contrôle, des fois, savent très bien que c'est beaucoup plus facile de pénaliser une compagnie syndiquée qui est établie que de pénaliser un indépendant qui, lui, ne paiera peut-être jamais son amende avec tous les problèmes que cela incombe. Puis si c'est un Américain, c'est encore pire. Alors, ce qui arrive, c'est que plus souvent qu'autrement, on frappe sur les compagnies syndiquées. Ce sont eux qui sont vérifiés.

Puis en plus, on ajoute au phénomène que, pour être rentable -- le document l'explique très bien --, un indépendant, qu'on appele un «owner-operator», doit travailler de 70 à 80 heures par semaine. C'est sûr qu'il doit travailler dans des conditions qui ne sont pas sécuritaires. Je me rappelle un accident qui était survenu dans le tunnel Hippolyte-Lafontaine, tout le monde nous en parlait et nous disait: maudit, les chauffeurs, vous n'avez pas de formation. C'était un indépendant, c'était quelqu'un qui venait du Nouveau-Brunswick. Cela a été démontré, je pense, qu'il avait pris des activants pour rester éveillé le plus longtemps possible. Or oui, pas tous, mais la grande majorité des gros accidents, il y a des chances que ce soit des indépendants qui, par la force de nature, ne travaillent pas dans les meilleures conditions sécuritaires au niveau de leur camion, au niveau de leur fatigue, et cetera.

M. Laporte: Dans les modes d'opération, dans nos conventions collectives, un chauffeur, avant de partir, avant de quitter son point, doit procéder à une inspection de son véhicule, puis il touche une rémunération pour cela. Je pense que cela va de 5 à 10 $ si cela prend une demi-heure, si cela prend 10 minutes. L'idée, c'est qu'il y a une obligation de vérifier son véhicule pour savoir si...

Le sénateur Bacon: Est-ce qu'il a la formation pour faire l'inspection?

M. Laporte: Oui, il a la formation. Et il fait le tour de son véhicule, vérifie si les boyaux pour le système de freinage sont en ordre. Il vérifie si les boulons pour les roues, tout est correct, si le véhicule est bien arrimé et tout cela. Alors, lui, non seulement il est payé pour le faire parce que sa convention collective le paie, mais aussi il a l'obligation de le faire.

Celui qui n'est pas régi par cela, lui, son but c'est d'aller sur la route le plus rapidement possible parce que son véhicule doit rouler pour que son revenu rentre. Alors, son intérêt, c'est d'embarquer sur la route le plus rapidement possible. Il ne prendra pas nécessairement le temps de faire le tour de son véhicule.

Et je vous invite à lire les journaux. Vous avez les mêmes médias, les mêmes journaux que nous et faites le tour des accidents récents depuis les deux ou trois dernières années, et puis tirez vos propres conclusions.

Le sénateur Bacon: On fait de la route entre Laval et Ottawa, on le voit.

M. Laporte: Oui, oui, je comprends.

M. Lacroix: Et l'autre phénomène aussi quand on parle de taux de syndicalisation, on est en train de perdre les chauffeurs syndiqués sur ce qu'on appelle le longue distance. Le longue distance est presque tout remplacé par des «brokers »à cause des taux, bien sûr. Alors, ce qui est de juridiction fédérale, en fait, l'interprovincial, c'est de plus en plus des «owner-operators» et de moins en moins des chauffeurs syndiqués.

M. Laporte: En plus, la compétition du rail est très forte sur le longue distance.

Le sénateur Bacon: Est-ce que vous la sentez à ce point-là?

M. Laporte: Oui, absolument. Les moyens techniques aujourd'hui sont plus adaptés à l'intermodal. Mais c'est pour cela qu'on voit beaucoup de nos compagnies de transport se diriger vers du transport beaucoup plus local: Montréal, Saint-Hyacinthe, Saint-Jérome, Sainte-Agathe, où le chauffeur peut revenir.

Le longue distance Montréal-Vancouver ou vers les longues destinations aux États-Unis, est beaucoup plus effectué aujourd'hui, comme Louis le mentionnait, par le «owner-operator» ou le train qui prend charge de ces livraisons.

Il y a aussi l'autre phénomène des lots brisés puis des lots pleins. Les camionneurs artisans sont très peu enclins à prendre des charges de lots brisés parce qu'ils doivent faire différents arrêts. Alors, pour eux, lorsqu'ils arrêtent, la rémunération n'est pas là. Alors, ils sont moins intéressés à faire cela.

Le sénateur Bacon: J'ai une dernière question que je pose à tout le monde; pas seulement à vous. Aux États-Unis, on introduit quand même des tests d'alcool et de stupéfiants pour les camionneurs. Est-ce que vous favorisez un programme pour les camionneurs à l'intérieur du Canada?

M. Laporte: Non.

Le sénateur Bacon: Vous allez me dire pourquoi?

M. Lacroix: Non, parce que c'est un faux problème. C'est un problème en fait qui n'existe pas. Une étude avait été faite -- je pense que c'est une étude gouvernementale, on pourrait vous la faire parvenir -- où on arrêtait les chauffeurs et on leur demandait volontairement de se soumettre à cela.

Le sénateur Bacon: C'est-à-dire «at random», c'est cela.

M. Lacroix: Je pense que le pourcentage des gens qui avait un problème, c'était comme 1 p. 100. Alors, c'est un faux problème; c'est un problème qui n'existe pas. Et la seule chose que cela va faire, cela va encore créer un autre problème important. On se pose -- vous posez la question: qui va respecter cela? Et cela sera encore les compagnies syndiquées qui sont organisées, où ils peuvent faire des contrôles. Et comment allez-vous faire pour vérifier les indépendants qui sont sur la route? Eux autres vont échapper encore à cela. Cela va être encore une contrainte de plus sur ceux qui sont syndiqués, ceux qui vérifient leurs camions, ceux qui ont des normes de travail, ceux qui respectent les limites de vitesse. Bien eux, on va leur rajouter encore une norme alors que tous les indépendants, eux autres, vont s'en sauver.

Le sénateur Bacon: Mais, M. Lacroix, les compagnies où il y a des syndiqués, comment font-elles? Est-ce qu'elles ont un programme à l'intérieur de cette compagnie pour des vérifications? Est-ce qu'il y a un programme si jamais il y a un accident, un des chauffeurs syndiqués, cela peut arriver un accident. Et s'il était, par malheur, sous l'influence des drogues ou de l'alcool, est-ce qu'il y a des choses qui se font là-dessus chez vous?

M. Lacroix: D'abord, on doit respecter la législation américaine en ce qui concerne nos chauffeurs qui vont aux États-Unis. Cela est déjà prévu.

Le sénateur Bacon: Oui, mais au Canada?

M. Lacroix: Mais au Canada, non. Il n'y a pas de programme de vérification, pas plus d'ailleurs qu'il y en a pour les automobilistes sur le chemin, sauf si vous avez un accident et que la police pense que vous êtes sous une influence quelconque. Un test sera fait. C'est la même chose pour le chauffeur de camion. Or le chauffeur de camion est au même palier, si on veut, que les automobilistes. Mais nous, on dit que ce problème n'existe pas.

Le sénateur Bacon: Non, mais là, vous êtes en train de me dire qu'il n'y a aucun problème d'alcool ou d'influence de drogues dans votre syndicat?

M. Laporte: Ce qu'on essaie de dire, c'est que c'est un faux problème en pensant qu'on va régler tous les problèmes de sécurité routière en adoptant des tests de drogue. Qu'un chauffeur soit testé négatif puis que son dossier soit blanc parce que, oui, il n'a pas pris de drogue, aucun alcool, d'accord, mais que ses freins sur son véhicule soient défectueux, il est aussi dangereux, sinon plus dangereux, que n'importe quel autre chauffeur sur la route. Alors, ce qu'on essaie de dire, c'est que c'est fausser la donnée en pensant que les tests de drogue sont la solution à l'ensemble des problèmes de sécurité routière.

Deuxièmement, Louis mentionnait que l'étude soulignait que le pourcentage est quasiment inexistant. On ne dit pas qu'il est inexistant, mais tellement minime, que c'est fausser la réalité que d'essayer d'avancer que les tests vont solutionner l'ensemble des problèmes.

Nous, on considère que l'on doit s'assurer qu'il y ait des contrôles routiers, que les gens respectent les heures de conduite et que s'ils se font prendre en dépassant les heures de conduite, les pénalités soient tellement sévères qu'ils ne pourront pas opérer un véhicule. Simplement cela, cela va être un incitatif peut-être à ne pas être tenté à prendre des substances pour rester réveillé. Vous comprenez ce que je veux dire?

Le sénateur Bacon: Oui, oui.

M. Laporte: Alors, plutôt que de focaliser sur les tests de drogue, on devrait plutôt mettre l'emphase sur les contrôles routiers, le contrôle des heures de conduite, puis les contrôles sur l'état mécanique des véhicules.

Et lorsqu'on aura réglé ces deux aspects de l'industrie, on aura problablement réglé 80 p. 100 des problèmes de la concurrence inéquitable entre les types de transporteurs dans l'industrie du camionnage.

Le sénateur Bacon: Parce qu'en fait, tout cela vient de la concurrence?

M. Laporte: Une concurrence qui est inéquitable. Lorsque les transporteurs respectent la réglementation, ils font face à des coûts qui sont reliés à cela. Et ceux qui ne la respectent pas n'ont pas ces coûts. Et en n'ayant pas ces coûts, ils peuvent mener une concurrence déloyale par rapport aux autres. Alors, c'est un peu l'idée.

Mettez la concurrence plus loyale, plus équitable, en faisant en sorte que l'ensemble des transporteurs respectent les lois et les règlements, puis qu'ils jouent la «game», comme on dit, en respectant les règles du jeu.

M. Lacroix: Je veux juste revenir encore une fois là-dessus, en dernier. Si on regarde la juridiction fédérale-interprovinciale, on réalise que 80 p. 100 mettons du transport routier interprovincial est fait par des propriétaires indépendants, c'est-à-dire des gens qui ont juste un camion. Les contrôles périodiques au niveau de la consommation de drogues ou de matières semblables, signifient que l'employeur, d'une façon non déterminée -- c'est-à-dire sans que la date soit annoncée -- fait périodiquement des vérifications. Cela va fonctionner pour les compagnies syndiquées ou les compagnies bien structurées. Mais les indépendants qui sont 80 p. 100, comment vont-ils faire? Ils vont se vérifier eux-mêmes? Alors, vous avez votre réponse.

Le sénateur Bacon: Non, c'est parce que je suis vraiment surprise du nombre quand on dit 20 p. 100 par rapport à 80 p. 100. Cela nous fait comprendre bien des choses.

M. Lacroix: C'est exact.

M. Laporte: Je peux même vous dire que 20 p. 100, c'est un chiffre optimiste.

Le sénateur Bacon: Vous êtes un optimiste?

M. Laporte: C'est un chiffre très optimiste, puis on parle du Québec. Si on va dans certaines autres provinces, c'est possiblement moins que cela.

Le sénateur Bacon: Moins que 20 p. 100?

M. Laporte: Possiblement, oui. Ce qui est important, c'est de comprendre que notre position n'est pas une attaque en règle contre les camionneurs indépendants. Tout le monde a le droit de gagner sa vie.

Le sénateur Bacon: Non, mais cela, on comprend cela. C'est pour cela qu'on vous a ici.

M. Laporte: Tout le monde a le droit de gagner sa vie. Notre point, c'est que tout le monde doit la gagner en respectant les règles du jeu; et cela, c'est très important. Ces gens -- puis encore une fois, ce n'est pas pour les défendre -- subissent des pressions énormes des expéditeurs, de leurs employeurs.

Et le concept de responsabilisation, non seulement pour les camionneurs mais également pour les expéditeurs, devrait être appliqué et mis en pratique un peu partout. Du moment où l'expéditeur qui a la responsabilité du camionneur qu'il emploie, que ce soit un indépendant ou non, risque d'être pénalisé au même titre que le camionneur, il va faire en sorte que ce camionneur respecte les critères en matière d'assurances, respecte les heures de conduite, le poids des chargements.

Aujourd'hui, un camionneur se présente chez un expéditeur, bien souvent il n'a même pas le moyen de vérifier si la charge est correcte ou respecte les lois. On charge le camion, puis on dit: tu prends cela, puis tu vas le mener. Puis, si on pose la question: est-ce que la limite de chargement est respectée? Juste poser cette question, bien souvent amène la réponse suivante: bien, retournez chez vous, on va en appeler un autre.

Le sénateur Bacon: On va en prendre un autre.

M. Laporte: Alors, c'est très important aussi de responsabiliser les expéditeurs au même titre que les camionneurs.

Le sénateur Bacon: Non, je trouve que cela nous apporte un bon éclairage dans la discussion que nous avons au niveau du comité.

[Traduction]

Le sénateur Adams: Vous avez parlé des problèmes routiers. Comment peut-on améliorer l'entretien des autoroutes? Peut-être faudrait-il privatiser certaines routes au lieu qu'elles soient entretenues par le gouvernement provincial?

Qu'en pensez-vous?

[Français]

M. Lacroix: Non, on ne croit pas que privatiser les routes cela serait une solution. On pense que cela ne ferait qu'agrandir le problème. Ce qu'on recherche, ce sont des normes nationales appliquées d'une façon adéquate partout. Alors, certainement qu'on ne recherche pas 32 compagnies qui administrent 32 routes différentes. Alors, moi, je ne vois pas. On ne s'est pas penché sur le problème, mais à prime abord on ne serait pas en faveur.

[Traduction]

M. Laporte: La question est la suivante: appliqueront-ils les mêmes règlements? Si je suis propriétaire d'un tronçon d'autoroute et que je dis au camionneur: «Si vous êtes prêt à mettre le prix, vous aurez accès à mon réseau ou à ma route et il n'est pas vraiment important que vous respectiez le poids établi et ainsi de suite», qui contrôlera ce genre de situation? Est-ce que ce sera le propriétaire privé? La police provinciale? Qui exercera le contrôle? Si les règles sont les mêmes partout, c'est une chose mais si les règles diffèrent, cela posera un grave problème.

Le sénateur Adams: Nous avons entendu parler de certaines amendes imposées à des expéditeurs qui livrent leurs marchandises en retard. Nous en avons entendu parler en ce qui concerne les pièces pour véhicules automobiles. Avez-vous des renseignements à propos des amendes de 5 000 $? Est-ce que ce genre de choses vous pose problème? Avez-vous déjà entendu parler de ce problème? On nous a parlé du nombre d'heures par jour pendant lesquelles un chauffeur est autorisé à conduire... je pense que c'est 13 heures. En cas de mauvais temps ou si le chauffeur est retardé pour une raison quelconque, quelles en seront les conséquences?

M. Laporte: Cela fait probablement partie d'un contrat passé entre les producteurs et le fabricant.

[Français]

M. Laporte: La responsabilisation dont vous parlez ne concerne seulement que les livraisons. Nous, la responsabilisation dont nous parlons, c'est une responsabilisation qui s'adresserait par rapport aux infractions au Code de la sécurité routière. À titre d'exemple, si un expéditeur utilise un camionneur et que la charge est excédentaire aux lois et règlements, l'expéditeur doit être responsable et payer une amende au même titre que le camionneur qui fonctionne en illégalité, et on ne parle pas de la question du délai de livraison: Si vous ne livrez pas mes 50 0000 boulons à temps, vous devrez payer.

Dix mille dollars d'amende, ce n'est pas par rapport à cela. Lorsqu'on parle de responsabilisation, c'est par rapport aux infractions et au non-respect des lois et règlements en matière de sécurité routière.

[Traduction]

Le sénateur Adams: Entre temps, nous avons entendu dire que les fournisseurs et les propriétaires, et non pas les camionneurs et les expéditeurs, exercent un plus grand contrôle quant à la façon dont ils s'autoréglementent, particulièrement les chauffeurs. Un chauffeur est autorisé à conduire 13 heures par jour au Canada; je crois que c'est 10 heures par jour aux États-Unis. Je pense que les règlements aux États-Unis permettent une charge utile de 80 000 livres pour une semi-remorque. Au Canada, cette charge est 130 000 heures et le nombre maximum d'heures de conduite est de 13.

Est-ce la disparité entre ces deux règlements qui vous dérange, le fait qu'au Canada la charge utile soit de 50 000 livres plus élevée qu'aux États-Unis?

[Français]

M. Laporte: Cela pose certainement des difficultés, mais encore là c'est une difficulté de logistique. Lorsque vous mentionniez les chauffeurs de camion et la question du respect des heures de conduite, à l'heure actuelle, il me semble que la tendance des gouvernements, surtout en matière d'heures de conduite, c'est de dire: écoutez, c'est tellement devenu un monstre incontrôlable qu'on doit réorienter notre réglementation et peut-être adopter des nouveaux concepts.

Présentement, il y a un concept en place, en Australie, qui s'appelle le «Fatigue management program» pour les chauffeurs de camion. Le problème avec ce concept est qu'il est basé fondamentalement sur le sens des responsabilités des camionneurs. En d'autres termes, lorsqu'on pense qu'un camionneur va, de façon très raisonnable, lorsqu'il sentira des signes de fatigue, simplement se mettre sur le côté ou aller au premier motel donné, qu'il va se coucher et qu'il va prendre sa période de repos, puis le lendemain ou après huit heures il va pouvoir reprendre la route, c'est très beau. Le problème, c'est qu'on a seulement regardé les camionneurs qui sont responsables de l'entretien de leur véhicule.

Regardez ce qui se produit en Ontario, on perd des roues, cela cause des accidents, cela cause la mort d'individus. Dans quelle mesure est-ce qu'on peut se fier sur le sens des responsabilités des camionneurs? Alors, c'est hallucinant de penser que les camionneurs, lorsqu'ils vont ressentir un signe de fatigue, vont arrêter. C'est hallucinant de penser cela, c'est incroyable. Déjà, ils ont de la misère à arriver au point de vue financier en respectant la réglementation -- puis il y en a une réglementation sur papier qui est relativement sévère. Comment voulez-vous qu'on élimine cela puis qu'on pense qu'on va améliorer la question du contrôle des heures de conduite en se fiant uniquement sur les chauffeurs et leur sens des responsabilités? C'est impossible, à notre avis.

[Traduction]

Le sénateur Adams: Vous parliez plus tôt des chauffeurs mexicains. Maintenant que le libre-échange existe entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, sont-ils libres de faire tout ce qu'ils veulent? Vous avez dit que certains chauffeurs mexicains étaient en train d'évincer certains de vos chauffeurs, que les mêmes charges étaient expédiées au Mexique, ou quelque chose du genre. Je sais que nous avons beaucoup d'usines de fabrication au Mexique et au Canada. Est-ce là où se situe le problème à votre avis?

M. Laporte: Pas encore. Ils ne peuvent pas encore entrer au Canada. Selon l'ALÉNA, en l'an 2000, je crois, ils seront autorisés à entrer au Canada. Depuis décembre ou janvier 1996, ils sont censés être autorisés à entrer dans certains États: la Californie, le Texas et certains États frontaliers. Cependant, comme le président Clinton a décidé de reporter l'application de certaines dispositions de l'ALÉNA concernant l'industrie du camionnage, les Mexicains ne sont pas autorisés à entrer aux États-Unis, sauf dans quelques États. Mais en l'an 2000 -- car la suspension imposée par les Américains n'est que temporaire -- avec l'accès complet à la totalité du marché nord-américain, il ne fait aucun doute que des chauffeurs mexicains viendront au Canada. Il ne faut pas oublier non plus que certains d'entre eux touchent 8 $ U.S. par jour. C'est leur salaire. C'est la concurrence.

Le président: Huit dollars par jour, ce n'est pas de la concurrence.

M. Lacroix: Eh bien! On parle de 8 $ américains.

Le président: Il y a des chances que nous n'en apprenions pas beaucoup si nous allions au Mexique et parlions de sécurité aux camionneurs. Je ne suis pas sûr que c'est ce que j'ai voulu vraiment dire. Permettez-moi de vous poser la question suivante parce que vous avez parlé des expériences qui ont été faites en Australie. Êtes-vous au fait de la sécurité sur les routes européennes par exemple, au Japon ou ailleurs dans le monde. Vers qui ce comité pourrait-il se tourner pour se guider?

M. Lacroix: J'étais de passage à Londres et à Paris la semaine dernière et ces villes font dans l'ensemble face au même problème que nous en Amérique du Nord. En plus, elles sont aux prises avec une forte concurrence de la part des anciens pays de l'Europe de l'Est. La concurrence est féroce dans l'industrie du camionnage et elle éprouve toujours des problèmes en ce qui a trait au contrôle routier, aux heures de service, à la largeur et à la dimension. On peut donc dire que ce sont exactement les mêmes problèmes qui se posent là-bas.

Pour ce qui est de l'Australie, les représentants du gouvernement canadien et de l'Association canadienne du camionnage s'y sont rendus il y a quelques mois. Nous n'avons malheureusement pas été invités à nous joindre à eux. Je ne sais pas pourquoi. Il aurait été très utile et très intéressants pour les syndicats de voir ce qui se passe là-bas. De toute façon, je ne suis pas en mesure de vous renseigner sur le programme australien de gestion de la fatigue.

Cependant, je vous recommande de communiquer avec Transports Canada et, si vous voulez, je puis même vous donner le nom de la personne du ministère qui est chargée du programme.

Le président: Avez-vous de l'expérience ou des connaissances en ce qui a trait au Japon, par exemple, ou d'autres pays asiatiques?

M. Lacroix: Non, ni pour le Japon ni pour l'Asie.

Le président: Pour revenir à la question de l'entretien et des normes en ce qui a trait aux routes. Dans quelle mesure l'entretien contribue-t-il à la sécurité ou aux conditions de conduite sécuritaires? Est-il moins sûr de conduire en mars et en avril, au moment du dégel, qu'en juillet ou en août? Est-ce que les nids-de-poule font une différence?

M. Lacroix: Je n'ai pas de statistiques à ce sujet, mais je vous invite à consulter le CCATM, le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé. Il organise annuellement une campagne de contrôle routier qui se déroule, je crois, à la fin de l'été. Je vous invite à consulter cette étude. Le Conseil a peut-être le genre de renseignements dont vous avez besoin.

Quant à nous, ce n'est ni en avril, ni en mai, ni en mars que la sécurité des routes pose un problème, mais bien toute l'année.

Le président: Toute l'année?

M. Lacroix: Oui.

Le président: Me permettez-vous de vous poser une question au sujet des semi-remorques et des bretelles. Nous parvenons à négocier avec des trains routiers les bretelles des autoroutes canadiennes. Sont-elles sûres toutefois pour un train routier triple ou y a-t-il des problèmes de conception que vous aimeriez peut-être signaler?

M. Lacroix: Vous parlez des trains routiers doubles et de véhicules du genre. De l'avis de mon association, il peut être logique d'utiliser parfois ce genre de véhicule, par exemple là où la route ou le réseau peut accepter ce genre de matériel, là où c'est sécuritaire. D'autre part, il ne faut pas y penser en Colombie-Britannique entre Whistler et...

Vous devez tenir compte du système routier. Vous devez vous demander si la route convient à ce genre d'équipement.

[Français]

M. Laporte: En d'autres termes, lorsque le réseau routier est capable d'accepter ces types d'équipements, oui, c'est possible, et oui on est prêt à l'accepter, mais cela n'a aucun sens d'utiliser des équipements doubles sur certaines routes de la Colombie-Britannique, par exemple, ou de l'Alberta. Comme ce n'est pas non plus souhaitable que ces équipements se retrouvent sur la route entre Québec et Sept-Îles. Cela n'a aucun sens d'avoir ces équipements double sur ces routes. Par contre, dans le corridor Québec-Windsor...

[Traduction]

Entre Québec et Windsor, c'est peut-être possible et le réseau routier permet l'utilisation de ces équipements lourds.

Le président: Vos observations générales s'adresseraient aux trains routiers triples...

M. Lacroix: Avez-vous déjà essayé de conduire un train routier triple? Ce n'est pas mon cas et je n'essaierais pas de le faire.

Le président: Je suppose que vous savez qu'on les utilise de plus en plus aux États-Unis et que des gens essaient d'obtenir des permis ici au Canada. Certaines provinces s'y opposent carrément tandis que d'autres songent à émettre des permis. Conduire à 100 kilomètres à l'heure sur une route c'est une chose. Là où j'exprime des réserves, c'est lorsqu'un train routier triple quitte l'autoroute par une bretelle et doit effectuer un virage. Le camion se dirige dans un sens tandis que les trois remorques prennent la direction opposée.

M. Lacroix: Encore une fois, comme M. Laporte l'a dit, si l'on savait qu'ils n'ont qu'à conduire en ligne droite et que la route peut absorber ce genre de trafic, ce serait peut-être différent.

M. Laporte: Cependant, telle n'est pas la réalité au Canada aujourd'hui, à l'exception de certaines régions très circonscrites. Il y a beaucoup de ces transporteurs dans des pays comme l'Australie où vous avez des routes rectilignes de 1 000 milles de longueur, du moins dans les films que j'ai vus. Je ne suis jamais allé là-bas, mais dans ce genre de situation et compte tenu des bonnes conditions climatiques, il peut être logique d'utiliser des trains routiers triples. Il y a certaines routes aux États-Unis où cela peut aussi être sensé.

Je pense donc que dans un cas comme celui-là, il ne faut pas perdre de vue la logique. Il y a aussi la question de la circulation sur la route. Nous devons être très prudents lorsque nous examinons des situations de ce genre.

En toute franchise, je dois dire que lorsque nous considérons la question, nous sommes quelque peu divisés. Comme nous soutenons la concurrence des trains et que nous voulons conserver nos emplois, nous gardons toutefois l'esprit très ouvert. En ce qui a trait à la sécurité, à moins que ces trains routiers parcourent de très longues distances ou se déplacent en ligne droite, il n'est pas vraiment sensé de les utiliser.

Le président: Qu'en est-il du «convoiement»? Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de deux, trois ou quatre ensembles tracteur-remorque qui se déplacent en convoi sur l'autoroute à la même vitesse, assez près l'un de l'autre, et qui sont presque impossibles à doubler sans crainte et sans appréhension?

M. Lacroix: Ma première réaction, une fois de plus, serait de répondre que nous n'avons pas examiné la question, mais ce que nous nous demandons entre autres, c'est si la route est adaptée à ce genre de situation? Il y a déjà des automobilistes qui ont du mal à doubler ces poids lourds. Je ne suis pas convaincu que le réseau routier est adapté à ce genre de situation. Il peut être plus difficile de doubler 10 camions qui se déplacent en convoi à une certaine vitesse. Ce n'est déjà pas facile avec un seul. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

M. Laporte: Dans mon exposé, j'ai aussi parlé de la courtoisie des camionneurs et du fait que cela doit faire partie de leur formation. Lorsqu'un conducteur présente une demande de permis, lorsqu'il se rend à un centre de formation, la première chose à lui apprendre, d'après nous, c'est la courtoisie au volant. Il doit comprendre que son véhicule étant gros, lourd et dangereux, il doit être prudent et conduire de façon responsable. Les camionneurs doivent apprendre qu'ils ne doivent pas empêcher les automobilistes de les doubler. Ce genre de courtoisie fait donc partie de la formation.

Le président: Je voyage beaucoup et je vous assure que beaucoup de camionneurs sont très courtois. Il n'y a aucun doute à ce sujet. Je crois que la grande majorité d'entre eux sont attentifs. Dans quelle mesure tentez-vous de syndiquer les camionneurs indépendants, ou la tâche est-elle pour ainsi dire impossible?

M. Lacroix: Eh bien! Nous ne ménageons pas nos efforts. Il y a aussi le code du travail, de même que la mentalité des propriétaires exploitants qui se considèrent comme de petits entrepreneurs. Ils estiment exploiter une petite entreprise, même s'ils dépendent d'un seul expéditeur; cela n'a pas vraiment d'importance pour eux. Ce qui leur importe, c'est qu'ils sont propriétaires d'une petite entreprise et qu'ils sont autonomes.

Il est difficile de parler de syndicalisation à ces camionneurs. C'est un sujet qu'il faut aborder différemment dans ce secteur de l'économie.

Beaucoup de coopératives ont été mises sur pied ou créées pour eux. Certaines d'entre elles ont eu un franc succès tandis que d'autres n'ont pas résisté à l'épreuve du temps. Pour ces entrepreneurs, la coopérative est utile dans la mesure où elle leur permet d'obtenir des réductions sur le coût de l'essence et des assurances? C'est ça l'important pour eux. La mentalité est très spéciale dans ce secteur très spécial où la syndicalisation n'est pas facile du tout.

Le président: Impossible même.

M. Lacroix: Elle est presque impossible même avec le code du travail.

Le président: Dans le cadre de vos discussions avec l'industrie, avez-vous abordé la question des bavettes garde-boue ou des déflecteurs anti-projections posés sur toute la longueur du véhicule pour empêcher que les voitures qui doublent les poids lourds ne se fassent asperger?

M. Lacroix: Non.

Le président: Pourquoi, puisque vous dites que la sécurité vous préoccupe? J'ai déjà eu du mal à doubler un ou deux camions avant de réussir sans difficulté aucune à doubler un 28 roues, appartenant à une entreprise américaine de fabrication de cercueils, sans que ma visibilité ne soit amoindrie, parce qu'il était entièrement muni de bavettes garde-boue. J'ai eu encore beaucoup de mal à voir quand j'ai dépassé le convoi de camions suivant.

M. Lacroix: La raison pour laquelle nous ne nous sommes pas occupés de cet aspect, c'est que dans l'industrie du transport organisé nous luttons depuis une dizaine d'années pour notre survie. Nous n'avons donc pas essayé de trouver des moyens d'alourdir le fardeau financier de ces compagnies. Nous essayons plutôt de voir comment une entreprise peut maintenir ses activités et conserver ses employés. C'est le combat que nous livrons.

Le président: Oui, mais vous m'autorisez à penser que vous avez encouragé les compagnies à rogner sur la sécurité.

M. Lacroix: Non, absolument pas. C'est la survie qui nous intéresse, mais les gens essaient de gagner leur vie, de comprimer les dépenses.

Lorsque je réponds au téléphone, ce n'est jamais pour apprendre que deux nouveaux membres ont joint les rangs de l'industrie du transport, mais plutôt que deux entreprises ont fusionné, que l'une d'entre elles a fait faillite ou qu'une autre encore a l'intention de réduire les salaires. L'industrie du transport connaît des baisses de salaire et perd des avantages sociaux depuis cinq à sept ans. Nous avons négocié une baisse salariale pour soutenir la concurrence, pour survivre.

Après la déréglementation, nous avons perdu environ 60 p. 100 de toutes les bonnes entreprises que nous avions et les emplois qu'elles offraient. Les nouvelles entreprises qui les ont remplacées ont aussi livré de terribles combats ou vécu toutes sortes de fusion, de situations qui surviennent presque quotidiennement. C'est ce que nous vivons, ce que nous avons vécu et ce que nous continuerons de vivre. Nos problèmes sont grands.

Alors, lorsque vous posez des questions au sujet des bavettes garde-boue, même si cela peut être une idée géniale, ce qui nous préoccupe, c'est la survie de l'industrie. Notre survie dépend du respect des règles par tous les intervenants. Comment appliquons-nous les règles? Voilà le genre de questions que nous devons poser en tant que syndicat.

[Français]

Le sénateur Rivest: Est-ce qu'il y a beaucoup d'expéditeurs qui ont leur propre flotte de camions? Est-ce important? Mettons Sears ou bien Metro Richelieu.

M. Laporte: Il en existe un certain nombre.

Le sénateur Rivest : Mais ce n'est pas un gros nombre?

M. Laporte: Ce n'est pas un gros. Beaucoup utilisent de plus en plus la sous-traitance. La sous-traitance est un autre phénomène dans le domaine de l'expédition. De plus en plus, le recours à la sous-traitance est là.

[Traduction]

Le sénateur Adam: Des compagnies comme Canadian Tire, Home Hardware et Molson font-elles affaire avec un syndicat ou plusieurs?

M. Lacroix: Non, dans certains cas...

Le sénateur Adam: Est-ce décidé par la compagnie?

M. Lacroix: Tantôt elle fait affaire avec les mêmes syndicats, tantôt non. Cela dépend. Par exemple, si on prend Molson, je crois que la compagnie confie le transport à une entreprise en sous-traitance et qu'il en va de même pour Labatt. D'autres entreprises font appel à leur propre transporteur. Si celui-ci est syndiqué, cela est alors prévu dans leur contrat. Mais, de plus en plus, les entreprises sont contraintes de recourir à la sous-traitance plutôt qu'à leurs services de transport étant donné le coût beaucoup moindre.

M. Laporte: Et ils peuvent éviter la syndicalisation.

Le président: Messieurs, je vous remercie. Il se peut que nous vous réinvitions pour discuter de nouveau avec vous étant donné que votre témoignage donne matière à réflexion.

Cela dit, s'il n'y pas d'autres questions, nous vous remercions de nouveau.

La séance est levée.


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