Aller au contenu
APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 26 - Témoignages du 20 avril 1999 (séance du matin)


OTTAWA, le mardi 20 avril 1999

Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones s'est réuni ce jour à 9 h 15 pour étudier, en vue d'en faire rapport, la fonction gouvernementale autochtone.

Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénatrices et sénateurs, nous allons entendre ce matin notre premier témoin, le juge Linton Smith, qui va nous présenter un exposé sur la fonction gouvernementale et la justice.

Vous avez la parole.

L'honorable juge en chef Linton J. Smith, Cour provinciale de la Saskatchewan: Honorables sénatrices et sénateurs, c'est un honneur pour moi de participer à vos discussions. La formule retenue me paraît très efficace. Je vais prendre quelques minutes pour décrire l'optique dans laquelle j'aborde ces questions et je consacrerai ensuite la plus grande partie de mon temps de parole à dialoguer avec vous et à répondre à vos questions. Je crois que c'est la meilleure façon de procéder.

Lorsque je m'occupe de questions qui concernent les autochtones, j'ai l'habitude d'en parler d'abord à un ancien parce que j'ai appris grâce à mes longues années de contact avec eux à respecter leur sagesse et à me laisser guider par elle.

Avant de venir à Ottawa, j'ai fait un arrêt dans la réserve de la nation Piapot, qui n'est pas située très loin de l'endroit où je vis et j'ai demandé à un des résidents ce que je devais faire. Il m'a donné quelques suggestions mais m'a mentionné que, lorsque l'on parle à d'autres personnes de choses que l'on a apprises des anciens, il est important d'indiquer quelle est la source de cette sagesse. Il a ajouté que si je disais quelque chose de stupide, j'en serais seul responsable. On ne peut rejeter cette responsabilité sur un ancien. Il m'a déclaré qu'il savait que cela était difficile pour nous mais qu'il serait bon de dire de temps en temps quelque chose de drôle. Comme ceux qui connaissent bien les autochtones le savent, ils ont beaucoup d'humour, ce qui est une excellente chose.

Si je pouvais vous donner un seul conseil, en tant que personne qui connaît bien les cercles de détermination de la peine et leur utilisation, ce serait de ne pas avoir peur des recommandations que l'on trouve dans l'Aboriginal Peoples Interim Report on Justice et ailleurs, même si elles semblent un peu novatrices pour des gens qui ont été élevés selon les traditions judiciaires européennes. Je peux vous dire que non seulement les méthodes que nous ont transmises les anciens des collectivités autochtones donnent de bons résultats, dans le contexte de la justice autochtone, mais qu'elles pourraient aussi encore améliorer et rendre encore plus juste ce qui est, d'après moi, le meilleur système de justice au monde. Mon message est que ces méthodes donnent de bons résultats et qu'elles offrent toutes sortes de possibilités intéressantes.

Mon expérience judiciaire ou mon expérience de la justice avec les Premières nations porte principalement sur certains aspects de l'utilisation des cercles de détermination de la peine. Les travailleurs judiciaires autochtones me disent que j'ai participé à plus de cercles de détermination de la peine que n'importe qui d'autre au monde. Je considère que cela est un grand honneur mais ce n'est pas moi qui ai fait ce calcul. Je vous demande de m'excuser, si j'ai fait une erreur. Je pense toutefois que le fait d'axer la justice sur la guérison, qui est l'élément central des cercles de détermination de la peine, peut être utile dans d'autres contextes, judiciaires notamment, comme les gardiens de la paix dont parle le Aboriginal Peoples Interim Report on Justice et d'autres documents. Je pourrais vous donner d'autres détails sur ce sujet si cela vous intéresse.

Si vous êtes comme moi, vous êtes sans doute un peu sceptique au sujet de l'efficacité d'une approche axée sur la guérison par rapport à la façon dont nos tribunaux rendent la justice depuis des siècles.

Je crois savoir que vous êtes en train d'achever la première étape de votre étude avec un peu d'avance. Aucune Première nation ne m'a demandé de le faire mais je suis sûr à 250 p. 100 que, si je vous invitais à venir en Saskatchewan, je peux vous garantir que vous seriez considérés dans les communautés des Premières nations comme vous devriez l'être, c'est-à-dire comme des anciens très importants. Je précise que le mot «ancien» ne désigne pas nécessairement une personne âgée. Il fait plutôt référence à la sagesse et à la confiance que la collectivité place en certaines personnes. Je suis convaincu que si je vous proposais de participer en tant qu'ancien à un cercle de détermination de la peine, vous seriez non seulement bien accepté par les collectivités de la Saskatchewan, mais vous seriez accueilli avec enthousiasme. Une telle expérience serait pour vous non seulement instructive pour ce qui est d'apprendre sur le terrain une approche axée sur la guérison, savoir les cercles de détermination de la peine, mais vous aimeriez aussi beaucoup vivre une telle expérience. Je serais très heureux de prendre des dispositions pour que quelques-uns d'entre vous ou vous tous participiez à un cercle de ce genre, soit en ma compagnie soit en celle d'autres juges de la Saskatchewan. Faites-moi savoir par votre greffier si je peux m'en occuper.

Vous avez mon mémoire et je devrais peut-être vous présenter mes excuses. Lorsque je l'ai relu hier soir, j'y ai trouvé beaucoup d'erreurs de frappe. Je suis parti en vacances avec mon fils sur la côte ouest des États-Unis et j'ai tapé ce mémoire pendant qu'il conduisait.

Comme vous l'avez sans doute remarqué en lisant mon mémoire, les questions liées à la justice dans le contexte de l'autonomie gouvernementale doivent absolument être abordées selon l'approche qu'ont adoptée nos ancêtres autochtones et non autochtones lorsqu'ils ont rédigé les traités. S'il y a jamais eu une déclaration montrant que deux peuples allaient agir de concert pour faire quelque chose, c'est bien la déclaration qu'on retrouve à la fin du traité no 4. Il existe certainement des dispositions semblables dans tous les traités.

Le principe de base est l'établissement d'un partenariat. Cela veut dire que pour concrétiser l'autonomie gouvernementale dans le domaine de la justice, il faut accorder une importance particulière à deux aspects. Premièrement, il faudrait procéder à des consultations étendues pour faire du système judiciaire, tant sur le plan des règles de fond que de forme, un partenariat; et deuxièmement, la participation des peuples autochtones à la fonction judiciaire ne devra plus être symbolique mais réelle. Ces deux aspects sont absolument essentiels.

Il y a d'autres questions importantes, comme la nécessité de donner une formation interculturelle, en particulier aux non-autochtones qui travaillent dans le système de la justice, mais les facteurs essentiels sont la consultation et l'embauche des autochtones.

J'aimerais résumer ce qu'il faut faire dans deux domaines: premièrement, sur le plan de la procédure et deuxièmement, sur le plan des règles de fond applicables lorsqu'il y a eu des aveux.

J'appuie sans réserve les recommandations contenues dans le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Cependant, je ne vois pas très bien comment ces recommandations seront mises en oeuvre. Il me semble que la commission a semblé réticente à ce que chaque collectivité tente de résoudre ces questions à sa façon, mais je ne crois pas qu'il y ait d'autre solution.

Certaines collectivités hésitent à s'occuper de ces aspects, alors que d'autres souhaitent le faire. Il faut non seulement donner aux collectivités les moyens d'agir dans ce domaine mais il faut aussi les y encourager. Notre système comporte une lacune grave, il n'encourage pas les initiatives, que ce soit au niveau local que régional.

Nous devons commencer par offrir des incitations, notamment des incitations financières. Ces incitations doivent d'abord s'adresser aux collectivités. Mais il faut également prévoir, en particulier au cours de la période de transition, des incitations qui viseraient les autres acteurs du système judiciaire. À l'heure actuelle, il n'y a rien qui incite les juges, les policiers, les agents de probation, les poursuivants, les procureurs de la défense et les autres à participer à certaines de ces choses et ce n'est pas ce qui devrait se passer.

Deuxièmement, il est important que la communauté non autochtone appuie ouvertement ces innovations. Il faut surtout parvenir à véritablement comprendre, respecter et admirer ce genre de choses et mettre au point les mécanismes dont j'ai essayé de parler dans mon mémoire et qui sont décrits de façon plus détaillée dans le rapport intérimaire.

Enfin, il faut respecter les souhaits des collectivités. L'expérience que j'ai acquise dans le sud de la Saskatchewan m'a montré que chaque collectivité envisage à sa manière la façon dont elle pourrait mettre sur pied des initiatives locales dans le domaine de la justice. Chacune a sa propre orientation générale. Il y a même des différences au sein des collectivités.

La spiritualité joue aussi un rôle. Je me hâte toutefois d'ajouter que la spiritualité ne se combine pas directement à la justice mais joue un rôle très important avant et après la phase judiciaire et sur le plan personnel, pour tous ceux qui participent au processus. Même à ce niveau, on retrouve des approches spirituelles très variées, qui vont du fondamentaliste chrétien aux diverses confessions chrétiennes, et aussi, de plus en plus, à la tradition spirituelle autochtone, en établissant des liens entre cet aspect et la façon de concevoir la justice dans un contexte historique plus ancien et plus vaste. Voilà un aspect qu'il est important de comprendre et d'encourager.

Les auteurs du rapport éprouvent davantage de difficultés dans les cas où il n'y a pas eu d'aveux. La solution ne pourra être trouvée qu'en acceptant l'approche axée sur le partenariat que définissait le traité conclu il y a 125 ans.

Un homme appelé Harold m'a dit au cours d'une réunion: «Vous pensez peut-être que votre système de justice est juste et équitable. Je suis sûr que c'est ce que vous essayez de faire. Mais pour quelqu'un de l'extérieur, on dirait un système qui a été imposé par une armée d'occupation et non pas par deux peuples qui ont conclu un traité sacré par lequel ils s'engageaient à vivre sur ces terres comme des frères.»

Il m'a énuméré plusieurs éléments et j'ai repris dans mon mémoire les quatre éléments dont je me souvenais. Il m'a fait remarquer que tous les tribunaux siégeaient dans des collectivités blanches et, j'ajouterais entre parenthèses, alors que de nos jours la plupart des accusés viennent des réserves. Il a dit: «Cela n'a pas l'air équitable. Vous essayez peut-être de rendre cela équitable, mais cela ne paraît pas équitable.»

Pour remédier à cette lacune, on pourrait, pour ce qui est de la première instance, envisager un système judiciaire qui serait administré au niveau régional ou local par les autochtones, par les nations et les collectivités autochtones, système qui pourrait être unifié par un mécanisme d'appel. On pourrait également envisager des tribunaux qualifiés d'autochtones en première instance. Le système actuel pourrait également être modifié pour qu'il y ait autant de tribunaux sur les réserves qu'il y en a dans les collectivités hors réserves. Quelle que soit la solution choisie, il faudrait accorder beaucoup d'attention aux consultations et aux principes appliqués pour que les tribunaux reflètent vraiment ce genre de partenariat.

J'ai observé des changements fort intéressants dans les tribunaux qui se sont installés sur les réserves. À Okanese et à Carry the Kettle, réserves où j'ai siégé jusqu'à tout récemment, nous n'utilisons plus la façon traditionnelle, nous sommes assis en cercle. À Okanese, le chef et son conseil ont décidé que les personnes qui composent traditionnellement le tribunal s'assoiraient en cercle mais qu'un ancien choisi par la collectivité y siégerait également, tout cela dans le but de bien faire ressortir le caractère officiel du processus. Le but est de démontrer que le tribunal appartient à tous. C'est un aspect qui n'était pas reconnu auparavant.

Vous verrez se produire des changements de ce genre et nous devrions les accepter. Lorsque tout le monde est assis en cercle, les participants semblent être placés sur le même niveau, et lorsque le juge porte les objets de cérémonie en cuir que lui a offert la collectivité au début de l'audience, pour qu'il préside le tribunal, il est plus facile aux participants de présenter leur point de vue, en particulier lorsqu'il s'agit de l'accusé.

Il n'est jamais facile de se retrouver dans une salle d'audience mais c'est encore plus difficile pour quelqu'un qui ne connaît pas bien le système. Ces changements devraient progressivement atténuer ces difficultés. L'option communautaire est importante.

Sur le plan du droit substantiel, j'ai tenté de résumer dans mon mémoire les déclarations que font souvent des membres éminents de la communauté autochtone selon lesquelles le droit pénal canadien ne s'applique pas aux autochtones, il ne devrait pas leur être appliqué et seules des personnes immorales cherchent à le faire. Je pense que ces critiques sont tout à fait légitimes. Lorsque notre droit pénal a été élaboré, il n'y a pas eu le genre de consultations auxquelles nous nous étions engagés aux termes de ces traités. De la même façon, et cela concerne tous les autres secteurs de vos travaux sur l'autonomie gouvernementale, il existe un certain nombre de sujets qui devraient faire l'objet de mesures législatives, tant quasi pénales que non pénales, au niveau des réserves. Ces sujets comprennent la pêche, la chasse, les élections, le mariage, le divorce, l'adoption, la consommation de boissons alcooliques sur les réserves, la citoyenneté et l'appartenance aux nations autochtones.

Il faut se demander si la plupart des dispositions de l'article 92 de la Loi constitutionnelle ne pourraient pas faire l'objet de consultations ou de mesures législatives au niveau des réserves. J'encouragerais une telle démarche parce qu'elle me paraît importante non seulement pour établir le genre de partenariat dont j'ai parlé il y a un instant qui est essentiel dans le domaine de la justice mais également pour répondre aux critiques de plus en plus vives qu'émettent ces autochtones pour qui seules les Premières nations devraient avoir le droit d'adopter des lois applicables aux Indiens vivants sur les réserves.

Je serais très honoré de répondre à vos questions.

Le sénateur Chalifoux: Merci beaucoup pour votre exposé. La question des améliorations et des progrès qui ont été réalisés dans les cercles de justice en Saskatchewan comparés à ce qui s'est fait en Alberta m'intéresse beaucoup. J'ai été impliquée dans les cercles de la justice autochtone pratiquement depuis le début. Je fais partie du comité consultatif national des anciens autochtones auprès de la GRC et de la Division «K», qui exerce ses activités en Alberta.

Comme vous l'avez dit, les cercles de justice donnent de bons résultats dans certaines collectivités mais d'autres collectivités ne sont pas prêtes à les utiliser, et cela est un aspect très important. J'ai lu qu'en Saskatchewan, la Couronne avait interjeté appel d'une peine qui avait été établie par un cercle de justice. On ne s'entendait pas sur ce qui se faisait dans les cercles de justice.

Pourriez-vous nous dire quelle est l'attitude du système judiciaire face aux peines déterminées par les cercles?

M. Smith: La Couronne a interjeté appel contre plusieurs sentences. Ces appels nous semblent préoccupants, pour les Anciens en particulier, parce qu'ils estiment que le système judiciaire ne comprend pas les principes à la base de ces cercles. Ils ont sans doute raison sur ce point.

Cependant, ces appels ont débouché sur d'excellentes choses. Je pense qu'il est maintenant bien établi que les cercles de détermination de la peine ont un fondement juridique. Grâce aux décisions de la Cour d'appel, en particulier celle du juge en chef Bayda, les cercles de détermination de la peine constituent désormais un élément permanent de la justice en Saskatchewan, et sans doute, dans l'ensemble du Canada. Je serais très surpris que la Cour suprême du Canada ne se prononce pas dans le même sens.

Le juge en chef s'est donné la peine d'examiner les principes philosophiques à la base de ces mécanismes. Les approches adoptées pour les cercles de détermination de la peine pourraient fort bien être transposées à d'autres cercles. Par exemple, au tout début de ma participation aux cercles de détermination de la peine, j'ai vu deux anciens entrer dans un tipi où devaient se réunir les participants, ils ont vu qu'il y avait deux microphones au milieu du cercle et sont sortis. Dans l'arrêt R. . Morin, le tribunal a clairement indiqué qu'il est certes souhaitable de transcrire les débats mais que, si la collectivité préfère une autre formule, il faut faire ce que souhaite la collectivité et non pas ce que demande le juge.

La principale contribution qu'ont apporté à ce processus les cercles de détermination de la peine dans le sud de la Saskatchewan est de nous faire comprendre que c'est la collectivité et non le juge, le tribunal ou les poursuivants qui doit prendre les choses en main. Il faut procéder comme le souhaite la collectivité. C'est pourquoi chaque collectivité fait les choses différemment. Cette diversité a été renforcée par le processus d'appel.

Je comprends fort bien les réticences des anciens à l'égard des mécanismes d'appel mais il est possible de répondre aux critiques négatives éventuelles de la collectivité non autochtone en intégrant toutes les composantes du système judiciaire, y compris les choses qui sont faites différemment dans les réserves et ailleurs conformément à l'approche autochtone à la justice. La mise en place d'un mécanisme d'appel commun permettrait d'unifier toutes ces composantes et d'assurer qu'il y ait un même système judiciaire pour tous les Canadiens.

Le sénateur Chalifoux: Comment voyez-vous cela dans le cadre de l'autonomie gouvernementale? C'est en fait le sujet de cette étude. Il y a deux groupes différents, les autochtones et les non-autochtones. Comment pensez-vous que l'on pourrait mettre en oeuvre ces principes dans le cadre de l'autonomie gouvernementale? J'ai appris au cours des années qu'il existait une discrimination latente dans le système judiciaire et que cela avait des conséquences terribles. Je suis sûre que je ne vous apprends rien.

M. Smith: Je suis convaincu que cela n'est pas voulu.

Le sénateur Chalifoux: Comment voyez-vous cela dans le cadre de l'autonomie gouvernementale?

M. Smith: Vous voulez savoir, sur le plan de la procédure, comment l'on peut obtenir une recommandation en matière de sentence par le biais d'un cercle de détermination de la peine ou d'un autre mécanisme comme les gardiens de la paix ou des tribunaux d'anciens. Au niveau de la prise de décision initiale, ce sont les résidents locaux qui choisiront la solution qui convient le mieux à la collectivité quand celle-ci sera prête à la mettre en oeuvre. En bout de ligne et sur le plan théorique, il est toujours possible d'interjeter appel de ces décisions devant la même cour d'appel.

Comme vous l'avez indiqué, les collectivités ne souhaitent pas toutes faire les choses de la même façon. Je recommanderais de modifier l'organisation judiciaire actuelle pour que les tribunaux commencent à siéger dans la plupart des réserves. Je changerais la façon dont se déroulent les débats pour que la procédure suivie convienne aux anciens. La majorité, voire la totalité, du personnel travaillant pour les tribunaux siégeant dans les réserves devraient être des autochtones qui comprennent les traditions de la collectivité. Il faut encourager, appuyer et favoriser ces nouvelles approches pour qu'elles soient adoptées par ces tribunaux.

Ma deuxième recommandation est qu'une section de la Cour provinciale de la Saskatchewan, par exemple, siège dans les réserves de la province, ses décisions étant toutefois susceptibles d'appel.

On pourrait adopter l'une ou l'autre de ces solutions mais surtout, cela serait conforme aux engagements qui ont été pris dans le traité conclu il y a 125 ans.

Le sénateur Chalifoux: Moins de 10 p. 100 des autochtones vivent dans les réserves. En Saskatchewan, la majorité sont des Métis. Que proposez-vous pour eux?

M. Smith: J'ai participé à un certain nombre de cercles de détermination de la peine dans la ville de Regina, à Yorkton et dans d'autres collectivités non autochtones pour des autochtones résidant dans les villes ou à l'extérieur des réserves ou pour des Métis. J'ai également participé à trois cercles qui n'étaient pas du tout autochtones. Cependant, sur le plan des innovations procédurales, je crois que ces cercles peuvent être utilisés n'importe où, pourvu que l'on respecte les critères appropriés.

Le sénateur Chalifoux: Dans votre modèle de gouvernement autonome, vous ne limiteriez donc pas les cercles de justice aux seules réserves parce qu'il y a les collectivités métisses et d'autres groupes.

M. Smith: Je ne limiterais pas non plus les tribunaux aux seules réserves. Selon le partenariat à la base de mon approche, les peuples des Premières nations s'engagent à préserver la paix et à faire régner la justice, non pas seulement dans les réserves, mais dans l'ensemble du territoire cédé. En Saskatchewan, ce territoire commence au Manitoba, comprend tout le sud de la province et une partie de l'Alberta, du moins dans le cas du traité no 4. Nous nous sommes engagés à appliquer ensemble la loi dans l'ensemble de la province.

Le sénateur Chalifoux: Le seul traité qui concerne les Métis est la Loi sur le Manitoba qui a été approuvé par la Cour suprême il y a quelques années. Comment cette autonomie gouvernementale toucherait les Métis? Les Métis constituent une nation autochtone distincte. Comment pensez-vous que ce modèle de gouvernement fonctionnerait dans le cadre de la nation métisse? Il y a aussi les Inuits. Il y a trois nations différentes.

M. Smith: Je n'ai jamais eu à aborder la question de la justice dans les collectivités inuites. Je pense que cela pourrait sans doute fonctionner de la même façon.

Pour ce qui est des Métis de la Saskatchewan, il serait très facile d'utiliser les mêmes mécanismes. Il n'y a pas de raison pour que nous ne puissions pas faire siéger un tribunal dans certaines collectivités métisses. Je crois qu'il y en a déjà dans le nord de la Saskatchewan. Il n'y a pas de raison que les Métis ne puissent pas mettre sur pied des conseils de justice chargés d'appuyer les cercles de détermination de la peine et d'appliquer leurs traditions dans ce contexte. Je ne vois là aucun problème.

[Français]

Le sénateur Gill: Dans votre exposé, vous avez parlé du partenariat, de la consultation et aussi de la participation réelle, non pas uniquement symbolique. Vous avez parlé aussi de la spiritualité et de ses sources d'inspiration pour les groupes autochtones.

Actuellement, dans le milieu autochtone en général, cela peut varier d'une province à l'autre et même d'une communauté à l'autre. Chez les Métis, les Indiens ou les Inuits, cela varie beaucoup, mais de plus en plus, la majorité des programmes autrefois administrés par le gouvernement sont à présent gérés par les autochtones eux-mêmes. Ces programmes ont été décentralisés à partir des ministères provinciaux ou fédéraux.

L'idée d'adapter davantage le système judiciaire pour les autochtones nécessite certainement une implication sur le plan de la jurisprudence existante. Dans le passé, par exemple, beaucoup d'autochtones étaient reconnus coupables en partant, c'est-à-dire que même s'ils n'avaient pas été jugés coupables, on agissait avec eux comme s'ils l'étaient déjà

On les amenait en prison dès l'accusation pour les juger un mois ou deux après. Ces gens se croyaient coupables par rapport à un système judiciaire venant de l'extérieur et qu'ils ne comprenaient pas. ais que voulait dire être coupable? Était-ce d'avoir pêché ou chassé en période défendue pour les non-autochtones?

Ma question est la suivante: doit-on aller plus loin que la simple application de la justice telle qu'elle existe actuellement, ce qui consisterait à modifier des lois ou à en créer?

[Traduction]

M. Smith: Il est vrai que dans la plupart des collectivités autochtones, les gens pensent que le système judiciaire ne les a jamais compris. Un ancien avec qui j'ai participé à plusieurs cérémonies de suerie m'a raconté que, lorsqu'il était jeune, sa famille n'avait pas de quoi manger à Noël et que l'agent des Indiens ne lui avait pas donné la permission de tuer un de ses veaux. Il l'a fait quand même et il a dû faire deux ans de prison.

Un autre Indien m'a raconté qu'il avait traversé la frontière en toute hâte pour se rendre à Muscowpetung parce qu'il avait entendu dire que son oncle était blessé, qu'il était mourant et qu'il voulait le voir. Son oncle est effectivement décédé peu après son arrivée. L'agent des Indiens l'a vu et cet homme a été emprisonné pendant six mois pour avoir fait cela.

Ce sont des histoires vraies et elles ont sapé le respect pour la justice. C'est pourquoi je pense que nous devons créer un système judiciaire fondé sur un partenariat auquel participeraient les autochtones, de façon réelle et non symbolique, et qui s'inspirerait des notions autochtones. Nous devons nous consulter avant d'adopter des lois. Il faut donner une formation interculturelle aux non-autochtones qui travaillent dans le système. Nous devons travailler ensemble pour comprendre les erreurs qui ont été commises et veiller à ce qu'elles ne se reproduisent pas, pour établir des liens et bien montrer que le système judiciaire a changé. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'autochtones qui pensent que le système judiciaire est le leur comme nous sentons vous et moi que ce système est le nôtre. Cela doit changer. Il ne sera pas difficile de trouver des avocats et des juges autochtones compétents.

La justice est différente des autres secteurs de l'autonomie gouvernementale. Dans les traités, nous nous sommes engagés à travailler ensemble et cela veut dire collaborer vraiment. Nous ne pouvons nous permettre de perpétuer les malentendus. Les membres des Premières nations estiment que l'emprisonnement est une façon tout à fait stupide de réagir à un comportement antisocial. Ils se demandent pourquoi nous utilisons un mécanisme qui favorise les comportements antisociaux pour lutter contre les comportements antisociaux. Comme l'on me l'a expliqué, dans l'ancien système des agents des Indiens, les personnes étaient présumées coupables.

Le sénateur Wilson: Merci pour votre exposé. C'est un livre du juge Rupert Ross de Kenora qui m'a ouvert les yeux. J'accepte avec plaisir le don du cercle que les autochtones ont offert à la collectivité dominante. En tant que Blanche, j'ai toujours pensé que les tribunaux avaient été conçus pour intimider les gens.

Pensez-vous que la Charte des droits devrait s'appliquer à la justice autochtone? En plus de cela, puisque le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies n'est pas identique à la Charte, pensez-vous qu'il devrait lui aussi s'appliquer? Et surtout, quelles sont les réactions de la communauté autochtone à ces questions?

M. Smith: Les autochtones que je connais ne sont pas des chefs. J'ai des contacts avec les anciens qui participent aux cercles et aux autochtones traditionnels qui font partie de mon cercle d'amis; mais nous ne parlons pas souvent de la Charte ou des traités internationaux.

Le sénateur Wilson: Quelle est donc votre opinion à ce sujet?

M. Smith: Plus le temps passe et plus je pense qu'il faut plutôt changer les attitudes que changer le droit. Il faudra sans doute modifier le droit à l'occasion. Si c'est le cas, il faudra le faire en collaboration avec tous les intéressés, pour la première fois.

Je crois que la plupart des changements qui ont été recommandés dans le rapport de la commission royale sur le plan de la justice et la plupart des changements dont je parle peuvent être introduits à l'intérieur du cadre juridique existant. Selon ces deux approches, la façon de protéger les victimes éventuelles est certes très différente sur le plan procédural mais les principes fondamentaux de la justice sont très comparables. Nous avons introduit tellement de changements qui n'ont pas été annulés à cause de la Charte, mais plutôt confirmés grâce à elle que je ne pense pas que cela pose véritablement un problème à l'heure actuelle. Mon intuition me dit qu'il faut plutôt changer les attitudes que le droit.

Le sénateur Wilson: Je vous pose cette question parce que j'ai constaté que de nombreux autochtones, et je ne parle pas des chefs, connaissaient très bien ces pactes internationaux. Ils les connaissent bien.

Le sénateur Johnson: Savez-vous quel est le pourcentage des dossiers qui sont traités par les cercles de détermination de la peine en Saskatchewan?

M. Smith: Je ne suis pas sûr que cette information ait été présentée en pourcentage. J'ai participé au cours des cinq ou six dernières années à plus de 300 cercles de justice mais cela représente un très petit nombre des dossiers que j'ai traités.

Le sénateur Johnson: Il serait donc difficile d'évaluer ce qu'ont donné les cercles de justice.

M. Smith: Il faut être très prudent lorsqu'on cherche à évaluer l'efficacité des cercles. Le sénateur Wilson a parlé du livre de Rupert Ross. Au début de son premier livre, il parle du fait que les Hurons et les Cris s'étaient réunis pour essayer de comprendre la culture de l'autre groupe mais qu'ils s'étaient aperçus qu'ils avaient très mal compris ce que voulait faire l'autre groupe.

On ne peut pas évaluer vraiment ce que donnent les cercles en se demandant simplement s'ils ont entraîné une diminution de la récidive. Les études préliminaires indiquent que c'est le cas. On me dit que dans les réserves, la criminalité a chuté de façon importante, pas seulement parmi les personnes qui ont participé aux cercles mais également chez les autres.

Un ancien m'a déclaré en termes très imagés qu'il ne fallait pas trop nous inquiéter si le taux de récidive ne baissait pas. Il m'a dit que s'il avait fallu plus d'un siècle pour arriver à créer ce problème, ce n'était pas avec un cercle qu'on allait le faire disparaître. Il faut absolument tenir compte du fait que c'est un processus continu et progressif.

Je pense qu'il existe toutefois d'autres éléments qui sont au moins aussi importants que les cercles. Il y a notamment le fait qu'en participant à ces cercles, nous commençons à agir comme nous nous étions engagés à le faire en signant ces traités. C'est un partenariat. Nous faisons des choses dans les réserves qui sont loin de récompenser et d'auréoler l'adolescent qui viole la loi de l'homme blanc, comme c'était le cas auparavant. Celui-ci se retrouve assis en cercle avec les personnes qu'il respecte le plus, les anciens. Les anciens lui disent qu'il a mal agi non seulement selon le droit pénal de l'homme blanc mais également selon les lois fondamentales du créateur. Que ce qu'il a fait est mal et ne constitue pas uniquement une infraction pour le reste de la société; c'est une infraction pour les autochtones et leur communauté. Il a troublé l'harmonie de sa communauté. À long terme, ce genre d'approche a un effet très différent. Même si elle ne réduit pas immédiatement la criminalité, cela démontre à la collectivité que nous progressons à petits pas vers l'établissement du partenariat que nous avions promis d'établir.

Le sénateur Johnson: Il faut intégrer à ce processus ce que nous faisons dans le domaine de l'autonomie gouvernementale.

M. Smith: Oui.

Le sénateur Johnson: Au sujet de votre dernière remarque, vous avez peut-être vu un film intitulé; Trial at Fortitude Bay, produit par la Credo Entertainment Corporation de Winnipeg. Il jette un regard intéressant sur le système de justice autochtone.

Y a-t-il eu des réactions négatives à l'endroit des cercles de la part des autochtones?

M. Smith: Oui, il y en a eu tant chez les autochtones que chez les non-autochtones.

J'ai vu des réactions négatives dans les collectivités où les jeunes n'avaient pas respecté les engagements qu'ils avaient pris envers eux-mêmes et envers leur collectivité. Certains anciens ont réagi vivement à leur endroit et ont par exemple demandé au tribunal de rendre une ordonnance de probation à l'égard de ces jeunes.

C'est une communauté très diversifiée et on y retrouve toute une gamme d'opinions. Dans certaines collectivités, les anciens ont déclaré ne pas être encore prêts à utiliser les cercles. Là encore, c'est pour cela que j'ai dit qu'il fallait mettre en place un processus évolutif et non contraignant.

Le sénateur Johnson: Cela demande en effet une certaine préparation puisqu'il faut que tout le monde comprenne bien ce dont il s'agit et accepte ces changements.

M. Smith: Ils doivent être prêts et nous devons l'être aussi.

Le sénateur Mahovlich: Ma question porte sur les casinos que l'on construit dans différentes réserves ainsi que sur les casinos situés à l'extérieur des réserves qui sont contrôlés par des bandes indiennes. Est-ce que ces casinos aggravent les problèmes d'alcoolisme, de jeu, la criminalité ou sont-ils bons pour ces collectivités?

M. Smith: Aucune des collectivités où j'ai siégé n'avait de casino.

Le sénateur Mahovlich: Vous êtes de la Saskatchewan, c'est bien cela?

M. Smith: Oui.

Le sénateur Mahovlich: Avez-vous siégé à Prince Albert?

M. Smith: Je n'ai pas siégé à Prince Albert ni aux alentours de White Bear dans le Sud.

Un bon nombre des anciens traditionnels s'opposent vivement non seulement aux casinos mais à l'alcool. Ils estiment que les facteurs dont vous avez parlé contribuent au problème ou vont le faire.

Je ne suis pas en mesure de parler en leur nom mais si vous voulez entendre un peu de ouï-dire, je peux vous dire qu'effectivement, c'est une de leurs préoccupations.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Smith, de l'exposé que vous nous avez présenté ce matin.

Les témoins suivants représentent l'Institut sur la gouvernance et le Aboriginal Council de Winnipeg.

Vous avez la parole.

M. John Graham, Institut sur la gouvernance: Honorables sénateurs, l'Institut sur la gouvernance est basé à Ottawa. Mes deux collègues, Erika Ballentyne et Naomi Handel, représentent le Aboriginal Council of Winnipeg.

Nous allons vous présenter un exposé conjoint pour le compte de nos deux organismes. Notre exposé et notre mémoire découlent d'une conférence que nos organismes ont tenue à Winnipeg en novembre 1998. Nous citons dans notre mémoire Rosemarie Kuptana, que vous connaissez bien. C'est un mémoire qui, je crois, contient des recommandations très sages.

Mme Ballentyne va présenter la première partie de notre exposé en décrivant l'Aboriginal Council of Winnipeg. C'est un organisme intéressant. Vous aurez peut-être des questions à poser au sujet du conseil et de son fonctionnement. Mme Handel va présenter la partie centrale de notre exposé et je terminerai par quelques remarques sur les répercussions, sur le plan des orientations, des thèmes abordés pendant cette conférence.

Le président: Vous pourriez peut-être nous préciser la différence qui existe entre les deux organismes que vous représentez aujourd'hui.

M. Graham: Mon organisme s'appelle l'Institut sur la gouvernance. C'est un organisme philanthropique sans but lucratif basé à Ottawa. Nous avons un personnel relativement réduit de 15 personnes. La moitié de notre travail s'effectue sur le plan international. Nous avons un petit bureau à Kuala Lumpur d'où nous administrons un projet assez important financé par l'ACDI qui porte sur les innovations faites dans le domaine de la gouvernance en Asie du Sud-Est pour les pays de l'ANASE, Singapour, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam, notamment.

Au Canada, nous travaillons dans quatre grands domaines. Le premier est la gouvernance autochtone. Le deuxième consiste à renforcer la capacité des différents paliers de gouvernement en matière d'élaboration de politiques. Le troisième vise la responsabilisation et la mesure du rendement, le quatrième étant la participation des citoyens et les rapports entre les citoyens et le gouvernement.

Mme Erika Ballentyne, Aboriginal Council of Winnipeg: L'Aboriginal Council of Winnipeg est également un organisme sans but lucratif. Il a été constitué en 1990 et il regroupe le Conseil indien de Winnipeg et le Council of Treaty and Status Indians. C'est un organisme dont le personnel ne comprend que quatre personnes.

L'Aboriginal Council of Winnipeg est un organisme politique qui représente toutes les personnes d'origine autochtone de Winnipeg. Il représente également les intérêts de ces autochtones urbains en cherchant à développer un sens de solidarité politique, qui vise à renforcer le statut et à améliorer la situation des autochtones qui vivent à Winnipeg. Le bureau du conseil est situé dans l'ancienne gare CPR qui a été transformée en un centre autochtone urbain. Le conseil joue le rôle d'un organisme cadre et exerce toute une gamme d'activités visant à défendre les intérêts des autochtones urbains.

Le conseil crée et appuie des programmes offerts par d'autres organismes qui constituent un réseau de services très complet. Le but essentiel est de donner aux autochtones un accès leur permettant d'utiliser et d'influencer les systèmes qui les concernent. Le conseil doit donc être sensible aux besoins des membres de la collectivité et il doit développer sa capacité d'y répondre. Le premier objectif passe par le développement communautaire et le deuxième fait appel à des connaissances en matière de prestation de services.

Le président: Quelle est la composition de votre conseil d'administration?

Mme Ballentyne: Ce sont tous des autochtones. Il n'y a pas d'Inuits à notre conseil.

M. Graham: Notre conseil d'administration est composé de non-autochtones qui résident pour la plupart à Ottawa. Nous sommes en train d'essayer de recruter un certain nombre d'autochtones qui viendraient compléter notre conseil d'administration. Comme je l'ai mentionné, notre organisation exerce un certain nombre d'activités sur le plan international. Nous ne sommes pas contrôlés par des autochtones. Lorsque nous réalisons un projet important qui intéresse les autochtones, nous le faisons avec des partenaires autochtones. Par exemple, pour organiser cette conférence, nous avons étroitement collaboré avec l'Aboriginal Council of Winnipeg et un autre organisme appelé le Centre for Municipal Aboriginal Relations.

Mme Naomi Handel, Aboriginal Council de Winnipeg: Nous allons aborder 11 points, qui sont les thèmes de la conférence qui a eu lieu en 1998 dans notre centre autochtone. La conférence s'intitulait «Boucler le cercle, la gouvernance autochtone en milieu urbain». Le premier point était la nécessité de supprimer les catégories autochtones imposées par le gouvernement, opération qui représente un préalable nécessaire à la définition de la gouvernance autochtone en milieu urbain. Le système à élaborer doit viser à rassembler les gens et non à les exclure.

De nombreux intervenants ont parlé de ce sujet et critiqué les catégories que le gouvernement avait imposées aux autochtones et préconisé leur remplacement par un type de gouvernement qui rassemblerait tous les autochtones. Le conférencier qui a peut-être fait la plus forte impression a été le grand chef Matthew Coon Come. Il a proposé une nouvelle conception de la gouvernance autochtone, une conception qui transcende les limites régionales et provinciales et qui rejette la catégorisation des autochtones.

Le deuxième point est qu'avant de pouvoir construire la gouvernance urbaine, avant de surmonter les souffrances vécues et le sentiment d'impuissance que ressent chaque victime, il faut que chacun assume ses responsabilités. Les anciens pensaient qu'il était essentiel que chacun apprenne à agir de façon responsable. Se comporter en victime n'est pas adopter un comportement responsable. Il est par contre facile de jeter le blâme sur les personnes qui ne sont pas chargées d'assurer un avenir à nos enfants. Ce n'est qu'en assumant leurs responsabilités que les guerriers spirituels seront en mesure de prendre en charge d'autres personnes.

Le troisième point est qu'un bon système de gouvernance doit être construit à partir de la base. Ces systèmes ne seront mis en place que très progressivement et il y aura toujours le risque d'échouer. Ce sont toutefois les gens, et non les pouvoirs, les compétences ou l'argent, qui sont à la base de toute action.

Mary Richard, de l'Aboriginal Council of Winnipeg, a peut-être été la conférencière la plus éloquente sur ces sujets. Elle a décrit les principaux éléments de développement communautaire qui ont donné de bons résultats pour le conseil. Elle a mentionné que le développement communautaire dépendait à 85 p. 100 des gens et de 15 p. 100 seulement du financement. Le développement est un processus lent et progressif qui s'accompagne parfois d'erreurs.

Il est important de connaître les forces et les faiblesses des personnes avec qui vous travaillez. La solution consiste à transformer les points négatifs en points positifs pour pouvoir travailler ensemble. Le style de leadership qui convient est celui qui consiste à diriger de façon indirecte, en facilitant les décisions et en aplanissant les obstacles. Mary Richard a terminé ses remarques en faisant remarquer que nous vivions dans un pays merveilleux où il existait néanmoins certains problèmes. Les autochtones doivent régler eux-mêmes les problèmes qui les concernent.

Le quatrième point est que la gouvernance est un phénomène évolutif. Elle se construit petit à petit et non d'un seul coup, elle doit se gagner en développant les capacités personnelles. Ce n'est pas un droit. Plusieurs conférenciers ont abordé ce thème, notamment l'honorable David Newman, ministre des Affaires du Nord du Manitoba. Il a abordé la question de la gouvernance en disant qu'elle consistait à renforcer la collectivité qui se trouvait plus proche de l'individu, parce que c'est elle qui est la mieux placée pour répondre à ses besoins et pour concilier les besoins des individus avec ceux de la collectivité. Plutôt que d'axer la gouvernance sur les notions de pouvoir, de contrôle, de compétence et d'autorité, il faudrait partir des besoins des autochtones et des façons dont la communauté autochtone peut y répondre. Les méthodes utilisées pour réaliser ces objectifs finiront par constituer une forme de gouvernance.

Rosemarie Kuptana a repris cette notion de gouvernance évolutive lorsqu'elle a fait remarquer que les ententes relatives à l'autonomie gouvernementale étaient mal nommées. Elles ne signalent pas la fin mais plutôt le début de quelque chose.

Le cinquième point est que les autochtones devront prendre le contrôle de l'éducation au tout début du processus s'ils veulent préserver une langue et une culture minoritaires dans un milieu urbain.

Pendant cette conférence, on a parlé du cas des francophones du Manitoba qui est particulièrement instructif. Après une longue bataille judiciaire, la province a accepté de créer un district scolaire à l'échelle de la province faisant partie du système d'éducation provincial; c'est un district scolaire pour les familles francophones qui comprend sa propre structure de direction composée de représentants de chacune des écoles faisant partie du district. Le financement provincial accordé à ce district scolaire est calculé selon une formule où les principales variables sont le nombre des étudiants et le montant moyen des dépenses par habitant en matière d'éducation à l'échelle provinciale.

Le sixième thème abordé au cours de la conférence est que les autochtones peuvent participer activement à la société générale sans perdre leur identité ni leur culture. Ils peuvent apprendre des groupes qui font face à des défis semblables pour préserver leur identité et le contraire est également vrai. Les autochtones sont à l'origine de nouvelles approches aux questions de gouvernance, approches qui peuvent profiter à tous les Canadiens.

Le septième point est que le développement économique est un élément important de la création d'un bon système de gouvernance. Pour gouverner, il faut des ressources.

Le huitième point est que dans un milieu urbain, un projet comme le projet Neeginan, un projet de rénovation urbaine situé près du centre autochtone actuel qui montre la compétence et la spécificité des autochtones constitue un élément important pour l'instauration de la confiance et de la fierté nécessaires à la création d'un bon régime de gouvernance. En outre, une communauté qui veut gouverner a besoin d'un endroit où elle peut se réunir et célébrer sa culture.

Lorsqu'elle a accueilli les délégués à titre de présidente de l'organisme hôte de la conférence de la gouvernance, Mary Richard, a fait remarquer que le choix du centre autochtone de Winnipeg pour y tenir une conférence ayant pour thème «Boucler le cercle» était particulièrement heureux puisque cet endroit était à l'origine un lieu de réunion pour les autochtones, qu'il était devenu ensuite une gare du CP et qu'il était maintenant à nouveau un centre communautaire important pour les autochtones de Winnipeg.

Neeginan, qui veut dire «notre endroit», est un projet de rénovation urbaine qui a été lancé par le conseil autochtone. C'est le message qu'il va transmettre, grâce à la vision novatrice de Douglas Cardinal, l'architecte chargé du projet. La première phase va être la construction d'un lieu de rencontres spirituelles pour les autochtones de la ville, qui sera éventuellement complété par un complexe résidentiel et commercial.

L'énergie et les compétences qu'il a fallu déployer, tant sur le plan politique que sur celui de l'administration, pour démarrer un tel projet augure bien pour les initiatives qui pourraient être prises à l'avenir dans le but de mettre en place divers régimes de gouvernance dans d'autres domaines.

Le neuvième thème est qu'un bénévolat renouvelé est un autre élément qui permettra la création d'un régime de gouvernance durable. Une société civile bien soudée peut exercer une influence modératrice contre les excès des gouvernements et des entreprises. En outre, ces organismes bénévoles tissent des liens qui assurent la cohésion des collectivités.

Marilyn Buffalo a noté que les autochtones n'ont pas besoin de recevoir des indemnités pour aider leurs voisins. Elle a illustré ses remarques au sujet des collectivités dynamiques en parlant de la petite Italie ici à Ottawa où les grands-mères prennent les décisions, où la religion joue encore un rôle important, où tout le monde parle la langue du groupe et où le partage est une valeur.

Il est également essentiel de renforcer la participation des jeunes et des anciens à la définition de la gouvernance urbaine si l'on veut préserver la culture et que le système choisi puisse s'adapter et évoluer. Un exemple qui illustre fort bien cet aspect est le fait que la conférence était coprésidée par un Mohawk de 22 ans, membre des Six Nations. Les anciens ont offert un appui spirituel aux participants pendant toute la durée de la conférence en célébrant tous les jours avec des prières le début et la fin des travaux.

Enfin, la responsabilité et les notions connexes comme la transparence et l'ouverture sont des éléments fondamentaux de la gouvernance et des méthodes utilisées pour l'instaurer. La plupart des délégués ont abordé ces aspects pour montrer que le processus de gouvernance devait être ouvert et transparent. Cet aspect faisait partie des trois grandes priorités, parmi lesquelles figurait également la nécessité de rechercher l'avis et l'appui de tous les autochtones.

M. Graham: Nous allons maintenant, monsieur le président, répondre aux questions. Nous pourrions peut-être parler des répercussions que peuvent avoir ces 11 points sur le plan des orientations.

Le sénateur Chalifoux: Merci pour cet exposé intéressant. Il semble que votre conférence a été un grand succès. Vous avez mentionné des points très intéressants.

Comment pensez-vous que ces recommandations pourraient être mises en oeuvre dans le cadre de l'autonomie gouvernementale?

M. Graham: Les principales répercussions de ces points sur le plan des politiques sont les suivantes: depuis le milieu des années 80, dans le domaine de l'autonomie gouvernementale, le gouvernement fédé

Haut de page