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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 6 novembre 1997

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 heures pour examiner l'état du système financier canadien (responsabilité professionnelle).

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bonjour. Le quorum est atteint.

Honorables sénateurs, je vous rappelle que nous poursuivons notre examen de la responsabilité solidaire.

Notre premier témoin est M. Peter Donovan, vice-président de l'Institut des dirigeants financiers du Canada. Nous entendrons ensuite des représentants de l'Association du Barreau canadien.

J'ai demandé également à l'ICCA de revenir témoigner pendant 10 à 15 minutes, pour répondre aux questions soulevées par le sénateur Kelleher à la dernière séance. Nous siégerons ensuite à huis clos pour discuter de ces questions.

M. Donovan, merci de votre présence. Nous vous savons gré de prendre le temps de venir témoigner. Vous avez la parole.

M. Peter D.P. Donovan, vice-président, Institut des dirigeants financiers du Canada: Merci de votre accueil, monsieur le président, et bonjour.

Honorables sénateurs, nous vous remercions de nous permettre de comparaître devant vous aujourd'hui dans le cadre de vos délibérations sur la responsabilité solidaire appliquée aux professions libérales.

Comme l'a indiqué le président, je suis vice-président de l'Institut des dirigeants financiers du Canada. Je suis également contrôleur et trésorier de Générale Électrique du Canada Inc.

L'Institut des dirigeants financiers du Canada est une association professionnelle nationale qui compte plus de 1 350 dirigeants financiers représentant plus de 900 sociétés au Canada. Nos membres sont chargés de l'achat de services de vérification pour leurs sociétés et ils dépendent grandement d'une fonction de vérification publique viable et de haute qualité pour exécuter avec succès leurs stratégies d'affaires.

Nous comparaissons devant vous aujourd'hui parce que nous nous préoccupons des conséquences de la responsabilité solidaire sur les professions libérales et plus précisément de la responsabilité solidaire des défendeurs dans des actions relatives à la production de renseignements financiers incomplets. Je pense aussi aux actions pour lesquelles il y a plusieurs défendeurs et qui portent uniquement sur une perte économique.

De plus en plus, les vérificateurs sont inclus comme codéfendeurs dans les grands procès où le plaignant réclame des dommages-intérêts parce qu'il s'est fié à des renseignements financiers incomplets. Dans beaucoup de ces procès, lorsque le jugement est rendu et que la faute relative des codéfendeurs est évaluée, les défendeurs autres que le vérificateur sont incapables de payer leur part des dommages-intérêts.

Le principe de la responsabilité solidaire s'applique au défendeur qui subsiste -- très souvent l'un des grands cabinets de vérificateurs -- pour le recouvrement de tous les dommages-intérêts. À notre avis, ce principe ne convient pas lorsque la production de renseignements financiers incomplets entraîne seulement une perte économique.

Il ne convient pas, il est inéquitable et il n'est pas raisonnable que la détermination d'une partie de la faute puisse rendre le fautif responsable de tous les dommages-intérêts. C'est un fardeau financier supplémentaire que doivent porter les clients des vérificateurs. En bout de ligne, les cabinets de vérificateurs doivent répercuter dans leurs honoraires le coût élevé de leurs polices d'assurance ou des sinistres qu'ils assurent eux-mêmes. Il y a un risque de perdre des cabinets de vérificateurs et des professionnels qualifiés. Nous croyons qu'une capacité réduite de fournir des services de vérification nuirait grandement au rôle important que joue cette fonction d'attestation par un tiers sur les marchés des capitaux et du crédit du Canada.

Il y a aussi un danger que les services de vérification ne soient plus offerts aux sociétés qui semblent présenter des risques élevés. Cela pourrait limiter la croissance des jeunes entreprises qui viennent de démarrer et qui sont importantes pour la croissance économique et la création d'emplois au Canada.

Ce risque non assurable que doivent assumer les grands cabinets de vérificateurs menace la survie de ces cabinets et, ce qui est plus important encore, l'existence de ces services pour assurer le fonctionnement efficace de l'économie. Le fait qu'il s'agit d'un risque non assurable constitue une preuve commerciale des graves conséquences qui peuvent en découler.

Nous croyons qu'il est approprié, équitable et raisonnable que les dommages-intérêts fixés par le tribunal en cas de production de renseignements financiers incomplets soient répartis par le tribunal entre les codéfendeurs proportionnellement à l'importance de leur faute et qu'aucun défendeur ne soit responsable des dommages-intérêts non payés par les autres défendeurs.

Cette notion de la responsabilité proportionnelle a remplacé la responsabilité solidaire dans de nombreux autres pays et dans plus de 30 États aux États-Unis. Le maintien de la responsabilité solidaire a notamment pour conséquence de réduire la compétitivité des coûts de nos entreprises par rapport à nos grands partenaires commerciaux.

Nous sommes conscients que la responsabilité proportionnelle complète pourrait malheureusement résulter en des pertes financières pour les petits investisseurs qui se fient sur des renseignements financiers sans pouvoir obtenir des conseils ou sans avoir les compétences nécessaires pour évaluer les risques commerciaux.

Même si l'application de la responsabilité solidaire dans ce cas est inéquitable pour tous les défendeurs, elle ne pèse probablement pas lourd dans les autres préoccupations que nous avons exprimées. Nous appuyons donc l'exclusion des petits investisseurs de l'application de la responsabilité proportionnelle.

En résumé, nous prions respectueusement le comité de recommander au gouvernement qu'un régime de responsabilité proportionnelle complète relative à la production des renseignements financiers soit prévu dans la Loi sur les sociétés par actions et dans la législation sur les institutions financières fédérales, sauf que les réclamations des petits investisseurs seraient exclues. La responsabilité solidaire continuerait de s'appliquer dans leur cas.

Il faut définir explicitement ce qu'on entend par petit investisseur au moyen d'une mesure simple et facile à calculer et que les parties connaissent à l'avance. Nous laissons cependant à d'autres le soin de trouver la définition la plus pertinente.

Nous croyons qu'un tel régime de responsabilité proportionnelle modifiée, semblable à l'option 2 b) du document de travail sur les options, apaiserait nos grandes préoccupations. Un tel régime serait équitable, il limiterait les coûts que les entreprises canadiennes doivent assumer au bout du compte, ne réduirait pas les normes de rendement attendues du vérificateur public ni sa responsabilité à l'égard de ses actes, rendrait les services de vérification plus faciles d'accès pour toutes les entreprises, garantirait que la profession de vérificateur continue d'attirer les meilleurs éléments et assurerait le maintien des services de vérification de haute qualité qui sont nécessaires au bon fonctionnement de l'économie. À notre avis, donner suite à cette recommandation renforcerait le système économique canadien.

Je vous remercie de prêter attention à notre point de vue dans vos délibérations et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président: Avant de céder la parole à mes collègues, je fais remarquer qu'au haut de la page 3 de votre mémoire, vous traitez notamment des coûts assumés par les clients des vérificateurs et du risque de perdre des professionnels compétents. Nous avons reçu le même genre d'information de la part de l'ICCA. On pouvait s'attendre à ce qu'ils invoquent ce genre d'arguments, vu qu'ils sont touchés directement.

Corrigez-moi si j'ai tort, mais me semble que votre organisation est un peu plus indépendante, en ce sens que plusieurs de vos membres ne sont pas des comptables. Ma question est toutefois plus vaste. J'aimerais savoir dans quelle mesure certaines de ces craintes sont exagérées. Je ne veux certainement pas laisser entendre que l'ICCA a exagéré, mais ils avaient évidemment intérêt à présenter des arguments convaincants. Savez-vous dans quelle mesure ce problème est réel ou imaginaire?

M. Donovan: Ce problème est réel, puisqu'il y a pour 3 milliards de dollars d'actions pendantes.

Le président: Au Canada?

M. Donovan: Je crois que c'est ce qu'a affirmé l'ICCA dans son témoignage. Si c'est vrai, il est raisonnable de conclure que nos membres devront un jour payer ce montant sous forme de hausse des honoraires si toutes ces actions sont justifiées.

Dans la mesure où ce chiffre est exact, on peut conclure que les frais de vérification augmenteront.

Le président: Merci.

Le sénateur Oliver: Vous concluez que vous aimeriez une forme quelconque de responsabilité proportionnelle. Vous déclarez également que les petits investisseurs doivent être exclus explicitement, mais vous ne définissez pas qui est un petit investisseur.

Comme vous le savez peut-être, nous avons réfléchi à l'expression «investisseur averti». Votre groupe s'est-il demandé comment nous pourrions définir un investisseur averti? À quel moment devient-on averti? Quand on investit 100 000 $, 200 000 $, 300 000 $ ou un million de dollars? Pouvez-vous nous aider à définir le «petit investisseur»? À quoi pensiez-vous quand vous avez employé cette expression?

M. Donovan: Nous pensions à un investisseur qui n'a pas accès à des conseils et qui n'a pas l'expérience nécessaire pour évaluer les risques commerciaux. Il me semble qu'il faudrait indiquer un montant quelconque.

Le sénateur Oliver: C'est une question de chiffre?

M. Donovan: Exactement. Dans un monde parfait, il y aurait des critères de compétences, mais je ne crois pas que cela convienne ici. Une solution consiste à indiquer un montant d'actif net. Ce sera un montant arbitraire.

Le sénateur Oliver: Dans les lois et les règles relatives aux valeurs mobilières, on emploie le terme «investisseur averti». Avez-vous examiné les seuils en question?

M. Donovan: Il y a environ 14 ans, dans son regroupement des produits, la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario avait fixé un montant de 75 000 $ d'actif net, maison, automobile et meubles exclus. La Private Securities Litigation Reform Act de 1995 aux États-Unis a fixé un montant de 200 000 $, sans rien exclure. Ce montant pourrait convenir au Canada.

Le plafond de la SADC est de 60 000 $. Les investisseurs le connaissent. Cela donne peut-être une indication de la voie à suivre. Mais nos membres ne peuvent proposer de chiffre précis pour le moment.

Le sénateur Oliver: En recommandant que nous envisagions d'instaurer un régime proportionnel par rapport aux états financiers, quel groupe ou catégorie de personnes qui produisent des états financiers devraient être visés? S'agirait-il seulement des vérificateurs?

M. Donovan: Non, tous ceux qui produisent des états financiers. Les vérificateurs ne sont qu'un de ces groupes. Il s'agit surtout des dirigeants des sociétés, parce que ce sont eux qui gèrent les entreprises, mais il pourrait y en avoir d'autres. Ce serait les dirigeants et les administrateurs des sociétés. Votre document de travail indique plusieurs catégories, mais il s'agirait de tous ceux qui participent à la production des états financiers.

Le sénateur Oliver: Avez-vous songé à accroître les assurances pour les dirigeants d'entreprise ou à rendre ces polices obligatoires?

M. Donovan: Il y aura certainement une hausse du coût de l'assurance pour les dirigeants, mais je ne crois pas que cela règle le problème fondamental lorsqu'on exige d'une personne qui n'est responsable que d'une petite partie du préjudice de payer tous les dommages-intérêts parce qu'elle est bien nantie ou qu'elle est le seul défendeur disponible.

Le sénateur Kelleher: Votre mémoire semble porter principalement sur les vérificateurs et les membres de cette profession. Mais il y a d'autres professions libérales. Que pensez-vous d'appliquer vos recommandations aux autres professions libérales et pas seulement aux comptables?

M. Donovan: Je les appliquerais à toutes les professions libérales et à tous ceux qui participent à la production de renseignements financiers qui se révèlent incomplets et pour lesquels des dommages-intérêts sont accordés.

Le sénateur Kelleher: Vous savez évidemment que nos compétences ne s'appliquent qu'au niveau fédéral. Un grand nombre d'entreprises sont constituées sous le régime des lois provinciales, et les lois provinciales imposent la responsabilité solidaire. Avez-vous réfléchi à ce qui peut être fait dans ce domaine et aux mesures que nous pourrions prendre même si les lois provinciales ne sont modifiées qu'après coup?

M. Donovan: Il conviendrait que le gouvernement fédéral prenne les devants. Beaucoup de grandes entreprises sont constituées sous le régime de la loi fédérale et les très grandes actions dans ce domaine seraient assujetties aux lois fédérales plutôt qu'aux lois provinciales.

Le sénateur Kelleher: Monsieur le président, j'aimerais faire une suggestion. Je ne veux pas que le témoin se sente directement visé, parce que c'est une situation qui semble se produire assez souvent.

Je trouve toujours utile de lire un mémoire avant que le témoin comparaisse. Beaucoup de mes questions trouvent une réponse dans ce mémoire. Pourrions-nous insister auprès des témoins qui ont des mémoires sur l'importance de les faire parvenir au greffier à l'avance, afin qu'il puisse les distribuer? C'est utile pour formuler les questions.

Le président: Le greffier en prend note. Merci.

Le sénateur Callbeck: Dans votre mémoire, vous proposez que nous limitions la responsabilité en adoptant le régime de la responsabilité proportionnelle. Si nous le faisons, pensez-vous que nous devrions recommander des mesures supplémentaires de gestion des risques et de reddition des comptes?

M. Donovan: Nous recommandons la responsabilité proportionnelle modifiée pour le petit investisseur. Je ne pense pas que la reddition des comptes devrait être modifiée. Que celui qui est responsable d'un acte en assume les conséquences et paie. C'est l'essence de la responsabilité proportionnelle.

Le sénateur Callbeck: Pensez-vous que nous devrions prendre d'autres mesures?

M. Donovan: Non, je ne le pense pas.

Le président: Monsieur Donovan, merci d'être venu aujourd'hui. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir témoigner.

Nos prochains témoins représentent l'Association du Barreau canadien; M. André Gervais, leur président; Mme Alison Manzer, présidente du comité sur la réforme législative des institutions financières; et M. John Hoyles, directeur exécutif de l'ABC.

Monsieur Gervais, vous témoignez pour la première fois en qualité de président de l'Association du Barreau canadien et nous vous souhaitons la bienvenue. Nous avons vu un grand nombre de vos prédécesseurs et je suppose que nous vous reverrons avant la fin de votre mandat. Merci de venir témoigner devant notre comité aujourd'hui.

Sénateurs, vous avez tous reçu le mémoire. Je crois que M. Hoyles présentera une brève déclaration avant de céder la parole aux autres.

M. John D.V. Hoyles, directeur exécutif, Association du Barreau canadien: Monsieur le président, honorables sénateurs, l'Association du Barreau canadien remercie le comité sénatorial de l'avoir invitée à vous entretenir aujourd'hui de la responsabilité professionnelle.

L'Association du Barreau canadien est une association nationale regroupant plus de 35 000 juristes, soit des avocats, des juges, des notaires, des professeurs de droit et des étudiants en droit à travers le Canada. Les objectifs principaux de l'Association sont l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est dans ce contexte que nous présentons nos observations aujourd'hui.

[Français]

Je vous présente maintenant M. André Gervais, président de l'Association du Barreau canadien qui aura l'honneur de vous exposer la position de l'Association du Barreau canadien.

M. André Gervais, président, Association du Barreau canadien: Monsieur le président, voilà exactement 53 semaines aujourd'hui que mes collègues, Mme Manzer et M. Hoyles, comparaissaient devant votre comité, accompagnés de mon prédécesseur, Russell Lusk, afin de vous exhorter à n'entreprendre aucune modification législative prématurée fondée sur une vision restreinte des questions entourant la responsabilité professionnelle. Au contraire, nous vous avons instamment demandé d'étudier ce sujet de façon exhaustive et de veiller à équilibrer les intérêts de toutes les parties concernées, soit les parties lésées et le codéfendeurs. Nous sommes reconnaissants du fait que notre recommandation a été acceptée.

Le principe fondamental sur lequel reposait notre exposé, à ce moment-là et aujourd'hui encore, est que toute modification au système actuel de responsabilité solidaire doit se fonder sur le caractère équitable et raisonnable de l'application de la loi et des conséquences juridiques.

Aujourd'hui, nous venons affirmer que le temps de la réforme est venu; nous exhortons donc le gouvernement fédéral à adopter un régime de responsabilité proportionnelle modifiée dans le cadre de sa législation relative aux institutions financières et commerciales. Mme Manzer vous exposera en détail le raisonnement sur lequel reposent nos conclusions. J'aimerais cependant vous dire quelques mots sur la manière dont nous sommes parvenus à cette conclusion.

[Traduction]

L'ABC recommande la responsabilité proportionnelle modifiée. Notre mémoire décrit les facteurs à considérer pour trouver le juste équilibre entre les droits des plaignants et ceux des défendeurs.

Les avocats font face à un dilemme en ce qui concerne la responsabilité professionnelle. Nous avons un intérêt personnel en tant que membres d'une profession libérale. Nous sommes tenus responsables de nos actes, sans qu'une structure d'entreprise limite notre responsabilité. Nous représentons également les plaignants et les défendeurs, alors nous comprenons et nous préconisons un juste équilibre, dans l'intérêt public.

Notre mémoire est le fruit de l'examen de diverses sources au sein de l'ABC. En quelques mots, voici les étapes que nous avons suivies. D'abord, une série de documents de recherche ont été rédigés en vue de sessions de formation permanente tenues dans le cadre de notre dernière conférence annuelle, qui a eu lieu récemment ici même à Ottawa. Notre comité des institutions financières a rédigé le mémoire. Nous avons obtenu la participation des comités de la Colombie-Britannique et de l'Ontario, qui continuent à étudier les conséquences de la responsabilité professionnelle et des sociétés de personnes à responsabilité limitée. Puis, des représentants des sections nationales du droit commercial, du contentieux civil et du droit de l'assurance de l'ABC ont examiné les conclusions. Enfin le comité de la législation et de la réforme du droit et le comité exécutif national ont approuvé le mémoire en tant que politique officielle de l'ABC.

Ce processus représente des consultations poussées où chaque avocat a présenté sa vision du problème et où tous ont convenu que l'équilibre décrit dans le mémoire est équitable et raisonnable.

Nous avons trouvé la description des enjeux dans le document de travail sur les options exhaustive, éclairée et bien exprimée. J'aimerais féliciter le comité sénatorial et son personnel pour cet excellent travail.

Mme Alison Manzer, présidente, comité sur la réforme législative des institutions financières, Association du Barreau canadien: Si le comité le permet, je ne résumerai pas le mémoire. Je ne le lirai pas non plus. J'exprimerai plutôt mon point de vue et j'essaierai de simplifier et de faire mieux comprendre le raisonnement qui a poussé le Barreau à tirer ses conclusions. Je remettrai mes notes dactylographiées plus tard.

Aujourd'hui, l'Association du Barreau canadien vous présente une position raisonnée. La dernière fois que nous avons comparu devant vous, le préavis avait été très court. Nous pensions à ce moment-là ne pas pouvoir présenter de position raisonnée sur les délibérations ou les conclusions du comité.

Au cours des treize mois qui se sont écoulés entre le dernier témoignage et aujourd'hui, le Barreau a rédigé plus de 600 pages de recherches détaillées, que nous avons fait parvenir en grande partie à votre personnel. Nous avons donc pu suivre un processus évolutif pour arriver à une recommandation.

La position que nous présentons aujourd'hui porte sur la responsabilité solidaire des défendeurs dans le cadre d'une action découlant d'une responsabilité prescrite par les lois fédérales. Le programme est vaste, mais à dessein. Il est vaste parce que vous constaterez, à mesure que je vous expliquerai notre raisonnement et la façon dont nous sommes parvenus à nos conclusions, que nous étions très conscients des limites des compétences fédérales et, par conséquent, des limites des délibérations de votre comité.

Qu'il soit clair également que décider de prendre position et de faire une recommandation a été presque aussi difficile que parvenir à un consensus. Il importe de se le rappeler, parce que nous sommes peut-être fondamentalement différents d'un grand nombre des autres témoins qui ont comparu devant vous.

Nous ne sommes pas venus ici et nous n'avons pas abordé la question avec une idée préconçue ni en ressentant le besoin impérieux d'un changement au niveau fédéral. Notre participation tardive l'an dernier le démontre clairement.

Après qu'on nous a demandé cet examen et que nous nous sommes attelés à la tâche, nous avons constaté rapidement que le défi était de taille. Nous devions amener des membres qui représentent les bénéficiaires éventuels, quelle que soit la décision prise, à décider de changer ou de ne pas changer. Je vous assure que notre processus était loin de viser uniquement à nous protéger nous-mêmes. Chaque position a été défendue par des personnes très compétentes et il est assez évident que nous n'avions pas besoin de conseillers juridiques pour nous aider à interpréter ce que nous devions examiner.

Plus nous avons réfléchi à la question, plus un point de vue cohérent s'est dégagé et, au bout du compte, il a été facile de parvenir à un consensus. Nous avons réussi à nous entendre sans qu'il y ait vraiment de divergence d'opinions, et la position qui vous est présentée en faveur de la responsabilité proportionnelle modifiée a été établie facilement. Une fois de plus, nous avons eu très peu de temps pour nous préparer à comparaître devant le comité et, puisque j'étais consciente des divergences de vues, je me demandais vraiment si nous pourrions vous présenter une conclusion. Mais les recherches et l'examen approfondi qui avaient déjà été effectués nous ont permis de travailler rapidement.

Nous avons fini par accepter, de manière conséquente, mais sans opiner simplement du bonnet, le point de vue qui a été présenté par l'ICCA. Le Barreau a tiré cette conclusion en partant d'une perspective très différente et en tenant compte des points de vue de nos membres, mais il a tiré essentiellement la même conclusion que d'autres personnes qui ont comparu devant vous. Il importe de le souligner.

Même si nous avons tiré cette conclusion, ma tâche consiste à nouveau à vous présenter un examen équilibré de la question, un examen fondé sur le droit, et à tenter de vous expliquer le processus et l'évolution, parce que cela nous paraît important. Nous sommes probablement les seuls en mesure de vous présenter un point de vue raisonné mais largement dénué de ce qui pourrait paraître intéressé. Les préoccupations du Barreau reposaient très fortement sur le premier principe des bonnes lois, soit l'équité, l'équité du concept et de son application. L'un sans l'autre aboutit à des lois fondamentalement mal conçues.

J'ai d'abord senti l'obligation de comprendre la portée de ce que vous pouviez régler et ne pas régler et de savoir si vous pouviez effectivement modifier les lois de manière à avoir des effets réalistes et de portée assez vaste pour changer la situation, parce qu'il est insensé de songer à des changements si ces changements ne sont pas efficaces.

Il m'a été assez facile de comprendre le problème de la responsabilité solidaire. Des centaines de pages avaient préparé le terrain. Mais jusqu'à il y a quelques jours encore, je n'étais toujours pas convaincue de bien le comprendre dans le contexte de vos délibérations ou dans le contexte de lois que vous devez examiner. Avec votre indulgence, je tenterai d'expliquer comment je conçois cet aspect du problème, parce que cela me paraît fondamental pour comprendre pourquoi nous avons tiré notre conclusion et comment nous y sommes parvenus.

Le vrai problème consistait à tenter de simplifier la portée de l'analyse et à la placer dans le contexte relativement étroit qui intéresse votre comité. Les analyses de nature plutôt encyclopédique sur la responsabilité solidaire ne convenaient tout simplement pas aux besoins de votre comité.

Nous avons déterminé que les limites de ce que nous devions étudier seraient un examen d'une modification des dispositions des lois fédérales et, dans ce cas-ci, des dispositions de la Loi sur les sociétés par actions et des lois sur les institutions financières. Ces limites nous ont paru convenables non seulement parce qu'elles correspondent au mandat du comité mais aussi parce qu'il s'agit du contexte fédéral le plus probable pour un examen de la responsabilité professionnelle. Cela présentait l'avantage énorme de nous permettre d'examiner la situation en recherchant la simplicité. J'ai souvent constaté qu'examiner les problèmes simplement permet d'être plus efficace. Nous pouvions aussi tenir compte plus facilement des nombreuses préoccupations susceptibles de détourner l'attention des possibilités de réforme.

D'abord, cela nous aide à nous concentrer sur ceux qui lisent les mémoires et à tenir compte du fait que nous ne nous intéressons qu'à des problèmes économiques. Nous nous intéressons aux dommages-intérêts pouvant découler de questions économiques, de placements et d'activités de ce genre. Nous ne nous intéressons pas à la dame qui se fait heurter par un autobus et à la responsabilité solidaire du chauffeur d'autobus et de celui qui n'a pas refermé le couvercle de trou d'homme. Nous nous intéressons purement et simplement au domaine économique.

Cela limite aussi le problème constitutionnel. Le gouvernement fédéral a clairement le pouvoir de légiférer dans ce domaine. Il n'y a pas de conflit réel avec ce que les provinces peuvent choisir de faire ou de ne pas faire.

Je crois que vous avez reçu un mémoire de l'ICCA qui examine les questions constitutionnelles. Le Barreau a examiné ce document et a déterminé que les conclusions juridiques tirées dans ce document sont judicieuses.

Nous n'examinons que la responsabilité in solidum. Nous ne pouvons faire autrement, mais je rappelle au comité de ne pas oublier que la responsabilité in solidum ou solidaire entre les défendeurs doit être examinée en tenant compte du fait que les professions libérales continuent d'avoir une responsabilité solidaire, parce qu'elles sont constituées en sociétés en nom collectif au niveau provincial.

Cela dit, de quoi s'agit-il? J'ai vu de nombreuses analyses qui semblent indiquer qu'on se concentre surtout sur les vérificateurs ou uniquement sur les vérificateurs -- l'une des questions posées ce matin me laisse croire que le comité y a songé -- et qu'il serait peut-être question uniquement de la responsabilité solidaire relative à la production de renseignements financiers. Ce serait peut-être facile. Cela faciliterait la modification des lois; cela simplifierait la portée de l'examen; mais en ressortirait-il une bonne loi?

Je crains vraiment que, si vous vous limitez à une seule profession libérale ou à un nombre réduit de professions libérales et à une seule question qui peut se poser en vertu de vos lois, votre loi ne soit qu'un cataplasme.

J'ai essayé de penser à une façon polie d'illustrer en quoi consiste une loi-cataplasme sans trop écorcher le processus législatif au passage. Le meilleur exemple qui m'est venu à l'esprit est celui de la Loi de l'impôt sur le revenu. J'oeuvre dans le domaine depuis plus de vingt ans et j'ai vu la Loi de l'impôt sur le revenu évoluer à partir de quelque chose qui était raisonnablement compréhensible. Monsieur-tout-le-monde ne la comprenait peut-être pas mais n'importe quel professionnel moyen pouvait certainement la décoder. On a décidé que chaque fois que cette loi soulevait un problème, on réglerait le problème en appliquant un cataplasme. Nous avons donc maintenant une Loi de l'impôt qui est peut-être efficace -- et ce n'est pas dit -- mais qui est certainement impossible à comprendre. Je trouve que c'est une bien mauvaise façon de légiférer. Je crois que si nous examinons la question de la responsabilité professionnelle dans cette perspective étroite, nous constatons aussi que nous nous dirigeons vers une loi-cataplasme.

Je me suis sentie tenue d'essayer de vous convaincre qu'il y a peut-être une application générale au problème. Je sais qu'il est facile de s'apercevoir qu'il y a un problème concernant les comptables et un problème concernant les états financiers. Nous ne nous intéressons qu'à la responsabilité découlant de la loi, alors que prévoit la loi?

J'ai passé une soirée à examiner les lois et à prendre note de chaque disposition susceptible de créer une responsabilité. Je me suis aperçue que cela ne ferait que semer la confusion, alors je me suis concentrée sur le fait qu'il y a une disposition clé dans chaque loi que vous examinez. Dans la Loi sur les sociétés d'assurances, c'est l'article 220 et dans la Loi sur les sociétés par actions, c'est l'article 118. Ces articles prévoient essentiellement que les administrateurs ont une responsabilité solidaire pour une foule d'activités. Rappelez-vous que c'est une disposition relativement récente et que cette simple disposition concernant la responsabilité solidaire des administrateurs représente une responsabilité considérable. Cela fait partie du courant fédéral général qui a commencé à se dessiner au début des années 90, lorsqu'on a commencé à désigner les administrateurs comme les premières personnes qui devaient pouvoir cerner les problèmes et, on l'espérait, prendre des mesures pour éviter que les problèmes ne s'aggravent. Il s'agissait des problèmes relatifs à l'observation de la loi, à l'émission et au remboursement des actions ainsi qu'aux salaires.

Qu'ont obtenu les administrateurs en contrepartie? En vertu de l'article 220 et de l'article 118 ou de leurs équivalents directs dans toutes les lois que vous devez examiner, ils ont obtenu le droit de pouvoir se fier aux rapports financiers. C'est simple. Nous revenons aux comptables et aux états financiers. Mais ce n'est que la moitié de cette disposition. L'autre moitié stipule qu'ils ont le droit de se fier à un rapport des comptables, actuaires, avocats, notaires ou autres professionnels. Cela élargit clairement la portée de la loi et crée, pour les professionnels autres que les comptables et les actuaires, une responsabilité imposée par la loi. C'est une disposition très forte et très claire et si l'on sent le besoin d'imposer cette responsabilité à d'autres professions libérales, la responsabilité doit exister en vertu de la loi.

Pour donner un exemple simple, lorsque les vérifications sont terminées, les avocats fournissent des confirmations de vérification, élément clé et crucial des renseignements de vérification. Nous reconnaissons au Barreau que les lois fédérales ne créent pas de responsabilité solidaire, mais nous reconnaissons aussi que les lois fédérales peuvent limiter cette responsabilité. Ceux qui créent la responsabilité ont le droit de la limiter.

Il faut reconnaître selon nous que cette loi devra s'intégrer à l'ensemble. Nous avons cru bon de vous expliquer qu'à notre avis les changements apportés au niveau fédéral peuvent être compatibles avec le régime provincial, que le régime provincial soit modifié ou non. Du point de vue constitutionnel, c'est faisable. En pratique, cela ne mène pas, selon moi, à la recherche du palier de compétence le plus avantageux. Il existe entre les institutions constituées sous le régime des lois fédérales une distinction qui tire son origine et son orientation d'autres sources de droit. Les banques ne relèvent que des lois fédérales et il est impossible de rechercher un palier plus avantageux.

À mon avis, si nous attendons l'harmonisation, nous renvoyons la solution du problème aux calendes grecques. Nous devons déterminer ce qui peut être fait et ce qui est impossible au niveau fédéral.

Quel est l'effet en pratique? De trois choses l'une. Premièrement, les modifications fédérales peuvent être une première étape parce que les provinces se penchent actuellement sur la question mais n'ont encore rien décidé. Ce pourrait être la première étape vers un changement généralisé au Canada qui reconnaîtrait la nécessité de limiter la responsabilité professionnelle.

Deuxièmement, si c'est la seule mesure prise, elle aurait au moins le mérite d'aligner les lois fédérales sur celles de nos grands partenaires commerciaux et, d'ailleurs, sur un pourcentage important des autres pays du monde entier. La compétence fédérale est celle qui a le plus de chances d'être reliée à nos obligations internationales, les sociétés et les institutions financières sous le régime fédéral étant, du point de vue constitutionnel, de nature à exercer leurs activités sur la scène internationale ou mondiale.

Troisièmement, cela veut dire que nous éliminerions le plus grand risque d'actions en justice, en valeur monétaire et en nombre, susceptibles de survenir, parce que ce risque touche les sociétés au niveau financier.

Par conséquent, à notre avis, la modification fédérale peut être pratique et peut être avoir des conséquences juridiques et des conséquences pratiques.

La prochaine question qu'il faut se poser, c'est pourquoi? C'est possible, mais pourquoi devrions-nous le faire?

Vous devez considérer trois facteurs avant de décider s'il faut changer les lois. Premièrement, les lois sont-elles encore compatibles avec le cadre pratique dans lequel elles doivent s'appliquer? Deuxièmement, sont-elles encore compatibles avec le contexte social et économique et avec les besoins sociaux et économiques qui avaient été dégagés au départ? Les lois ne peuvent exister en vase clos. Elles visent à régir et à guider la conduite sociale et économique. Troisièmement, répondent-elles aux règles de la rédaction de bonnes lois?

En ce qui concerne le cadre pratique, le comité est nettement handicapé, tout comme le sont tous ceux d'entre nous qui essaient d'évaluer ce cadre. Le handicap découle du manque de preuves empiriques, une critique qui revient toujours. Je n'ai jamais cru que l'absence de preuves empiriques devrait nous empêcher de rédiger de bonnes lois, lorsque les preuves circonstancielles abondent, que la réaction internationale indique clairement un besoin de régler le problème et que la solution au problème consiste à ne pas maintenir le statu quo.

Il devient de plus en plus évident que c'est une question de disponibilité de l'assurance et de coût. Vous avez entendu de nombreux témoignages indiquant qu'il y a un effet sur le coût et sur la nature des services professionnels.

Nous croyons que c'est un domaine dans lequel il convient d'intervenir et de modifier le droit, parce que la méthode de recouvrement semble en train de devenir peu économique pour le plaignant. C'est probablement une affectation inefficace des ressources économiques.

En ce qui concerne les questions sociales et économiques, nous devons nous rappeler que les lois doivent être considérées périodiquement par rapport au contexte auquel elles s'appliquent. Ne pas le faire fausse l'objet et l'intention des lois.

Dans ce cas-ci, il y a eu une modification fondamentale du contexte social et économique dans lequel s'applique la responsabilité solidaire. La nature de l'entreprise professionnelle a évolué. Cette évolution a souvent été imposée aux entreprises par la nationalisation et par la mondialisation de l'économie.

Le marché économique dans lequel les services professionnels sont fournis au Canada a évolué. Le Canada n'est plus un petit pays isolé, il est devenu un participant actif et efficace au niveau international.

La nature du consommateur a évolué. Les recours collectifs ont sensibilisé et informé les consommateurs, ce qui a changé la nature des consommateurs de services.

Affirmer que les mêmes lois non modifiées devraient continuer de s'appliquer sans tenir compte du fait que la situation est fondamentalement différente équivaut à se dérober à la responsabilité de légiférer.

Nous devons reconnaître que si les lois étaient parfaitement conçues, si elles étaient appliquées de manière uniforme et parfaite et si elles n'étaient pas touchées par les changements qui surviennent dans la société, il n'y aurait aucun besoin de réformer le droit. Nous pensons que la réalité est toute autre.

Dans le cas qui nous intéresse, le cadre juridique a lui aussi subi des transformations énormes. Nous ne pouvons pas continuer d'imposer une responsabilité lorsque les fondements mêmes de l'imposition de cette responsabilité ont changé.

Je peux facilement vous donner quatre exemples. Le premier porte sur la négligence contributive. Lorsque la responsabilité solidaire a été imposée pour la première fois aux professions libérales, la négligence contributive était un moyen de défense absolu et elle empêchait les actions en responsabilité. Si le plaignant avait contribué de quelque façon que ce soit à la perte, il ne pouvait pas intenter d'action.

On ne pouvait réclamer des dommages-intérêts aux professionnels en droit de la responsabilité délictuelle. On le pouvait uniquement par voie contractuelle. Il va sans dire que la capacité de limiter la personne envers qui vous avez un devoir de diligence ainsi que la nature et l'ampleur du devoir de diligence imposé par voie contractuelle sont fondamentalement différentes de la responsabilité imposée par voie délictuelle.

L'extension de la responsabilité délictuelle au droit économique a fortement élargi les domaines où une responsabilité peut être imposée aux professions libérales. Tous les fournisseurs de services connexes ont profité des avantages de l'incorporation. Lorsque la responsabilité solidaire a été imposée aux professions libérales, la corporation était un phénomène nouveau. Il en existait très peu et la vaste majorité des fournisseurs de services équivalents étaient eux aussi assujettis à une responsabilité solidaire à cause des contraintes pratiques auxquelles ils devaient se conformer.

À cause de ces changements, les professions libérales sont isolées, tandis que les autres peuvent se protéger.

Il n'est pas réaliste de croire qu'une loi qui était équitable et raisonnable au moment où elle a été adoptée puisse survivre à des changements aussi profonds et puisse continuer de bien équilibrer le risque et la responsabilité, parce que c'est son but, essentiellement.

Je crois qu'on n'a pas assez souligné au comité l'importance de tenir compte de ce qui arrive dans le cas de la responsabilité proportionnelle ou de la responsabilité solidaire entre les défendeurs. Rappelez-vous que la responsabilité à l'égard du préjudice a déjà été établie. J'ai entendu des gens invoquer l'argument du «mais si»: mais si vous n'aviez pas commis d'erreur, ce ne serait pas arrivé. Une évaluation et une attribution correctes du préjudice entre les défendeurs tiennent cependant compte de cet argument et une partie des dommages-intérêts est justement accordée lorsqu'il est établi qu'une autre conduite aurait permis d'éviter le préjudice.

Par conséquent, avant de se demander si la responsabilité solidaire s'applique, les tribunaux doivent avoir attribué la responsabilité du préjudice causé, y compris la responsabilité tenant compte du fait qu'une partie aurait pu empêcher le préjudice. La responsabilité solidaire consiste purement et simplement à réaffecter le risque du défendeur insolvable ou irresponsable et non à réaffecter la cause du préjudice.

La faute n'a rien à voir ici. C'est une espèce de loterie, et vos chances dépendent de qui sont vos codéfendeurs. Cela incite simplement les professions libérales à se blinder contre les jugements, c'est une incitation à une prudence excessive dans les conseils donnés et dans le choix des parties qu'on représente, à un recours excessif à l'assurance et au refus de s'occuper de certains dossiers. Dans certains cas, c'est avantageux pour le public mais, plus souvent qu'autrement, la prudence excessive accroît les coûts pour tous et ne protège que quelques personnes.

Pour adopter de bonnes lois, il faut examiner l'objet et l'intention. Il faut aussi considérer la réalité de l'application et rechercher l'équité la plus grande et la plus équilibrée. Il est impossible de parvenir à un équilibre parfait dans tous les cas.

Lorsque vous vous demandez comment procéder pour apporter des changements, il me semble que vous devez tenir compte des principes d'une bonne loi. Qu'est-ce qu'une bonne loi? C'est une loi qui traduit et favorise le comportement social souhaité, c'est une application équitable et équilibrée, et c'est une loi qui donne des résultats raisonnables dans la majorité des applications. Dans ce cas-ci, vous envisagez une modification du principe fondamental de la responsabilité délictuelle, pour que l'équilibre de l'équité permette au plaignant de recouvrer des dommages-intérêts, mais vous devriez reconnaître que c'est une idée nouvelle. Il ne s'agit pas de préserver un principe vénérable, bien établi. Dans ce cas-ci, vous examinez ce principe dans une situation qui aboutit à un résultat un peu inattendu à cause de l'expansion de la responsabilité connexe.

Il faut se rappeler que l'imposition de la responsabilité solidaire, en ce qui concerne la responsabilité entre les défendeurs, ne vise pas les professions libérales. En réalité, les professions libérales se sont retrouvées isolées parce que nous sommes, en réalité, les seuls fournisseurs de biens et de services assujettis à niveaux paliers de responsabilité: la responsabilité solidaire entre les défendeurs et un niveau secondaire de responsabilité parce que nous sommes forcés d'exercer notre profession dans une société en nom collectif.

Dans notre cas, nous nous sommes d'abord demandés s'il était équitable et raisonnable de maintenir le statu quo. Nous craignions une discrimination flagrante. Les lois fédérales n'ont pas particulièrement créé cette situation, mais elles y contribuent. En vertu de la loi, les membres des professions libérales sont en réalité les seules personnes qui, au bout du compte, ne peuvent invoquer la défense de la diligence raisonnable ou de la prudence raisonnable. Pourquoi en est-il ainsi? Les administrateurs et les dirigeants peuvent invoquer ces moyens de défense, qui consistent à déléguer la responsabilité aux professions libérales; autrement dit, les administrateurs et les dirigeants peuvent se fier aux rapports des professions libérales.

Les membres des professions libérales qui fournissent les services ne peuvent probablement pas invoquer la défense de la diligence raisonnable ou de la prudence raisonnable. Comme on l'a fait remarquer à maintes occasions, et comme le comité le sait très bien, l'application de la loi aux professions libérales n'est pas déraisonnable. Personne n'est venu déclarer devant vous que les tribunaux faussent de manière fondamentale les principes devant régir l'imposition de la responsabilité. Nous craignons peut-être personnellement que la loi ne soit allée trop loin dans un domaine ou dans un autre, mais dans l'ensemble, nous ne nous prétendons pas qu'il est inéquitable d'imposer la responsabilité aux professions libérales. La différence, toutefois, c'est que parmi les membres des professions libérales, certains ne peuvent invoquer la défense de la diligence raisonnable ou de la prudence raisonnable, à savoir les associés de la personne fautive.

Même si ces associés ont mis en place des normes raisonnables et responsables relatives aux méthodes et des mécanismes de surveillance généralement efficaces, et même s'ils ont agi avec diligence et prudence pour s'assurer que le cabinet fournit les meilleurs services professionnels possibles dans les circonstances, si un associé commet une erreur, ils ne peuvent invoquer la défense de la diligence raisonnable ou de la prudence raisonnable. Les associés doivent assumer la responsabilité.

Certains soutiennent que l'assurance permet de se protéger, mais nous la payons cette assurance; ce n'est pas un cadeau, et l'assurance est payée par les parties innocentes qui n'ont pas commis l'erreur. Tout au long de leur carrière, la vaste majorité des membres des professions libérales ne commettent pas d'erreurs importantes, d'erreurs qui donnent lieu à des actions en dommages-intérêts.

Un autre problème auquel sont confrontées les professions libérales est le fait qu'on choisit rarement les autres participants, autrement dit les codéfendeurs. Il n'est pas pratique de choisir les autres participants en fonction de leur actif net. Nous tenons compte plutôt de l'honnêteté et de la compétence, pas de l'actif net. Par conséquent, si nous sommes forcés, pour nous protéger, de nous assurer que nos codéfendeurs sont solvables, il deviendra de plus en plus difficile pour les jeunes entreprises d'obtenir des services professionnels et des services de vérification, pour les nouvelles entreprises de se lancer en affaires et pour les jeunes professionnels de se trouver du travail. Tout le monde ira vers les grands cabinets bien établis et bien nantis. Je ne suis pas convaincue que ce soit un résultat social souhaité.

Nous devons aussi nous rappeler que nous appliquons une loi qui a des conséquences internationales et que les autres sont en faveur du changement. Divers changements sont apportés dans de nombreux pays. Les solutions varient, mais des changements sont apportés.

Examinons maintenant la façon de procéder. Jusqu'ici, nous nous sommes demandés si c'était possible, et il me semble que la réponse est oui. Nous nous sommes demandés pourquoi nous devrions agir et je pense qu'il y a des arguments convaincants que vous songiez tout au moins à modifier la loi. La prochaine question qui se pose, c'est comment faire.

La question qui vous est posée est relativement plus facile que pour les provinces, parce que vos compétences sont relativement limitées. De fait, compte tenu de la cohérence des lois et des dispositions pertinentes, il suffira probablement d'une seule disposition applicable, sans trop se poser de questions, à chacune des lois qui vous intéressent -- ce qui représente une tâche beaucoup plus simple que celle des provinces.

Il serait probablement souhaitable que les efforts et le libellé soient coordonnés avec les provinces mais, à mon avis, ce n'est pas essentiel. Vous pouvez donc probablement adopter les modifications nécessaires relativement simplement, et c'est un bon départ. La question qui se pose, c'est que faut-il faire? C'est beaucoup plus difficile. C'est une question très épineuse.

Après avoir lu le document sur les options, j'ai cru comprendre très clairement le problème mais quand j'ai commencé à examiner les solutions, je me suis aperçue à quel point le problème est épineux. Je vais ajouter quelques observations aux propos de M. Gervais. Ayant vu l'évolution du document sur les options, je pense que le résultat final est excellent. La portée, l'équilibre et les choix proposés sont complets, réfléchis, bien exprimés et ils proviennent de gens qui connaissent très bien le sujet. Votre personnel a fait un travail fantastique.

D'ailleurs, je pense qu'ils ont trop bien travaillé. C'était cela mon problème. Chaque fois que je lisais une option, je me disais: «Oui, c'est cela. C'est la solution efficace et responsable à ce problème, sauf que...». Pour chaque option, c'était la même chose, parce que vous avez bien travaillé. Le problème, c'est que chacune de ces options présente des arguments convaincants pour prouver qu'elle pourrait être une solution acceptable, mais elles comportent toutes de très grandes limites.

Alors, j'ai réfléchi et j'ai conclu que nous avons essentiellement quatre choix. Premièrement, nous pouvons maintenir le statu quo. Deuxièmement, nous pouvons éliminer simplement la responsabilité. Troisièmement, nous pourrions renvoyer la balle aux provinces et les laisser trouver une solution. Quatrièmement, nous pourrions essayer de rééquilibrer le risque et la responsabilité.

Au niveau fédéral, il n'y a qu'une solution. Vous n'avez pas le choix. Vous devez envisager la responsabilité proportionnelle parce que c'est tout ce qui relève de vos compétences. Vous avez alors une alternative: la responsabilité proportionnelle complète ou modifiée.

Devrions-nous maintenir le statu quo? Je crois que le statu quo a probablement dégénéré. D'une façon utile de reconnaître une conjoncture sociale, économique et juridique, il est devenu un régime d'assurance coûteux et arbitraire qui ne tient pas compte des changements qui entourent le droit.

Devrions-nous éliminer la responsabilité? Ce n'est probablement pas une solution responsable. Cela pénalise probablement le plus faible et je pense qu'il y a encore quelques raisons de continuer à faire partager la responsabilité entre ceux qui sont probablement plus en mesure d'évaluer la responsabilité, si ce n'est de l'assumer.

Renvoyer la balle aux provinces est probablement irresponsable.

Nous nous retrouvons donc tenus d'envisager une mesure intermédiaire, qui est la plus raisonnée et la plus responsable.

Si vous songez à rééquilibrer la responsabilité, vous devez vous rappeler d'un principe fondamental du droit moderne. La société a décidé, récemment mais de manière très définitive, que nous aurons une espèce de filet de sécurité en droit. On prévoit donc la protection du recouvrement relatif au préjudice causé, en particulier pour ceux qui sont le moins en mesure d'assumer les conséquences du préjudice. Nous devons ensuite réfléchir à l'attribution de la responsabilité qui sous-tend le principe fondamental des lois équitables et raisonnables. L'équilibre initial doit s'établir entre la responsabilité motivée, autrement dit celle qui existe sans la responsabilité solidaire. Elle existe parce que la loi est responsable quand on analyse une action en responsabilité délictuelle afin d'attribuer la responsabilité de chacun de ceux qui ont causé le préjudice et de tenir compte dans cette attribution de l'argument du «mais si»

Par conséquent, quand vous examinez la responsabilité proportionnelle, vous ne devez pas oublier qu'elle n'élimine pas l'attribution équitable, raisonnée et raisonnable de la responsabilité motivée. La responsabilité proportionnelle continue de tenir compte de l'obligation et de la responsabilité de fournir des services professionnels. La responsabilité solidaire élimine probablement en grande partie ce qui pourrait inciter à prendre certaines des autres mesures. La responsabilité proportionnelle élimine un grand nombre des raisons qui pousseraient les professions libérales à se blinder contre des jugements.

En guise d'anecdote, je vous dirai que j'ai assisté un jour à une réunion d'un cabinet en train d'éclater et dont le passif était considérable. Vous serez soulagés d'apprendre qu'au bout du compte, nous avons tout remboursé. Mais à ce moment-là, nous ne pensions pas pouvoir le faire. Il y avait 30 professionnels responsables dans la salle et je me suis aperçue que nous étions seulement deux à ne pas nous être blindés contre des jugements.

Continuer d'imposer la responsabilité solidaire force les membres des professions libérales à chercher d'autres moyens de se protéger, des moyens qui sont probablement inacceptables aux yeux de la société. La responsabilité proportionnelle n'élimine pas la responsabilité de ses propres actes. On continue d'être responsable de la part du préjudice qu'on a causée.

À mon avis, la responsabilité proportionnelle élimine ce non-sens, ce que ne fait pas la responsabilité solidaire. Je vais exagérer un peu pour vous convaincre. Vous devez comprendre qu'en imposant la responsabilité solidaire vous mettez en place le non-sens absolu qui fait qu'en tant que professionnelle je devrais me charger de l'évaluation de l'actif net, de la capacité financière et de la volonté de payer de quelqu'un qu'on ne m'a pas demandé d'évaluer et de contrôler. En imposant la responsabilité solidaire, vous me demandez d'évaluer mes codéfendeurs pour déterminer s'ils peuvent payer leur part proportionnelle des dommages-intérêts et s'ils le feront. Je crois que, à titre de professionnelle, on ne m'a pas demandé de faire cela.

Mais quelle forme de responsabilité proportionnelle devrions-nous privilégier? La réponse est facile, compte tenu de l'observation que je viens de faire: la responsabilité proportionnelle complète, mais nous ne devons pas oublier le principe fondamental du droit moderne. Nous avons abandonné il y a de nombreuses décennies le caveat emptor pour reconnaître qu'il faut un filet de sécurité pour protéger ceux qui sont le moins en mesure de se protéger eux-mêmes. C'est un coût que nous reconnaissons tous dans la société et que nous avons tous accepté d'assumer.

Dans ce cas-ci, quand j'examine une forme modifiée qui tient compte de ce facteur, je ne peux pas affirmer que le modèle est parfait. Mme Smith a fait un travail fantastique et nous a proposé quelques modèles, mais je ne suis pas arrivée à en choisir un. Nous avons pensé à des seuils. Mais qu'est-ce qu'un seuil? Cela veut dire qu'on vous tombera dessus pour les peccadilles mais pas pour les choses importantes. Nous avons pensé au plafonnement, ce qui n'est rien d'autre qu'une autre forme d'assurance. On a employé le mot «averti». Il n'y a pas de choix simple.

Il vaut donc probablement mieux choisir quelque chose qui paraît conséquent en droit. Diverses dispositions réglementaires portent sur la même question, à savoir, qui a besoin de protection? Les lois sur les valeurs mobilières et les lois sur la protection du consommateur le font. Il existe un certain nombre de domaines dont la définition et la portée sont raisonnablement compatibles parce qu'ils portent sur l'investissement et les questions financières et qu'ils essaient de trouver les bons moyens de protéger ceux qui ne peuvent se protéger. Étant donné que nous ne pouvons pas appliquer certaines mesures de protection du consommateur -- soit le droit de rendre une marchandise qui ne nous plaît pas -- nous sommes probablement forcés de choisir l'autre modèle.

Le modèle qui semble le plus cohérent est une forme quelconque d'évaluation de la mesure dans laquelle le client est averti, grâce à un critère des ressources financières. Les seuls critères autres que ceux des ressources financières qui me sont venus en tête sont le montant de la perte, le pourcentage de la perte ou le niveau d'instruction et ils sont plus arbitraires que tous les autres. Alors les ressources financières sont probablement aussi acceptables que n'importe quoi d'autre, mais je ne prétends pas que ce soit parfait, peu s'en faut. Il y aura toujours cette petite dame qui avait reçu un héritage important et qui en a perdu un pourcentage important parce qu'elle n'a pas pu évaluer la situation. Mais aucune loi n'est parfaite et aucune loi n'est appliquée à la perfection. C'est cependant cette solution qui ressort le plus souvent comme la plus efficace. Elle est employée dans les lois sur les valeurs mobilières et dans de nombreux autres pays. S'il vous plaît, ne demandez pas aux avocats de vous dire quels chiffres fonctionneront le mieux. Je suis avocate spécialisée en droit commercial, mais je suis convaincue que les chiffres ne sont pas de mon ressort.

Nous devons nous rappeler que la loi ne vise jamais à protéger tout le monde complètement. Le coût pour la société serait exorbitant si nous étions protégés complètement. La loi n'a jamais visé à protéger les gens qui font de mauvais choix. Dans ce cas-ci, la loi vise à promouvoir des moyens permettant de faire des choix et à fournir une protection de base à ceux qui sont le moins capables d'en faire. C'est le raisonnement qu'a fait l'Association du Barreau -- ou tout au moins le comité qui a eu l'occasion de m'entendre sur la question -- et c'est pour cette raison que nous avons tiré la conclusion que maintenir le statu quo n'est pas une solution raisonnable et qu'une forme quelconque de responsabilité proportionnelle modifiée représenterait le plus efficacement le désir et la nécessité d'avoir une loi et permettrait probablement l'application la plus raisonnable et la plus efficace de la loi dans le contexte juridique et social actuel.

Le président: Je remercie nos témoins de l'Association du Barreau canadien pour l'effort que représente leur exposé. Je remercie également Mme Manzer et les autres membres du personnel de M. Hoyles de l'aide qu'ils ont fournie à Margaret Smith, de notre comité. Grâce à la collaboration de Mme Smith, de vous-mêmes et du personnel de l'ICCA, nous pensons nous aussi que notre document résume bien la question. Il ne visait pas explicitement à favoriser une option en particulier. Le choix devait se faire à l'issue de nos audiences. Nous vous remercions de votre appui.

Après avoir entendu Mme Manzer pour la deuxième fois, je comprends pourquoi certains de mes amis l'ont choisie comme avocate. Elle présente certainement des arguments convaincants.

Vous avez indiqué que des changements surviennent ailleurs dans le monde. Il y en a certainement aux États-Unis. Certains soutiennent que des changements sont improbables au Royaume-Uni. Le fait que rien ne change au Royaume-Uni a-t-il une importance? Si le Royaume-Uni maintient le statu quo, est-il pratique que le Canada apporte les changements que vous avez décrits?

Mme Manzer: D'abord, vous conviendrez, je crois, qu'il y a au moins un embryon de mouvement souterrain -- mais peut-être pas si souterrain que cela -- en vue d'un réexamen de la situation au Royaume-Uni. Pour le moment, le Royaume-Uni est un exportateur net de fournisseurs de services professionnels à Jersey et dans d'autres pays où il y a une protection limitée. C'est ce qui a amené cette question à l'avant-scène au Royaume-Uni et on la réévalue là-bas.

Deuxièmement, il est à la fois pratique et éventuellement avantageux d'aller de l'avant, de suivre notre plus grand partenaire commercial et de trouver un système qui permet un meilleur équilibre des responsabilités, un équilibre plus équitable.

Le seul effet que peut avoir un pays -- s'il choisit d'apporter des changements -- est que ses lois deviennent plus en harmonie avec celles des grands pays, ce qui contribue aux objectifs économiques. Les pays qui n'apportent aucun changement pourraient bien se retrouver dans la situation à laquelle le Royaume-Uni est confronté actuellement, à savoir, l'exode de nombreux cabinets qui vont d'aller s'installer ailleurs. Je crois que vous constaterez une exportation nette de fournisseurs de services professionnels de ces pays vers ceux qui ont éliminé la responsabilité solidaire.

Quand on fait une vérification mondiale, il est relativement facile de s'établir à un endroit plutôt qu'à un autre. Les conflits entre les dispositions législatives sont tels qu'il sera probablement difficile d'intenter une action dans le pays où la responsabilité solidaire existe encore, parce que la capacité d'appliquer la loi contre une partie qui fournit le service ailleurs suppose des droits et des recours équivalents.

Le président: La question des sociétés de personnes à responsabilité limitée relève évidemment des provinces et porte sur les problèmes entre les associés, pas entre les défendeurs. Vous n'avez pas parlé de ce problème parce qu'il s'agit évidemment d'une question qui relève des compétences provinciales.

Ai-je raison de penser qu'au cours de votre témoignage durant notre première série d'audiences l'automne dernier, le Barreau était en faveur de sociétés de personnes à responsabilité limitée? Est-il exact également que vous n'en parlez pas aujourd'hui parce que c'est une question qui relève des provinces?

Mme Manzer: Vous avez raison. Nous n'en parlons pas parce que cette question relève des provinces. Lors des audiences, le Barreau n'a pas pris position au sujet des sociétés de personnes à responsabilité limitée. Nous avons indiqué que ce pourrait être une solution au problème au niveau provincial.

Depuis ces audiences, des comités ont été formés en Ontario et en Colombie-Britannique. Ils examinent la question au niveau provincial et ont entamé des discussions avec les autorités provinciales pour que puissent se constituer des sociétés de personnes à responsabilité limitée.

Le président: Vous êtes actuellement à l'étape embryonnaire?

Mme Manzer: Tout à fait.

Le sénateur Kelleher: D'entrée de jeu, j'aimerais retourner le compliment que Mme Manzer a fait à notre personnel et déclarer qu'elle a présenté un excellent exposé.

Il est juste d'affirmer que nous voyons d'un bon oeil la mise en place d'une forme quelconque de responsabilité proportionnelle prévoyant une exception pour les personnes moins averties, dont les ressources financières sont plus limitées, et cetera. Quel type de personnes, selon vous, feraient partie de cette catégorie?

Mme Manzer: J'ai beaucoup écrit sur le droit des sociétés de personnes ces dernières années. J'ai tendance à représenter des sociétés de personnes et des associés dans des situations très difficiles où ils ont subi des pertes, alors j'ai une idée de leur vision du monde et des pertes qu'ils peuvent et ne peuvent pas assumer.

Je crois qu'un critère des ressources financières conviendrait. Je ne crois pas qu'un autre critère soit aussi uniformément équitable, encore qu'il ne soit pas tout à fait équitable.

En ce qui concerne l'ampleur des ressources, j'appuierais l'obligation fondamentale de ne pas inclure un REER et une maison, parce que c'est ce dont a besoin une personne pour s'assurer qu'elle aura du pain sur la table à l'avenir.

Si je définissais un critère des ressources financières, je soustrairais le REER et la maison, et la pension il va sans dire. Je ne suis pas troublée par le niveau de 100 000 $. Je ne sais pas s'il devrait être de 100 000 $, 150 000 $ ou 200 000 $, mais je crois que descendre au-dessous de 100 000 $ serait probablement risqué.

Je préconise également un critère dichotomique, comme on l'a fait aux États-Unis. Aux États-Unis, on applique le critère de l'actif net ou un niveau de revenu, soit l'un soit l'autre. Je crois personnellement que nous devrions suivre cet exemple. Que cela nous plaise ou non, un revenu plus élevé a tendance, dans notre pays, à donner au moins la capacité de trouver de l'aide professionnelle ou à découler du fait qu'on est plus averti dans le domaine financier.

Je propose donc un critère dichotomique fondé sur l'actif net ou le revenu. Je ne sais pas quel niveau de revenu conviendrait parce que je ne sais pas quel est le revenu moyen au Canada. Mais quelque chose autour de 100 000 $ ne me gêne pas.

Le sénateur Hervieux-Payette: Changeons le nom de la société et parlons de Bre-Z plutôt que de Bre-X. Appliquons votre mécanisme aux avocats, aux vérificateurs, aux géologues, aux ingénieurs et aux courtiers. Si un administrateur de régime de retraite, un avocat et cette petite dame ont investi de 1 000 $ à 1 million de dollars et souhaitent intenter des poursuites judiciaires, comment appliquez-vous votre formule proportionnelle modifiée?

Mme Manzer: À mon avis, il y aurait divers types de défendeurs. Le tribunal doit faire un partage entre les plaignants et les défendeurs. Il doit définir qui a causé quelle proportion du préjudice. L'investisseur a-t-il été négligent du fait que l'information existait mais qu'il n'en a pas tenu compte? J'ai souvent vu des investisseurs jeter les hauts cris, mais je découvrais par la suite qu'ils n'avaient jamais lu la notice d'offre ou le prospectus.

Un pourcentage sera attribué entre les plaignants et entre les défendeurs. On aurait alors des pourcentages.

En ce qui concerne les plaignants, si tous les défendeurs peuvent leur satisfaire aux conditions du jugement, la responsabilité proportionnelle et les ressources financières ne sont pas pertinentes. Un jugement a été rendu et les plaignants essaieront de recouvrer 10 p. 100 d'une personne et 25 p. 100 d'une autre. Si toutes les parties peuvent satisfaire aux conditions du jugement, le problème ne se pose pas.

Dans cet exemple, nous supposerons que l'ingénieur ne peut satisfaire aux conditions du jugement. La responsabilité proportionnelle entre donc en jeu, parce qu'il faut réaffecter 1 million de dollars, par exemple.

Je reviens alors au groupe de plaignants. Ceux qui n'ont pas besoin de protection n'ont tout simplement pas droit à ce montant perdu. Ce montant perdu n'existe plus pour eux parce qu'il a été décidé que toutes ces personnes n'assument pas la responsabilité du fautif.

Nous revenons au groupe de plaignants et nous déclarons que, parce que certains d'entre eux auraient dû comprendre et assumer cette responsabilité, nous ne pouvons pas les aider parce que le défendeur ne peut pas payer. Mais nous avons décidé qu'un groupe de plaignants a plus besoin d'être protégé que les autres, alors nous effectuons une réaffectation entre ce groupe, par suite du fait que le géologue ne peut pas payer. Si sa part est de 100 000 $ et que les investisseurs non avertis n'ont perdu que 10 000 $, cela représente 10 p. 100. Nous prenons 10 p. 100 du montant que le géologue aurait dû payer et nous l'attribuons proportionnellement entre les investisseurs non avertis. Voilà comment cela fonctionne.

Nous avons donc un groupe de plaignants qui recouvrera un montant de ceux qui peuvent payer mais en fonction du bon pourcentage; nous ne leur donnerons pas simplement l'avantage supplémentaire d'aller puiser dans le montant dû aux investisseurs non avertis pénalisés parce qu'un défendeur est insolvable. La part du groupe d'investisseurs non avertis dans ce que le géologue n'a pas payé sera répartie en proportion de la perte de ce groupe.

Cette formule n'est pas difficile à appliquer. Son application n'est pas très complexe. C'est une formule qui s'applique une fois que le tribunal a fixé le montant des dommages-intérêts, comme il se doit.

Le sénateur Hervieux-Payette: Le juge fixera le pourcentage?

Mme Manzer: Le juge doit attribuer la responsabilité à l'égard du préjudice. Il n'a pas le choix. Il y a eu un malentendu dans certains témoignages antérieurs, parce que d'aucuns ont prétendu que ce serait plus complexe. Ce ne l'est pas. Il doit y avoir une attribution.

Le sénateur Oliver: Vous avez évoqué certaines des mesures législatives qui pourraient peut-être être prises. En même temps que nous, les législateurs, nous examinons ce problème, nos tribunaux font de même. J'aimerais que vous me décriviez les effets de certains arrêts, tels que Hercules, sur la responsabilité des vérificateurs, ce qui s'est passé après l'arrêt Hercules, où se dirigent les tribunaux selon vous et comment vos conclusions d'aujourd'hui sont influencées, le cas échéant, par ce que fait la Cour suprême dans des arrêts comme Hercules.

Mme Manzer: Si vous étiez une autorité provinciale, il serait très difficile de répondre à cette question. Mais étant donné la portée et les limites de ce que nous examinons aujourd'hui, la réponse est assez simple. Le tribunal se concentre sur l'imposition de la responsabilité. C'est le premier point que nous avons illustré. Les tribunaux doivent d'abord décider si vous avez causé un préjudice. Deuxièmement, lorsqu'un préjudice a été causé, ils doivent décider si vous en êtes responsable, et dans l'affirmative, dans quelle mesure. Troisièmement, ils doivent décider si la personne qui prétend pouvoir recouvrer des dommages-intérêts est une personne envers qui vous aviez des obligations.

C'est tout ce qu'on fait les tribunaux et tout ce qu'ils peuvent faire. Le tribunal ne peut que déclarer que la personne qui a intenté l'action a le droit de recouvrer un certain pourcentage des dommages-intérêts, dans une certaine proportion, et auprès de certaines personnes. Puis, le tribunal s'efface.

Ce qui reste à déterminer c'est si la personne qui doit payer, selon le tribunal, peut effectivement payer. Cela n'a rien à voir avec le tribunal. Le tribunal n'a aucune influence là-dessus et n'a rien à dire à ce sujet. C'est simplement une question de fait. Le défendeur à qui la responsabilité a été imputée peut-il payer ou paiera-t-il?

Le fait qu'au mieux, on établit temporairement les circonstances où la responsabilité sera imposée n'a pas vraiment d'influence sur la discussion actuelle. Parce que les professionnels sont forcés d'exercer leur profession dans une société en nom collectif, un certain nombre de personnes tout à fait innocentes ne peuvent invoquer la défense de la diligence raisonnable ou de la prudence raisonnable. C'est à eux, au bout du compte, que vous imposez une responsabilité. Voilà pourquoi on a changé le titre, je suppose. Bien que personne n'en ait discuté avec moi, je suppose que c'était pour reconnaître le fait que la responsabilité proportionnelle a un effet disproportionné sur les professions libérales à cause du deuxième palier de responsabilité, soit la responsabilité solidaire au niveau de la société de personnes.

Sans vouloir vous contredire, je ne pense pas que la tendance dans les tribunaux a beaucoup d'influence sur notre discussion d'aujourd'hui parce que nous discutons de ce qui arrive après que le tribunal a tranché que l'associé de Vancouver, alors que je travaille à Toronto, a commis une erreur. Les circonstances auxquelles la faute sera appliquée sont peut-être un peu mieux comprises et un peu plus stables, mais cela ne change pas l'effet sur moi, la partie innocente à Toronto. J'ai désormais une responsabilité solidaire et pas seulement avec mon associé mais avec les autres défendeurs. Cela ne change rien non plus aux préoccupations que j'ai soulevées quant au fait que, quand il y a une responsabilité solidaire entre les codéfendeurs, vous me demandez d'être responsable de codéfendeurs que je n'ai souvent pas choisis moi-même. Le fait que les tribunaux établissent quand nous pourrions être responsables, ne change rien à tout cela. Cela veut dire que vous me demandez d'être responsable de la nature des codéfendeurs ainsi que de leur volonté et de leur capacité de payer.

Le sénateur Oliver: Si les tribunaux décident jusqu'à quel point ils imposent ce devoir, ils peuvent l'imposer à la personne que vous voulez assujettir au critère des ressources financières, ou à l'investisseur averti, alors les tribunaux continuent d'imposer ce devoir afin d'inclure plus de monde.

Mme Manzer: Il ne fait aucun doute que c'est arrivé. Il ne fait aucun doute que la responsabilité s'est accrue. Établir quels sont les critères à remplir pour pouvoir invoquer la défense de la diligence raisonnable est utile mais uniquement pour chaque cas individuel. Sans vouloir vous contredire, nous ne sommes pas ici pour discuter de la responsabilité de chacun. Nous avons tous accepté cette responsabilité. Les professionnels n'ont jamais demandé à être dégagés de cette responsabilité ni de la responsabilité à l'égard de leurs actes personnels ou de leurs capacités personnelles. Nous avons simplement affirmé qu'il existe, à notre avis, une injustice fondamentale croissante parce que les responsabilités et les devoirs des autres nous sont imposées en tant qu'associés.

Le sénateur Callbeck: Je vous félicite pour votre exposé. Vous avez mentionné que nous ne devrions pas éviter d'apporter des changements uniquement parce qu'il n'y a pas de preuves empiriques que la responsabilité solidaire crée des problèmes, mais qu'il y a beaucoup de preuves circonstancielles. Pouvez-vous donner plus d'explications?

Mme Manzer: L'une des critiques qui a été faite régulièrement à ceux qui sont en faveur du changement est que personne n'a pu présenter des preuves statistiques importantes d'une hausse du coût de l'assurance pour les services professionnels ou d'une diminution de la disponibilité de la couverture d'assurance.

J'ai tenté cet été de parler à quelques membres de l'industrie de l'assurance parce que je crois sincèrement que certains renseignements existent probablement mais qu'ils ne sont tout simplement pas communiqués. L'industrie de l'assurance ne veut pas communiquer les données statistiques dont elle dispose.

J'ai effectué un examen assez complet dans le monde, dans la mesure où le permettent l'Internet et les capacités des étudiants, afin de déterminer si des preuves empiriques ont été rassemblées quelque part et si elles me permettraient d'affirmer qu'entre 1970 et 1990, l'imposition de cette responsabilité a fait augmenter les primes d'assurance de tel montant ou entraîné telle hausse nette du coût de la prestation des services professionnels.

Premièrement, cela n'existe pas. Deuxièmement, je doute que ce type d'analyse statistique soit vraiment possible parce qu'il y a tant d'autres facteurs qui influent sur le coût des services.

J'ai tenté d'intéresser des universitaires à effectuer ces recherches. J'ai tenté de convaincre certaines universités de me laisser faire un doctorat à temps partiel. J'ai dit que j'effectuerais la recherche s'ils me laissaient la faire, mais je n'ai pas réussi.

Les preuves empiriques n'existent pas. Je ne sais pas si elles peuvent exister. Lorsque des preuves empiriques ou statistiques n'existent pas, on est forcé de s'appuyer sur des preuves circonstancielles, et je pense qu'il est idiot de ne pas tenir compte de la prolifération de ces preuves circonstancielles. Il y a des signes constants et importants qui vous laissent croire que cela augmente le coût de la prestation des services professionnels, qu'il en résulte une hausse du coût de l'assurance, qu'il en résulte une baisse de la disponibilité de l'assurance. Après un certain temps, il faut commencer à y croire, même si personne ne peut présenter de graphique et montrer une tendance.

Le président: Vous avez répondu au sénateur Kelleher lorsqu'il vous a demandé de donner votre point de vue personnel, pas le point de vue officiel du Barreau, sur la définition du critère des ressources financières. Votre fourchette de 100 000 $ à 200 000 $ visait-elle le modèle américain, qui applique le critère de l'actif net, à celui de la SADC, qui n'a rien à voir avec l'actif net mais porte plutôt sur le montant qu'obtient une personne, peu importe son actif net et à partir duquel la responsabilité proportionnelle s'applique? J'aurais pu interpréter votre réponse des deux façons et je veux m'assurer d'avoir bien compris.

Mme Manzer: Je pensais évidemment à un critère fondé sur l'actif net.

Le président: Je suppose que la confusion n'était pas accidentelle.

Je crois que la loi américaine et certaines lois canadiennes sur les valeurs mobilières appliquent un critère de l'actif net. D'une part, c'est le genre de loi qui est logique. Par contre, par rapport aux institutions financières canadiennes, la règle de la SADC est essentiellement une règle d'assurance qui n'est pas un critère fondé sur l'actif net mais plutôt un montant maximal d'assurance. Quels sont les avantages et les inconvénients de ces deux modèles, selon vous? Franchement, je peux trouver des arguments assez convaincants dans les deux cas.

Mme Manzer: Moi aussi, malheureusement.

Le président: Il me semble que le modèle de la SADC a l'avantage d'être connu des Canadiens. C'est un modèle commun. Mais il coûte vite une fortune. Les précédents ailleurs, notamment aux États-Unis et dans les lois canadiennes sur les valeurs mobilières, favorisent le critère de l'actif net.

Mme Manzer: La décision qu'ont prise de nombreux pays de retenir un critère de l'actif net est probablement moins arbitraire et ce critère reflète probablement mieux ce qu'il est censé représenter. Je conviens personnellement que c'est probablement le cas. L'un et l'autre seront approximatifs et faciles à obtenir. L'un et l'autre résulteront en une justice approximative qui sera mal appliquée ou inéquitable. On n'y peut malheureusement pas grand-chose.

À mon avis, que cela nous plaise ou non, de la façon dont la société récompense le succès et les résultats, le critère de l'actif net permettra probablement de déterminer plus efficacement qui est en mesure de comprendre, d'évaluer et d'assumer le risque que le modèle de l'assurance, qui repose sur un montant net fixe. Entre ces deux modèles probablement acceptables, j'ai tendance à préférer ce que vous essayez de faire.

Deuxièmement, les modèles qui sont les plus proches, du point de vue de la similarité des lois, sont ceux qui utilisent l'actif net. Il y a de bons arguments en faveur de la cohérence en droit. Le modèle des valeurs mobilières est probablement le plus proche si vous vous intéressez à ce qui cause la responsabilité dans ce cas-ci, c'est-à-dire, essentiellement, les questions relatives à la possession d'actions et à l'investissement.

Si vous examinez les dispositions de la Loi sur les sociétés par actions et de la Loi sur les sociétés d'assurances, vous verrez que, dans l'ensemble, elles touchent aux affaires financières de la société ou de l'institution, du point de vue de l'investissement, alors je suppose qu'on parvient à une plus grande cohérence en retenant le modèle qui se rapporte à l'investissement.

Le président: Je remercie beaucoup les témoins d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Vous avez été très utiles.

À notre dernière séance, le sénateur Kelleher a évoqué le modèle de la SADC et demandé à l'ICCA de donner son opinion à ce sujet. J'ai pensé que la façon la plus simple d'obtenir cette opinion consisterait à les entendre brièvement maintenant. Nous leur avons demandé tout particulièrement de nous communiquer leurs chiffres.

M. Walker et M. Wilkinson sont ici uniquement pour donner cette opinion.

M. Ross Walker, président, Groupe de travail sur la responsabilité professionnelle, Institut canadien des comptables agrées: J'ai quelques brèves observations concernant notre discussion d'il y a deux semaines et notre réexamen ultérieur de notre proposition.

Nous sommes d'avis que la responsabilité proportionnelle complète est la méthode qui convient et qui est la plus équitable dans toutes les circonstances pour régler le problème de la responsabilité solidaire. Votre comité nous a cependant convaincus qu'un régime de responsabilité proportionnelle modifiée s'impose afin de protéger le petit investisseur. Par «petit investisseur», nous entendons un investisseur, prêteur ou créancier qui n'a pas toujours les ressources nécessaires pour faire des évaluations bien raisonnées des risques et pour prendre des décisions d'investissement éclairées.

J'aimerais revenir brièvement sur des aspects que M. Donovan et Mme Manzer ont porté à votre attention ce matin, à savoir que la responsabilité solidaire n'est problématique et inéquitable que lorsque les codéfendeurs ne sont pas en mesure de payer leur part des dommages-intérêts. Lorsque tous les codéfendeurs ont des ressources suffisantes, tous les plaignants sont remboursés en entier, conformément à la décision du tribunal.

Dans notre proposition de responsabilité proportionnelle modifiée, où certains des codéfendeurs ne peuvent pas payer, la responsabilité solidaire s'appliquerait aux petits investisseurs individuels et la responsabilité proportionnelle s'appliquerait aux autres.

La dernière fois que nous nous sommes vus, nous avons proposé d'appliquer un critère de l'actif net pour déterminer qui sont ces investisseurs. Vous nous avez demandé de réfléchir à une proposition qui a été appelée l'approche de la SADC, ou autrement dit, la couverture d'une perte jusqu'à concurrence d'un certain montant, pour tous les investisseurs.

Nous avons passé beaucoup de temps à examiner cette question. Nous avons conclu que ce n'est pas une bonne façon de procéder. Cela ne résout pas le problème que nous tentons tous de régler, soit celui du petit investisseur. C'est une approche très vaste qui inclurait des personnes très riches et des sociétés qui, la plupart du temps, sont très capables de prendre des décisions d'investissement raisonnées.

De plus, la protection de la SADC est un régime d'assurance pour lequel des primes importantes sont payées à un fonds qui règle les sinistres. Dans notre situation, il n'y aurait aucune prime et aucun fonds. Une telle proposition ne résiste pas à une analyse économique.

Cette approche nous préoccupe aussi grandement, parce qu'avec le temps le marché finirait par savoir que les vérificateurs assument la responsabilité des investisseurs ou des créanciers jusqu'à concurrence du montant qui aurait été fixé. Autrement dit, les vérificateurs deviendront les assureurs de tous les investisseurs, y compris les gros investisseurs, et resteront disponibles pour le paiement des dommages-intérêts, dans un contexte où les grands cabinets de comptables ne pourraient presque pas obtenir d'assurance-responsabilité commerciale.

De plus, l'approche de la SADC serait déphasée par rapport à la méthode de l'actif net adoptée par notre principal partenaire commercial au sujet de la responsabilité proportionnelle. Cette approche de la SADC donnerait lieu à tellement de réclamations qu'elle contribuerait très peu à régler le problème actuel de l'iniquité. Nous avons donc conclu qu'elle n'est pas judicieuse.

Employer un critère de l'actif net pour établir des distinctions entre des catégories d'investisseurs est une notion bien ancrée au Canada. Il y a de nombreux exemples de lois, de règlements et d'énoncés de politique concernant l'utilisation du critère de l'actif net. Les banques et d'autres prêteurs demandent fréquemment aux Canadiens de fournir une estimation de leur actif net.

Par conséquent, après réflexion, nous croyons encore qu'un critère de l'actif net est la meilleure façon d'identifier les petits investisseurs. Il fonctionne parce qu'il vise le groupe que nous essayons tous de protéger. Le problème qui reste à régler c'est comment définir ce critère. Notre proposition originale d'un actif net de 100 000 $ excluait la résidence principale, les meubles et les automobiles du plaignant.

Nous avons proposé également que le plaignant ait perdu plus de 10 p. 100 de son actif net pour être admissible. Nous avons fait cette proposition convaincus que la plupart des gens peuvent se permettre de perdre 10 p. 100 de leurs avoirs, à l'exclusion évidemment de leur maison, de leurs meubles et de leur automobile sans que cela change beaucoup leur mode de vie ou leur actif net. Nous comprenons que ce 10 p. 100 puisse poser certaines difficultés à certains d'entre vous. Nous sommes donc disposés à l'éliminer, ce qui voudrait dire que même les plus petites pertes seraient visées par la responsabilité solidaire.

Nous avons aussi tenu compte de l'objection de votre comité selon laquelle, vu que les Canadiens ont investi des sommes importantes dans les régimes enregistrés d'épargne-retraite ou dans des caisses de retraite de leurs employeurs, il faudrait tenir compte de la valeur de ces avoirs au moment de calculer l'actif net. Nous proposons maintenant que ces avoirs soient exclus du critère proposé, ce qui aurait l'avantage de simplifier grandement le calcul de l'actif net.

Par ces modifications, nous proposons un seuil de l'actif net de 100 000 $, qui exclurait cinq des avoirs les plus importants des Canadiens -- la résidence principale, les meubles, les automobiles, les régimes d'épargne-retraite et les caisses de retraite. C'est un élargissement important de la définition du petit investisseur qui devrait continuer à jouir de la protection de la responsabilité solidaire.

Nous avons effectué certaines analyses pour déterminer l'actif net du Canadien moyen. À partir d'un examen des estimations de 1996 des comptes nationaux, Statistique Canada évalue l'actif net des Canadiens à 85 000 $. Ce montant comprend tous les avoirs; la résidence principale, les automobiles, les meubles, les régimes enregistrés d'épargne-retraite et les caisses de retraite. Étant donné que ce montant de 85 000 $ comprend les cinq grands avoirs que nous avons exclus de notre proposition, nous pensons qu'un seuil d'actif net de 100 000 $ couvrirait presque tous les petits investisseurs que nous cherchons à protéger.

Nous sommes heureux que le comité semble accepter la nécessité d'une réforme de la responsabilité solidaire. Tel qu'indiqué dans la plupart des témoignages que vous avez entendus, c'est une nécessité au Canada. À vous de décider des détails de ces modifications. Nous pensons que la méthode pertinente pour définir un petit investisseur est un critère d'actif net et nous vous avons donné nos meilleurs conseils sur la façon de le calculer.

Notre proposition d'aujourd'hui élargit nettement notre proposition d'il y a deux semaines et nous croyons que notre proposition révisée est équitable et raisonnable pour les plaignants et pour les défendeurs.

Nous attendons avec impatience la conclusion de vos délibérations et nous vous remercions de nous avoir invités à comparaître de nouveau devant vous aujourd'hui. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Kelleher: J'aimerais faire remarquer que les deux semaines de réflexion ont été utiles et je félicite les témoins d'avoir su en profiter.

Le président: J'ai une question technique. Votre analyse des données nous est utile. Je comprends pourquoi vous avez retenu le montant de 85 000 $, qui représente la richesse du Canadien moyen. C'est le chiffre le plus facile à obtenir. Par contre, le Canadien moyen n'est pas touché par ce genre de problèmes, parce que le Canadien moyen n'investit pas.

Il serait utile que nous obtenions le chiffre correspondant de l'actif net des Canadiens susceptibles d'être visés par une modification de la loi. Les Canadiens qui seraient touchés par une modification de la loi seront en grande partie des gens qui font des placements ou qui participent activement à des programmes de placements autres que les REER, évidemment, parce que les REER seront exclus de toute façon.

Je ne sais pas si Statistique Canada peut nous fournir ces données, mais pouvez-vous examiner cette question très étroite? J'essaie d'obtenir une meilleure définition. Je ne conteste pas ce que vous avez affirmé à propos du montant de 85 000 $ ni de ses implications. J'aimerais avoir une définition plus précise qui nous permettrait de connaître le pourcentage de Canadiens qui seront touchés par ce changement et si nous rejoignons la plupart d'entre eux ou seulement quelques-uns. J'ai l'impression que nous en touchons probablement un grand nombre, mais j'aimerais pouvoir quantifier «un grand nombre», si possible.

M. Walker: Nous ferons d'autres recherches et communiquerons la réponse à votre personnel.

Le président: Lorsque notre comité -- à deux reprises, mais en vain dans les deux cas -- a recommandé au gouvernement d'avoir le courage politique d'implanter la coassurance dans le cas de l'assurance-dépôts, nous avons été poussés à le faire parce que 90 p. 100 des gens qui ont investi dans les institutions de dépôt y ont placé moins de 30 000 $. Notre point de vue était que si l'on accorde une protection intégrale pour les premiers 30 000 $ et qu'on applique une échelle mobile par la suite, on touche 90 p. 100 des gens visés. Les autres apportent une contribution croissante, parce qu'ils reçoivent davantage. J'essaie de donner un sens à ces chiffres.

Si je ne m'abuse, Statistique Canada croit que ce n'est peut-être possible, mais si vous pouviez examiner la question d'ici la semaine prochaine, ce serait très utile.

M. Walker: Nous le ferons.

Le président: Merci d'avoir témoigné aujourd'hui. Comme l'a indiqué le sénateur Kelleher, il est évident que la période de réflexion a été aussi utile pour vous que pour nous.

La séance se poursuit à huis clos.


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