Délibérations du sous-comité de la Forêt boréale
Fascicule 2 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 8 juin 1998
Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 32, pour continuer son étude de l'état actuel et de l'avenir de la foresterie au Canada en ce qui concerne la forêt boréale.
Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous accueillons aujourd'hui MM. Ryan et Wyse. Je vous cède la parole.
M. Hugh Ryan, directeur intérimaire, Direction de l'environnement et des ressources naturelles, Direction générale des terres et de l'environnement, Services fonciers et fiduciaires, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien: Nous comparaissons devant vous aujourd'hui pour discuter des programmes et politiques du MAINC qui concernent la forêt boréale relativement aux Premières nations et au Nord.
Pour commencer, j'aimerais présenter M. Peter Wyse, gestionnaire des Ressources naturelles du programme des Affaires indiennes, ainsi que Mme Louise Trépanier, directrice intérimaire de la Direction de l'établissement des programmes et du soutien des revendications.
Des fonctionnaires du ministère se sont présentés devant ce sous-comité le 7 avril 1997. Mes observations préliminaires visent à résumer les observations précédentes, ainsi qu'à faire une mise à jour à la lumière de tout ce qui s'est produit depuis cette date.
Nous avons donc indiqué précédemment que les forêts boréales sont liées de trois façons au mandat du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Tout d'abord, celui-ci administre la coupe et l'enlèvement du bois des terres des réserves en vertu de la Loi sur les Indiens. Deuxièmement, le ministère appuie le développement économique des collectivités des Premières nations, dont beaucoup fondent leur progrès économique principalement sur l'accès aux possibilités que leur offre la forêt boréale. Troisièmement, le ministère gère les terres forestières du Yukon aux termes de la Loi sur les terres territoriales. Je vous entretiendrai brièvement de ces trois aires de compétences du ministère, à commencer par les forêts des réserves.
Les réserves sont des terres de la Couronne fédérale mises de côté à l'usage et au profit des Indiens. Le MAINC les administre en vertu de la Loi sur les Indiens. Les terres des réserves couvrent une superficie d'environ 2,7 millions d'hectares, dont environ 1,4 million sont boisés. Les forêts des réserves qui représentent seulement 0,5 p. 100 du domaine forestier du Canada, abritent près de 500 collectivités des Premières nations. On fait une utilisation multiple de ces forêts: bois d'oeuvre et bois de chauffage, chasse, piégeage, cueillette et tourisme. Elles ont aussi une importance culturelle et spirituelle pour les Premières nations.
Ceci dit, il est généralement admis, du point de vue de la production du bois, que ces forêts sont en mauvais état. Cet état de chose est attribuable à plusieurs facteurs: incendies, insectes, maladies et coupes abusives. Ce dernier facteur est la conséquence des pressions économiques exercées sur les forêts des réserves. Les Premières nations ont le plus souvent besoin de bois de chauffage; la coupe du bois est génératrice d'emplois et de revenus pour les membres des collectivités; les conseils des Premières nations font usage des revenus provenant du bois pour s'occuper des questions prioritaires dans la collectivité.
À ces facteurs s'ajoutent les contrôles réglementaires peu sévères prévus dans la Loi sur les Indiens et dans le Règlement sur le bois de construction des Indiens. La Loi sur les Indiens, par exemple, fixe à 100 $ l'amende maximale pour toute contravention au Règlement sur le bois de construction des Indiens. L'enlèvement du bois d'une réserve sans autorisation appropriée est passible d'une amende de 500 $.
Plus important encore, la Loi sur les Indiens ne prévoit aucun mécanisme permettant aux Premières nations d'administrer et de contrôler les forêts des réserves. Elle ne permet pas par exemple aux Premières nations qui le souhaitent de délivrer des licences et permis de coupe du bois.
Le reboisement et l'entretien des forêts peuvent régler les problèmes causés par la coupe abusive.
Certaines Premières nations ont mis sur pied des programmes efficaces de gestion des forêts, mais la plupart sont confrontées à d'autres problèmes plus pressants de santé, d'éducation et de services sociaux. Le conseil d'une Première nation a bien souvent de la difficulté à réinvestir ses recettes d'exploitation forestière dans la gestion des forêts, quand on sait qu'il faut attendre au moins 30 ans pour que ces investissements fructifient.
À l'heure actuelle, plusieurs initiatives ministérielles portent sur l'état des forêts des réserves. Dans le cadre de l'exécution des obligations juridiques du gouvernement fédéral découlant de la Loi sur les Indiens et du Règlement sur le bois de construction des Indiens, le ministère délivre des permis et licences de coupe et d'enlèvement du bois des terres des réserves, à la demande des conseils des Premières nations, mais il procède auparavant à des évaluations environnementales. Les permis et licences comportent des dispositions sur le reboisement des forêts, lorsque les terres sont consacrées à long terme à la foresterie.
Le ministère adopte des mesures de mise en application lorsqu'il prend connaissance d'activités non autorisées. Ces dernières années, le ministère a augmenté les ressources, clarifié les politiques et les procédures, formé les employés et apporté des modifications au Règlement sur le bois de construction des Indiens afin d'en améliorer le caractère exécutoire.
Conjointement avec les Premières nations, le ministère continue à étudier différentes options touchant l'autonomie gouvernementale; il reconnaît que de nombreuses collectivités des Premières nations peuvent gérer la coupe et l'enlèvement du bois des réserves avec bien plus d'efficacité que le gouvernement fédéral.
Le ministère participe à un projet de partenariat avec l'Assemblée des premières nations en vue d'élaborer un plan concernant les activités qu'il exécute à l'heure actuelle. Ce processus pourrait engendrer des modifications législatives, réglementaires et administratives. L'Assemblée des premières nations a fait savoir que la foresterie est une de ses priorités.
Le ministère finance et administre, conjointement avec le Service canadien des forêts, le programme forestier des Premières nations, lequel dispose d'un budget quinquennal de 24,9 millions de dollars et a pour objet de favoriser le développement économique fondé sur les ressources forestières. L'un de ses objectifs est d'accroître la capacité des Premières nations de gérer les forêts des réserves de façon durable. Les décideurs chez les Premières nations jouent un grand rôle dans la détermination du mode de dépense des fonds des programmes. En 1996-1997, environ 2,1 millions -- soit à peu près 36 p. 100 du budget du programme -- ont été consacrés à la gestion durable des forêts des réserves.
Pour nombre de Premières nations, les forêts des réserves sont trop petites pour soutenir une exploitation durable et à long terme. Afin d'obtenir des emplois raisonnables, les membres des Premières nations doivent avoir accès aux forêts situées à l'extérieur des réserves. Permettez-moi donc de vous entretenir brièvement des activités ministérielles qui facilitent l'accès des Premières nations aux ressources de la forêt boréale à l'extérieur des réserves.
Comme vous le savez, la plupart des forêts voisines des réserves au sud du 60e parallèle relèvent de la compétence des provinces. Quelques Premières nations ont réussi à obtenir une tenure sur des projets à l'extérieur des réserves par le truchement des gouvernements provinciaux, mais la plupart doivent continuer à lutter pour accéder aux possibilités hors des réserves. Les récents arrêts des tribunaux dans l'affaire Delgamuukw en Colombie-Britannique, et dans celle de Paul au Nouveau-Brunswick ont exercé et continuent à exercer une forte influence sur les questions d'accès des Premières nations aux forêts hors des réserves.
En avril 1998, l'Accord sur les forêts a été signé par la plupart des ministres des forêts du Canada, ainsi que par les dirigeants industriels, environnementaux et autochtones. Les signataires s'engagent -- y compris la plupart des gouvernements provinciaux -- à reconnaître les droits ancestraux et issus des traités, à s'assurer que la participation des peuples autochtones dans la gestion des forêts et dans les décisions prises soit consistante avec leurs droits et aussi, à soutenir la recherche d'activités autant traditionnelles que modernes, reliées au développement économique.
Le ministère appuie l'accès des Premières nations aux possibilités qui s'offrent hors des réserves au moyen de processus visant à leur accorder un contrôle accru sur les terres à l'extérieur des réserves. Nous prévoyons l'ajout d'au moins 940 000 hectares aux réserves, par le biais des droits fonciers issus des traités, dont une bonne partie sera dans des zones boisées. La négociation et la mise en oeuvre des revendications foncières globales augmentent sans cesse le contrôle qu'exercent les Premières nations sur les ressources hors des réserves, y compris sur la forêt boréale. Le ministère appuie également l'accès des Premières nations à ces possibilités à l'extérieur des réserves, au moyen du financement de projets d'accroissement de leur capacité de participer à des entreprises forestières et de l'encouragement à la collaboration et au partenariat entre ces nations. En 1996-1997, le Programme de foresterie des Premières nations a consacré 2,9 millions de dollars, soit environ 50 p. 100 de ses dépenses, à ces objets.
De surcroît, le ministère appuie les négociations des Premières nations portant sur l'accès aux possibilités hors des réserves avec les provinces et l'industrie. Ordinairement, ces négociations mènent à des ententes de gestion forestière, à des marchés d'abattage forestier, à des arrangements sur la lutte contre les incendies, à des marchés de sylviculture et à des ententes de cogestion. En 1996-1997, les dépenses sur la cogestion des forêts et des ressources aux termes du programme de négociations sur l'accès aux ressources se sont élevées à environ 1,9 million de dollars, soit près de 39 p. 100 des dépenses du programme.
Outre les programmes axés sur les ressources dont je viens de parler, le ministère offre aux collectivités des Premières nations un financement de base pour le développement économique. En 1996-1997, le ministère y a consacré 47,7 millions de dollars. Pour leur part, les collectivités ont dépensé environ 6 p. 100 sur le soutien à la gestion des ressources, ce qui englobe la gestion des forêts.
En janvier 1998, le gouvernement fédéral a annoncé son plan intitulé «Rassembler nos forces: Le plan d'action du Canada pour les questions autochtones», dans lequel il s'engage entre autres à élaborer et à mettre en oeuvre des stratégies de développement professionnel portant sur la gérance des terres et de l'environnement, sur la gestion des terres et des ressources et sur une augmentation du financement pour les projets qui se rapportent aux ressources.
Je voudrais maintenant parler de la participation du ministère à la gestion des forêts dans le Nord.
Puisque les responsabilités pour les forêts des Territoires du Nord-Ouest ont été transférées au gouvernement territorial, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien administre et contrôle uniquement la forêt du Yukon aux termes du Règlement sur le bois du Yukon et du Règlement sur la protection des forêts du Yukon adoptés en application de la Loi sur les terres territoriales.
La forêt boréale couvre environ 60 p. 100 des 48,3 millions d'hectares du territoire du Yukon, soit à peu près la même superficie que les forêts du Manitoba et de la Saskatchewan. Quelque 7,5 millions d'hectares offrent des possibilités sur le plan commercial. La superficie totale de cette forêt productive est à peu près la même que toutes les forêts du Nouveau-Brunswick réunies.
Ces dernières années, le ministère a modifié le Règlement sur le bois du Yukon de manière à augmenter les droits de coupe, à introduire des frais de reboisement et à prévoir des critères d'admissibilité pour la délivrance de permis. D'autres modifications sont à l'étude en conséquence du renouveau d'intérêt en matière de coupe commerciale, de protection de l'environnement et de la nécessité d'appuyer une industrie de la fabrication locale au Yukon. Ces modifications portent essentiellement sur la tenure, les droits de coupe, le reboisement, l'application, la protection de l'environnement et les autres aspects de la gestion forestière.
Le ministère a modifié l'orientation de la gestion des ressources dans le sens de la gestion durable des forêts; il s'écarte de sa politique de protection des forêts pour se tourner vers la mise en valeur de l'industrie forestière. Il doit aussi s'efforcer d'intégrer les différents intérêts et valeurs, tout en réalisant un équilibre entre les écosystèmes en cause.
En 1996, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a mis sur pied le Comité consultatif de la foresterie au Yukon, qui fournit des conseils sur les questions forestières. Il regroupe des représentants des paliers fédéral et territorial, des Premières nations du Yukon, de l'industrie forestière du Yukon et de groupes d'intérêts. Ce comité a beaucoup participé à l'élaboration des modifications proposées des règlements et aux discussions en cours concernant l'élaboration et l'application d'une politique globale sur la gestion des forêts du Yukon. Ce comité rédige à l'heure actuelle des lignes directrices sur le reboisement qui sera effectué cette saison. Le ministère administre un programme de reboisement, financé par l'industrie, en vue de régénérer la forêt dans les secteurs de coupe.
Il existe déjà une entente de récolte de bois au Yukon, détenue par une société de la Première nation de Liard qui porte la désignation Kaska Forest Resources. La plupart du bois coupé jusqu'à maintenant a été vendu en Colombie-Britannique. La Première nation de Liard a entrepris d'élaborer un programme de formation en exploitation forestière pour ses membres afin qu'ils puissent participer à l'industrie forestière en Colombie-Britannique, en Alberta et au Yukon. Les Premières nations Champagne et Aishihik et du Conseil des Teslin Tlingit ont lancé des projets de foresterie et de scierie dans le centre et le sud-ouest du Yukon.
La gestion des incendies est un élément capital de la gestion des forêts du Yukon. À cet égard, le Yukon est divisé en deux zones: une zone de lutte contre les incendies, où l'on lutte dès l'origine contre les feux de forêts (14,5 millions d'hectares), et une zone d'observation où on laisse libre cours aux incendies, qui sont traités comme des phénomènes naturels (33,8 millions d'hectares).
Le Programme des affaires du Nord continue à adjuger à des Premières nations des marchés de lutte contre les incendies au Yukon, ce qui a donné lieu à la création d'un programme de formation de sapeurs-pompiers destiné aux membres de ces nations.
Il a été déterminé dans l'entente cadre définitive des Premières nations du Yukon que 8 p. 100 des terres territoriales seraient attribuées à titre de terres visées par le règlement. Chaque Première nation sera propriétaire des ressources forestières dans les terres relevant de son règlement, de sorte qu'elle les gérera, les attribuera et les protégera elle-même. À l'heure actuelle, quatre Premières nations ont conclu des ententes définitives et des ententes d'autonomie gouvernementale. Les conseils des ressources renouvelables établis dans chacune de ces Premières nations participent de plus en plus à la gestion des forêts du Yukon. Ces conseils ont été établis à titre d'instrument principal de gestion des ressources locales renouvelables. La ministre est tenue de les consulter, ainsi que les Premières nations, concernant toutes les politiques et lois forestières ministérielles, les applications de pesticides ou herbicides, les priorités en matière de lutte contre les incendies et l'élaboration de plans de gestion des forêts.
Le gouvernement du Canada s'est engagé à transférer aux territoires des pouvoirs de type provincial. Les Premières nations du Yukon sont des partenaires à part entière dans les discussions sur le transfert tenues avec le gouvernement territorial du Yukon et le gouvernement fédéral. La gestion des forêts est l'une des activités que l'on envisage de transférer.
Mes collègues et moi-même serons heureux de répondre à vos questions.
Le sénateur Chalifoux: Je tiens à vous remercier pour votre exposé, très instructif. Je suis heureuse, en tant que métisse ayant travaillé pendant longtemps dans le Nord sur de nombreuses questions, d'avoir cette information.
On retrouve beaucoup de collectivités métisses dans la moitié nord des provinces et également dans les territoires. Qu'avez-vous pu faire pour ces collectivités?
M. Peter Wyse, gestionnaire des Ressources naturelles, Direction de l'environnement et des ressources naturelles, Direction générale des terres et de l'environnement, Services fonciers et fiduciaires, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien: Les programmes du MAINC visent essentiellement les collectivités des Premières nations. Nous n'offrons pas de programmes ou de services aux Métis.
Le sénateur Chalifoux: Votre ministère ne reconnaît donc pas l'article 35 de la Constitution qui stipule qu'il y a trois nations autochtones dans notre pays: les Inuits, les Métis et les Premières nations.
Le président: Pourrait-on dire que cela n'a pas été porté à votre attention?
M. Wyse: Oui.
Le sénateur Chalifoux: Dans la partie nord de l'Alberta, des collectivités négocient des revendications territoriales. La Lubicon Band en est un exemple, tout comme la bande de la région du lac Trout. Quelle est votre position au sujet des terres qui font l'objet de négociations?
Mme Louise Trépanier, directrice intérimaire, Direction de l'établissement des programmes et du soutien des revendications, Direction générale des revendications globales, Revendications et gouvernement indien, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien: Je ne suis pas sûre de comprendre ce que vous voulez dire par notre position au sujet des terres.
Le sénateur Chalifoux: Que faites-vous au sujet du bois et des terres à cet égard? Votre exposé est excellent, mais ces collectivités peuvent-elles jouer un rôle? Peuvent-elles avoir accès à la formation liée au développement économique? Peuvent-elles avoir accès aux partenariats qui, selon vous, sont prévus par ces ententes?
Mme Trépanier: L'utilisation des terres et des ressources fait l'objet de négociations dans toutes les négociations sur les revendications territoriales. Il s'agit de négociations tripartites où sont représentés notre ministère, la province et les Premières nations. Les terres et les ressources font bien évidemment l'objet de telles négociations.
Le sénateur Chalifoux: À l'heure actuelle, les négociations n'ont lieu qu'entre les provinces et les Premières nations. Je vais vous donner un exemple.
Dans la partie nord de l'Alberta, nous avons une société qui s'appelle S-11. Les Premières nations et les Métis ont constitué une société afin de négocier les contrats de bois et d'abattage, ainsi que s'occuper de la sylviculture et de la gestion des forêts. Ne jouez-vous pas un rôle à cet égard? Ces terres font actuellement l'objet de négociations. On y retrouve des sociétés comme ALPAC et Diashowa. Traitez-vous avec toutes les grandes sociétés et les Premières nations?
Le président: J'élargirais peut-être la question en demandant si la société S-11 englobe des Métis et des bandes autochtones.
Le sénateur Chalifoux: C'est cela.
M. Wyse: Pour les cas dont vous parlez, nous nous reportons au Programme de négociations de l'accès aux ressources qui permet de financer les Premières nations pour qu'elles puissent négocier des ententes avec des sociétés et avec les provinces. Le gouvernement fédéral vise essentiellement à appuyer les Premières nations en leur donnant ce financement, ce qui leur permet d'embaucher des négociateurs, des facilitateurs, des avocats et des professionnels.
Le sénateur Chalifoux: Il est assez triste de voir que les familles dans ces régions sont complètement dispersées. Certains membres de ces familles sont catégorisés métis, d'autres sont des Indiens visés par un traité, et pourtant, ils sont frères et soeurs. Il est tragique de voir que l'un d'eux peut avoir accès aux fonds nécessaires au développement et à la formation tandis que son frère doit vivre dans la pauvreté. C'est là le problème qui se pose. Votre ministère s'y intéresse-t-il?
M. Wyse: Je ne pense pas que nous puissions répondre à cette question.
Le sénateur Chalifoux: C'est la réalité, c'est ce qui se passe.
Je comprends que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien ne reconnaît que les Premières nations. Toutefois, il est attristant de voir que certains membres d'une même famille sont laissés pour compte, contrairement aux autres. C'est pratiquement une question de vie ou de mort; il s'agit en fait de rendre un jugement à la Salomon. Avez-vous envisagé ou réglé cette question?
M. Ryan: Je crains que nous ne nous soyons jamais penchés sur la question.
Le président: Voulez-vous dire que votre ministère ne sait pas que les Métis sont, depuis quelques années, considérés comme une Première nation? Chaque fois qu'un programme est proposé, n'essayez-vous pas de faire une étude de la région ou de savoir s'il y existe des gouvernements métis?
M. Ryan: Je peux dire à juste titre, monsieur le président, que notre responsabilité en vertu de la loi elle-même exclurait cette possibilité.
Le président: Ce que sénateur Chalifoux veut dire, c'est que la définition de «Autochtone» a été élargie dans la loi de manière à englober d'autres peuples, en plus des bandes autochtones. Elle englobe les peuples métis.
M. Ryan: Nous ne pouvons pas vous donner de réponse approfondie; il faudrait que je consulte notre service juridique.
Le président: Cette définition n'a pas encore été portée à votre attention.
M. Ryan: Non.
Le sénateur Spivak: D'après mon expérience -- et pas seulement à propos des peuples métis -- les gouvernements provinciaux auxquels certains pouvoirs sont délégués depuis 1932 ne traitent pas les Autochtones -- ou qui que ce soit d'autre, d'ailleurs -- de manière juste et équitable. Ils permettent à toutes ces sociétés de venir s'installer et de procéder à la coupe du bois sur des terres en litige.
Chaque fois qu'une société arrive dans une province, elle promet toutes sortes d'emplois. Ma province ne traiterait même pas avec les personnes en cause, mais leur dirait: «Adressez-vous à la société.» Or, les représentants de la société ne veulent même pas leur parler.
Nous avons entendu l'année dernière quelques témoignages éloquents au sujet de l'indifférence totale à l'égard des droits des peuples autochtones dans de nombreuses provinces. Ce n'est un secret pour personne; il en est tous les jours question dans la presse.
Avec tout le respect que je vous dois, votre exposé m'apparaît quasiment surréaliste. Il est très bureaucratique. Vous essayez de régler ce profond problème en accordant des subventions ici et là.
Je comprends que dans la région des prairies, le gouvernement fédéral a délégué certaines de ses responsabilités aux provinces. Il reste toutefois que le gouvernement fédéral a une responsabilité fiduciaire à l'égard des Premières nations. Je ne m'attends pas à ce que vous répondiez à cette question, car il s'agit d'une question de politique et je sais que les bureaucrates ne font qu'exécuter les ordres que leur donnent leurs maîtres politiques.
J'aimerais vous poser une question précise: dans les territoires du Yukon, quelle est la rotation? Combien de temps faut-il à un arbre pour pousser, une fois qu'il est abattu?
M. Wyse: Les arbres poussent lentement là-bas. On pourrait parler de cent ans.
Le sénateur Spivak: Vous dites: «on pourrait»; le savez-vous, oui ou non?
M. Wyse: Je sais qu'ils poussent lentement, mais je ne suis pas expert en sylviculture.
Le sénateur Spivak: Vous êtes chargé de mettre des politiques en oeuvre; c'est ce que vous avez dit dans votre exposé sur les pratiques de la foresterie. S'il faut 120 ans à un arbre pour pousser -- c'est le cas dans le nord du Manitoba -- vous devez alors avoir une politique de rotation qui en tienne compte. Dans le nord du Manitoba, la société forestière prévoit une rotation de 60 ans, ce qui aura un effet dévastateur sur la forêt.
Par exemple, quelles sont, d'après vous, les possibilités de coupe annuelle au Yukon? J'essaye de comprendre les conseils que vous pouvez donner aux responsables des opérations forestières.
La forêt du Yukon est vaste; les forêts dont s'inquiètent les Autochtones ne représentent que 0,5 p. 100 de la superficie totale. Quels principes appliquez-vous? Pouvez-vous nous en parler de manière que nous puissions voir si les conseils que vous dispensez à ces gens sont bons?
M. Ryan: De plus en plus de Premières nations ont des plans de gestion des forêts, lesquels prennent en compte les principes de développement durable.
Dans tout ce processus, le ministère a eu pour rôle de financer les Premières nations afin qu'elles puissent mettre de tels plans en oeuvre. Ces plans diffèrent d'une région géographique à l'autre et prennent en compte la durée de temps nécessaire à la régénération d'une espèce en particulier.
Le sénateur Spivak: Êtes-vous en train de dire que le rôle des ressources naturelles consiste simplement à financer des programmes? Est-ce là toute votre responsabilité?
M. Ryan: Je ne dirais pas que cela représente toute notre responsabilité. Nous essayons d'élaborer des politiques qui soient à l'avantage des Premières nations, mais le financement représente un élément important du rôle que nous devons jouer.
Le sénateur Spivak: Vous dites dans votre exposé que «le ministère délivre des permis et licences de coupe et d'enlèvement du bois, mais il procède auparavant à des évaluations environnementales.» Est-ce votre rôle, ou celui du bureau qui procède à l'évaluation environnementale?
M. Wyse: Nous procédons nous-mêmes aux évaluations environnementales.
Le sénateur Spivak: Pouvez-vous me donner un exemple d'un endroit où vous avez procédé à une telle évaluation et m'indiquer également les critères relatifs aux possibilités de coupe annuelle? En outre, que voulez-vous dire par «développement durable»? Ce ne sont que des mots. Que se passe-t-il véritablement sur le terrain?
M. Wyse: Lorsqu'une Première nation présente une demande de permis de coupe et d'enlèvement du bois, nous lui demandons un plan d'exploitation forestière. Ce plan précise les secteurs de coupe, les voies d'accès et indique également certaines caractéristiques du terrain comme les rivières et les passages de cours d'eau. Ces plans sont ensuite évalués en fonction de leurs impacts environnementaux, ce qui permet de préciser, par exemple, s'ils présentent un risque pour l'habitat du poisson, si la coupe se fait sur des pentes, dans des marécages et si l'équipement forestier peut causer des problèmes. Nous examinons également l'équipement utilisé afin de déterminer s'il convient à l'environnement en question.
Lorsque les plans d'exploitation forestière sont élaborés pour un secteur, nous demandons à la Première nation si elle a un plan de gestion des forêts. Dans le cas contraire, nous l'encourageons à en préparer un. Une fois cela fait, nous examinons le plan d'exploitation forestière pour nous assurer que les coupes se font selon les paramètres du plan de gestion des forêts.
Le sénateur Spivak: Qui s'en charge?
M. Wyse: Des fonctionnaires du ministère. Les forestiers vont sur place, et dans certains cas, examinent le plan sur le terrain.
Le sénateur Spivak: Environnement Canada n'a aucun rôle à jouer à cet égard?
M. Wyse: Environnement Canada est à l'origine de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, mais ce ministère ne prend nullement part aux évaluations.
Le sénateur Spivak: Il y prend part dans le cas des sociétés privées, puisqu'il établit toute une liste de critères. Au Manitoba, je sais que ce ministère a traité avec des sociétés comme Louisiana Pacific.
M. Wyse: Les projets d'envergure sont effectivement souvent renvoyés à des commissions d'évaluation environnementale auxquelles participe Environnement Canada.
Le président: C'est possible, mais vous parlez ici de coupe et de production du bois par des bandes autochtones -- c'est-à-dire des opérations d'envergure assez limitée. Rien dans le nord de l'Alberta, de la Saskatchewan ou du Manitoba n'a encore touché votre secteur -- autrement dit, est-ce que des industries de pâte de bois viennent contrôler des secteurs dont la superficie correspond à la moitié de celle de la Suisse? Y a-t-il des industries de pâte de bois dans les secteurs que vous gérez? Y a-t-il de grandes concessions semblables à celles que l'on retrouve dans le nord de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba?
M. Wyse: Nous parlons ici de forêts des réserves qui sont en général assez petites.
Le président: Vous parlez également de l'argent nécessaire pour les tronçonner.
M. Wyse: Nous pouvons apporter l'aide nécessaire pour négocier des ententes entre une collectivité des Premières nations et une société qui souhaiterait exploiter une forêt de la réserve.
Le président: Vous n'allez pas plus loin? Avez-vous aidé des Premières nations, par exemple, à obtenir des contrats auprès de grandes sociétés de pâte à bois?
M. Wyse: Nous les aidons en leur donnant le financement nécessaire pour négocier des ententes avec de grandes sociétés.
Le sénateur Spivak: Pourquoi ces grandes sociétés emploient-elles si peu d'autochtones? On peut les compter sur les doigts de la main.
Le sénateur Chalifoux: C'est ce qui me préoccupe également. Dans la partie nord de l'Alberta, ALPAC s'est engagée à embaucher des autochtones, mais elle en engage très peu et pas souvent. La nation métisse dans la partie nord de l'Alberta -- Big Stone, lac Trout et lac Peerless -- s'est regroupée pour créer une société forestière, car les grandes sociétés ne lui offraient aucune possibilité dans ce domaine.
Je suis sûre qu'aucune collectivité, à l'exception de Big Stone peut-être, n'a pu avoir accès à un financement pour l'aider dans ce domaine. C'est surtout cela qui m'inquiète. C'est la raison pour laquelle je vous ai demandé si vous travaillez avec des collectivités qui sont à l'extérieur des réserves -- qui, à l'heure actuelle, ne font que négocier des ententes au sujet de leurs terres.
Deuxièmement, vous avez parlé des conseils de gestion forestière au Yukon. Est-ce que les réserves de la partie nord du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta disposent également de conseils de gestion forestière?
M. Wyse: Il n'y a pas de conseil de ce genre dans le nord du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta.
Le sénateur Chalifoux: Je me rends régulièrement dans cette région. Les forêts du nord de l'Alberta sont dévastées et il s'agit également de terres à l'intérieur de réserves. Comment forme-t-on les gens en gestion forestière? Ce n'est pas parce qu'ils sont membres des Premières nations qu'ils savent nécessairement comment gérer les forêts. Ce qui est tragique, c'est qu'il y a 35 ans, ces gens-là connaissaient bien leurs traditions. Cependant, avec le développement économique, nous avons dans ces collectivités une génération perdue à laquelle les traditions n'ont pas été transmises et qui n'est pas acceptée dans la vie moderne industrielle.
Comment formez-vous ces gens en gestion forestière? Comment peuvent-ils avoir accès au financement disponible? Les collectivités ne cherchent pas à détruire la terre, ses membres veulent travailler. Comment peuvent-ils gérer les forêts correctement s'ils n'ont pas été formés correctement?
Vous dites que les collectivités ont accès à des ressources financières, pourtant, d'après ce que je peux voir, ce n'est pas le cas. J'aimerais savoir comment elles peuvent avoir accès à ce financement de formation et j'aimerais connaître également le programme de formation.
M. Wyse: Le MIANC finance un programme d'éducation postsecondaire pour les Premières nations. Ressources humaines Canada finance un programme de formation en cours d'emploi pour les Premières nations et d'autres peuples autochtones. Ces programmes sont rendus possibles grâce à des accords bilatéraux conclus avec des organismes des diverses provinces. Dans le cadre du programme de foresterie des Premières nations, le ministère finance les projets de formation des Premières nations liés à la gestion forestière dans les réserves, ainsi que la formation relative à la Loi sur les Indiens et aux règlements qui en découlent.
Le sénateur Chalifoux: Vous dites que vous vous occupez simplement du financement?
M. Wyse: Oui.
Le président: Dans votre exposé, vous faites mention de l'entente-cadre définitive des Premières nations du Yukon. Il semble que nous prenions enfin la bonne décision en ce qui concerne les droits forestiers des peuples autochtones. Peut-être aurions-nous dû procéder de la sorte dans les années 20 et 30, lorsque nous avons transféré les ressources aux provinces. Toutefois, il semble que les provinces de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba aient rejeté cette entente-cadre pour la remplacer par une cogestion. Elles semblent prêtes à recevoir des conseils, mais semblent aussi vouloir être responsables à part entière.
Il y avait dans la loi de 1930 une disposition stipulant que les droits miniers accordés aux provinces devaient être remis au gouvernement fédéral dans les cas où ils pouvaient permettre de régler des revendications territoriales. Le ministère pense-t-il que cela devrait aussi s'appliquer aux ressources forestières?
M. Ryan: Nous ne sommes pas au courant de telles discussions à ce sujet au ministère.
Le président: Nous avons essayé de réparer les erreurs commises dans le passé au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, lorsque les provinces n'étaient pas tenues d'intégrer les autochtones dans la gestion des forêts. Que faisons-nous pour savoir s'ils peuvent être réintégrés dans la gestion des forêts provinciales? Après tout, ces forêts sont vendues, en dépit des Premières nations, à l'industrie de la pâte à bois, laquelle détruit le gibier dans les forêts et anéantit toute possibilité d'exploiter une petite opération de coupe du bois. Que faites-vous pour remplir le mandat relatif à la protection des droits des peuples autochtones que le gouvernement vous a confié il y a tant d'années? A en juger par ce que vous avez fait au Yukon, il semble que vous reconnaissiez que ces droits existent et pourtant, vous ne dites pas un traître mot des droits autochtones dans les forêts boréales provinciales.
Mme Trépanier: Dans les provinces des Prairies, la terre est cédée essentiellement en vertu de traités. Au Yukon, la situation est fort différente -- il n'y avait pas de traités et nous sommes en train maintenant d'en négocier. L'entente-cadre a été conclue avec six nations et nous négocions en ce moment avec d'autres.
Le président: C'est ce que je voulais dire. Aujourd'hui, nous faisons en sorte de protéger les droits forestiers des autochtones, chose que nous ne faisions pas dans le passé. Cela ne semble-t-il pas indiquer que ces anciens traités n'ont pas été négociés convenablement? Ou que peut-être ces droits sont prévus dans ces anciens traités et que nous ne les avons jamais activés?
Le sénateur Spivak: C'est exactement ce qui se passe dabs les décisions prises à propos de plusieurs affaires judiciaires. D'après l'arrêt Delgamuukw, on commence à comprendre que si un peuple autochtone vit de façon continue -- j'oublie les termes exacts -- dans un secteur donné, il a des droits, particulièrement en Colombie-Britannique, province où aucun traité n'a été conclu.
Le président: Les droits n'ont pas disparu à cause de la signature d'un traité.
Le sénateur Spivak: C'est exact. Dans les secteurs qui font l'objet de revendications territoriales, les Premières nations ne se laissent absolument pas faire, ce dont je ne les blâme pas.
Le président: Nous vous félicitons pour ce que vous avez fait ces quelques dernières années, mais nous vous donnons une petite tape pour ce que le MAINC n'a pas fait ces 40 ou 50 dernières années.
Nous cherchons à savoir si vous allez exercer des pressions sur les provinces pour qu'elles acceptent davantage de cogestion des ressources forestières avec nos peuples autochtones.
M. Wyse: Nous respectons les compétences provinciales. Toutefois, j'aimerais faire mention de la Stratégie nationale sur la forêt que la plupart des gouvernements provinciaux ont récemment signée.
Pour la mise au point de la Stratégie nationale sur les forêts, l'Association nationale de foresterie autochtone a joué un rôle important dans la préparation de la directive stratégique numéro sept, laquelle renferme plusieurs dispositions qui engagent les signataires de l'Accord canadien sur les forêts à régler les genres de problèmes dont vous avez fait mention, notamment la reconnaissance des droits autochtones et issus de traités.
Le sénateur Spivak: Quels sont les sanctions et le mode d'exécution prévus?
M. Wyse: Si je comprends bien, les sanctions ne sont pas concrètes, c'est-à-dire que l'on peut faire intervenir les tribunaux.
La Stratégie nationale sur les forêts et l'Accord canadien sur les forêts seront contrôlés et évalués par des vérificateurs indépendants. C'était d'ailleurs le cas pour l'ancienne stratégie sur les forêts.
Le sénateur Spivak: Il n'y a plus personne sur le terrain dans les provinces à cause des compressions d'effectifs. Personne n'assure ce contrôle. Le gouvernement fédéral ne l'assure pas; par conséquent, comment savez-vous qu'il y a effectivement contrôle?
Le président: Vous occupez-vous de la coupe du bois par les autochtones au Nouveau-Brunswick?
M. Wyse: L'éventail standard des programmes s'applique au Nouveau-Brunswick également. Bien sûr, nous avons traité avec certaines des Premières nations du Nouveau-Brunswick dans le cadre du programme forestier des Premières nations.
Le président: Ce que vous offrez aux autochtones du Yukon est également offert aux autochtones du Nouveau-Brunswick, n'est-ce pas?
M. Wyse: En ce qui concerne l'éventail standard de programmes, oui.
Le sénateur Chalifoux: Pourrions-nous obtenir copies de la Stratégie nationale sur les forêts et de l'Accord canadien sur les forêts?
M. Wyse: Certainement.
Le président: Merci pour votre exposé.
La séance est levée.