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BORE

Sous-comité de la Forêt boréale

 

Délibérations du sous-comité de la
Forêt boréale

Fascicule 9 - Témoignages pour la séance du matin


ROUYN-NORANDA, le mercredi 28 octobre 1998

Le sous-comité de la forêt boréale du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts s'est réuni aujourd'hui à 9 heures afin de poursuivre son étude de l'état actuel et éventuel de la foresterie au Canada en ce qui a trait à la forêt boréale.

Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Mesdames et messieurs bienvenue à la continuation de notre étude touchant la forêt boréale canadienne.

Dr Yves Bergeron, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue: Je voulais profiter de cette occasion pour vous parler un peu de ma vision ainsi que de celle de plusieurs personnes concernant les stratégies qu'on devrait prendre pour préserver la biodiversité de la forêt boréale.

Je vais me limiter à ce sujet, sans en aborder d'autres, bien que je réalise qu'au cours de vos audiences, vous touchez à des aspects beaucoup plus larges que celui-ci.

Il y a deux stratégies de protection de la biodiversité. Souvent en anglais, on parle du «fine grain» et du «coarse grain», du filtre brut et du filtre fin en français. Le filtre fin veut préserver la biodiversité; il faut conserver des endroits où on ne fera pas d'aménagement forestier.

Le filtre brut trouve des stratégies de l'aménagement forestier en modifiant la façon de faire pour favoriser le maintien de la biodiversité en général.

Les deux approches sont nécessaires et complémentaires. On ne pourra pas réussir, par une seule approche, à préserver la biodiversité. C'est peut-être une généralité qui vous a déjà été dite.

La première partie est le filtre fin ou la préservation, la conservation totale. Si on regarde rapidement les statistiques canadiennes, il y a environ 5,5 p. 100 de la superficie du Canada qui est conservée et soustraite à l'exploitation forestière ou minière, et caetera.

La plupart de ces zones, de toute façon, ne seraient pas exploitées. Si vous pensez aux grands parcs canadiens des Rocheuses, je ne pense pas qu'il y ait un jour d'exploitation ou d'aménagement forestier dans ces zones.

Il est recommandé et accepté par la plupart des spécialistes dans le monde un minimum de 12 p. 100 d'aires protégées au Canada. Nous sommes donc très loin d'un tel niveau. Au Québec, la situation est en fait très loin de la moyenne canadienne: nous avons un peu plus de 1 p. 100 du territoire qui est protégé.

Des stratégies gouvernementales pour créer des parcs accroîtraient le taux à environ 4 p. 100. La plupart de ces parcs seront créés en dehors de la zone de la forêt commerciale, donc dans la zone nordique où il n'y a pas d'aménagement forestier. Il est imminent de procéder à la mise à l'écart de certaines zones d'aménagement forestier.

Il reste de moins en moins de forêts vierges au Canada. On a un devoir vis-à-vis le monde parce qu'il n'en reste plus en Scandinavie. La Russie comporte une grande part de la forêt boréale mais elle n'est pas dans une position économique pour préserver sa forêt vierge.

Ici, il ne nous reste que quelques années et non pas des centaines d'années. On évalue entre 5 à 10 ans le terme de la première exploitation de la forêt vierge pour certaines provinces canadiennes. C'est un dommage irréparable.

Je travaille beaucoup avec des gens en Scandinavie. Ils sont obligés de restaurer des forêts naturelles à des coûts astronomiques. Nous les avons encore, il serait peut-être temps qu'on établisse une politique pour les préserver.

Je travaille beaucoup avec les gens de l'industrie forestière. Comme vous le savez je suis titulaire d'une chaire industrielle, je suis au courant de la problématique industrielle. Il est certain que si on enlève des territoires à l'exploitation forestière, il y aura des conséquences économiques, mais elles pourront très facilement être contournées si on acceptait, au Canada, de passer dans certains territoires à une foresterie plus intensive. On fait surtout de la foresterie extensive au Canada; on fait très peu de ligniculture. Au Québec, de fait, nous n'en faisons pas.

La majorité des objectifs en foresterie est de se baser sur la régénération naturelle. En fait, on utilise le reboisement pour pallier le manque de régénération naturelle. On n'a pas décidé de chercher le triple ou le quadruple de la productivité autour des usines et de compenser ainsi le fait qu'on protège des territoires.

Au total, les allocations resteraient les mêmes. Il faudrait passer à une politique de foresterie plus intensive pour certaines parties du territoire.

Ce sont mes commentaires en ce qui a trait au filtre fin ou du moins à la conservation. Il est certain que cela ne sera pas suffisant. Même si on avait 12 p. 100 des aires préservées, il faudrait une foresterie qui essaie de maximiser les habitats pour la faune et la flore. Des pistes intéressantes sont développées à ce sujet.

Une de ces pistes est développée et imagée sur le premier acétate que voici. La foresterie reproduit jusqu'à un certain point la même chose, si on pense à la forêt boréale, que les perturbations naturelles.

Ce diagramme compare un peu les perturbations naturelles et les perturbations créées par l'aménagement forestier. Prenons l'exemple des feux de forêts qui représentent la perturbation la plus omniprésente dans la forêt boréale. Les feux de forêt vont avoir une certaine variabilité récurrentes. Pour cette raison, j'ai parlé d'intervalles de retour.

Les feux peuvent arriver dans des intervalles courts ou longs. Ils peuvent couvrir des surfaces relativement petites, mais également des surfaces de plusieurs dizaines, de centaines et quelquefois de milliers de kilomètres carrés. Ils sont de sévérités très variables.

Si les feux brûlent au printemps, ils vont avoir une sévérité beaucoup plus faible sur le sol puisqu'il est souvent gelé que si les feux brûlent pendant l'été, dans des périodes excessivement sèches, où toute la matière organique va brûler.

Sur ce graphique, le grand cercle donne une idée de la variabilité créée naturellement dans les paysages forestiers. C'est la variabilité naturelle qu'on retrouve dans la forêt boréale. Le petit rond représente ce qu'on pourrait attendre comme variabilité si on prenait le modèle scandinave, par exemple, et qu'on décidait de faire de la forêt intensive partout dans la forêt boréale. Ce n'est pas le cas.

Nous savons que ce n'est pas ce qu'on fait au Canada. C'était pour illustrer que la foresterie ou l'aménagement forestier en général a tendance à diminuer la variabilité qu'on va retrouver naturellement par les perturbations naturelles.

Par cela, je veux vous démontrer l'aspect positif. L'aménagement forestier en soi ne va pas contre nature. Les coupes à blanc dans la forêt boréale ne sont pas contre nature parce que la forêt boréale est contrôlée par des perturbations et par des feux de forêt.

Ce n'est pas une forêt qui est stable pendant des dizaines et des centaines d'années. Il ne s'agit pas la forêt tropicale. La forêt boréale est un milieu excessivement perturbé. L'aménagement forestier en soi n'a pas un caractère intrusif très éloigné de ce que la nature fait. Cependant la nature le fait d'une façon beaucoup plus diversifiée que la foresterie ou l'aménagement forestier.

Nous devons être conscients qu'en faisant de l'aménagement forestier, on tend à diminuer la variabilité d'habitats observée à l'échelle des forêts. Il faut donc s'attarder à une foresterie qui n'en soit pas une tendant à normaliser la forêt au point d'en diminuer la diversité.

Mon message est que les interventions forestières en tant que telles ne mettent pas en danger la biodiversité. Le cumul des interventions forestières sur l'ensemble du paysage est à prendre en considération. L'acétate suivant va peut-être illustrer mon propos.

Dans l'Ouest ou l'Est du pays et en raison du climat, la rotation forestière est d'environ 100 ans. C'est donc dire que cela prend 100 ans avant de récolter les forêts. Si on veut normaliser les forêts, toutes les forêts vieilles de 100 ans seront exploités et seront remises à un stade plus jeune.

Relativement aux cycles de feux, au Canada, ils vont de 50 à 250 ans et même plus. Cela signifie qu'au terme d'un cycle de feux de 100 ans, le territoire aurait été tout brûlé ou au bout de 200 ans, le territoire aurait tout brûlé.

Je vous ai mis sur le graphique la proportion du territoire qu'on retrouverait si on avait des cycles de feux de 50 à 250 ans où on aurait des forêts plus vieilles que 100 ans et que 200 ans. Vous pouvez voir qu'une proportion s'accroît de façon relativement importante en termes de peuplement. Certaines sont plus vieilles que l'âge de rotation. Si on normalise la forêt, on va perdre la composition des forêts surmatures, on va perdre la structure et les caractéristiques d'habitats de ces forêts.

C'est donc une chose importante. Il faut retenir qu'il faut faire attention à la façon dont les forêts sont aménagées et ne pas normaliser la forêt de manière à perdre. Dans certains cas, par exemple, en Abitibi, on travaille avec des cycles de feux qui sont bien au-dessus de 150 ans, ce qui nous procure des forêts relativement anciennes. Des forêts de 150 ou 200 ans, dans le territoire, au nord, sont communes. Ces forêts ont une structure et une composition qu'il faut préserver comme habitat.

Je vous ai transmis un document donnant des suggestions afin d'atteindre l'objectif de maintenir la structure et la composition des peuplements qui sont au-delà de l'âge de rotation sans cependant diminuer l'allocation de bois. Une des méthodes ne consiste pas à laisser vieillir les forêts mais plutôt de développer des systèmes sylvicoles qui recréent la composition ou la structure des peuplements plus âgés.

Plutôt que d'avoir un seul type d'approche qui normalise les forêts à un niveau particulier, nous préconisons d'avoir plusieurs approches sylvicoles qui sont distribuées dans le paysage et qui permettent de préserver la variabilité. C'est la meilleure façon de préserver la biodiversité parce qu'on va recréer une diversité d'habitat, et de ce fait, les organismes qui habitent la forêt vont y retrouver leur compte.

Je dois dire en terminant que ce genre de discours est très bien reçu par les organismes gouvernementaux ainsi que par l'industrie forestière. On a même gagné des prix pour avoir présenté cette approche. Gagner des prix est agréable pour un chercheur, mais si cela mérite un prix, c'est peut-être parce que l'idée est intéressante et qu'il est temps de la mettre en application. Cela tarde beaucoup.

Si vous regardez dans la majorité des documents gouvernementaux, on dit toujours qu'il faut faire de la recherche. C'est très bien. Nous avons des résultats de recherches qui donnent des pistes. Il serait temps de les prendre, de les implanter et de les donner comme objectifs aux industries forestières.

J'étais en Alberta la semaine dernière. J'ai visité l'équivalent du CAF ou le FMA de la compagnie Alpac. Ils sont à mettre en application en Alberta cette approche qui essaie d'imiter la nature. Ce n'est pas le gouvernement qui pousse mais bien les industries qui favorisent la mise en place de cette vision.

Dans l'Est, c'est beaucoup plus difficile qu'en Alberta parce que nous sommes dans un système où les compagnies sont vraiment à la limite des allocations de bois. Dès qu'on essaie d'implanter un nouveau système, cela crée des difficultés avec les allocations de bois. C'était plus facile en Alberta vu qu'il s'agissait de territoires récemment ouverts.

Les modèles existent et il faudrait maintenant passer à leur application. Je suis très heureux de participer comme titulaire d'une chaire industrielle en aménagement forestier durable. C'est un peu le mandat que je me suis donné de travailler avec les industriels forestiers afin de passer de message.

[Traduction]

Le sénateur Stratton: Je suis intrigué par votre réponse à un sujet en particulier, soit l'affirmation qu'il ne reste pas suffisamment de réserves naturelles aujourd'hui. Votre graphique montre des projections de 200 ans et je pense que, dans ce genre d'affaires, il faut voir aussi loin que ça pour tenter de déterminer comment on gérera la ressource. À cet égard vous nous avez dit que différentes pratiques peuvent être incorporées.

Essentiellement, nos forêts deviennent comme nos prairies. Elles deviennent de vastes étendues de terrain sur lesquelles on fait pousser des arbres plutôt que du grain. Essentiellement, nous cultivons un produit différent. Je pense qu'il ne reste qu'une petite aire au Manitoba qui soit encore naturelle. La biodiversité, plus spécifiquement, la flore et la faune ont survécu et se sont adaptées, bien que l'on ne puisse pas dire cela du bison.

Si l'on envisage la gestion de la forêt comme une ressource à cultiver en plantation, sûrement plusieurs espèces peuvent y évoluer. Les marchés mondiaux continueront de faire pression sur nous pour assurer l'offre et les compagnies continueront de faire pression sur nous pour faire face à la demande. On fera aussi continuellement pression sur nous pour fournir des emplois. Les gouvernements doivent tenter d'assurer la création d'emplois dans la mesure du possible. Les emplois paient bien dans cette industrie surtout à la couche supérieure de la production, les moulins.

En envisageant les 100 ou 200 prochaines années, comment pouvons-nous aller au devant de ces pressions en reconnaissant que nous devrons gérer cette vaste région de la façon que nous avons géré les prairies par le passé? Essentiellement, on fera pousser des arbres sur les fermes. Bien entendu, le cycle de récolte sera beaucoup plus long. Cette façon de voir peut sembler radicale, mais je crois que nous devons envisager cette ressource de façon à mettre de coté des aires ou des régions appropriées comme réserves fauniques où l'on peut protéger les diverses espèces qui peuvent être touchées par ce changement.

M. Bergeron: Je crois que j'ai dit cela, si nous voulons préserver les terres forestières, il y aura un coût. Bien entendu, si on met de coté une aire quelconque et la soustrayons de l'activité forestière, il y aura un coût. Nous pouvons tenter d'améliorer l'aménagement forestier dans certains endroits et commencer à faire de la foresterie intensive pour contrebalancer ce coût. Nous ne faisons pas cela beaucoup au Québec ou, en général, dans le reste du Canada, avec l'exception peut-être de la Colombie- Britannique. Nos devons prendre cette orientation.

Je ne crois pas que le Canada deviendra une vaste plantation. Nous avons l'avantage, au Canada, d'avoir une grande assise territoriale que nous pouvons gérer en utilisant de la foresterie extensive.

L'autre stratégie est de faire de la foresterie extensive et de préciser des objectifs pour préserver la biodiversité.

Ce que je propose aujourd'hui ne coûtera pas un seul mètre cube de bois. Il est possible, avec ces objectifs en tête, de garder la même activité économique, le même écoulement de bois. Le problème est que nous n'avons pas fixé ces objectifs. Personne dans le domaine n'intègre ces objectifs dans son plan de gestion. S'ils étaient intégrés aux plans de gestion des compagnies, ces dernières continueraient de réussir. Il est facile pour les gens qui mettent l'accent sur le développement économique de rejeter quelque chose parce que cela ajoutera à leurs coûts. Ils ne veulent pas en parler. C'est plus compliqué de s'en occuper et de maintenir un certain niveau d'activité économique.

C'est le message que je vous apporte aujourd'hui.

[Français]

Le sénateur Gill: Vous avez mentionné que la norme convenable serait d'avoir 12 p. 100 de forêt naturelle. Au Québec, il y en a 1 p. 100.

M. Bergeron: Il y en a un petit peu plus que cela.

Le sénateur Gill: Quelle serait la norme convenable, la base de référence du 12 p. 100?

M. Bergeron: En fait, je ne sais pas si 12 p. 100 est le chiffre exact. On se réfère au rapport Bruntland où cette norme avait été fixée. Au sommet de Rio, le Canada était signataire du traité où des normes de pourcentage de zones préservées avaient été fixées. On devait atteindre ce pourcentage.

Le Canada, le Québec et toutes les provinces sont à essayer de trouver des solutions pour arriver à cette norme en additionnant des territoires qui ne sont finalement pas des territoires préservés.

Par exemple, un Américain qui regarde la carte routière du Québec nous dit: vous êtes bien chanceux d'avoir tant de parcs, au Québec. Ces parcs, en vert sur notre carte routière, sont en grande partie des réserves fauniques. Sur les réserves fauniques, il se fait le même type d'intervention et d'aménagement forestier que sur les terres de la Couronne adjacentes.

Si on additionne ces territoires à des zones préservées, ce n'est que de la poudre aux yeux puisque ces territoires ne sont pas des zones préservées. C'est ce qu'on est en train de faire. Beaucoup de fonctionnaires provinciaux et fédéraux sont en train d'additionner toutes les zones possibles pour essayer d'arriver au 12 p. 100.

Mais un jour, quelqu'un devra leur dire clairement qu'il y a conservation et conservation et qu'il n'y a pas une tache verte sur une carte s'il se fait de l'aménagement forestier, de l'exploitation minière, de l'exploitation pour l'énergie dans une zone donnée.

Ce n'est pas une zone de conservation, c'est une zone comme les autres. Elle est en vert parce qu'on a décidé de la mettre verte sur une carte.

Le sénateur Gill: Vous parliez de 1 p. 100 au Québec. Est-ce que cela comprend les terres ou les territoires en haut du 50e parallèle?

M. Bergeron: Non, je pense que c'est inclus.

Le sénateur Gill: Le 1 p. 100 est inclus?

M. Bergeron: Oui.

Le sénateur Gill: Au total?

M. Bergeron: Oui.

Le sénateur Gill: Même si vous allez vers l'Arctique, vers la Baie de James?

M. Bergeron: Oui, mais ce n'est pas conservé. C'est une des façons que le Québec peut se sortir un peu du pétrin. Il y a beaucoup de projets de parcs provinciaux dans la zone «subarctique», on va donc augmenter le pourcentage préservé.

Écologiquement, le pourcentage global des territoires préservées du Québec ou du Canada ne veut rien dire s'il n'est pas distribué en fonction des différents écosystèmes et des différentes régions.

La région d'Abitibi-Témiscamingue, la région 08, a un seul parc. On est bien en bas du 1 p. 100 dans cette région. En Colombie-Britannique, ils vont monter à 9 p. 100 à cause des Rocheuses. Il faut voir la distribution en fonction de la variabilité du territoire. On ne peut pas dire: on va tout garder l'Arctique puis cela va compenser pour la forêt boréale sud.

Je n'ai pas de statistiques pour la forêt boréale, mais je ne serais pas surpris que le pourcentage de conservation soit bas. C'est une forêt très fortement utilisée, la pression à l'utilisation pour l'aménagement forestier est assez grande pour que les parcs aient été aménagés dans les montagnes ou dans d'autres endroits.

Le sénateur Gill: Hier, nous avons visité un peu partout et nous avons aussi entendu parler du tourisme. Vous avez parlé tantôt de la faune, de la flore, des habitats naturels et de l'industrie forestière. Vous parlez des coupes à blanc qui, apparemment, ne seraient pas mauvaises. Ce n'est peut-être pas mauvais pour les forestiers, mais c'est peut-être très mauvais pour les autochtones qui chassent et trappent. Cela peut être néfaste pour ceux qui font des visites en forêt et qui veulent les garder. Comment conciliez-vous tout cela?

Il y a différents utilisateurs et divers intérêts. La forêt offre beaucoup de retombées économiques. Qu'est-ce qui nous dit que dans 10, 15, 20, 30 ou 50 ans, les territoires à l'état naturel, pour le tourisme et pour les utilisateurs locaux, ne seront pas la priorité et ne prendront pas le dessus sur l'exploitation forestière?

M. Bergeron: J'ai vraiment axé mon argumentation sur l'aspect de la préservation de biodiversité. Je suis très en accord avec le fait qu'il y a d'autres ressources et d'autres utilisateurs et qu'il y a des compromis qui doivent être pris en considération.

Cependant, les écologistes croient, c'est peut-être technocratique, que si l'écosystème est en santé, les populations qui habitent l'écosystème vont l'être aussi. Donc, l'emphase est mise souvent sur la préservation de l'écosystème. Si on réussit à le garder productif, si on réussit à le garder diversifié, bien normalement, la personne qui utilise ce territoire va être capable de trapper. Les gens qui veulent se recréer vont avoir ce qu'ils veulent et, les gens qui en vivent vont pouvoir exploiter la forêt d'une façon productive.

Cela veut dire une idéologie de base qui existe, qui ne doit pas être poussée à l'extrême mais qui a un fondement réel. Si on développe un aménagement forestier durable ou une foresterie durable qui maintient l'écosystème en santé, nous aurons une productivité, une diversité des habitats et les autres utilisateurs seront aussi satisfaits.

Nous devons travailler fort dans ce sens plutôt que de toujours essayer de trouver des compromis. Les compromis sont ceux des utilisateurs: je veux de l'orignal; toi, tu veux de la forêt; toi, tu veux du paysage. Il n'est pas sûr que le compromis ne va pas mettre en péril la santé de l'écosystème et son intégrité.

Tout le monde veux avoir une ressource particulière puis la somme de celles-ci. Même si on réussit à faire un compromis, il se peut que l'écosystème perde sa productivité et que nous perdions la diversité.

Il faut voir le problème à l'envers et penser à la santé et à l'intégrité de l'écosystème. Les autres utilisateurs, par la force des choses, seront bien servis.

Le sénateur Gill: Il est difficile dans une société de ne pas penser à des compromis face aux différents utilisateurs. En tenant compte de la biodiversité et de la santé, est-ce que cela signifie que les gens devront avoir des connaissances à peu près égales dans tous les domaines et dans toutes les spécialités -- la foresterie, le tourisme, la trappe, la chasse, le tourisme -- pour que cela soit mis en pratique? Est-ce réaliste?

M. Bergeron: Si on fait de la gestion intégrée avec plusieurs utilisateurs, il faut qu'il y ait un représentant de la veuve et de l'orphelin, comme je dis souvent, quelqu'un qui représente l'intégrité, le maintien de la santé et la de productivité des écosystèmes.

Avec un compromis d'utilisateurs, si ce n'est que cela, on risque de se retrouver dans une situation où la pression sur le milieu va être plus grande que s'il y en a juste un.

Des essais peuvent s'additionner. Il est essentiel qu'il y ait quelqu'un ou un groupe d'une forte représentation à ces tables de gestion intégrée ou d'aménagement durable. C'est ainsi dans les critères et les indicateurs de la foresterie durable. Il y a des critères et des indicateurs biophysiques de maintien de la biodiversité, de maintien de la productivité ou de l'intégrité des écosystèmes.

Je suis bien d'accord avec vous qu'il devra y avoir des compromis. Les compromis ne seront peut-être pas des pertes de volume de bois. À titre d'exemple, vous avez rencontré hier Johanne Morasse, chef-forestier chez Norbord. On a un projet en collaboration au sein duquel elle est intéressée à exploiter une nouvelle approche sylvicole, dans le Nord, où elle va maximiser le volume de bois.

Il arrive que cette approche sylvicole est exactement ce que je proposais pour essayer de recréer la biodiversité dans ce territoire plutôt que de faire uniquement un type d'exploitation.

Une étudiante travaille avec Johanne et moi; je ne serais pas surpris qu'à la fin de ce programme, on se rende compte qu'on a réussi à maximiser les deux: augmenter la production de bois et recréer un habitat qui n'existait pas dans la foresterie telle qu'elle est pratiquée traditionnellement.

Il n'est pas obligatoire qu'il doive y avoir un coût. Il faut d'abord fixer les objectifs, faire les simulations en fonction des objectifs de foresterie durable et on verra par la suite s'il y a des compromis à faire. Mais actuellement, on ne le fait pas. Dans le moment, «business as usual», on simule la production de matières ligneuses. Il est temps de nous fixer d'autres objectifs.

[Traduction]

Le président: Je ne suis pas certain que je comprenne votre proposition de mettre de coté de 10 à 12 p. 100 du terrain comme intouchable, du terrain qui serait presque comme un parc. Comment y traiter les feux de forêt? Laisseriez-vous la nature suivre son cours ou les empêcheriez-vous ou tenteriez-vous de les retarder? Il semble, d'après ce que j'ai entendu, que si une surface reste trop longtemps sans feu, lorsqu'il y en a un qui se déclare, il devient si chaud à cause du matériel combustible accumulé que ce feu change tout le système. Même en retardant la lutte contre le feu, vous changez le système. Si vous l'éteignez immédiatement, vous évitez cela. Que feriez-vous des feux de forêt dans ces zones intouchables?

M. Bergeron: De quelle partie du Canada venez-vous?

Le président: Du Nord de l'Alberta.

M. Bergeron: L'idée est que si l'on permet au combustible de s'accumuler, le feu brûlera rapidement, comme dans l'ouest des États-Unis. En Arizona et au Colorado, ils ont contrôlé les feux efficacement, par conséquent il y a eu une accumulation de combustible. Maintenant, lorsqu'ils ont un feu, c'est un très gros feu.

Le président: Yellowstone National Park en serait un exemple.

M. Bergeron: Oui. D'après la documentation scientifique sur la forêt boréale, jusqu'à maintenant cela n'est pas le cas. Dans la forêt boréale, nous avons un régime de feux de forêt qui sont des feux de cimes. Ils sont rares mais lorsqu'ils se produisent ils brûlent un très grand territoire, donc l'accumulation de combustible n'est pas importante. Lorsqu'il est temps de brûler, quel que soit l'âge du peuplement forestier, il brûle. La sévérité du brûlis peut varier, mais il brûle. Ce n'est pas une préoccupation dans le cas de la forêt boréale.

En Arizona, au Colorado et à Yellowstone, ils ont un système double ou il y a des feux de surface pendant un certain temps et, si on tient le niveau de combustible bas, ils ne se transforment pas en gros feux qui brûlent les cimes. Nous n'avons pas ce système dans la plupart des parties de la forêt boréale. On le retrouve dans les parties de la forêt boréale où il y a du pin, mais dans la forêt boréale à épinette ou à peuplement mixte, cela ne se produit pas.

Pour ce qui est de savoir comment on traite le feu, nous devons admettre que nous ne pouvons pas éteindre tous les feux. Il doit y avoir une zone tampon lorsqu'on fait les allocations de bois parce qu'il est impossible de contrôler tous les feux. Lorsque vous demandez à ceux qui sont responsables de contrôler les feux s'ils peuvent contrôler la grandeur de la superficie brûlée, ils admettront qu'ils peuvent contrôler plusieurs feux, pour environ 10 ans, mais qu'alors il y en a un très gros qui brûle l'équivalent de ce qui a été contrôlé pendant 10 ans.

Ils font maintenant de l'exploitation forestière de sauvetage après un brûlis afin de ne pas perdre le bois. Cette pratique pose un problème parce que lorsque vous coupez la forêt, vous sortez les arbres, mais lorsque vous brûlez, vous sortez la matière organique. Peut-être que sortir les deux, c'est trop pour l'écosystème. L'un ou l'autre est acceptable, mais les deux, c'est peut-être trop.

Le président: Je pense aux aires protégées. Supposons que nous ayons 12 p. 100, ce qui est une très petite forêt, lorsqu'un feu commence, dirait-on «que Dieu s'en occupe», ou que devrions-nous faire?

M. Bergeron: Dans le passé, la stratégie était de créer de grands parcs comme celui de Wood Buffalo dans le nord de l'Alberta et Yellowstone. Cependant, les gens qui se spécialisent en biologie de la conservation vous diront que la meilleure façon de protéger une grande surface est de créer des parcs plus petits et de les répartir. Certains brûleront, mais pourquoi pas? Un brûlis récent est aussi naturel qu'un vieux peuplement, et il est différent, à des fins de conservation, d'une coupe à blanc. Il n'y a pas de comparaison. On ne peut pas préserver la même biodiversité avec une coupe à blanc qu'avec un brûlis récent.

Le président: Si vous étiez le responsable, permettriez-vous de l'exploitation forestière au nord du 52e parallèle au Québec?

M. Bergeron: Si je m'assoyais et je tenais compte de toutes les préoccupations dont il faut tenir compte pour prendre une telle décision, je ne peux pas dire que je ne le permettrais absolument pas. Nous devrions prendre le temps de bien étudier chaque aspect de ce qu'il faut faire.

Le problème dans le Nord est que le cycle du feu est très court. Il s'agit d'être certains que nous voulons investir. Si nous coupons, c'est parce que nous voulons régénérer, mais cela coûtera très cher.

Je ne peux pas vous répondre de façon définitive.

Le sénateur Mahovlich: Le parc Algonquin est très près d'où j'ai passé mes étés et il y a de l'exploitation forestière là. Avez-vous étudié la région du parc Algonquin, et savez-vous si l'exploitation forestière est bien contrôlée dans cette région?

De plus, chaque fois que je circule dans le parc, je vois trois ou quatre orignaux. La chasse à l'orignal est-elle permise dans le parc?

M. Bergeron: Je n'ai pas l'intention d'essayer de vous convaincre que si nous faisons de l'exploitation forestière nous perdrons tout. Bien sûr, ce n'est pas le cas.

Un des arguments souvent utilisés par les gens qui disent que la biodiversité n'est pas un facteur est que notre diversité biologique au Canada est de beaucoup supérieure à ce qu'il y a ailleurs. La Scandinavie a des problèmes, l'un étant qu'elle a trop d'orignaux et de chevreuils. Les feuillus ne poussent pas en Scandinavie parce que les orignaux et les chevreuils mangent tout. Ils doivent clôturer des aires s'ils veulent faire pousser des feuillus.

De façon générale, ici nous exploitons surtout la forêt vierge et nous ne verrons donc pas de baisse de la diversité biologique demain. On la verra lorsqu'on fera la deuxième passe. Les gens en Scandinavie l'ont faite aux XVIIe et XVIIIe siècles. Je ne crois pas que nous devrions dire que parce que la situation n'est pas aussi mauvaise ici qu'ailleurs, nous devrions faire la même chose.

Le sénateur Mahovlich: Nous pouvons tirer des leçons des erreurs des Européens. C'est là notre avantage. Par exemple, il y avait des chalets tout autour des lacs dan la région du parc Algonquin. Les gens n'ont plus le droit d'avoir ou de construire des chalets là. On demande à ceux qui en ont à cet endroit de les faire détruire à leur mort. Ils veulent rendre l'endroit aussi naturel que possible pour les touristes et pour le bois. Est-ce que ça marchera?

M. Bergeron: Je ne crois pas qu'il y a de l'exploitation forestière présentement dans le parc Algonquin, quoiqu'il y en a eu dans le passé. C'est un parc provincial. La plus grande partie du parc Algonquin a été créée après l'exploitation forestière. La plupart des parcs ont d'abord été exploités puis transformés en parcs. Je ne suis jamais allé au parc Algonquin.

Le sénateur Mahovlich: Je regrette, je pensais que vous le sauriez peut-être.

M. Bergeron: J'ai entendu parler du parc. J'ai beaucoup lu au sujet de l'histoire du feu dans le parc parce qu'elle a été documentée. La plupart des parties du parc ont été exploitées dans le passé mais il n'y a plus d'exploitation forestière là.

Le sénateur Mahovlich: Je pense que vous devriez vérifier cela.

Êtes-vous au courant de la cause ontarienne où des écologistes ont traduit le gouvernement de l'Ontario en justice au sujet de l'exploitation forestière dans le parc Temagami?

M. Bergeron: Oui, je l'ai suivi, mais à distance.

Le sénateur Mahovlich: Le gouvernement de l'Ontario a perdu. Le gouvernement provincial a permis aux compagnies forestières d'y aller et de couper la forêt. L'exploitation forestière n'a pas été planifiée correctement et je crois qu'elle a vraiment perturbé la réserve dans cette région. Je pense que ce jugement est un pas dans la bonne direction.

Quelle sera votre prochaine étape dans la mise en oeuvre de vos théories, ou avez-vous heurté un mur?

M. Bergeron: Nous avons heurté un mur dans la mesure où cette question est reliée à la conservation parce que c'est à vous, le gouvernement, de faire avancer le dossier. Ce n'est pas une question pour la communauté scientifique. Les arguments au sujet de la protection des aires ont été présentés. C'est maintenant l'affaire du gouvernement.

Le sénateur Mahovlich: Je crois que la question est de juridiction provinciale plutôt que fédérale.

M. Bergeron: J'en suis conscient.

Le sénateur Mahovlich: Vous avez heurté un mur.

M. Bergeron: Vous pouvez créer un parc national là où vous voulez.

Toutefois, en ce qui concerne l'autre aspect, soit celui de modifier la façon de faire de l'exploitation forestière, je ne me suis pas heurté à un mur. J'aimerais progresser plus rapidement. Je pense qu'il faut accélérer le rythme. Le mur existe à cause du fait qu'il sera plus facile de faire la mise en ouvre dans la forêt vierge qu'à la deuxième passe. L'aire de la forêt vierge diminue rapidement.

Le sénateur Mahovlich: Combien de forêt vierge nous reste-t-il au Québec et en Ontario? Survivra-t-elle un autre 20 ans?

M. Bergeron: Il y a peu d'exploitation forestière sur la cote nord du Québec, donc il reste encore une aire considérable de forêt vierge à cet endroit. Il y a de l'exploitation forestière au nord du 50e parallèle alors nous sommes près de la limite de la forêt commerciale. Bien entendu, on a laissé de la forêt vierge. On ne coupe pas tout. Cependant, la plupart des terrains forestiers productifs sont coupés à la première passe parce que c'est leur première sélection.

Le sénateur Mahovlich: Est-ce que sont des forêts de premier ordre?

M. Bergeron: Oui, ce le sont. Dix ans, c'est probablement le maximum dans cette partie du monde. Cependant, il y a encore de la forêt vierge dans d'autres parties du Québec.

[Français]

Le sénateur Gill: Avant-hier, les sénateurs ont pris l'avion à Ottawa et sont allés au grand lac Mistassini. Quelques-uns des sénateurs ont été très impressionnés de voir les grands espaces de coupes à blanc, du côté de Chibougamau et tout ce secteur.

Une coupe à blanc veut dire que la flore en grande partie est affectée mais la faune est aussi touchée. Quand la faune est affectée, elle prend énormément de temps à revenir. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Bergeron: Je ne suis vraiment pas un spécialiste de la faune.

Le sénateur Gill: Non, vous êtes un spécialiste de la forêt?

M. Bergeron: Oui, je suis un spécialiste de la forêt. Par exemple, les ouvriers albertains qui travaillent dans un système où ils ont beaucoup de territoire le font avec deux passes. On a un problème de manque de ressources ligneuses et on a tendance à dérouler le tapis.

Au lieu de faire des blocs de coupe et de revenir dans une deuxième passe, on a tendance à prendre les territoires et à les couper sur de très grandes superficies. Cela devrait être repensé. Ce n'est pas la coupe à blanc qui en soi est mauvaise, ce sont les superficies couvertes par la coupe à blanc dans une unité particulière qui est le problème. C'est ce qu'il faudrait revoir.

Toute une question d'infrastructure routière et de préoccupations économiques font que lorsqu'ils sont dans un territoire, ils préfèrent prendre une grande portion du territoire. Ceci devrait être changé. Il faudrait qu'on fixe des balises sur la quantité de territoire affectée par la coupe à blanc.

Ce n'est pas la coupe à blanc comme tel le problème, c'est le cumulatif de l'ensemble de coupes à blanc qui, lui, est probablement un problème important.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, professeur Bergeron. Vous nous avez donné matière à réflexion. Si vous reconnaissez certaines de vos idées exprimées dans notre rapport, vous saurez d'où elles viennent.

Nos prochains témoins sont de la Nation crie d'Oujé-Bougoumou, M. Joseph Shecapio-Blacksmith et M. Roger Lacroix. M. Jack Blacksmith comparaît pour le Grand conseil des Cris.

La parole est à vous, monsieur Joseph Blacksmith.

M. Joseph Shecapio-Blacksmith, agent local de l'environnement, Nation crie d'Oujé-Bougoumou: Monsieur le président, honorables sénateurs, mesdames et messieurs, de la part du Conseil de la Nation crie d'Oujé-Bougoumou, j'aimerais vous remercier de nous avoir invités à faire une présentation à ce sous-comité et de nous avoir donné l'occasion de présenter notre point de vue sur cette question d'actualité fort importante.

Oujé-Bougoumou est une communauté crie située dans la région de Chibougamau-Chapais au Québec et qui fait partie de la grande Nation crie. De 1991 à 1995, nous avons construit un nouveau village dans cette région. La raison pour laquelle nous avons construit à cet endroit est reliée à une partie importante de notre histoire. Nous avons eu d'autres villages par le passé, sept depuis 1920. Cependant, à chaque fois que nos gens s'établissaient quelque part, une compagnie minière venait et voulait ce qu'il y avait sous nos villages et décidait, avec des gouvernements accommodants, de nous déménager de force. Nos villages étaient détruits. La dernière fois fut en 1970.

Nos gens se sont dispersés sur notre territoire traditionnel, vivant dans des conditions très difficiles, en marge de la vie sociale, économique et politique qui se développait sur notre propre territoire. Un mode de vie complètement inconnu se développait autour de nous et il va sans dire que ce mode de vie ne nous engageait pas et que nous n'en profitions pas.

À partir du début des années 80, nous avons commencé une lutte politique sérieuse pour faire accepter nos droits d'avoir un village permanent dont l'existence ne serait pas sujette aux caprices de l'industrie et du gouvernement. Nous avons éventuellement obtenu cette reconnaissance et nous avons conclu des ententes ave la province de Québec en 1989 et avec le gouvernement du Canada en 1992 qui comprenaient des contributions financières de chaque palier de gouvernement pour la construction d'un nouveau village.

Au cours de toute cette longue période d'efforts politique, nous avons eu l'occasion d'établir des principes de planification de base qui nous guideraient éventuellement dans la construction de notre village. Nous avons cherché conseil auprès de nos aînés et demandé leur avis sur la façon de procéder pour construire notre nouveau village et pour savoir ce qu'il fallait y mettre. Ils nous ont dit que notre nouveau village devait rencontrer trois objectifs fondamentaux.

D'abord, ils nous ont dit que nous devions construite un village qui serait en harmonie avec le milieu. Nos gens ont vu une si grande partie de leur territoire traditionnel saccagé par les industries minière et forestière qu'il était très important de ne pas ajouter aux effets négatifs déjà accumulés. Notre philosophie traditionnelle donne de la valeur à la conservation et à l'harmonie avec le milieu nature. Nous ne prenons de la nature que ce dont nous avons besoin et nous utilisons toutes les parties de ce que nous prenons. Nous gaspillons très peu.

Deuxièmement, nos aînés nous ont dit que le village devait être économiquement viable. Notre cause ne progresserait pas si on ne construisait qu'un ghetto de bien-être dans la brousse. Il fallait plutôt assurer de l'emploi continu pour nos gens et prévoir des emplois pour notre population croissante.

Troisièmement, ils nous ont dit de construire un village qui serait compatible avec notre culture crie. Il ne suffirait pas d'importer un concept ou un modèle de village du sud et de supposer qu'il serait approprié à notre milieu. Le nouveau village devait refléter des aspects importants de notre culture et de nos traditions.

Lorsque nos aînés eurent exprimé leur sagesse, il fut toujours compris que ces trois principes directeurs se situaient dans un contexte qui supposait une continuité de la façon de vivre crie, d'une génération à l'autre, en perpétuité.

Ce que nos aînés nous ont dit, dans leur langue et dans leurs mots, c'est que nous devions construire un village sur la base de ce qui est maintenant connu comme le concept de «développement durable». Pris ensemble, ces trois principes de planification reflètent des éléments philosophiques importants de notre mode de vie traditionnel.

C'est en fonction de cet ensemble de croyances que nous avons adopté une approche unique à l'architecture du village, à la conception d'un programme de logement novateur, et à l'installation d'un système d'énergie alternative approprié.

Le village d'Oujé-Bougoumou, son apparence et sa façon de fonctionner sont fondés sur ces anciennes traditions et philosophies du peuple cri. Il représente une intégration réussie et progressiste des valeurs, des philosophies et des points de vue traditionnels dans un contexte contemporain, avec des édifices modernes et de la technologie contemporaine. Notre système d'énergie alternative pour le chauffage est un exemple de cette intégration et de cet équilibre. Dans notre système de chauffage pour le village, nous transformons les déchets industriels produits par les scieries de la région en énergie de chauffage.

Par ce processus, nous réduisons les coûts en énergie, nous gardons des dollars d'énergie dans la communauté et nous créons de l'emploi. C'est sain pour le milieu et cela donne des avantages socio-économiques importants à la communauté.

Ces principes nous ont guidé tout au long de l'étape de construction de notre village et continuent de nous guider dans nos principales entreprises de développement communautaire.

Notre système d'énergie, notre programme de logement, en fait toute notre approche de développement communautaire global sont la preuve que les philosophies et les pratiques traditionnelles des Autochtones sont pertinentes dans la création de communautés durables contemporaines.

Bien que la construction novatrice de notre village ait été un succès et que nos efforts aient été reconnus sur les plans national et international, nous nous sommes demandé: jusqu'à quel point avons nous mis en oeuvre une stratégie de développement qui est vraiment durable? Aussi novateurs et créateurs que nous ayons été dans nos efforts de développement communautaire, jusqu'à maintenant tout ce que nous avons réussi c'est de construire un village. Jusqu'à maintenant, non n'avons créé que l'enveloppe physique à l'intérieur de laquelle les gens vivront, une simple coquille.

Le conseil d'Oujé-Bougoumou se penche sérieusement maintenant sur les questions visant à assurer que ce que nous avons bâti sera durable à long terme et que la communauté demeurera vibrante et viable. Nous étudions des possibilités de développement économique pour jeter les assises d'une viabilité à long terme. Nous voulons nous engager dans la foresterie. Nous voulons nous engager dans l'exploitation minière. Nous voulons nous engager dans le tourisme.

Toutefois, notre engagement dans ces secteurs économiques doit se faire selon de façon raisonnable, ce qui veut dire qu'il faut sérieusement se pencher sur le sens du mot «durable»: durable pour les ressources, durable pour le milieu et pour l'habitat, et durable pour notre mode de vie traditionnel. On ne peut pas dire que les pratiques actuelles de développement des ressources dans notre territoire, surtout dans le domaine forestier, respectent cette façon de voir le développement durable.

Au Québec, comme ailleurs au Canada, des pratiques forestières non appropriées et non durables dans le sud de la province ont obligé les opérations forestières à se déplacer de plus en plus vers le nord afin d'obtenir les ressources forestières nécessaires pour alimenter une industrie qui est essentiellement axée sur une utilisation intensive de capitaux. En se déplaçant de plus en plus vers les régions éloignées, on n'a pas tenu compte des questions fondamentales au sujet de la non-durabilité des pratiques industrielles. L'approvisionnement en bois dans le territoire traditionnel d'Oujé-Bougoumou n'est pas géré avec une perspective de perpétuité.

Le territoire traditionnel d'Oujé-Bougoumou couvre une superficie d'environ 8500 kilomètres carrés. De ce territoire, environ 5500 kilomètres carrés sont de la forêt productive. Entre 1969 et 1990, 1000 kilomètres carrés de la forêt d'Oujé-Bougoumou ont été coupés. On estime qu'entre 1991 et 1996 il y a eu une augmentation de 289 kilomètres carrés de coupe à blanc, et qu'un autre 172 kilomètres carrés seront coupés entre 1997 et 1999. Donc l'estimation totale de terrain coupé d'ici 1999 sera d'environ 1461 kilomètres carrés. Cela veut dire qu'environ 27 p. 100 des terres forestières productives dans Oujé-Bougoumou auront été coupées d'ici 1999. À ce rythme, on prédit qu'en moyenne environ 48,7 kilomètres carrés par année seront coupés, ce qui donnera une coupe totale de chaque kilomètre carré productif d'Oujé-Bougoumou d'ici l'an 2080.

L'âge d'exploitabilité des forêts sur le territoire d'Oujé-Bougoumou est plus élevé que ce qui serait durable dans le contexte des pratiques de coupe actuelles. Aux taux de coupe actuels, pour les forêts du nord de la province, nous arriverons à un scénario d'effondrement de l'exploitation forestière (d'épuisement des ressources forestières) d'ici le milieu ou la fin du prochain siècle. Notre forêt sera coupée plus rapidement qu'elle ne peut se régénérer et il ne nous restera qu'un désert dans un avenir plus ou moins lointain.

L'an 2080 peut sembler loin à certains parmi vous, mais nous devons songer à notre occupation à long terme de notre territoire, à notre capacité à long terme de préserver ou de conserver notre mode de vie traditionnel et à la viabilité à long terme de notre communauté. Nous sommes les vrais résidents permanents de notre territoire. Nous n'irons pas ailleurs. Pour nous, ayant occupé notre territoire pendant des millénaires, l'an 2080 n'est pas loin du tout.

D'ici le milieu de la dernière partie du prochain siècle, les stocks plantés dans le sud de la province auront permis de retrouver le rendement de bois, mais nous dans le nord n'aurons plus qu'un désert.

Nous croyons que le développement durable signifie qu'il nous faut complètement repenser notre façon d'exploiter les ressources. Pour nous, le développement durable veut dire que qu'il faut faire très attention aux conséquences sociales et économiques à long terme pour la communauté de toute stratégie d'exploitation des ressources. Cela est évidemment vrai non seulement pour les communautés autochtones, mais pour les communautés non autochtones aussi.

Lorsque l'exploitation des ressources est faite par des instances économiques distantes et désintéressées de la viabilité à long terme et de la santé des communautés axées sur les ressources, il est peu probable que les résultats soient qualifiables de près ou de loin de durables. Ce n'est que par un système raisonnable de contrôle par la juridiction locale de la gestion des ressources qu'il est possible de trouver des stratégies appropriées pour le développement durable. À cet égard, nous, en tant que communauté crie, sommes foncièrement dans la même position politique et économique que bien des communautés non autochtones.

Le concept de développement durable ne peut être relégué à des initiatives isolées comme notre système d'énergie alternative. Le concept, de par sa nature même, est inclusif et nous devons nous pencher sur cette question de juridiction dans nos discussions sur le développement durable. Les peuples autochtones doivent avoir suffisamment de contrôle de leurs terres traditionnelles et de leurs ressources naturelles pour pouvoir mettre en pratique leurs philosophies traditionnelles qui mettent l'accent sur l'harmonie avec le milieu. C'est pour cette raison que les peuples autochtones croient que leur travail sur le terrain pour le développement durable ne peut pas être divorcé ou séparé de l'impératif politique de l'autonomie politique.

Les contraintes fondamentales auxquelles nous devons faire face pour mettre en oeuvre le développement durable dans nos territoires ne sont ni naturelles ni humaines. La contrainte fondamentale à laquelle nous faisons face en est une de politique publique. Le contexte politique actuel dans lequel nous nous trouvons en est un qui favorise des pratiques d'exploitation des ressources à grande échelle, à forte intensité de capital et qui ne tient pas sérieusement compte de la santé environnementale à long terme ou du développement de communautés saines et durables.

Nous vous demandons avec insistance de faire ce que vous pouvez pour changer cet état de choses.

Le président: Merci, monsieur Blacksmith. C'est un plaisir de vous revoir ici. Je crois que le mémoire de M. Jack Blacksmith est relié au vôtre. Tel étant le cas, nous lui demanderons peut-être de présenter le sien et ensuite nous vous poserons des questions à tous deux.

M. Jack Blacksmith: Bonjour, sénateurs. Wachiya, sénateur Gill. L'improvisation n'étant pas mon fort, je vais vous lire mon mémoire. Après ma présentation, il me fera plaisir de répondre à toutes vos questions.

De la part du Grand conseil des Cris d'Eeyou Istchee, je tiens à vous remercier d'avoir pris le temps de voyager jusqu'ici pour écouter ce que nous avons à dire à propos de cette question très importante -- la foresterie dans la forêt boréale. Je veux aussi profiter de l'occasion pour remercier les sénateurs et certains membres de leur personnel qui ont rendu visite à notre communauté de Mistissini récemment. J'espère qu'ayant vu le mode de vie de nos gens et la forêt dans laquelle ils vivent vous aurez une meilleure idée de l'objet de notre discussion aujourd'hui.

Je crois qu'il est approprié de vous donner un précis d'information au sujet du Grand conseil des Cris pour lequel je travaille. Le grand conseil comprend neuf communautés cries situées dans le territoire de la baie James, ou Eeyou Istchee, comme nous préférons l'appeler. Les neuf communautés cries y sont représentées et il est le volet politique de l'organisation crie. Il représente les Cris à tous les niveaux, que la tribune soit provinciale, nationale ou internationale. Lorsqu'il fut créé il y a de cela bien longtemps, son but était d'assurer que les intérêts des Cris seraient toujours protégés au niveau politique. Le Grand conseil était le signataire de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Bien qu'il ne soit pas une institution créée par cette convention, il demeure un organisme fort représentant les Cris.

Pour ce qui est de mon rôle au sein du Grand conseil des Cris, je travaille à tous les projets spéciaux. Ce que les autres ne veulent pas faire tombe éventuellement sur ma table de travail. Depuis environ trois ans je m'occupe du dossier portant sur la recherche de solutions aux problèmes forestiers que nous vivons sur les terres cries.

Comme certains d'entre vous le savent peut-être déjà, la forêt boréale est notre chez-soi. Elle nous tient à coeur pour notre bien-être et pour notre avenir en tant que peuple. Chaque personne crie, jeune ou vieille, a un lien quelconque avec la forêt. Chacun de nous a plusieurs souvenirs liés à nos chasses, à nos grandes fêtes, à nos aventures et même aux leçons enseignées par nos aînés. Ces leçons ne sont pas toutes sous forme de livres. Cette connaissance est transmise par tout le vécu de la personne qui la donne, et cette personne est l'aîné.

Bien qu'il soit vrai que plusieurs parmi nous avons maintenant des emplois de 9 h à 5 h, il reste un bon nombre de Cris dont l'occupation principale est la chasse, la pêche et le trappage. Plusieurs autres employés saisonniers conservent ce style de vie ainsi qu'une vie automnale et hivernale dans la brousse. C'est ainsi qu'ils vivent. Dans la plupart de nos communautés le taux d'emploi est souvent de plus de 30 p. 100. Être capable de chasser, de pêcher et de faire du trappage entre les emplois remonte l'économie dans chacune de nos communautés.

Tout comme chasser l'orignal, le castor, l'oie, le lapin et la perdrix, et pêcher la truite ont permis à notre peuple de survivre pendant des millénaires, ces animaux et ce poisson et la nourriture importante qu'ils fournissent permettent à notre société de prospérer aujourd'hui.

Pour les jeunes de notre communauté, manger de la perdrix est un régal. Il y a presque un parallèle avec manger du poulet Kentucky. Cependant, avec toutes les pressions qui s'exercent sur la forêt boréale, surtout en termes d'exploitation forestière industrielle à grande échelle, ces animaux et notre capacité de les récolter sont menacés. Bien que vous puissiez entendre des points de vue différents des agents forestiers québécois et des représentants de l'industrie, la raison pour laquelle ces animaux et tout l'écosystème boréal sont menacés est simplement qu'ils coupent trop de bois trop rapidement. Ça ne fait pas de différence quel genre d'études vous mettez en place, c'est ça la conclusion. On coupe trop de bois trop rapidement. C'est aussi simple que ça.

Nous le savons parce que nous avons vu les meilleurs endroits pour la chasse à l'orignal par les trappeurs être coupés en aussi peu que une ou deux années. Nous avons vu des frayères précieuses ruinées par l'érosion des coupes à blanc à proximité ou par des mauvaises croisées de chemin, ou même par des ponts dits «temporaires» pour l'hiver. À l'encontre du gouvernement qui a été obligé de réduire de façon dramatique le nombre d'agents de protection de la faune et donc sa capacité de se tenir au courant des populations animales, nos trappeurs sont encore dans la brousse. Certains y sont à l'année longue et d'autres n'y vont qu'en fin de semaine. Ils voient les changements qui résultent de ces opérations forestières.

Pour nous, nos trappeurs sont nos chercheurs, semblables à des gens ayant des doctorats. Lorsqu'ils nous disent que l'industrie forestière pose un sérieux problème, nous les écoutons et nous prenons leurs avertissements très au sérieux. C'est pourquoi nous n'avons pas de difficulté à dire que les compagnies forestières, maintenant et au cours des 20 dernières années sur le territoire cri, coupent la forêt boréale trop et trop souvent.

Ces avertissements de nos trappeurs ne sont pas nouveaux. Nous les entendons depuis plusieurs années. Ils sont la raison pour laquelle nous avons approché le gouvernement provincial et proposé des solutions. Nous croyons que la Convention de la Baie James et du Nord québécois a créé une protection qui nous permet de continuer notre mode de vie de chasse, de pêche et de trappage. Toute une section de la convention nous accorde ce droit.

Nous croyons aussi que c'est notre droit, de par la convention, d'avoir accès à une assise territoriale où nous pouvons pratiquer ce mode de vie. Sans elle, nous ne pouvons pas le faire. Cela devrait normalement être considéré comme une partie de la vie de tout Cri.

Je demeure à Ottawa depuis environ quatre ans. Le temps s'est écoulé rapidement. Mais même si je vis en ville, je sais quand les canards et les orignaux se déplacent et je veux de nouveau aller à la chasse. Ces choses nous ont été apprises par nos pères, nos aînés, et ainsi de suite. De nos jours, nous avons aussi accès à une éducation de type classique. Nous mêlons ce que nous avons appris de nos aînés à des sujets scolaires quotidiens. Nous continuons d'enseigner les façons traditionnelles à nos enfants.

Même si nous avons droit par traité à une assise territoriale viable, et même si la Convention de la Baie James et du Nord québécois en tient compte, toutes sortes de comités consultatifs sur le milieu ont été créés pour voir au développement au sein d'Eeyou Istchee.

On coupe encore la forêt à blanc. On suppose que la forêt est maintenant coupée au rythme d'environ un territoire de chasse familial par année. Cela représente plus de 500 kilomètres carrés par année. Dans certains cas, c'est peut-être un terrain de trappage et demi. À Waswanipi, la communauté la plus au sud, 100 p. 100 du territoire est affecté par l'exploitation forestière. La taille moyenne d'un terrain de trappage est d'environ 300 kilomètres carrés. Lorsque je vous dis que les compagnies forestières dépeuplent environ 500 kilomètres carrés par année, cela représente un terrain de trappage et demi dans le territoire de Waswanipi.

Nous avons été extrêmement patients et respectueux des lois pour plusieurs années vu ce à quoi nous avons eu à faire face. Auparavant, nous avons exprimé notre mécontentement dans de nombreuses lettres, dans des mémoires et des rapports aux deux paliers de gouvernement, sans résultat. Cela est surtout vrai de nos tractations avec le gouvernement provincial.

En 1986, alors que le Québec réorganisait son système de foresterie, nous avons insisté pour qu'il y ait une reconnaissance spéciale des Cris en vertu de la Convention de la Baie James et du Nord québécois qui la prévoyait. Les deux gouvernements, dans leur propre sphère de compétence, l'ont considérée comme un traité. Nous avons souligné que ce traité avait eu la préséance juridique sur toute autre législation et nous avons insisté pour que des dispositions spéciales soient insérées dans la législation sur les forêts cries afin d'assurer que la foresterie soit faite en conformité avec la convention. Cela ne fut jamais incorporé à la loi. On n'en a jamais tenu compte.

La législation forestière a plutôt créé un régime forestier qui non seulement accorde la priorité de coupe aux territoires traditionnels cris mais qui créé un cadre industriel qui est devenu très dépendant de ces terres. D'après les chiffres mêmes du Québec pour 1995, le bois récolté sur les terres traditionnelles cries valait plus de 1,3 milliard de dollars par année. Cela représente environ 15 p. 100 de la récolte annuelle totale au Québec. Plutôt que d'améliorer les droits cris accordés par le traité, la nouvelle législation a introduit un régime forestier qui permet une expansion additionnelle en territoire cri, et cette expansion continue à ce jour.

Les données les plus récentes du ministère de l'Énergie et des Ressources du Québec indiquent que la quantité de terres dans les terrains de chasse traditionnels cris où les permis accordés aux compagnies ont augmenté de 16 p. 100 depuis 1995, pour un total de plus de 68 000 kilomètres carrés.

Chacune des cinq communautés cries les plus au Sud fait face aux effets de la foresterie. Je veux vous faire part des données compilées par nos gens au niveau administratif de l'Administration régionale crie. À Waskaganish, la communauté à la pointe de la baie James, sept territoires de chasse font face à de l'exploitation forestière dans un avenir rapproché, le pire étant le numéro A-4, où l'on prévoit couper 89 p. 100 de la forêt productive. À Nemaska, une communauté un peu à l'intérieur des terres, six territoires de chasse chevauchent des zones concernées par des permis de coupe, les pires étant N-19, où on prévoit 65 p. 100 de coupe, et N-21, qui aura 79 p. 100 de coupe à court terme. Ces numéros que je vous donne, N-19 et N-21, sont nos territoires de chasse, nos terrains de trappage pour la chasse.

Plus à l'Est et au Sud il y a Mistissini, dont 25 des 53 territoires de chasse sont concernés par des licences d'exploitation forestière. En moyenne 44 p. 100 de chacun de ces territoires sera touché par la coupe, les pires étant M-49 et M-51A; dans les deux cas, on prévoit une coupe complète.

Dans la communauté la plus au sud, Waswanipi, 100 p. 100 du territoire de chasse est concerné par des licences d'exploitation. Cela veut dire qu'éventuellement toutes les terres forestières les plus productives de Waswanipi seront coupées. Déjà, plus de 4 000 kilomètres carrés de terre ont été coupés à Waswanipi, les aires les plus touchées étant W-13A, coupée à 80 p. 100, et W-13B, coupée à 64 p. 100. En moyenne, 39 p. 100 des territoires de chasse de Waswanipi ont tous été touchés, et à l'avenir ce sera probablement presque 100 p. 100.

Vous avez déjà entendu le témoignage de Joe Blacksmith au sujet des statistiques visant Oujé-Bougoumou.

L'effet de cette expansion et les nombreuses tentatives infructueuses pour négocier de nouveaux arrangements laissent deux possibilités aux Cris. Comme je l'ai dit auparavant, nous avons discuté de tout ceci à tous les niveaux avec le gouvernement du Québec pour chercher à trouver des solutions, des remèdes appropriés vu la situation devant laquelle nous nous trouvons à cause de la coupe sur nos territoires.

Une des possibilités est la désobéissance civile sous forme de barrage routier. L'autre à laquelle nous avons songé est le recours en justice.

Les Cris ont toujours été des citoyens plutôt respectueux de la loi. Nous ne croyons pas qu'il faut enfreindre la loi pour modifier de mauvaises lois. Nous avons choisi le recours en justice. Nous l'avons préféré à la désobéissance civile à cause de notre respect traditionnel de l'autorité et notre croyance dans les institutions politiques.

Il faut comprendre que cette décision de défendre nos droits en cour n'a pas été prise à la légère. Elle a été étudiée pendant plusieurs années, avec beaucoup de discussions à l'interne, avec toutes les communautés cries assises avec les trappeurs. À la suite de la lenteur des progrès avec le gouvernement du Québec, nous estimions que nous n'avions pas d'autre recours. Nous frappions à une porte qui ne s'ouvrait pas assez rapidement.

Il est regrettable qu'il soit nécessaire d'amener cette question en justice. Cependant, en agissant ainsi, nous espérons pouvoir éventuellement bâtir un système d'exploitation forestière au Québec qui soit durable, juste pour les intérêts forestiers et équitable pour tous les intéressés afin que les gens puissent profiter de la forêt, y compris les touristes.

Pour en venir à cela, il faut que le gouvernement du Québec modifie sa façon de penser et permette à d'autres personnes de participer directement à la prise de décisions. Il doit permettre aux rôles d'évoluer afin que les personnes touchées par la foresterie soient consultées. D'après nous, à l'heure actuelle ce sont les compagnies qui prennent les décisions pour le Québec.

Nous comprenons tous ce que l'industrie forestière représente pour les diverses personnes vivant dans cette région. Cela représente des emplois. Toutefois, il doit y avoir un équilibre. Nos opinions reflètent peut-être un certain parti pris parce que nous croyons que nous sommes les principaux utilisateurs de cette forêt boréale et, en tant que tels, c'est à nous de fixer le point d'équilibre et non aux compagnies.

Bien que nous ayons entamé des poursuites, nous n'avons pas l'esprit fermé. Nous n'avons pas fermé la porte à qui que ce soit qui voudrait chercher une bonne solution à la question. Nous préférons de beaucoup un dialogue honnête et constructif à une terrible bataille juridique. Je crois cependant que ce dialogue ne commencera jamais à moins que l'on ne nous reconnaisse pour qui nous sommes, et que le dialogue soit de gouvernement à gouvernement, de peuple à peuple, et que l'on reconnaisse nos droits fondamentaux.

Jusqu'à maintenant, le Canada a reporté toute sa responsabilité directement au Québec à cet égard, et la province continue d'agir comme s'il n'y avait pas de traité. Nous avons signé un traité; le Canada a signé un traité; le Québec a signé un traité. Il est temps que les deux gouvernements le reconnaissent et commencent à assumer leurs responsabilités en vertu de la Convention de la Baie James et du Nord québécois.

À l'abord d'un nouveau siècle, le Québec a commencé à mettre à jour son système forestier. J'ai ici le document qui décrit ses intentions. Hier soir, je l'ai lu pour noter à combien de reprises la Convention de la Baie James et du Nord québécois est mentionnée dans ce document en reconnaissant qu'il s'agit en fait d'un territoire spécial. Le document a environ 41 pages. Je l'ai lu trois fois et je n'ai pas trouvé une seule référence à la Convention de la Baie James et du Nord québécois. J'ai trouvé le mot «autochtone», le mot «communauté» et le mot «institutions»; je n'ai pas trouvé les mots «Convention de la Baie James et du Nord québécois» dont le gouvernement, en loi, aurait du tenir compte en modifiant sa législation.

Toutefois, il y a plusieurs mentions dans le document de façons de confirmer les droits des compagnies forestières. Cela me rappelle le pouvoir accordé à la baie d'Hudson il y a un siècle. En fait, je me demande pour quel siècle le Québec se prépare, le XIXe ou le XXIe. Ce qui est plus important, c'est que je me demande si nous pourrons en arriver à une entente sur l'exploitation forestière qui ne sera pas imposée par les cours. Nous ne voulons pas continuer à ce niveau. Nous voulons de réelles négociations constructives avec le Québec si possible.

Si je comprends bien, le mandat du présent sous-comité est d'examiner la gestion de la forêt boréale dans le cadre de l'atteinte d'une exploitation forestière durable et de la protection de la biodiversité. Je demande avec insistance aux membres du comité d'utiliser la santé des communautés autochtones comme étalon de mesure pour évaluer la réussite ou l'échec du Canada par rapport à ces buts. Je dis cela parce que les peuples autochtones comme les Cris ont prospéré dans le milieu boréal pendant des millénaires. Même aujourd'hui, nous sommes encore en majorité parmi ceux qui vivent dans la région d'Eeyou Istchee. La forêt boréale, c'est notre chez-soi. Nous voulons la protéger pour qu'elle puisse faire vivre tous les gens pour au moins un autre millénaire.

En terminant, comme mon homologue, j'aimerais demander à chacun de vous d'user de toute votre influence, personnelle et en vertu du mandat de votre comité, pour nous aider à créer le milieu nécessaire pour une discussion honnête et constructive entre les Cris, le Canada, le Québec et tous les autres intéressés. Meegwetch.

Le président: Merci. M. Joseph Shecapio-Blacksmith et M. Jack Blacksmith ont présenté des mémoires touchants et bien pensés. Je suis convaincu que vous êtes prêts à répondre à des questions.

Monsieur Lacroix, avez-vous l'intention de présenter un mémoire?

M. Roger Lacroix, technicien en foresterie, Nation crie d'Oujé-Bougoumou: Non.

Le sénateur Stratton: J'aimerais référer à la première présentation et plus précisément à la mention de la construction d'un nouveau village. Vous avez dit que vous avez créé des structures physiques qui sont compatibles avec le milieu naturel dans lequel vos gens vivent. Ces structures ont-elles affecté le maintien de votre mode de vie? Ont-elles eu un effet sur l'emploi? Votre mode de vie sera-t-il le même dans 60, 80 ou 100 ans? Est-ce que les jeunes déménagent aux centres urbains comme c'est le cas au Manitoba, d'où je viens?

M. Jack Blacksmith: Comme je le disais plus tôt, nous avons ce dossier forestier depuis longtemps. Nous avons posé les mêmes questions que vous nous posez. Pourquoi nous battons-nous? Pourquoi faisons-nous cela? Au bout du compte, nous espérons que notre mode de vie continuera pour quelques décennies. Je ne peux pas savoir ce que les enfants de mes enfants penseront, mais j'espère qu'ils sauront comment nous vivions et qu'ils pourront continuer de vivre, peut-être pas à temps plein, dans leur propre territoire.

Nous nous sommes posé ces questions, mais d'autres personnes nous posent des questions et nous disent que tout doit évoluer et que tout change. Notre société a évolué. Cependant, nous ne voulons pas laisser notre mode de vie de coté. Je pense qu'il sera toujours là. Le changement qui viendra dépendra du genre d'assise territoriale que nous aurons. Ce changement sera imposé aux gens parce qu'ils ne veulent pas changer de cette façon. Le fait de ne pas pouvoir vivre le même mode de vie, de ne pas avoir la même assise territoriale, de ne plus avoir leur eau est un problème qu'ils devront saisir par les cornes. Nous planifions toujours en fonction du fait que pour notre peuple la façon d'utiliser le territoire maintenant affectera ce qui se passera dans 40, 50, 60, 70, 100 ans.

Le sénateur Stratton: Si vous le permettez, j'aimerais retourner à mes racines et parler du Manitoba comme fondement à ma question. Il y a de moins en moins de chasseurs chaque année -- et je ne parle pas seulement des Autochtones -- parce qu'ils peuvent acheter de la nourriture au magasin. Nous avons donc un sérieux problème avec les chevreuils. Ils peuvent se nourrir de toutes les céréales naturelles laissées autour des ces terrains boisés assez importants. Ils se multiplient. Ils deviennent un danger réel.

Il faut que je pose la question suivante parce qu'elle est d'une importance capitale. Croyez-vous que moins de gens des générations plus jeunes, au fur et à mesure qu'elles arrivent, resteront dans le territoire et iront davantage vers les villes, les zones urbaines? C'est une donnée historique dans l'Ouest, dans les prairies où les fermes deviennent de plus en plus grandes. Il y a de moins en moins de gens dans les petites villes. Les zones urbaines croissent rapidement. Les zones rurales ont des baisses de population importantes. N'est-ce pas ce qui risque de se produire chez vous?

M. Jack Blacksmith: Permettez-moi de répondre à votre question de la façon suivante. Il y environ cinq ou dix ans, il y a eu une étude -- et ne me citez pas là-dessus, mais je pense qu'elle a été préparée par le ministère des Affaires indiennes. Le résultat fut un document qui examinait l'ensemble de la question linguistique pour les Autochtones. La conclusion, d'après ce que j'ai compris au moment où j'ai lu le rapport, était que les Autochtones perdaient leur langue. Il y avait un chiffre en termes de taux de perte linguistique par année ou au cours d'une période donnée.

Lorsque nous avons commencé à étudier les options pour protéger notre langue, lorsque nous avons signé la Convention de la Baie James et du Nord québécois, l'éducation était une priorité pour nous. L'éducation fait partie du traité. Nous avons pris l'éducation en main depuis 1978, lorsque nous avons créé la Commission scolaire crie. Dès le départ, la langue d'enseignement a été une question importante. Nous avions trois possibilités: le français, l'anglais et le cri. Nous avons probablement commencé au niveau de l'anglais et du français.

Même dans ma communauté de Waswanipi, je sais pertinemment que lorsqu'on commençait à l'école la langue d'enseignement était surtout l'anglais au début, puis quand les choses ont commencé à changer c'est devenu le français.

Aujourd'hui, à Waswanipi, la langue d'enseignement de la maternelle à la première ou la deuxième année est le cri. Mes homologues sont ici et ils me corrigeront peut-être à ce sujet cet après-midi. Cependant, je pense que maintenant la langue d'enseignement est le cri. Nous tenons aussi compte, dans le cadre de l'éducation de nos enfants, de quelque chose que ni M. Joe Blacksmith ni moi n'avons eu, et c'est la formation de nos jeunes, le fait de leur donner une éducation autre que celle qu'ils reçoivent de leurs parents et de leurs aînés. On leur montre des techniques de chasse de base: la chasse à l'orignal, les lapins, tout.

Joe et moi n'avons pas eu cette occasion. En 1961, on m'a sorti de Waswanipi, qui était sur une île du lac Waswanipi. On m'a amené à Brantford en Ontario. J'y suis demeuré de septembre à juin pendant environ huit ans. Chaque fois que nous parlions notre langue maternelle, on «avait la ceinture», qui mesurait probablement deux pouces et demi. Chaque fois que nous discutions de qui nous étions, on nous montrait la ceinture. Nous avons vécu cela.

Nous voilà aujourd'hui, j'ai 42 ans -- j'en aurai 43 la semaine prochaine. Je ne suis pas certain de l'âge de Joe. Il adore aller à la chasse. Il adore la chasse à l'orignal. Il adore faire ses bagages chaque fois que la saison de chasse à l'oie commence. Je vous invite à une communauté crie lorsque la saison de chasse à l'oie s'ouvre au printemps. Vous verrez que les communautés cries sont presque des villages fantômes. C'est pour cela que je vous dis que lorsque vous regardez notre façon de vivre maintenant, nous planifions en fonction du fait que nous continuerons ainsi pour le prochain siècle à moins qu'on nous oblige de vivre autrement, comme ce fut le cas lorsque nous avons commencé à l'école.

Le sénateur Stratton: Je suis curieux parce qu'il y a ce soi-disant village global maintenant. La télévision satellite amène le monde dans votre salon. Vos enfants et vos petits-enfants le voient. Ils voient ce merveilleux monde magique à l'extérieur. Pourquoi ne voudraient-ils pas sortir pour aller le voir? Pourquoi ne voudraient-ils pas changer leur mode de vie et déménager ailleurs? Le font-ils présentement? Ne le font-ils pas?

M. Jack Blacksmith: Ils le font jusqu'à un certain point. Je ne vis pas dans la communauté présentement; mes enfants ne vivent pas dans cette communauté. Nous demeurons à Ottawa. Nous avons tous les jouets pour voir tout ce que vous voulez à la télé. Les jeunes qui quittent nos communautés pour aller à l'école vont au Sud, à Montréal, à Ottawa, à North Bay et à Sudbury. Ils vont partout. Éventuellement, cependant, ils reviennent à la communauté. Nous avons quelques avocats. Je ne sais pas si nous avons un médecin encore, mains nous avons quelques infirmières. Nous avons quelques arpenteurs. Nommez-les, nous les avons. Mais ils sont encore au sein de la communauté, la communauté où vous êtes, la communauté que vous avez visitée. Le chef à qui vous avez parlé est un avocat. Le directeur exécutif à qui vous avez parlé, Peter Coon, est un avocat. Le chef vient de revenir de deux semaines de chasse à l'orignal en haut, dans la région de la rivière Eastmain. Remarquez qu'il n'a rien tué, mais ça c'est une autre histoire. Il y était.

Je comprends ce que vous dites lorsque vous affirmez que notre mode de vie changera. Je reconnais que nous évoluerons, que notre culture évoluera, mais il reste quand même le principe de «qui vous êtes et ce que vous faites» doit être protégé. On ne peut pas dire: «On devrait tout laisser tomber parce que nos enfants ne vivront jamais comme ça. Donc ne planifions pas comme ça; sautons tous dans l'exploitation et détruisons tout le territoire». Nous ne pouvons pas dire ça.

Le sénateur Stratton: Je ne suggère pas que c'est la voie à suivre. Je suis seulement préoccupé par le fait que si vous avez un taux de chômage élevé -- évidemment l'avenir de vos enfants vous préoccupe. S'il n'y a pas d'emploi, ou pas assez d'emplois dans votre communauté, la situation sera semblable à celle des fermes dans l'Ouest canadien, où les enfants ont du quitter la ferme pour trouver de l'emploi.

M. Jack Blacksmith: C'est pour cela que j'ai dis dans mon mémoire que nous ne sommes pas entièrement contre le développement. Nous ne sommes pas du tout contre le développement. Nous comprenons que, pour un peuple qui vit en haut ici, l'industrie est très importante, quelle que soit l'industrie qui ait commencé dans Eeyou Istchee. Tout ce que nous disons, c'est que nous voulons faire partie de cela et qu'il faut un équilibre. Il faut un équilibre, quelle que soit l'industrie dont on parle. Il faut un équilibre par rapport à notre mode de vie.

Comme je le disais, j'ai un certain parti pris, mais nous nous percevons comme étant un peu plus importants que les autres dans cette forêt boréale.

Le président: Je crois que les Blacksmith pourraient mentionner qu'il y a une grande différence entre aller en ville parce que vous n'avez pas d'autre façon de survivre et décider d'aller en ville. La plupart de nous ont le droit de choisir de demeurer ailleurs. Cela n'est plus un choix dans votre situation ici.

Le sénateur Mahovlich: Est-ce que la population crie a augmenté au cours des dix dernières années?

M. Jack Blacksmith: Nous faisons des profils socio-économiques de toutes les communautés cries, probablement à tous les cinq ans. Le dernier fut en 1994. Nos chiffres indiquent que probablement plus de la moitié de la population totale est âgée de moins de 30 ans. Si vous regardez notre taux de croissance en termes de taux de natalité, le Canada n'est même pas dans la course. Nous distançons aussi le Québec de beaucoup, en termes de taux de natalité pour les cinq années avant 1994 et les cinq années avant celles-là.

Le sénateur Mahovlich: Est-ce qu'une famille typique aurait deux, trois ou quatre enfants?

M. Jack Blacksmith: La moyenne est de trois ou quatre enfants par famille.

Le sénateur Mahovlich: Puisque les peuples autochtones semblent vouloir conserver leur système, vous seriez presque obligés de contrôler votre population. Puisqu'un chasseur a un certain territoire, et que vous ne pouvez pas avoir trois ou quatre chasseurs dans ce territoire ou il ne resterait rien, vous seriez obligés de contrôler votre population. Ai-je raison?

M. Jack Blacksmith: Non vous n'avez pas raison. Si vous regardez le style de vie des Cris, les choses sont tout autres. Ce style de vie, comme le sénateur Stratton le disait plus tôt, change aussi -- et vous pourriez donc avoir raison d'une certaine façon. Lorsqu'une certaine famille part à la chasse sur un terrain de trappage donné, il n'y a pas de clôtures autour du territoire. Il n'y a pas de passes ou de permis requis.

Le sénateur Mahovlich: Vous obtenez la permission de la famille pour traverser un territoire?

M. Jack Blacksmith: Exactement. C'est comme ça que les Cris le font depuis des siècles. Nous nous sommes toujours compris en disant: «Je sais que ton territoire en particulier n'est pas très bon pour la chasse mais on pourrait étudier l'idée de te permettre de venir ou de voir si mon frère t'amènerait». Je dis que vous pourriez avoir raison en ce sens qu'au cours des dernières années cette façon de penser a changé. La mentalité a changé.

Les compagnies ont dit aux Cris: «Nous voulons travailler avec vous. Nous voulons trouver des solutions avec vous, mais seulement avec vous. Nous ne voulons pas faire affaire avec votre gouvernement régional. Nous voulons faire affaire avec vous, alors voici 10 000 $».

Le président: Ça c'est dans le cas du propriétaire du terrain de trappage enregistré.

M. Jack Blacksmith: Oui, pour le propriétaire du terrain de trappage enregistré. Essentiellement, la personne se fait acheter par la compagnie. On a là un type qui a vécu de son terrain de trappage pendant des années et qui a eu des temps durs au cours des dernières années parce que les animaux à fourrure ne lui ont rien rapporté en termes monétaires, et il a des comptes à payer.

Le sénateur Mahovlich: Croyez-vous que le système s'affaiblit?

M. Jack Blacksmith: Le système s'affaiblit en termes de l'influence de la propriété. Dans le passé, ce n'était pas une question en ce qui a trait aux terrains de trappage. C'était toujours une question d'«intendance». C'est le mot qui était utilisé. De plus en plus les compagnies disent: «vous êtes le propriétaire de ce territoire en particulier. Je ne veux faire affaire qu'avec vous».

Alors oui, c'est un changement majeur, je suis d'accord.

Le président: Lorsque le sénateur Mahovlich commence à parler du nombre d'enfants dans une famille, il me regarde toujours parce que j'ai neuf enfants et 13 petits-enfants.

Le sénateur Mahovlich: Et notre premier ministre? Il est le 18e de 19 dans sa famille.

M. Jack Blacksmith: Il est né au Québec. Dernièrement, cependant, le Québec à des problèmes avec son taux de natalité.

Le président: Vous avez mentionné le recours en justice. Est-ce que le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial a offert de vous aider à défrayer les frais juridiques pour amener la cause en cour?

M. Jack Blacksmith: Non. Je ne pense pas qu'ils vont nous donner de l'argent pour cela. Ce que nous avons fait c'est déposer la poursuite devant une cour provinciale à Montréal. Les gouvernements fédéral et provincial sont nommés dans la poursuite, ainsi qu'environ 27 compagnies. Les communautés touchées sont aussi très actives comme participantes dans la poursuite. Les trappeurs qui participent à cette poursuite sont également nommés. Nous payons pour le tout, alors si vous pouvez convaincre le gouvernement fédéral d'y contribuer, je vous en remercie.

Le sénateur Mahovlich: Je veux parler de cette question. J'ai entendu hier que les écologistes ont poursuivi le gouvernement de l'Ontario. Ils ont gagné hier et le gouvernement doit payer tous les frais.

Le président: Ça c'est a posteriori. Ils n'ont pas eu les frais de cour dès le départ. Dans l'Ouest, et dans d'autres régions du Canada, il y a plusieurs causes où les peuples autochtones poursuivent le gouvernement et le gouvernement paie pour leurs avocats. Cela n'a pas fonctionné aussi bien que prévu parce que si le gouvernement paye pour ses avocats et leurs avocats, c'est une recette pour l'éternité. Les avocats continueront tout simplement d'envoyer des factures.

M. Jack Blacksmith: Si tout le monde faisait ce dont ils ont convenu, les poursuites ne seraient pas nécessaires.

Le président: Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Gill: Félicitations pour vos excellents mémoires. J'ai lu la Convention de la Baie James et du Nord québécois il y a de ça plusieurs années alors je ne me souviens pas exactement de ce qu'elle comprend. Toutefois, j'imagine qu'il y a mention des terrains de trappage. Ces terrains de trappage étaient-ils reconnus précisément comme les terrains de trappage traditionnels du peuple cri?. Y a-t-il une disposition dans l'entente qui indique que les terrains de trappage qui sont utilisés aujourd'hui doivent être perçus de la même façon que les terrains de trappage traditionnels?

M. Jack Blacksmith: Non. Il n'y a pas de référence spécifique dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois à cela parce que le système d'attribution des terrains de trappage est fondé sur le nombre de terrains de trappage par communauté. Les lignes directrices à cet égard sont fondées sur comment on a disposé de ces terrains de trappage lorsque l'individu est décédé. Il n'y a pas de disposition précise dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois. L'article 24, qui porte sur la chasse, la pêche et le trappage définit nos droits -- ce que nous pouvons faire dans ce territoire en particulier et quels droits nous sont accordés.

Le sénateur Mahovlich: Est-ce que les dispositions de l'article 24 ont été enfreintes? N'a-t-on pas respecté cet article?

M. Jack Blacksmith: Mon opinion reflète peut être un certain parti pris parce que je suis du coté cri de la question. Les droits de chasse, de pêche et de trappage qui ont été accordés en vertu de la Convention de la Baie James et du Nord québécois ont été menacés pendant les 20 dernières années. Nous avons été incapables de profiter de ces droits prévus dans la Convention de la Baie James et du Nord québécois à cause des coupes à blanc massives qui ont été faites pendant les premières 15 années après la signature de l'entente.

Le sénateur Gill: Est-ce pour cela que vous êtes en cour?

M. Jack Blacksmith: Oui, c'est exactement pour cela que nous sommes en cour.

Le sénateur Gill: Vous poursuivez le gouvernement parce que l'accord a été rompu.

M. Jack Blacksmith: Oui, c'est exactement pour cela que nous sommes en cour.

Le président: Je vous lirai l'article pertinent, sénateur Gill. L'article 24.1.5 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois dit:

«Conservation», la recherche de la productivité naturelle optimale de toutes les ressources vivantes et la protection des écosystèmes du territoire dans le but de protéger les espèces menacées et d'assurer principalement la perpétuation des activités traditionnelles des Autochtones et en second lieu, la satisfaction des besoins des non-Autochtones en matière de chasse et de pêche sportives.

C'est assez clair. Quand on coupe tous les arbres, il n'en restera pas beaucoup.

M. Jack Blacksmith: Exactement.

Le sénateur Gill: Ma prochaine question est un peu philosophique, et peut-être aussi un peu politique. La question soulevée par le sénateur Stratton est reliée à une question sur laquelle nous voulons nous pencher, soit: qu'en pensent les non-Autochtones? Vous vivez comme des gens dans le sud. Vous avez une auto, vous avez une télévision, vous avez une motoneige, et parfois vous conduisez peut-être même une Cadillac. Lorsque vous en arrivez à une entente qui vous accorde de l'argent, vous êtes libres de la dépenser comme bon vous semble. Vous vivez comme tout le monde. Tel a été le cas pour bien des années maintenant.

Votre civilisation existe depuis des millénaires. Les peuples autochtones n'abandonnent pas tout simplement pas leur mode de vie traditionnel même s'ils conduisent une auto. Vous vivez sur la terre, vous dépendez de la terre et vous connaissez la terre. Vos modes traditionnels ont été enseignés pendant des milliers d'années et vous pouvez faire une contribution importante. Si nous voulons sauver notre planète, les connaissances et l'expertise que vous avez de la terre doivent être communiquées, non seulement à vos enfants, mais à tous ceux qui viennent du sud.

La discussion que nous venons de commencer dans cette salle aujourd'hui dure depuis longtemps. La question est toujours soulevée lorsque des peuples non autochtones ont l'occasion de poser des questions à des représentants de communautés autochtones. Les Indiens et les Inuit devraient peut-être changer leur façon de décrire leur mode de vie pour que ceux qui posent les questions n'aient aucun doute au sujet de votre façon de vivre et de ce que vous voulez.

M. Jack Blacksmith: Quel que soit l'endroit où je fais une présentation au sujet de la forêt boréale, je souligne toujours le fait que je viens de la région dont on discute. Je suis simplement quelqu'un qui a «étudié la question», je suis un spécialiste. En tant que tel, je sais que ce que vous faites à la forêt boréale est mal. Je souligne toujours le fait que j'ai déjà vécu dans la forêt boréale et que j'ai vu la destruction que l'on permet dans la forêt. À chaque fois que je fais une présentation, je mentionne toujours que mes opinions reflètent toujours un certain parti pris mais que j'espère que quelqu'un écoutera pour au moins avoir une idée de ce qui se passe dans notre coin de la forêt boréale.

Je pense que nous faisons des progrès. Je suis certain que vous avez remarqué qu'au cours des 10 dernières années l'environnement est devenu très important pour tout le monde. Ce n'était pas le cas auparavant.

Je ne sais pas si vous vivez tous à Ottawa, mais je suis certain que vous êtes tous à Ottawa de temps à autre. Lorsque vous y serez, je vous demanderais de passer par le poste d'essence à l'angle des rues Bank et Catherine. Il a une phrase réclame que je ne peux pas citer mot à mot, mais qui dit à peu près ceci: «Cette terre n'est pas à nous pour en faire ce que nous voulons. Cette terre nous est prêtée pour les générations à venir.» J'ai demandé au préposé où il l'avait obtenue et il m'a dit que leur siège social l'avait fournie. Je lui ai dit: «Je vais vous dire où vous l'avez eue. Vous l'avez eu de la façon de penser des Autochtones. C'est de là qu'elle vient». Il s'est éloigné en marchant et a dit en passant «Vous avez peut-être raison». Je lui ai dit «Non, c'est vrai».

Les gens se préoccupent de plus en plus de l'environnement et de ce nous faisons à notre planète. À chaque fois que nous nous engageons dans une nouvelle industrie, nous pensons que la ressource est illimitée. Dans le Nord québécois, certaines des mines ont fermé. En montant ici de Val-d'Or ce matin avec le directeur général de la Nation crie de Waswanipi, il m'a dit qu'il y avait une mine dans notre cour, à environ 20 kilomètres du village. Il me disait que la mine était complètement disparue maintenant. Elle avait été tout simplement nivelée. Il n'y a rien là. Une compagnie était venue, avait pris tout ce qu'elle voulait et c'était fini. Malheureusement, c'est ce qui se passe dans le secteur forestier.

Les gens vivant à Eeyou Istchee et même ceux qui vivent dans le nord du Québec où il y a une importante industrie forestière se trouveront dans le même bateau que nous. Nous devons nous rendre compte que l'industrie doit durer pour plusieurs années. Nous ne pouvons pas continuer comme nous le faisons présentement parce qu'éventuellement nous épuiserons cette ressource. Que ferons-nous alors?

Le président: Merci de votre excellent mémoire. Nous pourrions continuer de parler avec vous pendant longtemps, mais nous devons passer à la prochaine présentation.

Notre prochain témoin est Robert St-Amour, vice-président, Approvisionnements forestiers, Tembec.

[Français]

M. Robert St-Amour, vice-président, Approvisionnements en fibre et foresterie Tembec inc., Groupe des produits forestiers: Je vous remercie d'avoir inviter notre entreprise à faire une brève allocution sur le sujet. Je suis à peu près bilingue mais je crois avoir plus de facilité à me faire comprendre en français, si vous le permettez.

En ce qui a trait à la forêt boréale, avec les documents que nous avons reçus pour la préparation de la rencontre d'aujourd'hui, j'ai préparé quelques notes.

Lorsqu'on parle de forêt boréale, dans une perspective mondiale, nous, les forestiers, pouvons avoir des problèmes à visualiser exactement l'envergure de ces forêts. Votre document en fait état. Sur la carte, à votre gauche, je vais essayer de vous situer un peu la province de Québec. Elle fait partie de cette forêt boréale. Avec les latitudes, j'ai illustré vers l'Est les pays scandinaves qui sont souvent qualifiés de grands pays forestiers mondiaux.

À ma connaissance, vous avez eu l'opportunité de rencontrer un représentant de Tembec, à Timmins, récemment. Concernant nos activités québécoises, on peut dire que les latitudes de récoltes de nos entreprises sont similaires. On parle du 49e degré de latitude. Lorsqu'on parle des pays scandinaves, on est déjà au-delà du 60e degré de latitude, une échelle bien différente. Pour nous, le 60e degré passe à peu près à la mi-nord de la baie d'Hudson. Cette échelle peut être trompeuse lorsqu'on parle ainsi de latitude.

Plusieurs phénomènes climatiques produisent les forêts de l'Est et des pays scandinaves. Relativement aux nôtres, ce ne sont pas effectivement des forêts nordiques.

J'ai aussi préparé une petite carte qui décrit la localisation des usines et le territoire d'approvisionnement de notre entreprise. Comme plusieurs le savent, Tembec a maintenant une usine en France. Au Canada, nous sommes présents dans quatre provinces: du côté ouest, au Manitoba, avec l'usine de Pine Falls; récemment du côté ontarien, la grande concentration d'usines est celle dont vous avez eu l'opportunité de discuter avec monsieur Grove, de Tembec, la semaine dernière. Les territoires où Tembec a des approvisionnements sont en bleu là-dessus. À la frontière Québec-Ontario, Tembec a des activités du côté québécois, sur la frontière nord-ouest québécoise. Vers le centre du Québec, nous avons notre division Malette Québec et vers l'Est, une scierie qui fait partie de la division Gaspésie. Notre implication est encore une fois récente à l'usine d'Atholville au Nouveau-Brunswick.

Comme vous pouvez le constater, lorsqu'on parle de forêt boréale chez Tembec, cela fait partie intégrante de nos activités. Lorsqu'on parle du Sud de l'Ontario et même du Sud du Québec, on commence à parler de forêts plus feuillues. Tembec a des activités autant en forêt boréale qu'en forêt feuillue de chênes, de pins et de bouleaux jaunes. On a un grand aperçu des types de forêts et des types d'interventions qu'on doit y réaliser.

Les forêts boréales, dans l'ensemble, demeurent une source très importante d'approvisionnement pour nos usines. On doit assurer l'avenir, la pérennité et l'accessibilité d'une telle forêt, basées sur des critères d'aménagement forestier durables. Sans ces gestes concrets, les usines ne sont que des amas de ciment et de métal.

Dans notre philosophie de gestion, la forêt demeure l'essence qu'il faut mettre dans une auto; c'est primordial. Il n'est jamais remis en question que l'on doive faire des interventions qui assurent cette pérennité.

On sait bien aussi que la forêt, particulièrement la forêt boréale, est une source et un levier importants de développements socio-économiques. À titre d'exemple, en 1994, une étude multisectorielle provinciale a révélé qu'un mètre cube de bois rond récolté sur terres publiques générait pour les gouvernements provincial et municipaux 32,11 $ le m3 de taxes et d'impôts sur la masse salariale, de taxes sur le carburant.

Si on actualise ces données et si on ajoute les droits de coupe perçus par les gouvernements provinciaux, on peut dire qu'on devrait être aux environs de 50 00$ le m3 de retombées directes fiscales et de droits de coupe dans les goussets de l'État. Comme cela prend à peu près 10 arbres pour faire un mètre cube, on peut donc s'imaginer qu'un arbre sur pied vaut en moyenne pour l'État, directement ou indirectement, 5 00 $.

Cette image démontre l'effet levier de cette forêt. Encore une fois, étant donné notre volonté de vouloir opérer notre industrie de façon rentable et soutenue à long terme, avec ces chiffres, on peut se douter que les gouvernements sont aussi intéressés à la pérennité de cette ressource, vu son effet multiplicateur d'emplois et son importance cruciale dans la balance commerciale.

Si vous le désirez, j'ai préparé un portrait un petit peu plus précis de Tembec. Il vous permet de voir les tendances environnementales et sociales qui font partie de notre culture. Je pourrai, par la suite, répondre à toutes les questions que vous désirez par rapport aux documents de consultation que vous m'avez faits parvenir.

[Traduction]

Le président: Votre présentation durera combien de temps encore?

[Français]

M. St-Amour: À peu près 15 minutes, monsieur le président. Premièrement, les gens de l'entreprise Tembec construisent eux-mêmes leur avenir. On a besoin un peu de l'historique de cette entreprise qui a 25 ans maintenant.

En 1972, une multinationale du papier a fermé assez rapidement ses opérations à Témiscaming, une petite localité au sud du Témiscamingue, à la frontière ontarienne. Du jour au lendemain, cette municipalité mono-industrielle s'est retrouvée sans aucun emploi; la seule source d'emplois étant cette multinationale qui a décidé de fermer ses portes.

Entre 1972 et 1973, la population s'est prise en mains et a racheté les vieilles installations et ainsi est née Tembec, une compagnie canadienne, encore contrôlée très majoritairement par des Canadiens.

Tembec est une entreprise intégrée. Par l'intégration, on entend que de chaque arbre récolté, on essaie de tirer le maximum de valeur autant par le sciage, par la pâte que par l'extraction de sous-produits. Bien sûr, la rentabilité fait partie des critères d'aménagement forestiers durables.

Dans le contexte de compétitivité mondiale, l'industrie forestière peut se leurrer et penser qu'elle est encore la seule à pouvoir produire de la matière utilisable par les gens mais dans la mondialisation du marché, ce n'est plus possible.

L'innovation fait partie de nos créneaux. Tembec est très reconnue à ce niveau et elle est bien sûr concurrentielle, tout en préservant l'environnement et en créant un climat social, culturel, économique bénéfique pour la région, sa population, ses employés, ses actionnaires. Dans sa mission, Tembec met l'accent sur son implication sociale et sur la qualité de vie autour de ses installations.

Encore une fois, étant donné que cette entreprise a été fondée par ses employés, un des créneaux de base de l'entreprise est qu'elle a accepté, dès le début, de partager les bénéfices de l'entreprise avec ses employés.

Socialement, lorsque l'entreprise fait des profits, les employés font des profits. Ils ont des paies supplémentaires; ceci crée, à notre avis, une meilleure répartition de la richesse dans la collectivité.

Bien sûr, Tembec favorise beaucoup l'essor de tout ce qui s'appelle résolution de problèmes et esprit d'entrepreneurship dans ses opérations auprès de ses employés.

En ce qui a trait aux responsabilités sociales, on consacre au moins 1 p. 100 de nos bénéfices avant impôt à l'amélioration de la qualité de vie individuelle et collective, en éducation et en culture autant que dans les milieux récréatifs et de santé.

Cela se concrétise par des implications dans des bibliothèques municipales, comme dans des activités musicales en régions jusqu'aux bourses d'études universitaires.

En ce qui a trait à la participation à la vie communautaire, nos employés peuvent prendre, de mémoire, 5 jours par année pour participer à des activités communautaires payées par la compagnie, par exemple, des mouvements scouts, la Société canadienne du cancer, et cetera. L'entreprise accepte de libérer sur une base volontaire les gens qui veulent faire du bénévolat. Ceci concrétise notre engagement.

Depuis maintenant 2 ans, chaque fois qu'on récole un mètre cube sur terre publique et que l'entreprise fait des profits, cinq sous du mètre cube est mis dans un fonds environnemental pour retourner à la forêt soit des installations ou des aménagements qui permettent aux citoyens de mieux en profiter.

Cela peut se concrétiser par des descentes de bateaux pour profiter d'un lac de pêche; cela peut être un aménagement avec Canards illimités. Il n'y a pas de limite à ce sujet. La volonté des gens dicte la dépense de ces fonds.

Nous mettons, en recherche et développement, 2 p. 100 de notre chiffre d'affaires. Lorsque je vous parlais de leadership en termes d'innovation, je crois que c'est majoritairement expliqué par cela.

Quant à la récupération de la ressource, à notre complexe de Témiscaming, un arbre subit l'étape de transformation sciage pour en sortir le maximum de valeur. Les sous-produits sont les copeaux. On en fait différents types de pâte dont une partie de notre production entre dans la fabrication de produits pharmaceutiques. Tous les sous-produits sont récupérés pour faire de l'éthanol et des ligno-sulfonates.

Donc, au lieu de payer des installations de 300 M $ ou 400 M $ pour traiter nos effluents, on a tenté de mettre sur place un complexe intégré permettant de retirer toute la richesse de cette ressource forestière et de faire le plus possible de produits de façon à ne pas payer de l'argent pour dépolluer, mais essayer de créer le plus positivement possible à partir de la ressource.

Tembec est au deuxième rang canadien en termes de producteurs de pâte; au cinquième rang canadien, au deuxième dans l'Est pour la production de bois d'oeuvre; au sixième rang en papier journal et au premier rang en carton couché.

La politique environnementale traduit bien la pensée de Tembec. Tembec partage avec toute la collectivité d'importantes responsabilités en matière d'environnement. Elle appuie l'utilisation responsable des ressources y compris les forêts, la faune, la flore aquatique, la vie sauvage, l'air, la terre et l'eau.

Une bonne gestion des ressources jumelée à un processus d'amélioration continue assurent un développement économique soutenu et durable et une meilleure qualité de vie. Dans cet esprit, Tembec s'engage à implanter et à maintenir un système de gestion environnemental efficace qui régit ses attitudes et initiatives dans le domaine de l'environnement.

Vous êtes sûrement informés de la présence de la norme CSA sur l'aménagement forestier durable. Les objectifs de Tembec sont principalement tournés vers la mise en place de la norme ISO 14001 en environnement industriel et forestier qui nous semble plus adaptée à court terme pour être en mesure de donner un bilan environnemental. Par la suite, on pourra réviser pour obtenir la norme CSA. Dans les données financières, si vous voulez, on pourra y revenir plus tard.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, monsieur St-Amour. Vous êtes le vice-président, Approvisionnements forestiers. Êtes-vous lié de quelque façon au côté main-d'oeuvre de ce poste? Avez-vous des contrats ou faites-vous un effort pour recruter un nombre précis d'autochtones dans vos opérations?

[Français]

M. St-Amour: Oui, depuis maintenant 2 ans, nous avons mis en place une structure qui nous permet d'être beaucoup plus proches des nations autochtones qui sont sur notre territoire. Les nations autochtones sont partout sur le territoire où on fait de la récolte. On a une personne qui est affectée expressément à ce dossier.

À notre usine de Témiscaming, je n'ai pas le chiffre en tête, la quantité d'autochtones qui travaillent dans nos installations de pâte, papier et sciage sur le site même est très importante.

Pour nos activités dans le Nord-Est ontarien, je crois bien que M. Grove vous en a parlé, il y a beaucoup de communications qui sont faites. On a des projets très concrets, entre autres, dans le secteur de Hearst, qui sont en place. En Abitibi-Témiscamingue, malgré les barrières de distance, on fait le plus possible de rencontres avec les autochtones pour tenter de comprendre la problématique de nos interventions sur leur territoire pour ainsi trouver des mesures de coexistence.

Nous avons des projets aussi avec la bande de Pikogan concernant des projets de valeur ajoutée directement sur le territoire de leur réserve. En Gaspésie, on étudie un projet de valeur ajoutée avec la Réserve de Maria et on envisage un projet d'aménagement intégré de la Réserve Baldwin. Au Nouveau-Brunswick, nous évaluons l'implication non négligeable des entrepreneurs autochtones de la bande de Restigouche.

Cela fait partie de nos soucis quotidiens de pouvoir trouver des façons de fonctionner qui répondent à la fois à nos impératifs de rentabilité et à la facilité de coexistence de tous ces gens sur le terrain.

Le sénateur Gill: Monsieur St-Amour, on s'est arrêté aux chiffres mais on peut en parler un peu. Si je comprends bien, Tembec a commencé comme une coopérative. Est-ce demeuré une coopérative? Vous parlez de partager vos profits et cetera. En fait, je vous pose la question si tel est le cas. Deuxièmement, est-ce rentable Tembec?

M. St-Amour: En 1973, beaucoup de gens ont pensé que Tembec était une coopérative. Dans la vraie vie, ce n'est pas une coopérative au sens de la loi. À ma connaissance, la notion de coopérative est très pointue et je crois qu'elle s'applique seulement au Québec. En Ontario, je ne connais pas le statut légal de coopérative, bien qu'il existe peut-être.

Tembec est une compagnie à actions qui est cotée en Bourse. Pourquoi a-t-on démarré avec la notion de coopérative? À l'époque, les gens se sont mobilisés et ont investi de leur propre poche dans un capital-actions de la compagnie. Ce capital-actions basé sur les lois canadiennes des compagnies a grandi. Par la suite, les employés ont eu leurs actions d'origine qui sont les mêmes actions que vous pouvez maintenant transiger à la Bourse de Montréal ou de Toronto.

C'est une compagnie constituée en grande partie par des intérêts canadiens. Il n'y a pas de holding dans Tembec. Il n'y a pas de bloc d'actions. À ma connaissance, le plus gros bloc d'actions est peut-être de 6 p. 100. Beaucoup d'actions sont détenues par les employés, mais aussi par le citoyen en général, par des fonds de placements et ainsi de suite.

Si vous permettez, je vais prendre des chiffres tirés du rapport annuel de 1997 dont j'ai apporté quelques copies. La totalité de la présentation que je vous ai faite précédemment plus celle-là sont des extraits du rapport annuel.

Tembec est une jeune entreprise. En règle générale, les compagnies papetières canadiennes sont souvent de vieilles entreprises, pas au sens péjoratif, mais au sens qu'elles existent depuis longtemps. Tembec est une entreprise de 25 ans pour qui la notion de grandir ou périr est un souci constant.

Comme vous pouvez le constater, en 1993 le chiffre d'affaires de Tembec était de 445 millions de dollars. En 1997, il était de 1 350 milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel. Bien sûr, une telle croissance requiert souvent des placements à long terme. Cela a pu mettre notre entreprise dans des situations un peu plus difficiles. Le bénéfice net ou la perte nette a été en 1993 de 48 millions de dollars de perte. En 1994, 74 millions de dollars de gain; 120 millions de dollars en 1995; 300 millions de dollars en 1996; et 7,6 millions de dollars en 1997.

Si je ne me trompe pas, cela donne environ un taux de rendement de l'ordre d'à peu près 5 p. 100 sur le capital utilisé sur une période de 5 ans.

Est-ce rentable? Je pense que oui. Sur papier, on voit 56 millions balancés par 194 millions. Un bon financier aurait très probablement dit: je vais mettre mon argent en banque à court terme, sauf que les exploitations qu'on met en place visent le long terme.

Comme je vous le mentionnais tantôt, beaucoup d'innovations, beaucoup de nouveaux produits et une solidité du «core business» nous permettent de passer à travers les cycles économiques.

Le nombre d'employés à la fin de l'exercice va avec le chiffre d'affaires: 2 000 en 1993 et 5 353 en 1998. Cela n'inclut pas les 2 dernières acquisitions du Manitoba et du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Gill: Quant aux dividendes versées à vos employés...

M. St-Amour: Oui?

Le sénateur Gill: Est-ce important? Vous avez parlé tantôt de retombées fiscales de 50,00 $ à peu près.

M. St-Amour: Oui.

Le sénateur Gill: Pour vos employés, c'est de quel ordre à peu près par rapport au mètre cube ou autrement, peu importe.

M. St-Amour: Très bien.

Le sénateur Gill: Est-ce qu'il y a une retombée importante pour les actionnaires, en dividendes ou autrement?

M. St-Amour: Si vous regardez les bénéfices et les pertes des actionnaires par action, à ma connaissance, depuis 25 ans, Tembec n'a jamais versé de dividendes aux actionnaires.

Pourquoi? Cette jeune entreprise voulait s'assurer de se capitaliser de façon adéquate pour ne pas être trop dépendante des marchés financiers. Donc, à 99.9 p. 100, Tembec n'a jamais versé de dividendes. Les bénéfices ont toujours été réinvestis dans l'entreprise.

Deuxièmement, dans le salaire, le partage de la richesse ou la participation des bénéfices, une portion des profits générés sont répartis sur la base d'un pourcentage de la masse salariale.

Par exemple -- je ne veux pas vous induire en erreur parce que je suis loin d'être spécialiste dans ce domaine -- on peut dire que sur un salaire annuel de 40 ou 45 000 $ dans une usine de sciage ou de pâte, au cours d'une année malchanceuse, la participation des bénéfices peut être de l'ordre de 2 000 $; dans les bonnes années, cela peut aller jusqu'à 10 ou 12 000, $.

Le sénateur Gill: L'autre question touche un autre volet. Vous parliez de cinq cents tantôt pour l'environnement. Qu'est-ce que cela comprend? Sont-ce des mesures de médiation? Vous ne donnez pas plus à l'environnement. Le reboisement n'est pas inclus?

M. St-Amour: Non, pas du tout. C'est effectivement en sus de nos obligations légales de «reforestation», de toutes les normes d'intervention qu'on doit appliquer en forêt pour installer des ponceaux, des ponts, des bordures de protection, des «buffer zones», et caetera. C'est vraiment en sus de tout cela. Ce cinq sous n'est pas une obligation légale; c'est une obligation sociale qu'on s'est imposée.

Le sénateur Gill: Est-ce que vous faites encore des coupes à blanc?

M. St-Amour: Vous pouvez appeler cela des coupes à blanc.

Le sénateur Gill: Je ne le sais pas, selon l'ancienne méthode?

M. St-Amour: J'ai 15 ans de pratique dans la profession et un vécu d'environ 25 ans dans l'industrie forestière. Les coupes que j'ai vues voilà 25 ans, on ne les voit plus maintenant; c'est à des lunes de ce qu'on voyait.

Le type de coupe a été adapté avec des machines un peu plus «environmentally friendly» et des sentiers de débusquement espacés qui préservent la régénération. Ce n'est pas parfait mais par rapport à ce qui se produisait voilà 25 ans, c'est définitivement très différent.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich: Est-ce que la société Tembec pourrait être vendue? Une compagnie américaine vient et dit: «Regardez, il y a là 5 p. 100. On pourrait en faire 10 p. 100.» Elle décide de renvoyer 2 000 employés parce qu'elle pense qu'ils sont superflus. Elle pense que votre compagnie fait trop de travail avec les autochtones et toutes ces questions sociales et qu'elle pourrait faire un assez bon profit. Est-ce possible que cette société serait vendue?

[Français]

M. St-Amour: Je voudrais vous dire non, mais ce sont des phases de marché. Je vous donne un avis très personnel, on est seul dans la salle. Avec le niveau du dollar canadien et les taux d'intérêt en vigueur, une entreprise canadienne, que ce soit Tembec ou n'importe quelle autre, est susceptible d'être en danger actuellement.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich: Elle me semble vulnérable. Vous avez mentionné notre dollar. Il a un effet d'entraînement dans toutes les sociétés au Canada.

Le président: Vous avez mentionné que vous êtes une compagnie intégrée. Je conclus que lorsque vous coupez, vous faites de la fibre et vous faites de la pâte. Je me demande si dans votre état de profits vous distinguez quelles parts viennent de la coupe, du bois de fibre et de la pâte.

[Français]

M. St-Amour: Je n'ai pas les chiffres sur papier. Je les ai dans les rapports annuels. Je pourrais facilement vous les retrouver. Grosso modo, je pourrais vous dire que dans l'entreprise des produits forestiers, le cycle des pâtes était à peu près catastrophique au cours des quatre ou cinq dernières années. On a eu quelques bons mois au cours des 5 dernières années; le reste a été une catastrophe totale. Ce n'est pas juste pour Tembec. L'industrie globale s'en est ressenti. Le papier journal s'est maintenu à un niveau acceptable. Le bois de sciage a vivoté peut-être aux début des années 1990, 1991 et 1992; il tente maintenant de tirer son épingle du jeu.

En gros, dans un chiffre d'affaires de 1997 de 1,3 milliards de dollars, on peut dire que les produits forestiers représentaient près de 50 pour cent de ce chiffre d'affaires. Ils ont contribué, sauf erreur, à près de 85 ou 90 p. 100 des profits de la compagnie. Ce qui fait que les pâtes ont drainé substantiellement les profits générés par le papier et le carton.

[Traduction]

Le président: J'ai une autre question. Pouvez-vous vous approvisionner à partir de concession et de permis, ou devez-vous acheter du bois de l'extérieur pour garder vos usines en marche? Si vous achetez du bois de l'extérieur, quel pourcentage de consommation de matières premières cela représente-t-il?

[Français]

M. St-Amour: En général, si on parle de consommation de bois rond -- je suis obligé de faire la distinction parce que les copeaux sont vraiment un autre domaine -- les scieries sont autosuffisantes en moyenne aux environs de 80 p. 100. Il y a à peu près 80 p. 100 de leur volume -- si je fais une moyenne Québec et Ontario -- qui sont garantis par licence ou par contrat d'approvisionnement.

L'autre 20 p. 100 provient peut-être à 10 p. 100 des forêts privées québécoises et ontariennes et un autre 10 p. 100 des achats sur ce qu'on appelle le marché libre mais en provenance des forêts publiques. Ce sont des premiers droits de refus ou des choses du genre.

Pour ce qui est des copeaux, c'est un peu plus difficile de le quantifier parce que les copeaux entrent dans la fabrication des pâtes et des papiers. Ce sont souvent des sous-produits de nos propres scieries. On va aussi sur le marché libre dans les 2 provinces. L'entreprise va être autosuffisante aux environs de 60 p. 100 en copeaux, et à 40 p. 100 sur une base d'achat à court ou à long terme.

[Traduction]

Le sénateur Stratton: Merci d'être venu aujourd'hui. J'aimerais faire référence à ce que l'un des témoins précédents, M. Jack Blacksmith du Grand conseil des Cris a dit. Dans son mémoire, il dit que nous coupons trop de bois, trop rapidement. Comment réagissez-vous à cela, étant de l'autre coté de la question? Je pense qu'il serait pertinent pour nous de vous le demander.

[Français]

M. St-Amour: Suite à nos discussions avec les nations autochtones, et je parle autant du Nord que du Sud, on s'aperçoit, et les autochtones nous le disent souvent, qu'on n'a pas la même échelle de foresterie. On ne parle pas de l'utilisation de la forêt de la même façon, culturellement et industriellement.

De notre part, je mentionnais tantôt que les usines sans forêt sont du béton et de l'acier qui ne valent rien. Il serait beaucoup improductif pour notre entreprise de récolter une forêt plus rapidement qu'elle ne croît. Autant au Québec qu'en Ontario, et à ma connaissance, au Nouveau-Brunswick et au Manitoba, les forêts sont récoltées sur une base de rendement forestier soutenu.

Ce rendement forestier soutenu est basé sur une foule de critères dont la connaissance qu'on on a du territoire et sur l'effet des traitements sylvicoles qu'on y applique. Un rendement forestier peut fluctuer d'une période de 5 ans en 5 ans, mais pas de 50 p. 100.

Le niveau de rendement forestier devrait toujours se maintenir à 1, 2 ou 3 p. 100 en plus ou moins sur des périodes de 5 ans, de façon à respecter la capacité productive de la forêt. On se doit de faire évoluer notre niveau de connaissances autant sur les stocks sur pied que sur les rendements de nos traitements sylvicoles.

Je vous dirais que je ne partage pas cette vision. Je comprends qu'elle puisse exister parce qu'on n'a pas la même vision de la forêt.

[Traduction]

Le sénateur Stratton: Lorsque nous étions à Timmins il y deux semaines, M. Naysmith de Thunder Bay a identifié et parlé d'un écart. En d'autres mots, il y aura une pénurie parce que dans le passé nous avons récolté la forêt sans songer au reboisement. Comme résultat, même s'il y a du reboisement maintenant, il y aura un manque à gagner qui durera 15 ou 20 ans. Prévoyez-vous la même chose dans cette région?

[Français]

M. St-Amour: Je vais prendre un graphique que j'ai préparé. J'ai beaucoup d'intuition pour la présentation. J'ai essayé d'illustrer ici, sans tomber dans un cours de génie forestier ou quoi que ce soit, la façon de calculer le rendement soutenu de la fibre. Cet exemple est très vulgarisé. Cela peut ressembler à plusieurs endroits, autant l'Abitibi-Témiscamingue que le Nord-Est ontarien.

Lorsqu'on fait nos plans d'aménagement, le chronomètre est toujours reparti à zéro. On regarde toujours par périodes de 5 ans l'état de la forêt.

Dans ce cas, vous avez l'année en cours par rapport au début du plan et le stock sur pied considéré comme mûr, c'est-à-dire des arbres dont la croissance est terminée ou la décroissance est amorcée. La cinquième année, on calcule 90 000 mètres cubes de stock mûr sur pied qui nous permettraient d'être capable de ramasser la fibre qui autrement serait en décroissance.

On fait le même exercice à partir des banques de données forestières. On prévoit ces stocks mûrs sur pied par périodes de 5 ans. La pensée de fond du calcul du rendement soutenu est qu'il ne faut jamais récolter plus que le minimum de stock sur pied pendant une année donnée.

Dans ce cas, vous voyez qu'aux années 40 et 45, le stock sur pied est au minimum par rapport aux courbes des stocks prévues. Ceci fait qu'au cours des 40 premières années, notre niveau de prélèvement ne pourra pas dépasser le 60 000 mètres cubes.

J'ai illustré en plus pâle l'apport des plantations ou plus particulièrement des peuplements aménagés. Dans ce cas, j'ai écrit le mot plantation pour faciliter la compréhension. Théoriquement, en plantation, les rendements sont supérieurs et la période de révolution est inférieure. Ce qui fait qu'à la cinquième année, si je prévois récolter ces peuplements en fin de croissance ou en décroissance, je prévois aussi les reboiser pendant ces 5 années. Ils seront à maturité.

Ce qui fait que j'ai un apport de plantations ou de peuplements, si vous voulez, aménagés de façon plus intensive qui vont donner un apport à la disponibilité de fibres dans 45 ans. Je fais le même exercice pour chacune de mes colonnes ici. Ce qui fait que plus j'avance dans le temps, selon les années, je peux avoir des peuplements qui sont plus dégradés, moins bien régénérés naturellement.

On sait que récolter du pin gris en forêt boréale représente une stratégie différente de l'épinette ou du sapin. Mes niveaux de reboisement sont susceptibles d'augmenter à plus ou moins long terme. Ils vont me fournir de plus en plus de fibres, ce qui va faire en sorte que ma période critique sera terminée. Ce seuil sera dépassé.

Après le passage de cette période qui est la plus basse dans l'ensemble de l'histoire de la forêt, théoriquement, le rendement soutenu à partir de la 50e année va commencer à augmenter. Pour 5 ans, le rendement soutenu va augmenter, par exemple, à 75 000 mètres cubes. Les 5 années suivantes, il va tomber à 80 000 mètres cubes jusqu'à un plafonnement à 110 000 mètre cubes, par exemple, à partir de l'année 80. C'est le principe du calcul du rendement soutenu. Comme vous pouvez voir, la normalisation forestière, un terme que vous avez entendu peut-être au cours de vos consultations, fait en sorte qu'après avoir fait une révolution en forêt naturelle et l'avoir aménagée, on atteint un plateau qui théoriquement est parfait.

Il va être stable à long terme et la nouvelle possibilité va être la plus basse de ces colonnes, mais toutes les colonnes sont égales. La possibilité forestière est celle de ce plateau.

Nos interventions en forêt française, dans le secteur Sud-Ouest de la France, se font dans une pineraie aménagée depuis au-delà de 120 ans. Vous connaissez peut-être ce pin qui est à mi-chemin entre notre pin gris et notre pin rouge. La France est rendue à ce plateau, ici. C'est une forêt parfaitement normalisée. Cette forêt est privée à près de 95 p. 100.

S'ils ont relevé le défi de normaliser une forêt privée, il y a tout lieu d'espérer atteindre cette chose un jour.

Peut-être pour synthétiser, il y a un plateau qui est dicté par la colonne la plus basse. Au cours des premières années ou des 25 premières années, c'est toujours le plateau le plus bas qui dicte nos agissements.

Tout ce que cela peut influencer ce sont de nouvelles connaissances. Elles font en sorte que cette colonne était peut-être plus haute en réalité que ce qu'on pensait; celle-là sera peut-être plus basse. Dans l'ensemble, cela peut faire varier cette ligne, comme je vous mentionnais le 2, 3, 4 p. 100 à chacune des périodes de 5 ans. Grosso modo, c'est à peu près impossible, à moins d'une catastrophe gigantesque, qu'on soit vraiment dans l'erreur dans nos calculs de possibilités.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich: Hier, il y a eu une décision en cour contre le gouvernement de l'Ontario au sujet d'une région à Temagami. Est-ce que Tembec est à Temagami?

[Français]

M. St-Amour: Une partie de nos opérations y sont effectivement, oui.

Le sénateur Mahovlich: Oui.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich: Étiez-vous partie de cette cause?

M. St-Amour: Oui.

Le sénateur Mahovlich: Tembec en faisait partie?

M. St-Amour: Oui.

Le sénateur Mahovlich: Et vous avez perdu?

M. St-Amour: Oui.

Le sénateur Mahovlich: Je ne suis pas au courant de toute la procédure. Est-ce que Tembec coupait des arbres qu'elle ne devait pas couper ou le gouvernement ontarien est-il en faute pour avoir permis à Tembec de le faire? Avez-vous besoin d'un avocat pour répondre à cette question?

[Français]

M. St-Amour: Je suis ingénieur forestier de formation mais je peux vous répondre. Dans ce cas, on peut résumer le problème ainsi: il y a beaucoup de pression de la part du Sud de l'Ontario pour la préservation de certaines forêts dans le Nord de l'Ontario.

Un des aspects légaux qui était un peu plus fragile dans la loi que gère le MNR en Ontario, c'est le processus d'adoption des plans d'aménagement forestier et d'émission des permis aux entreprises forestières. Les environnementalistes les mieux organisés ont trouvé une petite faille dans la loi qui a mis le gouvernement de l'Ontario devant une possible illégalité et le forcer d'accepter un plan d'aménagement.

Vous avez bien résumé, sénateur Mahovlich, la situation. C'est une cause dans laquelle les entreprises forestières respectaient les lois, les règlements et appliquaient leur convention d'approvisionnement sur les terres publiques mais où le gouvernement de l'Ontario s'est fait dire: vous ne respectez pas la loi lorsque vous émettez les permis.

Il n'est pas question d'illégalité des entreprises forestières, c'est une question légale très fondamentale.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich: Votre société m'impressionne beaucoup. J'ai passé quelques semaines à Timmins. Merci d'avoir tiré au clair certains des doutes que nous avions.

[Français]

Le sénateur Gill: Si on se réfère à votre graphique, si on prend le stock mûr, j'imagine que c'est à même les forêts naturelles?

M. St-Amour: Oui.

Le sénateur Gill: Ce qu'on voit en noir, c'est la forêt naturelle et en gris, c'est la contribution ou l'apport des plantations?

M. St-Amour: C'est exact.

Le sénateur Gill: Tel qu'indiqué là?

M. St-Amour: Oui.

Le sénateur Gill: S'il ne se fait pas de plantations -- je ne sais pas si mon interprétation est bonne -- cela signifie-t-il que dans 90 ans, nous n'aurons plus de forêts naturelles?

M. St-Amour: Si nous ne faisons pas de plantations, vous dites?

Le sénateur Gill: Oui. S'il n'y avait pas l'apport des plantations.

M. St-Amour: Oui.

Le sénateur Gill: À moins que je lise mal votre graphique.

M. St-Amour: Je vous écoute.

Le sénateur Gill: Cela veut dire que dans une période d'à peu près 80 ou 90 ans, il n'y aurait plus de forêts naturelles? Votre point de référence est à 60 ans à peu près?

M. St-Amour: C'est exact.

Le sénateur Gill: Si j'enlève la plantation, vous en êtes toujours à 60 à peu près?

M. St-Amour: Très bien.

Le sénateur Gill: À l'oeil.

M. St-Amour: Vous parlez à partir d'ici ou à peu près?

Le sénateur Gill: Cela veut dire qu'il n'y a plus de forêts naturelles?

M. St-Amour: Non, vous avez presque la bonne interprétation. Votre reboisement ici, plutôt que de revenir sur une période de 45 ou 50 ans, selon un tel modèle, ne reviendra pas sous forme de plantations, il va revenir sous forme de forêts naturelles.

Avec une plantation, en réalité, vous accélérez beaucoup le processus de la forêt parce qu'il n'y a aucun délai de régénération. La forêt ne prend pas 10, 15 ou 20 ans à se régénérer naturellement. De plus, vous mettez un espacement idéal entre les arbres. Ceci fait que l'accroissement des arbres que vous mettez en place est plus rapide et sa période de révolution est plus courte.

En réalité, si on ne reboisait plus, prenons un exemple facile: ici, la plantation donnerait 20 000 mètres cubes de possibilité forestière annuelle mais la forêt naturelle reviendrait plus tard avec un reboisement de 5 000 mètres cubes en forêt naturelle.

Toutes nos colonnes descendraient, on leur couperait une partie du pied. Vous avez raison. Par exemple, le 60 000 mètres cubes demeurerait à long terme; sauf que si on enlève les plantations, nous n'avons que la forêt naturelle. Il est inexact de dire qu'il n'y a plus de forêt naturelle. Ce n'est que de la forêt naturelle.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, monsieur St-Amour. Ce fut très intéressant. Il n'y a plus de questions.

La séance est levée.


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