Délibérations du sous-comité de la
Forêt
boréale
Fascicule 9 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
ROUYN-NORANDA, le mercredi 28 octobre 1998
Le sous-comité de la forêt boréale du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts s'est réuni aujourd'hui à 13 h 20 pour poursuivre son étude de la situation actuelle et future des forêts au Canada, et en particulier celle de la forêt boréale.
Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.
Le président: Notre premier témoin cet après-midi est M. Henri Jacob. Il représente les écologistes de Val-d'Or et des environs. Vous avez la parole.
[Français]
M. Henri Jacob, président du Regroupement Écologiste de Val d'Or et Environs (Le REVE): D'abord, je voudrais vous remercier, honorables sénateurs, de nous avoir invités à participer à cette séance d'information.
Dans un premier temps, je voudrais me présenter et ceux que je représente. Je me dis écologiste; écologiste dans le sens environnementaliste militant. Parce qu'il y a une différence en anglais: un écologiste, c'est un professionnel en anglais; et en français, c'est un militant. Il faut faire la différence.
Depuis 1972, je travaille en environnement avec des groupes environnementaux. J'ai commencé à Kitchener, en Ontario et pour en arriver à aujourd'hui. Aujourd'hui, je représente le Regroupement Écologiste de Val d'Or et Environs. C'est un petit groupe qui a été fondé il y a une dizaine d'années dans le but de défendre les droits environnementaux de la population et de permettre aux gens de pouvoir s'exprimer sur les questions ou les débats environnementaux.
Je suis aussi président du Réseau Québécois des Groupes écologistes, un réseau qui réunit les différents groupes environnementaux du Québec. Je suis aussi coprésident sortant du Réseau Canadien de l'Environnement, un organisme de services pour les groupes environnementaux, et qui représente au-delà de 2 000 organisations environnementales au Canada. Ceci résume qui je suis.
Quand je vous dis que je vous remercie pour nous avoir donné droit à la parole, c'est que de plus en plus ici au Québec, les environnementalistes n'ont plus le droit à la parole, du moins plus aussi facilement. Les gouvernements ont décidé que les environnementalistes au Québec ne faisaient que critiquer. Et quand on parle, on se fait traiter de radical, et on est radical aussi juste à vouloir prendre la parole.
À titre d'exemple, lors du sommet socio-économique il y a deux ans, le seul groupe de citoyens qui n'étaient pas représentés, malgré les nombreuses demandes, étaient les environnementalistes. Monsieur Bouchard a spécifiquement fait en sorte que les environnementalistes ne puissent pas avoir droit à la parole.
Également, au Québec, le gouvernement a décidé de créer des structures parallèles de représentation de groupes environnementaux, dont nous sommes exclus. C'est-à-dire qu'en vue d'augmenter le nombre d'environnementalistes qui participent au débat, le gouvernement du Québec a institutionnalisé ce qu'on appelle les Conseils Régionaux en Environnement, dont nous sommes exclus, nous les environnementalistes militants de base, qui ne partagent pas l'opinion du gouvernement du Québec. C'était succintement ma présentation.
En ce qui a trait au dossier de la forêt, d'abord nous n'avons pas préparé de mémoire en tant que tel, parce que nous ne savions pas exactement quelle en était la forme. On n'avait pas assez d'information. On a appris juste la semaine dernière que vous veniez dans cette région-ci.
Pour nous, la question de la foresterie, vu qu'on demeure en Abitibi, dans la forêt boréale, nous considérons que c'est, au Québec, le dossier le plus important; mais également, un des dossiers qui est le moins étalé sur la place publique. Nous ne pouvons pas nécessairement dire les vraies raisons, mais nous croyons que le gouvernement ne veut pas tellement qu'il en soit question sur la place publique.
Nous croyons que la forêt du Québec est dans un état lamentable. Nous croyons qu'il y a eu, pendant des années, une surexploitation de la ressource; et jusque dans les années 70, même les rapports du gouvernement parlaient de l'Abitibi-Témiscamingue comme la région des grandes coupes à blanc ainsi que de rupture de stock.
À ce moment, on disait qu'on récoltait 13 p. 100 du capital forestier, soit plus que l'intérêt. Au début des années 80, on a eu la brillante idée de reculer les limites forestières au Nord; ce qui a fait que les régions qui étaient en rupture de stock sont redevenues, comme par miracle, absentes de rupture de stock.
Présentement, on récolte des forêts entre le 50e et le 52e parallèle ce qui n'existait pas avant. Auparavant, cela s'arrêtait au 48e parallèle, mais on récolte maintenant jusqu'au 52e .
La conséquence en est que les arbres qui viennent de la Baie James sont des arbres que nous appellons «arbres bonsaïs», qui ont quelquefois 150 ans, mais qui ont à peu près 6, 7 ou 8 pouces de diamètre.
Pour ce genre d'exploitation, il n'existe pas d'étude qui prouve que la régénération artificielle va vraiment fonctionner dans des régions aussi nordiques. Et depuis 1970, le Québec récolte à peu près la même quantité de mètres cubes de bois qu'aujourd'hui.
Depuis ce temps, on récolte à peu près la même quantité, mais avec des arbres beaucoup plus petits et beaucoup plus distancés. Il en résulte que pour la même quantité de mètres cubes, on doit maintenant couper à peu près 4 ou 5 fois la superficie qu'on récoltait dans les années 70; la forêt recule donc très rapidement.
Hier, le représentant de l'Office du tourisme disait qu'il y avait une compagnie qui était rendue au Nord du 52e parallèle. Il s'agit de la compagnie Kruger qui suite a une entente avec le gouvernement peut couper au Nord du 52e, dans la région de Manicouagan, le Réservoir Manicouagan.
Ce qu'il y a de particulier au Réservoir Manicouagan, c'est cette île au centre du Réservoir Manicouagan qui fut donnée à la compagnie Kruger pour la coupe de bois; alors qu'au Québec, il existe une Loi interdisant la coupe de bois sur les îles. Mais dans ce cas précis, la permission a été donnée à la compagnie Kruger d'exploiter cette forêt.
Nous croyons que ce qui se coupe présentement au Québec représente le double de la capacité. On se base sur le fait que les compagnies forestières et les gouvernements affirment que le cycle de régénération des forêts est d'à peu près de 60 ans. Nous disons qu'il faut au moins le double pour parvenir à une bonne régénération naturelle.
Le cycle naturel des forêts, spécialement celui la forêt boréale, en est un où une fois la forêt coupée, des essences dites colonisatrices apparaissent, soit des framboisiers, des aulnes et l'érable à épis; par la suite, les essences dites intolérantes à l'ombre, soit le bouleau et le tremble; et puis pousse, en sous-bois, ce qu'on appelle le bois commercial, l'épinette ou le pin, qui sont les essences recherchées.
Ce que l'industrie et les gouvernements essaient de faire, quand on parle de rendement soutenu -- et maintenant de rendement accru -- c'est de remplacer les essences dites indésirables, parce qu'elles ne sont pas commercialement rentables, par une essence dite beaucoup plus rentable, soit l'épinette. On essaie de couper les cycles naturels de la forêt afin d'obtenir, à chaque étape, du pin ou de l'épinette.
On compare aujourd'hui la forêt à l'agriculture. Mais en agriculture, pour ceux qui s'y connaissent un peu, si on cultive des choux une année, puis l'année subséquente, il y a de fortes probabilités d'avoir des problèmes de choux. Puis lors d'une troisième culture consécutive de choux, il n'y aura que du ver à choux, tout le choux sera disparu.
En foresterie, c'est exactement la même chose. Sans une rotation, il y aura épuisement des sols, à notre point de vue. Nous retrouvons souvent l'épuisement des sols, par exemple dans des plantations suite à des épidémies d'insectes. C'est le cycle naturel pour essayer de rééquilibrer l'écosystème dont on parlait ce matin.
Présentement, on essaie justement de couper les étapes. Donc, on s'en va vers un épuisement des sols. Il y a même une étude à l'Université Laval voulant que lors d'une deuxième génération de plantation, les rendements ne sont plus aussi grands qu'à la première plantation.
Malgré tous les beaux discours des gouvernements et des représentants des compagnies forestières, nous croyons que nous nous dirigeons vraiment vers un désastre, tout comme le soutiennent les environnementalistes.
En fait, les compagnies forestières essaient de sauter les étapes, à notre point de vue, qui sont vitales pour l'écosystème. Quand on parle de rendement accru, on parle de rendement accru pour l'industrie; on ne parle pas de rendement accru pour la forêt.
Nous croyons qu'un écosystème peut produire un nombre «X» d'essences vivantes, que ce soit du bouleau, de l'épinette ou de la mousse. Mais pour planter plus de sapins, d'épinettes ou de pins, il faut qu'ils enlèvent d'autres espèces d'essences dites indésirables.
Un ingénieur forestier dernièrement nous disait que maintenant pour avoir plus d'épinettes à un endroit, on devrait planter à tous les mètres plutôt qu'à tous les deux mètres. Le seul problème, c'est qu'il faudrait expliquer aux orignaux de marcher la tête de côté parce que souvent les panaches sont plus larges que un mètre, et en plantant les arbres à tous les mètres, ils vont avoir des problèmes à se promener!
Je pense qu'il faut arrêter de considérer la forêt comme étant simplement un secteur à récolter. Nous devons plutôt la voir comme un milieu qui, vraiment, nous soutient et soutient la vie. Nous devons nous adapter à la nature et à sa vitesse de production plutôt que d'essayer de la surexploiter.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Jacob. Nous allons maintenant entendre M. Yvan Croteau, puisque vos exposés portent sur des aspects semblables, même s'ils ne sont pas identiques, et nous pourrons ensuite vous poser des questions à tous les deux.
Monsieur Croteau, vous étiez ici hier soir et je suis convaincu que les sénateurs se souviennent de ce que vous avez dit à ce moment. Vous allez peut-être toutefois nous parler de choses nouvelles aujourd'hui. Allez-y.
[Français]
M. Yvan Croteau, ingénieur forestier et représentant du groupe Les Citoyens des Lacs Gendron, Vaudry et Joannès: Monsieur le président, je voudrais vous présenter le contexte particulier d'un groupe de citoyens qui ont été sensibilisés à défendre un petit coin de forêt où ils ont des chalets, près d'un lac. Il s'agit des citoyens des lacs Gendron, Vaudry et Joannès.
Cette situation n'est pas exceptionnelle, mais de plus en plus courante. De plus en plus de groupes de citoyens interviennent en disant: Écoutez, ce n'est pas vrai qu'on a un mot à dire dans la gestion des forêts, parce que ce qu'on entend ne répond pas, de manière efficace, à nos propres attentes, les citoyens et ceux qui vivent dans la forêt plus particulièrement.
Le cas des lacs Gendron, Vaudry et Joannès concerne une forêt d'environ 124 kilomètres carrés. C'est tout près de Rouyn-Noranda. C'est une forêt qui représente le portrait caractéristique et assez global de la forêt abitibienne. Il n'y a pas d'éléments vraiment exceptionnels ou hors normes de ce qu'on peut rencontrer dans ces forêts. Mais la particularité de ces forêts réside dans le fait que les dernières coupes qui ont été effectuées dans ce territoire remontent aux années 1930; donc, avec des chevaux et des méthodes très différentes de celles employées aujourd'hui.
De nos jours, on y retrouve une forêt qui est très près de la maturité ou à maturité, donc un portrait de forêt semblable à ce qui existait avant la colonisation de l'Abitibi. Les citoyens de ces lacs ont voulu arrêter la coupe de bois, parce que les lacs forment un front nord-sud. Toute la forêt à l'est des lacs a été coupée. Il n'y a absolument plus rien. De plus, il y a eu un feu récemment, donc il n'y a plus de forêt mature.
La section ouest du lac, par contre, est en pleine croissance ou à différents stades de maturité. Elle représente un grand intérêt pour la population locale. Alors, il y a un souci de vouloir protéger cet îlot et l'aménager, en évitant de répéter ce qui s'est fait dans le secteur est des lacs. On ne veut pas de coupe à blanc ni d'intervention massive et industrielle comme cela s'est fait.
Nous vous demandons de considérer, selon les techniques et les méthodes industrielles d'exploitation, s'il y aurait lieu de garder des îlots dans cette forêt comme échantillonnage de vieille forêt? Parce qu'il en reste, actuellement.
Il n'y a peut-être pas 124 kilomètres carrés de vieille forêt, mais il y en a certainement. La carte des feux de l'Université de l'Abitibi nous invite à s'interroger sur cette question. Et s'il y en a, il y aurait peut-être lieu de la protéger pour deux raisons: premièrement, parce que les vieilles forêts sont de plus en plus rares, surtout proche d'un bassin de population, et, deuxièmement, on pourrait s'en servir pour l'éducation.
L'autre élément que nous vous soumettons est celui des citoyens qui se plaignent des méthodes des coupes des industriels. Ils voient bien les résultats des coupes forestières. Ce sont des gens qui vivent et qui circulent dans le milieu; ils sont donc amenés à voir les méthodes qui sont utilisées, et s'en disent insatisfaits.
J'ai obtenu récemment un guide des ressources mondiales pour l'environnement urbain. On y fait le bilan des ressources. Dans le chapitre sur les forêts boréales, l'étude disait textuellement:
Dans une étude de 1995, l'Institut pour le Développement durable avance que l'Amérique du Nord aurait perdu 20 p. 100 de sa couverture forestière originale; et les pays de l'ex-Union soviétique, environ 35 p. 100.
Ces chiffres seraient beaucoup plus élevés si on enlevait la portion des forêts qui ne sont pas des forêts boréales, mais qui sont plutôt des forêts feuillues. La démarcation n'est pas précise.
Ce qui est inquiétant dans ces chiffres, c'est que le 20 p. 100 se situe beaucoup plus au sud, cela signifie que les exploitations sont rendues vraiment à la limite nordique de la forêt boréale. Et dans la limite nordique de la forêt boréale, un des problèmes est les pergélisols. Cela signifie que le sol ne dégèle pas complètement pendant l'été, il reste congelé. Ce sont des forêts qui se sont développées sur des coussins de glace. Il n'y a que quelques centimètres qui dégèlent pour la croissance des arbres. Mais lorsqu'on vient exploiter cette forêt, on perturbe le sol et l'humus, puis le sol dégèle. Le sol, en dégelant, va s'inonder complètement et empêcher la réussite du reboisement.
Nous sommes parvenus à cette limite. Cela nous inquiète évidemment beaucoup, parce qu'il n'y a pas de solution magique à essayer de reboiser un lac; ce n'est pas possible. Sauf qu'on sait que c'est un écosystème qui s'est développé dans des conditions extrêmement difficiles. On n'a pas d'outils technologiques aujourd'hui pour assurer la reconstruction de la forêt.
L'autre déception également ressentie par les citoyens, est celle de la stratégie que les industriels et le gouvernement québécois utilisent dans la gestion des forêts. On a une seule stratégie, il n'y en a pas cinquante. La Loi 150 donne un seul modèle de mise en valeur des ressources de la forêt québécoise. On aurait pu multiplier cela par 10, 20 ou 50. Il n'y a presque pas de limite sur les modèles de gestion forestière qu'on aurait pu se donner, mais on ne s'en est donné qu'un seul.
Pour nous, c'est complètement inacceptable. On ne peut pas s'imaginer que l'ensemble des écosystèmes québécois, et même canadiens, peuvent répondre qu'à un seul modèle d'exploitation. Les belles courbes de croissance sont toutes des courbes qui n'ont pas encore fait leur preuve. Nous sommes des pionniers en ce domaine.
On ne fait pas preuve de prudence car on pousse la possibilité à la limite. On ne prévoit pas de coussins en cas d'incendie ou d'épidémies, ou encore en cas de changement de climat qui bouleverserait l'écosystème lui-même. On n'a pas de marge de manoeuvre, et on donne toujours le maximum de bois.
L'année passée, au congrès de l'Ordre des ingénieurs forestiers, et aussi dans un document d'enquête du ministère des Forêts, ils ont relevé que 90 p. 100 des plans d'aménagement quinquennal, annuel ou général doivent être revisés trois fois avant d'être acceptés. C'est parce qu'il y a beaucoup de travail qui a été mal fait et qui doit être recommencé et normalisé car tout fonctionne avec des normes. Cela cause une inquiétude majeure dans la population parce que les compagnies ne semblent pas engager des spécialistes pour faire le travail.
Nous nous soucions aussi des bandes de protection. Ces bandes de protection, au Québec, en général, sont de 20 mètres le long des cours d'eau ou le long des lacs. S'il y a un habitat particulier, cela peut aller jusqu'à 60 mètres.
Avec le temps on a appris que les études sur lesquelles s'appuie la détermination de ces bandes de 20 mètres -- plutôt que 100, 120 ou 300 mètres -- c'est tout simplement parce qu'il est obligatoire pour les rivières à saumons le long du fleuve St-Laurent. Une bande de 60 mètres avait été suggérée par des spécialistes de la faune, entre autres. Mais, pour toutes les autres rivières du Québec, c'est 20 mètres.
En prenant 60 mètres, on a fait le calcul mathématique de ce que cela représentait en volume de bois, puis on a conclu que l'industrie perdrait trop de bois; en conséquence, on a décidé que ce serait 20 mètres.
Autre élément: on aurait peut-être pu avoir des bandes de 40 mètres si on avait accepté de ne pas avoir des écrans de vision, parce que le long des routes principales et de certaines routes secondaires, les compagnies forestières vont garder une bande de 20 mètres. Cette bande de 20 mètres n'est que du tape-à-l'oeil pour éviter que le citoyen, la population ou le visiteur voient l'ampleur des coupes dissimulées derrière ces 20 mètres. Elle ne sert absolument à rien, cette bande de vingt mètres.
Si le gouvernement voulait sauver du bois, il aurait dû prendre ces 20 mètres et les ajouter aux bandes de 20 mètres des lacs et des zones sensibles; cela aurait été une démarche beaucoup plus cohérente.
Un autre élément qui fait scandale aussi, c'est qu'on parle de plus en plus d'économie sociale. On veut remettre au travail une population de plus en plus croissante qui n'a plus accès au marché du travail. Nous pensons que cela signifie qu'il y aura des programmes pour inciter les gens à se créer un deuxième métier. Dans ces programmes, on va leur faire faire des travaux sylvicoles.
Si on regarde la moyenne des salaires versés dans ces programmes, cela varie autour du salaire minimum. Qu'est-ce que cela veut dire? C'est que pour réparer les dégâts des industriels, on embarque la population dans un programme pour réparer ces erreurs. En général, les personnes qui ont été appelées à travailler dans ce genre de formation-là ne le refont pas une deuxième fois. Ils le font pendant 1 ou 2 ans, mais ils ne recommencent pas une troisième année et ils n'en font certainement pas un métier.
Ce sont donc des éléments qui ont déçu énormément les citoyens qui se demandent: à qui appartient la forêt? Appartient-elle à des capitaux extérieurs au Québec, extérieurs à la région, ou si elle appartient à ceux qui l'habitent?
Cette question est souvent débattue lors de tables régionales, par exemple, parce qu'on s'aperçoit que lorsqu'une compagnie décide d'ouvrir un marché à tel endroit sur la planète, il y a un impact direct dans la région ainsi que sur le rythme auquel la forêt va être coupée.
Il n'y a pas de pont entre les deux. Si la compagnie le décide, cela se fait; nous n'avons rien à dire sur la stratégie de la liquidation des ressources forestières.
Je vais vous donner un exemple: il y a une usine à Lasarre qui a dépensé à peu près 26 millions de dollars pour faire des panneaux gaufrés. Ils utilisent des trembles qu'ils coupent en morceaux pour en faire d'immenses panneaux. Environ 50 p. 100 de la production de cette usine est allée au Japon pour faire des emballages de motoneige et de sea-doo, ou toutes sortes de gadgets motorisés qui, à leur tour, vont venir mettre une pression supplémentaire sur les forêts.
Dans cette usine au coût de 26 millions de dollars, il y a 16 travailleurs par quart de travail. Il y a 20 ans, dans une usine semblable, il y aurait peut-être eu 150 travailleurs. Mais cela signifie également qu'il y a peut-être seulement 16 travailleurs qui seront capables de se payer des motoneiges. S'ils veulent vendre des panneaux d'emballage pour des motoneiges, ils devront trouver un truc pour créer des emplois pour que les gens puissent acheter des motoneiges, parce qu'ils seront incapables de vendre leurs produits.
Il y a comme un cercle vicieux ou une incohérence dans le marché actuel qui fait qu'on liquide à tout prix et rapidement, sans prévoir. C'est comme si le serpent mangeait sa queue.
Donc, à la question: à qui appartient la forêt? Nous pensons qu'elle doit appartenir principalement à ceux qui l'habitent, à ceux qui en sont les plus proches. Graduellement, ceux qui en sont les plus éloignés peuvent évidemment amener leurs idées. Par contre, en faisant l'inverse, on va vider l'Abitibi. L'Abitibi va tout simplement devenir une deuxième Gaspésie, et nous croyons que c'est pour bientôt.
Un élément que nous croyons valable, et qui peut nous sortir partiellement du problème, consiste à se doter de bons outils de planification. Le Règlement des normes d'intervention du ministère des Forêts du Québec comporte une centaine de règlements. La plupart des infractions commises à l'encontre de ce réglement étaient dues à un manque de planification. Si on avait mieux planifié, on aurait évité le problème.
À titre d'exemple: le porteur est une machinerie qui, plutôt que de tirer le bois, va le porter sur elle-même; ce sont des engins assez pesants. L'hiver dernier ou l'hiver précédent, au nord de Lasarre, un porteur s'est déplacé dans une zone très humide de la forêt et il a calé. Il a fallu cinq porteurs pour le sortir, parce qu'un deuxième, troisième et quatrième porteurs ont calé à leur tour en y allant. Cela a créé un gâchis monumental dans le secteur où ces 5 porteurs ont été utilisés pour sortir le premier porteur qui avait calé.
L'information sur les zones sensibles et les zones solides sur le territoire existe déjà. On a déjà des informations pour planifier en ce sens. Il faut éviter de mettre des machineries trop pesantes dans des secteurs trop fragiles. On refuse de l'utiliser actuellement, en alléguant que cela presse, que cela prend du temps, et on donne énormément de justifications pour s'empêcher de planifier, tout en sachant que les outils existent, et ce même depuis 20 ans au Québec.
Récemment, le gouvernement a émis une carte qui s'appelle la «carte Écoforestière». Cette carte donne une partie de l'information nécessaire à une bonne planification. Cette carte Écoforestière, sur un grand projet d'aménagement, pourrait indiquer par exemple, si mon territoire comporte 30 p.100 de sols ayant une bonne capacité portante.
On peut indiquer où sont les sols les plus solides, où sont les sols qui ne causeront pas de problèmes en construisant des routes. Cela s'établit à l'avance, même avant d'aller sur le terrain ou de faire la photo aérienne. Il y a beaucoup d'informations qui peuvent être obtenues.
Cependant, la compagnie, dans sa gestion des plans d'aménagement, délègue tout. Il existe à peu près un chef forestier par entreprise. Il y a environ 5 ingénieurs forestiers qui gèrent à eux seuls la totalité de l'Abitibi-Témiscamingue, tout le reste étant accordé par sous-contrats.
Les sous-contracteurs se retrouvent parmi des firmes qui font les plans d'aménagement, ou parmi les entrepreneurs eux-mêmes, qui font la coupe forestière. Tout fonctionne par soumissions: le plus bas soumissionnaire donne toujours son prix le plus bas. Ce faisant, il obtient un produit de plus en plus «cheap » qui ne peut répondre aux exigences du terrain et à la fragilité des écosystèmes.
C'est une dimension extrêmement importante. Si on ne planifie pas écologiquement la manière dont on veut intervenir en forêt, on va faire gâchis par-dessus gâchis.
Un des mythes utilisés par l'industrie est qu'on fait du reboisement, que l'on répare. C'est faux. Le reboisement, c'est une erreur. C'est parce qu'on a mal aménagé qu'on est obligé de reboiser, et le coût social du reboisement est énorme. Un arbre qui a été reboisé va coûter, en bout de ligne, de 2 000,00 $ à 3 000,00 $ du mètre cube en investissements sociaux.
J'ai fait moi-même des travaux d'aménagement en terrains privés et on dépasse rapidement le 1 000,00 $ par hectare pour aménager la forêt privée. C'est donc un coût social énorme. Alors qu'on ne vienne pas prétendre que le reboisement est la solution. Non, ce n'est pas la solution. Un reboisement, c'est tout simplement un palliatif parce qu'on a tellement gaffé avant qu'on en est rendu à l'étape de sauver la face.
C'est donc une partie du portrait. De plus en plus, on verra des groupes de citoyens qui vont se lever pour se prononcer. Lorsque l'on confronte les industriels en exigeant des garanties sur la façon dont ils exploitent la forêt, ils sont incapables de nous livrer la marchandise. Pourquoi ? Parce que la stratégie canadienne et la stratégie québécoise en matière de forêt ne sont pas développées à l'avantage de la forêt, mais toujours au désavantage des écosystèmes et de la forêt elle-même.
[Traduction]
Le sénateur Stratton: Ma question concerne ce qu'a dit le témoin précédent, Robert St-Amour de la société Tembec. Ce dernier a bien entendu un point de vue différent. Il pense que son entreprise fait de l'exploitation forestière durable. Il nous a montré un tableau très intéressant sur les activités forestières futures, où l'on trouve des projections concernant les 95 prochaines années, et qui indique comment le fait d'intégrer le reboisement à la reconstitution forestière va permettre de résoudre les problèmes que nous connaissons actuellement.
Il a cité, à titre d'exemple, une région du sud-ouest de la France où l'on suit l'évolution de la forêt depuis 120 ans. Grâce au reboisement effectué, cette forêt se renouvelle pratiquement de façon automatique. Cette forêt est exploitable. Elle appartient à 85 p. 100 à des intérêts privés, et elle peut être exploitée de façon continue, selon le modèle qui a été élaboré sur cette période de 120 ans.
Dans cette perspective, vous comprenez notre position. Nous essayons de découvrir la meilleure méthode. Nous avons entendu son point de vue et celui de la société. Que pensez-vous de ces forêts que l'on aide à se renouveler en France?
M. Jacob: Ils parlent d'activités forestières durables. Nous parlons de forêts durables. Cela n'est pas du tout la même chose. Il faut choisir l'un ou l'autre. Lorsque vous faites du reboisement comme on le fait en Norvège ou en Suède, cela permet d'exploiter la forêt mais celle-ci n'es pas très belle. La biodiversité y est faible et ce type d'exploitation forestière est à l'origine d'un grand nombre de problèmes.
Je comprends que l'industrie préfère parler d'activités forestières durables plutôt que de forêts durables. En effet, dans le deuxième cas, on parle de l'équilibre du système forestier, ce qui veut dire qu'il faut tenir compte de toutes les espèces. Il faut tenir compte des champignons qui font partie de l'écosystème, qui sont très importants, et des microorganismes qui aident les arbres à survivre et à se nourrir.
Nous parlons d'un type d'exploitation de la forêt qui ressemble à l'agriculture que l'on pratique dans l'Ouest. Je sais, et vous le savez sans doute également, que la situation de l'agriculture n'est pas très bonne parce qu'on a déjà perdu, dans l'Ouest, la moitié des bonnes terres à cause de l'érosion, entre autres, parce qu'on fait de la monoculture. C'est exactement de cette façon qu'on exploite la forêt. Ils font de la monoculture. C'est du pin ou de l'épinette. Comme je l'ai dit, il faut supprimer toutes sortes d'espèces d'arbres et d'animaux pour en arriver à ce genre d'activités forestières durables. Cela est très différent.
Ce que je sais de la situation en France, c'est que les forêts ont beaucoup perdu en diversité par rapport à ce qu'elles étaient il y a quelques centaines d'années. Nous essayons d'empêcher le même genre d'évolution, parce qu'à long terme, cela cause de nombreux problèmes.
Le sénateur Stratton: Pour revenir à la comparaison avec les fermes de l'Ouest, il y a bien sûr l'érosion mais les agriculteurs semblent avoir réussi à conserver la terre et à la cultiver tout en préservant la biodiversité. Évidemment, les choses ont changé depuis notre arrivée. Il n'y a qu'une toute petite partie de ces terres qui soient encore dans leur état naturel. Mais il y a encore du chevreuil, il y a des lièvres, des renards, des coyotes, ces animaux sont toujours là. C'est l'homme qui exige trop de la terre, parce que les hommes sont trop nombreux. Les Prairies semblent réussir à survivre, tout comme les animaux, bien sûr sauf le bison.
Si nous avons réussi à le faire dans les Prairies, et il semble que l'on soit arrivé à une agriculture durable, et j'insiste sur «il semble que», qu'est-ce qui nous empêcherait de reboiser nos autres forêts boréales dans certains secteurs. Je ne parle pas de l'ensemble de la région mais dans certains secteurs. Vous pourriez alors utiliser ces secteurs reboisés et les comparer avec votre forêt durable. N'est-il pas possible de combiner les deux?
M. Jacob: Comme mon ami l'a mentionné, le reboisement revient à mettre un pansement sur une blessure infligée à la terre. Si l'on veut reboiser, en particulier ici en Abitibi, il y a beaucoup d'endroits où l'on peut le faire. Vous avez été à Mistissini et vous avez vu les coupes à blanc. Vous pouvez voler pendant plus d'une heure sans voir un seul arbre. Si les entreprises forestières veulent utiliser ce genre de sol, elles peuvent le faire mais je vais vous dire pourquoi elles ne le feront pas. Après une coupe à blanc, la terre n'est pas aussi productive qu'avant. Ce n'est pas uniquement parce qu'il n'y a plus d'arbres. Au printemps, la neige fond tellement rapidement que le sol se déverse dans les lacs et les rivières. L'absence de bonne terre de surface rend difficile le reboisement. C'est l'un des problèmes que soulève l'exploitation forestière axée sur le reboisement.
C'est pourquoi nous disons qu'il ne faut avoir recours au reboisement que lorsque l'on a commis une erreur, pour essayer de restaurer une forêt mais qu'on ne devrait pas s'en servir de façon systématique en foresterie. Cela devrait être uniquement utilisé pour régénérer une forêt lorsqu'on a commis une erreur.
Yvan vous disait qu'il existe aujourd'hui au Québec un outil qui a été élaboré sur une période de 20 ans mais que l'industrie ne veut pas utiliser. Le gouvernement ne veut pas l'utiliser non plus, parce que cet outil donne trop de pouvoir à la population. Cet outil nous permet de savoir à l'avance que si l'on procède à une coupe à blanc dans une région possédant un certain type d'écosystème, rien ne va repousser sur ces terrains pendant plusieurs années. Ils ne veulent pas utiliser cet outil parce que dans un tel cas, la population dirait qu'il ne faut pas couper de bois dans ce secteur.
On nous empêche d'utiliser cet outil en nous empêchant d'avoir accès à ce genre de carte. Ils ont mis au point une nouvelle carte qui est plus générale et ils disent que nous ne tenons pas compte de tous les éléments qui risquent de nous empêcher d'exploiter la forêt de cette façon.
Le sénateur Stratton: J'aimerais poursuivre mais je vais m'arrêter ici.
[Français]
Le sénateur Gill: Monsieur Croteau, vous avez mentionné plus tôt que vous étiez contre les coupes massives à blanc, et caetera. Je présume donc que vous n'êtes pas complètement contre une exploitation rationnelle, et ainsi de suite.
Monsieur Jacob, vous avez dit que vous n'aviez pas été écouté au sommet économique.
M. Jacob: Nous n'avons pas été invités.
Le sénateur Gill: Vous n'avez pas été invités du tout.
M. Jacob: Même si on a fait les demandes. Le seul groupe de citoyens qui n'était pas représenté, c'était les environnementalistes. C'est M. Bouchard qui a dit qu'il ne voulait pas nous voir là.
Le sénateur Gill: Ma question est surtout reliée aux communications, parce que je viens moi aussi d'une région. Nous sommes tous, je le crois bien, partis d'une région quelconque du pays. Si je comprends bien, en Abitibi comme ailleurs, les gens qui ont un certain intérêt ont beaucoup de communications entre eux. On peut citer le groupe des écologistes, le groupe des industriels en forêt ou le groupe des autochtones, et ainsi de suite, où les gens s'échangent beaucoup d'informations. C'est ce que j'appelle la communication horizontale, même pas horizontale parce qu'elle se fait par groupes. On discute énormément au sein de ces groupes, mais ils font tous la même chose. Il se fait aussi beaucoup de communication verticale.
À preuve, vous êtes ici aujourd'hui et vous expliquez aux sénateurs la situation que vous percevez. Donc, beaucoup de communications semblables, un peu de communication par groupes sur le plan horizontal, mais jamais assez de communication entre les groupes.
Je comprends qu'il y a un début de communication entre autochtones et non-autochtones, notamment dans le domaine de l'environnement, mais pensez-vous qu'il y aurait un peu de travail à faire de ce côté, du côté des citoyens d'une même région et entre les régions aussi, pour atteindre une certaine forme de compréhension mutuelle, pour que les intérêts soient interreliés et qu'un ensemble d'intérêts soient respectés ou coordonnés?
Pensez-vous qu'un travail se fait ou pas, ou encore s'il devrait s'en faire? Je parle de la communication entre les divers groupes intéressés.
M. Jacob: Il s'est fait, par les années passées, beaucoup de travail en ce sens. Je vous dirais que du côté du secteur environnemental, jusqu'aux années 1992, jusqu'au Sommet de la terre, ce genre de communication se faisait de plus en plus.
À partir de 1992, au Sommet de la terre, on a commencé à aller dans une autre direction. Dans l'Ouest du Canada, en Colombie-Britannique, les compagnies forestières ont commencé à subventionner un groupe anti-environnemental appelé le «Share Movement» dans le but de combattre les environnementalistes. Ce mouvement existe aussi aux États-Unis.
Ici, au Québec, le gouvernement s'est impliqué en décidant de subventionner des groupes qui prétendent être des groupes de concertation, mais qui refusent des groupes comme le nôtre en nous qualifiant de radicaux parce que nous ne partageons pas la même opinion; ils refusent même notre présence. J'ai fait plusieurs demandes écrites afin d'assister à une séance de ce Conseil régional en environnement, mais on ne m'a pas donné le droit.
Je travaille en environnement au Québec au sein du Réseau québécois des groupes écologistes. Cela fera 16 ans cette année que cela existe. C'est une organisation qui a été fondée par les groupes environnementaux dans le but de favoriser la communication avec tous les autres secteurs. Nous communiquons avec tous les autres secteurs dont les autochtones, les syndicats et, antérieurement, avec les gens des gouvernements.
Depuis que le gouvernement a décidé de prendre en main le secteur de l'environnement, il a décidé d'éliminer ceux qui n'avaient pas la même vision. Il est possible que nous soyons trop critiques quant aux initiatives du gouvernement, mais on s'organise pour que nous ne puissions pas participer aux différents débats.
Au Québec, on ne subventionne pas du tout les groupes environnementaux autonomes, malgré les batailles qu'on a faites à ce sujet. Le résultat en a été que lorsqu'ils ont décidé de donner de l'argent, ils l'ont donné à une autre structure.
C'est comme si on disait aux syndicats: «Nous sommes fatigués de parler avec les représentants syndicaux; ceux qui parleront dorénavant au nom des syndicats, c'est monsieur et monsieur. »
C'est exactement ce que le gouvernement a fait: il a décidé qui seraient les intervenants en environnement dans toutes les régions du Québec.
Le sénateur Gill: Mais vous n'avez pas espoir, malgré tout cela, de la possibilité d'une certaine communication vous permettant d'échanger un peu d'informations de part et d'autre dans une région donnée, comme par exemple l'Abitibi, avec des groupes et des gens que vous connaissez?
M. Jacob: Oui. Mais c'est simplement par la volonté des gens que cela se fait. Ce n'est pas du tout par la volonté des gouvernements que ce genre de communication se passe. Nous parlons avec les communautés autochtones, je travaille avec celles-ci un peu partout au Canada. On a même un réseau de Premières nations qui s'occupe de l'environnement, qui est affilié au réseau.
Mais c'est nous qui le faisons, sans aucune aide. Même que les gouvernements n'aiment pas trop nous voir parler et travailler avec les autochtones, parce que nous partageons un point de vue assez similaire eu égard à l'exploitation des ressources.
Les points positifs qui ont été obtenus l'ont été par les gens qui ont fait des pas. Mais, chaque fois, le gouvernement arrive pour essayer de diviser encore les gens. C'est comme l'exemple que je vous ai donné: le gouvernement a créé une nouvelle structure. Cela fait en sorte que la population devient confuse et qu'elle ne sait plus qui sont les groupes environnementaux. Il y a toujours un délai de quelques années avant que l'on réalise qu'il s'agissait d'opportunistes qui voulaient simplement ramasser l'argent et empêcher ainsi les vrais groupes environnementaux, les vrais groupes de base, de pouvoir participer aux différents débats.
Le sénateur Gill: On pourrait continuer à discuter, mais notre temps est limité.
[Traduction]
Le président: J'ai une question supplémentaire qui porte sur les mêmes points. Le gouvernement ne vous invite pas mais avez-vous été contacté par les entreprises et les sociétés forestières? Elles sont en train de créer des groupes consultatifs. Vous leur avez déjà dit «Nous voici» ou est-ce qu'elles vous répondent la même chose que Bouchard «Disparaissez»?
M. Jacob: Nous avons des contacts avec plusieurs entreprises. Nous avons des contacts avec Domtar et nous avons eu des réunions avec eux. Je siège à un conseil de la Waswanipi Model Forest. Il y a également une entreprise forestière qui a un représentant à ce conseil. Même là, ils n'aiment pas que je siège au conseil avec les Premières nations. Ils l'ont dit à l'entreprise. J'ai proposé de me faire remplacer par un autre écologiste mais la société Donahue a dit: «Non, nous ne voulons pas cette personne, elle parle trop d'environnement.»
Il y a des sociétés qui sont plus ouvertes mais c'est toujours sur une base personnelle. Ce n'est pas vraiment la société qui est plus ouverte, c'est la personne qui la représente. Nous avons des contacts avec les personnes qui veulent nous parler mais la société n'a pas beaucoup de contacts avec nous.
J'écoutais le représentant de Tembec. Il a déclaré que cette société avait un fonds environnemental qui a pour mission de donner des fonds aux groupes écologiques. Nous avons essayé. Nous avons préparé une demande de fonds mais elle a été rejetée même si notre proposition était conforme à tous leurs critères. Voilà comment cela se passe.
Il est arrivé la même chose avec le gouvernement du Québec. Ce gouvernement a un fonds pour financer les projets des groupes écologiques mais tous les groupes qui ont critiqué le gouvernement ou qui n'étaient pas suffisamment accommodants ont vu leurs demandes refusées. J'ai la liste chez moi et je pourrais vous la montrer. Cela fait des années que les choses se passent ainsi.
À l'heure actuelle, ces institutions ont tendance à consulter les personnes qui pensent exactement comme elles et non celles qui pensent différemment. Bien sûr, ce sont elles qui les paient.
Le président: Je vais poser une brève question à M. Croteau. Vous avez dit que la création d'emploi influence le développement du secteur, et pourtant nous avons entendu des Autochtones et d'autres nous dire que l'on n'embauchait pas suffisamment de travailleurs de la région. Je ne comprends pas très bien; lorsque vous dites que la création d'emploi favorise le développement, qu'est-ce qui ne vous plaît pas? Autrement dit, si l'on crée des emplois dans la collectivité, n'est-ce pas ce qu'il faut faire, créer des emplois, conserver l'environnement local? Vous ne voulez pas en faire un parc qui serait intouchable, n'est-ce pas?
[Français]
M. Croteau: Je n'ai jamais proposé de faire une intervention forestière sur toute la forêt boréale. Ce que je disais tout à l'heure, en réponse au sénateur Stratton, concernant Tembec, c'est qu'ils ont quand même une approche du reboisement qui pourrait être un compromis intéressant.
Nous disons que dans la Loi sur les forêts, la stratégie industrielle que l'on veut appliquer à l'ensemble des écosystèmes forestiers ne correspond pas à la réalité des écosystèmes. C'est de l'improvisation et de la spéculation.
Nous croyons que nos industries ont tout intérêt à mettre beaucoup d'énergie dans leur capacité à transformer les ressources que la forêt est en mesure de produire de façon naturelle, et non pas faire l'inverse.
Les industriels n'abordent jamais cette question. Pourquoi ne ferait-on pas des industries plus souples, avec une mise en marché mieux adaptée, afin de respecter la tendance d'un secteur donné? Si la forêt produit du bouleau dans un certain secteur, qu'on adapte l'industrie pour transformer le bouleau, le mettre en marché et le vendre, au lieu de forcer la nature à produire exactement ce qui colle à telle industrie, dans tel secteur, dans telle région du Québec.
Nous disons que c'est cela qui coûte énormément cher, parce que l'écosystème est forcé de produire autre chose que ce que la nature a toujours engendré depuis 10 000 ans.
[Traduction]
Le président: Merci. Nous avons été très intéressés par vos exposés. Je vous remercie beaucoup d'être venus. Je ne sais pas si le gouvernement du Québec est prêt à écouter davantage un comité sénatorial qu'Henry Jacob mais nous allons faire connaître nos points de vue au cours des prochains mois. Vous pouvez en être certain.
Notre témoin suivant est M. Allan Saganash, de la Nation crie de Waswanipi, qui est le gestionnaire du projet d'intégration de l'exploitation forestière et du trappage.
Monsieur Saganash, une précision, lorsque vous parlez de gestion de projet forestier et de trappage, parlez-vous au nom des neuf nations cries ou d'une seule?
M. Allan Saganash, gestionnaire de projet, Projet forestier et de trappage, Nation crie de Waswanipi: Non, juste une seule.
Le président: Vous parlez au nom d'une nation crie?
M. Saganash: Oui, je parle au nom de la nation de Waswanipi. Je ne sais pas si vous savez qu'il existe neuf collectivités cries dans l'ensemble du Québec. Nous sommes la collectivité Waswanipi. M. Samuel Gull va vous présenter une introduction et je vais ensuite essayer de vous expliquer ce que nous faisons avec les entreprises forestières.
M. Samuel Gull, directeur général, Nation crie de Waswanipi: Bonjour. Je m'appelle Samuel Gull et je suis le directeur général de la Nation crie de Waswanipi. Tout d'abord, je tiens à vous remercier de nous avoir donné l'occasion de parler au comité des répercussions qu'ont les activités forestières sur le mode de vie des personnes qui composent la communauté de Waswanipi. Nous ne sommes pas aussi préparés que nos autres partenaires qui étaient là plus tôt ce matin, parce que nous n'avons pas eu le temps de préparer un document. Nous allons préparer un mémoire écrit lorsque nous reviendrons chez nous et nous vous le transmettrons.
Nous pensons qu'il serait bon de vous brosser un bref historique des activités forestières dans la région de Waswanipi pour que vous puissiez mieux comprendre ce qu'a vécu notre collectivité depuis quelques années.
Au début des années 70, année où les activités forestières se sont intensifiées et se sont progressivement déplacées vers le Nord de sorte que des sociétés forestières ont commencé à exploiter une plus grande partie du territoire dans lequel les Waswanipis font du trappage. À un moment donné, il y avait 11 entreprises forestières qui exerçaient leurs activités dans le territoire de piégeage. Progressivement, les petites entreprises ont été absorbées par les grandes. À l'heure actuelle, je crois qu'il y a sept ou huit entreprises qui exercent leur activité dans la région de Waswanipi.
Notre exposé ne va pas porter sur les mêmes questions que celles qui ont été abordées par nos amis cris qui ont témoigné ce matin, même s'il existe quand même des ressemblances. Nous allons parler principalement des tentatives que nous avons faites pour établir une relation de travail plus directe entre d'une part les chasseurs et les trappeurs et d'autre part, l'industrie forestière. Tout cela s'inscrit dans un processus de consultation qui concerne plus directement la forêt modèle que nous avons à Waswanipi, processus que nous avons démarré depuis quelques années pour mieux faire connaître les intérêts des chasseurs et des trappeurs et leurs attentes à l'égard du territoire où travaillent les entreprises forestières.
Nous recherchons les moyens qui permettraient aux trappeurs et aux chasseurs de coexister avec les entreprises forestières. Nous voulons faire connaître à ces entreprises quels sont les intérêts et les attentes des chasseurs pour qu'ils essaient d'intégrer ces notions dans leurs activités forestières et la façon dont elles les exercent dans le territoire.
C'est à peu près ce dont nous allons vous parler. Je vais laisser M. Saganash vous expliquer le processus de consultation. M. Saganash a été embauché en juillet 1997, lorsque nous avons démarré ce processus. Quelques mois plus tard, M. Saganash a obtenu un assistant.
Il me paraît important de mentionner que c'est principalement notre communauté qui finance ce projet. Certaines entreprises forestières ont contribué financièrement à ce processus mais les sommes que nous avons reçues ne permettent pas de couvrir les frais occasionnés par les activités nécessaires à la mise en oeuvre de ce projet. Je vais laisser Allan vous donner tous les détails.
M. Saganash: Merci beaucoup. Je travaille pour le Conseil de la Nation crie de Waswanipi. Je suis gérant de projet et j'essaie de minimiser les répercussions des activités forestières sur les zones de piégeage cries.
Je vais d'abord vous parler un peu du système des zones de piégeage cries. Il y a 52 territoires de piégeage à Waswanipi. Nous possédons 52 zones de piégeage enregistrées qui sont reconnues par la Convention de la Baie James et du Nord québécois.
Le président: Uniquement pour les Waswanipis?
M. Saganash: Uniquement pour la communauté de Waswanipi. Nous avons 52 zones de piégeage dans chaque secteur. Dans chaque secteur, il y a une personne qui est chargée d'administrer le territoire de piégeage pour ce qui est des animaux, d'attribuer à chaque chasseur un certain nombre d'animaux.
Le président: Est-ce que c'est un pointeur?
M. Saganash: Oui, ce sont des pointeurs. Il y a deux pointeurs par territoire de piégeage. Il y en a parfois un seul. N'oubliez pas qu'il y a cinq ou six familles qui vivent de chacune de ces 52 zones de piégeage. Il n'y a pas une seule personne qui chasse dans un secteur mais il y a une personne qui est chargée d'administrer chaque territoire de piégeage.
On travaille pour le projet forestier et de piégeage, pour expliquer l'aspect piégeage par opposition à l'aspect forestier, j'essaie essentiellement de réduire le plus possible les répercussions des activités forestières sur les zones de piégeage. Nous avons dans notre bureau une carte qui a été préparée par le ministère québécois des Terres et Forêts en 1993. Tous les camps figurent sur cette carte. À l'aide d'un transparent, nous avons dessiné les limites des zones de piégeage que nous avons superposé à la carte mentionnant les camps, ce qui nous a permis de savoir quelle était l'entreprise qui exerçait ses activités dans chaque zone de piégeage. Comprenez-vous? Cela nous a permis de savoir quelle était l'entreprise qui couperait du bois dans une zone de piégeage donnée et c'est donc avec cette entreprise que nous procédons à des consultations avec les pointeurs.
Quarante-huit de nos 52 territoires de piégeage sont touchés par des activités forestières. Il n'y a que quatre zones qui ne sont aucunement touchées par elles. Au début des années 70, comme l'a mentionné M. Gull et je crois que cela remonte encore avant, les activités forestières s'exerçaient non pas avec des équipements mais à la main. Je veux dire par là avec des tronçonneuses. À cette époque, ces activités n'avaient pas un effet aussi dévastateur que celui qu'ont les machines qu'on utilise de nos jours dans ces zones de piégeage.
Il y avait des territoires de piégeage qui ne produisaient presque plus au début des années 70, lorsque les entreprises ont commencé à utiliser les machines lourdes. Ils n'étaient plus utilisables, ce qui a modifié le mode de vie cri axé sur la chasse, la pêche et le piégeage, et a obligé certaines personnes à se déplacer. Certains pointeurs ont dû changer de secteur pour continuer à vivre conformément à leurs traditions, c'est-à-dire de la chasse, de la pêche et du trappage.
Il faut attendre à peu près 20 ans avant de pouvoir utiliser à nouveau un territoire de piégeage. Il faut attendre 15 à 20 ans avant que les animaux retournent dans ce secteur en nombre suffisant pour pouvoir exploiter cette zone de piégeage.
Pour en revenir au projet, nous avons parlé avec les entreprises forestières et les avons convaincues de consulter les trappeurs au sujet de l'exploitation de forêt. Nous avons convenu, pour ce faire, de rassembler des renseignements généraux sur l'utilisation et sur l'occupation des sols dans les secteurs touchés par ces activités. J'ai amené une des cartes pour vous donner un exemple de ce que nous faisons.
Domtar est une société dont les activités touchent la plupart de nos territoires de piégeage. Domtar touche 32 zones de piégeage sur les 52 que nous possédons. Le secteur que je viens de vous montrer a une superficie de 35 000 kilomètres carrés. Le terrain est divisé en plusieurs catégories. Les terres de catégorie 1 couvrent 369 kilomètres carrés, celles de la catégorie 2, 4 640 kilomètres carrés et la catégorie 3, 29 990 kilomètres carrés, ce qui fait au total 35 000 kilomètres carrés.
Le président: Pendant que vos assistants s'occupent de la carte, pouvez-vous me dire si vous avez constaté que certaines entreprises sont davantage prêtes à collaborer avec vous que d'autres? Pouvez-vous tirer quelques conclusions? Y a-t-il une différence entre les entreprises québécoises et les autres? Est-ce que les sociétés américaines sont meilleures ou pires?
M. Saganash: Nous traitons uniquement avec des entreprises forestières du Québec. Elles n'acceptent pas toutes la même chose lorsqu'elles consultent les trappeurs. Les sociétés forestières ont accepté de préparer des cartes au 50 000e pour chacune des zones de piégeage.
Je vais vous expliquer quelque chose. Ces cartes ont été préparées par les sociétés forestières. Ces cartes comprennent cinq niveaux comme l'a accepté la Nation crie de Waswanipi. Le premier niveau indique la forêt boréale. C'est le secteur vert que je montre ici. Nous parlons d'une zone de piégeage. Le numéro de cette zone figure en haut de la carte. C'est la zone W 03.
Le président: Et cet espace en blanc?
M. Saganash: Cela ne fait pas partie du camp Domtar. C'est à l'extérieur de leur camp. Les renseignements fournis concernent uniquement Domtar. Comme vous pouvez le voir en bas, on peut lire le mot «Domtar». Nous obtiendrons des cartes préparées par d'autres entreprises forestières qui vont contenir ce secteur. C'est une zone de piégeage. La zone W 03. Le premier transparent indique les limites de la forêt boréale, la hauteur des arbres, les zones de reboisement, les éclaircies commerciales, les semis et les activités commerciales effectuées par Domtar. Cette carte indique également les marais, qui sont colorés en jaune.
La deuxième carte montre le réseau des routes. Celles-ci sont réparties entre les classes 1, 2 et 3. Elles montrent les routes actuelles, les routes prévues, celles d'hiver et de gravelle ainsi que les étendues d'eau situées près de la zone de piégeage. Nous parlons de la même zone de piégeage.
Le troisième transparent indique le plan de coupe quinquennal. La carte W 03 ne montre pas de plan de coupe quinquennal parce que Domtar n'a pas l'intention d'effectuer des coupes dans cette zone au cours des cinq prochaines années. J'ai apporté une autre carte qui montre que Domtar a élaboré un plan de coupe quinquennal qui touche certains secteurs. Cette zone de piégeage, la W-24D, appartient à M. Clarence Blacksmith. C'est le troisième transparent qui contient le plan de coupe quinquennal de Domtar. Chaque année est indiquée par une couleur qui est utilisée pour délimiter l'endroit choisi, et ce, pour chacune des cinq prochaines années. La couleur ne change pas pendant une année donnée. L'année 1998 est représentée en bleu et cela suit de cette façon.
Le président: Avant d'achever le cycle de cinq ans, le cycle recommencera.
M. Saganash: Oui. Chaque année, les codes de couleur changent. Prenons cet exemple. L'année dernière, 1997 était en bleu. Cette année, 1998 est en bleu et 1997 n'apparaît pas, parce qu'il s'agit des cinq prochaines années.
Le quatrième transparent, qui est élaboré par les sociétés forestières, reproduit sur une carte les transparents 1, 2 et 3 que je viens de vous montrer. Cette carte est ensuite remise au trappeur.
Le cinquième transparent, un élément important pour le trappeur, est la carte qui est utilisée pour décrire leur culture et fournir les renseignements concernant l'occupation du sol. Elle est en blanc pour le moment. Ce sont les trappeurs ou les pointeurs ou les personnes qui utilisent ce secteur qui effectuent ce travail, en s'appuyant sur des documents. Lorsque le travail est achevé, une copie de la carte est conservée dans mes dossiers, dans mon bureau et l'autre est envoyée à l'entreprise forestière, et Domtar l'examine. Commence alors le processus de consultation.
Domtar prend la carte et consulte les trappeurs. Nous inscrivons dans ces secteurs tous les camps, aussi bien les camps permanents que semi-permanents, les lieux de sépulture, les lieux sacrés, les ravages d'orignaux, les habitats à castor et toutes les zones de conservation que le trappeur ne veut pas voir touchées par les activités forestières. Tout cela est inscrit.
Les sociétés forestières examinent tout cela et reviennent avec une entente. Après avoir consulté les trappeurs, Domtar présente une carte comportant un codage permanent. Voilà ce à quoi ressemble une telle carte à la fin du processus. Il faut tout de même signaler que les accords conclus avec les sociétés forestières ne sont que temporaires. Ces compagnies nous disent qu'elles vont renégocier tout cela dans cinq ou six ans, lorsqu'elles ont accepté de protéger un secteur.
Je suis sûr que vous avez du mal à voir tout cela parce que les indications n'apparaissent pas très clairement puisque le support est transparent. Les indications apparaissent mieux lorsqu'on pose la carte sur une table. Il est très difficile d'expliquer ce qui figure sur une carte lorsqu'on la tient verticalement.
Quoi qu'il en soit, Domtar utilise ses propres symboles. Il place une photo du pointeur dans le coin supérieur. Ce n'était pas mon idée, c'est la leur. Ils veulent éviter que l'on fasse une erreur. Le transparent est alors renvoyé à Domtar. C'est moi qui suis alors chargé de consulter le pointeur concerné et de lui dire: «Voilà ce que Domtar a accepté à partir des documents qui lui ont été remis concernant l'occupation et l'utilisation des terrains.»
Comme je l'ai déjà mentionné, les sociétés n'acceptent pas intégralement toutes les zones que nous leur demandons de protéger. Elles proposent un accord sur certains secteurs. Pour chaque territoire de piégeage, elles proposent un accord comme celui que je vous montre en ce moment. La carte indique les zones protégées, leur utilisation et le pourcentage qui est protégé, qu'il s'agisse de 50 ou de 60 p. 100. Les sociétés expliquent pourquoi elles ne peuvent protéger l'ensemble du secteur. C'est parfois parce que les arbres sont trop vieux, parce qu'elles ont déjà fait du reboisement dans ce secteur et qu'elles veulent récupérer leur investissement. Ce sont des choses de ce genre. Néanmoins, elles acceptent normalement de protéger certaines zones.
Ce n'est pas de cette façon que nous voulons que se déroule le processus de consultation. Lorsque nous fournissons les renseignements concernant l'occupation des terrains, nous aimerions que Domtar accepte l'ensemble de nos propositions. Lorsqu'on examine la chose, je crois que nous fournissons des renseignements concernant environ un quart de la zone de piégeage, parfois moins dans certains cas, et nous acceptons que les trois quarts de la zone de piégeage soient exploités par les entreprises forestières et celles-ci ont encore du mal à respecter les écozones que nous proposons. En ce sens, je trouve que ce n'est pas la bonne façon de procéder avec l'entreprise forestière.
Je ne vous ai donné que de brèves explications. Habituellement, lorsque je décris ce projet, il me faut près de deux heures. Je vous ai donné des explications très brèves pour vous aider à comprendre ce que nous essayons de faire. Pour chaque carte de zone de piégeage que nous envoyons, nous devons préparer 32 cartes comme celles que je viens de vous montrer. Pour préparer ces 32 cartes, nous devons consulter entre 100 et 200 personnes, selon le nombre des personnes qui utilisent le secteur.
Pour Donahue, nous avons 23 zones de piégeage; pour Badachapais il y en a 13; pour Norbord, il y en a au moins 10 ou 11. Il y a aussi cinq entreprises forestières d'Amos qui ont du mal à préparer des cartes comme celle-ci. C'est principalement parce qu'elles n'utilisent pas le système de positionnement global.
Vous m'avez demandé, monsieur le président, ce que représentait ce secteur en blanc. Il peut arriver que deux ou trois sociétés exercent leurs activités sur la même zone de piégeage. Il y a également le fait que lorsque nous renvoyons ces cartes et ces renseignements aux entreprises forestières, il y a toujours des renseignements que nous ne pouvons pas inscrire sur les cartes, comme les remarques ou les commentaires des trappeurs au sujet de l'utilisation du terrain. Lorsque nous consultons les entreprises forestières, les pointeurs et les utilisateurs du secteur y participent, ce qui veut dire qu'il y a trois ou quatre personnes. Nous n'amenons pas toute la famille, les femmes et les enfants. Nous y faisons participer uniquement les personnes qui sont les principales utilisatrices de la terre.
Nous notons les commentaires supplémentaires et les sociétés forestières en tiennent compte. Ces commentaires prennent parfois une page, parfois trois ou cinq pages, cela dépend de la personne et du genre des commentaires qu'elle fait sur les activités forestières dans sa zone de piégeage.
Le sénateur Gill: Si je vous ai bien compris, l'objectif que vous recherchez est d'en arriver à une sorte de compromis avec ces entreprises. Est-ce que cela va dans les deux sens? Estimez-vous que l'entreprise est parfois disposée à céder sur certains points? Je sais que, de votre côté, vous l'êtes, parce qu'au départ vous avez toujours cédé certaines choses. Pensez-vous que l'on puisse espérer en arriver à un partage des ressources?
M. Gull: Nous visons en fait la coexistence. Notre objectif a toujours été la coexistence. Si l'entreprise peut renoncer à certaines choses, nous allons renoncer également à certaines choses, si nous sommes obligés. Comme l'a mentionné M. Saganash, pour un territoire de piégeage donné, si le secteur que nous voulons protéger représente 25 p. 100 du territoire, cela veut dire que nous renonçons à 75 p. 100. Nous faisons plus que notre part.
Le sénateur Gill: Estimez-vous que les entreprises forestières ont bien accueilli cette idée au départ?
M. Gull: Comme je l'ai dit, nous faisons cela depuis un an maintenant et il y a des entreprises qui acceptent assez bien ce travail mais il y en a d'autres avec lesquelles nous sommes très réticents à travailler.
M. Saganash: J'aimerais compléter la réponse à la question du sénateur Gill. Lorsque vous demandez si les entreprises forestières acceptent les renseignements que nous inscrivons sur les cartes, il y a très peu de choses qui changent au cours de l'année où nous procédons à des consultations avec elles. La plupart des entreprises préfèrent ne pas réduire le cubage du bois coupé et modifier leur façon de couper le bois. Elles préfèrent la coupe en mosaïque. Je ne dis pas que toutes les entreprises acceptent de le faire mais la difficulté vient du fait que les trappeurs et les pointeurs ne sont pas en fait d'accord avec ce que les entreprises forestières souhaitent faire. C'est la base des renseignements qui proviennent du processus de consultation.
Le président: Je voudrais ajouter une question supplémentaire à celle du sénateur Gill. Certains témoins nous ont dit qu'il arrivait que les entreprises demandent aux pointeurs et aux propriétaires de territoires de piégeage ou à leur famille de travailler et que cela bouleverse le système. Est-ce que cela s'est produit ici? Y a-t-il eu un échange? Est-ce que les entreprises avec lesquelles vous êtes en contact versent de l'argent aux gens qui vivent dans les zones de piégeage pour les indemniser du préjudice subi ou des troubles de jouissance?
M. Gull: Nous y voyons une solution provisoire mais nous recherchons quelque chose qui irait au-delà de ce que nous avons actuellement. Lorsqu'on parle d'indemnisation, il faut tenir compte du fait que, lorsqu'une société forestière exerce ses activités dans une zone de piégeage, cela veut dire que tout le monde a pratiquement accès à ce territoire. Il faut tenir compte de l'effet que cela a sur un territoire particulier.
Par exemple, lorsqu'une entreprise coupe les arbres autour d'un camp de chasse, le trappeur qui l'utilise a besoin de bois pour son poêle et pour le reste. Il doit aller de plus en plus loin pour se procurer du bois. La plupart de ces personnes n'ont pas de véhicule. Il y en a quelques-unes qui ont maintenant des véhicules tout terrain. C'est pourquoi nous disons qu'avec l'exploitation de la forêt, les activités quotidiennes deviennent beaucoup plus coûteuses. La diminution des ressources fauniques nous oblige à dépendre davantage des aliments achetés dans les magasins plutôt que de ce que nous obtenons sur le terrain.
Nous discutons directement de ce genre de choses avec les entreprises, et nous leur disons essayons de trouver une solution provisoire en attendant de déterminer ensemble ce qui pourrait être un objectif commun.
Le sénateur Mahovlich: Lorsque les négociations s'arrêtent et que vous ne voulez plus discuter avec certaines entreprises, est-ce que celles-ci continuent leurs activités sans vous consulter? Est-ce qu'elles poursuivent leurs activités et font des coupes à blanc? Est-ce que le gouvernement québécois le permet?
M. Gull: Nous l'avons dit, nous n'avons pas réussi à discuter de ces choses avec certaines entreprises, et celles-ci poursuivent leurs opérations forestières.
Le sénateur Mahovlich: Elles continuent.
M. Gull: Oui.
Le sénateur Mahovlich: Elles ne consultent pas le trappeur?
M. Gull: Elles lui parlent peut-être lorsqu'elles le rencontrent sur le terrain mais cela n'entre pas dans le cadre du processus que nous cherchons à mettre en route.
Le sénateur Mahovlich: Ce n'est pas ce que vous essayez d'accomplir.
M. Gull: Oui, ça ne concerne pas ce processus.
Le sénateur Gill: Si j'ai bien compris, vous dites que lorsque l'entreprise forestière vous cause des dommages par ses activités et qu'elle vous oblige à construire d'autres camps de chasse, ce qui coûte de l'argent, elle vous indemnise. Mais il y a bien des choses qui ne sont pas à vendre. Je pense à la conservation, au fait que les anciens disent peut-être parfois qu'on ne peut toucher à un certain secteur parce que c'est là que se trouvent les castors. Il faut les laisser se reproduire et ce genre de choses. J'imagine que l'entreprise n'a guère le choix dans ce cas, elle doit accepter ce que vous leur demandez.
M. Gull: Comme l'a mentionné M. Saganash, lorsque nous avons délimité les secteurs sensibles, l'entreprise examine ce que nous demandons et nous dit qu'elle ne peut accepter qu'en partie ce que propose le trappeur. C'est pourquoi nous disons que les trappeurs sont parfois obligés de renoncer à certaines choses et d'accepter ce que proposent les entreprises forestières.
Le sénateur Gill: Ou de ne pas renoncer.
Le sénateur Stratton: Il n'a pas le choix.
M. Gull: C'est une relation de travail axée en partie sur la collaboration.
M. Saganash: Lorsqu'on parle aux trappeurs, la question la plus controversée est celles des zones tampons. Ce sont les bandes de bandes de terrain le long des rivières, des cours d'eau, au bord des lacs et autour des camps permanents qui doivent être préservées. Je sais que le règlement en matière de foresterie prévoit une zone tampon de 20 mètres. Cela représente 60 pieds environ. Les trappeurs se plaignent souvent de la largeur insuffisante de ces zones tampons parce qu'avec des zones de ce genre, les arbres tombent dans la rivière. Je ne parle pas d'un vent normal. Je parle d'un vent inhabituel, d'un fort vent. Lorsque je conduis sur des chemins forestiers, je vois des secteurs où les arbres avaient été poussés par le vent sur la route; la zone tampon a complètement disparu parce qu'elle était trop petite au départ. Je ne sais pas si vous avez vu au bord d'un lac ou le long d'une route des arbres tombés alors que le reste de la forêt est intacte. C'est parce que les arbres ne sont plus abrités du vent lorsque l'on construit une route.
Le sénateur Mahovlich: Quelle devrait être la profondeur d'une zone tampon?
Le sénateur Stratton: Soixante mètres.
Le sénateur Mahovlich: Est-ce que les groupes écologiques ont proposé un chiffre à ce sujet?
M. Saganash: Lorsque je consulte les trappeurs, ils me disent que cette zone devrait être de 450 à 500 pieds, voire un kilomètre. Certains parlent d'un mille. Chacun a son avis sur ce que devrait être une zone tampon.
Le sénateur Stratton: Votre exposé est très intéressant. Je ne savais pas que l'on faisait ce genre de microgestion, ou du moins qu'on essayait de faire de la bonne microgestion.
Ce qui se passe autour des zones de piégeage est-ce que cela va avoir un effet sur l'avenir? Est-ce que les jeunes considèrent que la chasse et le piégeage n'offrent aucun avenir parce que les rendements ne font que diminuer? Est-ce qu'ils disent que le piégeage ne leur offre aucun avenir à cause de ce qui se passe sur les territoires de piégeage de la région?
M. Saganash: Je n'ai pas compris votre question. Me demandez-vous si les consultations auxquelles nous procédons ont un effet?
Le sénateur Stratton: Non. Je vous demande si les activités forestières exercées dans vos zones de piégeage ont un effet sur les décisions que vos enfants vont prendre pour ce qui est de leur mode de vie.
M. Saganash: C'est l'idée à l'origine du projet. Nous essayons de mettre sur pied une gestion forestière durable pour ce qui est des renseignements concernant l'utilisation des sols. Grâce à ce projet, nous saurons si nous avons réussi à préserver la forêt pour qu'on puisse continuer à l'exploiter. Cela nous permettrait de savoir si les consultations ont été efficaces. Il est encore trop tôt pour connaître l'effet que va avoir ce processus de consultations sur la nouvelle génération. Il y a encore des gens qui continuent à chasser, à pêcher et à trapper, comme le jeune trappeur que j'ai amené avec moi pour m'aider. C'est un trappeur à temps plein.
Soixante pour cent de notre groupe vit encore de la chasse, de la pêche et du trappage. C'est son mode de vie. Nous ne pouvons leur interdire ces choses. Il faut que nous nous comprenions. Il s'agit de sensibilisation à la culture et c'est pourquoi nous vivons différemment. Si vous parlez aux anciens, à ceux qui ont chassé, pêché et trappé sans jamais voir d'activités forestières, cela est différent. La jeune génération a changé sa façon de chasser, par rapport à celle dont parle les anciens.
Le sénateur Stratton: Les activités forestières ont-elles des conséquences sur les trappeurs? Ont-elles des répercussions sur l'argent qu'ils gagnent, sur leur mode de vie? Vous devez certainement savoir ce qui se passe ou du moins avoir une idée. Y a-t-il des répercussions?
M. Gull: Il est évident que ces activités sont à l'origine de plusieurs problèmes différents, en particulier lorsqu'elles s'exercent dans la zone de piégeage. Si l'on évalue les deux côtés de la chose, il y a, par exemple, des avantages et des désavantages à faciliter l'accès à ces zones. Un exemple typique de l'effet négatif que peut avoir l'accès à ces terres, c'est lorsqu'un trappeur quitte son camp de chasse pendant un certain temps. Lorsqu'il retourne au camp, il découvre que tout son équipement de chasse a disparu. Cela vient du fait que l'accès au territoire est public. Tout le monde peut s'y rendre.
Nous ne savons pas qui pénètre et qui circule sur nos terres et bien entendu, il est très difficile de savoir ce qui se passe sur les routes qui sont ouvertes toute l'année. Je crois que c'est un aspect de ces répercussions.
Il y a des répercussions qui touchent plus directement les activités forestières, c'est un sujet qui a été abordé ce matin lorsqu'on a donné les pourcentages des coupes effectuées dans certaines zones de piégeage. Dans ces secteurs, les ressources fauniques diminuent; elles disparaissent même de ces secteurs.
Le sénateur Stratton: C'est en fait ce que je voulais savoir.
M. Gull: Selon la politique du ministère de l'Environnement du Québec au sujet du territoire de chasse de la zone 17, les Cris doivent accepter que des chasseurs sportifs viennent tuer des orignaux, ce qui réduit d'autant le nombre des orignaux qu'un trappeur peut tuer dans sa zone de piégeage, à cause de la diminution du nombre des orignaux. De nos jours, je crois qu'il faut accepter qu'un trappeur puisse prendre deux orignaux par ligne de piégeage par an. C'est le quota le plus faible que nous puissions accepter. Cela ne comprend pas la chasse garantie par la Convention sur la Baie James.
Il n'existe pas en fait de données démontrant qu'il s'agit là des répercussions des activités forestières mais, dans certains cas, les entreprises refusent tout simplement de le reconnaître. Comme nous l'avons dit, la population d'orignaux diminue progressivement dans la zone 17 et on a même demandé aux Cris de limiter le nombre d'animaux capturés.
Le président: Merci beaucoup, messieurs Saganash et Gull. Nous allons examiner votre mémoire avec beaucoup d'intérêt. Merci d'avoir pris le temps de venir nous voir. Cela a été fort intéressant.
Chers collègues, notre dernier témoin aujourd'hui est M. Armand Plourde, directeur général du Syndicat des producteurs de bois d'Abitibi-Témiscamingue.
Monsieur Plourde, je pense que vous représentez le syndicat. Est-ce exact? Est-ce que vous représentez tous les travailleurs forestiers?
[Français]
M. Armand Plourde, directeur général du Syndicat des producteurs de bois d'Abitibi-Témiscamingue: Non, je représente les propriétaires de boisés privés de l'Abitibi-Témiscamingue.
[Traduction]
Le président: Vous représentez uniquement les propriétaires de boisés privés.
M. Plourde: Oui, les propriétaires de boisés privés.
Le président: Il y a des boisés privés dans cette région? Quelle est la taille de ces boisés? Quelle est la superficie des petits boisés et celle des grands? Quelle est la superficie des boisés en hectares?
M. Plourde: Entre 1 million d'hectares et 2,5 millions d'acres.
Le président: Quel est le nombre des propriétaires de boisés?
M. Plourde: Il y a 7 500 boisés privés.
Le président: Veuillez nous présenter votre exposé.
[Français]
M. Plourde: Je suis directeur général du Syndicat des producteurs de bois depuis 1981. Ma fonction, au syndicat, est celle de secrétaire de différents conseils d'administration. Nous avons le mandat de gérer la possibilité forestière et de négocier des ententes de ventes de bois avec les industriels forestiers.
Mon mandat est aussi de vulgariser la science forestière pour le bénéfice des propriétaires et de travailler à l'élaboration de programmes d'aide à la mise en valeur des propriétés privées.
Nous sommes affiliés à la Fédération des producteurs de bois du Québec, à la Fédération de l'UPA, l'Union des producteurs agricoles, et à la Fédération canadienne des propriétaires de boisés privés.
Ma tâche est à la direction générale. Je vais vous lire notre document et je pourrai répondre à vos questions s'il y a lieu.
Le Syndicat des producteurs de bois d'Abitibi-Témiscamingue et ses membres tiennent à remercier les très honorables sénateurs pour l'occasion qui leur est donnée d'exprimer leur point de vue sur l'avenir de la forêt boréale dans le cadre de cette vaste consultation.
Nous tenons à vous exprimer toute notre gratitude.
Le Syndicat des producteurs de bois est un organisme qui regroupe les propriétaires de boisés privés de la région de l'Abitibi-Témiscamingue. Sa mission première est de défendre les intérêts généraux et spécifiques de ses membres. Il regroupe plus de 2 000 membres.
Le syndicat a aussi pour mission de réaliser la mise en marché des bois issus de lots privés, y compris toutes les activités comprises dans la production de bois à l'état non usiné. Ces activités sont la négociation des conditions de la production, de la vente, des prix, les modalités de manutention, les horaires de livraison, et caetera. La réglementation qui lui permet de réaliser cette activité est le plan conjoint de mise en marché, et il est généralement accompagné de règlements. Tous les propriétaires de boisés sont membres du plan conjoint de mise en marché d'Abitibi-Témiscamingue, comme je vous le mentionnais tout à l'heure, soit 7 500 propriétaires.
Nous aimerions faire quelques commentaires sur certains éléments de votre consultation.
Dans le préambule aux questions, le sous-comité mentionne un certain nombre d'éléments qui l'ont intéressé au cours de sa visite dans les Prairies en 1996. Nous aimerions profiter de la tribune qui nous est offerte pour faire certains commentaires sur quelques-uns de ces éléments.
À compter du début des années 1970, le développement industriel forestier au Québec s'est réalisé sur des objectifs de production de masse. L'avènement des débusqueuses et abatteuses en forêt a remplacé les chevaux, nous nous sommes mis à récolter les forêts à grande vitesse, avec moins d'égards à la qualité des arbres, à leur éloignement des usines, à leur grosseur, et surtout au renouvellement de la forêt. Sans aucun doute devions-nous révolutionner nos méthodes de récolter les arbres, mais nous avons modifié les valeurs que nous accordions aux emplois forestiers et aux forêts.
Dans ce même ordre d'idées, nous avons certainement négligé les intérêts particuliers des populations des régions rurales qui vivaient de la forêt, des autochtones qui vivaient à l'intérieur même de ces forêts, de la biodiversité de ces régions sauvages. L'avènement du Régime forestier québécois de 1986 a permis de corriger en partie cette situation. Une évaluation nationale des sites à protéger doit être réalisée tant sur le compte des infrastructures industrielles que nous avons mises en place et que sur la dégradation de la ruralité que la pratique industrielle a amenée.
La liquidation du bois sur les terres privées nous paraît un terme abusif lorsque l'on regarde la gestion des forêts privées qui est exercée au Québec. En effet, la structure réglementaire que les producteurs forestiers privés se sont donnée depuis la fin des années 50 a beaucoup évolué, et ces règles sont aujourd'hui des règles de conduite dynamiques et très compatibles avec des objectifs de respect de la possibilité forestière, de la volonté des propriétaires et des partenaires d'affaires de ces derniers.
Le problème que nous notons ici est l'absence de règlements similaires dans les provinces voisines et les procédures très complexes que doivent suivre nos organismes pour obtenir du gouvernement fédéral les pouvoirs réglementaires du commerce interprovincial pour mieux régir les ventes de bois hors des territoires de nos plans conjoints. Le cas des coupes de bois de la Gaspésie, à Restigouche, bois exporté au Nouveau-Brunswick, constitue un exemple de cette problématique.
Le rôle de réglementation locale des coupes en territoire privé est dévolu aux municipalités régionales de comté et aux municipalités du Québec. Pour certains, la réglementation peut paraître négligeable, voire absente, mais il faut prendre en considération la capacité financière et humaine de ces territoires. De plus, il ne faut pas oublier de considérer que le territoire est privé et que les propriétaires doivent pouvoir jouir de ce bénéfice dans le respect des gens qui les entourent. Comme je l'ai mentionné précédemment, les plans conjoints sont aussi des structures réglementaires qui appartiennent aux producteurs et qui permettent certaines limitations des coupes abusives.
En Abitibi-Témiscamingue, nous avons un système de contingents ou de quotas qui nous permet de limiter les volumes à prélever sur chaque propriété forestière.
Enfin, il convient de mentionner que la fiscalité actuelle pour les propriétaires de boisés privés ne fait que les inciter à liquider les boisés afin de payer moins d'impôt sur ce bien. Une forêt prend au moins 70 ans à produire. Pour garantir une gestion saine, il faudrait effectuer la récolte de la forêt sur cette même période pour en assurer le renouvellement dans le respect de la biodiversité locale.
Les conséquences fiscales de ce genre de gestion incitent plutôt les propriétaires à effectuer une récolte totale lorsque le peuplement atteint un certain stade de maturité et ainsi limiter les impacts fiscaux négatifs. Des modifications au régime fiscal actuel et des mesures incitatives amèneraient certainement les propriétaires à modifier leurs habitudes de récoltes et à éviter la supposée liquidation des forêts.
Le Canada est un pays aux vastes étendues et aux visées territoriales variées. On pense ici aux villes, aux banlieues, au secteur agricole, au secteur forestier et enfin aux secteurs protégés.
Nous devons composer en territoire privé avec des superficies non productives que nous appelons des friches. En Abitibi-Témiscamingue, nous évaluons ces superficies à 100 000 hectares. Des mesures incitatives pour remettre ces superficies en production soit agricole, soit forestière doivent être mises en place pour assurer une production efficace à ces étendues.
Nous croyons que des programmes concertés fédéraux/provinciaux doivent être élaborés pour permettre, voire obliger les populations locales à faire produire ces aires. La mise en place d'incitatifs fiscaux pourraient être une mesure à adopter. Une telle action permettrait probablement d'atteindre plus facilement les objectifs de diversité écologique sur un territoire donné.
Dans ce même ordre d'idées, la connaissance du territoire et de son contenu sont de toute première importance pour assurer une gestion adéquate. La réalisation des inventaires est longue et coûteuse.
Une mécanique de gestion doit être mise sur pied à une échelle suffisamment grande pour permettre une utilisation des outils modernes de mise à jour des données de stocks forestiers en réduisant les coûts des prises de données sur le terrain. Encore ici, nous croyons qu'une collaboration des paliers gouvernementaux est nécessaire pour assurer le financement de la recherche et de la mise au point de tels mécanismes.
Voici quelques commentaires sur les champs d'intérêts du sous-comité.
Le premier champ d'intérêts du sous-comité est l'environnement et la biodiversité. Des actions visant le maintien de la biodiversité, la réduction des impacts climatiques et un maintien de notre environnement doivent être prises dans le respect des communautés locales. Le seul impératif du commerce et du bénéfice des entreprises et des gouvernements ne vaut rien s'il ne se réalise pas pour le bénéfice des gens qui vivent dans ces milieux.
Nous croyons que le gouvernement canadien doit assurer nos partenaires commerciaux et nos industries que les actions qui seront prises viseront le respect de l'environnement, les objectifs des bénéfices recherchés par chacun et l'amélioration de la qualité de vie des populations visées.
L'évaluation des impacts environnementaux doit être réalisée en regard des actions de nos voisins et de notre capacité à solutionner les problèmes. À titre d'exemple, les pluies acides ne connaissent pas de frontières.
Les exigences environnementales de nos partenaires commerciaux, notamment les Européens, ne doivent pas devenir des barrières non tarifaires au commerce de nos produits. Nous estimons qu'il est de la responsabilité du gouvernement fédéral d'agir en ce domaine.
Au niveau du secteur des industries et de l'emploi, nous croyons que toutes les ressources de la forêt doivent être exploitées. Cependant, les mesures fiscales touchant les revenus d'activités pour nos membres et nos propriétaires ne doivent pas encourager une liquidation à répétition des forêts privées et de certains territoires publics.
En modifiant le régime fiscal actuel, le gouvernement canadien indiquerait aux provinces ses réelles intentions d'encourager l'exploitation complète et diversifiée des ressources du milieu au bénéfice des gens qui l'habitent de même qu'à son propre bénéfice. Une reconnaissance suffisante des investissements requis pour tirer des revenus de la forêt et la reconnaissance de la durée du retour sur l'investissement doivent être des éléments de base à la révision de la fiscalité.
L'urgence d'actions dans ce domaine nous paraît la voie la plus facile actuellement pour cesser la dégradation de nos forêts et un excellent encouragement pour les propriétaires à réinvestir du temps et de l'argent dans la mise en valeur du patrimoine forestier.
Sur l'emploi, nous encourageons le sous-comité du Sénat à entreprendre une analyse des emplois dans le secteur forestier. Les emplois en aménagement sont précaires et souvent mal rémunérés en regard des exigences physiques requises.
Nous estimons que les bois devraient être destinés aux usines en fonction de la qualité de la fibre, de la valeur du produit fini, en somme, qu'il faut considérer la qualité de la bille avant de la transformer. Enfin, nous estimons que des limites nordiques aux territoires devraient être appliquées en considération de la qualité des forêts et des très longues périodes que ces forêts mettent à se régénérer.
Pour les peuples autochtones: des allocations de droits sur la forêt aux industriels doivent être faites dans le respect des peuples d'origine. Cependant, dans un souci d'équité envers tous les habitants du pays, nous croyons que le gouvernement canadien doit traiter équitablement les gens de peuples différents. Toutefois, nous sommes en accord avec les politiques qui impliqueraient des participations aux décisions de gestion des territoires et des accès aux revenus tirés de la forêt pour les peuples autochtones.
Dans cette optique, nous invitons le Sénat à réfléchir sur le fait que les propriétaires privés auront été à leur manière des peuples autochtones en déboisant le territoire pour en faire de l'agriculture et pour occuper ce même territoire au bénéfice de la grande entreprise.
Sur les questions d'ententes fédérales-provinciales: en regard des ces questions, nous insistons sur le fait que les champs de compétence doivent être respectés.
De plus, nous croyons nécessaire que s'établisse une très étroite collaboration entre les divers paliers de gouvernement dans les champs d'intervention tels la recherche, le développement de nouvelles technologies, le transfert des connaissances et la défense des intérêts des Canadiens auprès des partenaires commerciaux de la planète.
De plus, les différents gouvernements doivent collaborer au développement d'un régime fiscal encourageant pour les propriétaires de boisés privés et les propriétaires d'entreprises de transformation. Les subventions à l'état brut ne sont peut-être pas la meilleure solution, mais une fiscalité adaptée et surtout simple est certainement un élément qui mérite une étude attentive.
Enfin, nous croyons qu'un encouragement de la part du gouvernement canadien envers les propriétaires des provinces non organisées à adopter le modèle québécois de gestion et de mise en marché des bois des forêts privées serait un atout lorsqu'il est question de gestion des impacts environnementaux et de biodiversité.
Sur la préservation de la faune : nous avons mentionné que des mesures fiscales incitatives adéquates permettraient une exploitation intégrée des territoires forestiers de la forêt boréale et que ceci aurait comme conséquence positive le respect des espèces animales qui vivent sur le territoire canadien et l'arrêt d'actions qui favorisent l'extermination de certaines espèces.
En conclusion, membres du Sénat, nous vous invitons à considérer, dans votre sage réflexion, la dimension humaine des propriétaires forestiers privés. Ces gens occupent une très grande superficie du territoire canadien. Ils participent de façon très active et souvent peu visible à la richesse du pays par leurs actions locales, leurs implications bénévoles, leurs investissements, le don de leur temps aux organismes locaux, leur foi en un avenir meilleur pour les générations futures.
Ces gens espèrent beaucoup de consultations du genre de celles que vous tenez actuellement. Malheureusement, il arrive trop souvent que les promesses de résultats soient plus grandes que les actions posées.
Nous vous invitons également à consulter la Fédération des producteurs de bois du Québec et la Fédération canadienne des propriétaires de boisés privés pour échanger de façon plus complète sur la fiscalité pour les propriétaires de boisés privés.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup, monsieur Plourde. Vous avez non seulement présenté un mémoire intéressant mais mon respect pour les interprètes s'est beaucoup accru.
Puis-je commencer par vous poser une question. Le fait d'avoir des boisés dans un secteur veut sans doute dire qu'il y a davantage d'animaux comme le chevreuil, la grouse et le faisan. Est-ce que cela augmente le nombre des animaux dans le secteur?
[Français]
M. Plourde: Nous en sommes à développer des programmes d'aide pour les propriétaires de boisés pour les aménager en fonction de la faune. Ces programmes ne sont peut-être pas à l'état embryonnaire, mais ils débutent. Il y a des programmes plus évolués dans le cas du cerf de Virginie, au Sud du Québec.
Avec les agences de mise en valeur, ce sont des nouvelles structures qui ont été mises en place en collaboration avec l'industrie, le gouvernement du Québec, les propriétaires de boisés et le milieu municipal, et cela s'est fait à la grandeur du territoire québécois.
On en est à développer différents programmes de support pour les propriétaires de boisés privés pour améliorer l'état de la forêt, en considérant l'ensemble des ressources de la forêt: la protection de l'eau, la protection du capital faunique et l'amélioration du capital forestier en quantité et en qualité.
Toutes ces interventions doivent être planifiées de plus en plus dans le respect de l'ensemble des ressources. Actuellement, il est difficile de dire s'il y a une augmentation du capital faunique, mais les actions qui vont être réalisées dans les prochaines années vont vers une augmentation du capital faunique pour améliorer le tourisme, la chasse, et caetera.
[Traduction]
Le président: Est-ce que la présence d'un boisé au lieu d'une ferme augmente le nombre des animaux comme le chevreuil, la grouse, dans le secteur? Je pose cette question parce qu'en Europe, en France en particulier, et dans certaines régions de l'Italie, les propriétaires de boisés privés reçoivent des subventions du gouvernement parce qu'ils améliorent la faune et la flore de la région. L'un des arguments est que lorsqu'un citadin veut chasser la grouse, il y a davantage de boisés. Ce n'est donc pas une véritable subvention; le gouvernement cherche plutôt à améliorer la nature pour que d'autres puissent en profiter.
[Français]
M. Plourde: Actuellement, il n'y a aucun programme gouvernemental spécifique sur ce sujet, sauf celui de la Fédération de la faune pour la promotion du cerf de Virginie. Ce programme a été efficace à un point tel qu'ils ont maintenant le problème inverse. Ils ont aménagé pour augmenter le cheptel de cerfs de Virginie, mais ils en ont maintenant trop en Estrie ou et dans le Sud du Québec.
À ma connaissance, il n'y a pas d'autre programme spécifique pour la faune au Québec.
Le sénateur Gill: Vous parliez plus tôt de la fiscalité. Pouvez-vous nous donner un exemple précis de mesures qui pourraient améliorer la fiscalité? Qu'est-ce que vous voulez dire ?
M. Plourde: Actuellement, les seules déductions qu'un propriétaire peut faire, quand il exploite son boisé, c'est s''il fait une coupe totale. Il y a alors une déduction qui s'appelle l'épuisement forestier.
Un fort nombre de dépenses ou d'investissements qu'il va faire dans son boisé pour en améliorer la qualité ne seront pas déductibles d'impôt. Donc le propriétaire investit dans son boisé, mais il ne peut pas réclamer ces dépenses-là.
Il coupe son boisé, il obtient la déduction pour gain en capital, et cela s'arrête là. S'il était possible d'exploiter des parties de boisés à rendement soutenu ou accru et d'avoir une espèce de gain, plutôt que de payer de l'impôt sur le revenu qui soit un revenu d'entreprise ou un gain de capital, s'il était possible, une seule fois, de l'étaler sur la durée de vie d'une forêt, qui est de 70 ans, cela motiverait certainement beaucoup. Il suffirait de trouver la façon, mais cela inciterait les propriétaires à ne pas couper les lots à blanc et à remettre des friches en production.
Actuellement, au Québec, ils en sont à réviser le système de taxation foncière. Ce sont tous des éléments qui doivent arriver idéalement simultanément, mais le plus vite possible, pour cesser l'érosion des forêts.
Le sénateur Gill: Cela fait quelques jours, monsieur Plourde, que les gens nous présentent des mémoires. Vous parlez du modèle québécois dans votre avant-dernière page, au dernier paragraphe ou presque, pour les provinces non organisées. Qu'entendez-vous par «modèle québécois», et sur quoi voulez-vous insister ?
M. Plourde: Au Québec, nous avons des offices de commercialisation. Dans ces offices, c'est une structure réglementaire qui fait en sorte qu'on vend le bois selon un rendement, à tout le moins un rendement soutenu, selon la rigueur des règlements de chaque région.
En Abitibi-Témiscamingue, nous avons des règlements de contingents. Les producteurs sont limités au niveau des volumes de bois à couper sur un lot privé. Ces pouvoirs sont limités parce qu'en Ontario, il n'y a aucune structure réglementaire.
Donc, des propriétaires, à Rouyn-Noranda, peuvent couper un lot boisé et aller vendre le bois en Ontario. Il n'y a pas de police dans toutes les municipalités, on doit se fier aux déclarations des gens. Si le propriétaire va vendre son bois en Ontario, personne n'est au courant et on surexploite la forêt.
On ne découvrira cette situation que 15 ans plus tard, lorsqu'on fera l'inventaire forestier, mais, on sait qu'on a perdu 15 années d'une forêt qui aurait pu être mieux gérée, parce que le propriétaire a engagé un exploitant qui est allé vendre son bois à l'extérieur.
À titre d'exemple: actuellement, en Gaspésie, il y a des lots qui sont achetés par les contracteurs du Nouveau-Brunswick, qui sont coupés en Gaspésie, et le bois est vendu à des usines du Nouveau-Brunswick. On vient d'amputer le capital forestier privé du Québec dans ce secteur. Cela se fait partout dans les zones limitrophes, que ce soit le Nouveau-Brunswick, le Maine, New York ou l'Ontario.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup d'être venu, monsieur Plourde. Je pourrais vous dire que nous avons le même problème en Alberta. Il y a des gens qui arrivent, qui achètent tout d'un seul coup et le lendemain, il n'y a plus rien.
Je tiens également à remercier les autres témoins. Ils ont fait preuve d'une grande courtoisie en restant dans la salle pour entendre les autres témoignages. Bien souvent, les témoins font leur exposé et disparaissent ensuite. Il semble que ces questions intéressent tous les témoins.
Je tiens à remercier les citoyens de Rouyn et de Val-D'Or, et ceux de la région en général. Ils sont très hospitaliers. Nous pourrons peut-être un jour revenir vous voir et attraper quelques poissons.
La séance est levée.