Délibérations du sous-comité de la
Forêt
boréale
Fascicule 11 - Témoignages
MIRAMICHI, le mardi 3 novembre 1998
Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit ce soir à 19 h 08 pour poursuivre son étude sur l'état actuel et les perspectives d'avenir des forêts au Canada et plus précisément de la forêt boréale.
Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: C'est la dernière province à laquelle nous rendons visite. Nous sommes allés en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, en Ontario et dans le nord du Québec. Nous étudions la forêt boréale, une forêt qui couvre également certaines régions de la Russie et de la Scandinavie. Certains la comparent à une cape jetée sur le sommet du monde. Ici, dans la Miramichi, on est à la lisière méridionale. La forêt boréale commence en fait un peu au nord.
Ce que vous avez à nous dire sur la façon dont vous envisagez l'avenir de la forêt nous intéresse au plus haut point, car la forêt boréale est l'un des derniers grands systèmes botaniques que l'on trouve encore dans le monde. Les forêts des zones tempérées d'Europe, d'Asie et d'Amérique du Nord ont toutes été exploitées ou détruites il y a des années. La forêt d'Amazonie disparaît, elle aussi, assez rapidement. Or, aujourd'hui, on voit dans les forêts autre chose qu'une source de bois: elles jouent un rôle essentiel au plan environnemental, entre autres choses. Elles sont devenues très importantes.
Le Sénat a décidé d'établir un comité qui existe maintenant depuis un peu plus d'un an. L'une des tâches que l'on nous a confiées est de nous intéresser à des questions qui ne font pas partie de celles qui retiennent l'attention des gens au moment des élections. Nous nous penchons sur des sujets dont, à notre avis, la population devrait être mieux informée et, après enquête, nous indiquons au gouvernement comment, selon nous, il devrait agir à l'avenir. C'est dans ce contexte que plus tôt aujourd'hui, nous avons visité des boisés privés ainsi que des terres à bois appartenant au gouvernement et à Repap. Nous allons tenir des audiences ce soir et pendant une bonne partie de la journée de demain.
Roberta Clowater est la première personne à nous présenter un mémoire aujourd'hui. Elle représente la section du Nouveau-Brunswick du Fonds mondial pour la nature Canada. Roberta, voulez-vous vous exprimer en français pendant quelques minutes pour voir si le système d'interprétation marche bien?
Vous avez la parole.
Mme Roberta Clowater, Coalition pour la protection des aires naturelles, Espaces en danger, Fonds mondial pour la nature: En fait, je vais présenter mon exposé en anglais, aujourd'hui.
Comme le président l'a déclaré, j'appartiens à la Coalition pour la protection des aires naturelles. Je suis également coordonnatrice, au Nouveau-Brunswick, d'Espaces en danger, une branche du Fonds mondial pour la nature Canada.
Les écosystèmes forestiers que l'on trouve au Nouveau-Brunswick sont parmi ceux qui présentent la plus grande diversité dans toute la région de l'Atlantique. Les forêts du Nouveau-Brunswick qui possèdent les caractéristiques de la forêt boréale se trouvent principalement dans l'écorégion des Highlands, située au nord-ouest et au nord du centre de la province. On considère que la plupart des forêts du Nouveau-Brunswick constituent une zone de transition entre la forêt mixte acadienne et la forêt boréale. La conservation de nos forêts est essentielle pour assurer le bien-être environnemental, social et économique du Nouveau-Brunswick.
Le gouvernement du Nouveau-Brunswick, qui est chargé de gérer nos forêts, prétend le faire d'une manière durable. S'il s'agit d'assurer une source durable de bois à l'industrie forestière, il est possible qu'une telle affirmation soit juste. Toutefois, une gestion durable de la forêt devrait se fonder sur un plan d'action équilibré touchant tout ce que la forêt a à offrir -- le bois, la faune et la flore et leur habitat, les processus naturels d'un écosystème, de l'air et de l'eau purs, un endroit que nous pouvons utiliser pour des activités récréatives et culturelles. Au Nouveau-Brunswick, à peu près 99 p. 100 des forêts publiques sont gérées dans l'optique de leur exploitation par les industries forestières et minières, et seulement environ 1 p. 100 est protégé de façon permanente pour assurer le bon fonctionnement de l'écosystème naturel.
En 1992, le gouvernement du Nouveau-Brunswick, ainsi que d'autres gouvernements provinciaux et territoriaux signataires de la Déclaration inter-conseils portant sur l'établissement d'un réseau d'aires protégées au Canada, se sont donnés comme objectif la création d'un tel réseau reflétant la diversité écologique de la province. La même année, les gouvernements provincial et fédéral, ainsi que des représentants de l'industrie forestière, du milieu syndical, d'organismes autochtones et du mouvement écologiste, ont signé l'Accord canadien sur les forêts et se sont engagés à poursuivre le même objectif. Au Nouveau-Brunswick, on n'a pas tenu les promesses qui ont été faites en ce qui concerne les aires protégées. C'est la même chose ailleurs au Canada, et l'on ne devrait pas donner aux Canadiens l'impression que, dans la forêt boréale, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
À l'heure actuelle, le Nouveau-Brunswick est à la traîne derrière toutes les autres provinces et les territoires en ce qui a trait à l'établissement d'un tel réseau d'aires protégées, car aucune de ses sept régions écologiques ne fait l'objet de recommandations adéquates ni même limitées concernant leur protection. Dans ses rapports d'étape de 1996 et 1997 sur les espaces en danger, le Fonds mondial pour la nature Canada a donné au Nouveau-Brunswick la note «F», la province n'ayant fait aucun progrès vers l'établissement d'un réseau d'aires protégées. Le Parc provincial du mont Carleton, le seul qui ait été classé par la province comme parc à l'état naturel, est la seule aire protégée qui comprenne certaines parties de la forêt du Nouveau-Brunswick présentant des caractéristiques semblables à celles de la forêt boréale.
Il semble que la seule raison pour laquelle on n'ait pas créé d'aires protégées est que l'on se soucie des retombées éventuelles que pourraient avoir de tels classements sur les industries forestières et minières. Même si ces industries jouent un rôle important dans notre économie, on devrait accorder la même importance à la santé de notre environnement naturel. Il est urgent d'équilibrer les divers usages que nous faisons de nos forêts au Nouveau-Brunswick, comme dans tout le Canada, d'ailleurs. On peut voir rapidement disparaître au Nouveau-Brunswick les zones inaccessibles par la route, ainsi que d'autres régions encore à l'état sauvage où les processus naturels peuvent suivre leur cours. Notre province est colonisée depuis longtemps, et des villes et des collectivités se sont établies un peu partout. Depuis longtemps aussi, on puise dans les ressources naturelles dont les collectivités sont devenues dépendantes. Toutefois, au cours des 30 dernières années, l'usage que nous faisions de notre environnement naturel a évolué et s'est intensifié, et aujourd'hui, l'industrialisation de ce milieu est devenue la norme. En conséquence, on a pu voir croître de façon spectaculaire l'étendue des terres touchées par le changement et constater que l'activité humaine pouvait, de plus en plus, affecter de grands pans de notre environnement naturel en relativement peu de temps. Il est maintenant devenu crucial que nous, en tant que société, ainsi que nos gouvernements, cherchions d'autres façons d'utiliser notre forêt boréale, en adoptant une vision à long terme qui tiendra compte de l'intérêt supérieur de nos collectivités et de notre environnement naturel.
Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a récemment demandé à un conseiller indépendant, M. Louis LaPierre, de formuler des recommandations qui permettront à la province d'établir une stratégie visant les aires protégées. Le gouvernement a l'intention de soumettre ces recommandations à la population, dans le cadre de consultations publiques qui doivent se tenir au cours des six prochains mois. Les autorités prendront ensuite des décisions sur l'utilisation future de ces aires naturelles, des décisions qui, nous l'espérons, permettront enfin d'utiliser nos terres de façon équilibrée. Le Fonds mondial pour la nature et la Coalition pour la protection des aires naturelles du Nouveau-Brunswick ont demandé au premier ministre de la province de protéger provisoirement les zones à l'état sauvage que M. LaPierre a identifiées, de façon à ce qu'elles ne subissent aucun dommage pendant qu'on discute de leur avenir.
Au Nouveau-Brunswick, on sait d'expérience ce qui peut arriver à une aire naturelle reconnue importante au plan écologique mais ne bénéficiant pas d'une protection provisoire. Au nord de la région centrale du Nouveau-Brunswick, dans les montagnes Christmas, on trouve un excellent exemple du type de forêt boréale qui existe dans notre province, avec un terrain montagneux et des terres humides et des lacs en grand nombre. Jusqu'en 1990, il y avait relativement peu de routes dans cette région, et les relevés biologiques indiquaient qu'il s'agissait d'un ancien écosystème forestier intact et à l'état sauvage. La société qui détient la licence d'exploitation forestière de ces terres domaniales a commencé à construire des pistes d'exploitation dans les montagnes Christmas. En 1992, des groupes écologistes ont à nouveau demandé un moratoire sur le bûcheronnage dans cette région dont la protection avait été recommandée dès la fin des années 1800 et à nouveau au début des années 1900. On n'a pas tenu compte de ces recommandations, et cette étendue sauvage, qui couvrait 50 000 hectares en 1990, n'en couvre plus maintenant que 4 000. Nous espérons sincèrement que l'on veillera mieux à maintenir l'intégrité écologique des aires à l'état sauvage identifiées dans le rapport de M. LaPierre, du moins jusqu'à ce que les pouvoirs publics aient pris une décision sur leur avenir.
Telle est la situation au Nouveau-Brunswick, et j'aimerais donc que le sous-comité sénatorial de la forêt boréale prenne en considération les mesures suivantes: premièrement, la protection provisoire de certaines aires qui pourraient éventuellement être classées parmi les terres protégées est essentielle dans le cadre du processus de planification d'un réseau d'aires protégées. Si l'on n'accorde pas à ces zones une protection provisoire jusqu'à ce que les décisions finales soient prises, on risque fort de voir leurs caractéristiques naturelles endommagées par des activités de développement pendant que nous discutons de leur avenir.
Deuxièmement, étant donné que nos gouvernements ne tiennent pas les engagements qu'ils ont pris au niveau international ou national en ce qui concerne les aires protégées, il faut multiplier les interventions auprès des principales industries primaires, afin de s'assurer qu'elles respectent les accords qu'elles ont conclus avec des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux dans le but d'instaurer des réseaux d'aires protégées au Canada. À l'heure actuelle, les industries peuvent bien déclarer publiquement qu'elles ont signé des ententes de conservation comme l'Accord canadien sur les forêts, mais elles ne traduisent pas concrètement leurs engagements en appuyant les décisions qui sont prises pour protéger certaines zones.
Troisièmement, le gouvernement fédéral consacre des sommes considérables au développement et à l'entretien des infrastructures, par exemple, à la construction de routes, en disant qu'il s'agit de fournir aux Canadiens des services essentiels. Toutefois, le gouvernement fédéral consacre très peu d'argent aux recherches qui nous permettraient de découvrir des moyens de diversifier notre économie axée sur les ressources en exploitant leurs autres valeurs et de tirer ainsi profit de marchés émergents. Il serait souhaitable que le gouvernement fédéral, peut-être dans le cadre d'un partenariat avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, examine les mesures que l'on pourrait prendre dans cette optique.
Quatrièmement, les ministères fédéraux responsables des ressources naturelles et de l'environnement possèdent un personnel compétent qui pourrait contribuer davantage aux recherches sur la conservation de la biodiversité. Ces ministères pourraient prêter leur assistance à cet égard en collaborant avec l'industrie afin de dresser un inventaire biologique des forêts destinées au bûcheronnage ou à d'autres formes d'exploitation. Cela permettrait d'avoir une meilleure idée de l'impact éventuel que la récolte peut avoir sur l'édaphocénose, les champignons, les insectes, les plantes, les oiseaux et les mammifères et également de modifier les pratiques de bûcheronnage afin de mieux conserver des organismes dont la présence joue un rôle vital dans le bon fonctionnement des écosystèmes forestiers.
Cela conclut mon exposé. Je crois comprendre que vous souhaitez poser des questions.
Le sénateur Robichaud: Vous avez parlé de la région des montagnes Christmas. Je ne sais pas si on peut dire que cette forêt était dans son état naturel. En parlant avec certaines personnes cet après-midi, j'ai découvert que l'on a arrosé les arbres de pesticides pour les protéger et que le peuplement, devenu en quelque sorte suranné, a facilement été abattu par les vents. Devrions-nous laisser les choses en l'état, alors que tant de gens sont à la recherche d'un emploi et ont besoin de l'activité économique qui pourrait être générée? Attention, je ne dis pas que nous devrions tout nettoyer, mais plutôt pratiquer une coupe bien pensée. La nature a tout jeté par terre, et nous avons dû prendre des mesures pour sauver ce qui pouvait l'être. Dans quelles limites situeriez-vous les activités d'exploitation dans des forêts de ce type, et comment devons-nous procéder?
Mme Clowater: Je pense que le cadre qu'il faut respecter, c'est un usage véritablement équilibré du terrain, selon un plan qui prend en considération les zones naturelles qui vont être protégées et celles qui vont être réservées à l'exploitation industrielle. À l'heure actuelle, un tel plan n'existe pas au Nouveau-Brunswick. Essentiellement, la plupart des forêts que l'on trouve dans cette province sont à la disposition de l'industrie. Dans des cas comme celui qui vient d'être évoqué, si un tel plan avait existé, on aurait su clairement s'il s'agissait d'une zone où les processus naturels devaient avoir libre cours ou si, comme vous l'avez dit, l'industrie pouvait intervenir et récupérer le bois qui était tombé.
Ce qui nous préoccupait dans ce cas, c'est qu'il n'existait pas de plan équilibré d'utilisation du terrain, délimitant les zones où l'industrie ne pouvait pas pénétrer. Essentiellement, l'industrie pouvait aller partout où bon lui semblait. Comme vous dites, cette zone n'était certainement pas totalement à l'état naturel, comme c'est malheureusement le cas de la plupart des aires de ce genre à travers le monde, à cause des arrosages de pesticides effectués il y a plusieurs dizaines d'années pour lutter contre la tordeuse des bourgeons. Suite à ces arrosages, la forêt ne s'est pas développée de la même façon qu'elle l'aurait fait naturellement, si nous n'étions pas intervenus.
Quoi qu'il en soit, il s'agissait d'un écosystème relativement naturel si on ne prenait pas en compte l'âge des arbres. Au plan des autres végétaux et des animaux que l'on trouvait dans ces zones inaccessibles par la route, comme au plan de la fragmentation, il s'agissait d'un écosystème naturel. Toutefois, je suis d'accord avec vous, l'âge du peuplement n'était certainement pas naturel. De nombreux arbres qui, si on avait laissé la nature agir, auraient été tués par la tordeuse des bourgeons, ont été protégés par l'arrosage. Je pense que vous avez raison; il y a une distinction subtile à faire. Oui, il faut que l'industrie puisse utiliser nos forêts; elles représentent une ressource naturelle que nous avons besoin d'utiliser; mais il est regrettable de le faire sans qu'il existe de plan équilibré qui tienne également compte de la nécessité de conserver des aires protégées de toute exploitation industrielle. C'est la situation que nous connaissons ici, dans cette province, aujourd'hui.
Le sénateur Robichaud: À votre avis, est-ce que l'industrie est aujourd'hui plus soucieuse de l'environnement qu'elle ne l'était il y a quelques années et est-elle plus ouverte à l'idée que l'on réserve certaines aires à des fins écologiques dans les régions où elle intervient?
Mme Clowater: Je dirais que l'industrie devient certainement plus sensible aux questions environnementales, particulièrement en ce qui concerne la pureté des eaux. Je pense pourtant qu'il y a encore beaucoup de chemin à faire avant que l'industrie comprenne vraiment que la biodiversité et les écosystèmes qui existent chez nous sont beaucoup plus compliqués qu'on ne le pense souvent. On peut bien exploiter la forêt sans savoir véritablement et exactement qu'est-ce qui va en subir les effets. On peut connaître le type d'arbres qui s'y trouvent. On peut connaître également certaines des espèces sauvages qui y vivent lorsqu'on a fait effectuer une étude préliminaire, mais les écosystèmes sont beaucoup plus compliqués et, malheureusement, dépassent notre entendement. C'est ce qui les rend difficiles à protéger à l'heure actuelle. C'est la raison pour laquelle nous estimons qu'il faut établir un plan dans le but de protéger certaines aires de toute exploitation industrielle, de créer des zones où la nature est essentiellement libre de suivre son cours. Par ailleurs, comme vous dites, il faut que dans le secteur industriel, plus de gens comprennent la nécessité de protéger l'environnement dans le contexte de leur activité professionnelle et de procéder d'une manière qui respecte davantage les écosystèmes au sein desquels ils travaillent.
Le sénateur Robichaud: Ce matin, nous avons visité un boisé privé. Je dois dire que le propriétaire était vraiment sensible à l'importance du milieu constitué par son boisé. Il était préoccupé par ce qui pouvait arriver à la faune et à la flore. Cela m'a quelque peu réconforté car j'ai pu constater la même chose ailleurs. Les gens commencent à remarquer qu'il y a quelque chose qui vit dans ces boisés; que c'est un habitat et qu'on doit le protéger. Je suis sûr que vous serez d'accord avec moi pour dire que le public en général, et plus particulièrement les propriétaires de boisés privés sont plus conscients des efforts qu'ils doivent faire pour maintenir ces lieux en l'état.
Mme Clowater: Tout à fait. Je pense que les propriétaires de boisés privés jouissent d'un certain avantage parce que les terrains qu'ils possèdent sont moins étendus que ceux où l'industrie intervient. Par conséquent, ils peuvent gérer les forêts de façon beaucoup plus concrète. Il y a de plus fortes chances qu'ils sachent où se trouvent les sites écologiques fragiles. Il y a de plus fortes chances qu'ils sachent exactement quelles espèces sauvages habitent dans une certaine zone et de quoi elles ont besoin pour se nourrir. On peut gérer ce genre de choses beaucoup mieux à plus petite échelle, alors que l'industrie, elle, opère à grande échelle.
Le président: Combien d'aires en danger souhaitez-vous préserver? Dans votre rapport, parlez-vous de celles qui ont été identifiées par le conseiller du gouvernement?
Mme Clowater: Douze zones ont été identifiées comme de grandes étendues encore relativement inaccessibles par la route et qui possèdent donc des caractéristiques plus naturelles que d'autres.
Le président: Est-ce que l'on retrouve ces zones partout dans la province ou sont-elles concentrées au nord?
Mme Clowater: Elles sont, pour la plupart, disséminées dans toute la province. On en trouve davantage au nord, tout simplement parce que les terres domaniales sont surtout situées au nord et au centre de la province, alors que les terres appartenant à des intérêts privés se trouvent dans l'ouest et au sud. Par conséquent, de nombreux terrains privés sont plus fragmentés parce que, dans ces zones, il y a plus de routes et plus d'habitations.
Le président: Je crois comprendre que l'on exploite la forêt sur toutes les terres domaniales du Nouveau-Brunswick. Est-il juste de dire que les aires dont vous parlez servent à l'heure actuelle à l'exploitation forestière?
Mme Clowater: Oui, la plupart d'entre elles.
Le président: Il s'agirait donc de les soustraire à ce type d'exploitation.
Mme Clowater: Il s'agirait en effet de les soustraire du système actuellement en place.
Le sénateur Stratton: Sur ces 12 zones, y en a-t-il qui n'ont pas été touchées ou bien est-ce que toutes ces étendues de forêt ont été exploitées à un moment ou à un autre?
Mme Clowater: Nous ne savons pas, je pense, si toutes ces zones ont été exploitées dans le passé. Je dirais que nombre d'entre elles l'ont été, même au début, quand on faisait flotter le bois sur les rivières. Toutefois, un grand nombre de ces aires, le centre, au moins, sont encore inaccessibles par la route.
Le sénateur Stratton: À l'heure actuelle, les terres bénéficiant d'une protection permanente représentent 1 p. 100 du territoire. Si l'on protégeait ces 12 grandes zones, à combien s'élèverait ce pourcentage?
Mme Clowater: Cela représenterait environ 6 à 7 p. 100 du territoire de la province.
Le sénateur Stratton: Certains prétendent que ce pourcentage devrait être beaucoup plus élevé.
Mme Clowater: Oui. Nous demandons nous-mêmes qu'il soit plus élevé.
Le sénateur Stratton: Vous êtes réaliste.
Mme Clowater: Le conseiller engagé par le gouvernement fait ce genre de proposition.
Le sénateur Stratton: Quelle est la position du Fonds mondial pour la nature à propos de ce pourcentage?
Mme Clowater: Nous avons fait une évaluation écologique de la province pour déterminer le pourcentage le plus représentatif, au cas où l'on déciderait d'établir plus de zones protégées, et ce pourcentage est plutôt de l'ordre de 13 à 14 p. 100 du territoire de la province.
Le sénateur Stratton: Est-ce un pourcentage des régions où l'on trouve des forêts?
Mme Clowater: Non, c'est un pourcentage du territoire couvert par la province. Nombre de ces aires engloberaient des terres privées, et leur protection nécessiterait une planification à beaucoup plus long terme, car il faudrait évidemment impliquer les propriétaires et voir s'ils sont intéressés à conserver certaines parties des terres qui leur appartiennent. Peut-être pourrions-nous conclure avec eux des ententes de gestion bénévole.
Le sénateur Stratton: Où en êtes-vous dans vos négociations avec le gouvernement en ce qui concerne la protection de ces 12 zones?
Mme Clowater: Le rapport commandé par le gouvernement provincial lui a été transmis. Il sera rendu public à la fin du mois de novembre. Ensuite, il y aura des consultations avec la population pendant l'hiver, dans le cadre de réunions organisées dans toute la province. Je crois comprendre que le gouvernement a l'intention de prendre une décision au printemps 1999.
Le président: Est-ce que ces 12 zones sont toutes recouvertes de forêt? N'y a-t-il pas aussi des dunes de sable ou des plages?
Mme Clowater: Oh, si. Dans une de ces zones, en particulier, la moitié du terrain, ou plutôt 40 p. 100, est couverte de marais. Dans le sud de la province, il y a des zones où l'on trouve de nombreux lacs, des régions montagneuses et un terrain en forte pente. Ce sont des zones où, normalement, on ne pratique pas la coupe ou du moins, où on ne devrait pas la pratiquer. Dans certains endroits du pays, je présume que l'on pratique la coupe même sur des terrains en forte pente. Nous avons pu déterminer qu'un fort pourcentage de ces zones sont ce qu'on pourrait appeler inexploitables du point de vue de l'industrie forestière, car il s'agit soit de terrains rocheux, soit de marais, soit de terres humides d'un autre type, soit de lacs.
Le sénateur Stratton: Le Fonds mondial de la nature a donné la note «F» au Nouveau-Brunswick. Je crois qu'il a donné la même note au Manitoba. À combien de provinces avez-vous donné la note «F», et combien ont obtenu la note de passage? Cette note est-elle «F» ou «P»?
Mme Clowater: Non, les notes sont A, B, C, D, F. Je pense que par le passé, on a donné un «F» à l'Alberta.
Le sénateur Stratton: Oui, c'est aussi ce que je crois savoir. Est-ce qu'une province quelconque a obtenu une note raisonnable?
Mme Clowater: Oui. Certaines provinces s'en tirent très bien. La Nouvelle-Écosse a obtenu de bonnes notes par le passé. Même chose pour l'Île-du-Prince-Édouard, ce qui est surprenant parce que la plupart des terres visées appartiennent à des intérêts privés; si la province a obtenu de bonnes notes, c'est qu'elle a mis en place beaucoup de bons programmes de gestion. La Colombie-Britannique s'en tire bien.
Le sénateur Stratton: Même en dépit des confrontations dont elle est le théâtre?
Mme Clowater: En dépit des confrontations que l'exploitation forestière suscite en Colombie-Britannique, la province fait des progrès satisfaisants en ce qui concerne la création d'un réseau d'aires protégées.
Le président: On trouve d'un bout à l'autre de cette province beaucoup de terres de cette nature.
Mme Clowater: C'est exact. C'est l'un des avantages dont jouissent certaines de ces autres provinces. On y trouve des zones qui n'ont jamais été habitées et qui ne le sont toujours pas, ainsi que des régions montagneuses, ce que nous appelons parfois «du roc et de la glace», qu'il est quelquefois plus facile de protéger que des sites couverts de forêts que certains peuvent vouloir exploiter.
Le président: Je crois savoir qu'au Nouveau-Brunswick, on délivre, comme en Ontario, des licences à long terme assorties d'une vérification au bout de cinq ans qui permet de voir si les sociétés concernées respectent les ententes qu'elles ont conclues. En Ontario, la vérification quinquennale doit être effectuée en toute indépendance. Autrement dit, les gens qui en sont chargés n'ont absolument aucun lien ni avec le gouvernement, ni avec les compagnies d'exploitation forestière. Il s'agit d'un groupe d'experts où on retrouve des professeurs, des écologistes, des représentants du Fonds mondial pour la nature et autres organismes de ce genre, ainsi que des autochtones, et c'est ce groupe d'experts qui détermine si les ententes ont été respectées ou non.
Au Nouveau-Brunswick, au cours de cette période de cinq ans, est-ce qu'on vous avise, vous ou la population, de la date à laquelle s'achèvera la période en question, de façon à ce que les gens puissent participer au processus et dire si, à leur avis, les sociétés d'exploitation forestière ont tenu leurs promesses, ou bien est-ce qu'on vous laisse complètement dans l'ignorance de ce qui se passe?
Mme Clowater: Les sociétés d'exploitation forestière doivent déposer de nouveaux plans tous les cinq ans. On exige que lorsqu'elles élaborent ces nouveaux plans ou qu'elles mettent à jour les précédents, la population puisse participer au processus. Malheureusement, au Nouveau-Brunswick, cette participation du public prend plutôt la forme de séances d'information dans le cadre de réunions de plus ou moins grande envergure au cours desquelles les sociétés d'exploitation forestière disent à la population ce qu'elles ont l'intention de faire. Le public n'a pas vraiment la possibilité de changer quoi que ce soit. Il nous reste certainement beaucoup à faire pour que la population puisse avoir une quelconque influence sur ces plans de gestion. Le public joue un rôle très mineur.
Une des sociétés en cause, J.D. Irving, Limitée, a mis en place quelques comités locaux dans les régions où elle exploite la forêt. Je ne sais pas dans quelle mesure les membres de ces comités peuvent faire modifier les plans de la société ou s'il s'agit plutôt de les tenir au courant de ce qui se passe.
Le sénateur Stratton: La question des herbicides m'a toujours intrigué. Est-ce qu'on arrose les régions couvertes de forêt au Nouveau-Brunswick? Je crois comprendre que c'est encore le cas.
Mme Clowater: Oui.
Le sénateur Stratton: Au Québec, à ce que je sache, on est censé arrêter d'utiliser un quelconque herbicide d'ici l'an 2000. La date butoir est l'an 2000 au Québec et 2002 en Ontario. Savez-vous si on a fixé une date limite au Nouveau-Brunswick pour l'utilisation d'herbicides?
Mme Clowater: Non. Je crois savoir que le gouvernement a l'intention de les éliminer progressivement.
Le sénateur Stratton: Croyez-vous que, comme on le prétend, les herbicides qu'on utilise aujourd'hui soient biodégradables?
Mme Clowater: Non, je ne le crois pas. Ce qui nous préoccupe, ce ne sont pas seulement les herbicides mais les véhiculants qui sont utilisés pour les épandre. Souvent, les herbicides eux-mêmes sont testés pour déterminer leur biodégradabilité ou leur effet toxique sur d'autres formes de vie. Toutefois, les véhiculants sont souvent des produits chimiques plus toxiques que les herbicides eux-mêmes, car ces vecteurs ne subissent pas les essais rigoureux auxquels sont soumis les herbicides. L'utilisation d'herbicides dans les forêts du Nouveau-Brunswick, notamment dans les plantations, nous préoccupe au plus haut point, car faire disparaître certaines espèces d'une forêt ne favorise pas vraiment la biodiversité. Il est probable que ces espèces ont un rôle très utile à jouer pour fertiliser le sol ou permettre aux autres arbres qui poussent avec ceux qui ont été plantés de parvenir à maturité.
Le sénateur Stratton: Le comité a visité des plantations. Ne pensez-vous pas qu'elles ont une utilité? La demande va augmenter de façon spectaculaire au fil des années, malgré les problèmes qui se posent actuellement en Asie. Combiner le produit des forêts naturelles et celui des plantations nous aidera à répondre à cette future demande, tout en nous permettant d'assurer la durabilité des forêts naturelles. N'êtes-vous pas de cet avis?
Mme Clowater: Disons que selon moi, les plantations ont probablement leur place dans l'industrie forestière. Ce qui nous préoccupe, c'est que tous les ans, les plantations prennent une importance de plus en plus grande et qu'on convertit plus de forêts naturelles en plantations. Ce phénomène n'est pas limité aux terres franches de l'industrie, c'est-à-dire aux terres que possèdent les entreprises elles-mêmes, mais il touche également les terres domaniales où certaines zones sont converties en plantations.
Je crois que les plantations pourraient être gérées de façon différente, d'une façon qui favoriserait plus de biodiversité, et à mon avis, on pourrait probablement trouver une méthode à plus forte intensité de main-d'oeuvre pour faire disparaître la végétation concurrente, une méthode qui n'exige pas l'arrosage des forêts avec des produits chimiques toxiques.
Le sénateur Stratton: Selon vous, la zone réservée aux plantations devrait-elle se limiter à un certain pourcentage? Certaines sociétés d'exploitation forestière ont déclaré que les plantations devraient représenter 20 p. 100 des forêts. Étant donné que l'on prévoit une croissance accélérée de la demande, elles prétendent qu'un tel pourcentage est ce dont nous aurons besoin à long terme. À partir du moment où on a atteint un certain niveau, on ne peut pas aller au-delà, car c'est la limite de la durabilité. Avez-vous un avis sur ce sujet?
Mme Clowater: Notre organisme n'a pas vraiment fixé de pourcentage pour les plantations. Néanmoins, peut-être ne devrions-nous pas présumer que la demande va continuellement augmenter. À un moment donné, je pense, il faut reconnaître que les systèmes naturels ont une limite, ce qui veut dire que nous, les consommateurs, devrions sans doute limiter nos besoins en produits du bois. Il faut que nous nous demandions si nous avons véritablement besoin de tous ces produits ou seulement de certains d'entre eux. Je pense qu'à un moment donné, il faudra examiner cette question car l'industrie prétendra toujours que oui, le besoin continue d'exister; évidemment, son rôle est de s'assurer que c'est bien le cas.
Le président: Avant de vous laisser partir, je veux vous poser une question. Est- ce que votre groupe s'intéresse à cette question d'homologation. Comme vous le savez, nous exportons une bonne partie de notre pâte à papier et de notre bois. Des «marchés verts» s'établissent à travers le monde, notamment en Europe, et je pense que le phénomène gagne les États-Unis. Pour pénétrer ces marchés, les produits devront être homologués. Autrement dit, ce sont les consommateurs qui décident qu'ils ne veulent pas acheter du bois ni de la pâte provenant de zones où on utilise des herbicides, ou qu'ils ne veulent pas acheter du bois venant de forêts où on a pratiqué la coupe à blanc, et cetera. Le phénomène semble très rapidement gagner du terrain. Cela m'intéresserait de savoir si votre groupe examine la question de l'homologation et quel est son avis à ce propos. Peut-être est-ce la façon de procéder à l'avenir au plan de la réglementation. En d'autres mots, le secteur va être réglementé par le marché et non par des groupes de pression comme le vôtre. Vous êtes-vous intéressée à cette question?
Mme Clowater: Oui. De fait, j'ai fait partie du comité de direction établi dans les Maritimes par le Forest Stewardship Council, une société d'homologation internationale. Nous nous intéressons sérieusement à la question parce que nous avons le sentiment qu'il est souvent plus utile de faire marcher les sociétés d'exploitation forestière à la carotte plutôt qu'au bâton. C'est l'alternative au boycottage, la méthode utilisée par certains groupes écologistes en Europe et ailleurs au Canada pour punir, en quelque sorte, les sociétés d'exploitation forestière qui ne font pas les choses comme il faut.
Nous considérons que l'homologation «verte» est une façon de fournir un incitatif aux sociétés qui, elles, font les choses comme il faut, parce que les consommateurs achèteront leurs produits s'ils savent qu'ils proviennent de sociétés qui gèrent les forêts de façon durable. Nous estimons qu'il s'agit là d'un mécanisme très important pour améliorer les pratiques de gestion forestière. C'est peut-être l'un des seuls moyens que nous avons à notre disposition pour que les pratiques de gestion forestière sur les terres franches dont l'industrie est propriétaire s'améliorent. Nous pouvons exercer une certaine influence en ce qui concerne les terres domaniales en intervenant auprès de nos gouvernements, mais pour ce qui est des terres franches qui sont aux mains de l'industrie, essentiellement, nous n'avons aucun moyen d'intervention, et c'est une situation qui devient de plus en plus la norme dans de nombreuses industries. Les sociétés industrielles achètent elles-mêmes des terres et les gèrent. Le marché et l'homologation «verte», ainsi que d'autres pratiques de cette nature, représentent peut-être les seuls moyens d'exercer une certaine influence sur de grandes sociétés qui possèdent les terres qu'elles exploitent et, fondamentalement, n'ont de compte à rendre à personne.
Le président: Croyez-vous que les consommateurs achèteront quand même des produits verts s'ils coûtent plus cher?
Mme Clowater: Je crois que certains consommateurs, moi, par exemple, accepteront de payer plus cher. Je connais des gens qui sont prêts à le faire. Combien doit-on demander aux gens de payer et combien les gens sont-ils prêts à payer sont des questions qu'il faudra résoudre. Si vous augmentez de 10 $ le prix d'un article qui coûte normalement 5 $, peut-être que l'augmentation est trop importante, mais s'il s'agit de 1 $ de plus, je pense que les gens accepteront de payer. Non seulement je pense que la population va accepter de payer davantage, mais je crois qu'il devrait en être ainsi parce que, selon moi, en offrant des produits forestiers à bas prix, nous subventionnons peut-être des pratiques condamnables en matière d'exploitation forestière ainsi que l'utilisation, à tort et à travers, des produits de la forêt. Peut-être faut-il effectivement faire payer ces produits plus cher pour bien montrer ce qu'il en coûterait réellement à la société de les faire disparaître du système dans lequel ils sont intégrés.
Le président: Merci beaucoup, madame Clowater. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir faire une présentation et de répondre à nos questions. Nous allons également garder votre mémoire, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
Mme Clowater: Non, bien sûr.
Le président: Je vous remercie à nouveau d'être venue.
Mme Clowater: Merci de m'avoir invitée aujourd'hui. Je suis ravie que vous fassiez le tour du pays pour poser ce genre de questions et faire une étude solide, parce qu'à mon avis, nous avons vraiment besoin d'explorer davantage tout ce dossier au Canada, y compris au Nouveau-Brunswick. Je suis très heureuse que vous soyez venus ici pour en parler avec nous.
Le président: Le témoin suivant est M. Steven Ginnish, représentant la Première nation d'Eel Ground. Monsieur Ginnish, je dois vous dire que votre présence ici à titre de témoin revêt pour moi un intérêt particulier. J'ai fait des recherches généalogiques. Mon arrière-arrière-arrière grand-père et son frère étaient tous deux dans le régiment des Fraser Highlanders, avec Wolfe, et ont escaladé les murs de Québec. En récompense, on leur a donné, entre autres, une concession foncière située à South Esk, juste en face d'Eel Ground. J'ai fait des recherches sur mes racines dans cette région. Il semble qu'une ou deux de mes arrières-arrières-arrières-grand-mères viennent d'Eel Ground. Un peu de leur sang coule dans mes veines. Je ne pense pas que cela soit suffisant pour que j'abandonne mon fauteuil de présidence pour ne pas être soupçonné de préjudice, mais je vais vous écouter parler d'Eel Ground d'une oreille très bienveillante.
M. Steven Ginnish, Première nation d'Eel Ground: Ce soir, une bonne partie de nos discussions portera sur les politiques touchant les communautés autochtones ainsi que sur leur participation. Je crois que bien des gens, d'un bout à l'autre du Canada, peuvent dire qu'ils ont des racines dans la région de l'Atlantique, tout simplement à cause de l'histoire de notre pays. Ce lien existe bel et bien.
Tout d'abord, je tiens à vous remercier de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant vous ce soir, honorables sénateurs. Permettez-moi de commencer en vous parlant brièvement de mes antécédents -- d'où je viens, et de la communauté au sein de laquelle j'habite.
Comme vous le savez tous, je m'appelle Steve Ginnish. Je suis l'un des conseillers de la Première nation d'Eel Ground qui est établie à cinq ou dix kilomètres de Chatham. Je suis agent de développement forestier et dans ce poste, que j'occupe depuis 1989, je sers une communauté qui regroupe environ 710 personnes inscrites sur la liste des membres de ma bande. Depuis que j'occupe cet emploi, nous avons mis en oeuvre un plan de gestion de la forêt qui appartient à notre communauté et qui recouvre une superficie de 7 000 acres. À titre de conseiller, je m'occupe, avec six autres membres du conseil, notamment le chef George Ginnish de la Première nation d'Eel Ground, du dossier des ressources naturelles.
Je préside la MicMac/Maliseet Forestry Association du Nouveau-Brunswick que j'ai contribué à établir en 1992. Je copréside également, pour le compte du Service canadien des forêts, un comité de gestion chargé de contrôler, dans toute la province, l'administration et la gestion du Programme forestier des Premières nations, un programme élaboré en 1994 par le MAINC.
Je copréside également de nombreux autres comités qui s'occupent des systèmes intégrés touchant l'environnement et la pêche au sein des communautés des Premières nations. L'an passé, les réalisations d'Eel Ground ont été reconnues par des prix décernés par plusieurs groupes écologistes et associations forestières. Entre autres, je peux citer le prix Milton F. Gregg, qui est attribué chaque année par le Conseil de conservation du Nouveau-Brunswick à un candidat de la catégorie organisme/entreprise. Ce prix nous a été décerné pour reconnaître notre contribution à la promotion d'une exploitation forestière durable. L'autre prix que nous avons reçu l'été dernier était le prix James M. Kitz, qui m'a été personnellement décerné par l'Institut forestier du Canada pour l'ensemble de mes contributions à la bonne gestion de la forêt.
Comme je l'ai indiqué précédemment, je vais parler de plusieurs dossiers. Pratiquement tout ce qui a trait aux ressources naturelles affecte les communautés autochtones. C'est seulement au cours des 10 dernières années que ces communautés ont commencé à faire connaître leurs préoccupations à propos de l'utilisation des ressources naturelles. Nous temporisions en attendant de voir si les promesses allaient être tenues, en attendant de voir si les pouvoirs publics et l'industrie allaient respecter les engagements qu'ils avaient pris vis-à-vis les communautés des Premières nations il y a bien longtemps. Nous avons toutefois peu à peu réalisé que cela n'allait pas arriver et que bien des promesses n'allaient pas être tenues. Nous avons commencé à dire ce que nous pensions. Nous avons commencé à faire valoir ce qui nous préoccupait.
En règle générale, ce qui touche la gouvernance des Premières nations est mal ou pas connu. Nous avons tous entendu parler de la Loi sur les Indiens. Dans bien des cas, cette loi s'avère être le document qui a l'impact le plus négatif sur les communautés autochtones. Parmi les gens qui sont assis dans cette salle ce soir ou qui vivent dans notre pays, beaucoup ne se rendent pas compte que lorsque la communauté d'Eel Ground met en oeuvre un système de gestion durable des ressources, en fait, elle viole les lois fédérales. Il est difficile de comprendre pourquoi il en est ainsi.
Les gouvernements autochtones n'ont pas vraiment les coudées franches pour gérer les forêts qui se trouvent dans les réserves, parce qu'ils n'ont pas le pouvoir d'émettre des permis de coupe. C'est encore le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien qui détient ce pouvoir. Vous entendez parler de l'autonomie gouvernementale des Premières nations, mais il faut encore que nous demandions la permission de nous lancer dans une activité quelle qu'elle soit. Pour que l'autonomie gouvernementale soit suivie d'effets, il va falloir des lois qui donneront aux communautés autochtones le pouvoir de gérer leurs propres terres.
Notre pays est beau, vaste et riche, et dans les tribunes internationales, nous disons aux gens que nous nous occupons très bien de nos terres. Nous disons que le Canada possède l'un des meilleurs systèmes de gestion des ressources du monde, mais le gouvernement lui-même se dérobe à ses responsabilités en ce qui concerne les terres fédérales. Dans bien des cas, 50 p. 100 de ces terres sont réservées aux peuples autochtones qui peuvent les utiliser et en tirer profit. Mais nous n'avons pas le pouvoir de gérer ces terres. Nous les occupons. Nous ne les possédons pas, si l'on en croit le gouvernement du Canada.
Je suis également vice-président de la section régionale de l'Association nationale de foresterie autochtone. Pour tenter de régler la question de la gestion des terres, l'ANFA a rédigé l'ébauche d'un texte législatif donnant aux Premières nations les outils nécessaires pour réellement gérer les ressources existant sur leurs propres terres. Avec un peu de chance, une telle législation leur permettra également d'intervenir à plus grande échelle. Si ce texte devient loi, les communautés autochtones auront le pouvoir d'adopter et de faire appliquer des règlements sur la gestion de la forêt dans les réserves, dans le cadre d'un processus participatif traditionnel.
Nous avons élaboré des lignes directrices sur la gestion des terres autochtones. En vertu de ce document, c'est la communauté qui décide exactement comment les ressources seront gérées. Il ne s'agit pas de «consultations publiques»; il ne s'agit pas non plus de «participation du public». Il s'agit de laisser la communauté décider comment gérer les terres pour que les générations futures puissent tirer profit de pratiques de gestion saines.
Au Nouveau-Brunswick, nous estimons que tant que cette législation n'est pas en place, les communautés des Premières nations et les pouvoirs publics devront continuer à fonctionner dans le cadre limité de la Loi sur les Indiens. Comme je l'ai indiqué plus tôt, à l'heure actuelle, lorsque je pratique la gestion forestière au sein de ma communauté, je viole les lois fédérales. Toutefois, si je voulais vendre du bois à l'industrie, tant et aussi longtemps que j'aurais la bénédiction du ministre, je pourrais couper tout ce que je voudrais. Il est très ironique de voir qu'à une époque où nous n'arrêtons pas de parler de systèmes de gestion durable des ressources, de protection de l'environnement, des pêcheries et des habitats des poissons, nous soyons toujours assujettis à une législation qui ne nous permet pas d'agir dans le sens de la durabilité.
L'autre texte législatif dont je veux parler est le récent rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Les recommandations qui sont directement liées aux ressources forestières se trouvent au chapitre 4, «Terres et ressources» dans le volume 2, qui est intitulé: Repenser les relations.
Le rapport de la Commission royale soulève de nombreuses questions, et l'on trouve dans ses différents chapitres nombre de recommandations et d'orientations stratégiques concernant les ressources forestières, lesquelles reflètent celles que l'ANFA a formulées. L'objectif était d'élargir la participation des autochtones à la gestion forestière au plan de l'éducation et de la formation, du développement commercial, de l'élaboration des politiques et de l'action revendicatrice.
C'est très bien de comparaître devant le sous-comité, de discuter des questions qui se posent et, avec un peu de chance, de parvenir à trouver des solutions à long terme. Toutefois, de mon point de vue, ce n'est pas au cours d'une seule soirée passée dans la belle Miramichi ou dans toute autre région du pays que l'on va pouvoir vider la question. Ces contraintes de temps inquiètent les Premières nations.
Le témoin précédent a parlé des plans de gestion de 25 ans de la grande industrie et a indiqué qu'ils font l'objet d'un réexamen tous les cinq ans. On a prévu la participation de la population à ce processus de réexamen, mais il s'agit seulement de forums qui servent à informer les gens de ce qui va arriver dans le domaine de l'exploitation des ressources naturelles au cours des cinq prochaines années. Les communautés autochtones sont habituellement invitées à participer à ces forums, mais selon nous, les décisions sont prises avant qu'ils n'aient lieu.
Le sens juridique que l'on peut donner au mot «consultation» nous inquiète énormément. Les communautés des Premières nations participent à des tables rondes pour explorer les dossiers qui les préoccupent. Deux ou trois mois plus tard, toutefois, nous entendons l'industrie ou les pouvoirs publics déclarer: «Nous nous sommes assis autour d'une table avec les représentants des communautés autochtones et nous les avons pleinement consultés.» Ce que l'on appelle «consultation» se réduit à une seule réunion d'une heure. C'est la raison pour laquelle de nombreuses Premières nations hésitent à participer à des audiences comme celle-ci, tout simplement parce que le pouvoir de prendre des décisions sur la façon dont les ressources sont utilisées dans nos territoires traditionnels ne nous appartient pas.
Dans le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, il est question d'améliorer notre accès aux opportunités économiques axées sur les ressources. Il est question de partage des compétences et de cogestion des terres et des ressources. La communauté des peuples autochtones et la société, en général, dans ce pays ont de très nombreux visages. Ce qui nous préoccupe nous, peuples autochtones du Nouveau-Brunswick, dans la façon d'utiliser les ressources forestières, peut fort bien ne pas susciter les mêmes craintes dans l'Ouest du Canada.
Un de nos grands sujets de préoccupation, ici, au Nouveau-Brunswick, est décrit dans le rapport de la commission royale sous le titre «Propriété et gestion des sites culturels et historiques». Dans bien des cas, nous ne sommes même pas autorisés à agir selon nos traditions en ce qui concerne les ressources naturelles. Ce sont des gens de l'extérieur qui nous disent quelles sont ces traditions. Dans les écoles, on nous a dit qui nous étions, en tant que peuple. Nous trouvons cela très ironique. Si vous ne pouvez pas vous définir vous-même en tant que peuple, qui peut bien dire qui vous êtes? De notre point de vue, l'industrie et les pouvoirs publics se montrent extrêmement ignorants lorsqu'ils nous disent qu'ils savent mieux que personne ce qui est bon pour nous.
Je voudrais maintenant parler de la recommandation sur la participation du public aux négociations territoriales. Vous vous demandez sans doute quel est le lien avec la protection des ressources naturelles, notamment la protection de la forêt boréale. Toutefois, il y a encore à cet égard de nombreux problèmes non résolus et, dans 99 p. 100 des cas, cela concerne les ressources naturelles.
Nous trouvons très difficile de participer à un processus où l'on nous traite comme une tierce partie -- par exemple, dans le cadre d'audiences comme celles-ci, on nous met dans la catégorie des autres «usagers» ou «parties prenantes». En réalité, tout simplement à cause des traités et du crédit qui va leur être accordé suite à la décision de la Cour suprême du Canada, nous sommes plus que de simples parties prenantes. Nous avons un lien légitime avec la terre. Que nous en soyons propriétaires en titre ou que nous ayons des droits dessus est une question qui reste à déterminer.
Au plan des terres et des ressources, il est très important d'aider les communautés autochtones à développer leur économie. Chaque communauté de ce pays dépend des ressources naturelles pour assurer sa survie. Ce sont les avantages économiques tirés des ressources naturelles qui ont permis à ce pays d'exister, et c'est vrai aussi en ce qui concerne les Premières nations.
Rien qu'au Nouveau-Brunswick, il y a 6,1 millions d'hectares de forêt productive. En ce qui concerne les communautés autochtones, 15 Premières nations se partagent 16 000 hectares de terres de réserve. Cela signifie que chaque autochtone de cette province a, pour survivre, 1,3 hectare. C'est très peu.
On me dit souvent, dans les réunions auxquelles j'assiste, que les communautés des Premières nations devraient mieux contribuer, de façon générale, à la société canadienne. Or, on ne nous a pas permis de partager comme tout le monde la richesse économique générée dans ce pays. On n'a pas permis aux peuples des Premières nations de profiter en toute équité des fruits de cette terre.
Prenez le réseau fluvial. On parle de protéger le cerf de Virginie. On parle de protéger les diverses espèces de saumon, et cetera, et on a raison. Nous devrions les protéger. C'est logique de le faire. Toutefois, bien des gens qui habitent ces terres aujourd'hui ne se rendent pas compte que mon grand-père avait l'habitude d'y chasser le caribou. J'ai des photos à la maison pour le prouver. Pourquoi n'y a-t-il plus de caribou? C'est principalement parce que l'habitat dont le caribou a besoin n'existe plus dans cette province.
Le saumon n'a pas toujours été la principale espèce de poisson pêchée par les autochtones. Auparavant, c'était l'esturgeon jaune, mais cette espèce n'existe plus dans la rivière Miramichi. Récemment, on a vu ce poisson deux fois seulement dans nos rivières -- en 1986 et en 1991. C'est un poisson qui ne revient que tous les 20 ans pour pondre. Vous pouvez bien imaginer que, si vous aviez quitté votre terre natale il y a 20 ans, vous vous demanderiez bien ce que vous allez trouver à votre retour.
Je trouve bizarre que l'on ne se penche pas sur ces questions. On ne parle pas de maintenir un équilibre dans la nature. On ne parle pas, dans cette province, de maintenir un équilibre entre les diverses formes de vie.
J'ai beaucoup de respect pour l'oeuvre accomplie par les groupes écologistes. Je crois vraiment au bien-fondé de nombreuses actions qu'ils entreprennent, mais je ne crois pas qu'il faille aller d'un extrême à l'autre. Je ne crois pas -- et cette opinion est partagée par notre peuple et les communautés des Premières nations -- que si l'on sauve les phoques, il n'y aura plus aucun problème. C'est impossible, tout simplement.
Laissez-moi vous donner un exemple. D'après les derniers chiffres, la population des saumons de l'Atlantique est de 200 000 poissons. On introduit ces saumons dans le réseau fluvial de la côte Est qui dépend de la forêt. Les gens ne font pas ce lien. Ils ne se rendent pas compte que la forêt protège le poisson. Cependant, toutes nos eaux d'amont, où le poisson fraye, se trouvent dans les zones industrielles où l'activité est la plus intense. En outre, ces 200 000 poissons sont pourchassés par une population de 6 millions de phoques. Je n'aimerais pas être à la place de ce pauvre saumon, poursuivi par 30 phoques qui veulent m'attraper et me manger pour dîner. Cela dit, je peux comprendre que l'on essaie d'assurer la survie des espèces au bénéfice des générations futures.
Récemment, une initiative très intéressante a été prise par le Conseil canadien des ministres des Forêts; il s'agit de la Stratégie nationale sur les forêts. C'est un document qui a été signé par le Conseil canadien des ministres des Forêts ainsi que par 1 800 autres organismes du pays. Il instaure une politique permettant d'assurer une gestion durable des ressources à travers tout le pays, mais ce n'est pas nouveau.
Nous avons tous entendu parler de la première SNF appliquée entre 1992 et 1997. Dans ce document, la septième ligne directrice stratégique concerne les communautés autochtones. Dans tout ce document -- comme dans le rapport de la commission royale -- on trouve des références aux besoins des autochtones dans chacune des catégories suivantes: développement économique, formation, élargissement des capacités, et cetera.
Ce qui est unique à propos de cette première stratégie nationale sur les forêts, c'est que lorsque le groupe chargé de l'évaluation à mi-parcours de la stratégie a fait connaître son opinion, il a souligné que dans bien des cas, des progrès importants avaient été accomplis en ce qui concerne les communautés autochtones. Plus précisément, c'est sur la côte Ouest que l'on peut constater de tels progrès, car il y a eu beaucoup de changements positifs en Colombie-Britannique en ce qui concerne les autochtones. Ce n'est pas la même chose ici.
Au plan de la participation des autochtones, la façon de penser dans la province du Nouveau-Brunswick n'a pas beaucoup changé. C'est seulement maintenant que l'on constate quelques progrès, tout simplement à cause des dernières décisions rendues par les tribunaux de cette province dans l'affaire Thomas Peter Paul. Tout le monde a plutôt tendance à réagir à certaines situations plutôt qu'à agir. Il faut commencer à faire des plans maintenant, pour ne pas avoir à réagir à tout, en bout de ligne.
Dans cette province, les autochtones se trouvent dans la situation suivante: le gouvernement du Nouveau-Brunswick ainsi que l'industrie ont un problème à régler. De leur point de vue, le problème, c'est les autochtones. Ils concoctent donc ces ententes d'accès provisoires pour contrôler la situation comme ils le veulent.
La Stratégie nationale sur les forêts est importante parce que les autochtones ont un rôle clé à jouer dans l'élaboration de la politique concernant les forêts, la planification des activités d'exploitation et la gestion. En conséquence, tout système de gestion des forêts au Canada doit reconnaître l'importance des droits, des valeurs et des traditions des autochtones, ainsi que le rôle clé que joue la forêt pour assurer leur subsistance et la survie de leurs communautés et de leur identité culturelle.
Pour répondre à leurs besoins et à leurs aspirations, les communautés autochtones doivent avoir un accès élargi aux ressources forestières et une plus grande capacité à bénéficier des forêts que l'on trouve dans les régions occupées traditionnellement par ces communautés. Il faut aussi qu'elles participent à la gestion de ces ressources.
Pour instaurer un climat favorable à une gestion durable des ressources, il faut régler les revendications territoriales de façon honorable, équitable et opportune, signer des traités modernes et instaurer l'autonomie gouvernementale des autochtones. Dans le document dont j'ai parlé, on trouvait un cadre d'action. Le ministre des Ressources naturelles de la province du Nouveau-Brunswick a signé ce document le 1er mai. On devait, dans les six mois suivants, élaborer un cadre d'action. Cela n'a rien donné parce qu'actuellement, la province se contente de réagir aux problèmes que soulève l'utilisation de cette ressource naturelle.
Le cadre d'action devait avoir six volets. Je ne vais pas lire ici le texte descriptif des initiatives qui pourraient être prises pour atteindre ces objectifs. J'ai apporté les documents avec moi et je les laisserai à la greffière.
La première chose à faire, c'est d'impliquer davantage les autochtones dans les décisions qui concernent la gestion de la forêt. On revient à ce que je disais plus tôt à propos du mot «consultation». Je me souviens qu'il y a environ six ans, j'étais assis dans les bureaux d'une entreprise locale et on parlait de l'élaboration des derniers plans de gestion de la forêt.
J'ai soulevé plusieurs questions qui concernaient ma propre collectivité. Il est difficile pour moi de parler des autres communautés des Premières nations parce que je ne sais pas ce qui se passe là-bas. J'habite le secteur de la rivière Miramichi, et c'est ce qui se passe là qui me concerne. Toutefois, je me préoccupe aussi de ce qui se passe -- ou peut-être de ce qui ne se passe pas -- dans d'autres collectivités autochtones. Lorsqu'on prend des décisions qui nous affectent tous, mais que nous n'avons aucunement voix au chapitre, cela se révèle très destructeur pour les Premières nations.
Les gens se demandent pourquoi, parfois, tant de choses arrivent aux peuples autochtones et qu'est-ce qui peut bien contribuer à créer une telle situation. Dans le cas d'Eel Ground, pas plus tard que l'an dernier, si notre communauté n'avait pas protesté, notre territoire aurait fort bien pu devenir «la poubelle de la région». Les industries locales d'exploitation forestière se proposaient d'utiliser comme lieu d'enfouissement de déchets industriels plusieurs endroits situés dans le voisinage de notre communauté. Il existe déjà, juste au-dessous de notre territoire, un tel lieu d'enfouissement, mais on se proposait d'en créer un autre dans un site connu sous le nom de peuplement Morrissy.
Ce qu'il y a de plus triste, c'est que je siégeais au comité environnemental de l'entreprise qui avait fait cette proposition, et j'ai été la dernière personne à être mise au courant de ce projet. J'ai demandé pourquoi. Est-ce parce que je suis autochtone? Est-ce parce que mon père était un chef indien, il y a longtemps, ou est-ce parce que je viens d'Eel Ground? Ce qui me surprend, c'est qu'une entreprise industrielle fasse une telle proposition, alors même qu'Eel Ground vient de dépenser 3,5 millions de dollars pour installer un nouveau système d'approvisionnement en eau pour nos communautés. La décharge que l'on proposait de créer se trouvait à environ 1,5 kilomètre de là, tout près des eaux d'amont du ruisseau MacKay qui nous alimente en eau. L'entreprise n'était pas du tout au courant de cela. Dieu merci, ce projet de décharge n'a pas abouti.
Récemment, nous avons porté une affaire devant les tribunaux de la province. Nous cherchions à obtenir une injonction contre une entreprise qui se proposait de créer un deuxième lieu d'enfouissement. Nous savons depuis longtemps que c'est seulement en s'adressant aux tribunaux que, dans ce pays, on peut faire respecter les traités et reconnaître l'importance des questions qui touchent les autochtones. Personne ne veut écouter les autochtones, à moins que les tribunaux obligent les gens à le faire.
L'affaire dont je parle concerne la création d'un très vaste lieu d'enfouissement qui devrait être utilisé pendant les 50 prochaines années. Or, nous avons délimité des territoires de pêche et de chasse, des sites où nous récoltons des plantes médicinales, des lieux qui ont pour nous une valeur culturelle et spirituelle.
Nous remettons en cause la création d'une décharge dans le voisinage du ruisseau Northwest Mill, tout simplement à cause de nos croyances. Dans bien des cas, ce ne sont pas seulement les profits que l'on peut réaliser, ni le progrès économique qui préoccupent en premier les communautés autochtones. Nous accordons beaucoup de valeur aux ressources et à la protection de notre mère la terre.
Il est décourageant d'entendre un juge dire que nous avons des revendications très légitimes et que la chose devrait être jugée, mais qu'en tenant compte des avantages économiques du projet et de l'investissement qu'il représente pour l'industrie, il n'est pas possible d'ordonner qu'on l'abandonne. Tout le monde sait que les communautés indiennes sont très pauvres. Nous n'avons pas les moyens de remettre en cause de nombreuses décisions de ce genre. Si l'on replace cela dans le contexte de la Stratégie nationale sur les forêts, c'est le type même de processus de prise de décision auquel nous ne participons pas.
En deuxième lieu, le cadre d'action dispose que l'on doit reconnaître les droits des autochtones issus de traités, en ce qui concerne la gestion durable des forêts, et prendre des mesures en conséquence. Cela nous ramène à ce que je disais plus tôt à propos de la Loi sur les Indiens. Dans notre propre appareil gouvernemental -- ou dans la Loi sur les Indiens, le document qui nous régit -- il n'existe pas de mécanisme qui nous permette de pratiquer dans nos communautés une gestion durable des ressources.
La Première nation d'Eel Ground, comme de nombreuses autres Premières nations, est convaincue que si l'on peut ne peut pas conformer ses actes à ses paroles et balayer devant sa porte, ce n'est pas la peine de songer à aller plus loin. À Eel Ground, nous avons passé les 10 dernières années à nous familiariser avec le système, à apprendre ce que recouvre la gestion industrielle de la forêt, d'une part, et d'autre part, la gestion durable de la forêt. Nous avons procédé ainsi pour pouvoir intervenir dans des tribunes comme celle-ci ou discuter avec les sociétés industrielles et les pouvoirs publics dans la même langue que celle qu'ils utilisent. Personne n'apprend jamais notre langue à nous, car personne n'est prêt à vivre au sein de nos collectivités pour l'apprendre.
Je me rappelle l'époque où les grandes questions fiscales occupaient cette province. L'ancien premier ministre a déclaré alors que pour prétendre avoir sa propre culture, on doit avoir sa propre langue. Si je lui disais «Welali», il ne saurait pas ce que cela veut dire, mais si quelqu'un m'écoute, je lui dirai toujours merci. C'est ce que veut dire «welali»: «merci». Ce qui est surprenant, c'est qu'il déclare que nous n'avons pas notre propre culture.
Autre considération dont il faudrait tenir compte: les communautés autochtones devraient avoir un plus large accès aux ressources forestières afin de poursuivre des activités de développement de nature à la fois traditionnelle et économique. Lorsqu'on a élaboré la Stratégie nationale sur les forêts, une cinquantaine d'autochtones ont établi certains principes qui devaient en faire partie intégrante. Nous nous rendons compte que cela oblige les Premières nations à participer à des partenariats ainsi qu'à des consultations. Cela nous oblige également à nous assurer que l'industrie et les pouvoirs publics sont disposés à agir comme de vrais partenaires -- et ne se contentent pas de nous écouter pour dire ensuite qu'il y a eu une véritable consultation.
Dans notre communauté, nous ne pratiquons plus certaines activités traditionnelles tout simplement parce qu'on ne nous a pas permis de le faire. Nous n'avons pas été autorisés à mener ces activités. Il suffit de voir ce qui s'est passé au Nouveau-Brunswick pour se rendre compte que ce géant économique qu'on appelle le Canada a tiré de grands avantages des collectivités autochtones. L'histoire de ces communautés n'est pas enseignée dans nos écoles. Et quand on voit certaines des annonces publicitaires qui sont diffusées à la télévision, cela donne beaucoup à penser.
Parfois, je cite l'exemple de l'industrie de la production du sirop d'érable. C'est une industrie qui rapporte des millions et des millions de dollars. Les autochtones, même si ce sont eux qui ont transmis leur savoir-faire en la matière aux Européens, aux Français et aux Anglais, ne sont pas autorisés à prendre une part quelconque dans cette industrie. C'est un cadeau qu'a fait la communauté autochtone.
Il y a aussi le secteur de la construction de canoës. Lorsque les Européens sont arrivés, ils n'avaient pas apporté de canoës avec eux, mais à l'heure actuelle, la construction de canoës vendus à des fins récréatives est une activité qui rapporte des millions et des millions de dollars. Traditionnellement, la construction de canoës est un domaine qui appartient en propre aux autochtones; pourtant, nous ne pouvons prendre aucune part aujourd'hui à cette activité.
Si je gagnais 30 millions de dollars demain et si je voulais lancer ma propre entreprise dans la communauté à laquelle j'appartiens, je ne pourrais pas le faire à moins d'y être autorisé par un ministre du gouvernement fédéral. Selon moi, ce système est archaïque. Si les gens qui exercent un leadership ou qui appartiennent au gouvernement sont là pour aider les Premières nations, pourquoi devraient-elles être soumises à des restrictions, tant et aussi longtemps qu'elles respectent les règles et les règlements comme tout le monde? Il faut que le gouvernement se débarrasse de cette attitude paternaliste.
Cela m'amène à la deuxième partie de mon exposé: il faut appuyer les activités de développement commercial autochtone dans le secteur forestier. L'an dernier, les médias se sont fait l'écho de ce qui arrivait aux terres domaniales du Nouveau-Brunswick. Bien des gens disaient: «Regardez toutes ces souches; quelle entreprise de destruction». On attribuait cela aux façons de faire des autochtones -- on disait: «Voyez ce que font les autochtones».
Toutefois, en y regardant de plus près, on peut voir que c'est le résultat des tentatives d'assimilation passées du gouvernement fédéral. Bien des choses de ce genre se sont produites tout simplement à cause de ce que proposait de faire le gouvernement pour essayer d'intégrer les autochtones à la société.
Pour protéger la forêt acadienne dans cette province, et la forêt boréale en général, je pense que tous ceux qui sont concernés doivent s'asseoir autour d'une table et écouter tous ceux qui ont des préoccupations à exprimer. Il y a bien des questions qui font surface, si l'on peut dire.
Plus tard cette semaine, l'affaire Marshall va être jugée par la Cour suprême du Canada. Qu'est-ce que cela veut dire? Personne ne peut le savoir vraiment jusqu'à ce que la décision soit rendue. La plupart des décisions rendues par la Cour suprême du Canada confirment que les autochtones doivent participer à l'exploitation des ressources naturelles. Jusqu'à ce que ce gouvernement -- et l'industrie -- reconnaissent que nous faisons autant partie de la société du Nouveau-Brunswick que tout le reste de la population, nous ne ferons aucun progrès, parce que nous serons toujours tenus à l'écart.
On trouve dans la Stratégie nationale sur les forêts des dispositions qui engagent les communautés autochtones à s'impliquer davantage. C'est le cas par exemple des dispositions portant sur le fait de donner aux communautés autochtones -- à leurs organisations et à leurs membres -- une plus grande capacité à participer à un système de gestion durable et à le mettre en oeuvre.
Je me souviens que lorsque j'ai commencé à m'occuper d'exploitation forestière à Eel Ground, j'ai essayé de sauver une ressource en déclin de façon à ce qu'elle puisse être exploitée d'une façon durable. Nous n'en sommes pas là, mais nous faisons des progrès en ce sens. Pour moi, il n'y avait qu'une solution: faire apprendre à mes bûcherons -- des gens qui avaient 20 ans d'expérience -- les «méthodes de l'homme blanc». Il a fallu que je leur montre comment se servir de façon professionnelle d'une scie à chaîne. Il a fallu du temps pour les convaincre que c'était une meilleure façon de procéder -- qu'ils n'allaient pas se couper une jambe. Cette formation a permis aux bûcherons de faire l'expérience de différentes méthodes.
Je crois que les communautés autochtones sont ouvertes à ce genre de progrès, tant et aussi longtemps qu'elles participent au système à titre de partenaire et en toute égalité. Les autochtones ne veulent pas qu'on leur dise: «Vous ne savez pas vous y prendre; nous allons vous montrer comment faire.» C'est ce genre d'attitude qui doit changer, je pense.
Une des grandes questions qui se posent, comme je l'ai mentionné plus tôt, c'est que sur la scène internationale, le gouvernement canadien dit à tout le monde que nous protégeons nos ressources naturelles et que nous pratiquons la gestion durable des ressources dans ce pays.
C'est le dernier point de la Stratégie nationale sur les forêts dont on devrait s'occuper -- la mise en oeuvre d'une gestion durable des forêts dans les réserves indiennes. Imaginez que l'on regroupe tous les territoires occupés par les Premières nations dans ce pays. Il existe au Nevada une réserve qui occupe un territoire plus étendu que toutes les terres des Premières nations canadiennes combinées.
Il est impossible que les communautés des Premières nations puissent participer réellement si elles n'ont pas accès aux terres. Quatre-vingt-dix pour cent des communautés des Premières nations sont établies dans la forêt boréale. Elles sont sur place, au coeur de la forêt. Mais elles ne sont pas autorisées à participer.
Le Programme forestier des Premières nations soulève la question de la gestion durable des forêts. Ce programme est une initiative du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada. Il a pour objet d'améliorer les conditions économiques dans les communautés habitées par des Indiens inscrits, tout en respectant pleinement les principes de la gestion durable des forêts.
D'un côté, c'est un peu hypocrite car, d'une part, le MAINC dit que l'on doit pratiquer une gestion durable de la forêt dans les territoires occupés par les Premières nations mais, d'autre part, la Loi sur les Indiens va tout à fait à l'encontre de ce principe. Le MAINC nous dit de gérer nos ressources de façon durable, mais nous ne pouvons pas le faire à cause des dispositions de la Loi sur les Indiens. Toutefois, on injecte des millions de dollars dans ce programme.
Il a quatre objectifs. Le premier est d'élargir la capacité des Premières nations à participer à des activités axées sur l'exploitation de la forêt, et d'augmenter le nombre d'emplois à long terme que peuvent occuper des membres des Premières nations dans le secteur forestier. Dans la région de la Miramichi, on peut voir des tas de bois presque partout. Il existe de nombreuses entreprises d'exploitation forestière dans la région de la rivière Miramichi. Or, je peux compter sur les doigts de la main le nombre d'autochtones qui y sont employés, alors qu'il y a 3 500 emplois liés au secteur forestier dans notre région. Je peux voir les tas de bois de Repap de ma fenêtre. Aucun autochtone ne travaille pour cette société. Pourquoi? Repap est probablement la société qui contribue le plus financièrement à la base économique de la région de la Miramichi.
Il y a environ quatre ans, le Miramichi Leader a publié la liste des dix agents économiques les plus importants dans la région de la Miramichi, et les Premières nations se classaient en cinquième place. Nous avons donc une certaine importance -- nous jouons un rôle important dans cette société. Nous contribuons substantiellement à la richesse économique de la région.
Le Programme forestier des Premières nations est un nouveau programme qui découle des anciennes ententes de collaboration qui ont pris fin en 1994. Ce programme a été conçu pour encourager autant de Premières nations que possible à pratiquer une gestion durable de la forêt au plan du développement d'activités commerciales, de la formation sur le terrain, des transferts technologiques, des communications, des plans de gestion, et cetera.
À l'heure actuelle, ce programme fait l'objet d'un réexamen après trois ans d'existence. Il comporte une disposition de temporisation qui s'appliquera en l'an 2001. Ce qui est surprenant, c'est que c'est un programme à deux visages: d'un côté, on veut que de plus en plus de Premières nations participent à la gestion des forêts, alors que de l'autre, on n'assure pas les conditions financières nécessaires pour qu'il en soit ainsi. C'est la recette même de l'échec.
Ce sont les nombreuses réussites découlant de l'accord de collaboration qui ont entraîné la mise en place de ce nouveau programme forestier. À l'époque, il existait au sein du MAINC un comité d'examen qui rendait visite aux communautés des Premières nations pour leur parler de la gestion de la forêt. Le comité considérait qu'il s'agissait d'un bon programme et que l'on devrait y impliquer un plus grand nombre de Premières nations.
Nous avons quelques grandes réussites à notre actif. Cela rappelle un peu ce qu'on a dit plus tôt à propos des propriétaires de boisés privés. On peut constater des choses positives, mais il y a aussi des choses qui ne vont pas du tout.
C'est ainsi également parmi les communautés des Premières nations. Dans bien des cas, elles se trouvent dans la même position que bon nombre de propriétaires de boisés privés. Nous avons des problèmes en commun et nous essayons de les résoudre. D'un côté, il existe un programme favorable à une plus large participation des Premières nations et, de l'autre, on réduit le financement nécessaire pour qu'il en soit ainsi. On s'attend à ce que les Premières nations collaborent avec l'industrie, mais ce mur d'animosité entre les différents groupes concernés est toujours debout. Quand on ne cherche pas à savoir pourquoi les gens sont ce qu'ils sont, on va droit à l'échec.
Le programme est conçu pour que les Premières nations atteignent le niveau de l'homologation, pour que les activités de certaines Premières nations, au moins, correspondent aux critères et pour qu'elles puissent bénéficier de l'homologation accordée par l'Association canadienne de normalisation ou le Forest Stewardship Council. Toutefois, les exigences financières rendent l'entreprise difficile pour les communautés des Premières nations. Elles veulent aussi participer au processus d'homologation, mais elles considèrent que c'est un autre moyen pour un organisme d'être reconnu comme une entreprise homologuée.
De nombreuses associations de normalisation ont pris contact avec Eel Ground, y compris Smartwood. Nous ne pratiquons pas encore la gestion durable des ressources, mais nous avons modifié nos pratiques au point où cet objectif peut être réalisé. Alors que la ressource était en déclin au départ, nous avons commencé à mettre en oeuvre des politiques qui nous permettront d'atteindre à nouveau le niveau d'une exploitation durable. Nous ne parviendrons jamais à remettre les choses dans l'état où elles étaient, mais nous pourrons nous en approcher. Certaines associations de normalisation qui ont pris contact avec nous pensent qu'Eel Ground devrait rechercher l'homologation -- nous serions les premiers -- mais nous n'avons pas les 15 000 $US nécessaires.
Le président: Monsieur Ginnish, cela fait environ 45 minutes que vous parlez. Votre exposé est intéressant, mais rappelez-vous que nous n'allons pas pouvoir tout retenir.
M. Ginnish: J'ai presque terminé, monsieur le sénateur.
Le président: Je voulais simplement vous signaler que vous devriez mettre un point final à votre exposé avant que nous soyons complètement épuisés.
M. Ginnish: Comme je l'ai dit plus tôt, il est très difficile pour moi de participer à des audiences comme celle-ci à cause de la multitude de questions qui se posent.
Le président: Je comprends cela. Pour votre information, nous avons rencontré des groupes autochtones dans toutes les provinces -- pendant une heure, parfois deux. D'ailleurs, nous allons également rencontrer l'Association nationale de foresterie autochtone le 23 novembre. Peut-être d'ailleurs serez-vous présent à Ottawa. Nous examinons la question de très près.
Veuillez continuer, mais essayez d'en venir à une conclusion.
M. Ginnish: Trois autres questions d'importance se posent. Je ne veux pas les examiner en détail, mais je vais vous donner la liste de celles qui font partie du Programme de foresterie des Premières nations. Premièrement, il s'agit de mettre davantage l'accent sur la collaboration des Premières nations et sur la formation de partenariats. Pour que les Premières nations participent, il faut qu'elles soient prêtes à former des partenariats.
Parallèlement, nous souhaitons une collaboration équitable. Nous ne voulons pas être inclus tout simplement parce que c'est nécessaire, particulièrement en ce qui a trait à l'homologation. Nous savons tous ce que recouvre l'homologation. Il y a certains critères qui ont trait à la participation autochtone et que l'industrie doit respecter, mais certaines entreprises sont homologuées à cause de leurs réalisations dans certains domaines. Dans bien des cas, cela n'inclut pas la participation autochtone. Nous trouvons difficile de comprendre comment elles peuvent être homologuées dans le cadre de ce processus.
Troisièmement, il faut étudier la possibilité d'avoir recours à des fonds de fiducie, à des fonds communs d'immobilisations ou à d'autres mécanismes pour financer le Programme de foresterie des Premières nations qui enregistre un manque à gagner. Si l'on veut que ce programme s'inscrive dans la durée, il faut envisager d'autres mécanismes de financement, que ce soit des fonds de fiducie ou autres.
Parallèlement, il faut élargir la capacité des Premières nations à gérer de façon durable les forêts que l'on trouve dans les réserves. On revient au principe selon lequel il faut d'abord balayer devant sa porte. Nous avons dit clairement à plusieurs Premières nations qu'elles devaient apprendre les règles du jeu. Lorsqu'on veut pratiquer un système de gestion durable de la forêt dans les terres domaniales, il faut d'abord démontrer qu'on peut le faire sur ses propres terres. Il faut démontrer que l'on peut gérer durablement ce que l'on a déjà. À Eel Ground, nous pensons que nous pouvons y arriver. Nous n'avons pas complètement réalisé nos objectifs, mais nous sommes définitivement sur la bonne voie.
Pour conclure, au sein de nombreuses communautés des Premières nations, les ressources naturelles et la terre sont les deux éléments qui offrent les opportunités les plus importantes de création d'emplois et de développement économique. Dans sa réponse aux recommandations formulées dans le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, le gouvernement fédéral a pris l'engagement suivant dans le document intitulé: Rassembler nos forces: Le plan d'action du Canada pour les questions autochtones. On y déclare:
Le gouvernement travaillera avec les Premières nations, les provinces et les territoires pour renforcer les processus de cogestion et pour offrir un accès accru aux terres et aux ressources.
Il y est également précisé:
(Le gouvernement) visera aussi à accélérer la participation des autochtones à l'exploitation des ressources dans les collectivités autochtones et dans leurs environs, ainsi qu'à accroître les avantages que peuvent en tirer les collectivités. Le gouvernement réitère aussi son engagement à l'endroit du processus des revendications, qui procure aux membres des Premières nations un accès accru aux terres et aux ressources.
Il n'y a pas très longtemps, j'ai écrit un article pour Treehouse. Quel que soit le niveau de gouvernement concerné, qu'il s'agisse du gouvernement fédéral ou des gouvernements provinciaux, nous estimons que les pouvoirs publics devraient assumer une responsabilité de fiduciaires et ainsi assurer la défense des intérêts des Premières nations. Je pense que c'est quelque chose que nous ne pouvons pas abandonner. Les gouvernements essaient de se dégager de leur responsabilité de fiduciaires à l'égard des programmes de gestion appliqués sur les territoires des Premières nations. C'est une responsabilité que tout le monde serait prêt à assumer, à condition d'avoir les ressources nécessaires, mais qui va assumer la responsabilité des actions passées? Voilà une question difficile, et ce sont les Premières nations qui doivent y répondre.
Le président: Merci beaucoup. Cela nous a pris quelque 200 années pour créer le problème, et nous n'allons pas pouvoir le résoudre du jour au lendemain.
M. Ginnish: Cela a pris 500 ans pour en arriver là.
Le président: Oui, mais il faut bien commencer quelque part.
Le sénateur Stratton: Comme l'a dit le président, nous avons déjà rencontré, ou nous allons rencontrer, des groupes autochtones dans tout le pays. Vous dites que personne dans votre communauté ne travaille pour Repap. Pourquoi? Comment essayez-vous de résoudre ce problème?
M. Ginnish: J'ai discuté plusieurs fois avec des représentants de l'industrie et j'ai posé cette question. Dans le passé, ce n'était pas un problème. Bien des gens ne savent pas que Repap exploite un territoire qui, traditionnellement, appartient à Eel Ground. Lorsque ces terres ont été cédées, il était entendu, entre autres, que 4 p. 100 de la main-d'oeuvre serait autochtone. Au départ, cette exigence a été respectée mais, pour une raison ou pour une autre, cela n'a pas continué. Nous ne savons pas pourquoi. Nous avons des gens qui ont la formation nécessaire. À Eel Ground, il y a des techniciens forestiers, des mécaniciens brevetés. Ces gens-là font des demandes d'emploi.
Il est difficile pour les membres des Premières nations de faire des demandes d'emploi dans l'industrie. Je ne sais pas si le sous-comité a l'intention de rencontrer les membres du groupe de travail établi par la province du Nouveau-Brunswick pour étudier la question de l'utilisation des terres. Je leur ai donné une photographie que j'ai prise chez Repap il y a deux ou trois ans. Sur le tableau d'affichage, il y avait un avis où l'on pouvait lire: «Ces offres d'emploi ne s'adressent pas aux Indiens». Cet avis est toujours là. L'entreprise elle-même n'est pas en cause, ce sont ses employés qui agissent ainsi, mais cet avis est toujours là.
Ce sont des choses comme cela, une telle atmosphère, qui rendent les choses extrêmement difficiles pour les membres des Premières nations. Certains ont essayé de travailler pour cette entreprise, mais à cause de l'attitude des gens à leur égard et de la façon dont ils sont reçus à l'usine, ils ne restent pas très longtemps. Parce qu'ils sont autochtones, les gens ont une attitude envers eux qui est pleine de préjudice. Ce n'est pas parce que quelqu'un qui a eu des difficultés dans la vie s'est malheureusement mis à boire ou à faire d'autres bêtises que toute une communauté doit être discréditée. Ce n'est pas juste, mais c'est ce qui se passe. Telle est la situation dans la Miramichi.
Le sénateur Stratton: Il semble que ce soit la même chose partout.
M. Ginnish: C'est la même chose partout, peu importe qui vous êtes.
Le sénateur Stratton: Essentiellement, quelles initiatives prenez-vous pour changer votre image? Vous attaquez-vous au problème par le biais de l'éducation? La Première nation d'Eel Ground était-elle plus instruite qu'elle ne l'était auparavant?
M. Ginnish: Oh, tout à fait.
Le sénateur Stratton: Les gens s'instruisent maintenant bien davantage.
M. Ginnish: Oui. Je peux citer un projet dans le domaine des ressources naturelles. L'an dernier, Ressources naturelles Canada a lancé la phase II du Programme modèle de foresterie canadien, dont l'objet était de créer la première forêt modèle gérée par des autochtones. C'est à la Première nation crie de Waswanipi, au nord du Québec, que le projet a été confié.
Ironiquement, la proposition de la Miramichi prenait en compte de nombreux critères comme les débouchés professionnels, le renforcement des capacités des Premières nations, et cetera. Cette proposition était soutenue par tout le monde.
Le seul problème, c'est que la province du Nouveau-Brunswick n'a jamais appuyé cette proposition. Nous avons un gouvernement qui veut faire la promotion d'un système de gestion durable des ressources. La proposition aurait rapporté 2 millions de dollars par an à la région de la Miramichi, mais le seul problème, c'est que la province ne l'a pas appuyée.
Le ministre des Ressources naturelles faisait partie du comité, tout comme M. Louis LaPierre. Ils m'ont dit que la proposition de la Miramichi se classait première jusqu'à ce que le comité lise la lettre de la province. Son appui n'était pas assez fort. Nous avons essayé de lancer des initiatives pour résoudre les problèmes que pose ce manque de collaboration qui se manifeste non seulement au niveau de l'emploi mais aussi au niveau des prises de décisions, que ce soit de la part de l'industrie locale ou du gouvernement.
Vous allez sans doute entendre dire qu'à l'heure actuelle, des progrès sont faits en ce qui concerne l'accès aux ressources, mais c'est seulement une réaction à des événements récents. Je parle de la question des terres domaniales.
Le président: Apparemment, les Premières nations, les autochtones, ont obtenu le droit d'avoir tant de grumes -- d'avoir un certain pourcentage des grumes du détenteur de la licence, ainsi que le droit de couper des arbres. Il me semble que vous êtes dans une assez bonne position pour faire pression sur ces grandes entreprises et leur dire qu'elles devront vous donner beaucoup plus d'arbres à couper ou alors, plus d'emplois. Il me semble que vous êtes dans une assez bonne position pour négocier. Je ne vous dis pas d'attaquer ces entreprises sur tous les fronts, mais il me semble que vous tenez le bon bout.
M. Ginnish: Je suis d'accord, dans une certaine mesure. Mais d'un autre côté, je ne pense pas que le problème vienne des relations entre les autochtones et l'industrie. Dans certains cas, je pense que ce sont les relations entre le gouvernement et l'industrie qui sont en cause.
Le président: Il va falloir changer cela.
M. Ginnish: Je vais vous donner un exemple. Il y a deux ou trois ans, nous nous sommes lancés, à Eel Ground, dans une petite entreprise à valeur ajoutée. Elle n'emploie que six personnes, mais cela correspond à ce que le gouvernement du Nouveau-Brunswick nous a dit à propos de la valeur ajoutée. C'est ce qu'il faut faire; c'est l'avenir. Il ne faut pas vendre tout notre bois en Europe ou aux États-Unis pour ensuite avoir à racheter des meubles dans ces pays. Nous devrions fabriquer tout cela nous-mêmes.
Je me souviens d'avoir pris contact avec des représentants de l'industrie et du gouvernement il y a trois ans, avant que la décision sur l'affaire Turnbull ne soit rendue, pour essayer d'obtenir 330 cordes de bois et permettre ainsi à cette petite entreprise de continuer à tourner au sein de notre communauté. Tout d'abord, la province a dit qu'elle devait parler au détenteur de la licence -- que c'est lui qui répartit le bois.
Je me suis adressé ensuite à Repap, qui était le détenteur de la licence à l'époque. J'ai demandé s'il était possible d'obtenir 330 cordes de fibres de bois pour que notre petite entreprise communautaire puisse continuer à tourner. On m'a répondu: «Oh, nous ne pouvons pas prendre cette décision. Il faut que vous vous adressiez à nouveau au ministère des Ressources naturelles. C'est ce ministère qui répartit la fibre de bois». Tout le monde se «renvoyait la balle». Personne ne voulait prendre de décision.
Comme vous dites, nous avons maintenant accès à 5 p. 100 de l'AAC. Encore une fois, ce n'est pas parce que le gouvernement a adopté une attitude proactive, c'est plutôt à cause du problème auquel il est confronté à l'heure actuelle. Si l'on avait réglé nombre de ces problèmes dans le passé, on ne se trouverait pas dans cette situation aujourd'hui.
Le sénateur Stratton: Le piégeage, la pêche et la chasse font partie de vos activités traditionnelles. Combien de réseaux de piégeage votre communauté contrôle-t-elle?
M. Ginnish: Ce qui est triste, c'est que nous ne vivons pas comme les Premières nations de la côte Ouest où les activités traditionnelles sont encore largement pratiquées. Ici, cet héritage s'est perdu, tout simplement à cause de ce que j'appelle «les premiers contacts». Sur la côte Ouest, ces premiers contacts ont eu lieu il y a 150 ans alors que sur la côte Est, cela remonte à plus de 500 ans.
Le sénateur Stratton: Il existe des réseaux de piégeage chez vos voisins, au Québec.
M. Ginnish: Il faut aller bien au nord pour voir ces grands réseaux de piégeage. Ils n'existent pas dans les grandes zones urbanisées. On en trouve, mais sur une très petite échelle. Cela me ramène à l'action des groupes écologistes; je suis convaincu que la protection des espèces est essentielle pour assurer la survie de tout l'écosystème. Toutefois, dans bien des cas, les écologistes ne comprennent pas quelles peuvent être les répercussions de leurs initiatives en ce qui concerne le piégeage.
Le sénateur Stratton: Je comprends tout cela. Donc, vous ne pratiquez pas le piégeage.
M. Ginnish: Un peu, mais pas beaucoup.
Le sénateur Stratton: Pratiquez-vous la pêche?
M. Ginnish: Non.
Le sénateur Stratton: La chasse?
M. Ginnish: Oui, nous chassons.
Le président: Les Premières nations détiennent différents droits de pêche. Vous avez le droit de pêcher au filet dans la rivière, n'est-ce pas, et les non-autochtones ont le droit de pêcher à la mouche dans les affluents, c'est exact?
M. Ginnish: Nous avons toujours le droit de pêcher au filet suite à la décision dans l'affaire Sparrow. La Stratégie sur les pêches autochtones, la SPA, prescrit les mécanismes qui permettent aux Premières nations de participer à la gestion des ressources halieutiques. La pêche au filet maillant, comme on dit, n'est pratiquement plus pratiquée dans aucun réseau fluvial de la province, mais on se fait toujours des idées à ce propos.
Le sénateur Stratton: Lorsque les membres du sous-comité parlent avec les gens, ils ont tendance à se projeter dans l'avenir. Nous nous demandons ce qui va se passer dans 20, 40, 60 ou 80 ans en nous disant que nous pouvons nous permettre de procéder ainsi. Le reste du monde -- c'est-à-dire la Chambre des communes -- est davantage concerné par le présent.
Chaque foyer est maintenant équipé pour recevoir la télévision par satellite. Si vous vous projetez dans l'avenir, pensez-vous que dans 20, 40 ou 80 ans, vos traditions seront encore vivantes? Pour dire les choses d'une autre façon, pensez- vous que vos enfants et vos petits-enfants vont finir par devenir des citadins? C'est ce qui arrive partout. Je suis originaire de l'Ouest et chaque année, la population des régions rurales -- y compris les réserves -- diminue, car les gens déménagent vers de plus grands centres. Ils s'installent en ville.
M. Ginnish: Je suppose que tout va se moderniser, quoi que nous fassions. Toutefois, je suis fermement convaincu que les communautés autochtones n'abandonneront pas leurs traditions. Si je dis cela, c'est parce que mes enfants savent parler notre langue. Chaque fois que j'ai du temps libre, je les emmène sur la rivière pour leur montrer les façons de faire que j'ai apprises de mon père qui lui-même les avait apprises de mon grand-père. Je ne pense pas que cela disparaîtra.
Le sénateur Stratton: Cela ne disparaîtra pas complètement, mais cela ne sera plus vraiment une façon de vivre.
M. Ginnish: Je ne suis pas d'accord, tout simplement parce que les territoires occupés par les Premières nations connaissent un renouveau fondé sur le retour à la tradition. Il y a 50 ans, nous n'étions pas autorisés à aller ramasser sur les terres domaniales des plantes médicinales traditionnelles. Aujourd'hui, c'est permis. Nous pouvons aller ramasser ces plantes.
En 1980, nous n'étions pas autorisés à pêcher dans la rivière. Bien des gens ne le savent pas parce qu'ils voient aujourd'hui les autochtones pêcher dans la rivière et ils présument qu'ils ont toujours été autorisés à le faire. Lorsque mon père était de ce monde, il détenait un permis de pêche commercial. Il n'était pas autorisé à vendre du poisson, mais il avait un permis de pêche commercial. Il pouvait manger tout le poisson qu'il voulait, mais il ne pouvait pas vivre du produit de sa pêche.
Nous redécouvrons beaucoup de nos traditions. Dans de nombreuses communautés des Premières nations de la côte Est, on redécouvre les cérémonies traditionnelles, par exemple, la cérémonie de la suerie, et l'on essaie de réétablir les anciens portages qui reliaient les réserves à l'époque où les Premières nations commerçaient entre elles.
Vous commencez à entendre beaucoup parler de la réinstauration des réseaux de piégeage. Concrètement, rien n'est fait, tout simplement parce qu'à l'heure actuelle, le territoire est aux mains d'un monopole. Il est assez difficile d'installer un réseau de piégeage au milieu d'un peuplement coupé à blanc, et cela est dû au fait que ni le gouvernement, ni l'industrie ne savent où ces réseaux de piégeage se situent. Au Québec, on consulte au moins les communautés des Premières nations pour savoir quels sont les territoires qu'elles utilisent.
Le sénateur Stratton: J'ai une dernière question. Essayez, si vous pouvez, d'abréger un peu vos réponses.
Le président: Peut-être devriez-vous abréger votre question.
M. Ginnish: Il n'est pas facile de répondre à ces questions parce que les problèmes qu'elles soulèvent sont si compliqués.
Le sénateur Stratton: Je comprends cela, et il est important pour nous de comprendre ces problèmes. Vous essayez de faire revivre les traditions, mais vous êtes-vous demandé si, en bout de ligne, cela ne se traduira par un désavantage pour vos enfants et vos petits enfants, dans la mesure où cela affecte leur avenir? Pensez-vous qu'ils puissent devenir médecins, avocats, ingénieurs, techniciens et être cependant toujours en mesure de conserver leurs traditions? Est-ce ce que vous envisagez?
M. Ginnish: Non.
Le sénateur Stratton: Ce n'est pas ce que vous envisagez. Pour vous, l'avenir est toujours lié à la terre.
M. Ginnish: Je pense que le mot qui s'impose est «s'adapter». Les communautés des Premières nations s'adaptent à la vie moderne.
Le sénateur Stratton: Pourquoi donc, dans l'Ouest, les gens quittent-ils les réserves pour s'installer en ville et abandonnent-ils leurs traditions?
M. Ginnish: Cela est dû en grande partie à la Loi sur les Indiens. Les gens devraient lire cette loi.
Le sénateur Stratton: Il n'y a pas d'avenir. Essentiellement, ce que je veux dire, c'est que dans les régions isolées où vous êtes cantonnés, il n'y a pas d'avenir pour les enfants. Les enfants des réserves du Grand Nord poursuivent des études, mais lorsqu'ils reviennent, ils n'ont pas d'emploi. C'est ce qui m'ennuie dans tout ce système. Je trouve cela inquiétant, et même tragique. Cependant, vous voulez que ce système se perpétue. Je trouve que c'est affreux pour les jeunes, pour vos enfants et vos petits-enfants.
M. Ginnish: Je ne défends pas ce système. On se fait une idée fausse de ce que nous défendons. Les membres des Premières nations doivent avoir accès à leur territoire traditionnel si on veut qu'ils participent au processus. Je suis expert forestier. Je suis allé à l'université pour obtenir mon diplôme. Je suis également quelqu'un qui appartient à une tribu et qui met en pratique un savoir-faire traditionnel, quelqu'un qui vit dans une réserve indienne. Je ne vois pas comment vous pouvez dire que dans certains cas, cela ne présente pas des avantages. Je comprends ce que vous dites, c'est vrai dans certaines circonstances. Oui, cela peut arriver. Pourquoi revenir dans des endroits où il n'y a pas de débouchés? Cependant, si les communautés des Premières nations étaient autorisées à participer à ce grand projet de mine de diamant dans les Territoires du Nord-Ouest, elles ne seraient pas aussi désavantagées qu'elles le sont.
Le sénateur Robichaud: Welali, merci d'être ici ce soir. Nous sommes heureux de vous accueillir. Vous avez dit qu'aucun membre de votre communauté ne travaille pour Repap. Y a-t-il des gens qui travaillent pour d'autres sociétés d'exploitation forestière? Y a-t-il, dans votre communauté, des entreprises qui emploient certains membres de votre communauté?
M. Ginnish: Dans la province, il y a des autochtones qui participent d'une façon que j'appellerais indirecte. Il existe, dans certaines communautés, des ressources qui intéressent l'industrie. Certaines Premières nations possèdent du bois. Couper ce bois pour approvisionner une usine locale crée indirectement des emplois pour les gens concernés. Au niveau de la production, par opposition à la coupe de la matière première, on compte peut-être dix personnes employées directement par l'industrie. Cependant, il y a encore six mois, ces emplois étaient très rares. Si leur nombre augmente maintenant, c'est uniquement à cause de la question des terres domaniales.
À Eel Ground, pour ne citer que ce cas-là, au cours des dix dernières années, 65 personnes ont reçu une formation en sylviculture et en techniques de gestion forestière. Il y a un ou deux ans, j'ai offert leurs services au propriétaire d'un boisé privé dans le comté de Northumberland. J'ai à ma disposition des équipes bien formées qui comprennent les concepts de surface terrière, de ratio entre les cordes et les acres et de mètres cubes.
Nous avons obtenu un contrat dans la région de Boiestown pour pratiquer des coupes d'éclaircie. Nous avons ensuite fait des évaluations du site pour voir ce qui devait être fait. Nous avons consacré beaucoup de temps à affiner cette évaluation. Or, du jour au lendemain, la personne pour qui nous travaillions nous a dit qu'elle ne voulait plus de nous parce qu'elle a découvert que nous étions des autochtones.
Au premier coup d'oeil, on ne me prend pas pour un autochtone. Lorsque j'essaie d'obtenir des contrats auprès de certaines entreprises, on me traite comme n'importe qui d'autre. Toutefois, dès que j'arrive avec mon équipe où il y a des vrais autochtones, les choses sont différentes. Mon père était un chef indien. Ma mère était une Mahoney de Douglastown. La première impression qu'ont les gens est que je ne suis pas autochtone, mais dès que j'arrive avec mon équipe, les choses changent complètement.
Cette situation ne peut pas durer. C'est aux gens et aux entreprises de changer d'attitude -- d'imposer un changement. Il faut le faire surtout par le biais d'une sensibilisation de la population et par son éducation. Il faut prendre beaucoup d'initiatives en ce sens. J'invite tous les intéressés à venir voir à Eel Ground ce que nous faisons en termes de gestion de la forêt. J'invite l'industrie, j'invite le gouvernement et j'invite les propriétaires de boisés.
Tous ceux qui veulent voir ce que fait notre communauté sont les bienvenus car nous pouvons leur transmettre un peu de ces connaissances acquises à l'origine au collège communautaire ou à l'école locale des gardes forestiers. On pense que les autochtones ne savent pas comment gérer les terres, et c'est une attitude qui doit changer. Tant que ce changement ne s'est pas opéré, nous ne pourrons pas participer de la façon dont nous le voulons.
Le sénateur Robichaud: Repap nous a dit employer un entrepreneur autochtone pour pratiquer des coupes d'éclaircie.
M. Ginnish: J'aimerais savoir qui c'est.
Le sénateur Robichaud: Nous vérifierons.
M. Ginnish: Nous avions reçu une offre, mais elle ne venait pas de Repap. Il doit s'agir de Fraser, une entreprise de Perth-Andover. C'est arrivé cette année. Je ne connais pas d'entrepreneur qui travaille pour Repap.
Le sénateur Robichaud: Avez-vous remarqué un changement d'attitude?
M. Ginnish: Les choses changent. Il y a cinq ans, nous n'aurions même pas pu franchir la porte d'une entreprise. Ce n'est plus le cas, cependant, et les choses changent. Dans certains cas, je rejette la responsabilité sur les Premières nations car, si vous voulez jouer le jeu, il faut apprendre les règles. Je comprends cela.
Je pense toutefois que l'industrie et le gouvernement sont plus sensibles aux questions autochtones. Ces entités devraient comprendre ce que peuvent apporter les autochtones en termes de développement industriel. Nous ne sommes pas nécessairement motivés à 100 p. 100 par les profits. Nous n'avons pas à satisfaire un groupe d'actionnaires. Mes actionnaires à moi, c'est ma communauté, et ce que je fais l'affecte. C'est la façon dont j'envisage les bénéfices que je tire du développement industriel. Cependant, pour progresser, il faut prendre en compte l'aspect monétaire dont se soucie la société contemporaine.
Le sénateur Robichaud: Il faut aussi que vous nous appreniez comment les autochtones envisagent les choses. Je pense que nous nous faisons beaucoup d'idées fausses sur la façon dont vous voyez les choses et dont vous les interprétez.
M. Ginnish: Cela m'intéresserait, monsieur le sénateur, d'en savoir plus à propos de Repap. Je sais que cette société s'est toujours montrée ouverte à des contrats de sylviculture, mais c'était à long terme, du genre: revenez dans cinq ans. Il y a quatre ans, c'est le message qu'ils ont transmis à la Première nation d'Eel Ground.
Comme je l'ai dit, j'ai à ma disposition plusieurs spécialistes qui ont reçu une formation en gestion forestière, mais Repap n'était pas disposé à nous offrir quelque contrat que ce soit avant cinq ans, avant que nous ayons fait nos preuves. Beaucoup de leurs propres employés qui pratiquent l'exploitation en bande ou la coupe d'éclaircie cherchent toutefois, à l'heure actuelle, à obtenir un brevet et à devenir opérateurs de scie à chaîne professionnels ou spécialistes de la coupe d'éclaircie. Nous avons ce genre de spécialistes. Pourquoi est-ce que l'on nous traite différemment? Cela nous porte à nous poser beaucoup de questions sur la sincérité des gens quand ils disent vouloir nous faire participer à ces activités.
Le président: Nous tenons des audiences dans tout le Canada. La question de la participation des autochtones à la gestion forestière, la question du rôle que peuvent jouer les autochtones, à cause d'un désir accru de préserver la faune et la flore et de restaurer les conditions naturelles dans de nombreuses régions, est constamment soulevée. Je peux vous dire qu'il y aura sans doute dans notre rapport de nombreuses recommandations énergiques sur la participation des autochtones au dossier de la foresterie.
Il est tout à fait manifeste -- pas seulement ici, mais dans tout le Canada -- que l'on a, dans une plus ou moins large mesure, écarté les autochtones du processus. La seule province où l'on a fait quelques essais pour établir un partenariat est la Saskatchewan. On a pris quelques initiatives, quelques bonnes initiatives, dans cette province. Les autres ont besoin d'une bonne douche froide pour se réveiller. Il se peut que nous soyons en mesure de faire quelque chose en ce sens. Je vous remercie d'être venus.
Les témoins suivants, Albert Richardson et Jean-Guy Comeau, représentent l'Office de commercialisation des produits forestiers de Northumberland, Peter Demarsh, la Fédération canadienne des propriétaires de boisés, et Andrew Clark, la Fédération des propriétaires de boisés du Nouveau-Brunswick.
Monsieur Demarsh, voulez-vous commencer? Merci d'avoir attendu si longtemps.
M. Peter Demarsh, président, Fédération canadienne des propriétaires de boisés: Merci beaucoup, monsieur le président. Je ne voudrais pas trop insister, mais je pense qu'il est particulièrement souhaitable que la population locale appuie son message sur ce que vous avez vu cet après-midi. J'aimerais demander à M. Richardson de commencer par vous accueillir au nom de l'Association locale des propriétaires de boisés.
Le président: Monsieur Richardson, la parole est à vous.
M. Albert Richardson, Office de commercialisation des produits forestiers de Northumberland: Bienvenue, mesdames et messieurs. Bonsoir et bienvenue à Miramichi de la part de l'Office de commercialisation des produits forestiers du comté de Northumberland. J'ai été moi-même pris un peu de court, car j'étais très occupé et en pleine négociation, de sorte que je ne sais pas vraiment quel est l'objet de ce sous-comité du Sénat. Quelqu'un m'a dit que cela avait à voir avec la forêt boréale. Croyez-vous que la forêt boréale soit menacée?
Le président: C'est en partie exact. Le comité a été formé parce qu'il devient de plus en plus évident que ceux qui veulent exploiter le bois ou la fibre imposent des pressions croissantes sur nos forêts. Il y a également ceux qui veulent la préserver pour des raisons écologiques, pour l'épuration de l'air, le filtrage de l'eau pour les rivières. Il y a également la question des autochtones. Où se situent-ils? Après tout, nous avons établi les droits issus de traités. Nous en avons signé beaucoup qui comprennent des droits anciens de chasse et de piégeage. Il y a également le tourisme. Tous ces gens qui veulent maintenant utiliser la forêt. La question est donc de savoir comment nous allons permettre toutes ces utilisations au moment où il apparaît que la forêt boréale est à peine en mesure de fournir le bois. Nous avons choisi de nous concentrer sur la forêt boréale car c'est la plus grande forêt du Canada, qui va de Terre-Neuve jusqu'aux confins de la Colombie-Britannique et au Yukon. Vous êtes à la limite entre la région boréale ici au Nord et l'Acadie au sud.
M. Richardson: Je suis né à Miramichi et j'ai été élevé dans un boisé privé, dans une localité rurale. J'étais l'un de 16 enfants. Ma première expérience des boisés, des forêts, a consisté à aider mon père à enlever les souches pour faire un jardin, enlever les roches, planter le jardin et le semer. En grandissant, je l'ai aidé à couper le bois avec une scie à bûche et une hache, à retirer l'écorce humide, je suis sûr que vous savez de quoi il s'agit, l'été et sécher l'écorce l'hiver. À l'époque, nous utilisions la scie à bûche, la hache et les chevaux.
Nous devions vendre notre bois aux courtiers ou aux acheteurs. Une fois, nous avions beaucoup travaillé et nous avions empilé 14 cordes de bois sur la route. L'acheteur est arrivé un vendredi pour acheter, il a cubé mon bois et dit à mon père: «Eh bien, Edmond, vous avez eu une bonne semaine. Vous avez 12 cordes de bois.» J'ai alors dit à mon père «Je pensais que tu avais dit qu'il y en avait 14», et il m'a frappé. J'étais trop jeune pour me rendre compte que s'il ne vendait pas le bois, nous n'aurions rien à manger. C'est une expérience que j'ai retenue toute ma vie. C'est le genre de situation que connaissaient les propriétaires de boisés jusqu'en 1972.
Nous avons 144 000 hectares de terres dans le comté de Northumberland qui appartiennent à des propriétaires de boisés privés. Il y a environ 3 600 propriétaires privés dont 401 sont des propriétaires absents. Ils vivent à l'extérieur du comté, de la province ou même du pays. Mais la majorité des propriétaires vivent sur les boisés ou à proximité. Je possède la onzième carte de membre de l'Association des propriétaires de boisés, qui a été créée avant 1972. Bien que je n'y ai pas participé directement à l'époque, je voulais contribuer.
L'office a été créé en 1972 par un plébiscite des propriétaires. La possibilité de coupe annuelle pour la région visée par notre office est calculée à 204 000 mètres cubes, soit 96 442 cordes de bois mou mélangés, et à 77 000 mètres cubes, soit 41 831 cordes de bois dur. Au cours des dix dernières années, la contribution annuelle moyenne en vente de bois à l'économie rurale locale a représenté 10 millions de dollars. Chaque année, environ 1 000 propriétaires de boisés récoltent un certain montant sur leur terre. La grande majorité d'entre eux sont surtout des petits producteurs qui coupent 40, 50 ou 60 cordes de bois par an. Ensuite, il y a les entrepreneurs.
L'office est également très actif dans l'exécution des programmes de sylviculture. Nous sommes l'entité juridique responsable des programmes de sylviculture. L'an dernier, la sylviculture a représenté environ 1 million de dollars. Cela comprend les gouvernements fédéral et provinciaux et l'industrie. Les propriétaires de boisés ont dû établir leur propre fonds, car 1,40 $ du prix de chaque corde de bois est consacré à un fonds de gestion durable de la forêt. La coupe de 140 000 à 150 000 cordes de bois par an crée de l'emploi.
Avant 1982, la grande majorité des entrepreneurs travaillaient sur les terres de la Couronne. En 1982, à la suite de l'adoption de la Loi sur les terres et les forêts de la Couronne, on a divisé les terres de la Couronne entre sept grandes usines. Cette loi garantissait également que les bois privés ne seraient pas la principale source d'approvisionnement. Les compagnies devaient conclure une entente ou demander un arbitrage aux offices avant d'accéder aux terres de la Couronne. Cette mesure a permis de mener des négociations équitables entre les boisés privés et les terres de la Couronne afin que l'on ne puisse pas utiliser ces dernières au détriment des propriétaires de boisés privés.
Les offices de commercialisation pouvaient négocier le prix, le volume, la livraison, le calendrier et tous les éléments des contrats avec les usines. Le système prévoyait une médiation et un arbitrage exécutoire, au besoin, c'est-à-dire que si l'on entamait des négociations avec le moulin Repap, ou n'importe quel autre, et que la conclusion d'un contrat s'avérait impossible, il fallait demander à la Commission des produits forestiers du Nouveau-Brunswick de nommer un arbitre. Une fois que l'arbitre était nommé, les compagnies pouvaient alors utiliser les terres de la Couronne car les deux parties savaient qu'il y aurait finalement un règlement, sans savoir nécessairement ce qu'il serait. La possibilité de coupe annuelle de chaque office de commercialisation était attribuée à diverses usines de la région.
Le système fonctionnait assez bien puisque des arbitrages n'ont été demandés par une partie ou une autre qu'à de très rares occasions. À ma connaissance, je ne crois pas que notre office, depuis 1972, ait jamais demandé un arbitrage. Vous pourrez peut-être me corriger, Jean-Guy. Nous avons toujours réglé nos contrats. Mais ce qui s'est produit, c'est que lorsque l'on a confié à l'industrie privée le contrôle total des terres de la Couronne, on a commencé à mécaniser. La grande majorité des entrepreneurs qui travaillaient sur les terres de la Couronne ont été forcés de partir et ont essayé de gagner leur vie sur des boisés privés.
Pendant cette période, les prix du bois des boisés privés, tout en ne suivant pas tout à fait l'inflation, ont augmenté régulièrement jusqu'en 1992. Puis, en 1992, on nous a dit que l'industrie était en crise, et des pressions se sont exercées sur le gouvernement. On a donc modifié les règles de fonctionnement des offices de commercialisation, qui ont perdu une bonne partie de leur pouvoir de négociation. Nous avons perdu une source importante d'approvisionnement. Même si la médiation et l'arbitrage demeurent pour certaines choses, on ne peut plus obliger les compagnies à acheter par l'intermédiaire des officies de commercialisation.
Aujourd'hui, nous allons négocier à l'office de commercialisation et nous demandons: «Qu'avez-vous à nous offrir aujourd'hui?». Puis nous partons en acceptant le prix que l'on nous donne. Il n'y a pas de négociation. Comment négocier lorsqu'il n'y a aucun pouvoir de négociation. Rien n'oblige les compagnies à négocier avec nous. Elles ont commencé à contourner les offices de commercialisation, ce qui cause des ravages dans les boisés privés. Les entrepreneurs peuvent couper à blanc 100 acres de bois en 10 ou 11 jours avec leurs machines et cela n'est inscrit nulle part.
À la suite de cette modification de la loi en 1992, les prix ont chuté dans toute la province. Dans notre cas, en 1998, nous n'avons toujours pas retrouvé les prix de 1991 et de 1992 pour la pulpe de bois. C'est vous dire ce que nous avons perdu. Nous avons désespérément besoin de retrouver certains droits de négociation.
Pendant cette période, ce que je constate, en tant que propriétaire de boisé, c'est que l'industrie et le gouvernement agissent main dans la main et que tout est ramené au dollar, sans égard pour la forêt, pour les boisés ou pour les collectivités et les villages que cela touche. L'essentiel, c'est l'argent. Nous avons eu un gouvernement ici, et vous savez probablement ce qu'il allait faire avec les boisés privés, faire de la surcoupe.
Au cours des années, depuis les débuts de la colonisation de la province du Nouveau-Brunswick, les gens ont perdu leurs 100 acres, qui sont retournés au gouvernement. Tous ces boisés privés appartenaient au gouvernement. Mais ils n'étaient pas considérés comme faisant partie des terres de la Couronne parce qu'ils avaient été désignés pour la colonisation. Le gouvernement a donc décidé de les vendre au plus offrant.
Nous comprenions que le gouvernement devait les vendre, car il avait besoin d'argent. Nous lui avons conseillé d'associer à cette vente un plan de gestion, mais il a refusé. Puis quelque chose de très étrange s'est produit. Il s'agissait de terres gouvernementales, mais dès qu'elles ont été vendues à l'entrepreneur privé, elles sont devenues des boisés privés. Tous ces boisés, si je ne m'abuse, soit environ 14 000 acres dans le comté de Northumberland, ont été vendus de cette façon et coupés à blanc en l'espace de trois ans. Et à qui a-t-on reproché cette surcoupe des boisés privés? Naturellement, aux propriétaires de boisés privés. Vous avez lu les journaux sur ce qu'allaient faire les gouvernements et sur ce qu'ils devaient faire, et vous avez entendu parler de la position avancée par l'industrie privée selon laquelle les propriétaires de boisés privés faisaient de la surcoupe.
J'ai parlé avec les responsables du gouvernement -- le premier ministre, les sous-ministres et les ministres -- et je leur ai posé à maintes reprises la même question. S'il y avait un office responsable de vendre la totalité de la possibilité de coupe annuelle, ne serait-il pas plus avantageux de négocier avec nous, car nous pourrions livrer la coupe totale si les prix étaient raisonnables? Pourquoi auraient-ils besoin d'acheteurs et de courtiers pour acheter le bois des boisés privés? Et je vous le dis, la seule raison, c'est qu'une fois la coupe annuelle effectuée par le biais de l'office de commercialisation, ils peuvent recourir aux acheteurs et aux vendeurs pour couper au-dessus du niveau autorisé. C'est ce qui détruit nos boisés privés. L'économie étant ce qu'elle est aujourd'hui, vous pouvez imaginer le stress et les problèmes que connaissent les propriétaires de boisés privés. Ils ont besoin d'argent pour payer leurs impôts. Ils ont besoin d'argent pour envoyer leurs enfants à l'école.
Les gens âgés ont conservé leurs boisés privés à titre de fonds de pension, car ils ne pouvaient pas occuper des emplois qui donnent droit à une pension, comme les sénateurs ou les travailleurs des usines de pâte à papier. Ils travaillaient dans la menuiserie ou la construction et ils possédaient un boisé privé qu'ils laissaient pousser. C'était là leur fonds de pension. Maintenant qu'ils ont l'âge de recevoir leur pension, ils ne peuvent pas couper leur boisé parce que le gouvernement fédéral va tout leur prendre ou presque. Il faut établir un système qui garantira à ces propriétaires de boisés qu'ils ne seront pas crucifiés lorsque le moment viendra de profiter de leur pension.
Il faut établir un système quelconque. Je proposerais une organisation sans but lucratif, une organisation locale ou un système public de financement des terres pour pouvoir acheter directement ces boisés des personnes âgées et les gérer de façon durable pour la collectivité sans permettre aux entrepreneurs d'y accéder. Nous avons besoin d'entrepreneurs, mais malheureusement, leur seul intérêt c'est de couper mon boisé d'un bout à l'autre. Ils se moquent complètement de la forêt durable ou de quoi que ce soit du genre.
On nous dit que la durabilité de la forêt au Nouveau-Brunswick pose un problème réel et que la crise est proche. Je ne comprends pas pourquoi l'industrie, depuis 10 ans, a accru sa capacité de production au point où elle dépasse la possibilité de coupe. Je crois savoir qu'au Nouveau-Brunswick, la production totale de fibre de bois tirée de la forêt linéaire dépasse la possibilité de coupe totale des boisés privés et des terres de la Couronne combinées, ce qui veut dire qu'il faut aller à l'extérieur de la province pour acheter du bois. Je vous le dis, lorsque la crise surviendra, ils ne se soucieront pas de la durabilité des forêts. Ils vont couper le bois, et nos boisés et nos terres de la Couronne seront dévastés.
Une des premières choses que notre office a faites a été de suggérer un code de bonne pratique pour les boisés. Ce code a été accepté et adopté. J'aurai dû vous en apporter un exemplaire. À mon avis, c'est l'un des codes de bonne pratique le plus complet pour un propriétaire de boisé qui gère sa terre. Il tient compte des loisirs, de la pêche et de la faune, des oiseaux aquatiques, et cetera. Nous encourageons nos propriétaires de boisés à adopter ce code. En fait, nous avons créé un système de bonus pour les propriétaires de boisés qui gèrent la forêt de façon durable en respectant ce code.
Le sénateur Stratton: Pourriez-vous nous le faire parvenir?
M. Richardson: Oui, certainement, je vous l'enverrai.
Nous avons maintenant des gens en place là où nous avons établi des plans de gestion pour nos propriétaires de boisés. Jusqu'à l'an dernier, il n'était pas difficile de convaincre les propriétaires de boisés d'adopter un plan de gestion, mais nous avons maintenant plus de difficulté car les propriétaires ne voient guère l'avantage d'adopter des pratiques durables ni le profit qu'ils peuvent en retirer. Certains le font, mais pas d'autres. Il existe un mythe qui veut que, même si nous croyons vivre dans un système de libre entreprise, le propriétaire de boisé privé n'a pas le droit de faire un profit. Pour une raison ou une autre, tous les gens qui sont associés à l'industrie ont cette opinion. Nos propriétaires de boisés ne sont pas tous comme M. Comeau, qui profite énormément de son boisé. La plupart des propriétaires de boisés qui avaient des emplois les ont perdus. Ils doivent vivre de ce boisé. Ils ne peuvent pas se permettre, aux prix d'aujourd'hui, de le gérer ou de faire de la coupe sélective.
Si vous voulez des recommandations, je pourrais vous en remettre plus tard, mais je vais laisser les trois autres témoins parler.
Le président: Nous aurons sans doute des questions à vous poser. Nous allons d'abord écouter les autres témoins et nous vous reviendrons.
M. Comeau nous a très bien reçus aujourd'hui. Nous nous souviendrons de cette expérience pendant des années. Voulez-vous commencer?
M. Jean-Guy Comeau, Office de commercialisation des produits forestiers de Northumberland: Oui. Merci. Je vais sans doute vous décevoir, car je sais que vous attendiez un long discours. Mais je serai très bref. Je vais soulever quelques questions et nous y répondrons à la période des questions.
Lorsque je vois des comités intervenir, c'est généralement parce que la tempête n'est pas loin. Lorsque nous voyons des tempêtes arriver, je ne suis pas sûr si nous devons demander au capitaine du navire de changer de cap ou de continuer. Dans ce contexte, je vais simplement soulever quelques questions.
Je pense que l'existence du comité est liée à la question de durabilité. Il semblerait qu'il y ait dans tout le pays un problème de durabilité de la forêt. L'industrie de la forêt est-elle durable? Voilà une question très importante.
Puis, une autre question entre en jeu. Le milieu associé à l'industrie est-il durable? Nous devons examiner ces questions soigneusement dans le contexte auquel elles s'appliquent. Pour ce qui est de la durabilité de l'industrie, nous devons prendre en compte ce qui s'est passé depuis trois ou cinq ans. Lorsque j'entends parler de «durabilité de l'industrie», je me demande si nous parlons de soutenir les fusions, qui représentent des milliards de dollars. Il faut faire très attention, car je ne suis pas certain du sens à donner à «industrie durable». Il faut lier cela à la durabilité des collectivités.
Nous voyons que nos collectivités ne sont plus durables. L'extraction de la fibre a duré 50 ou 75 ans et pourtant, les emplois qui y sont associés n'ont pas duré. Ils tendent à diminuer. Voilà les questions importantes que nous posons. Je ne vais pas rentrer dans le détail.
Au moment où la crise menace, nous commençons à chercher des coupables et nous nous demandons où se situe le problème. Je sais que cette question a été soulevée devant le comité lors de ses déplacements au Canada. Nous avons un problème, et pourtant, il semble que toutes les terres utilisées pour la foresterie soient bien gérées au Canada et dans cette province. Au gouvernement et dans l'industrie, on vous dira que les terres de la Couronne et les terres dont nous sommes responsables sont très bien gérées. Mais vous devez faire attention. En ce qui concerne la forêt durable et la durabilité, je doute fort que ces gens disent la vérité, car on ne peut pas avoir 90 p. 100 de coupe à blanc dans tout le Canada et dire que nous sommes durables. Voilà des questions fondamentales qui ont trait à nouveau à la collectivité.
Cela nous ramène à la loi. Avons-nous besoin de nouvelles lois? Est-ce efficace?
J'aimerais, messieurs, que vous vous penchiez sur un autre aspect: la taxation des boisés privés. J'aimerais que vous étudiiez ce que l'on peut faire à ce sujet. Des membres de ma famille, y compris mon plus jeune fils, sont avec moi ce soir. Ils sont ici en partie parce que notre terre familiale va leur être transmise. Lorsque cela se produira, compte tenu de la loi actuelle, il y a de fortes chances pour que ces terres soient vendues car le fardeau fiscal sera trop lourd pour mes enfants. Ce sont des lois fondamentales que vous devez, messieurs, étudier avec beaucoup de soin. La taxation des boisés privés est étroitement liée à tous les autres problèmes dont nous vous parlons.
Je suis sûr que mes amis de la Fédération des propriétaires de boisés du Nouveau-Brunswick et de la Fédération canadienne des propriétaires de boisés vont vous parler de ce sujet, mais en tant que propriétaire de boisé, j'aimerais insister sur cette question fondamentale.
Le président: La parole est à vous, monsieur Clark.
M. Andrew Clark, président, Fédération des propriétaires de boisés du Nouveau-Brunswick: Merci, monsieur le président. Je suppose que ma tâche, au nom de la fédération, est d'essayer de vous donner une idée de qui nous sommes et de ce que nous faisons. Je commencerai par dire qu'il existe environ 40 000 propriétaires de boisés au Nouveau-Brunswick. Nous possédons environ 50 000 parcelles de terre. Cela représente environ 1,7 million d'hectares de terres forestières productives, soit environ 30 p. 100 du total de la province. La valeur de nos produits à la sortie de l'usine est d'environ 100 millions de dollars par an. J'aimerais souligner que ces 100 millions de dollars finissent dans tous les dépanneurs, les garages locaux et la collectivité. Cet argent est beaucoup mieux réparti dans l'économie que le revenu découlant d'importants contrats et de l'industrie, qui tend à acheter en gros et d'une façon différente. Cela est donc important pour la collectivité, comme M. Comeau l'a dit.
La fédération elle-même dessert les offices qui sont membres et qui, par leur participation et leur contribution financière, permettent à la fédération d'exercer diverses activités, comme ma participation à cette audience ce soir. J'essaierai de mon mieux de vous donner une idée générale de ce que pensent les propriétaires de boisés. Une de nos principales tâches est de défendre, au besoin, et de promouvoir, lorsque c'est possible, les intérêts des propriétaires de boisés, que ce soit sur le marché, en obtenant des prix équitables, ou dans le contexte de ce que l'on pense de nous, ce qui nous ramène, je suppose, à la question de la certification. Nous commençons à nous intéresser à cet aspect car notre capacité future à vendre nos produits et à gagner notre vie pourrait dépendre de ce que le reste du monde pense de nous. Nous avons prêté attention à ce processus et nous nous y intéressons.
Les intervenants ont déjà parlé des politiques du gouvernement provincial. Il y a quelque temps, le gouvernement a proposé un règlement qui serait appliqué par les agents d'exécution de la loi. Comme nous pensions que cela représentait une menace pour nos boisés, nous avons fait front commun avec toutes les autres organisations de la province ayant à voir avec la foresterie et qui voulaient, comme nous, que le gouvernement revienne sur sa décision. Je pense que nous avons plutôt bien réussi puisque ce projet de loi n'a pas été adopté.
Nous estimons, cependant, qu'il est nécessaire de proposer autre chose. En ce qui nous concerne, ce serait de confier aux offices de commercialisation de la province certains des pouvoirs dont a parlé M. Richardson et qu'ils ont perdus. Ces pouvoirs pourraient peut-être même être renforcés au point où nous serions le seul point d'entrée dans le système. Si l'industrie voulait acheter des boisés privés, elle devrait d'abord s'adresser à l'office de commercialisation local. Ce serait l'endroit où demander l'achat du bois dans le système des boisés.
Vous nous avez dit que vous vouliez savoir ce que nous pensons être le rôle du gouvernement fédéral. Nous demandons actuellement au gouvernement fédéral de renforcer les pouvoirs de l'office de commercialisation afin qu'il puisse traiter autant les exportations que le marché intérieur. Nous voulons que vous sachiez que ce projet de loi sera déposé bientôt au Sénat. Je suppose que ce seront des règlements à approuver. Nous aimerions beaucoup que cela soit adopté.
Un système de gestion des volumes ou un système de commercialisation méthodique pour les boisés privés nous donnerait trois choses. Les prix seraient équitables. Cela permettrait le mouvement méthodique des produits des boisés de façon à conclure des contrats auxquels nous pourrions nous fier. Nous saurions chaque mois de l'année combien de produits nous pouvons déplacer. Cela nous donnerait également la possibilité de planifier et une certaine stabilité. Le propriétaire de boisé serait assuré que sa gestion d'aujourd'hui lui garantirait un avenir. Cette stabilité est importante. Pour que les gens protègent la biodiversité, cette stabilité est importante. Les gens ont besoin de penser à long terme. Si l'on décide qu'une partie de mon boisé a une certaine valeur, j'aimerais certainement participer.
En général, vous constaterez que les propriétaires de boisés sont tout à fait prêts à conserver la biodiversité. Beaucoup de gens vivent encore à la campagne sur leur boisé. Certains vivent en ville. Certains sont des propriétaires absents qui vivent ailleurs, mais la plupart vivent sur leur terre. Il serait donc important d'avoir un seul point d'entrée.
J'aimerais également souligner qu'à ma connaissance, aucun office de commercialisation dans cette province n'a signé de contrat dépassant ce qui est considéré comme son niveau de coupe annuel possible. L'exploitation qui a dépassé les niveaux de croissance annuelle est le fait d'un système parallèle. Ce système a été créé par le changement de politique du gouvernement en permettant aux entrepreneurs privés de pénétrer dans le système sans aucune sorte de contrat, d'approbation, de licence ou tout ce qui est lié au système des offices de commercialisation. Ils sont complètement indépendants.
Je reviens à ma participation aux groupes qui ont demandé au gouvernement de ne pas adopter le projet de loi. Cela a permis à l'industrie, au gouvernement et à nous-mêmes de nous réunir. Nous en sommes arrivés à la seule chose sur laquelle nous pouvions nous mettre d'accord, c'est-à-dire qu'il était important de renforcer la sylviculture sur les boisés privés. Pour ce faire, le financement a presque quadruplé. Nous sommes passés d'un peu plus de 2 millions de dollars à 8 millions cette année. Sur cette somme, 2 millions proviennent du fonds de transition des emplois. Mais ce fonds s'épuise, et il est donc très important de trouver un nouveau financement pour assurer la poursuite de ce programme. Compte tenu du régime actuel, nous ne pouvons guère agir sur le plan de l'exploitation, mais nous pouvons certainement faire beaucoup pour réhabiliter le peuplement et faire en sorte que les arbres poussent plus vite. C'est très important.
Il est également très important de disposer d'une autre source de revenu pour les gens qui vivent à la campagne, pour les propriétaires de boisés eux-mêmes et les autres. Cette mesure a donc été très utile et nous en sommes fort heureux.
Qu'est-ce qui n'a pas été fait? Le gouvernement de la province a renoncé à établir un type de cadre qui garantirait que le bois coupé chaque année ne dépasse pas ce qui est considéré comme le niveau de possibilité annuel dans cette zone. Nous estimons que les propriétaires de boisés peuvent se partager le marché nécessaire assez facilement. Nous le faisons depuis de nombreuses années. Certains de nos offices existent depuis plus de 20 ans. Nous avons de bonnes relations et de bons contacts. Nous avons de bonnes méthodes. Bon nombre des litiges concernant notre façon d'administrer les offices sont réglés depuis longtemps. Nous pensons pouvoir faire du bon travail pour vous.
Nos organisations peuvent participer utilement. J'ai eu l'honneur de représenter la Fédération canadienne des propriétaires de boisés lors des récentes audiences d'Environnement Canada à Ottawa sur l'élaboration d'une loi sur les espèces en péril. Ce texte de loi porte sur trois questions qui sont très importantes pour nous. La première est la résolution des conflits. Bon nombre des groupes environnementaux aimeraient trouver le moyen de faire avancer ce projet de loi pour s'assurer qu'il est appliqué. Nous aimerions nous assurer que les petits propriétaires de boisés tout au moins ne soient pas écrasés par un processus qui exigerait de nombreux avocats. Si quelqu'un a une plainte à formuler sur mon boisé et sur moi, je veux pouvoir me défendre moi-même. Aucun avocat, ni d'un côté ni de l'autre, ne devrait être autorisé, car, pour être franc, nous ne pouvons pas nous le permettre. C'est là une des questions.
L'autre est celle de l'indemnisation. S'il est aussi important pour la société qu'une partie de mon boisé soit réservée et préservée et s'il représente une perte de valeur ou de revenu pour moi, je pense que cette société doit être prête à m'indemniser comme il convient. Cela devrait être un principe fondamental de ce texte de loi.
La troisième question que nous avons fortement recommandée est que la gestion des boisés privés soit l'outil principal de protection des espèces et des habitats en péril. Vous pouvez légiférer et conclure les ententes que vous voulez pour les terres fédérales, les terres de la Couronne et les terres provinciales de la Couronne, en collaboration avec tous ceux qui en sont locataires ou autres, mais lorsqu'il s'agit de boisés privés, la propriété change constamment. Nous avons besoin d'un cadre qui encourage la gestion. Aujourd'hui, le fait est que beaucoup de politiques sont contradictoires à cet égard. Nous pourrions nous attarder sur ce point. Je mentionnerai en particulier la Loi sur les foyers de soins. Au moment d'élaborer cette loi, personne n'aurait pu penser qu'elle influerait sur les boisés privés. Mais lorsqu'on menace les gens de leur enlever leur propriété et qu'on leur dit qu'ils ne pourront pas la transmettre à leurs enfants, ils finissent par couper tout le bois et par utiliser l'argent avant que le gouvernement puisse mettre la main dessus. C'est une conséquence inattendue de la loi. Ce genre de loi influe sur la façon de penser des gens et sur la gestion.
C'est là un autre aspect dont il faut tenir compte au moment d'élaborer cette loi. Il faut toujours tenir compte de l'influence qu'elle aura sur les gens, sur leur façon de penser et sur leurs décisions. Bien trop souvent, ces textes sont élaborés dans une perspective limitée, sans penser à la façon dont les gens réagiront.
À ce sujet, je partage les objectifs des groupes environnementaux tout en ayant quelques réserves sur les méthodes à utiliser pour les atteindre. Je crois que si ces programmes de gestion sont bien conçus, nous pouvons créer un environnement dans lequel les espèces ne sont pas en danger et où la gestion générale des boisés et des ressources forestières en général sera améliorée. C'est la meilleure garantie de conservation des espèces. Nous pourrions en parler pendant des jours, mais je vais m'arrêter ici pour le moment.
Le président: Monsieur Demarsh, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Demarsh: J'aimerais continuer à expliquer ce que sont les propriétaires de boisés. Nous avons entendu M. Richardson et M. Comeau nous parler de la situation locale et M. Clark de la situation provinciale.
Au niveau national, il y a environ 410 000 propriétaires, possédant environ 8 p. 100 des forêts productives nationales, dont les ventes représentent environ 1,5 milliard de dollars de produits forestiers et autres chaque année.
Notre fédération canadienne a été créée en 1989. Elle compte neuf associations provinciales participantes. Terre-Neuve vient de constituer une association, et nous espérons pouvoir dire bientôt que nous représentons les 10 provinces.
Au cours des années, nous avons participé à un certain nombre d'activités. Nous avons en particulier encouragé le gouvernement fédéral à accroître, dans la mesure du possible, le financement de la sylviculture pour les propriétaires de boisés par le biais d'accords fédéraux-provinciaux. Nous avons aidé l'Association canadienne de normalisation à élaborer une norme de certification qui tient compte non seulement de l'industrie et des terres de la Couronne mais également des propriétaires de boisés. M. Ginnish a parlé des stratégies nationales sur les forêts du Conseil national des ministres des Forêts, la première et la deuxième. Nous avons fait pression pour que la situation particulière, les possibilités et les conditions spéciales des boisés soient partie intégrante de cette stratégie nationale.
Nous avons notamment demandé des modifications au régime de l'impôt sur le revenu pour éliminer les obstacles à la bonne gestion. Mes collègues ont parlé à plusieurs reprises du problème que cela représente pour nous. J'y reviendrai. J'aimerais d'abord parler rapidement de quelques autres sujets.
Nous avons certains défis à relever au moment d'entrer dans le prochain millénaire. Pour de nombreuses provinces, le financement de la sylviculture est une préoccupation constante. Dans certains endroits, et je suis heureux que le Nouveau-Brunswick en fasse partie, les gouvernements provinciaux, l'industrie et les associations de propriétaires de boisés ont réussi en partie à remplacer le financement des accords fédéraux-provinciaux. Mais en Ontario surtout et plus vers l'ouest, pour diverses raisons, on n'y a pas réussi. Lorsque nous parlons aux représentants du gouvernement fédéral de la nécessité de combler ce vide, nous sommes confrontés à des questions de compétence. Mais l'obstacle le plus important n'est probablement pas lié à la compétence mais est de nature budgétaire. Nous pensons que le gouvernement fédéral doit établir un partenariat avec les gouvernements provinciaux, l'industrie et les propriétaires de boisés et, au besoin, doit assurer le financement de dernier recours. Je pense que cette préoccupation sera certainement exprimée par d'autres propriétaires de boisés dans d'autres provinces plus à l'ouest.
Nous avons récemment adopté une mesure qui pourrait en partie répondre à ce besoin. Il s'agit de la reforestation des terres agricoles marginales dans le cadre de l'engagement canadien à l'égard de l'accord de Kyoto. Récemment, on nous a demandé d'évaluer les possibilités de ce type de plantation dans les boisés du pays. Nous avons pu répondre que, selon nous, nous pourrions planter 30 000 hectares par an pendant cinq ans. Le coût total de ce genre de programme serait d'environ 70 millions de dollars par an. Il sera intéressant de voir la méthode qui sera adoptée pour financer ce programme.
J'ai parlé de financement de la sylviculture et de la perte que la fin des accords fédéraux-provinciaux a représentée. Nous avons perdu quelque chose de peut-être plus important, c'est-à-dire le financement des programmes éducatifs pour les propriétaires de boisés. Ces programmes ont été encore plus difficiles à remplacer que les programmes de sylviculture. Je pense que plus tard, nous reviendrons sur cette période de cinq à dix ans et nous penserons à quel point nous avons été stupides. Cette cessation de l'investissement dans l'éducation va nous coûter très cher à long terme. Je dirais que l'argument en faveur d'une nouvelle participation du fédéral à l'exploitation des boisés est encore plus valable en matière d'éducation. Il est encore plus important que l'on transfère la capacité de recherche du gouvernement fédéral dans ce domaine que dans celui de la sylviculture.
J'ai déjà dit que nous avions travaillé à la question de l'impôt sur le revenu. Il y a là deux points essentiels. Le premier est que du fait que la plupart de nos terres ne nous permettent pas, de par leur taille, d'en tirer un revenu à temps plein, nous appartenons à la catégorie des travailleurs à temps partiel. Le régime actuel ne nous permet pas de déduire les dépenses de la sylviculture de notre revenu des boisés. Si je conduis un autobus scolaire, si je travaille dans une usine de pâtes et papier ou pour une association de boisés, je n'ai pas le droit de déduire l'argent de ce salaire que je dépense pour planter ou éclaircir les arbres sur mon boisé.
L'autre grand problème, et M. Comeau l'a déjà un peu abordé, c'est celui qui surgit lorsqu'un boisé est transféré d'une génération à l'autre. La valeur croissante du bien peut aboutir à une augmentation du fardeau fiscal. Selon le ministre fédéral, le montant de l'impôt n'est pas suffisamment élevé, dans la plupart des cas, pour représenter un problème important. Mais nous voulons lui dire que de nombreux propriétaires de boisés du pays n'appartiennent pas à cette tranche de revenu suffisante pour avoir l'argent à la banque lorsqu'il leur faut payer 5 000, 6 000 ou 8 000 $ d'impôt. Où vont-ils trouver cet argent? Ils sont forcés d'utiliser le boisé. C'est là un des nombreux exemples de la politique gouvernementale qui a contribué au problème de la surcoupe dont mes collègues ont parlé.
Mais l'aspect positif de cette histoire, c'est que nous allons probablement voir des changements importants. Nous croyons que Revenu Canada est maintenant prêt à reconnaître toutes nos activités de gestion forestière comme de l'agriculture en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ce sera une étape marquante. Nous pourrons ainsi déduire les dépenses du revenu autre que celui du boisé, en utilisant les règles sur la perte agricole restreinte. Au moment de la transmission d'un boisé dans une famille, si ce boisé a été bien géré, les impôts seront reportés comme ils le sont pour une exploitation agricole. Il semble que nous soyons sur le point de faire réellement avancer ce dossier, qui dure depuis longtemps.
Le seul morceau du puzzle qui reste et qui nous permettrait d'avancer réellement est de faire comprendre à Revenu Canada qu'il doit reconnaître que nos investissements dans la gestion forestière prennent plusieurs décennies, et parfois même plus longtemps, pour produire un profit. Le ministère hésite toujours à l'énoncer clairement. La loi et la politique actuelles étant ce qu'elles sont, il estime toujours qu'un revenu régulier sur plusieurs années est un bon critère d'attente raisonnable de profit et ne veut pas aller plus loin. Nous pensons que c'est un aspect négatif d'un contexte plutôt optimiste car cela va créer la confusion chez bon nombre d'entre nous. Cela ne s'applique évidemment pas aux boisés ni à la foresterie dans bien des cas. Nous collaborons avec eux pour essayer de régler cette situation. Il nous semble évident que cela nécessitera une volonté politique. Nous pensons que les responsables de Revenu Canada font ce qu'ils peuvent avec les outils dont ils disposent.
Le problème du temps en foresterie doit être extrêmement bien défini. Le fait qu'il faut plusieurs décennies pour faire un profit. Ce n'est pas parce que nous ne sommes pas des gens d'affaires compétents. Ce n'est pas parce que l'investissement dans la gestion de la forêt est déraisonnable. C'est parce qu'il faut longtemps pour qu'un arbre pousse. C'est aussi simple que cela.
Nous avons demandé au ministre des Finances de régler ce problème. Nous lui avons demandé, ainsi qu'à ses fonctionnaires, pour la même raison, de modifier la règle sur la perte agricole restreinte pour tenir compte de cette question de temps.
S'il y a une chose que vous pouvez faire pour nous, je dirais que c'est d'utiliser votre influence pour nous aider à résoudre ces problèmes avec M. Martin. Si vous souhaitez examiner cette question plus à fond, j'ai ici des copies de la correspondance des derniers mois qui vous donnerait plus de détails. Nous espérons voir des progrès véritables au cours des prochains mois.
Il y a évidemment d'autres problèmes fiscaux. Je pense notamment à celui qui a trait à la règle du supplément de revenu garanti. Là encore, c'est une politique gouvernementale qui a un effet négatif sur la gestion des boisés. Comme vous le savez sûrement, de nombreuses personnes âgées estiment qu'ils ont gagné ce supplément. Ils préféreraient voir tomber leurs arbres plutôt que de risquer de le perdre. C'est une réaction commune. Cela signifie qu'une bonne partie des terres ne peut être utilisée pour l'emploi et la récolte.
D'autres propriétaires de boisés dans cette situation ont la réaction inverse et disent: «Je vais perdre seulement le supplément pendant l'année où je reçois le revenu; je vais donc tout couper à la fois». À certains égards, c'est encore plus préjudiciable à long terme que de ne rien faire. D'autres encore, qui ont réfléchi à cette question, liquideront leur boisé à 64 ans. Ce sera un problème difficile à résoudre car les gens des Finances disent qu'ils ne peuvent pas établir de règle spéciale simplement pour nous; il y a toutes sortes d'autres groupes qui leur présentent des problèmes semblables au nôtre en ce qui concerne le supplément. Nous pensons que ce problème est suffisamment grave pour que nous continuions d'y travailler pour voir si nous pouvons arriver à une bonne solution.
Pour conclure, je pense que dans l'ensemble, il est important de souligner l'énorme potentiel de développement durable des boisés dans tout le pays, tant pour l'emploi à court et à long terme que pour la santé des forêts qui contribuera à une amélioration de l'environnement. Je pense vous avoir donné une assez bonne idée de nos préoccupations et de nos problèmes aux niveaux local et national.
Le sénateur Stratton: Il y a quelque chose qui m'intrigue au sujet de l'office de commercialisation. Je pensais que cet organisme était là pour surveiller et limiter l'offre et la demande, et maintenir par conséquent un prix de base. Si l'on vous dit quels sont les prix que vous devez imposer, à quoi sert-il d'avoir des offices de commercialisation? Quel en est l'objet?
M. Clark: Le régime de commercialisation a été élaboré au Nouveau-Brunswick précisément pour régler ce problème. Nous n'avions aucune prise sur le marché, nous n'avions pas de prix de référence, et nous n'avions pas accès au marché. On nous a dit que si l'on mettait en place des offices de commercialisation, nous pourrions vendre ce qui serait raisonnablement disponible ou les quantités récoltables produites annuellement par le secteur des boisés privés, avant que la compagnie n'ait accès aux terres domaniales. Nous pouvons démontrer qu'il existait en fait un contrat social. C'est le malaise régnant au Nouveau-Brunswick qui a finalement débouché sur la création du système. On nous a raconté que cela constituerait notre part du marché, l'autre membre de l'équation étant que les compagnies obtiendraient jouissance de leur partie des terres de la Couronne.
En 1992, quand on a modifié le régime suite aux plaintes formulées par l'industrie, ou tout du moins une partie de l'industrie, les compagnies conservèrent la jouissance de leur terre de la Couronne. Toutefois, quand le marché a évolué à plusieurs égards, nos pouvoirs par rapport au contrat social n'ont pas été restaurés. Pire encore, quand le marché a changé du tout au tout et qu'il devint possible de vendre le bois plus rapidement qu'il poussait, le gouvernement s'est trouvé dépourvu de tout moyen réel d'intervenir ou de réglementer le régime d'une façon quelconque. Par conséquent, l'équation de l'offre s'en est trouvée complètement inversée. Nous avons dit au gouvernement que plutôt que de voir n'importe qui nous imposer d'en haut n'importe quoi, nous pouvions nous réglementer nous-mêmes. Nous sommes prêts à le faire en échange de la restauration de certains de nos droits. Nous deviendrions un organisme de vente à guichet unique. Il nous serait possible de négocier les prix, de négocier quand et comment les produits sont livrés.
À l'heure actuelle, se faire payer par certaines entreprises de la province est devenu un problème. Lorsque nous avions des offices de commercialisation dotés d'une certaine autorité, nous étions payés rapidement, dans les dix jours suivant la livraison, ou à peu près. Aujourd'hui certains bureaux de commercialisation doivent attendre 30 jours avant qu'une entreprise les paie. Cela entraîne parfois des problèmes de trésorerie. Cela soulève bien des questions en l'occurrence. Comment se fait-il qu'on n'accorde pas aux offices de commercialisation un statut convenable dans cette province? C'est une question qui relève du gouvernement provincial. Cela ne concerne pas les propriétaires de boisés.
Le sénateur Stratton: Si les offices de commercialisation ne fonctionnent pas, pourquoi en avoir?
Le sénateur Robichaud: Il n'a pas dit qu'ils ne fonctionnaient pas.
Le sénateur Stratton: Il semble qu'ils ne fonctionnent pas car ils ne disposent pas du pouvoir d'agir comme organismes de vente à guichet unique.
M. Clark: Ce n'est pas le cas au Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Stratton: Non, mais le principe sous-jacent aux offices de commercialisation n'est-il pas qu'ils servent d'organismes de vente à guichet unique?
M. Clark: Le principe sous-jacent aux offices de commercialisation est qu'ils ont été mis en place pour rectifier un déséquilibre du marché. Ce qui existait avant 1992 y parvenait parfaitement. Dans la situation actuelle, ce n'est plus le cas. Et nous ne sommes pas pour autant complètement désarmés.
Certaines entreprises adoptent une position tout à fait responsable. Mon intention n'est pas de dépeindre toutes les compagnies du Nouveau-Brunswick comme si elles se ressemblaient toutes. Certaines d'entre elles font montre d'une attitude des plus responsables et s'approvisionnent en bois uniquement auprès des offices de commercialisation. Nous avons passé de très bons contrats et conclu de très bons arrangements. Nous aimerions que cela se généralise, car le modèle existe et il fonctionnera.
Pourquoi continuer d'avoir des offices de commercialisation? Je suppose que certains propriétaires de boisés se posent eux-mêmes cette question. Si ce n'est pas pour bénéficier des avantages censés découler de l'existence d'un office de commercialisation, à quoi sert-il d'en avoir un? Nous avons pu venir ici parce que nous disposons d'offices de commercialisation; ils ont été en mesure de nous financer. Les organisations fonctionnent. Nous avons réussi à négocier un nouvel accord sur la sylviculture, lequel assure de nombreux avantages à nos propriétaires. Ce n'est pas que nous sommes totalement impuissants. C'est juste que nous ne pouvons pas faire tout ce qui serait possible.
Nous avons proposé au gouvernement et à l'industrie, pour régler ce problème et faire aboutir les négociations, de dissocier la position que nous avons adoptée sur la question des terres domaniales. Nous avons dit que si on nous transformait en organismes de vente à guichet unique, ils n'auraient plus à passer par notre intermédiaire pour leurs achats quand ils veulent du bois provenant des terres de la Couronne. Toutefois, dans tous les cas où ils souhaitent acheter du bois en provenance de boisés privés, ils devront s'approvisionner auprès de nous, à un seul endroit, ce qui nous donnera une certaine influence et un pouvoir de négociation et tout le reste au sein du système. Nous avons offert de réduire notre marge par rapport à ce qui se faisait par le passé afin de rétablir à nouveau une situation stable. Mais même cela n'a pas abouti à la réponse à laquelle on s'attendait.
Le président: Il existe une formule de vente à guichet unique pour le grain dans l'Ouest du Canada. Vous avez raison; les offices de commercialisation ne fonctionnent pas si tout le monde n'est pas forcé de commercialiser les produits par leur intermédiaire et s'il est possible de les contourner. En outre, un acheteur ne peut pas aller acheter un produit dans un pays étranger. Autrement dit, si vous possédez une meunerie vous ne pouvez pas vous approvisionner en blé en dehors du Canada. À quoi sert-il que vos offices de commercialisation essaient de maintenir les prix, si les acheteurs de bois ou de pulpe peuvent s'approvisionner de l'autre côté de la frontière?
M. Clark: Le régime des offices de commercialisation au Canada, tout du moins en ce qui concerne le bois et les autres domaines que je connais, n'a jamais disposé de pouvoirs semblables à ceux dont dispose, selon vous, la Commission canadienne du blé.
Le président: Ils pourraient toujours vous court-circuiter, même si vous contrôliez entièrement le processus.
M. Clark: Ils pourraient s'approvisionner en bois auprès de n'importe quelle source.
Le président: Ils pourraient acheter du bois en dehors du Nouveau-Brunswick, et vous ne pourriez pas empêcher cela.
M. Clark: Non.
Le président: Quel était véritablement votre pouvoir de négociation?
M. Clark: Notre pouvoir de négociation tournait autour de la question des terres domaniales. Avant qu'une compagnie puisse se voir attribuer sa part annuelle provenant des terres de la Couronne, elle devait négocier de bonne foi avec nous.
Le président: Était-elle obligée de s'approvisionner chez vous?
M. Clark: Là était notre pouvoir de manoeuvre. Il est important de noter que nous sommes disposés à renoncer à ce pouvoir afin de devenir des organismes de vente à guichet unique.
Le président: Vous êtes prêt à y renoncer. Vous deviendriez un organisme de vente à comptoir unique, mais les compagnies pourraient acheter leur bois en dehors de la province.
M. Clark: Elles pourraient s'approvisionner en bois n'importe où, mais si elles voulaient du bois provenant de boisés privés situés dans une région relevant de la compétence d'un office de commercialisation, elles seraient obligées de passer par nous.
Le président: Êtes-vous prêt à rejeter la loi qui stipule que les détenteurs de licence doivent acheter du bois venant de terres privées au Nouveau-Brunswick?
M. Richardson: Non. Chaque office exerce ses compétences sur un territoire donné. Notre office exerce les siennes principalement dans le comté de Northumberland. Un producteur, une usine de pâte à papier ou une scierie qui souhaite acheter du bois à l'un des propriétaires de boisés situés dans notre juridiction devra s'adresser à l'office. C'est ce que nous demandons.
Le président: Supposons que les intéressés ne veulent pas acheter. Peuvent-ils s'approvisionner en bois à l'extérieur de la province?
M. Richardson: Ils pourraient toujours le faire.
Le président: J'ai du mal à comprendre de quel genre de pouvoir de négociation vous parlez dans ce cas.
M. Richardson: Le pouvoir de négociation que nous détenons est qu'ils ne peuvent pas exploiter leurs usines sans le bois provenant des boisés privés.
Le président: Nous tournons en rond. Vous venez juste de dire que ces entreprises pouvaient acheter leur bois ailleurs. Ensuite, vous dites qu'elles doivent s'approvisionner en bois provenant de boisés privés.
M. Richardson: Elles ne peuvent pas exploiter leur usine sans bois provenant de boisés privés. Elles ne peuvent pas en obtenir de grosses quantités venant des terres domaniales. Par exemple, si elles s'approvisionnent en Nouvelle-Écosse, le coût de transport du bois s'élève approximativement à 144 $ la corde.
Le président: C'est l'obstacle concurrentiel auquel vous vous heurtez.
M. Richardson: C'est exact. Nous le vendons 91 $.
Le président: Je comprends toujours difficilement pourquoi vous avez un office de commercialisation si la capacité d'établir vos prix dépend du coût d'importation du bois. C'est l'obstacle auquel vous vous heurtez.
M. Clark: Si je peux me permettre j'aimerais vous expliquer. Une entreprise d'exploitation forestière qui détient à bail un terrain domanial au Nouveau-Brunswick doit respecter la quantité récoltable qui est déterminée annuellement. Cette quantité peut varier de 5 à 10 p. 100 d'une année à l'autre, mais elle doit être de 5 p. 100 sur cinq ans. En tant que propriétaire de boisé, je sais que la quantité de bois que ces compagnies peuvent tirer des terres domaniales ne couvre qu'une partie de leurs besoins. Si elles coupent du bois sur des terres domaniales, elles doivent appliquer les mêmes règles sur leurs propres terres franches. Elles ne peuvent pas y couper tout le bois dont elles ont besoin.
Le président: Nous sommes tous d'accord. Elles ont besoin de bois.
M. Clark: Là se trouve donc notre pouvoir de négociation; si vous voulez acheter du bois, venez me voir, car vous ne pourrez en acheter à personne d'autre.
Le président: Elles peuvent aller en acheter en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Stratton: Pas en grosses quantités. Ce n'est pas intéressant au niveau des prix.
Le président: Le fait est que le prix maximal que vous obtenez à l'office de commercialisation est le prix auquel elles peuvent l'importer, peut-être quelques centimes de moins ou à peu près. Pourquoi les propriétaires de boisés ne pourraient-ils pas obtenir la même chose?
M. Clark: La toute première raison de la mise en place des offices de commercialisation est que les propriétaires, agissant de leur propre chef, étaient encore plus mal traités qu'ils ne le sont aujourd'hui.
Le président: Je suis un vieil agriculteur, mais j'ai du mal à suivre la logique de votre argument.
M. Clark: Prenons un autre produit. Par exemple, les pommes de terres au Nouveau-Brunswick. Les agriculteurs traitent individuellement et les courtiers font leur choix. Quand on considère le pourcentage du prix de vente que parviennent à conserver les agriculteurs, on s'aperçoit qu'il est toujours minime. Ils sont finalement très mal traités.
Le sénateur Stratton: Au Manitoba, les producteurs de pommes de terre s'en tirent très bien. Les meilleures terres agricoles de la province sont celles où sont cultivées les pommes de terre destinées à McCain. C'est comme ça au Manitoba.
Le président: Il y a des offices de commercialisation du lait, des offices de commercialisation des oeufs, et cetera. Ils ont tous une chose en commun: il n'est pas possible d'acheter ailleurs. Il n'est pas possible d'acheter des oeufs au Minnesota et de les importer au Canada. Il n'est pas possible d'acheter du beurre. Il n'existe pas d'autre solution. Tous les offices de commercialisation que je connais obligent tous ceux qui achètent leurs produits, que ce soit des oeufs, du beurre ou du blé, à acheter au Canada.
M. Richardson: En tant que propriétaire de boisé, j'ai l'habitude d'être victime de discrimination. Je ne peux pas comprendre pourquoi le gouvernement provincial instaure un système de vente à guichet unique pour les terres domaniales et refuse de faire la même chose en ce qui concerne les boisés privés.
M. Clark: Je voudrais faire une dernière remarque portant sur les régions situées près de la frontière. Au fur et à mesure que les distances se raccourcissent, les gens transportent les produits plus loin. Au Nouveau-Brunswick, le bois circule depuis toujours d'un côté à l'autre de la frontière. Il nous arrive de vendre du bois dans le Maine; l'industrie achète du bois là-bas. C'est un phénomène courant. Cela a fluctué dans les deux sens au cours des années, en fonction d'une multiplicité de facteurs. Nous ne sommes pas contre l'exportation de bois dans le Maine. Nous n'essayons pas d'empêcher les entreprises d'acheter du bois dans le Maine et de l'importer au Nouveau-Brunswick quand il y a des raisons valables. Nous voulons que l'on nous rende le droit d'être un organisme de vente de bois à guichet unique dans nos régions, en ce qui concerne les boisés privés.
Le président: Il y a quelque chose qui m'a intrigué. Il me semble que les agriculteurs, notamment dans l'ouest du Canada, se sont battus pour les mêmes causes que celles que vous défendez actuellement: le transfert des terres d'une génération à l'autre, ainsi que le gain en capital non récurrent que vous pouvez réaliser lorsque vous les vendez. Il y a une analogie, sauf que ceux qui exploitent les boisés ont aussi des revenus d'autres sources. Le fait est que vous voulez pouvoir défrayer vos coûts tout comme les agriculteurs. Cela dit, certains agriculteurs ont le même problème. Il y a des jeunes qui travaillent dans des installations de forage pétrolier et utilisent l'argent qu'ils gagnent pour s'établir parallèlement comme fermiers. Ils ont du mal.
Le sénateur Stratton: Il faut tirer la majeure partie de votre revenu d'une exploitation agricole. Vous ne pouvez pas être employé à temps plein ailleurs.
Le président: Ils réussissent à trouver des arrangements.
Le sénateur Stratton: Il se peut qu'il y ait des arrangements, mais vous êtes quand même censé tirer la majeure partie de votre revenu de l'exploitation agricole.
Le président: Je suppose que vous collaborez avec les agriculteurs de l'Ouest, car il me semble que vous pourriez vous entraider énormément dans ce domaine. J'aimerais beaucoup prendre connaissance de votre mémoire.
Y a-t-il d'autres questions?
[Français]
Le sénateur Robichaud: Est-ce que le volume de bois coupé par les propriétaires de boisés privés a changé depuis 1992? Ou est-ce que c'est principalement au niveau du retour du prix que vous recevez pour ce que vous coupez, qui a été le facteur le plus important?
M. Richardson: Nous n'avons aucune façon de le savoir parce que les contracteurs, acheteurs et courtiers ne sont pas obligés de faire un rapport pour le bois qu'ils ont coupé ou obtenu sur les terres privées. Nous n'avons aucun document pour le bois qui ne passe pas par le Conseil de commercialisation. Nous le savons simplement parce que nous vivons dans la région. Nous savons à peu près où et combien de bois a été coupé. L'an dernier, le Conseil de commercialisation a perdu 62 000 $ en revenu. Nous savons que le bois a été coupé et passé par des contracteurs privés et non pas par le Conseil de commercialisation.
Le sénateur Robichaud: Est-ce que ceux qui passent par le Conseil de commercialisation ont besoin de tickets?
M. Richardson: Oui.
Le sénateur Robichaud: Donc, cela passe par le Conseil de commercialisation?
M. Richardson: Oui.
Le sénateur Robichaud: Je peux faire couper mon bois par quelqu'un sans avoir de tickets et vendre directement au moulin?
M. Richardson: Oui.
Le sénateur Robichaud: Depuis 1992?
M. Richarson: Oui.
Le sénateur Robichaud: Vous avez perdu ces terrains. Ils ne faisaient pas partie de votre organisation avant 1992 de toute façon, n'est-ce pas?
M. Richardson: Oui, ils faisaient tous partie de notre organisation.
Le sénateur Robichaud: Ce ne sont pas des lots qui ont été vendus après?
M. Richardson: Non, ce ne sont pas tous des lots qui ont été vendus. Aujourd'hui, le gouvernement ne vend plus de lots, mais les contracteurs vendent et achètent un lot de 100 ou 200 arpents, le coupe avec une machine et le livre à Juniper Lumber ou Repap ou autre, mais cela ne passe pas par le Conseil de commercialisation.
Le sénateur Robichaud: Dans ce cas, il pourrait y avoir une diminution du rôle que vous jouez. Les gens qui ne sentent pas le besoin de passer par le Conseil de commercialisation trouveront d'autres façons de vendre parce qu'ils se méfient du Conseil de commercialisation. Si j'étais contracteur, probablement que je dirais aux gens, je vais vous le vendre directement, vous n'avez pas besoin de passer par le Conseil de commercialisation parce qu'il garde une commission. C'est facile. Vous pouvez avoir beaucoup de pertes.
M. Richardson: Le même propriétaire peut venir, quelques années plus tard, demander de l'argent au Conseil de commercialisation pour faire de la plantation sur son terrain, par exemple.
Le sénateur Robichaud: Mais cela, vous le contrôlez encore?
M. Richardson: Oui, mais nous ne contrôlons pas où il va. C'est sous le principe du premier arrivé, premier servi.
Le sénateur Robichaud: Tout l'argent pour la sylviculture, sauf celui des grosses compagnies, passe par le Conseil de commercialisation?
M. Richardson: Oui.
Le sénateur Robichaud: Je suis d'accord avec le fait que Revenu Canada traite l'utilisation de ces terres d'une façon qui n'encourage pas les gens à gérer leur bois de façon structurée. Une personne atteint l'âge de la retraite et un contracteur peut venir et lui dire: «Si tu ne peux pas couper ton boisé tout de suite, le gouvernement le prendra et le vendra et tu perdra tout». Alors, c'est la panique.
M. Richardson: Ils ont fait la même chose quand ils ont proposé de prendre les terres et les maisons des gens âgés qui allaient vivre en foyer.
Le sénateur Robichaud: Mais pour cela, ce n'était pas le cas, par contre.
M. Richardson: Non, mais les contracteurs allaient voir les personnes âgées et leur faisaient croire que le gouvernement prendrait leur terre.
Le sénateur Robichaud: Ils pouvaient leur faire croire cela, mais ce n'était pas le cas. J'ai été administrateur d'un foyer pour personnes âgées et le gouvernement ne saisissait pas les maisons. Ce n'est pas vrai. Par contre, certains disaient qu'il était préférable de vendre leur terre parce qu'une fois déménagés, ils la perdraient. Les gens n'étaient pas certains et ils vendaient à des prix ridicules ou les donnaient.
M. Richardson: Quand avez-vous été administrateur?
Le sénateur Robichaud: Il y a plusieurs années de cela.
M. Richardson: Étiez-vous un administrateur de foyer pour personnes âgées quand Frank McKenna était premier ministre?
Le sénateur Robichaud: Non, pas à cette époque. Si nous avons eu des cas, c'est très peu, mais l'histoire était quand même que vous alliez la perdre. Ils ont changé cela et rassuré les gens. J'espère que l'on pourra rassurer les propriétaires de boisés.
M. Richardson: Nous avons parlé au premier ministre, et il nous a dit que la maison qui est sur un bois privé sera séparée du terrain par un arpent, le reste peut être pris par le gouvernement.
Le sénateur Robichaud: Cela n'aide pas votre cause.
M. Richardson: Effectivement.
[Traduction]
Le président: Il y a dans le coin des gouvernements qui sont plutôt mesquins; ah, ces libéraux!
Le sénateur Stratton: Je suis heureux de vous l'entendre dire.
Le sénateur Robichaud: Je n'aurai jamais cru que vous diriez une chose pareille.
Le président: Les libéraux de l'Ouest ont toujours du mal à comprendre ce qui se passe ici. Y a-t-il d'autres questions?
[Français]
Le sénateur Robichaud: J'aimerais remercier nos témoins d'être venus discuter avec nous, en particulier, M. Comeau, qui nous a reçus, ainsi que Mme Comeau, qui nous a cuisiné un très bon repas.
[Traduction]
Le président: J'aimerais également vous remercier. Merci beaucoup.
La séance est levée.