Délibérations du sous-comité de la
Forêt
boréale
Fascicule 12 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
MIRAMICHI, le mercredi 4 novembre 1998
Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts s'est réuni aujourd'hui à 13 heures pour poursuivre son examen de la situation actuelle et future des forêts canadiennes, et en particulier, celle de la forêt boréale.
Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Notre premier témoin cet après-midi est M. Prebble, qui est le responsable des boisés chez Repap Inc. Monsieur Prebble, je remarque que vous êtes venu avec deux assistants, au cas où vous auriez besoin d'aide.
M. Doug Prebble, responsable des boisés, Repap Inc.: J'ai remarqué hier soir que vous posiez des questions très précises et je voulais être sûr de pouvoir vous répondre, c'est pourquoi j'ai demandé à des collègues de m'accompagner.
J'aimerais tout d'abord remercier le comité de m'avoir donné l'occasion de lui présenter des observations. Je suis impressionné par le fait que vous ayez choisi d'inclure Miramichi dans votre étude de la forêt boréale canadienne. Je viens d'être nommé au poste de responsable des boisés pour l'usine Repap ici à Newcastle. Mon prédécesseur travaille toujours pour cette compagnie mais il a accepté une mission spéciale; il est un peu comme un sénateur, si vous voulez. Il est paradoxal de savoir qu'il se trouve en ce moment à Ottawa pour une semaine. Il est contrarié de ne pouvoir assister à vos audiences.
J'aimerais dire quelques mots de mes antécédents avant de commencer mon exposé. Je suis ingénieur forestier depuis environ 30 ans, et j'ai travaillé pendant toute cette période dans la forêt boréale, de Terre-Neuve, à Québec et en Ontario, quelque temps en Colombie-Britannique dans une forêt de nature différente, et de nouveau, dans la région. Je suis fier du travail qu'effectue le groupe des terres boisées de Repap sur les terres pour lesquelles l'entreprise possède un permis d'exploitation.
Je vais accompagner mes remarques d'une projection de diapositives. Repap New Brunswick est un des principaux producteurs de couché d'édition léger en Amérique du Nord. Nous fournissons les éditeurs de publications comme Time et Reader's Digest. Quatre-vingt pour cent de notre production est exportée aux États-Unis. Repap emploie directement plus de 3 200 personnes: 1 400 dans nos usines et bureaux, 800 à l'exploitation des terres de la Couronne et environ 1 200 propriétaires de boisés privés qui nous fournissent 30 p. 100 de notre approvisionnement annuel. Repap est une entreprise de pâtes et papiers canadienne à très forte valeur ajoutée et elle assure la création d'une très forte proportion d'emplois par mètre cube de bois coupé.
Permettez-moi de vous dire, messieurs les sénateurs, que vous connaissez bien la situation au Nouveau-Brunswick. Les questions que vous avez posées hier soir indiquent clairement que vous vous êtes bien préparés et je vous en félicite.
La forêt recouvre 88 p. 100 de la superficie du Nouveau- Brunswick. L'industrie forestière représente 40 p. 100 de notre économie. Notre histoire et notre mode de vie sont étroitement liés à la forêt.
Pour les habitants du Nouveau-Brunswick, les loisirs sont aussi importants que le travail. Repap administre près de 25 p. 100 de toutes les terres de la Couronne du Nouveau-Brunswick, comme la carte l'indique. La Loi sur les terres et forêts de la Couronne régit toutes les activités, tant publiques qu'industrielles, exercées dans les forêts de la Couronne. Nous considérons que c'est la meilleure loi du genre pour ce qui est des terres publiques en Amérique du Nord. Elle est axée sur la consultation de la population et l'aménagement forestier polyvalent. L'élément essentiel est l'aménagement polyvalent de la forêt.
Je vais faire une autre parenthèse. Cela fait pas mal d'années que je fais des allers et retours entre le Nouveau-Brunswick et les autres régions du Canada. On pense généralement que c'est en Ontario et dans la partie centrale du Canada qu'on fait le mieux les choses mais c'est absolument faux lorsqu'il s'agit de l'exploitation de la forêt. La plupart des innovations et des styles de gestion que l'on retrouve dans les différentes régions de notre pays, et dans d'autres pays, ont pris naissance au Nouveau- Brunswick. Ce n'est pas seulement parce que je suis natif du Nouveau-Brunswick que je le dis; je crois que la plupart des spécialistes seraient d'accord avec cette affirmation.
Au Nouveau-Brunswick, la sylviculture moderne est axée sur le développement durable des forêts, la préservation des écosystèmes et sur la certification des systèmes et des pratiques d'exploitation forestière. Mon prédécesseur en a long à dire lorsqu'il parle de l'ancienne sylviculture et de la sylviculture moderne. Pour lui, l'ancienne sylviculture se résumait à la coupe de bois, aux incendies, au flottage des billes et le reste. La sylviculture moderne est beaucoup plus complexe.
La gestion des forêts au Nouveau-Brunswick est axée sur la protection de l'intérêt général; elle englobe la végétation, la faune, les activités économiques, les oiseaux et les loisirs. Repap entretient 700 kilomètres de route d'accès aux terres de la Couronne. Le public est invité à utiliser ces routes bien entretenues. Ce sont des équipes de Repap qui construisent ces routes en utilisant l'équipement de cette société. La diapositive que vous regardez en ce moment montre une route secondaire. Voilà un exemple du travail qu'accomplissent ces équipes, travail dont nous sommes fiers.
Nous avons parlé des valeurs qu'il fallait protéger. Nous pensons qu'il n'y a pas un autre pays au monde où la qualité de l'eau et l'habitat du poisson sont mieux protégés qu'au Nouveau-Brunswick. Les règles applicables aux activités exercées sur les terres de la Couronne en sont responsables. Cette diapositive montre la façon dont travaillent nos équipes de voirie. Bien sûr, comme vous le savez tous, la Miramichi est mondialement connue pour la pêche au saumon. La protection de l'habitat est essentielle à la conservation de l'espèce. Nous travaillons en collaboration très étroite avec de nombreux groupes de protection du saumon.
Une de nos préoccupations permanentes est d'éviter que le sable et les boues ne polluent les aires de ponte du saumon, de la truite et des autres espèces aquatiques. La planification est le point fort de l'exploitation forestière au Nouveau-Brunswick. Nous disposons de données très détaillées sur nos forêts, sur nos arbres, et aussi sur l'habitat faunique. Cette diapositive montre la forêt provinciale. Nous avons pris grand soin d'en montrer les différentes composantes. Disons qu'il existe un million de peuplements forestiers. Pour les fins qui nous intéressent ici, on a isolé sur cette diapositive un peuplement. Il y a des gens qui penseraient que ces activités forestières s'exercent un peu au hasard mais c'est loin d'être le cas dans toute la forêt boréale.
Il y a d'autres aspects dont la protection est prioritaire, l'habitat hivernal du chevreuil, par exemple. Je crois que cette question a été déjà soulevée au cours de vos audiences.
Repap exploite environ 1,5 p. 100 de sa forêt chaque année. Nous pratiquons la coupe à blanc dans les peuplements équiennes de résineux. C'est la seule façon d'éviter que le vent couche les arbres dans ces peuplements trop adultes. La coupe à blanc n'est pas un phénomène passager; elle continuera à être pratiquée. Nous essayons toutefois de n'utiliser la coupe à blanc que pour les peuplements adultes et les retours. Bien sûr, la coupe à blanc est obligatoire si l'on prend du retard.
Nous pratiquons la coupe sélective dans les peuplements stables de bois dur et de résineux. Sur cette diapositive, vous voyez une zone tampon très saine le long d'un cours d'eau important. On laisse des arbres des deux côtés de tous les cours d'eau pour protéger les cours d'eau et préserver un passage pour les animaux. Du côté droit de la diapositive, vous voyez un secteur un peu moins touffu, de couleur verte. C'est un secteur qui a probablement été coupé à blanc il y a environ une dizaine d'années.
Nous utilisons principalement des ébrancheuses-tronçonneuses. Les membres du comité ont eu l'occasion de voir une de ces machines hier, au cours de notre visite. Le modèle que nous avons examiné hier est un peu plus petit que celui-ci, parce qu'il se trouvait dans un peuplement d'abri. Il a été conçu pour cela.
Voici maintenant une ébrancheuse-tronçonneuse utilisée pour les gros arbres. Nous n'avons pas vu cette machine hier. Elle utilise les mêmes voies que l'ébrancheuse-tronçonneuse, elle ramasse les billes, les place sur la plate-forme et les transporte ensuite au chemin. En fait, dans la plupart des secteurs, cette machine charge directement les billes sur les camions pour éviter que le bois ne reste au bord de la route. De cette façon, le bois ne vieillit pas et ne se salit pas; il va directement à la scierie.
La machine que vous voyez en ce moment comporte une flèche très longue. Elle sert à effectuer des coupes sélectives dans la forêt en abîmant le moins possible les autres arbres.
La diapositive suivante montre à quoi ressemble la forêt après une coupe sélective, ce qui est semblable à ce que vous avez vu hier. Le but est d'attendre encore 15 à 20 ans avant de couper ces arbres, qui donneront alors des planches de qualité supérieure. Vous remarquerez que la plupart des arbres restants sont des épinettes ou des espèces à développement lent. Nous essayons de résoudre ainsi deux problèmes: premièrement, approvisionner les usines en bois à forte valeur et deuxièmement, conserver les arbres. Nous espérons, comme l'un de nos ingénieurs forestiers l'a expliqué hier, être ainsi en mesure de passer la période brève mais difficile pendant laquelle l'approvisionnement en bois va être très juste.
Chez Repap, nous pensons qu'aucun pays industrialisé au monde ne possède une diversité naturelle des espèces comparable à ce que l'on trouve au Nouveau-Brunswick. Quatre-vingt-dix pour cent de nos forêts sont le fruit d'événements naturels, incendies, insectes, maladies et vent. Après 200 ans d'exploitation intensive, notre forêt est constituée à 90 p. 100 par la repousse des espèces naturelles. Aucun pays industrialisé au monde ne peut se vanter de posséder une diversité naturelle de plus de 31 000 espèces.
Même après les coupes à blanc et les coupes sélectives, plus de 85 p. 100 de notre forêt est constituée par la repousse naturelle. Il existe très peu de secteurs où il faut faire du reboisement.
La diapositive suivante montre la forêt après une coupe, ce qui choque certaines personnes.
Vous voyez maintenant un secteur qui a été coupé il y a trois ans. On aperçoit déjà beaucoup de repousses.
Sur cette photo, les arbres ont été coupés il y a sept ans.
Vous voyez maintenant une forêt qui a été coupée il y a 12 ans environ. C'est le genre de forêt que nous avons vu hier, lorsqu'il a été décidé de couper certains arbres pour préparer le peuplement final.
Pour les ingénieurs forestiers, l'espacement idéal est de six par six. Souvenez-vous que les exploitants peuvent couper de sept à neuf, ou de sept à dix arbres par unité et ils font très attention.
Cette diapositive montre l'effet de l'éclaircissage. Les deux coupes les plus larges viennent d'arbres qui ont été éclaircis. Les deux autres, plus petites, proviennent d'arbres du même âge mais non éclaircis. Si vous étiez responsable d'un boisé ou de terres à bois, vous n'auriez aucun mal à choisir entre les deux. Ce sont là des principes de base.
Nous ne faisons pas beaucoup de reboisement parce que nous bénéficions d'une excellente repousse naturelle, ce qui ne nous empêche toutefois pas de planter près d'un million de jeunes plants par an. Je crois que notre ingénieur forestier en a parlé hier.
M. Steve Jones, chef forestier, Repap Inc.: Nous plantons 1,5 million de jeunes plants par an.
M. Prebble: Dans certains cas, nous replantons intégralement un secteur. Nous faisons aussi du reboisement intercalaire. Il y a parfois des vides et nous faisons du reboisement pour y remédier, pour compléter la forêt, en quelque sorte. Les gens de l'Ouest qui s'y connaissent un peu en agriculture savent de quoi je parle.
On voit sur cette diapositive quelques travailleurs, qui faisaient à ce moment du reboisement, je crois, mais je n'en suis pas certain. Il y en a qui font maintenant de l'excellent travail dans nos bureaux. Voici un reboisement. Ce n'est pas celui que nous avons vu hier, mais il est très semblable, on y a planté il y a 15 ans environ, du jackpine.
Vous avez visité notre Sheephouse. L'endroit que montre cette diapositive est situé un peu plus loin sur la même route. Cela nous aurait pris plus de temps pour y parvenir.
Les bûcherons et les travailleurs forestiers se préoccupent autant de l'environnement que le reste de la population. Nous en sommes fiers.
Nous réussissons à préserver les cours d'eau dans leur état naturel. On en voit un sur cette diapositive. Nous sommes amenés à collaborer avec tous les autres utilisateurs pour en arriver là.
Il est regrettable que vous ayez fait votre voyage au Nouveau-Brunswick un mois trop tard, autrement, vous auriez pu voir ce que montre la diapositive suivante, une vue particulièrement réussie de ce que l'on peut voir au Nouveau-Brunswick en automne. Ceux d'entre nous qui vivent ici voient souvent ce genre de chose à la fin du mois septembre et en octobre.
La tordeuse des bourgeons de l'épinette est un fléau qui menace constamment les résineux au Nouveau-Brunswick. Cette bestiole a causé de graves problèmes au Nouveau-Brunswick. Les spécialistes de l'entomologie forestière me disent que nous devons nous tenir constamment sur nos gardes. Il ne faut pas oublier que cet insecte va sans doute revenir.
Il y a aussi le fait qu'avec les résineux, les incendies de forêt sont un grave danger. Par contre, d'après ce que j'ai vu dans le nord de l'Ontario, je peux dire que nous avons la chance d'avoir des voies d'accès beaucoup plus nombreuses et des secteurs plus restreints. Habituellement, nos incendies ne sont pas aussi graves que ceux que connaît la région est des Prairies.
Petit fait historique, il y a eu un incendie dans la région de la Miramichi en automne 1825. Le feu a sauté la rivière par là, je crois, pas très loin et il y a eu 200 morts. J'espère que cela ne se reproduira jamais.
C'est finalement le DNRE qui est responsable des systèmes utilisés au Nouveau-Brunswick. Nous n'avons pas beaucoup de lacs ici et les bombardiers à eau ne sont pas très efficaces parce qu'ils ont besoin d'une grande étendue d'eau pour pouvoir faire le plein. Au Nouveau-Brunswick, nous utilisons des avions à base terrestre qui peuvent transporter une quantité d'eau assez impressionnante. On mélange à l'eau des produits ignifuges. Un volume d'eau plus faible peut être tout aussi efficace lorsqu'on y ajoute des produits chimiques et de la boue. Ce système est efficace, l'expérience l'a démontré.
Les avions que vous regardez peuvent rejoindre n'importe quelle partie des terres exploitées par la Repap en moins de 20 minutes. Là encore, l'élément essentiel en matière de lutte contre les incendies, c'est un système d'alerte et d'intervention rapides.
Nous avons parlé, il y a un instant, de la participation de la population. Nous avons choisi cette diapositive pour vous montrer que la population est régulièrement consultée pour ce qui est des activités forestières exercées sur les terres publiques au Nouveau-Brunswick. Nous organisons également des visites pour que le public sache exactement ce que nous faisons. En sept ou huit ans, ces visites ont attiré plus de 6 000 personnes sur les terres exploitées par la Repap. Nous accueillons régulièrement des groupes d'élèves avec leurs professeurs. Nous en profitons pour montrer aux jeunes les différents écosystèmes et les méthodes utilisées pour protéger la forêt.
Dans nos forêts, l'équipement appartient aux exploitants et aux entrepreneurs forestiers. Ces personnes investissent des sommes considérables pour travailler avec notre société dans la forêt.
Cette photo montre l'équilibre existant entre les activités de coupe et de production de bois et les activités de loisir.
Il me paraît important que nos équipes comprennent l'effet que peuvent avoir leurs activités sur les autres habitants de la forêt. Depuis sept ou huit ans, nous élevons des alevins de saumon. Dans un de nos camps forestiers, les travailleurs s'occupent de ces poissons et les nourrissent pendant l'été. On les a relâchés il y a deux ou trois semaines je crois. Nous démarrons avec 10 000 alevins chaque printemps, et c'est une méthode très naturelle. Nous nous servons d'un ruisseau très frais où l'eau s'écoule naturellement. Cela nous permet de mieux comprendre le cycle de vie d'un autre habitant de nos forêts, si l'on peut dire, le saumon de l'Atlantique.
Nous ne sommes pas les seuls à faire ce genre de chose. Je crois que l'association du saumon a obtenu la collaboration d'un certain nombre d'organismes qui font ce genre de chose, des associations de pêcheurs et des utilisateurs de la forêt.
Dans cette diapo, nous marquons chaque saumon avant de le relâcher. Pour votre information, nous faisons une petite entaille sur la nageoire dorsale de chaque saumon avant de le relâcher. De cette façon, lorsqu'un chercheur trouve un poisson qui porte cette marque, il sait que ce saumon a été élevé artificiellement. Malheureusement, le taux de succès de ce programme n'est pas très élevé. Moins de 1 p. 100 du poisson relâché revient dans la rivière. Cela est un peu décourageant. Les saumons ont peut-être du mal à éviter les phoques. Je n'en suis pas sûr. Nous savons par contre que l'habitat de la Miramichi est sain.
Le sénateur Robichaud: Non, ce sont les phoques.
M. Prebble: Nous participons à un autre projet de recherche qui nous intéresse beaucoup. Il s'agit de l'étude de l'effet à long terme des activités forestières et de la construction de routes sur l'habitat du poisson et la qualité de l'eau. Ce projet va porter sur une période de 15 ans. Nous serons appelés à intervenir dans ces secteurs aux fins de l'étude. Les petits carrés rouges que vous voyez sur la diapositive montrent les secteurs où nous allons couper du bois à intervalles convenus, après quoi les chercheurs pourront étudier l'effet de ces activités sur la température et sur la qualité de l'eau.
Voici un autre exemple des expériences que nous faisons pour suivre le déplacement du poisson dans les cours d'eau.
Plus de 70 p. 100 du bois de résineux est destiné aux scieries. Voici un chargement typique de billes de sciage. Le reste est utilisé pour la pâte et cela représente un chargement typique de bois à pâte. Je crois que nous avons vu un appareil de ce genre au cours de notre visite d'hier. Voici un dispositif qui rectifie les chargements. Les camions passent à travers cet appareil et les côtés de leur chargement ressemblent à un mur. La sécurité est une grande préoccupation pour nous.
Notre société produit du couché d'édition léger. C'est une de deux machines dont nous sommes très fiers. Ce sont pratiquement les machines les plus modernes et les plus rapides de toute l'Amérique du Nord.
J'aimerais dire quelques mots des problèmes que nous anticipons. Bien souvent, les groupes qui témoignent devant le comité sénatorial ont des comptes à régler. Ce n'est pas notre cas. Je tenais à vous dire que nous étions très fiers de ce que nous faisons. Nous ne pensons pas que nous nous y prenions mal et il faut que vous le compreniez. Nous sommes d'accord avec le groupe qui a parlé hier soir de la surexploitation de la forêt. On pouvait entendre de la frustration dans leur voix. Ces quatre personnes représentaient, je crois, les propriétaires de boisés à divers niveaux, jusqu'à la Fédération canadienne des propriétaires de boisés. On pouvait entendre de la frustration dans leurs voix lorsqu'ils décrivaient leur situation. On devrait pouvoir trouver une solution à tout cela. En tant que propriétaires fonciers nous-mêmes, nous ne pensons pas que la solution se trouve dans l'adoption de règlements par le gouvernement. Il faut tout de même faire quelque chose au sujet de cette question. Nous serions heureux de connaître vos idées là-dessus.
Nous partageons également les préoccupations qu'ont manifestées ces gens au sujet des activités de sylviculture exercées sur les terres privées. Nous pensons qu'il faut améliorer cela. Notre société a été la première au Nouveau-Brunswick à verser à l'association des propriétaires de boisés une prime basée sur le cubage que l'association devait remettre aux membres qui élaboraient un plan de gestion ou utilisaient de bonnes techniques de sylviculture dans leurs boisés. Nous appuyons vivement les programmes destinés aux boisés privés. Nous pensons que cet aspect soulève des problèmes qu'il faut régler.
J'aimerais également préciser un dernier point. Hier soir, un témoin a déclaré qu'à sa connaissance, les autochtones ne participaient pas à nos activités sur les terres que nous exploitons. Il se peut fort bien qu'ils ne soient pas au courant. Il faut par contre savoir que nous avons une équipe forestière uniquement composée d'autochtones. C'est un projet pilote mais il donne d'excellents résultats. Nous tentons également d'intégrer les autochtones aux activités de coupe. Nous pensons que cet aspect est appelé à se développer et nous y consacrons beaucoup d'efforts.
Je vous remercie de votre attention. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le sénateur Stratton: M. Steven Ginnish de la Première nation d'Eel Ground a beaucoup insisté sur le fait qu'à sa connaissance, aucun autochtone ne travaillait pour la Repap. Cela m'amène naturellement à vous poser la question suivante: Connaissez-vous le nombre des autochtones que la Repap emploie, soit directement, soit sur une base contractuelle?
M. Prebble: Nous employons un maximum de 250 à 300 travailleurs dans la sylviculture. Une équipe comprend habituellement 12 à 14 travailleurs, et vous en avez rencontré deux hier. L'équipe autochtone qui a été créée cet été comprend six personnes. Nous avons l'intention de faire passer ce nombre à 14 en 1999. Il nous a paru important que l'entrepreneur choisisse des candidats qui ont des chances de réussir dans ce genre de travail. Nous avons l'intention de porter ce chiffre à 14 l'année prochaine.
Pour ce qui est des activités de coupe, monsieur le sénateur, je ne peux pas vous donner de chiffres mais je dirais qu'il y a sans doute au moins 50 travailleurs autochtones qui coupent du bois à l'heure actuelle.
Le président: M. Ginnish a parlé d'une entente qu'aurait acceptée le prédécesseur de la Repap, suivant laquelle 4 p. 100 des travailleurs devaient être des autochtones. Êtes-vous au courant de cette entente?
M. Prebble: J'ai entendu ce commentaire effectivement. Peut-être que M. Jones peut en dire davantage.
M. Jones: Je ne suis absolument pas au courant de cette entente.
Le président: Que représente 4 p. 100? Vous avez 3 000 employés.
M. Prebble: Il y en a à peu près 1 400 à l'usine, et donc 4 p. 100 de ce chiffre représenterait 60 personnes.
Le sénateur Stratton: Je trouve cela très gênant. Pourquoi n'a-t-on pas agi plus tôt? Si on a pris des mesures, elles n'ont rien donné, apparemment. C'est la première question que j'aimerais poser.
Si vous faites passer de 6 à 14 le nombre des travailleurs dans cette équipe et si cela fonctionne bien, pensez-vous poursuivre l'expérience et constituer d'autres équipes?
M. Jones: Il nous est difficile de créer une équipe autochtone complète pour nos activités de sylviculture. Il faut tout d'abord savoir que chaque année, il y a une certaine quantité de travail à effectuer dans ce domaine. Au cours des 10 ou 15 dernières années, nous avons formé une main-d'oeuvre très fiable dans les collectivités locales. Ces équipes travaillent pour nous depuis 8 à 12 ans. Nous ne voulons pas les remplacer. Nous sommes obligés de protéger ces emplois. Ces équipes ont fait de l'excellent travail pour nous. Nous allons essayer d'intégrer la main-d'oeuvre autochtone mais je ne pense pas que nous puissions aller au-delà d'une équipe complète l'année prochaine, voire deux. C'est ce que nous pourrons probablement faire l'année prochaine.
Le sénateur Stratton: Combien avez-vous d'équipes de sylviculture, du genre que nous avons vu hier?
M. Jones: Il y a aujourd'hui à peu près 263 travailleurs qui font de la sylviculture. En divisant ce nombre par 12 ou 14, on a une bonne idée du nombre d'équipes que nous avons.
Le sénateur Stratton: Vingt.
M. Prebble: Je crois que l'on peut dire qu'il existe une volonté d'élargir les possibilités d'emploi offertes aux autochtones, qui possèdent la formation nécessaire. C'est la même chose dans les autres secteurs de la société. Il y a des bûcherons, des agriculteurs, des mineurs, des avocats et des médecins dans tous les secteurs de la société. Il y a un nombre limité d'autochtones qui veulent travailler dans la forêt.
Le sénateur Stratton: Je comprends cela.
M. Prebble: Nous espérons progresser dans cette direction à un rythme qui nous permettra d'aider ces personnes.
Le sénateur Stratton: C'est peut-être une question difficile mais je dois la poser. Vous avez déjà travaillé à Kenora en Ontario. Est-ce que la situation locale reflète celle de l'ensemble de l'industrie? Il y a une forte population autochtone dans la région de Kenora. Peut-on dire que toutes les sociétés forestières essaient d'intégrer les autochtones dans leurs équipes? Le danger est que, si ce n'est pas le cas, vous risquez d'être forcé de le faire. Qu'est-ce que vous préféreriez?
M. Prebble: Vous avez posé une question très intéressante. J'ai été confronté à des problèmes très comparables lorsque je travaillais à Kenora. Il y avait 23 collectivités autochtones sur les terres exploitées par les entreprises pour lesquelles je travaillais. La plupart de ces collectivités étaient isolées, ce qui n'est pas le cas des collectivités de la région de la Miramichi. À Kenora, les rares emplois existants étaient ceux que nous offrions dans la forêt. Au Nouveau-Brunswick, les collectivités ne sont pas aussi isolées et les autochtones ont donc accès à des possibilités d'emploi plus variées.
Pour répondre à votre question, oui, nous employions des autochtones à Kenora, dans la sylviculture, dans l'amélioration des peuplements, pour la destruction des castors, pour nommer quelques activités.
Là encore, cela dépend du rythme qu'ils peuvent soutenir. Quant à savoir si je préférerais faire des efforts dans ce domaine ou être obligé d'en faire, la réponse est évidente. C'est une réponse simple, vous le savez. Il faut que l'ensemble de la collectivité collabore à cet effort. Il est trop facile pour un député de dire que la solution, c'est l'exploitation forestière. Ce n'est pas si simple.
J'étais en déplacement l'autre jour et je me suis arrêté dans un Tim Horton. Il y avait trois employées derrière le comptoir. L'une d'entre elles était autochtone. Elle m'a donné un service de première classe. Il me semble que le reste de la collectivité n'a pas encore compris la situation et n'a pas fait suffisamment d'efforts dans ce domaine.
Le sénateur Stratton: À Winnipeg, ce problème est très grave. Il y a beaucoup de gens qui se demandent comment l'on pourrait le résoudre. La situation est très préoccupante. Merci, monsieur Prebble.
Le sénateur Robichaud: Permettez-moi de continuer sur ce sujet. Il faut que les collectivités autochtones assument également leurs responsabilités, tout comme le secteur forestier, pour ce qui est de donner du travail à ceux qui possèdent les compétences nécessaires. C'est une question d'expérience. On ne vous embauche pas parce que vous n'avez pas d'expérience mais si on ne vous embauche pas, vous n'aurez jamais l'expérience nécessaire. C'est un cercle vicieux.
J'ai été très heureux d'apprendre que la Repap avait une équipe autochtone, équipe que vous avez l'intention de renforcer, et que vous envisagez d'en créer une seconde, lorsque le besoin s'en fera sentir. Je serais très heureux que cela se fasse. C'est au moins un pas dans la bonne direction. Je ne pense pas que cela soit suffisant mais vous ne pouvez étendre ces mesures que si les besoins augmentent. On nous a dit hier soir qu'il y avait des travailleurs qui possédaient la formation voulue et qui étaient prêts à travailler. Ils ont besoin qu'on leur donne cette possibilité. Je crois que vous seriez très bien placé pour le faire.
Je tiens à vous remercier pour la visite que vous avez organisée hier, monsieur Jones. Nous avons vu beaucoup de choses concernant les différentes étapes de la production, depuis les jeunes plants jusqu'à la coupe de bois. Hier et aujourd'hui, il y a des gens qui ont déclaré que l'on ne faisait pas suffisamment dans ce domaine. Ils affirmaient que les mesures prises pour préserver l'habitat et pour protéger la biodiversité dans la forêt étaient insuffisantes et que l'on ne faisait pas suffisamment d'efforts dans ce domaine. Est-ce que la position de votre société a changé au sujet de la biodiversité depuis dix ans? Êtes-vous davantage sensibilisé à ce que votre société doit faire pour l'environnement?
M. Ian Prior, planificateur forestier, Repap Inc.: Cela ne fait pas très longtemps que je travaille pour la société mais dans l'ensemble, personne ne sait vraiment ce que recouvre exactement la notion de biodiversité et comment l'on peut mettre en place des stratégies pour préserver ou renforcer cette biodiversité. Nous changeons certaines choses et cela se fait progressivement. Les méthodes de gestion évoluent au Nouveau-Brunswick. Nous apportons des changements tous les cinq ans pour favoriser davantage la biodiversité. C'est un processus continu. La situation s'améliorera lorsque les chercheurs sauront mieux comment les gestionnaires de la forêt comme nous peuvent agir sur des questions comme la biodiversité.
Le sénateur Robichaud: Votre entreprise est-elle très active dans le domaine de la recherche?
M. Prior: Nous finançons à l'heure actuelle un étudiant de deuxième cycle de l'UNB. Je ne sais pas très bien s'il y a d'autres programmes.
M. Prebble: Nous collaborons également avec Habitat faunique Canada. Nous faisons partie d'un groupe de six entreprises forestières dans six régions différentes du pays qui travaillent dans ce domaine. C'est un organisme non gouvernemental, même s'il a son siège à Ottawa, pour lequel travaillent des spécialistes de ce domaine, des biologistes notamment. C'est une initiative qui est en cours. Nous sommes une de ces six régions d'essai, si l'on peut les appeler comme cela, au Canada.
M. Jones: On a beaucoup parlé ce matin de reboisement et de monoculture. Si vous avez vu la diapositive que M. Spinney a montrée ce matin, vous savez qu'à l'heure actuelle au Nouveau-Brunswick, il n'y a que 4 000 hectares de terres de la Couronne qui sont intégralement reboisés chaque année. Autrement dit, on reboise ces terres avec une seule espèce, c'est donc de la monoculture. Sur les 45 000 hectares restants, on fait du reboisement intercalaire, c'est-à-dire que l'on regarnit les vides avec de jeunes plants, on nettoie les arbres qui poussent naturellement et l'on espace ensuite les peuplements naturels. Cela est très différent de ce que l'on faisait auparavant. Il y a 10 ou 12 ans, 70 p. 100 environ des terres de la Couronne étaient reboisées intégralement et dans le reste, soit 25 ou 30 p. 100, on espaçait les peuplements naturels. Nos techniques de sylviculture ont complètement changé. Nous essayons, je crois, de renforcer la biodiversité en conservant les arbres qui poussent naturellement et en les laissant croître jusqu'à ce qu'ils soient exploitables. Ce n'est qu'un exemple.
Le président: Qui paie pour les bombardiers à eau? Est-ce que cela vient des frais généraux du gouvernement ou est-ce qu'il vous facture ces services?
M. Jones: La lutte contre les incendies de forêt, et tout le dispositif nécessaire pour assurer cette protection, y compris le parc aérien, est une dépense provinciale.
Le président: Le gouvernement ne vous facture pas.
M. Jones: Nous ne sommes pas facturés directement, non.
Le président: J'ai une autre question qui concerne les sous-traitants. La loi vous oblige à approvisionner les petites usines de votre secteur. Est-ce que leur nombre augmente, demeure stable ou diminue?
M. Jones: À l'échelle de la province, je dirais que ce nombre est probablement stable. Certaines scieries ont cessé leurs activités mais d'autres sont apparues. Je ne pense pas que le nombre des sous-traitants ait sensiblement changé depuis dix ans. Je pourrais me renseigner et vous fournir les nombres exacts.
M. Prebble: Le cubage qui leur est destiné a augmenté.
M. Jones: C'est exact; le cubage destiné aux sous-traitants a augmenté par rapport à ce qu'il était il y a 10 ou 12 ans. Autrement dit, les titulaires de permis reçoivent moins de bois alors que les sous-traitants en reçoivent davantage.
Le président: Si cette tendance se poursuivait, serait-il possible que dans dix ans votre nom soit encore là mais que vous fassiez uniquement de la coupe de bois pour approvisionner les autres?
M. Jones: Nous essayons de défendre notre position.
Le président: Négociez-vous tous les ans ou tous les cinq ans?
M. Prebble: Je crois que c'est tous les cinq ans. Notre société possède également des scieries. Ce secteur est un peu l'équivalent de celui des sous-traitants. Nous pensons qu'il est rentable de poursuivre nos activités dans ce secteur et de les développer. Je dirais qu'environ 70 p. 100 du bois va maintenant aux scieries et que le reste va aux usines de pâtes. C'est sans doute un renversement complet par rapport à ce qui se passait il y a 10 ans, ou du moins il y a 12 ou 14 ans. C'est pour la valeur ajoutée. Le bois d'oeuvre est rentable, au moins à certaines époques de l'année, et il le sera pendant plusieurs années encore.
Le président: Dans certaines régions du Canada, les petits exploitants craignent d'être éliminés par les titulaires de permis. Votre système paraît très intéressant. Je crois que c'est la seule province où les titulaires de permis sont obligés d'approvisionner les petites scieries. Nous aurions peut-être dû essayer de rencontrer des représentants des scieries pour voir s'ils sont aussi satisfaits que vous le dites. Je suis curieux de savoir comment ce système est en train d'évoluer. Il me semble qu'avec un tel système, les scieries voudraient davantage de bois et que cela pourrait vous causer un problème.
M. Prebble: C'est un problème pour nous et un problème pour le gouvernement. Vous avez mentionné là un problème assez complexe.
Le sénateur Stratton: J'ai trouvé intéressant d'entendre ce qui se disait au sujet de l'office de commercialisation. L'idée à la base des offices de commercialisation ne semble pas s'appliquer ici. Comme vous l'avez entendu hier soir, les représentants de cet organisme se plaignaient de ne pas pouvoir négocier les prix avec vous. Ils ont dit qu'ils faisaient acte de présence et que c'était vous qui fixiez les prix. Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Prebble: J'aimerais que cela se passe de cette façon. J'ai vérifié l'évolution du prix du bois à pâte entre 1990 et aujourd'hui. On nous accusait de ne pas avoir ramené les prix au niveau où ils se trouvaient avant cette réduction. Je peux vous dire que cela n'est pas vrai. Les prix ont augmenté de façon raisonnable au cours de cette période. Vous avez entendu Allan Clark, de la fédération du Nouveau-Brunswick, déclarer qu'il était même disposé à renoncer à l'avantage que représentait le fait que le titulaire de permis soit obligé de négocier avec l'office pour pouvoir exploiter les terres de la Couronne. Il a déclaré cela officiellement et je le reconnais, mais en réalité, notre entreprise, comme la plupart des titulaires de permis, ne peut survivre si elle n'a pas établi de bonnes relations de travail avec les offices de commercialisation. Nous n'avons aucune intention de nuire à ces relations. Nous tenons à travailler avec ces offices. La surexploitation nous préoccupe. Les pratiques sylvicoles également. Nous avons de bonnes relations avec eux et j'espère que les deux côtés les considèrent nécessaires.
Le sénateur Stratton: Ils voulaient instaurer la vente à guichet unique et étaient prêts à renoncer à cela pour obtenir ce guichet unique. C'était un peu le compromis proposé. Que pensez-vous de la vente à guichet unique?
M. Prebble: Si j'ai bien compris cette notion, je dirais que notre entreprise et les offices de commercialisation sont des guichets uniques. Cela n'est pas vrai pour toutes les entreprises et peut-être même pour tous les offices de commercialisation mais nous l'acceptons.
Le sénateur Stratton: Vous fonctionnez selon ce principe.
M. Prebble: Oui.
Le sénateur Stratton: Merci beaucoup.
Le sénateur Robichaud: Le bois que les propriétaires de boisés privés vendent à votre entreprise passe par l'office de commercialisation.
M. Prebble: C'est exact. Il y a, je crois, certains contrats mais cela passe quand même par l'office pour ce qui est de notre société et de ces entrepreneurs.
Le sénateur Robichaud: Vouliez-vous ajouter quelque chose, monsieur Jones?
M. Jones: Ce que M. Prebble a dit est exact. Nous avons conclu ce que nous appelons des sous-contrats avec deux offices avec lesquels nous traitons; il y a cinq ou six entrepreneurs qui font directement affaire avec nous. Il y a une entente là-dessus. Les deux offices considèrent que cette pratique est acceptable. Ils savent exactement ce que nous faisons. Cela dure depuis 15 ans. Nous traitons directement avec les offices de commercialisation pour tous nos achats de bois provenant des boisés privés. Nous avons cinq fournisseurs.
Le sénateur Robichaud: Si l'on devait faire quelque chose pour les exploitants de scierie ou les gros entrepreneurs, cela ne serait pas le cas parce que vous transigez uniquement avec l'office. Peut-on évaluer la quantité de bois en provenance des boisés privés qui ne passe pas par les offices de commercialisation?
M. Prebble: Si l'on veut faire quelque chose pour lutter contre la surexploitation, il me paraît très important de savoir combien l'on coupe de bois.
Le sénateur Robichaud: Ces données existent mais personne n'a tenté de les réunir.
Le sénateur Stratton: Je crois qu'on ne le sait pas. Il est impossible de le savoir.
Le sénateur Robichaud: Pas dans leur cas, mais les autres exploitants s'approvisionnent chez eux. Ce bois ne disparaît pas. Lorsqu'il est coupé, il faut le transformer.
M. Jones: Le véritable problème vient du fait que le bois est expédié à l'extérieur de la province, des quantités importantes, et cela est difficile à retracer.
Le sénateur Robichaud: Qu'entendez-vous par quantité importante?
M. Jones: Probablement entre 300 et 500 000 mètres cubes par an.
Le sénateur Robichaud: Est-ce que cela touche uniquement les régions frontalières ou est-ce que ce bois vient de loin? Il ne devrait pas y avoir beaucoup de bois provenant de ce secteur.
M. Jones: Je crois qu'on livre à une scierie américaine du bois coupé dans ce secteur mais je ne sais pas en quelle quantité.
Le sénateur Robichaud: Je n'aurais jamais pensé qu'il y en avait autant.
Le sénateur Stratton: Cela se fait aussi en Alberta. On expédie tout simplement les produits en Colombie-Britannique.
Le président: C'est ce que j'essayais de dire hier soir au sujet de la mission des offices de commercialisation; il est toujours possible de les éviter en exportant les produits. C'est un problème.
J'aimerais revenir sur le sujet des incendies de forêt. Il y a beaucoup de gens qui disent que les incendies sont très utiles parce qu'ils permettent à la forêt de se renouveler. Je crois même que, dans certaines régions, on utilise les feux de forêt dans ce but. Vous arrive-t-il de laisser un incendie se propager sur vos terres ou est-ce que vous essayez toujours de l'éteindre?
M. Jones: Non, nous essayons toujours de l'éteindre.
Le président: Merci beaucoup d'être venu.
Le témoin suivant est M. Kevin Augustine de la Première nation de Big Cove. Où se trouve Big Cove, monsieur Augustine?
M. Kevin Augustine, conseiller forestier, Première nation de Big Cove: Sur le Richibucto.
Le président: Cela se trouve dans la région d'où vient le sénateur Robichaud, un peu au sud d'ici. Vous avez la parole.
M. Augustine: Je suis membre du conseil de Big Cove et je fais partie du conseil d'administration du Conseil de district de Mawiw qui représente la plus grande partie de la population autochtone du Nouveau-Brunswick. Je suis également un des cofondateurs de la Micmac-Maliseet Forestry Association of Nouveau-Brunswick et je fais partie du conseil d'administration de la Native Aboriginal Forestry Association.
Je viens d'une collectivité où le taux de chômage est d'environ 90 p. 100. Notre collectivité a le plus fort taux de suicide au Canada. Le jugement rendu dans l'affaire Peter Paul l'hiver dernier a été une bénédiction, parce qu'aujourd'hui il y a davantage de jeunes qui abandonnent l'aide sociale et qui vont travailler dans la forêt. Cela faisait des années que les gens n'avaient pas eu un aussi beau Noël.
Néanmoins, comme dans n'importe quelle collectivité, il y a des gens qui n'acceptent pas les règles ni les règlements. La Micmac-Maliseet Forestry Association a tenté d'élaborer des plans de gestion pour toutes les collectivités autochtones. Nous pensions, tout comme Steve Ginnish à l'époque, que les peuples autochtones du Nouveau-Brunswick obtiendraient éventuellement un droit de propriété sur leurs terres traditionnelles au Nouveau-Brunswick. Nous sommes partis du principe que le droit inhérent s'accompagne d'une responsabilité inhérente, et nous avons donc pris contact avec le Grand Conseil des Micmacs et le Grand Conseil des Malecite pour leur demander la permission de commencer à préparer ces plans de gestion pour les autochtones.
Les grands chefs de ces deux nations nous ont répondu que, pourvu que cela ne nuise pas aux futures générations de nos peuples et aux futures générations d'animaux, ils nous donnaient la permission d'aller de l'avant avec leur bénédiction.
Nous avons donc élaboré des plans de gestion pour nos collectivités. Steve a élaboré un plan pour Eel Ground et j'en ai commencé un pour Big Cove. Lorsque la décision Peter Paul a été annoncée, cela a tout bouleversé et depuis, nous essayons de garder la tête froide dans tout ce chaos. Nous avions du mal à motiver nos gens à travailler mais la décision a redonné le moral à nos gens qui ont commencé à travailler dans la forêt. En fait, nous avons même commencé à leur donner une formation en techniques sylvicoles et en exploitation forestière.
L'annulation de la décision a bien sûr déçu la plupart des bandes autochtones de la région de l'Atlantique, pas seulement celles du Nouveau-Brunswick, mais elles avaient déjà goûté à une vie meilleure que celle qu'elles connaissaient sur les réserves. Tobique, qui fait également partie du Conseil de district de Mawiw, a été une des premières bandes à conclure une entente avec la province parce que les membres de cette bande disaient qu'il s'agissait en fait d'une entente sur l'accès aux ressources et non pas sur la propriété des terres.
Big Cove est cependant une des collectivités qui se refuse à conclure une entente avec la province pour le motif que la province ne possède aucun pouvoir à l'égard des peuples micmacs de la province. Ce sont des gens de Big Cove qui ont participé aux affrontements avec la GRC, Irving et Repap.
Il y a des gens qui ont commencé à négocier non seulement avec la province mais aussi avec l'industrie parce que nous avons constaté que la population générale de la province n'augmentait plus. En fait, elle diminue. Par contre, le nombre des autochtones du Nouveau-Brunswick va doubler d'ici l'année 2003. Cinq ou six ans plus tard, il va encore doubler. Le gouvernement fédéral a compris qu'avec une telle croissance, il va être très difficile de maintenir ne serait-ce qu'un minimum d'ordre dans les réserves.
Nous nous sommes réunis avec des fonctionnaires provinciaux et fédéraux pour essayer d'élaborer un projet qui remettrait nos gens au travail et réduirait ainsi leur dépendance vis-à-vis de l'aide sociale et des autres prestations. Nous avons constaté que nous pourrions peut-être renverser cette tendance grâce à l'industrie forestière. La pêche est également un autre secteur très prometteur. Nous avons dit à l'époque au gouvernement fédéral qu'avec 113 millions de dollars, nous pourrions peut-être créer 5 000 emplois pour les autochtones de la région. Ce projet prévoyait également l'installation d'une scierie dans la collectivité de Big Cove et d'une seconde, dans la région Tobique de Malecite.
La scierie n'était pas un aspect essentiel de ce projet. Nous voulions simplement montrer à la population que si les gens voulaient travailler dans la foresterie, les collectivités pourraient diversifier leurs activités et fabriquer des produits à valeur ajoutée comme des fenêtres et des meubles, par exemple. Nous avons également proposé de créer un fonds de fiducie pour donner à nos membres la possibilité de lancer d'autres projets commerciaux, dans la pêche, la transformation du bois, et cetera.
L'industrie non autochtone craignait principalement l'effet que pourrait avoir cette initiative sur leurs marchés. Nous leur avons dit que l'on pourrait peut-être s'entendre pour que les autochtones utilisent le bois d'oeuvre produit par leur nouvelle scierie pour construire les logements dont ils avaient besoin et ne vendent pas ce bois aux non-autochtones. À elle seule, la Première nation de Big Cove a besoin d'environ 300 maisons. Il y a également un gros besoin de logements sur les réserves Tobique, qui font également partie de Mawiw, plus précisément, à Burnt Church et à Tobique. Ces besoins touchent un groupe de personnes où les autochtones représentent 65 p. 100. Nous avons besoin de 600 à 700 maisons.
Nous avons proposé aux exploitants forestiers de ces collectivités de nous vendre leur bois et que ce serait les collectivités elles-mêmes qui élaboreraient des plans de gestion. Nous avons également proposé à d'autres collectivités de commencer à mettre au point des produits à valeur ajoutée comme les fenêtres. D'ailleurs, Big Cove a une entreprise de meubles qui avait été abandonnée mais qui est en train de redémarrer maintenant.
Jusqu'ici, nous progressons comme prévu. Nous sommes encore en pourparlers avec les provinces et avec le gouvernement fédéral. Après le premier projet quinquennal, nous espérons pénétrer d'autres marchés en utilisant des voies autochtones. Nous faisons partie d'un réseau antérieur à la Confédération qui comprend une bonne partie de la côte Est, et les États américains de cette région aussi. Nous sommes alliés avec les Mohawks et avec d'autres groupes. Ces nations, c'est ainsi que nous les considérions auparavant, ont également grand besoin de logements, elles connaissent d'autres problèmes. Nous avons donc décidé de rouvrir les anciennes routes commerciales qui ont été abolies par d'autres gouvernements.
Nous avons rencontré des représentants du gouvernement provincial et nous leur avons dit que nous voulions entamer des négociations. Nos membres ne sont pas prêts à accepter un quinzième de 5 p. 100 de l'ensemble des activités forestières parce que cela ne répond pas à nos besoins. Nous voulons être en mesure de créer des emplois pour notre peuple et de réduire de 15 p. 100 notre taux de chômage. Notre taux de chômage est largement supérieur à celui des non-autochtones qui vivent à proximité de nos collectivités. Nous voulons générer des revenus pour que nos membres n'aient plus besoin des prestations d'aide sociale.
Un autre aspect de notre plan consistait à mettre sur pied un gouvernement autochtone pour notre peuple. Ce gouvernement doit notamment s'intéresser à deux domaines, les terres et l'économie. Ces deux aspects ne sont pas toujours faciles à harmoniser. Dans toutes ces discussions, les gouvernements des différents paliers utilisent l'expression «la rentabilité et la durabilité économiques».
Nous avons également veillé à sceller des alliances avec des groupes écologiques. En fait, nous avons eu plusieurs réunions avec eux. Ils s'intéressent principalement aux questions liées à l'accès et à l'exploitation des ressources.
Nous estimons pouvoir être en mesure de réaliser l'essentiel de ces plans avec la Loi provinciale actuelle sur les terres et forêts de la Couronne. Nos membres s'opposent toutefois vivement à être assujettis à la Loi actuelle sur les terres et les forêts de la Couronne parce que cette loi accorde à un autre gouvernement des pouvoirs sur leurs propres gouvernements. Voilà quelle est la situation actuelle au Nouveau-Brunswick.
Les principales réserves ont déclaré accepter un plan de gestion qui s'inspirerait de la Loi provinciale sur les terres et forêts de la Couronne, ou selon d'autres plans élaborés par la province mais les représentants de ces groupes tiennent à administrer eux-mêmes ces plans pour le compte de leurs membres.
Il y a des organismes et des gens qui disent que nous devrions tout simplement accepter ce que proposent les gouvernements et mettre en oeuvre tout cela. Dans un premier temps, je serais tout à fait d'accord avec eux. Lorsque nous avons demandé au Grand Conseil et aux grands chefs leur avis sur ce sujet, ils nous ont dit que, quand les autochtones auraient un taux de chômage de 14 p. 100 et un taux de suicide comparable à celui des non-autochtones, il serait alors temps de discuter avec eux, sur un pied d'égalité, du contenu de ces ententes.
On nous a une fois de plus demandé d'élaborer un autre plan qui toucherait non seulement les besoins économiques de nos membres mais également leurs besoins sociaux. Nous avons repris le projet initial mais nous l'avons présenté non seulement aux gouvernements mais également aux électeurs. Nous avons essayé de convaincre la population qu'il serait économiquement rentable pour tout le monde de nous laisser créer nos propres sociétés de pêche, nos compagnies forestières et nos scieries.
Nous avons rencontré des Acadiens et des organismes comme les Quakers et nous leur avons dit que, s'ils ne nous aidaient pas à sortir de notre dépendance vis-à-vis de l'aide sociale, ce serait les contribuables qui seraient obligés de subvenir à nos besoins. Nous leur avons dit que, si l'on nous aidait à mettre en oeuvre ces projets, nous accepterions la plupart des recommandations qui ont été faites. Nous leur avons assuré que nous étions prêts à respecter la plupart des ententes signées par le Canada en vertu de la Convention de Rio sur la biodiversité. Nous avons également mentionné le fait que le nombre des autochtones allait doubler d'ici 2003 et doublerait encore cinq ou six ans après.
Ces organismes ont reconnu que nos projets étaient réalistes sur le plan économique, en particulier au Nouveau-Brunswick où la plupart de nos membres vivent de l'aide sociale.
Nous avons dit aux Acadiens, les non-autochtones de la région la plus pauvre du Canada, que, s'ils nous appuyaient, nous leur offririons du travail. De cette façon, ces ressources ne seraient pas exportées ou expédiées dans d'autres régions.
Nous avons embauché un bon nombre de ces non-autochtones et nous les avons traités de façon équitable. Nous leur avons offert le même salaire que celui que nous payons à nos membres. Lorsque ces personnes travaillaient pour les grandes compagnies, on les payait sous la table. Elles réagissaient au fait qu'on leur offrait moins que la moitié du salaire normal. Leur principale critique est que l'on utilisait pour couper le bois des machines qui faisaient le travail de cinq, six voire dix hommes. Il y a eu ensuite les confrontations avec la GRC et Irving. Il y a eu les engagements de ne pas troubler l'ordre public que nous avons dû prendre à l'égard de la Repap.
Nous avons dû convaincre nos alliés d'accepter notre façon de voir les choses. Nous avons commencé à parler non seulement aux Micmacs du Nouveau-Brunswick mais également aux Micmacs de la région de l'Atlantique et de certaines parties de la Nouvelle-Angleterre. Nous avons dit à ces Micmacs qu'ils constituaient une nation et que, s'ils voulaient vraiment s'affranchir de la domination provinciale, il faudrait qu'ils commencent à agir comme une nation, c'est-à-dire négocier non pas avec les fonctionnaires provinciaux mais avec le gouvernement de la province, avec les représentants des gouvernements fédéraux, les gouvernements régionaux et la haute direction des compagnies. Voilà où nous en sommes aujourd'hui.
Je pourrais continuer mais j'ai laissé la plupart de mes notes au copain qui devait m'accompagner aujourd'hui.
Le président: Votre copain est peut-être en train de donner un discours quelque part, avec vos notes.
Le sénateur Stratton: Je viens du Manitoba. Cette province a une population d'un million et la ville de Winnipeg a 650 000 habitants, un nombre important. Dans cette province, la plupart des réserves sont très isolées. Les taux de chômage dans les réserves sont très élevés, comme c'est le cas dans votre région. Il y a peu d'activités économiques. Lorsqu'ils développent des activités économiques, il y a le problème du transport. Ils ont essayé la pêche mais cela coûtait trop cher d'expédier le poisson.
Les personnes qui vivent dans ces réserves isolées déménagent à Winnipeg parce qu'elles trouvent que c'est un endroit merveilleux où il y a la télévision par satellite et tout ce qu'offre une grande ville. Malheureusement, la plupart d'entre eux n'ont pas terminé leurs études secondaires. Le secteur des affaires de Winnipeg, les organismes sociaux et les citoyens sont très sensibilisés à ce problème grave, qui ne fait que croître.
Le Manitoba a une population autochtone qui croît très rapidement. Je considère toujours qu'il est essentiel de s'instruire. Lorsque j'étais enfant, en particulier après le lancement du Sputnik, on m'a dit et répété qu'il fallait aller à l'école. Je n'avais pas le choix, il fallait que j'aille à l'école et gare à moi, si je n'y allais pas. Chez nous, la règle était que si on n'allait pas à l'école, on nous mettait à la porte. Il fallait se débrouiller seul et trouver du travail.
Que faites-vous donc pour assurer aux autochtones une éducation secondaire et un accès aux possibilités d'emploi? Je crois que c'est un stigmate qui vous marque et excusez-moi, si je suis trop direct à ce sujet. Les petites entreprises sont prêtes à faire quelque chose mais cela leur est impossible parce que les gens n'ont pas les connaissances essentielles que l'on acquiert à l'école secondaire. Mes frères et moi possédons une petite compagnie d'aviation et nous avons connu ce problème.
Que faites-vous et que font les gens de votre communauté pour que les jeunes fréquentes l'école secondaire?
M. Augustine: Comme je l'ai dit, je suis un des conseillers de Big Cove et j'ai de la chance parce que mes deux parents sont instruits, comme le reste de ma famille, d'ailleurs. Mon père a été conseiller à Big Cove pendant plus de 20 ans et il a beaucoup fait pour instruire les gens.
Il n'y a même pas un mois de cela, nous avons rencontré des spécialistes de Big Cove et nous leur avons parlé de notre vision. Nous voulons établir une base économique durable pour Big Cove. Nous voulons que nos gens reçoivent une formation dans ces domaines.
Nous avons un fort taux d'enfants à risque. Cette situation a fait l'objet d'une étude qui va être publiée bientôt par le gouvernement fédéral. La proportion d'enfants à risque est élevée dans les collectivités autochtones à cause, par exemple, du syndrome d'alcoolisme foetal. Il a fallu mettre à niveau des gens qui n'avaient jamais été à l'école. Nous nous sommes principalement occupés des jeunes enfants qui sont en âge d'être formés.
Le sénateur Stratton: Ce sont ceux-là qui m'inquiètent.
M. Augustine: Nous n'avons pas suffisamment de fonds ni de base économique. Jusqu'ici, Big Cove a accumulé un déficit de près de 5 millions de dollars. Ce n'est pas énorme en théorie parce que Big Cove a un budget de fonctionnement de 20 à 21 millions de dollars. Nous avons utilisé ce déficit pour investir dans notre avenir.
Nous avons embauché un autochtone qui travaillait au gouvernement pour qu'il nous aide à assurer la coordination avec les autres spécialistes. Nous voulons être sûrs que les autochtones préparent leur avenir. Nous n'avons pas non plus oublié ceux qui ne seront pas en mesure de profiter des possibilités qui pourraient s'offrir à l'avenir. Nous essayons de veiller à ce qu'ils puissent avoir une vie confortable.
Le sénateur Stratton: Je m'inquiète surtout des jeunes parce que ce sont eux qui vont bâtir l'avenir. S'ils n'ont pas d'avenir, le problème ne pourra que se perpétuer.
M. Augustine: Nous avons choisi une sorte de date charnière pour notre collectivité. Le groupe qui est né à cette époque avait en moyenne une troisième année. Le groupe suivant, c'est-à-dire leurs enfants, a une huitième année en moyenne. La génération suivante a fait des études secondaires mais sans les terminer. Le groupe d'aujourd'hui va terminer ses études secondaires et faire des études postsecondaires.
Le sénateur Stratton: Vous êtes la première personne qui m'ait fourni un échéancier et une définition de ce qui se faisait dans le domaine de l'éducation et je vous en remercie. Je suis ravi d'entendre que l'on fait des progrès. S'il y a des progrès dans le domaine de l'éducation, il y a de l'espoir.
Le sénateur Robichaud: Merci d'être venu, Kevin. Vous faites face à des obstacles de taille.
M. Augustine: En fait, lorsque les choses vont mal, je pense à des gens que je considère comme des héros. Il y a Nelson Mandela, qui a passé tant de temps en prison que n'importe qui d'autre ou presque aurait abandonné. Je pense également à Martin Luther King Jr., qui a pratiquement consacré toute sa vie à lutter pour l'égalité. Je dis toujours à mes spécialistes qu'il y a des gens qui ont consacré leur vie à aider leur peuple et à lui redonner de l'espoir. Nous nous attendons à ce que nos spécialistes en fassent au moins la moitié.
Le sénateur Robichaud: Je peux confirmer que l'on a fait de gros efforts à Big Cove et que l'on en fait encore. Le chômage y est très élevé et il n'y a guère de possibilités pour les travailleurs et pour les jeunes. C'est sans doute un facteur qui explique le taux de suicide très élevé qu'on y enregistre. Ce taux s'est un peu amélioré mais il était catastrophique il y a quelques années.
Au sujet de votre rôle dans le secteur forestier et dans la coupe de bois, vous n'avez pas encore signé d'entente avec la province. Pensez-vous que cela va se faire prochainement et que cela va créer au moins un certain nombre d'emplois qui permettront aux gens de se lever le matin et de faire quelque chose qu'ils veulent faire et dont ils sont fiers? Pensez-vous que cela va déboucher bientôt?
M. Augustine: En fait, nous sommes si près de conclure une entente que je crois tous les matins que le grand jour est arrivé. Nous examinons la situation et il y a toujours ce fameux obstacle de 5 p. 100 dont tout le monde parle. Les représentants des gouvernements provincial et fédéral à qui je parle me disent que ce 5 p. 100 ne devrait pas être un obstacle mais plutôt simplement un point de départ.
Là encore, les fonctionnaires des gouvernements fédéral et provincial nous disent que nous n'avons d'autre choix que d'accepter cette politique. Lorsque je parle à des fonctionnaires de la haute direction, ils me disent que les politiques sont écrites sur du papier, qu'il est possible de les modifier pour répondre aux besoins de la population au lieu de demander à celle-ci de s'adapter aux politiques. Je dirais donc que oui, nous allons bientôt rencontrer tous les gouvernements pour commencer à travailler ensemble. Cela permettrait également aux gouvernements d'essayer de régler les questions non résolues que soulèvent la propriété foncière et le droit d'exploiter ces ressources, dans la mesure où cela concerne les autochtones.
La première étape devrait consister à réunir tous les intéressés et à expliquer que les obstacles ne sont pas aussi grands qu'ils le paraissent. Je ne blâme pas uniquement le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial; je nous blâme aussi, parce que c'est notre faute si nous refusons de négocier avec le gouvernement provincial. Il va falloir rétablir la confiance.
Le sénateur Robichaud: Il y a des permis qui ont été transférés et quelques emplois dans les pêches si je ne me trompe pour les gens de Big Cove?
M. Augustine: C'est exact. En fait, nous venons d'obtenir six petits permis cette année, des permis de pêche temporaires. Il n'y a presque plus de confrontations parce que la population espère qu'elle va pouvoir pêcher, en respectant les règles. Elle reconnaît que le poisson, comme n'importe quelle ressource, peut disparaître.
Le sénateur Robichaud: C'est vrai. Je vous admire d'essayer de trouver toutes ces solutions. Cela ne sera pas facile mais vous avez la bonne attitude qui consiste à s'attaquer à un problème à la fois. Si nous attendons un miracle pour que tous les problèmes soient résolus, nous allons attendre longtemps.
M. Augustine: Oui. Nous avons une bonne équipe de spécialistes qui travaillent sur ces questions à temps plein. Je leur tire mon chapeau; ils sont surchargés et sous-payés. Ils sont ici 24 heures par jour, sauf lorsqu'il y en a un qui ne peut venir. Je viens d'avoir une discussion avec un de nos spécialistes à Fredericton, qui se spécialise dans la pêche, Leon Sock de Deep Cove.
Le président: Vous avez parlé de l'offre de 5 p. 100 que vous avez refusée. Cette offre avait été faite à tous les autochtones du Nouveau-Brunswick. Combien de groupes ont accepté cette offre et combien l'ont refusée?
M. Augustine: En fait, je n'en sais rien. Ce pourcentage de 5 p. 100 devait être réparti entre 15 collectivités. J'ai parlé au chef de Tobique; son groupe a largement dépassé le quinzième de 1 p. 100 qui lui revenait et je crois qu'ils n'étaient pas très contents. Cependant, le fait d'avoir signé cette entente leur permettra de retourner par la suite à la table des négociations et de reprendre les discussions.
Le président: Si vous ne prenez pas votre part de ce 5 p. 100, pouvez-vous la donner à un autre groupe? En d'autres termes, pouvez-vous transférer ces droits à d'autres groupes? Vous dites qu'il y a des gens qui pourraient exploiter 10 p. 100.
M. Augustine: Tout cela est très nouveau et les fonctionnaires de premier niveau nous disent que ces droits ne sont pas transférables mais la haute direction nous dit que cela pourrait se faire.
Le président: Attendez-vous le rapport des juges Nicholas et La Forest? Avez-vous présenté votre point de vue à ces deux juges qui préparent ce rapport?
M. Augustine: Tous mes spécialistes leur ont présenté des observations. Non, nous n'attendons pas qu'ils présentent leurs recommandations. De notre point de vue, quelle que soit la nature de leurs recommandations, il faudra tout de mettre négocier. Il va falloir discuter. Cela remonte à la décision de Delgamuukw qui les oblige à négocier et à discuter avec nous.
Le président: Ce 5 p. 100 représentait 5 p. 100 du cubage. Cela veut dire que les membres des Premières nations allaient se charger de couper le bois et de le traiter. Je ne sais pas très bien comment cela devait fonctionner. Est-ce que ce sont les membres des Premières nations qui vont couper le bois ou des entrepreneurs? Vous devez certainement avoir le droit d'accorder des contrats si vous le souhaitez, ou de faire le travail vous-même, selon ce que vous voulez faire.
M. Augustine: Nous sommes en train d'élaborer des règles en matière de passation de contrat, si je peux m'exprimer ainsi. Mes conseillers juridiques m'ont déclaré que les règlements que je pourrais adopter l'emporteraient sur les lois provinciales. Par contre, si j'agissais de cette façon, le gouvernement utiliserait l'argument qu'il met de l'avant chaque fois que nous prenons une nouvelle initiative. J'essaie de convaincre les gens que, quelles que soient les décisions prises, il y aura toujours des règles qui vont régir l'accès aux ressources.
Le président: Dans le nord de l'Alberta et de la Saskatchewan, le gouvernement a attribué quelques permis. Ce n'est pas dans toutes les régions; cela ressemble à ce 5 p. 100. Les autochtones peuvent faire la coupe avec des chevaux ou d'une autre façon pourvu qu'ils fassent de la coupe sélective. Ils font de la coupe sélective avec des chevaux dans certaines régions. Ce n'est pas aussi rentable, bien sûr, que s'ils utilisaient des grosses machines mais cela fait travailler davantage de gens. Cela permet aux autochtones qui n'ont pas eu jusqu'ici la possibilité de travailler dans ce domaine de le faire et d'acquérir de l'expérience. Cela ne les empêche aucunement d'utiliser des moyens plus efficaces par la suite. Comme vous l'avez mentionné, il y a beaucoup de chômage. Des techniques sylvicoles plus anciennes et moins efficaces ne sont peut-être pas aussi rentables mais elles créent des emplois.
M. Augustine: C'est exact.
Le président: Avez-vous entendu des choses de ce genre?
M. Augustine: En fait, c'est l'orientation que nous avons proposée au départ, nous ne voulions pas tout mécaniser. Je suis le premier à reconnaître qu'il y a des autochtones qui souhaitent mécaniser intégralement ces activités, ce sont des hommes d'affaires qui ne veulent pas se salir les mains. Mais l'essentiel pour nous c'est que les gens travaillent, qu'ils reviennent le lendemain fatigués mais qu'ils aient encore cette envie de travailler.
Le président: C'est un problème fort complexe. On nous a présenté de nombreuses solutions. Merci d'être venu, monsieur Augustine.
La séance est levée.