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BORE

Sous-comité de la Forêt boréale

 

SOUS-COMITÉ SÉNATORIAL DE LA FORÊT BORÉALE

RÉALITÉS CONCURRENTES : LA FORÊT BORÉALE EN DANGER


CHAPITRE 3

LA RÉALITÉ AUTOCHTONE
Utilisation traditionnelle des terres
Autres utilisations de la forêt : Possibilités d’affaires et d’emplois
Évolution récente du partage des compétences
RECOMMANDATIONS


LA RÉALITÉ AUTOCHTONE

Utilisation traditionnelle des terres

Au Canada, trois peuples autochtones constituent les premiers habitants du territoire : les Premières nations, les Métis et les Inuit. La forêt boréale est le pays de quelque 500 collectivités des Premières nations et de centaines de collectivités métisses.(163) Depuis des millénaires, les Autochtones ont entretenu avec la terre des liens étroits et efficients, faisant usage d’une grande diversité d’arbres, d’arbustes, d’herbes, de mousses et de champignons pour satisfaire leurs besoins en nourriture, médicaments, vêtements, matériaux de construction, jusqu’au matériel cérémoniel. De même, ils font appel à de nombreuses espèces animales sauvages pour répondre à leurs besoins en nourriture, vêtements, médicaments, ornements et autres. Savoir comment, où et quand exploiter ces ressources, comment les conserver, les préparer et les utiliser fait partie de leur savoir traditionnel qu’ils se transmettent de génération en génération.

L’exploitation de ces ressources les a obligés au nomadisme. Le territoire traditionnel des Premières nations était beaucoup plus grand que les réserves où elles sont maintenant confinées; les Autochtones devaient parcourir chaque année des centaines de kilomètres. Le cycle annuel type d’activité dans la forêt boréale du nord-ouest consistait à chasser et à préparer les pièges en automne, à pêcher et à piéger en hiver, à piéger (le castor et le rat musqué) au printemps, à cueillir des plantes en été et à préparer tout au long de l’année les produits récoltés.(164)

Occupants de longue date du territoire, les Autochtones ont mis au point un code d’éthique de la terre axé sur des règles et des principes de bonne gestion tels que : ne prendre que ce dont on a besoin; mesurer les conséquences de ses gestes pour ses descendants, jusqu’à la septième génération; respecter Mère nature et les animaux qui y règnent; partager au lieu de posséder la terre, puis la transmettre, avec les façons de l’utiliser, d’une génération à l’autre.

Le contact avec la culture et l’économie des Blancs ou des Européens a entraîné de nombreux changements. Dans la plupart des régions du Canada, le gouvernement fédéral a signé des traités avec les groupes autochtones afin d’atténuer les différends et de faciliter l’établissement des Européens. On a créé des réserves, et reconnu des droits aux Autochtones, notamment les droits d’utiliser la terre, de chasser, de pêcher et de cueillir, ainsi que des droits culturels(165). Les signataires autochtones ont interprété ces traités comme étant des conventions de partage du territoire avec les nouveaux arrivants.(166)

Les Métis, issus de mariages entre Autochtones et Blancs, ont été reconnus comme Indiens par des traités, ou comme soustraits à la Loi sur les Indiens. Dans le premier cas, ils pouvaient vivre dans la réserve et jouir de droits issus de traités et des droits sur les ressources alimentaires et la faune. Dans le second cas, ils n’ont aucun droit sur les terres ou les ressources (sauf en Alberta où une réserve foncière a été déclarée par la province en 1939). Par conséquent, nombre de Métis et d’Indiens vivent aujourd’hui dans des localités sans fondement territorial pour assurer leur développement économique.(167)

En relativement peu de temps, les Autochtones ont vu leurs territoires traditionnels de chasse et de pêche hors réserve envahies par des colons, des bûcherons, des trappeurs blancs, des mineurs et d’autres étrangers attirés par la valeur commerciale de la terre et de ses produits. Depuis quelques années, l’exploration et la mise en valeur des ressources, les routes, les barrages et l’exploitation industrielle du bois ont compromis gravement l’utilisation des terres par les Autochtones.

Partout au pays, le Sous-comité a appris de groupes autochtones que les territoires familiaux de piégeage et l’habitat de la faune ont été détruits malgré les efforts des Autochtones pour maintenir leur mode de vie traditionnel.

« À un moment donné, il y avait 11 entreprises forestières qui exerçaient leurs activités dans le territoire de piégeage. Progressivement, les petites entreprises ont été absorbées par les grandes. À l'heure actuelle, je crois qu'il y a sept ou huit entreprises qui exercent leur activité dans la région de Waswanipi. »(168)

« Il est assez difficile d'installer un réseau de piégeage au milieu d'un peuplement coupé à blanc. » (169)

« Déjà, personne ne s’intéressait au bois, et la fourrure était abondante. Maintenant ils prennent tout le bois et on a peine à trouver de la fourrure. Les animaux en sont réduits à geler. Nous avons vu deux orignaux gelés et, selon le garçon, il n’y avait aucun boisé où aller se réfugier. C’est pourquoi ils gèlent. Nous sommes au bord des larmes quand nous voyons un orignal gelé. »(170)

Des groupes autochtones ont dit au Sous-comité que, avec des permis accordés par les provinces, on surexploite le bois sur leurs terres traditionnelles, malgré la tenue de rencontres avec les compagnies forestières au cours desquelles ils ont délimité leurs territoires traditionnels.

L’application d’herbicides par certaines compagnies forestières pour supprimer la végétation concurrente a poussé les Autochtones à croire que les plantes médicinales et les baies qu’ils cueillent ne sont plus saines pour la santé. Les populations de poissons sont perturbées par le fonctionnement dans les cours d’eau de machines qui en modifient l’écoulement et troublent l’eau; par les eaux de ruissellement chargées d’herbicides; et par les débris d’exploitation forestière.

« Défense de manger les fruits sauvages». Ce panneau placé par le ministère des Richesses naturelles de l'Ontario est très révélateur. Malheureusement, cela donne une idée de toute la contamination dont nos forêts sont victimes. Les résidus miniers ont détruit le poisson et l'habitat forestier. Les zones où l'on a pulvérisé les produits chimiques n'abritent plus d'animaux et d'oiseaux. Les substances chimiques provenant des pulvérisations se retrouvent dans nos rivières et nos lacs et tuent notre écosystème. … La coupe à blanc détruit nos territoires de piégeage. …On n'installe pas d'échelles à poissons lorsqu'on construit des barrages dans les rivières. »(171)

Ces pertes, comme celle de la langue et de la culture dans des systèmes d’éducation non autochtones, ont constitué un bouleversement social.

« Nos populations connaissent des taux élevés d’alcoolisme, de toxicomanie, d’agressions sexuelles, et le phénomène de gangs chez les jeunes. Tout cela est révélateur de problèmes de santé mentale. Nous pensons que ces indices témoignent de la destruction du lien structurel entre notre population et la forêt. »(172)

Dans l’Est, où le contact avec la culture européenne a eu lieu bien plus tôt, le mode de vie traditionnel a presque disparu.(173) Néanmoins, bien des Autochtones s’efforcent aujourd’hui de participer à l’économie de marché tout en maintenant leurs coutumes, leurs valeurs et leurs liens avec la terre. Comme l’a dit M. Steve Ginnish de la Première nation d’Eel Ground :

« Je suis expert forestier. Je suis allé à l'université pour obtenir mon diplôme. Je suis également quelqu'un qui appartient à une tribu et qui met en pratique un savoir-faire traditionnel, quelqu'un qui vit dans une réserve indienne. »(174)

Plusieurs témoins autochtones signalent un retour aux traditions dans la population. Tout en envoyant leurs enfants à l’école, ils essaient de leur transmettre le mode de vie des aînés. On a recommencé à cueillir des herbes médicinales.

Dans les collectivités éloignées du Nord, le mode de vie traditionnel est beaucoup moins touché. Une étude du Service canadien des forêts dans les localités essentiellement autochtones de Nahanni Butte et de Liard River dans le sud-ouest des T. N.-O. révèle la pratique de nombreuses activités traditionnelles. Certaines personnes dépendent entièrement de la forêt; d’autres tirent leur gagne-pain d’un emploi; d’autres encore partagent leur vie entre un emploi saisonnier et la vie en forêt. Bien des jeunes pratiquent le piégeage. Les aînés vivant en forêt se nourrissent essentiellement de poisson et de petit gibier. La nourriture récoltée est partagée et satisfait dans une grande mesure aux besoins alimentaires de la population.(175)

La valeur annuelle des produits récoltés en forêt dans les deux localités — viande sauvage (orignal, poisson, ours, caribou, lièvre, gélinotte), fourrures, bois de chauffage et produits d’artisanat — serait de 950 000 à 1,7 million de dollars(176). Cela ne comprend pas les plantes médicinales, les produits du bois fabriqués pour un usage personnel, les vêtements en peau, les cabanes en forêt ou les services de guides pour touristes et chasseurs. Les auteurs concluent qu’une compensation financière des produits récoltés ne suffirait pas à remplacer bien des articles et ne constituerait pas une solution de rechange acceptable parce que l’exploitation des ressources naturelles et les activités connexes font partie intégrante du mode de vie des gens.(177). De passage dans les villages autochtones du nord du Manitoba, le Sous-comité a reçu le même témoignage. Dans la région habitée par les 26 premières nations les plus nordiques du Manitoba, la valeur de remplacement du poisson et du gibier a été évaluée entre 30 et 35 millions de dollars par an. On nous a dit que :

« S’il fallait remplacer le gibier et le poisson que nos gens capturent et rapportent chez eux par des dépenses à l’épicerie Safeway locale, où les prix sont à peu près deux fois ce qu’ils sont à Winnipeg, il faudrait 30 à 35 millions. »(178)

 

Autres utilisations de la forêt : Possibilités d’affaires et d’emplois

Près de 80 pour cent des localités autochtones du Canada sont situées en forêt(179). Ces localités, qui connaissent une croissance démographique et un chômage élevés, se tournent vers la forêt pour créer de l’emploi, comme guides par exemple, et des débouchés commerciaux : produits forestiers à valeur ajoutée, tourisme en milieu sauvage.

Le plus souvent, les témoins autochtones ont dit qu’il n’y avait pas assez de ressources forestières dans les réserves pour ces activités. Selon le Service canadien des forêts, on a prélevé en 1992, 25 pour cent de la possibilité annuelle dans les forêts des réserves(180). M. Bombay a affirmé que bien des réserves ont des terres à bois mais n’ont pas de scierie pour transformer leur bois; les possibilités de valeur ajoutée sont limitées à moins de conclure des partenariats.(181)

Une réserve pratique l’aménagement forestier durable : celle d’Eel Ground au Nouveau-Brunswick. Son gestionnaire et d’autres témoins autochtones ont dit au Sous-comité qu’il était très difficile de pratiquer l’aménagement durable dans les réserves à cause d’une disposition de la Loi sur les Indiens, selon laquelle les permis de coupe relèvent du ministre des Affaires indiennes et du Nord (MAIN) et non de la première nation. En fait, dès qu’une réserve commence à pratiquer l’aménagement forestier durable, elle enfreint la loi(182). L’ANFA est à analyser ce problème.(183)

La plupart des témoins autochtones ont soutenu qu’il leur faut avoir accès aux terres publiques hors des réserves pour que leurs entreprises forestières deviennent autosuffisantes. Un tel accès n’existe pas généralement, sauf au Nouveau-Brunswick où les Premières nations se partagent 5 pour cent de la possibilité annuelle de coupe, et en Saskatchewan, où quelques zones sont à accès partagé.(184)

Bien des collectivités autochtones aspirent à l’autosuffisance économique.

« Nos membres ne veulent pas se contenter d’un quinzième de 5 pour cent [part de leur bande] de l'ensemble des activités forestières parce que cela ne répond pas à nos besoins. Nous voulons pouvoir créer des emplois pour notre peuple et réduire de 15 pour cent notre taux de chômage. »(185)

Toutefois, comme l’a indiqué la Commission royale sur les peuples autochtones, la superficie forestière non attribuée, où cela serait possible, diminue constamment(186). Un autre obstacle vient de l’approbation encore requise du ministre fédéral pour démarrer une entreprise dans une collectivité autochtone.(187)

Bien des Autochtones ont soulevé la nécessité de capitaux, de formation et de développement de compétences dans des domaines comme l’aménagement forestier et la fabrication de produits à valeur ajoutée. Une partie de la solution pourrait résider dans des partenariats et des entreprises de cogestion réunissant des Autochtones, l’industrie et les gouvernements. Cela encouragerait des groupes autochtones, ainsi que des intérêts privés qui sont souvent le moteur de ce genre d’entreprise, à participer et à faire preuve d’initiative.

Exemple d’entreprise plutôt originale, la NorSask Forest Products Inc. exploite une scierie, qui appartient maintenant en totalité au conseil tribal de Meadow Lake et était auparavant la propriété conjointe du conseil tribal et de la Millar-Western, cette dernière également propriétaire d’une usine de pâte voisine. En 1998, le gouvernement de la Saskatchewan accordait à NorSask un permis de gestion forestière à long terme sur un territoire de 3,3 millions d’hectares dans le nord-ouest de la province(188). La prolifération des coupes à blanc a divisé les tenants de cette source d’emplois et les opposants, au sein de la population autochtone concernée. Il y a eu manifestations, barrages et arrestations; finalement, les accusations ont été retirées.(189) Certains ont blâmé les lois forestières provinciales pour la gravité des coupes.(190) Aujourd’hui, une structure locale de cogestion est en place, et une évaluation environnementale portant sur une période de 20 ans a été réalisée et approuvée. La conclusion est toutefois claire : les Autochtones veulent des emplois forestiers, mais sans compromettre l’environnement. Comme l’a affirmé M. Bombay :

« Pour les Autochtones, il y a un équilibre délicat à respecter entre les usages traditionnels et la conservation, et le développement économique. Les Autochtones se buttent constamment à cette difficulté. Chaque collectivité a son propre point de vue. »(191)

Selon une étude récente sur les perspectives autochtones de l’industrie forestière, commandée par le Service canadien des forêts, les grandes compagnies forestières sont d’avis qu’un rapprochement avec les Autochtones profiterait autant à ces collectivités qu’à elles-mêmes. Toutefois, la plupart n’ont pas de programmes spéciaux pour l’embauche d’Autochtones, et rares sont celles qui en ont un grand nombre à leur emploi.(192)

Certaines compagnies qui ont rencontré le Sous-comité ont traité d’emploi et d’économie chez les Autochtones. Par exemple, des représentants de Tembec ont dit au Sous-comité que l’entreprise emploie beaucoup d’Autochtones dans ses usines de pâtes et papiers et ses scieries au Québec, et qu’elle a conclu des ententes avec des collectivités autochtones dans quatre provinces,(193)(194) . L’Alberta Pacific Forest Industries nous a dit employer des Autochtones dans tous ses secteurs d’activité, et favoriser les possibilités de formation et d’affaires pour les Autochtones(195). Elle a entrepris avec une réserve locale un programme d’exploitation sélective au moyen de chevaux. L’Association canadienne des pâtes et papiers a indiqué au Sous-comité que les Autochtones comptent pour 10 pour cent de l’effectif du secteur des pâtes et papiers(196). La NorSask Forest Products forme des Autochtones pour qu’ils puissent exploiter ses scieries.

Un chef des services forestiers chez Tembec a fait part de son exaspération lorsqu’il s’agit de conclure des ententes économiques avec les collectivités autochtones :

« Quand on veut développer la valeur économique d'une ressource, la politique intervient souvent, à plusieurs niveaux. De quel territoire traditionnel s'agit-il? Qui doit intervenir dans le développement de la valeur économique liée à l'exploitation de cette ressource, la bande A ou la bande B? Est-ce que cela se règle entre la bande et le gouvernement? Est-ce une décision interne de la bande? Est-ce qu’elle va se prendre entre le chef et les promoteurs? Voilà le genre de questions qu'il nous faut régler et qui font qu'il nous est difficile de nous réunir avec un interlocuteur et d'instaurer des relations commerciales à long terme. »(197)

Les consultations entre l’industrie et les Autochtones ne satisfont aucune des parties. Dans son mémoire au Sous-comité, l’ANFA affirme que les gouvernements ne devraient pas demander à l’industrie de discuter des droits issus de traités avec les Autochtones. Les Premières nations traitent avec le gouvernement, et cela doit demeurer ainsi.(198)

L’ANFA a aussi indiqué au Sous-comité que huit entreprises forestières autochtones arrivent à peine à survivre et que deux autres ont dû fermer faute d’accès au marché américain du bois d’œuvre de résineux. Les entreprises des Premières nations se sont vu attribuer quelque 0,02 pour cent des quotas de bois d’œuvre de résineux dans quatre provinces.(199)

Dans son rapport Rassembler nos forces de 1995, le gouvernement fédéral s’est engagé à prendre les moyens pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies de perfectionnement professionnel en matière de bonne gestion des terres, des ressources et de l’environnement, et à financer davantage les projets de mise en valeur des ressources naturelles. Le MAIN a fourni une aide financière aux activités forestières des Premières nations, notamment par le programme forestier des Premières nations qui vise l’autosuffisance dans ce domaine(200). Toutefois, le programme, doté d’un budget initial de 5 millions de dollars en 1996, prendra fin en 2001 avec l’épuisement des fonds distribués chaque année. En 1998, le budget du programme a été considérablement renfloué par d’autres partenaires et l’ANFA étudie actuellement des mécanismes pour en assurer le financement(201). Plusieurs autres programmes fédéraux ont aidé les Autochtones à accéder aux forêts publiques, à acquérir des compétences en foresterie et à démarrer des entreprises : le programme de négociation de l’accès aux ressources et l’Initiative pour l’acquisition des ressources du MAIN; les programmes de formation offerts sous l’égide de Développement des ressources humaines Canada; Entreprises autochtones Canada d’Industrie Canada(202). Le Sous-comité a appris qu’il n’existe pas de tels programmes pour les Métis même si ces derniers ont été reconnus comme un peuple autochtone par la Constitution.

 

Évolution récente du partage des compétences

Depuis que les gouvernements provinciaux ont compétence sur les ressources naturelles, la protection des droits des Autochtones issus de traités et de leur droit de chasser, de piéger, de pêcher et de cueillir s’est compliquée. Même si le gouvernement fédéral est toujours responsable de la protection de ces droits, la gestion des terres et de leurs ressources est maintenant du ressort provincial, sauf certains aspects qui ont trait au poisson, aux espèces menacées, aux oiseaux migrateurs et aux eaux navigables. Dans la répartition des ressources forestières, les provinces ne tiennent en général pas compte des droits des Autochtones.

« L'exploitation des forêts semble donc un droit qui a préséance; il semble que le droit des autochtones au développement de leur territoire est moins valable que le droit des industriels à exploiter la forêt. »(203)

Depuis longtemps, les groupes autochtones doivent souvent recourir aux tribunaux pour freiner le développement sur leurs terres traditionnelles. Auparavant, leur attitude était la suivante :

« Nous temporisions en attendant de voir si les promesses allaient être tenues, si les pouvoirs publics et l'industrie allaient respecter leurs engagements pris envers nous il y a bien longtemps. Nous avons peu à peu réalisé que cela n'allait pas arriver et que bien des promesses n'allaient pas être tenues. »(204)

La Cour suprême a souvent tranché en faveur des droits autochtones sur ces terres et la Loi constitutionnelle révisée de 1982 réaffirme l’existence des droits autochtones et la responsabilité du gouvernement de les protéger. L’interprétation des droits autochtones et des droits issus de traités a évolué au gré des négociations territoriales(205). Plusieurs témoins autochtones ont exhorté le Sous-comité à chercher une solution aux revendications territoriales pour aider à régler la question des droits. Toutefois, comme le représentant des Métis l’a souligné, ces derniers sont tenus en dehors des négociations territoriales et aucun programme ne les aide à obtenir des terres ou à accroître leur accès aux ressources.(206)

Aujourd’hui, le traitement réservé par les provinces aux droits des Autochtones varie d’une province à l’autre. Certaines provinces reconnaissent légalement le droit des Premières nations de chasser, de piéger et de pêcher, mais ne protègent pas les terres traditionnelles de la mise en valeur des ressource. D’autres exigent des compagnies forestières qu’elles consultent directement les Premières nations sur leurs plans d’aménagement. Des représentants autochtones ont dit au Sous-comité être souvent fort désavantagés face à une grande compagnie forestière. Par exemple, elle n’a pas les compétences requises pour prévoir les résultats d’un plan de coupe(207). En outre, comme l’affirme le jugement Delgamuukw en Colombie-Britannique, l’obligation de fiduciaire du gouvernement implique « la participation des Autochtones aux décisions touchant leurs terres »(208). Les Premières nations réclament donc d’être partie aux décisions(209). Certaines provinces ont commencé à inscrire ces exigences de consultation et de négociation dans leurs lois et politiques forestières. Certaines entreprises forestières tiennent compte de l’utilisation des terres par les Autochtones dans leur plan de gestion forestière; ainsi, l’Alberta Pacific Forest Industries Inc. et la NorSask font de la cogestion au niveau local.

Des représentants métis ont affirmé que les droits autochtones des Métis, reconnus par certaines décisions des tribunaux, n’ont pas inclus dans les politiques de consultation et ne sont toujours reconnus par aucun gouvernement.

« Partout, les provinces se servent de tous les pouvoirs pour contrevenir directement à l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada quant au droit du peuple Métis de chasser et de pêcher pour se nourrir. »(210)

L’arrêt Powley en Ontario (1998) affirme les droits autochtones des Métis de chasser et de pêcher pour se nourrir. Des jugements analogues, au Manitoba et en Saskatchewan ont été maintenus en appel.

Le Conseil canadien des ministres des forêts reconnaît aux Autochtones un rôle important dans la politique, la planification et l’aménagement des forêt, dans la Stratégie nationale sur les forêts de 1998, qui prévoit :

accroître la participation des Autochtones à l'aménagement forestier et aux décisions, conformément aux droits autochtones et aux droits issus des traités;

reconnaître les droits ancestraux et les droits issus de traités conférés aux Autochtones et en tenir compte dans le cadre de l'aménagement forestier durable.(211)

LE CCMF propose également d’accroître l’accès des Autochtones aux ressources forestières afin qu’ils puissent exercer à la fois leurs activités traditionnelles et des activités commerciales.(212)

En ce qui concerne l’emploi et l’exploitation commerciale des forêts, le CCMF veut favoriser la création ou l'essor d'emplois et d'entreprises autochtones dans le secteur forestier et accroître la capacité des individus, collectivités et organisations autochtones à participer à l'aménagement forestier durable.(213)

Après examen, le groupe sélect a constaté « certains progrès » en matière de développement commercial chez les Autochtones. Industrie Canada a parrainé des recherches et des séminaires sur les possibilités de valeur ajoutée, et le programme forestier des Premières nations, financé par le fédéral, a examiné les occasions d’affaires. Depuis 1989, Industrie Canada a fourni 25 millions de dollars à 475 entreprises commerciales dans le domaine des forêts ou un domaine connexe. L’Association nationale de foresterie autochtone, de concert avec Développement des ressources humaines Canada s’attaque au problème de la formation et de l’emploi des Autochtones dans le secteur forestier.(214)

Néanmoins, la Stratégie nationale sur les forêts contient les engagements suivants :

« Reconnaître les droits ancestraux et les droits issus de traités conférés aux Autochtones et en tenir compte dans le cadre de l’aménagement forestier durable » ;et « Améliorer l’accès aux ressources forestières afin que les collectivités autochtones puissent exercer à la fois leurs activités traditionnelles et des activités de développement économique »(215)

Essentiellement, on fait la sourde oreille devant ces demandes. Dans ce dossier, les gouvernements fédéral et provinciaux ont passé leur temps à prétexter des problèmes de partage des compétences et à se renvoyer la balle.(216)

 

RECOMMANDATIONS

  • Que le ministère des Affaires indiennes et du Nord, le Service canadien des forêts et les autres organismes fédéraux assument leur part des responsabilités du gouvernement fédéral à l’endroit de la nation métisse et des Premières nations dans leurs programmes portant sur les questions forestières autochtones.
    • Que les gouvernements n’accordent aucun permis de coupe aux compagnies forestières sur les terres traditionnelles utilisées par les peuples autochtones depuis des siècles ou dans des zones de revendications territoriales sans respecter les plus récentes décisions des tribunaux. Le Sous-comité est également favorable à un règlement rapide des revendications territoriales.
    • Que les provinces reconnaissent l’obligation fiduciaire de l’État de protéger et d’honorer les droits des Autochtones comme étant une responsabilité partagée en matière de foresterie, ce qui comprend l’obligation des gouvernements de participer aux négociations entre les peuples autochtones et les représentants de l’industrie forestière.
    • Que les utilisations traditionnelles des terres par les Autochtones soient prises en compte dans la planification de toute région boisée qui fait l’objet de telles utilisations ou de toute activité forestière qui pourrait compromettre les droits issus de traités des Autochtones.
    • Que des mécanismes permanents et évolutifs soient prévus pour créer des partenariats entre le gouvernement, l’industrie et les peuples autochtones en matière de formation en foresterie, de démarrage d’entreprises, d’accès à des territoires forestiers et de création d’emplois.

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