SOUS-COMITÉ SÉNATORIAL DE LA FORÊT BORÉALE
RÉALITÉS CONCURRENTES : LA FORÊT BORÉALE EN DANGER
CHAPITRE 5
LA RÉALITÉ MONDIALE
RECOMMANDATION
Les efforts déployés et les mesures prises par le Canada en faveur des valeurs écologiques et économiques de la forêt boréale nont pas lieu en vase clos. Les forêts sont une ressource mondiale qui joue un rôle essentiel dans le soutien de la vie sur la planète. Dans le débat sur la politique forestière au Canada et dans la réalisation de cette politique, lÉtat, les industries, les groupes dintérêt et les individus doivent tous être sensibles à cette réalité internationale. En effet, le monde examine plus attentivement que jamais la façon que le Canada exerce son rôle de fiduciaire dune part importante des forêts mondiales. La Commission mondiale sur les forêts et le développement durable demande, dans un ardent plaidoyer, que tous les pays tiennent plus largement compte de limportance des forêts et reconnaissent la gravité des problèmes posés par la vitesse à laquelle cette ressource sépuise sur la planète :
« On estime généralement que, parmi les ressources naturelles et les écosystèmes de la planète, les forêts répondent de façon extraordinaire au besoin humain fondamental de stabilité et de sécurité dans lenvironnement, en plus de contribuer directement à lexistence de nombreuses personnes. À terme, les conséquences du taux actuel de disparition des forêts vont bien au-delà des sociétés particulières : elles touchent toute lhumanité, toutes les autres espèces et la planète dans son entier ».(244)
Dans son rapport final, la Commission articule le besoin dune perspective mondiale sur les pratiques forestières :
« Les forêts ont à peu près disparu dans 25 pays; 18 autres ont perdu plus de 95 % de leur couvert forestier et 11 en ont perdu 90 %. À terme, les conséquences du taux actuel de disparition des forêts vont bien au-delà des sociétés particulières : elles touchent toute lhumanité, toutes les autres espèces et la planète dans son entier » .(245)
Plusieurs des conclusions et recommandations de la Commission mondiale auraient un effet considérable sur la foresterie au Canada. Notons en particulier lavis selon lequel il est essentiel de protéger ce quil reste des forêts vierges de la planète, puisquil semble au-delà des capacités humaines de recréer des écosystèmes forestiers originaux. Fiduciaire du quart des forêts non perturbées qui subsistent sur la terre,(246) le Canada a un rôle important à jouer à cet égard. La nécessité de trouver des mécanismes pour évaluer la valeur économique du capital forestier dun pays et de fournir des incitatifs à sa protection est également reconnue par la Commission.
Le rapport de la Commission mondiale, groupe indépendant de personnalités reconnues ayant des antécédents en politique, dans ladministration publique, en sciences et en foresterie et provenant de 24 pays,(247) est lun des comptes-rendus les plus complets à ce jour dans le dossier des forêts. Il représente également une part importante des efforts internationaux récents pour contrer les problèmes écologiques planétaires. La forêt constitue un élément important de la politique mondiale depuis la Conférence des Nations Unies sur lenvironnement et le développement (CNUED), tenue en 1992. Depuis, les pays se sont attachés à définir des approches internationales à laménagement durable et à la protection des forêts. Le Canada sest fortement engagé dans cette démarche depuis le début.
Il a pris les devants en proposant à la CNUED que les discussions internationales sur les gestions durables des forêts fassent lobjet de plus dattention. Nos représentants estimaient que la meilleure façon dy parvenir était de négocier une convention internationale sur les forêts, sur le modèle de la Convention sur les changements climatiques. On voulait que la Convention établisse des normes internationales claires pour laménagement forestier durable et pour constituer le fondement dun commerce international juste des produits forestiers(248). À la fin, lidée dune entente forestière ayant force de loi na pas été retenue. On a plutôt convenu dajouter à Action 21 un chapitre sur les forêts, énonçant plusieurs principes de base de laménagement forestier durable.
Une des mesures réclamées à la CNUED était que les pays établissent des critères et des indicateurs fondés en science pour la gestion forestière durable(249). Les progrès réalisés à cet égard sont une des plus grandes réalisations de la foresterie internationale depuis la CNUED(250). Au total, 110 pays ont participé à huit démarches parallèles, regroupant les pays dont les forêts sont semblables, pour convenir de mesures scientifiques et politiques à la base de laménagement forestier durable. Comme le représentant du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international la dit devant le Sous-comité :
« Cest ainsi quont été élaborées huit séries remarquablement analogues de critères et dindicateurs chacune sappliquant aux forêts dune région particulière au monde. Ainsi, le processus de Montréal auquel a contribué le Canada sapplique à 12 pays non européens où se trouvent des forêts boréales et tempérées. Parmi les autres, on compte celui dHelsinki, qui touche 39 pays européens; lOrganisation internationale des bois tropicaux, qui réunit 27 pays producteurs; le processus de Tarapoto, mis en uvre par huit pays du bassin de lAmazone; le processus de Lepaterique, qui sapplique à sept pays dAmérique centrale; celui de la zone aride de lAfrique subsaharienne, qui touche 28 pays; le processus dAfrique du Nord et du Moyen Orient, quont adopté 20 pays; enfin, celui de lOrganisation africaine du bois dont sont membres 13 pays. Ces derniers ne se sont pas encore entendus sur le processus comme tel, mais son élaboration est assez avancée.(251)
Ces dernières années, la volonté de promouvoir laménagement forestier durable en faisant le lien avec le commerce international des produits forestiers a débouché sur un intérêt considérable pour la certification forestière. La certification des produits forestiers et des forêts suppose létablissement de normes internationalement reconnues et acceptées.
On a parlé au Sous-comité de limportance dune entente internationale sur les normes de certification, étant donné que le but de celle-ci est de permettre au consommateur de faire un choix et dorienter le marché. Une note positive à cet égard est le fait que les critères et indicateurs développés au niveau international, comme ceux qui découlent des réunions de Montréal et dHelsinki, sont maintenant à la base de plusieurs programmes de certification. Durant les audiences, on a mis le Sous-comité en garde contre les conséquences négatives dune « prolifération de normes, chacune assortie de ses propres exigences et ne coïncidant pas avec celles de lautre »(252). Cette situation, nous dit-on, finirait immanquablement par nuire au commerce.
Malgré ces mises en garde, plusieurs normes de certification « concurrentes » ont vu le jour. Lindustrie forestière canadienne fait donc face à un dilemme de plus en plus difficile, tout comme celle des autres pays du monde.
Pour notre industrie, il faut choisir entre trois normes de certification. La comparaison de celle-ci éclaire le choix quelle doit faire. Le Sous-comité a reçu beaucoup de témoignages, écrits et oraux, sur la certification au Canada. En outre, il sest rendu en Suède et en Finlande, en partie pour examiner comment ces deux pays abordent ce problème. À titre de concurrents de lindustrie canadienne sur les marchés dexportation, leur approche à cet égard constitue à bon droit un élément de la « Réalité mondiale » pour le Canada.
Les trois normes de certification envisagées au Canada sont connues par les acronymes des organismes responsables. Il y a la norme ISO (International Standards Organisation), la norme ACN (Association canadienne de normalisation) et la norme FSC (Forestry Stewarship Council).
Comme la notion de critères et indicateurs de laménagement forestier durable, les principes qui sous-tendent la norme de gestion environnementale ISO 14001 découlent de la CNUED de 1992. LISO, fédération mondiale dorganes nationaux de normalisation des biens et services faisant lobjet du commerce international(253), a établi un système normalisé de gestion écologique plus souple que des normes de rendement prescriptibles.
La norme ISO 14001 est générique et peut sappliquer à la gestion écologique de toute industrie dans nimporte quel pays. Un document traduisant la norme en termes compréhensibles pour les aménagistes forestiers est en cours dadoption à lISO.
Un des témoins a donné les détails suivants sur la norme ISO (cest nous qui soulignons) :
« La norme ISO 14001 repose essentiellement sur le fait quil faut que lentreprise élabore et rende public un système de gestion qui coïncide avec son engagement. Il faut que lentreprise communique à tous les intéressés ses objectifs en matière denvironnement, non seulement à linterne mais également à lexterne. Il faut quil y ait une amélioration constante. En somme, on relève constamment la barre. Il faut aussi que lentreprise se soumette à une vérification effectuée par des tiers. En réalité, la certification nest donnée quà la suite dun audit effectué par des tiers.
Le cadre est extrêmement souple. Chaque requérant, chaque entreprise, peut définir dans son plan sa propre culture organisationnelle, le genre de forêt quelle exploite, le monde de propriété dominant dans une région forestière particulière et définie, les lois ou les règlements qui sappliquent à cette région, la situation de la faune, lhydrologie, et ainsi de suite. La situation de chacune est particulière, ce dont tient compte le cadre.(254)
Les critiques de la norme ISO lui reprochent sa souplesse parce quils ny voient pas la garantie que les compagnies forestières pratiqueront dans les faits un aménagement forestier durable. La norme ISO est fondée sur les pratiques de gestion et non pas sur le rendement. Ces critiques pensent également que labsence de dispositions précises permettant de suivre la chaîne de responsabilité, de la forêt au produit fini, constitue une lacune grave de la certification ISO 14001. Le système ISO, comme le système canadien, interdit la labellisation des produits pour indiquer quune compagnie respecte ses normes. Cela est vu par certains comme une faiblesse, parce que les consommateurs ne sont pas en mesure de choisir entre des produits certifiés ou non.
Le Canada est un des premiers pays à avoir rédigé sa propre norme daménagement forestier durable. En 1994, un groupe connu sous le nom de Canadian Sustainable Forestry Coalition a demandé à la CSA de gérer lélaboration dune norme nationale volontaire daménagement forestier durable. La CSA a utilisé la norme ISO 14001 comme base dune certification nationale des forêts(255). Le Sous-comité sest fait expliquer les changements apportés à la norme ISO pour ternir compte de la situation du Canada et pour répondre à certaines critiques.
« La norme [ISO] a en effet été refondue dans le contexte de la gestion des forêts et on y a effectué quatre ajouts. Le premier concerne la participation de la population,
On a également ajouté des critères et indicateurs de laménagement forestier durable, qui ont été approuvés par le Conseil canadien des ministres des Forêts. Tout cela se retrouve dans la norme, de même que les 21 éléments essentiels précisant ces critères. Ainsi, des vérificateurs doivent effectuer des mesures de performance sur place; des prévisions sont aussi exigées.
Les critères et indicateurs de laménagement forestier durable font partie du processus de participation du public. Ainsi, les riverains des forêts peuvent dire à leurs experts forestiers quelles valeurs ils veulent protéger, conserver ou produire en fonction de ces critères.
Les critères en question portent sur la biodiversité, les valeurs sociales, la santé et la productivité de lécosystème, la conservation des sols et de leau, la responsabilité de la société envers un aménagement durable et la contribution de la forêt au cycle écologique planétaire. Au stade de la participation du public, ces riverains seront invités à élaborer, de concert avec les responsables provinciaux de laménagement des forêts et les experts forestiers des compagnies, plusieurs objectifs daménagement des objectifs de performance si vous le voulez que lentreprise appliquera ensuite. Les objectifs sont consignés dans un plan daménagement.
pour savoir quel sera létat de la forêt dans lavenir, il convient de se livrer à des prévisions grâce à des systèmes dinformation géographiques, à des cartes informatisées et à des modèles dévolution des forêts. Enfin, il faut effectuer des audits de performance sur place.
Les normes ne donnent aucune précision quant à la performance, mais elle stipule quil faut fixer des mesures à cet égard. La norme CSA est une combinaison de système de gestion, daudits de performance et daudits sur le terrain..(256)
La CSA a rédigé la norme daménagement forestier durable après de longues consultations avec les représentants de lindustrie forestière, les propriétaires de lots forestiers, le gouvernement, les Autochtones, les groupes de conservation et de consommateurs, de même que des universitaires, des scientifiques et des experts techniques. La CSA a adopté la norme à la fin de 1996.(257)
Le troisième mode de certification possible au Canada est celui du Forest Stewarship Council (FSC). Le FSC est une organisation internationale sans but lucratif, fondée en 1993 pour favoriser laménagement des forêts mondiales dune manière qui soit écologique, socialement bénéfique et économiquement viable(258). La certification de la FSC, contrairement à celles de lISO et de la CSA, est fondée sur un label international. Celui-ci garantit aux consommateurs que les produits forestiers quils achètent proviennent de forêts aménagées de façon écologique.
La FSC a dix principes et critères de gestion des forêts (normes de performance) qui doivent être respectés avant quun produit puisse avoir droit au logo. Seuls les organes de certification accrédités par la FSC ont le droit deffectuer les inspections sur le terrain nécessaires à lapprobation de la FSC et, conséquemment, dautoriser lusage du label FSC.
Voici comment la FSC présente les différences entre son système et celui de lISO :
"Le système de la FSC est fondé sur des normes de rendement précises, auxquelles lopération forestière doit satisfaire avant quon puisse émettre un certificat. La norme ISO (série 14000) de système de gestion de lenvironnement est une norme qui sattache à un procédé. Elle précise comment le système de gestion dune compagnie doit être organisé pour tenir compte des aspects et des impacts écologiques de ses opérations. La certification ISO ne donne pas lieu à un label".(259)
La certification de la FSC a elle aussi ses défenseurs et ses détracteurs. La plupart des groupes environnementaux la prônent, ce qui nétonne guère étant donné son origine. La certification FSC a en effet été lancée par des membres dONG environnementales. Par ailleurs, lindustrie forestière et les gouvernements de plusieurs pays nappuient pas chaleureusement le régime du FSC.
Ainsi, en Finlande, on a exposé au Sous-comité la difficulté dappliquer la norme FSC au secteur forestier dans un pays où plus de 60 % des forêts se retrouvent sur des lots appartenant de petits propriétaires. La propriété forestière moyenne (de lordre de 10 à 20 ha) est petite en regard des normes mondiales. Les Finlandais craignent que la norme FSC empiète sur le droit individuel de plus de 400 000 propriétaires de boisés en leur dictant la façon de gérer leur actif. On craint également que ce soit lorgane de régie du FSC, plutôt quune institution ou un groupe ayant à rendre des comptes localement, qui décide ce quest laménagement forestier durable, qui peut effectuer les inspections, etc. Une solution faisant appel aux mêmes principes daménagement forestier, mais laissant aux organismes locaux une plus grande marge de manuvre pour la mise en uvre et le contrôle, semble préférable aux Finlandais.
Devant ces inquiétudes, la Finlande a choisi un compromis établi sa certification basée sur les principes du FSC, mais adaptés aux conditions locales et appuyés sur une consultation nationale rigoureuse de tous les intervenants. Le système finlandais, dont la mise en uvre a commencé en mars 1999(260), couvre à la fois la gestion forestière et la chaîne de responsabilité, tout comme la norme FSC, mais sans inclure de label pour les produits(261). Lindustrie forestière finlandaise souhaite quà terme, sa certification nationale et les autres qui sont basés sur des principes semblables soient intégrés à une labellisation internationale, afin de mettre un terme à la prolifération des labels et de réduire la confusion chez les acheteurs.
À cette fin, les propriétaires forestiers en Finlande, en Allemagne, en France, en Norvège, en Autriche et en Suède ont lancé lnitiative pan-européenne de certification forestière en 1998. Depuis sa création, neuf autres pays dont la Belgique, le Danemark et la Grande-Bretagne sy sont joints(262). Lobjectif de lInitiative est de promouvoir les régimes nationaux de certification, de leur fournir un cadre commun (comme des exigences minimales) et den arriver à une reconnaissance mutuelle des systèmes de certification. On prépare également un label commun pour les produits.(263)
En Suède, pays que le Sous-comité a également visité, une grande compagnie forestière, AssiDoman, détient déjà la plus grande forêt certifiée FSC dans le monde. La plupart des autres grandes compagnies forestières suédoises appuient également la norme FSC(264). Cependant, la foresterie familiale, responsable de la plus grande part de lapprovisionnement ligneux du pays, soppose à cette norme. Elle lui préfère la norme FSC suédoise, quelle a commencé à utiliser en 1997. Cette norme fait partie de lInitiative pan-européenne de certification susmentionnée.
Aux États-Unis, les compagnies membres de lAmerican Forest and Paper Association sont tenues de respecter les principes et les directives de laménagement forestier durable formulées par la Sustainable Forestry Initiative (SFI) établie par cette organisation. La SFI prévoit des audits indépendants réalisés par des tiers.(265)
À terme, le succès de la certification forestière dépendra de la réaction du consommateur. Sil y a trop de régimes, sils sont fondés sur des principes et des notions contradictoires, sils donnent lieu à trop de logos ou de labels, le consommateur ne pourra pas sy retrouver. Pareil résultat rendrait tous les régimes de certification suspects et en fin de compte annulerait tous les efforts entrepris pour les créer et les mettre en uvre. Le Canada doit continuer de participer aux négociations internationales visant à clarifier et à résoudre cette situation.
Le Sous-comité recommande :
- Que le Canada prône internationalement lintégration des nombreux systèmes de certification forestière qui, isolément, sont moins efficaces.