Délibérations du sous-comité des
Communications
Fascicule 2 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 18 mars 1998
Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 15 h 35, pour étudier la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications en général, et notamment l'importance des communications au Canada sur les plans économique, social et culturel.
Le sénateur Marie Poulin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: La séance est ouverte.
[Français]
Madame Gagné et monsieur Kelly, nous apprécions d'une façon très particulière votre présence. Quelles que soient les techniques ces jours-ci, ce sont les artistes qui finalement sont incontournables dans cette conjoncture. La création artistique en est le moteur, je devrais peut-être dire, l'âme. En effet, sans leur imagination, sans leurs idées, sans leur talent et leur génie, la technologique demeurerait vide. Ce serait comme s'asseoir au volant d'une belle voiture, toute reluisante et moderne mais qui n'a pas de moteur.
[Traduction]
Madame Gagné et monsieur Kelly, la Conférence canadienne des arts que vous représentez existe depuis 1945 et regroupe, je crois, quelque 200 000 artistes d'un océan à l'autre. Nous voulons connaître votre point de vue sur le rôle des arts dans le contexte des nouvelles technologies.
Nous savons que la CCA est bien consciente de ces changements, de leur influence sur le travail individuel et collectif des artistes et de l'influence des artistes sur l'évolution des technologies. En parcourant votre site web sur la fenêtre CultureNet, nous avons remarqué que vous aviez un groupe de travail sur la télédiffusion, les nouveaux médias d'information et le CRTC. Nous sommes heureux de vous entendre là-dessus et sur d'autres sujets.
Avant de vous céder la parole, permettez-moi de vous donner un aperçu du travail de notre sous-comité et, plus précisément, des questions que nous devrions étudier au cours de nos audiences pour en faire rapport plus tard cette année, probablement à l'automne.
Comme vous le savez peut-être, en avril dernier, notre comité a produit le rapport intitulé: «Branché pour gagner -- La position concurrentielle du Canada sur le marché international des communications». Nous y avons évalué les avantages concurrentiels du Canada en l'an 2000 sous quatre grands thèmes: les enjeux technologiques, les enjeux commerciaux, le capital humain et les enjeux d'ordre culturel.
La deuxième partie de notre rapport mettait l'accent sur les questions de technologie et de culture, surtout dans le contexte de la mondialisation des médias.
Les satellites et l'Internet font de la mondialisation une réalité, et nos décideurs ont pour mission de s'assurer que les produits culturels canadiens trouvent leur place, tant sur le marché national que sur les marchés internationaux. Nous voulons que vous nous disiez ce qui serait utile, qui peut faciliter les choses, où, quand et comment.
Dans ce nouveau contexte, on dit que le contenu est roi. Pour nous, cela veut dire que toutes les nouvelles possibilités de distribution permettent à un nombre sans cesse croissant de producteurs d'offrir leurs produits aux consommateurs. Or, les producteurs dépendent de créateurs. Comment le Canada favorise-t-il la croissance et l'excellence de son bassin d'artistes?
Nous sommes aussi impatients de connaître vos préoccupations quelles qu'elles soient.
Maintenant que je vous ai donné un aperçu de ce qui nous intéresse tout particulièrement, j'espère que vous aurez une idée du genre de questions que nous pourrons vous poser après votre exposé.
J'aimerais vous présenter mes collègues, le sénateur Spivak, vice-présidente du sous-comité, le sénateur Perrault, de la Colombie-Britannique, et le sénateur Johnson, du Manitoba. Madame, monsieur, nous vous souhaitons la bienvenue.
M. Keith Kelly, directeur national, Conférence canadienne des arts: J'aimerais apporter une petite précision.
La présidente: Vous ne représentez pas 200 000 mais 300 000 artistes.
M. Kelly: Au moins, et ce chiffre augmente chaque jour. L'exposé que nous avons préparé se fonde sur ce qu'a fait le groupe de travail sur la politique culturelle pour le XXIe siècle.
La présidente: Nous y sommes presque.
M. Kelly: Oui, mais nous examinerons la technologie à la prochaine étape, la phase II de notre travail. Nos observations d'aujourd'hui sont de nature beaucoup plus générale.
Le sénateur Perrault: Ça va.
La présidente: C'est parfait.
[Français]
Mme Gagné, présidente, Conférence canadienne des arts: Je vous remercie, madame la présidente, d'avoir invité la Conférence canadienne des arts à vous rencontrer aujourd'hui et discuter, comme l'a dit M. Kelly, du travail fait par le groupe de travail sur la politique culturelle au 21e siècle.
[Traduction]
Deux grandes questions préoccupaient notre conseil d'administration au moment où il s'est réuni à Winnipeg, en juin dernier. Une politique culturelle fédérale cohérente est une priorité de longue date pour la Conférence canadienne des arts et les élections fédérales venaient de mettre fin prématurément à l'étude entreprise par le comité permanent du patrimoine canadien sur le sujet.
Comme nous ne savions pas si le comité allait poursuivre son étude à la reprise des travaux parlementaires, notre conseil d'administration a décidé qu'il était important pour nous de mettre l'accent là-dessus. Au moment où le conseil s'est réuni, nous nous intéressions aussi à l'impact grandissant des accords commerciaux internationaux sur l'intégrité et la viabilité de la politique culturelle canadienne. La décision de l'Organisation mondiale du commerce, défavorable à l'industrie canadienne des magazines, soulevait beaucoup de questions sur les risques analogues qui menaçaient nos grandes politiques.
Nous nous tenions également au courant des effets possibles de l'Accord multilatéral sur l'investissement que préparait l'Organisation de coopération et de développement économiques. Une étude préliminaire indiquait qu'elle soulevait beaucoup de craintes.
Depuis, l'Union européenne a contesté la politique canadienne de distribution des films et nous nous attendons, dans les prochains mois, à ce que les États-Unis contestent les modifications apportées récemment à la Loi sur le droit d'auteur.
Le conseil de la CCA a jugé qu'il était impossible d'étudier les deux questions séparément. En effet, si le Canada avait cédé son droit de gérer ses affaires culturelles comme il l'entend, sans la menace de contestation ou de rétorsion, il aurait été inutile de parler de politique fédérale nationale.
On a donc décidé d'étudier les deux problèmes de front. Le conseil a insisté pour que le groupe de travail examine de près les accords commerciaux internationaux auxquels participe le Canada, et qu'il évalue leur incidence sur l'intégrité de la politique culturelle du Canada.
Le conseil voulait avoir une évaluation claire et précise des initiatives prises par le Canada dans ces ententes et de toutes les mesures qu'elles renferment pour nous permettre d'affirmer notre souveraineté culturelle.
M. Kelly: Le groupe de travail a fait appel à des personnes de marque dans toutes les disciplines, industries et spécialités culturelles. Pendant trois mois, ces experts se sont familiarisés avec le jargon du commerce international ainsi que la structure et la teneur des accords que le Canada avait déjà signés ou était en train de négocier, c'est-à-dire le GATT, le GATS, l'ALE, l'ALENA, l'AMI et, dans une moindre mesure, celui de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
Le rapport préliminaire présente les résultats de cette recherche et de cette réflexion sur le nouvel univers dans lequel évolue maintenant le Canada. Le groupe de travail a d'abord découvert que le Canada est un participant et un défenseur enthousiaste d'un système commercial mondial, libre de toutes entraves, depuis la conférence de Bretton Woods, en 1944. Et depuis cette époque, tous les gouvernements élus ont renouvelé l'engagement pris.
Le Canada a toujours fait preuve d'enthousiasme en raison des retombées économiques évidentes que la libéralisation des échanges lui apporte. Le groupe de travail et le conseil d'administration de la CCA ne veulent donc pas qu'on renie le passé et qu'on adopte une position isolationniste. Par ailleurs, nous voulons nous assurer que l'érosion continue des pouvoirs des États ne compromet pas notre capacité de continuer à promouvoir la créativité canadienne et à faire connaître diverses identités culturelles.
Cependant, les conclusions du groupe de travail montrent qu'il existe des lacunes inhérentes à l'adoption de ces ententes commerciales internationales.
Essentiellement, on s'est bien peu préoccupé de l'intégrité de la souveraineté sur les plans économique, politique et culturel dans l'élaboration des ententes. En fait, selon un principe fondamental des ententes créant un système commercial mondial libre de toutes entraves, la perte de souveraineté nationale ressentie par les pays signataires est censée être compensée équitablement par les avantages économiques dont ils profiteront.
Si la perte de souveraineté est la même pour tous les pays signataires et qu'aucun d'entre eux n'est avantagé par rapport à un autre, on joue à armes égales.
Mme Gagné: La CCA et le groupe de travail ont étudié de près le traitement de la culture dans le cadre de l'accord du GATT et nous avons constaté que seulement deux mesures accordaient une latitude quelconque aux pays signataires dans le domaine culturel: l'article IV, qui prévoit des quotas d'importation en matière de cinéma, et l'article XX, qui prévoit une exemption générale pour la protection des trésors nationaux, ce qui désigne les travaux archéologiques et autres déterminants pour l'histoire ou la culture d'un pays.
Cette absence de points de repère culturels a des conséquences, comme le montre la décision rendue en appel par l'OMC au sujet de notre politique nationale sur les magazines.
Pour conclure que notre politique nationale était incompatible avec nos obligations aux termes du GATT, les membres du groupe ont évoqué les précédents créés par des différends touchant des produits conventionnels, comme les boissons alcooliques, les graines de lin et les graines oléagineuses et les pièces d'automobile.
La structure du GATT ne fournissait au groupe aucun moyen de tenir compte de la dimension culturelle de la politique sur les magazines. Il est certain que l'absence de points de référence culturels va nettement nous désavantager dans les changements futurs.
L'article de l'ALE et de l'ALENA sur l'exemption culturelle n'aide pas beaucoup le Canada à affirmer sa liberté en matière de politique culturelle. Dans le cas de l'industrie des magazines, qui était protégée par cet article, les États-Unis ont simplement contourné l'ALE et l'ALENA pour faire entendre leur grief devant l'OMC, qui leur offrait un contexte plus favorable.
M. Kelly: De plus, même si cette exemption existe, des mesures peuvent toujours être prises contre le Canada aux termes de l'article 301 de l'American Trade Act. En effet, cette disposition permet aux particuliers et aux entreprises qui estiment que l'attitude d'un partenaire commercial compromet leurs intérêts économiques de déposer une plainte auprès du représentant commercial des États-Unis. Après enquête, si la plainte est justifiée, le président des États-Unis est obligé de prendre des mesures de rétorsion ou des mesures punitives contre le partenaire commercial pris en défaut.
Les États-Unis ont invoqué l'article 301 dans le cas du différend sur la télévision de musique country il y a plusieurs années, et ils devraient bientôt engager des poursuites du même genre à propos de la nouvelle Loi canadienne sur le droit d'auteur.
L'Accord multilatéral sur l'investissement pourrait avoir des conséquences encore plus graves si le Canada le signe sans qu'une exemption générale sur la culture ne soit prévue. La CCA est heureuse que le ministre du Commerce international, l'honorable Sergio Marchi, et la ministre du Patrimoine canadien, l'honorable Sheila Copps, en conviennent et cherchent ardemment à en convaincre les autres pays membres de l'OCDE. Selon nous, il est utile d'obtenir cette exemption dans le cas de l'Accord multilatéral sur l'investissement, compte tenu des contraintes de temps auxquelles sont assujetties les négociations, mais une solution plus générale et plus durable est logique et essentielle à la participation du Canada à l'établissement d'une économie mondiale.
Mme Gagne: C'est pourquoi le conseil de la CCA a adopté une stratégie internationale pour donner suite aux efforts des ministres Copps et Marchi. Avec des collègues d'autres pays du monde, nous voulons conclure une entente qui exclut la culture des accords commerciaux conçus pour des produits, des services et des investissements conventionnels.
Cette entente donnerait à chaque pays le droit de gérer ses affaires culturelles comme il l'entend sans la menace de contestation ou de rétorsion.
La CCA continuera de promouvoir et d'étoffer cette idée pour que les intervenants et les travailleurs du milieu culturel ailleurs dans le monde fassent valoir cette formule auprès de leurs dirigeants politiques.
Nous n'avons pas beaucoup de temps. Les nouvelles négociations de l'OMC sont prévues en l'an 2000. Il est impérieux que cette question gagne beaucoup de terrain avant que les pourparlers ne commencent. Si nous réussissons cette percée en collaboration avec le gouvernement du Canada, nous aurons apporté une contribution déterminante au système commercial mondial et nous aurons affirmé le droit inconditionnel du Canada à poursuivre sa destinée culturelle.
Le sénateur Spivak: J'étais au courant de certaines des menaces que représente l'AMI et de ce qui est arrivé dans le passé. Je suis bouleversée de voir les difficultés que tous ces accords bilatéraux et mondiaux présentent à ceux qui veulent garantir la souveraineté culturelle de notre pays et d'autres pays, compte tenu du fait que la culture américaine est tellement imposante et dispose de tellement de ressources pour se faire connaître. Elle n'est pas seulement séduisante, mais aussi très puissante.
Comment comptez-vous appliquer votre solution qui consiste à nous associer avec d'autres pays pour tenter de soustraire la culture à tous les accords commerciaux globaux? Dans quelle mesure cette solution est-elle réaliste compte tenu du fait que le Canada est déjà lié? Nous espérons qu'il ne sera pas lié sous le régime de l'AMI, mais j'ai l'impression que même nos meilleurs négociateurs sont encore assez naïfs pour ce qui est de ses répercussions. Le Canada est aussi lié. Il y a les déclarations récentes de Mme Barshefsky.
État donné la position dominante qu'ils s'occupent, les États-Unis n'en démordent pas: les produits culturels sont des produits commerciaux. Au sein d'une économie, la dominance d'un marché est considérée comme une menace à la concurrence. Mais pour une raison ou pour une autre, à l'échelle mondiale, il n'en va pas de même. Avez-vous des stratégies qui peuvent nous permettre d'espérer?
M. Kelly: Oui. En fait nous en avons un bon nombre. Nous allons participer à la conférence de l'UNESCO qui commence la semaine prochaine à Stockholm. Nous espérons profiter de cette tribune qui rassemblera des gens du monde entier pour nous lancer sérieusement dans l'établissement d'un réseau d'organismes et de particuliers animés des mêmes sentiments, qui pourront exercer des pressions sur leurs dirigeants politiques.
Il y a un mois, j'ai assisté à Paris à une réunion réunissant des gens du monde entier. Il y a un intérêt marqué pour entrer dans la ronde. Il reste à nous entendre sur un langage qui nous conviendra tous. Bien sûr, c'est plus facile à dire qu'à faire.
J'assisterai également à Stockholm, en plus de la conférence de l'UNESCO, à une réunion de la Fédération internationale des acteurs, un organisme regroupant des syndicats du secteur culturel de diverses régions du globe. Nous tentons donc de lancer notre initiative.
Nous reconnaissons aussi qu'aux États-Unis beaucoup d'artistes indépendants et de producteurs sont aussi aux prises avec les mêmes obstacles que nous et ont autant de mal à accéder aux systèmes de distribution de l'industrie des divertissements populaires.
C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à la consule général à Los Angeles, Kim Campbell, si elle accepte de coparrainer avec le conseil une réunion à Los Angeles qui rassemblerait des organismes américains et canadiens clés pour discuter de nos points communs et de nos différences.
Nous allons également regarder du côté des prochaines négociations en vue d'un accord de libre-échange pour les Amériques et cibler nos partenaires de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud qui partagent des sentiments aussi forts que les nôtres dans ce domaine.
Notre problème en fait, ce n'est pas que nous soyons protectionnistes. Vous n'avez qu'à jeter un coup d'oeil aux chiffres qui figurent dans le rapport de notre groupe de travail en ce qui a trait à la pénétration des oeuvres étrangères sur le marché canadien pour constater que, si nous le sommes, nous sommes les protectionnistes les plus inefficaces sur cette terre et que nous devrions probablement renoncer. Nous ne sommes pas protectionnistes. Nous n'avons jamais voulu l'être. Nous voulons protéger une option en ce qui a trait au contenu canadien et au choix de nos concitoyens.
Nous avons un peu plus d'un an et demi pour bâtir ce consensus. Réussirons-nous à faire entrer les États-Unis dans la ronde? Probablement pas. Cependant, entre nations de même mentalité, si nous pouvons donner la force d'impulsion voulue, nous parviendrons peut-être à utiliser l'énergie collective des forces diplomatiques de nos pays pour obtenir un meilleur traitement des oeuvres de création et de la culture.
Le sénateur Spivak: J'ai une autre question à vous poser.
[Français]
Mme Gagné: Je voulais ajouter que nous avons aussi rencontré M. Bill Diamond à quelques reprises.
Le sénateur Spivak: Le négoiateur en chef de l'AMI?
Mme Gagné: Oui, c'est cela. Il a rencontré le conseil d'administration et nous travaillons constamment avec lui pour justement lui donner la documentation, l'argumentation et le vocabulaire aussi, parce que c'est une bataille qui n'est pas facile non plus. Évidemment, on ne s'illusionne pas, mais l'art et les produits commerciaux, ce n'est pas pareil. Il faut presque inventer un nouveau langage pour nous permettre de mieux se comprendre.
[Traduction]
Le sénateur Spivak: Je suis très heureuse d'entendre cela parce que, d'après ce que j'ai lu, et je n'ai pas de renseignements d'initiés, les négociateurs ont été très naïfs quant aux répercussions de cet accord sur nous.
La seule autre chose que je dois vous demander est la suivante: comment pouvons-nous vous aider?
La présidente: Vous a-t-on déjà posé cette question lorsque vous avez comparu devant un comité?
M. Kelly: Non.
Mme Gagné: Nous offrons notre aide, habituellement.
M. Kelly: Nous offrons notre aide.
Mme Gagné: Cette fois-ci, nous avons besoin d'aide.
Le sénateur Spivak: Comment pouvons-nous unir nos efforts? Il s'agit d'une des questions les plus litigieuses avec lesquelles nous sommes aux prises à l'heure actuelle, à part les normes en matière de travail et d'environnement. Toutes ces questions sont regroupées.
M. Kelly: Premièrement, je me rends compte que les réflexions du sous-comité sont plus vastes que cela. Cependant, elles sont tout à fait hypothétiques à moins que nous puissions affirmer le droit du Canada de gérer ses propres affaires culturelles comme bon lui semble. Je dirais que cela nous aiderait si le sous-comité sénatorial pouvait trancher en ce qui a trait à cette question. Vous pouvez à coup sûr encourager nos négociateurs à maintenir le cap. Vous pouvez aussi encourager dans le même sens nos ministres, tant Mme Copps que M. Marchi.
Le sénateur Johnson: Nous le faisons.
M. Kelly: Nous vous en sommes gré. Vous utilisez pour ainsi dire les outils que vous avez à votre disposition. Vous pouvez faire appel à vos propres contacts internationaux. Je sais que de nombreux sénateurs siègent au sein de groupes interparlementaires. Vous avez l'occasion de soulever cette question auprès de vos collègues internationaux.
Le sénateur Perrault: Toute la question des nouvelles méthodes de communication, l'Internet et tout le reste, est un domaine très intéressant. J'en déduis que vous craignez d'être submergés par l'immense flot de produits culturels auxquels nous pouvons accéder librement à l'échelle de la planète et que vous vous demandez comment faire en sorte que les artistes canadiens soient compensés de façon appropriée pour toute oeuvre de création.
Je navigue sur Internet depuis trois ou quatre ans. Il s'agit pour moi d'un outil de recherche inestimable pour le travail que nous faisons ici. J'ai exploré de merveilleux sites: le Louvre, le Musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg. J'ai visité le site du Metropolitan Museum. L'Internet m'a ouvert de nouveaux horizons en matière d'information.
Ces sites artistiques et culturels peuvent probablement servir un objectif très utile en enseignant à nos jeunes comment apprécier les valeurs culturelles. Du nord de la Colombie-Britannique ou du cercle polaire arctique, ils ont maintenant accès au Louvre. Internet leur permet de s'émerveiller devant toutes ces oeuvres de création. Je me demande s'il ne peut pas faire naître un nouvel intérêt dans les arts et la culture, ce dont pourraient profiter les artistes.
Je m'intéresse assez au fait que la France ou les pays européens critiquent notre système de mise en circulation des films. Les Français sont très xénophobes en ce qui a trait à la production cinématographique, si je ne m'abuse? Ils craignent que les productions hollywoodiennes pénètrent leur marché et ils ont pris des mesures à cet égard.
M. Kelly: Oui.
Le sénateur Perrault: Pourquoi critiquent-ils notre système de mise en circulation?
[Français]
Mme Gagné: Oui, je vais essayer de répondre à la première question. Effectivement, vous avez raison. On n'a rien contre l'innovation et le développement de la technologie et Internet. Au contraire, c'est un outil de diffusion auprès des jeunes, auprès des gens qui n'ont pas d'argent qui ne peuvent pas voyager et auprès des malades. Internet peut rejoindre les gens partout, ce qui est excellent. Par contre, il faut qu'il y ait un contrôle sur le contenu des éléments qui sont mis dans cette machine. C'est beau le Louvre, mais il faut que l'on voit les musées du Canada aussi sur Internet. Il faut que l'on puisse avoir accès à ce qui se passe chez nous aussi. Donc c'est une question de dosage.
Le sénateur Perreault: De ce qui entre sur Internet. Excellent.
Mme Gagné: Oui. On doit encourager la production de matériel qui entrera sur Internet et être en compétition au niveau des produits et faire en sorte qu'on ait aussi les outils et les ressources nécessaires pour présenter notre domaine de façon professionnelle, imaginative et constructive. Alors, il faut investir des sous. Mais il y a aussi tous les problèmes de propriété intellectuelle, de droit d'auteur qui sont rattachés à Internet. C'est le rôle du gouvernement. On est dans la phase trois des discussions sur le droit d'auteur et la propriété intellectuelle.
[Traduction]
Le sénateur Perrault: Pour réglementer l'ensemble du système. Les infractions en matière de droit d'auteur qui ont existé à l'échelle planétaire. Les Chinois séviraient à l'heure actuelle dans une certaine mesure, mais les abus continuent en ce qui concerne les livres et les disques audionumériques.
Mme Gagné: C'est terrible. Nous ne pouvons tout contrôler dans le monde. Nous ne pouvons envoyer des agents de police dans chaque petit magasin pour voir ce qu'on y vend. Nous devons trouver d'autres moyens de protéger les artistes.
Le sénateur Perrault: Vous parlez de la nécessité de contrôles appropriés. J'ai lu dans des articles récents qu'il est presque impossible de réglementer Internet. Il transcende les frontières internationales. On m'avait dit l'autre jour que quelqu'un au pôle sud pouvait donner des prévisions météorologiques. J'ai communiqué avec lui par l'entremise d'Internet. Il m'a donné les prévisions pour le cercle polaire arctique.
Peut-on entraver les progrès technologiques qui ont été réalisés avec Internet? Si vous ne pouvez vous battre contre eux, pouvez-vous y contribuer dans une certaine mesure?
M. Kelly: Je crois qu'il y a de nombreux aspects d'Internet qui ne peuvent être réglementés et dont la réglementation n'est pas souhaitable.
Le sénateur Perrault: Bravo!
M. Kelly: En ce qui concerne les communications de personne à personne, les sites Web et que sais-je encore, bien sûr que l'on réglementera les infractions à la loi touchant la littérature haineuse et aux lois existantes. Ce qui nous préoccupe, je suppose, c'est lorsqu'une oeuvre assortie d'un droit d'auteur est utilisée et que le créateur ne perçoit rien.
Il existe selon nous deux domaines que nous devrions essayer de réglementer sur Internet: la protection de la propriété intellectuelle -- le droit d'auteur -- et l'utilisation d'Internet comme système de diffusion. On comprend vite qu'on peut diffuser sur Internet sans avoir de restrictions ou de règles à respecter.
Le sénateur Perrault: Les nouvelles technologies sont un terrain parfait.
M. Kelly: Oui. Nous ne savons pas encore à quoi va ressembler ce régime de réglementation. Ce serait malhonnête de ma part de vous dire qu'il y a un large consensus, mais on s'entend certes pour reconnaître que, sans une certaine forme de réglementation de ce qu'on trouve sur le Web, le régime de réglementation que nous avons mis en place à l'intention des radiodiffuseurs publics et privés s'effondrerait très rapidement vu qu'il suffirait de transférer toutes ses activités sur Internet pour se soustraire à toute la réglementation en matière de diffusion.
Il va sans dire que nous ne sommes pas intéressés à revenir en arrière. Nous croyons qu'il s'agit d'un outil dont les artistes peuvent profiter et utiliser pour diffuser leurs oeuvres. Des organismes comme le Conseil des arts du Canada, l'Office national du film et Téléfilm se sont entre autres fixé comme objectif public d'encourager la création -- mais il faut aussi que les oeuvres rejoignent un auditoire. Nous sommes prêts à nous pencher sur les technologies actuelles qui permettent d'y parvenir plus efficacement.
Le sénateur Perrault: On utilise l'expression «nouveaux médias». Cette expression englobe-t-elle toutes les nouvelles façons de transmettre l'information, que ce soit par l'entremise de l'image, du son, et cetera?
M. Kelly: Par nouveaux médias on entend en quelque sorte la nature interactive des médias. Il pourrait donc s'agir de CD-ROM, de différents sites sur Internet et probablement de choses dont nous ignorons encore l'existence.
Le sénateur Perrault: En janvier, à l'émission de radio de CBC This Morning, il a été question de la situation des arts au Canada. Un invité a déclaré que d'ici un an beaucoup de choses imprévisibles se produiront et seront le résultat des technologies en évolution et plus particulièrement d'Internet et de la façon dont ces différents médias y diffuseront leur matériel. C'est ce dont nous parlons.
M. Kelly: Oui.
Le sénateur Perrault: C'est vraiment l'inconnu.
M. Kelly: Oui. Le seul problème, et ce n'est peut-être que transitoire, mais il nous faudra entre autres, en tant que secteur, dépasser les limites traditionnelles de notre auditoire qui est généralement perçu comme étant les gens de classe moyenne et supérieure.
Le sénateur Perrault: Les choses changent donc également en raison de l'accessibilité.
M. Kelly: C'est là le problème. Qui a accès à Internet? N'est-ce pas la classe moyenne et la classe supérieure? Il se peut en fait que cela ne règle pas notre problème.
Le sénateur Perrault: Comme toutes les écoles installent des ordinateurs, une génération sait comment les utiliser.
M. Kelly: De plus en plus de gens s'abonnent à Internet. Au fur et à mesure que la technologie atteindra des niveaux de pénétration plus élevés, nous devrons nous occuper de l'équité de l'accès pour éviter que la compétence technologique dépende du niveau de vie des gens.
Le sénateur Perrault: Je suis assez vieux jeu pour croire que nous n'allons jamais remplacer le livre. Quelqu'un m'a appelé il y a deux mois pour me dire: «C'est incroyable. Guerre et Paix se trouve en entier sur Internet.» Je ne veux pas m'asseoir devant l'écran et lire Guerre et Paix. Vous pouvez dire que vous êtes en mesure de diffuser des livres à l'échelle de la planète, mais qui voudrait s'asseoir devant un écran pour lire Guerre et Paix?
M. Kelly: Il est difficile de s'installer confortablement au lit pour lire avec un écran sur les genoux.
Le sénateur Perrault: Juste à l'idée de me taper une oeuvre aussi volumineuse à l'écran, je panique!
M. Kelly: Ça l'est effectivement. Il faut faire appel à sa détermination et à son imagination pour ne pas entraver le progrès technologique, mais aussi faire en sorte que chacun y trouve son compte.
Le sénateur Johnson: Comme l'a dit ma collègue, le sénateur Spivak, notre groupe souhaite collaborer avec vous et vous aider chaque fois qu'il le peut. L'une des principales raisons d'être de notre étude est de trouver le meilleur moyen de le faire.
Les conclusions du groupe de travail sur la politique culturelle pour le XXIe siècle seront-elles votre source d'inspiration pour le reste de la décennie? Le document est-il appelé à changer? Allez-vous le remanier périodiquement?
M. Kelly: C'est effectivement un texte appelé à changer. Nous espérons qu'à mesure que nous réglerons certains problèmes dont il est question dans le document, nous insisterons davantage sur ce que nous pouvons faire plutôt que sur ce que nous sommes capables de faire.
Le véritable enjeu nous semble être la latitude dont dispose le Canada pour se doter de programmes culturels distincts et exempts de toute contrainte découlant de la série plus générale d'accords ou d'obligations auxquels il a souscrit. J'espère qu'à mesure que nous trouverons des moyens de concilier culture et commerce, à mesure que nous réussirons à persuader le gouvernement fédéral qu'il est effectivement souhaitable d'avoir une politique culturelle, nous pourrons passer à des questions plus concrètes et pointues qui nous permettront de juger de la meilleure façon de poursuivre le développement culturel du Canada.
Le sénateur Johnson: Cette question est cruciale. Vous proposez d'excellentes initiatives. N'hésitez à parler de «protectionnisme». Je suis convaincue que les États-Unis, peu importe qui sont les producteurs, ne vivent pas la même situation que nous, à moins qu'il ne s'agisse de très petits producteurs. Comme vous le savez, nous pourrions nous retrouver dans un monde culturel uniforme à l'américaine si nous ne protégeons pas bien certaines de nos cultures.
Vous avez fait valoir un excellent point lorsque vous avez parlé des sénateurs qui ont des rapports avec des interlocuteurs à l'étranger. Je reçois de nombreux appels d'interlocuteurs de pays plus petits qui me disent maintenant qu'ils font face à une culture américaine envahissante qu'ils avaient réussi jusqu'ici à éviter parce qu'il n'y avait pas de SRD ou de satellites chez eux. Jusqu'ici, ils avaient réussi à mettre leur culture à l'abri. Ils veulent maintenant savoir quelles mesures nous avons prises dans le passé pour protéger notre culture. Je leur réponds que nous avons fait tout ce qui était possible.
Que font certains autres pays maintenant qu'ils sont confrontés à ce phénomène? Jusqu'ici, par exemple, l'Europe avait été épargnée. Elle y est maintenant confrontée en raison des nouvelles technologies, d'Internet et de la mondialisation. En sera-t-il question à l'UNESCO? Le Canada joue-t-il un rôle de premier plan dans certaines de ces discussions?
M. Kelly: Nous avons une nette avance sur la plupart des autres pays, pour ce qui est d'énoncer notre position à cet égard. Durant mon séjour à Paris, en février, mes collègues français m'ont affirmé que le problème ne commençait réellement à se faire sentir que depuis trois ou quatre mois. Nous y travaillons de manière plutôt intensive depuis presqu'un an maintenant. Selon eux, c'était peut-être parce que le vent souffle un peu plus près de nous. J'ai bien aimé la tournure.
J'ai constaté que les pays comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont entamé leur réflexion à ce sujet et qu'ils en sont à peu près au même stade que nous. D'autres pays ne font en réalité que commencer à prendre conscience du phénomène. Par exemple, en France et, en fait, dans toute l'Europe, pas mal tout le monde croyait que l'accord négocié à l'Uruguay Round inclurait une exception culturelle. Ce n'était pas le cas.
Les représentants de l'Union européenne sont allés à Blair House négocier avec les États-Unis au sujet des subventions agricoles et demander une exception pour les oeuvres audiovisuelles. Ils en sont venus à une entente, à un compromis, au sujet des subventions agricoles, mais les Américains ont dit qu'ils n'accepteraient jamais le principe d'une exception générale de la culture.
Les Français croyaient que c'était dans la poche et ont donc attribué la perte d'une exception qu'ils n'ont en réalité jamais eue aux négociations de l'AMI. Je crois qu'on commence maintenant à s'intéresser de beaucoup plus près à l'incidence qu'ont ces accords plus généraux sur la souveraineté culturelle, si vous me passez l'expression.
Chacun veut une place à la table de négociation de ces accords. Chacun en voit les avantages. Je suppose qu'on ne s'entend pas sur la limite à ne pas franchir, sur les outils essentiels dont a besoin l'Etat nation pour gouverner dans un contexte mondial et sur la possibilité de les conserver dans le cadre de ces négociations.
Le sénateur Johnson: Certains de ces pays sont naturellement les mêmes qui participent aux négociations de l'AMI, tout comme nous.
M. Kelly: Effectivement.
Le sénateur Johnson: Bien des gens des milieux culturels, des producteurs de films, des auteurs, commencent seulement à prendre conscience de l'AMI. Le fait est peut-être étonnant, mais il n'en demeure pas moins vrai, surtout chez les indépendants, si nombreux dans le milieu culturel, chez nos auteurs et nos artistes. Ils m'appellent pour me dire qu'on ne peut pas vraiment faire ça, le 27 avril. Je leur réponds que je ne crois pas que tout se fera le 27 avril. Ils veulent savoir ce qui se passera. Que répondez-vous aux membres du milieu artistique?
M. Kelly: Nous avons commandé des études qui décrivent avec précision l'incidence éventuelle de l'AMI sur les politiques culturelles au Canada. Vous pouvez les consulter à notre site Web.
Le sénateur Perrault: Quelle est votre adresse?
M. Kelly: C'est à elle qu'il faut le demander. C'est elle la spécialiste.
Mme Susan Annis, directrice associée, Conférence canadienne des arts: Notre adresse est «www.culturenet.ca».
M. Kelly: Vous y trouverez des études qui décrivent l'impact éventuel de l'AMI sur la politique culturelle. Nous avons aussi une étude effectuée par Lesley Ellen Harris, avocat et expert international du droit d'auteur et de la propriété intellectuelle, concernant le traitement réservé aux droits d'auteur et à la propriété intellectuelle dans les accords commerciaux internationaux. Il y a aussi un résumé du rapport du groupe de travail et ses principales conclusions. On y trouve plusieurs documents.
S'ils examinent ces documents, je crois qu'ils comprendront en quoi leurs politiques culturelles seront touchées. Il faudrait qu'ils entrent en communication avec leurs élus et qu'ils insistent pour qu'on les écoute. Mes entretiens avec des artistes danois, par exemple, qui ne s'intéressent que depuis peu à cette question, ont été fort instructifs. Ils ont communiqué avec leur gouvernement pour savoir quelles mesures celui-ci prenait au sujet de l'AMI. Ils ont appris que le Danemark appuie l'AMI sans réserve.
Le sénateur Perrault: Le gouvernement n'y voit aucun risque?
M. Kelly: Il n'y voit aucun danger pour la culture. Le milieu artistique voit ce qui est envisagé et se dit «Qu'allons-nous donc faire avec ça?»
Le sénateur Perrault: Oui alors!
M. Kelly: C'est l'une des choses qu'il pourrait faire et qui nous aiderait vraiment dans ce que nous avons entrepris, soit de faire connaître les enjeux. Comme je l'ai dit, nous publions beaucoup de documentation sur l'Internet. S'il souhaite obtenir plus de renseignements, nous en avons des tonnes. Nous les partagerions avec plaisir avec lui.
Le sénateur Johnson: C'est tout dire de l'état de notre situation quand Peter C. Newman déclare que l'AMI a plus d'importance, pour le siècle prochain, que le séparatisme au Québec!
Le sénateur Perrault: Il a donné l'alarme.
Le sénateur Johnson: Il l'a fait pour cet aspect particulier.
Nous y reviendrons si l'on a d'autres questions. Nous pourrions en parler toute la journée. Cependant, nous pouvons commencer par consulter vos documents sur le Web.
[Français]
Mme Gagné: Je pense qu'à la CCA on a un double défi à relever dans ce dossier et dans la plupart des autres dossiers. C'est pour cela qu'on a besoin de votre aide pour rejoindre tous les artistes au Canada. C'est très difficile. On entend peu parler d'eux dans les journaux et les médias électroniques. On travaille justement pour mobiliser l'ensemble du milieu artistique de façon concrète. On a prévu différentes étapes pour avoir leur opinion. L'autre défi c'est au niveau international: tout ce que vous pourrez faire pour orienter les gens vers nous, ou nous aider à leur donner les informations afin qu'ils puissent articuler leur propre politique. Votre aide à ces niveaux sera très appréciée.
[Traduction]
Le sénateur Johnson: Aujourd'hui, ma collègue, le sénateur Spivak, et moi-même avons demandé que le Sénat étudie l'AMI. Ainsi, tout sénateur qui souhaite se prononcer à ce sujet pourra le faire au cours des quelques prochaines semaines. C'est un bon point de départ pour donner suite à certaines suggestions que vous avez faites. Tout ce qui se dira figurera dans le hansard. Je prononcerai moi-même un discours dans lequel j'utiliserai tous les renseignements que vous nous fournissez. Avec un peu de chance, le sénateur Perrault contribuera lui aussi au débat.
Le sénateur Perrault: Durant la dernière session du Parlement, un témoin du sous-comité a laissé entendre que l'on pourrait bientôt regarder les émissions de télévision entre autres sur l'Internet et qu'il serait impossible au Canada d'en réglementer le contenu. Les témoins passent leur temps à nous le dire. Il ne semble pas y avoir moyen de lutter contre ce phénomène.
Je me fais souvent la réflexion que, s'ils surchargent le système à ce point et qu'il continue de connaître une croissance débridée, il disparaîtra dans un trou noir de l'espace.
Le sénateur Johnson: Les attachés de recherche nous ont informé que l'Internet est le premier réseau de distribution qui donnera tout son sens au mot «mondialisation».
Le sénateur Perrault: Je me demande si cette nouvelle technologie élimine l'efficacité de la réglementation du contenu au Canada. L'Internet ne menace-t-il pas ces règlements?
Croyez-vous, vous aussi, que les émissions seront diffusées sur Internet, avec toutes les conséquences que cela comporte pour la politique?
M. Kelly: Incontestablement, la disponibilité de signaux de radiodiffusion sur l'Internet compromettrait gravement l'intégrité de la politique de réglementation de la radiodiffusion. À moins que nous ne puissions trouver un moyen de réglementer l'Internet, nous finirons avec un système à deux niveaux: un pour le radiodiffuseur habituel, le câblodistributeur et les entreprises de distribution de radiodiffusion et un autre pour ceux qui contournent la réglementation et utilisent le Net.
Nous avons beaucoup réfléchi à cette question. Nous avons souvent entendu cet argument. On dit que les forces de la mondialisation et de la nouvelle technologie sont si écrasantes que le seul choix, c'est soit de leur dégager la voie, soit de se faire écraser.
Le sénateur Perrault: Dégagez. L'express s'en vient!
M. Kelly: Les deux sont des créations de l'homme. S'ils ne reflètent pas les valeurs fondamentales de l'humanité, nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous-mêmes.
Au Canada, on accède habituellement à l'Internet grâce au téléphone, au câble, au satellite et, maintenant, au sans-fil. Toutes ces industries sont réglementées. Qu'y a-t-il donc de si sorcier à élargir le régime de réglementation de manière à y prévoir les droits de propriété intellectuelle et une quelconque responsabilité pour la distribution sur le Web?
D'après moi, ceux qui affirment que la réglementation est impossible n'y ont pas mûrement réfléchi. Ce n'est pas si compliqué.
Le sénateur Perrault: Ils ne souhaitent peut-être pas être soumis à des règlements.
M. Kelly: On peut lire, dans le plus récent rapport du comité consultatif sur l'autoroute de l'information, que les promoteurs de ces technologies demandent: «Ne nous réglementez pas, ne prélevez pas d'impôt, mais injectez des millions de dollars de deniers publics pour améliorer l'infrastructure et fournir le contenu». Il est difficile de croire que le gouvernement n'a pas sauté sur l'occasion. Cela m'avait semblé une affaire en or.
Il faut prendre bien garde de ne pas donner carte blanche aux «pionniers», sous prétexte que le développement de cette technologie est si important qu'il ne faut pas lui imposer de règles ou de discipline, par crainte de se faire damer le pion.
Manifestement, il ne faudrait pas écraser toute la technologie sous le poids d'un régime réglementaire impossible. Toutefois, il faut s'acquitter d'une responsabilité publique, soit faire en sorte qu'à mesure que ces technologies se développent, elles nous aident à atteindre certains grands objectifs sociaux et culturels que s'est donné le Canada.
Le sénateur Perrault: Je suis d'accord avec vous. Les formes d'art traditionnelles, le cinéma, la télévision, le théâtre et les livres ont longtemps bénéficié de subventions dans ce pays. En raison de ce vaste changement en cours, croyez-vous que des subventions fédérales devraient être offertes aux nouveaux médias, à ceux qui participent à cette révolution, pour les aider à tenir le coup?
[Français]
Mme Gagné: Je pense que ce n'est peut-être pas le moment pour que le gouvernement recule. Justement afin de pouvoir lancer le défi aux Américains, qui ont tout le pouvoir au niveau technologique et de la culture de masse pour diffuser le produit. Je pense que l'on est à un point critique au Canada, si l'on veut s'en sortir, face à cette globalisation que l'on peut appeler américanisation. Dans le fond, c'est presque cela. Il faut absolument qu'il y ait des ressources financières supplémentaires et autres pour nous permettre de se mesurer aux Américains sur ce territoire. Sinon, ce n'est pas seulement la technique qui va nous inonder et nous envahir; on va faire mourir. Les artistes sont justement les créateurs du contenu de ces machines. Je n'ai pas les chiffres précis, mais je crois que ce n'est pas le moment de reculer.
[Traduction]
Le sénateur Perrault: Je constate que certains artistes sur le Web vendent leurs oeuvres. Est-ce qu'ils reçoivent des commandes? Est-ce que leur art est en train de susciter de l'intérêt?
M. Kelly: Pour certains, cela fonctionne et pour d'autres pas. Nous continuons d'avoir affaire à une population qui n'a pas entièrement confiance dans l'utilisation d'Internet et des mécanismes de cryptage destinés à protéger les renseignements personnels comme les numéros de carte de crédit. Il ne fait aucun doute qu'ils ont beaucoup de succès à leur site Web.
Nous travaillons en collaboration par exemple avec la Canadian Independent Record Producers Association à l'élaboration d'un site interactif où il sera possible de commander des cassettes et des disques compacts canadiens.
Le sénateur Perrault: C'est une initiative constructive.
M. Kelly: Nous estimons qu'elle offre certaines possibilités, mais nous devons d'abord nous occuper de certains problèmes fondamentaux. Je sais que l'OCDE a mis sur pied un comité du commerce électronique chargé d'élaborer certaines normes de protection de ce genre d'information partout dans le monde. Cela permettra aux artistes d'attirer plus facilement de nouveaux clients et de nouveaux consommateurs. Les gens hésitent toutefois à divulguer des renseignements personnels.
Le sénateur Perrault: Il existe une crainte à cet égard.
M. Kelly: Oh, oui. C'est un problème que nous devons surmonter.
Le sénateur Johnson: J'aimerais savoir ce que vous pensez de la dernière déclaration de principe faite par la ministre au sujet de la distribution de films. Je pense que c'était juste avant Noël. Mes amis qui font partie de l'industrie dans l'Ouest canadien -- je suis surtout au courant de la situation dans l'ouest du Manitoba même si je sais un peu ce qui se passe à Toronto également -- trouvent que le plus grand problème, c'est de distribuer les films une fois qu'ils sont réalisés. Un excellent film comme celui d'Atom Egoyan fera une percée de temps à autres, mais il est très rare qu'un film ayant un budget de 5 millions de dollars comme celui-là soit nommé aux Oscars.
D'excellents films ont été réalisés mais n'ont jamais été vus à cause de problèmes de distribution. Cette politique permettra-t-elle d'apporter un réel changement à cet égard? Dans la négative, nous nous trouverons dans une situation, comme on l'a dit à Credo à Winnipeg, où la seule façon dont un film canadien pourra être présenté, c'est s'il met en vedette un acteur américain.
M. Kelly: Je suppose que vous parlez de l'idée de quotas relativement au temps de projection dans les cinémas commerciaux.
Le sénateur Johnson: À votre avis, cette initiative de quotas et tous les efforts en train d'être déployés seront-ils efficaces? Comment peut-on les améliorer ou les modifier?
Je peux nommer trois films réalisés au Manitoba ces cinq dernières années qui sont aussi bons que tout ce qu'on peut voir sur le grand écran, tant sur le plan de la qualité que de la performance. À moins d'être quelqu'un comme Guy Madden qui fait l'objet d'un véritable culte avec ses réalisations qui sortent de l'ordinaire, ces films ne sont jamais vus.
M. Kelly: Même un réalisateur comme Guy n'est connu que de très peu de monde. C'est une question avec laquelle nous nous débattons depuis de nombreuses années.
Comme vous le savez, lorsque Flora MacDonald était ministre des Communications, elle avait établi un programme de distribution de longs métrages qui faisait essentiellement la distinction en ce qui concernait les droits pour le marché canadien à la frontière. Le projet de loi est mort au Feuilleton à cause des énormes pressions exercées par Jack Valenti et ses collaborateurs.
Marcel Massé a tâché de lancer une initiative plus modeste mais elle n'a malheureusement rien donné non plus.
Le sénateur Perrault: Il y avait énormément de pression.
M. Kelly: Oui.
Des propositions ont été faites dans le récent document de travail sur la future politique cinématographique concernant les quotas relativement au temps de projection pour le cinéma commercial, où 10 à 15 p. 100 du temps de projection serait réservé à des films canadiens. Je ne suis absolument pas convaincu que cette mesure réussira.
S'il existe des quotas en matière de contenu canadien dans le système de radiodiffusion, c'est parce que la politique gouvernementale considère le système de radiodiffusion comme un bien public. Lorsqu'un radiodiffuseur obtient une licence pour utiliser un bien public qui lui rapportera un gain personnel, un contrat prévoit entre autres qu'il doit s'engager à présenter du contenu canadien et à investir dans du contenu canadien.
Cette raison d'être n'existe pas dans le cinéma commercial qui est un réseau de cinémas établi par des entrepreneurs privés. Aucune aide gouvernementale n'est offerte à qui que ce soit pour ouvrir un cinéma commercial. S'ils étaient obligés d'accepter un système de quotas, je pense qu'ils s'arrangeraient sans aucun doute pour assurer 15 p. 100 du temps de projection à du contenu canadien mais ce serait à 9 heures le matin ou à minuit; et il n'y aurait aucune promotion.
Le sénateur Johnson: C'est de cette façon qu'ils s'arrangeront pour répondre aux critères.
M. Kelly: Un an plus tard, ils nous diront que le contenu canadien ne se vend pas et que les recettes qui sont déjà lamentables, vont diminuer encore plus. Nous devons trouver un autre moyen de régler le problème de la distribution des longs métrages. Je pense que la solution réside dans la protection des droits du marché canadien.
Le sénateur Perrault: Les Australiens ont réalisé toute une série extraordinaire de films qui ont fait recette, dont The Man from Snowy River, Gallipoli, et Breaker Morant.
Le sénateur Johnson: L'industrie a maintenant atteint son plus bas niveau car elle traverse une période difficile.
Le sénateur Perrault: Les films australiens avaient une bonne circulation. Est-ce qu'ils profitaient d'une aide gouvernementale importante?
M. Kelly: Oui, à une époque. En fait, avant les dernières élections en Australie, le gouvernement avait publié un document extrêmement intéressant, intitulé: «Creative Nation», qui proposait ce que serait la politique culturelle australienne si le gouvernement était réélu. Malheureusement, il ne l'a pas été. Elle aurait permis de consolider jusqu'à un certain point les subventions et les organismes d'une importance critique pour le développement de la culture australienne.
Le nouveau gouvernement examine cette question d'un oeil neuf mais, de toute évidence, sans argent neuf. Mais c'est peut-être une possibilité.
Le sénateur Perrault: Ce ne seront pas de gros montants.
M. Kelly: Non, ce ne seront pas de gros montants.
Le sénateur Johnson: Voulez-vous dire que nous avons besoin d'une plus grande aide financière de la part du gouvernement?
Les Américains filment au Canada et utilisent des équipes canadiennes. C'est une bonne chose car cela crée des emplois dans diverses provinces, même les petites provinces. Dans la plupart des cas, ce ne sont pas des films extraordinaires et ils ne s'inspirent pas d'histoires canadiennes, mais ce n'est pas grave. Ils créent des emplois.
Je ne veux pas dire que tous les films réalisés au Canada devrait être du même calibre qu'un film comme «De Beaux lendemains». À l'heure actuelle, la majorité des films que les Américains viennent tourner ici ne sont pas très bons. Comment allons-nous conserver nos réalisateurs de films ici si cette politique dont nous venons de parler ne fonctionne pas?
Ce que je crains aussi, en cette nouvelle ère de mondialisation, c'est que les Canadiens aient l'impression qu'il leur est impossible de réaliser des films ici et qu'il leur faut un producteur ou un réalisateur américain. Ils peuvent décider d'en filmer une partie à Teulon ou quelque part en Saskatchewan et de respecter ainsi certaines règles en matière de contenu canadien pour obtenir de l'argent de Téléfilm. Je crains que tout le processus créatif disparaisse. Nous risquons d'être incapables de garder nos gens de talent à cause de ce phénomène de la mondialisation.
Vous avez déjà dit que la politique est inefficace. Que pouvons-nous faire d'autre?
M. Kelly: Si on examine les différentes étapes que suit un film dans la chaîne de distribution, son passage dans un cinéma commercial est sans doute la plus courte de toutes les étapes. Il est ensuite acheminé dans les magasins vidéos et dans les réseaux de radiodiffusion. Il atteint probablement plus de gens de cette façon que dans un cinéma commercial.
La solution consiste peut-être à appuyer le système de radiodiffusion afin qu'il puisse acheter ces films. Elle consiste peut-être à s'assurer que lorsque les Canadiens vont à un magasin vidéo Blockbuster pour louer un film le samedi, la section des «Films canadiens» offre plus de six films.
Le sénateur Perrault: On l'appelle parfois la section «Canadiana».
M. Kelly: Il me semble que cela fait partie des responsabilités d'une entreprise qui a une conscience sociale. Viacom, qui est propriétaire de la chaîne Blockbuster, je crois, est une société étrangère que nous avons repérée il y a quelques années. Elle a pris certains engagements financiers directs pendant quelques années après quoi elle n'a plus dépensé un sou au Canada. Elle a montré qu'elle était une entreprise ayant une conscience sociale et a pu ensuite siphonner de l'argent en dehors du pays.
Nous devrions peut-être revoir la façon dont nous laissons ces sociétés fonctionner afin de les obliger à prendre un engagement permanent qui témoigne de leur conscience sociale. Je reviens au commentaire que vous avez fait plus tôt, sénateur Perrault, à propos de l'espace sur les tablettes. Cependant, ce n'est pas la seule solution. Nous devrions peut-être nous assurer que les exploitants offrent de réels choix canadiens et pas simplement des choix symboliques.
Le sénateur Johnson: C'est une solution qui pourrait s'appliquer aux livres, aux disques et ainsi de suite. Je parle de la façon dont nous protégeons nos histoires.
Le sénateur Perrault: Hier soir, à Vancouver, il y a eu un énorme bouchon de circulation. Un énorme véhicule avait été renversé et bloquait le passage sur l'un de nos principaux ponts. Ils avaient dit que cela n'entraverait pas la circulation mais c'était faux. Ils étaient en train de tourner un film américain.
Il y a beaucoup de longs métrages qui sont en train d'être tournés, évidemment. Notre palais de justice local est devenu Little Rock, en Arkansas. Banff est devenu Denver au Colorado. Toutes les voitures grises de police ont dû être repeintes. Cela a été très bon pour les affaires dans certaines régions du Canada jusqu'à présent mais maintenant les Américains se plaignent qu'on tourne trop de films au Canada.
La production canadienne de films américains, bien entendu, a été facilitée par la faiblesse du dollar mais est-ce que cette tendance au bout du compte a profité aux artistes canadiens? C'est une profession assez difficile. Ils ont besoin de tous les emplois qu'ils peuvent obtenir.
M. Kelly: Je dirais qu'il y a eu des avantages extrêmement concrets au niveau de ce que nous appelons l'industrie des services à l'intention des gens qui participent à un film. Nous ne voulons pas perdre l'industrie des services. La faiblesse du dollar est de toute évidence le principal attrait et nous avons également une excellente base de talents que nous avons développée au fil des ans.
Nous tenions aussi à nous assurer que ces gens ont la possibilité d'utiliser leurs talents dans le cadre de projets canadiens, d'entreprises canadiennes. Nous ne voulons pas qu'ils servent uniquement les producteurs étrangers. Ce sont certains des enjeux que nous devons à mon avis examiner.
Le sénateur Johnson: Ce sont des enjeux importants. Nous avons dû refuser la demande d'une compagnie de production cinématographique qui voulait tourner un film au centre-ville de Winnipeg à cause de son architecture édouardienne. Il était impossible de trouver suffisamment d'équipes parce qu'on était en train de tourner un mélodrame avec Christopher Plummer à un autre endroit.
Nous avons parlé de quotas concernant le temps de projection dans le cadre de la nouvelle politique. Vous nous avez indiqué que les restrictions en matière de distribution ne fonctionneront pas. Quel est le mécanisme qui fonctionnera?
M. Kelly: Nous ne sommes pas arrivés à trouver le mécanisme idéal. Je crois que la solution consistera à établir le marché canadien comme un secteur de droits distinct. On peut dire que c'est ce que notre politique de distribution cinématographique tâche de faire pour les films de non-propriétaires, ce que d'ailleurs l'Union européenne conteste clairement.
Nous devrons peut-être envisager la possibilité pour l'industrie de recourir aux appels d'offres ouverts pour les droits canadiens. De toute évidence, nous voulons pouvoir appuyer les offres de distributeurs canadiens, mais cela permet uniquement de les garder au pays et ne leur garantit pas l'accès aux salles de cinéma. C'est un obstacle que nous n'arriverons peut-être pas à surmonter tant que les cinémas seront financés et exploités de façon indépendante.
Un système de quotas ne fonctionnera pas. Il vaudrait peut-être mieux laisser les exploitants de salles de cinéma projeter autant de films canadiens qu'ils veulent en leur disant que les recettes provenant de la présentation de films canadiens seront non imposables. Cela les inciterait à promouvoir les films canadiens.
Le sénateur Perrault: C'est une bonne idée.
M. Kelly: Nous devons utiliser la carotte aussi souvent que le bâton, surtout lorsque nous parlons de gens qui financent eux-mêmes leurs entreprises commerciales.
Le sénateur Johnson: Votre proposition est très utile.
[Français]
Mme Gagné: Je voulais ajouter un autre élément: dans le cinéma, dans la musique ou dans les livres il y a une autre valeur fondamentale que l'on doit véhiculer, c'est l'éducation. Si l'on veut que les gens aillent voir des films canadiens, qu'ils lisent des livres canadiens, il faut qu'ils sachent que cela existe. Il faut que les jeunes apprennent ce qu'est la culture au Canada, ce que sont les arts et ce qui se produit. L'éducation est toujours un domaine un peu critique. Je ne parle pas nécessairement d'investir des argents dans chaque province, mais qu'il y ait un consensus et une affirmation pan gouvernementale à tous les niveaux autant fédéral que provincial que municipal. C'est extrêmement important que les art soient enseignés dans les écoles, que les enfant aient accès à des productions artistiques de toutes sortes pour créer le besoin. Comme le dit la publicité: «Plus on mange de saucisse Hygrade, plus on en veut, plus elles son fraîches, plus on en mange!» C'est un petit peu cela: plus je vois des belles choses canadiennes plus je veux en voir. C'est un élément important. On a un comité sur l'éducation qui s'occupe de ces questions.
La présidente: Madame Gagné on dit souvent que plus un enfant apprend la musique, plus il apprend vite à lire. Peut-être que l'on pourrait ressortir certains résultats de ces recherches.
Mme Gagné: Absolument. Je suis pianiste donc vous tombez dans mon domaine: on y développe l'indépendance des deux mains, le fonctionnement du cerveau, et cetera. Les arts, en général, aident beaucoup au développement de la créativité. Les gens dans le domaine du commerce ont aussi besoin de créativité. Ils ont besoin de gens qui ont des idées nouvelles pour trouver le nouveau produit qui va apporter plus de ventes. Cela a beaucoup de ramifications.
[Traduction]
La présidente: Nous vous remercions beaucoup du temps et des idées que vous avez partagés avec nous. Peut-être, avant de partir, pourriez-vous proposer certaines recommandations que vous aimeriez voir dans notre rapport. Cependant, si vous préférez y penser, vous pourrez nous envoyer les recommandations supplémentaires que vous aimeriez nous faire.
[Français]
Mme Gagné: Je vous remercie beaucoup. On accepte votre offre et on essayera d'être un peu plus proche de vos travaux et vous aider à trouver les arguments qu'il faut.
[Traduction]
La présidente: Chers collègues, le prochain point à notre ordre du jour est le rapport de notre greffier et de notre conseiller principal par suite de leur mission d'information. Ils ont entrepris cette mission pendant que nous étions en pleine tempête de verglas, ici dans la région. Ils vont maintenant nous communiquer leurs constatations.
M. Matthew Fraser, conseiller auprès du comité: Je vous renvoie à notre document, c'est-à-dire au rapport de la phase II du sous-comité sénatorial des communications. Il vous servira de repère pour les commentaires que je ferai à propos de notre voyage en Californie.
Je commencerai par décrire notre voyage en Californie et ce que mon collègue, Michel Patrice et moi-même avons fait lors de notre séjour là-bas. Nous sommes partis le 22 février et revenus le 28 février. C'était un voyage de sept jours.
Nous avons commencé par Los Angeles où nos réunions ont été organisées par les membres de notre consulat, qui ont d'ailleurs fait un excellent travail. Nos réunions commençaient à 7 heures le matin et ne finissaient jamais avant 18 heures.
À Los Angeles, nous avons surtout passé du temps à Hollywood où nous avons rencontré les responsables des studios d'animation de Dreamworks; de Warner Bros.; les responsables des nouveaux médias de Universal Studios; et le vice-président des affaires commerciales de Sony Pictures.
Ai-je oublié de mentionner quelqu'un que nous avons rencontré pendant notre séjour à Los Angeles?
M. Michel Patrice, greffier du sous-comité: En ce qui concerne les médias, non. Nous avons également rencontré Jeffrey Cole de la UCLA, spécialiste de la politique sur les communications. Il est également conseiller spécial auprès de Al Gore.
M. Fraser: Il fait aussi de la consultation à Washington et conseille le vice-président sur la politique d'infrastructure de l'information. Il est également un spécialiste de la violence à la télévision.
Nous avons également rencontré les directeurs des réseaux de télévision à Los Angeles. Nous avons participé à un petit déjeuner d'affaires sur la programmation pour enfants et la violence à la télévision.
La deuxième partie de cette réunion s'est déroulée à Silicon Valley, San Jose et Palo Alto. C'est à Palo Alto que se trouve l'Université Stanford. Comme vous le savez, c'est l'Université Stanford qui a donné naissance à la Silicon Valley lorsque certains professeurs ont décidé de fonder leur propre entreprise. Nous y avons rencontré des cadres de Intel. Nous avons assisté à un colloque réunissant certains des plus grands noms de la Silicon Valley, entre autres Richard Liddle, qui a été l'un des premiers associés de Bill Gates à Microsoft. Il travaille maintenant à son compte et sa fortune s'élève à au moins deux milliards de dollars.
Nous avons également rencontré Halsey Minor, le fondateur de C-Net, une compagnie typique de la Silicon Valley qui diffuse des nouvelles sur Internet. Il a commencé avec 50 000 $ et sa fortune est maintenant évaluée à 300 millions de dollars. Son cas est typique des entrepreneurs de la Silicon Valley ayant un actif en moyenne de 500 millions de dollars. Souvent, ils n'ont pas plus de 25 ans.
Nous avons également rencontré les représentants de Dataquest, une entreprise de recherche et de consultation qui a partagé certaines de ses expériences avec nous.
Nous avons également assisté à une conférence parrainée par la ville de San Francisco sur les technologies numériques.
Ce que nous avons appris, c'est qu'au nord de la Silicon Valley, c'est-à-dire San Francisco et au sud de la Silicon Valley, c'est-à-dire Los Angeles, les gens sont très jaloux de la Silicon Valley parce que c'est là que se trouve tout l'argent. La ville de Los Angeles a mis sur pied un nouveau programme pour essayer de transformer Los Angeles en technopôle. San Francisco essaie, elle aussi, d'attirer un grand nombre d'entreprises de technologie numérique. Le gros de l'activité se trouve au centre même de la Silicon Valley, à San Jose, mais tout le monde essaie d'avoir sa part du gâteau.
La réussite de San Francisco est attribuable à l'effet de regroupement, c'est-à-dire lorsqu'une poignée d'industries s'installent et que d'autres se regroupent autour d'elles. Nortel y occupe une place importante.
Je parlerai du voyage en Californie en fonction de deux grands aspects: la «technologie» et la «culture». Ce sont les deux thèmes choisis par le sénateur Poulin pour orienter le rapport de la phase II. En ce qui concerne la technologie, il s'agit essentiellement de la distribution, des anciens systèmes de distribution et des nouveaux systèmes de distribution; et l'aspect culture portera sur le contenu. Nous avons discuté d'un grand nombre de ces questions avec les représentants de la CCA -- le contenu ancien et nouveau.
Ma première observation portera sur la distribution. J'aborderai ensuite le contenu. En ce qui concerne la distribution, on constate l'arrivée de nouveaux systèmes de distribution comme Internet qui pourraient faire concurrence aux systèmes traditionnels de distribution comme la télévision d'antenne et la télévision par câble, ce qui reprend certaines des observations faites par le sénateur Perrault. Les anciens systèmes de distribution demeureront mais les nouveaux systèmes de distribution connaissent un essor rapide. De toute évidence, l'Internet obligera les anciens systèmes de distribution à réagir s'ils veulent conserver leur dominance sur le marché.
La présidente: Pouvons-nous poser des questions pendant votre présentation?
Le sénateur Perrault: Quand vous voudrez.
La présidente: Au cours de votre visite aux États-Unis, lorsque vous avez constaté ce passage des systèmes de distribution traditionnels à de nouveaux systèmes de distribution, avez-vous été en mesure de déterminer les tendances? Y a-t-il des produits qui semblent mieux s'y prêter? Est-ce que certains continueront à faire appel aux anciens systèmes de distribution et est-ce que d'autres passeront plus rapidement aux nouveaux systèmes de distribution?
M. Fraser: C'est une excellente question. J'aborderai directement le premier volet du voyage en Californie concernant le système de distribution. Pratiquement toutes les sociétés à Hollywood s'acheminent vers la distribution de leur produits par Internet. Cela ne veut pas dire que vous ne verrez pas leurs films dans les cinémas, mais elles font des expériences sur Internet. Par exemple, la division des nouveaux médias à Universal Studio a un site Web.
Le sénateur Perrault: L'idée est-elle de permettre l'accès à des films à partir de chez soi?
M. Fraser: C'est là où nous avons des réserves. Nous avons constaté qu'elles expérimentent avec Internet et qu'elles le font parce qu'elles y sont obligées et ne veulent pas laisser passer l'occasion. Elles consacrent d'importants investissements à la division des nouveaux médias: Warner Bros. a une division des nouveaux médias ainsi que Universal. Il s'agit de divisions importantes où beaucoup d'argent est investi au cas où Internet devienne un énorme marché, ce qui est fort probable. Cependant, pour l'instant, elles ne distribuent pas de propriété intellectuelle sous forme de logiciel. À l'heure actuelle, il est impossible d'avoir accès à leurs films sur Internet. C'est parce que ces sociétés ont certaines inquiétudes à propos du cryptage et de la sécurité de leurs systèmes. Elles ne veulent pas mettre ces films sous forme de logiciel car ces produits pourraient être copiés partout dans le monde des millions de fois.
À l'heure actuelle, vous pourrez vous rendre sur n'importe lequel de ces sites et acheter toute sorte de produits: des disques compacts, des livres, des t-shirts, des tasses. Il y a des sites où on peut converser avec des vedettes. Universal a des vedettes comme Jeff Goldblum sur son site où ses fans peuvent lui parler et lui envoyer des messages.
Les jeux vidéos représentent un énorme marché de 20 milliards de dollars selon Universal Studios. Ces sociétés créent des jeux vidéos à partir de leurs propres produits comme Xena et Hercules. Je n'ai jamais entendu parler de Xena. C'est une femme qui utilise le karaté pour se défendre. Elles se trouvent à cannibaliser leurs produits pour en faire des jeux vidéos mais ne rendent pas les films accessibles par crainte qu'ils soient copiés et distribués partout dans le monde. En fait, cela s'est produit dans le cas de chansons.
Le sénateur Perrault: Bien entendu, cette technologie numérique permet une reproduction parfaite, n'est-ce pas?
M. Fraser: De plus, sénateur, le coût de la reproduction est nul. Tout ce que vous avez à faire, c'est de télécharger le produit.
Le sénateur Johnson: Auparavant, il fallait acheter les disques.
M. Fraser: Vous pouvez acheter des DC sur Internet. Vous avez sans doute lu l'article qui a paru dans le Globe and Mail, il y a environ trois jours de cela. Alanis Morrisette, qui est originaire d'Ottawa, est maintenant une grande vedette internationale. Une station radio de Los Angeles, qui avait un exemplaire témoin de son nouveau disque, en a joué quelques morceaux. Quelqu'un a copié les chansons et les a mises sur Internet. Maintenant, elles sont distribuées partout dans le monde, gratuitement.
Keith Kelly, de la CCA, a dit que la propriété intellectuelle serait un des domaines qui poserait problème en matière de réglementation. Les studios d'Hollywood sont très préoccupés par cet incident. Ils le sont tellement qu'ils refusent de distribuer le disque. Ils ne font pas confiance au système de chiffrement et de sécurité. Si tout le monde se met à télécharger les chansons, les pertes, évidemment, vont atteindre les milliards de dollars.
La présidente: Il faudrait accorder une place importante à cette question dans notre rapport, parce que cela signifie que l'artiste n'est pas protégé par le droit d'auteur.
Le sénateur Johnson: Si vous pensez que la situation est grave maintenant, avec ceci, elle sera totalement incontrôlable.
M. Patrice: C'est ce que pensent les studios d'Hollywood. Toutefois, les experts de la Silicon Valley pensent qu'ils peuvent installer un système de chiffrement, un système à clés à partir duquel ils pourraient facturer le consommateur.
D'après les représentants des studios Universal, la technologie, l'infrastructure n'est pas suffisamment avancée pour permettre la diffusion de films en temps réel, par exemple, sur l'Internet. Ils affirment pouvoir fournir de courtes séquences, mais ils ne pensent pas que la technologie, à court ou à moyen terme, dans cinq à dix ans, sera en mesure de permettre la diffusion de films en temps réel. Toutefois, c'est, encore une fois, le point de vue des studios d'Hollywood.
M. Fraser: La tension est très vive actuellement au Canada et aux États-Unis entre les titulaires de droits d'auteur et les concepteurs technologiques. Dans la Silicon Valley, vous rencontrez des représentants d'Intel et de Microsoft. Intel vend des microprocesseurs qui jouent le rôle de moteurs dans votre ordinateur. Ces gens veulent que les fils soient plus gros, que les ordinateurs soient plus puissants. Les films ne leur appartiennent pas. Ils veulent que l'infrastructure soit conçue de manière à ce qu'ils puissent vendre des microprocesseurs et permettre ainsi aux consommateurs d'avoir accès à ces films à partir de leur foyer. Le contenu des nouveaux médias occupe beaucoup plus de place sur les fils, contrairement aux signaux de radiodiffusion et aux appels téléphoniques. Les fabricants de matériel comme Sony, Panasonic et Intel tentent de rassurer les détenteurs de droits de propriété intellectuels, de leur dire qu'ils n'ont rien à craindre, qu'ils peuvent faire confiance à leur système. Toutefois, les créateurs, les titulaires des droits, sont fort inquiets.
Le sénateur Perrault: Je suppose que la nouvelle télévision à haute définition qui sera bientôt lancée sur le marché a une composante numérique. Serait-il possible de réaliser des films familiaux de haute qualité au moyen de cette technologie? L'image de télévision est encore un peu grenue.
M. Fraser: Ce n'est pas tout à fait la même chose. La télévision à haute définition mise sur la qualité de l'image.
Le sénateur Perrault: Le film serait plus attrayant.
M. Fraser: C'est exact. L'écran est plus grand.
Le sénateur Johnson: La terre n'arrêtera pas de tourner quand la télévision cessera d'exister. Elle sera bientôt remplacée par des écrans de projection.
M. Fraser: C'est un des principaux thèmes que nous avons abordés au cours du voyage. Nous avons demandé à presque tous les intervenants de nous dire si l'avenir appartient à la télévision ou à l'ordinateur, si les deux vont converger et, le cas échéant, si le système sera installé dans salon, le bureau ou la chambre à coucher.
La présidente: On appelle cela la pièce «principale».
M. Fraser: Nous avons posé ces questions aux représentants de la Silicon Valley. La plupart ont dit que les gens vont continuer de regarder la télévision dans leur salon, mais qu'ils vont faire autre chose avec leur ordinateur dans leur bureau. La question est de savoir ce que les gens vont regarder dans leur salon. Ce ne sera probablement pas NBC, ABC, RC, Global ou CTV, dans la même mesure. Ces entreprises auront de la concurrence.
Le sénateur Perrault: Est-ce que ce sera plutôt Warner, Sony et Universal?
M. Fraser: Oui. Ils vont vouloir installer le matériel dans les foyers. Ce sont essentiellement les réseaux de télévision qui assemblent les émissions. Ils les mettent en bloc et les diffusent. La programmation est déterminée à l'avance. Autrement dit, vous pourrez uniquement regarder l'émission Seinfeld le mardi soir, à 19 heures. Si vous n'êtes pas à la maison, vous pourrez l'enregistrer. Tout est programmé à l'avance. Autrement dit, le consommateur n'a aucune marge de manoeuvre.
Ils prédisent que le consommateur aura désormais une plus grande marge de manoeuvre dans le choix des émissions. Autrement dit, il pourra créer son propre menu. Si vous aimez beaucoup l'émission Seinfeld, vous pourrez rentrer chez vous et créer un menu dans lequel figure l'émission Seinfeld. Vous pouvez choisir l'épisode que vous voulez, même un qui date de 1985, moyennant certains frais. Cela pourrait vous coûter cinq ou dix sous.
La question est de savoir comment seront assemblées les émissions. On ne peut pas donner carte blanche à tout le monde. Les nouveaux joueurs comme Yahoo, Microsoft, Lycos et America On Line vont probablement se charger d'assembler les émissions, de créer ces menus. Les câblodistributeurs et les réseaux vont avoir de la concurrence, parce que ce sont eux actuellement qui font l'assemblage des émissions. Ils sont un peu inquiets. C'est pour cela que Bill Gates est très intéressé. Il veut pouvoir lui aussi assembler des émissions et facturer le consommateur.
Le sénateur Johnson: C'est quelque chose qui se fait déjà. À Noël, je me suis rendue chez quelqu'un qui avait aménagé dans sa maison une salle de projection munie d'un grand écran. Nous pouvons déjà créer des menus, bien qu'il soit impossible, pour l'instant, d'y ajouter 20 épisodes de l'émission Seinfeld.
Le sénateur Perrault: Nous avons également la télévision payante.
M. Fraser: Ce que vous décrivez-là me fait penser à la télévision par satellite.
Le sénateur Johnson: Ça existe déjà, mais je me demande pourquoi ils pensent pouvoir y mettre un terme.
M. Patrice: Je ne crois pas que ce soit leur objectif.
Les réseaux utilisent Internet comme source additionnelle d'information. Ils diffusent des émissions conventionnelles, mais ils envisagent d'ouvrir la voie à ce qu'ils appellent la «télévision interactive».
Le sénateur Johnson: Il y a beaucoup de groupes qui écrivent des livres sur les systèmes qui vont remplacer la télévision.
M. Patrice: Le poste récepteur de télévision aura toujours la forme d'un écran, qu'il soit muni ou non d'un microprocesseur.
Le sénateur Johnson: La question est de savoir s'il sera alimenté par ce microprocesseur.
M. Fraser: Le poste récepteur ne changera probablement pas d'apparence. Personne ne l'ouvre pour voir ce qu'il y a à l'intérieur. Toutefois, celui-ci sera essentiellement muni d'un microprocesseur.
Sur le plan social, autrement dit, la façon dont nous interagissons avec la télévision, au lieu de tout simplement allumer le poste récepteur et de laisser quelqu'un d'autre s'occuper de la programmation, le consommateur pourra choisir un plus grand nombre d'émissions. Si vous êtes un passionné de l'histoire, vous pourrez choisir de visionner des documentaires historiques.
M. Patrice: Cela peut coûter environ 6,44$ ou 7,50$.
Le sénateur Perrault: Pendant un mois environ, la société Philips a vendu un dispositif qui pouvait être installé à l'intérieur d'un poste récepteur et qui vous donnait accès à Internet. Ils essaient de réduire le coût d'accès à Internet.
Le sénateur Johnson: On devrait nous en faire la démonstration, madame la présidente.
M. Fraser: Comme je l'ai mentionné, on a délaissé rapidement les systèmes de distribution conventionnels comme la diffusion en direct. Ce phénomène est beaucoup plus répandu aux États-Unis qu'au Canada -- on délaisse la câblodistribution au profit d'Internet et de la télévision par satellite.
La plupart des gens ont choisi l'an 2003 ou 2005 comme date butoir. Évidemment, d'ici l'an 2010, nous serons bien en scelle. Nous aurons totalement pénétré le marché. Les premiers adaptateurs sont déjà en place, mais les taux de pénétration sont encore très faibles.
Côté contenu, c'est-à-dire côté culturel, les pressions en faveur de la production de nouveaux médias viennent non pas de Hollywood, mais de la Silicon Valley. C'est très évident. Autrement dit, ce n'est pas Hollywood qui prend l'initiative, mais plutôt les entreprises de la Silicon Valley qui se rendent à Hollywood et qui disent aux studios qu'ils devraient commencer à produire du contenu en fonction des nouveaux médias. Elles leurs montrent même ce qu'ils doivent faire.
S'ils le font, c'est par intérêt parce qu'ils vendent des microprocesseurs et des logiciels. Intel, par exemple, achète même de nouvelles compagnies de production multimédia. J'ai lu la semaine dernière dans le Globe and Mail qu'Intel avait acheté des parts de Discrete Logic, une entreprise canadienne bien connue qui se spécialise dans le développement de produits multimédias. Elle a également investi dans plusieurs autres entreprises.
Microsoft, comme vous le savez, est propriétaire de l'entreprise Softimage, à Montréal. C'est Bill Gates qui l'a achetée. Le fondateur de Softimage, Daniel Langlois, vaut maintenant 300 millions de dollars. Il figurait sur la page couverture de l'Actualité de cette semaine.
Les grandes entreprises de la Silicon Valley, comme Intel et Microsoft, achètent de nouvelles sociétés de production multimédia parce qu'elles veulent que le produit soit mis sur le marché plus rapidement. Et quand un produit sort plus rapidement, il faut des ordinateurs plus puissants et des fils plus gros. Il y a d'importants intérêts commerciaux en jeu. Ce n'est pas Hollywood, mais la Silicon Valley qui exerce des pressions pour qu'on produise du contenu en fonction des nouveaux médias.
Les studios d'Hollywood produisent donc des films au moyen de techniques numériques, de logiciels pour effets spéciaux et de techniques d'animation. Vous êtes tous au courant du différend qui oppose Disney à la compagnie Dreamworks. Ils essaient de se surpasser l'un l'autre. Toy Story est un bon exemple d'un film qui a été presque entièrement conçu au moyen de logiciels pour effets spéciaux. Nous en verrons beaucoup plus sur le marché. En fait, j'ai entendu dire que certains films sont réalisés non pas avec de véritables acteurs, mais avec des acteurs numériques.
Le sénateur Johnson: Cela pourrait être un soulagement dans certains cas.
M. Fraser: Je ne suis pas un économiste, mais je crois comprendre que cette technique a ceci d'avantageux: vous n'êtes pas obligé de verser 30 millions de dollars à Tom Cruise pour qu'il joue dans vos films. Les acteurs digitaux ne mangent pas et de commandent pas de gros cachets.
M. Patrice: Les grands films d'animation coûtent environ 50 millions de dollars à produire.
M. Fraser: Les coûts de main d'oeuvre sont élevés -- les animateurs qui sont très bien payés travaillent pendant de très longues heures.
Il y a une autre question qui, je crois, est susceptible de vous intéresser et c'est quelque chose qui a été mentionné à plusieurs reprises. À Hollywood, les gens sont très mécontents du fait qu'un grand nombre de studios tournent au Canada. Comme vous le savez, les studios d'Hollywood s'installent au nord de la frontière pour tirer parti des avantages fiscaux qu'offrent les gouvernements fédéral et provinciaux.
Le premier ministre de l'Ontario, Mike Harris, s'est rendu à Hollywood, il y a quelques jours, pour rencontrer les représentants des studios. Il y a eu un article à ce sujet dans le Globe and Mail. On disait que M. Harris était allé là-bas pour leur expliquer les avantages fiscaux qu'offre la province. Ils peuvent avoir accès aux fonds de Téléfilm s'ils réalisent un film avec un coproducteur canadien. Évidemment, comme notre devise est faible, ils économisent 30 cents sur chaque dollar. Ainsi, au lieu de dépenser 100 millions pour réaliser un film, ils en dépensent 70.
Comme vous l'avez signalé, sénateur, nous avons ici de très bonnes équipes. Toutefois, les gens à Hollywood n'apprécient pas qu'un grand nombre de films soient réalisés ici.
Comme vous le savez, nous nous débrouillons fort bien dans le secteur de l'animation. Nous avons Nirvana; Disney possède un studio à Toronto et la compagnie Dreamworks vient d'annoncer qu'elle envisage également de construire un studio ici.
De nombreux animateurs, et dirigeants, de Dreamworks sont Canadiens. Nous avons constaté que le collège Sheridan produit d'excellents talents. C'est la meilleure école de ce genre au monde. Sa rivale, une école du nom de Ringling, se trouve en Floride.
Si les compagnies s'installent ici, c'est parce que les animateurs au Canada ne sont pas syndiqués tandis que ceux d'Hollywood le sont. Ils gagnent aussi deux fois plus d'argent que leurs homologues canadiens. La réalité microéconomique des secteurs de l'animation au Canada et aux États-Unis est très différente.
J'ai posé quatre questions sur lesquelles nous pourrions nous pencher dans le cadre de nos discussions. Je vais les résumer rapidement. Concernant la distribution: quelles sont les principales caractéristiques et avantages économiques d'Internet? Est-ce qu'Internet est susceptible de devenir un média important avec l'avènement des nouvelles technologies numériques? Dans l'affirmative, ce système devrait-il être réglementé et assujetti à l'impôt?
En ce qui concerne le contenu: quelles sont les principales caractéristiques et avantages économiques des produits multimédias? Est-ce que le contenu de ces produits est susceptible de faire l'objet d'une grande consommation? Si oui, devrait-il être subventionné et réglementé?
La présidente: Merci, messieurs Fraser et Patrice.
Sénateur Perrault, si vous connaissez des témoins dont la contribution pourrait nous être utile, pourriez-vous me le faire savoir?
Le sénateur Perrault: Oui.
La présidente: Merci.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.