Délibérations du sous-comité des
Communications
Fascicule 3 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 25 mars 1998
Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit à 15 h 35 aujourd'hui pour étudier la position internationale du Canada dans le domaine des communications en général, et notamment l'importance des communications au Canada sur les plans économique, social et culturel.
Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Bonjour, monsieur Addy. Bienvenue au sous-comité chargé de faire une étude spéciale sur les communications. Je voudrais vous présenter à mes collègues, à ma vice-présidente, le sénateur Spivak, du Manitoba, et au sénateur Rompkey, que vous connaissez déjà, si je ne me trompe.
Monsieur Addy, nous apprécions beaucoup le fait que vous soyez venu. Je vois que vous êtes accompagné de Lorna Higdon-Norrie. Soyez les bienvenus tous les deux.
Comme vous le savez, l'année dernière, vers la fin du printemps ou au début de l'été, nous avons publié un rapport préliminaire. Nous savons qu'un exemplaire de ce rapport vous a été expédié. Nous savons par conséquent que vous connaissez le sujet principal de notre étude.
La question que nous nous sommes posée se résume essentiellement comme suit: que doit faire le Canada pour rester à la fine pointe des communications et des télécommunications en l'an 2000 et par la suite? Dans notre rapport préliminaire, même s'il comportait quatre chapitres indiquant que nous examinions les enjeux technologiques, sociaux, culturels et commerciaux, nous avons en réalité consacré beaucoup de temps à l'étude des enjeux technologiques. Nous examinons maintenant l'influence de ces enjeux sur le contenu, c'est-à-dire la politique officielle dans le domaine culturel, alors que nous sommes au seuil du monde sans frontières. Nous apprécions énormément votre présence et nous sommes tout oreilles. Il paraît que vous avez une présentation à faire.
M. George Addy, vice-président exécutif et avocat principal, TELUS: Effectivement. Madame la présidente, je félicite le sous-comité pour les enjeux qu'il examine. J'ai bien entendu eu l'occasion d'examiner l'extrait de votre ébauche de rapport qui nous a été envoyé par le greffier. Vous vous intéressez à mon avis à des enjeux très importants et même capitaux auxquels il est nécessaire de réfléchir.
Je voudrais commencer par vous présenter des excuses. En raison de certains événements survenus ces derniers jours, que vous avez peut-être remarqués, je n'ai pas eu le temps de fignoler mon exposé comme je l'aurais voulu et par conséquent je consulterai assez fréquemment mes notes, plus que de coutume en tout cas. Je vous prie de faire preuve d'indulgence.
Nous voudrions vous présenter un montage audiovisuel qui devrait durer une vingtaine de minutes, puis je me ferai un plaisir de discuter de ces questions capitales avec vous et vos collègues.
Je voudrais tout d'abord vous parler un peu de TELUS pour que vous sachiez qui nous sommes, ou du moins de ce que vous n'avez peut-être pas pu lire dans les journaux au cours des derniers jours. Nous sommes la troisième firme de communication du Canada. Lorsque j'ai créé l'entreprise, au milieu de 1996, nous étions 9 000 employés. Nous sommes maintenant 10 600 et c'est par conséquent une entreprise en pleine croissance qui a de solides racines albertaines.
Comme vous pouvez le constater en regardant au bas de l'écran, notre vision est très audacieuse, dans un sens positif: notre objectif est d'être reconnus comme la première firme de communication du monde. Pour y arriver, nous avons toute une série d'éléments à intégrer à nos activités courantes. Ce n'est pas nécessairement une question de taille, mais nous tenons à être la première firme de communication du monde.
La plupart des problèmes que vous avez signalés dans votre rapport sont des problèmes auxquels nous sommes confrontés quotidiennement. On annonce des alliances stratégiques pratiquement tous les jours. Ces alliances sont dans une large mesure motivées par les exigences des consommateurs. Dans un marché de plus en plus mondialisé, les entreprises veulent être reliées à un réseau mondial. Elles ne peuvent pas se laisser distancer. Le Canada ne peut pas se laisser distancer. Pour être concurrentiels à l'échelle mondiale, les clients exigent les types de services que ces alliances stratégiques permettent d'offrir.
Des entreprises canadiennes comme la nôtre s'intéressent beaucoup à la création de nouvelles alliances mondiales. Pourtant, celles-ci ne représentent pas la seule solution. D'autres facteurs clés comme la compétitivité de l'industrie canadienne des communications et notre clientèle entrent en ligne de compte. C'est dans une large mesure l'objet principal de votre attention: quelles sont les questions stratégiques connexes, les questions liées au cadre gouvernemental?
Je voudrais en aborder quelques-unes brièvement. Outre la question des alliances mondiales, qui se situe au niveau macro-économique, la compétitivité réelle sur le marché mondial est également liée à deux autres facteurs clés: l'infrastructure et les services. Nous estimons que pour répondre à nos besoins dans ce domaine, l'investissement et l'innovation sont nécessaires. En outre, pour obtenir l'investissement et l'innovation nécessaires au Canada, une réglementation symétrique et, à notre avis, pas trop stricte, est indispensable.
Permettez-moi d'examiner très brièvement ces divers éléments un après l'autre. Je commencerai par la question de l'investissement. Comme vous l'avez probablement remarqué dans le document qui nous a été envoyé par le greffier, il importe que l'infrastructure canadienne soit à la fine pointe du progrès, ce qui nécessite de l'investissement. Pour être réellement «Au fil du progrès», comme vous l'avez si bien dit, il faudra investir des milliards de dollars dans l'agrandissement et l'amélioration des réseaux existants et dans la création de nouveaux réseaux.
C'est à ce niveau qu'intervient l'innovation. Les nouveaux réseaux ne généreront pas à eux seuls les ventes nécessaires pour couvrir l'investissement. Ce sont les services, les applications, l'agrément supplémentaire que les consommateurs et les entreprises pourront en tirer qui motiveront également l'investissement. C'est ce que l'on peut appeler, je suppose, la question du contenu.
J'arrive au troisième élément, à savoir la réglementation. Les initiatives du gouvernement et du ou des organismes de réglementation peuvent encourager l'investissement ou le faire échouer. Nous pouvons citer des cas dans un sens comme dans l'autre et c'est ce que je voudrais faire. Le premier cas que je voudrais citer est celui d'Internet. Internet est ce que j'appellerais une zone qui échappe à la réglementation. La notion d'un mode de commerce électronique ne date pas d'hier; elle existe depuis des années. L'échange de données informatisées existe également depuis des années. À l'heure actuelle, grâce à Internet, ces deux activités sont devenues lucratives, potentiellement du moins; elles sont devenues des instruments de marché de masse pour les consommateurs et les entreprises du Canada.
Nous parlons de convergence depuis la fin des années 80, mais c'est grâce à Internet que nous commençons réellement à voir une certaine convergence se matérialiser sur le marché, dans les opérations bancaires, les achats et les nouvelles applications médiatiques par Internet. Tous ces instruments, tous ces changements font de la convergence une réalité.
Même si Internet semble être omniprésent à l'heure actuelle, il a encore un certain chemin à parcourir. On pourrait lui appliquer le slogan «vous n'avez encore rien vu» utilisé dans une publicité -- j'ai oublié laquelle. Le potentiel d'Internet est tout simplement phénoménal. Il offre des perspectives passionnantes aux gens d'affaires. Il peut être un instrument colossal de promotion des exportations pour les entreprises canadiennes et un puissant véhicule de diffusion du contenu et des services canadiens.
Cela me rappelle le cas du consommateur du Moyen-Orient qui cherchait des fournisseurs d'eau. Il a navigué sur le site Web de Calgary et a constaté qu'une entreprise de Calgary offre de l'eau en bouteille. Il a fini par acheter une quantité considérable d'eau en bouteille de cette entreprise. Ce n'est que la pointe de l'iceberg, en ce qui nous concerne.
Pour revenir à votre ordre du jour, au thème de votre étude intitulé «Au fil du progrès», TELUS a la ferme conviction qu'il est nécessaire d'élargir ces services et d'étendre ces réseaux le plus possible dans toutes les couches de la société. Nous savons que le fait qu'il existe des «nantis» et des «non-nantis» de l'information constitue un problème. Nous y sommes très sensibles et nous faisons de notre mieux pour essayer de le résoudre. Nous avons décidé de participer au programme Rescol, dont vous avez peut-être entendu parler, dont Industrie Canada est le principal promoteur mais que nous avons fait progresser. Nous avons institué un partenariat entre nos initiatives du Rescol et un organisme de bienfaisance que nous avons créé, appelé TELUS Bright Futures Foundation. Cet organisme offre des services d'Internet gratuits, sur une ligne à grande vitesse, à tous les établissements scolaires de l'Alberta.
Quand nous avons commencé à offrir ce service, nous avons constaté que c'était bien beau d'établir l'infrastructure nécessaire mais que c'était une tout autre affaire de s'arranger pour qu'elle soit utilisée convenablement; par conséquent, en plus du service Internet gratuit, nous avons offert un stage de formation sur l'utilisation d'Internet et sur ses possibilités didactiques pour les enfants à un professeur au moins par établissement.
Nous avons investi jusqu'à présent 8,5 millions de dollars dans ce programme et un million de dollars de plus dans la formation des enseignants pour s'assurer que l'infrastructure que nous avons installée est effectivement utilisée et qu'elle l'est de façon efficace.
Lorsque nous avons pris cet engagement à l'égard des établissements scolaires de l'Alberta, nous avons découvert une école très intéressante du nord de la province, à Pineridge, une localité créée autour d'une scierie. On a généralement tendance à croire que, pour avoir Internet, il suffit de quelques lignes téléphoniques, de quelques câbles, de quelques modems et de quelques autres accessoires électroniques auxquels je dois avouer franchement que je ne comprends pas grand-chose. J'utilise beaucoup de matériel électronique mais je ne le connais pas bien. Nous avons constaté que l'école de Pineridge avait été aménagée dans une scierie. Elle consiste en un local qui a probablement la moitié de la superficie de cette pièce-ci et compte huit élèves. Nous nous étions engagés à offrir gratuitement le service Internet aux établissements scolaires de l'Alberta et nous étions par conséquent confrontés à un dilemme. Cette scierie n'est reliée à aucune ligne téléphonique. Toute l'électricité nécessaire est produite à la scierie. Il n'existe absolument aucune ligne téléphonique.
Cela nous a coûté cher, mais l'installation d'un service Internet sans fil dans cette école faisait partie de nos engagements. Grâce à cela, huit enfants de cette école du nord de l'Alberta ont accès à un service Internet sans fil, à nos frais, et leur réaction est absolument extraordinaire.
C'est une constatation qui concorde avec celles que vous et d'autres décideurs font, à savoir la nécessité de faire en sorte qu'Internet et ce genre d'accès à l'autoroute de l'information soient à la portée du plus grand nombre possible de personnes afin d'éviter qu'il n'existe dans la société un clivage entre les «nantis» et les «non-nantis» de l'information.
Ceux et celles d'entre vous qui utilisent Internet se rendent compte qu'ils utilisent une ligne téléphonique à laquelle sont rattachés certains frais. Les fournisseurs de service Internet sont généralement établis dans les centres urbains; par conséquent, quel que soit votre fournisseur, il est généralement établi dans une ville. Pour une vaste couche de la population canadienne, cela représente des frais de communications interurbaines. Quant à nous, nous nous sommes engagés à ce que cet accès à Internet soit toujours lié à une communication locale en Alberta. Il n'y a donc aucun frais d'interurbain à payer pour avoir accès à Internet. Tel est le genre d'engagement que nous avons pris dans cette province. En toute sincérité, je ne connais pas d'autre firme de communication qui en fasse autant.
Vous avez également souligné la question des «villes intelligentes» et insisté sur l'intégration des divers éléments des services électroniques gouvernementaux -- ce que nous appelons la «ville câblée». Si vous voulez bien examiner nos exemples, en voici un qui concerne Grande-Prairie, en Alberta.
(Montage vidéo)
M. Addy: Dans votre rapport, vous avez signalé le potentiel de l'autoroute de l'information. Si j'ai bonne mémoire, une des questions que l'on se pose concerne les mécanismes qu'il convient de mettre en place pour s'assurer que les régions et les collectivités isolées, ainsi que les écoles, les bibliothèques et les hôpitaux, peuvent bénéficier des avantages qu'offrent ces nouvelles technologies. J'ai expliqué brièvement comment nous nous y prenons en Alberta. C'est déjà en train de se produire, comme vous l'a confirmé le maire Graydon de Grande-Prairie.
Les solutions à ce genre de problème sont très souvent personnelles; elles sont faites sur mesure. De nos jours, les particuliers, les entreprises ou les collectivités ont de plus en plus des besoins personnels que nous essayons de satisfaire sur l'autoroute de l'information. Le meilleur mécanisme que l'on puisse instaurer est un mécanisme qui n'entrave pas la livraison de ces solutions de rechange et qui permet d'offrir ce service personnalisé.
Pour nous et pour toutes les entreprises actives dans ce secteur, la difficulté est d'être en mesure de répondre à tous ces besoins personnels. Nous sommes actuellement en train d'essayer d'y arriver dans le contexte d'une réglementation qui n'a pas évolué aussi rapidement que la technologie, que les besoins et que l'industrie.
Cela fait précisément l'objet d'une de vos questions: quels instruments de politique gouvernementale et quels instruments réglementaires convient-il de mettre en place? Notre expérience a été, je crois, mise en lumière par l'exemple d'Internet et son évolution, ainsi que par ce que certaines entreprises privées peuvent faire si elles s'y intéressent et si elles sont disposées à investir dans ce genre d'activités. Ce que j'essaie de vous prouver aujourd'hui, c'est que les instruments que vous mettez en place, les règlements qui devraient exister, devraient être réduits à leur plus simple expression. Le marché peut générer certains de ces avantages. Il peut être à la hauteur du défi et il l'est, sans qu'il soit nécessaire de mettre en place une micro-réglementation très élaborée.
Je n'insinue pas qu'il n'existe aucun problème nécessitant l'attention et l'intervention du gouvernement par le biais d'une politique officielle. La protection de la vie privée et la sécurité sont deux problèmes dont vous avez probablement entendu parler et que vous examinez. Je pense que le cas cité par le maire Graydon explique bien le genre de problèmes que cela peut poser. On essaie de régler ces problèmes en ayant recours non pas à une réglementation élaborée mais à une approche qui a déjà été adoptée par Industrie Canada, fondée sur une réglementation pas trop lourde, sur des partenariats avec l'industrie. Il s'agit également de déterminer si l'autoréglementation de l'industrie, faute de pouvoir employer un terme plus exact, constitue un moyen plus efficace d'atteindre ces objectifs. Je crois que c'est le bon modèle. C'est le modèle que nous devrions tous adopter.
Nous pouvons atteindre certains de nos objectifs en matière de politique sociale de cette façon. Il n'est pas absolument nécessaire de mettre en place une réglementation élaborée. Par exemple, il y a environ deux mois, nous avons lancé un moteur de navigation sur Internet taillé sur mesure pour le Canada. Je crois qu'il s'appelle AltaVista.ca. Ceux qui connaissent Internet ont pu constater que, quand on fait une recherche, le résultat est indiqué en fonction du nombre de fois que les termes cherchés apparaissent.
Cette application que nous avons développée avec AltaVista.ca est bilingue et la première série de résultats affichés correspondant au Canada. Peu importe la nature de la recherche, on vous indique en premier lieu le nombre d'entrées sur des sites canadiens. À mon avis, le ciblage des moteurs de recherche sur ce genre d'activité est une façon intéressante de faciliter l'accès au contenu canadien sur Internet. Cet exploit a été réalisé sans la moindre réglementation ni le moindre encouragement de la part du gouvernement.
L'autre cas que nous avons à citer n'est pas tout à fait aussi positif. Je donne la parole à ma collègue, Mme Higdon-Norrie, qui va vous exposer brièvement notre expérience dans le domaine du multimédia.
Mme Lorna Higdon-Norrie, vice-présidente, Affaires publiques et gouvernementales, TELUS: On dirait que c'est à moi que revient la tâche d'annoncer les mauvaises nouvelles.
Vous nous avez demandé de vous parler de notre expérience dans le cadre de l'essai multimédia. Pour ceux et celles d'entre vous qui ne sont pas très au courant, je précise que nous faisons un essai multimédia à Calgary et à Edmonton depuis l'automne dernier.
Avant de signaler quelques problèmes qui se sont posés, je voudrais vous projeter deux ou trois minutes de montage vidéo qui vous montreront ce que nous essayons de faire.
(Montage vidéo)
Mme Higdon-Norrie: Ce genre d'expérience n'avait encore jamais été tentée. C'est un essai très audacieux et très avant-gardiste, et nous savions dès le début que ce serait difficile, que cela représenterait un défi. Pour que cet essai soit couronné de succès, il faut fabriquer un convertisseur numérique auxiliaire qui fonctionne bien. Cela n'avait encore jamais été fait. Nous avons eu des difficultés à le créer. Nous pourrons en parler un peu plus au cours de la période des questions, si vous voulez.
Nous trouvons assez normal de faire face à des problèmes de ce genre quand on essaie d'innover à ce point. Il s'agit d'une technologie toute récente qui, si nous réussissons, donnerait au Canada une place de premier plan dans le monde.
Dans le cadre de cet essai, nous nous sommes heurtés de plein fouet au problème du manque de convergence, sur le plan réglementaire. C'est un essai auquel participent moins de 1 000 foyers. Cette technique représente un investissement de 65 millions de dollars dans la R-D mais nous avons dû faire l'essai comme s'il s'agissait en fait d'obtenir une licence de télédistribution en bonne et due forme. Nous avons dû subir des audiences pendant des mois; nous avons reçu la licence; un appel a été fait à ce sujet au Cabinet qui, je le signale en passant, nous a appuyés, puis nous avons pu enfin lancer le projet. Notre fournisseur de convertisseurs nous a fait faux bond, à nous et à un certain nombre d'autres personnes, et il a fermé boutique. Ce n'était pas un jour faste. Cela nous a forcés à trouver un autre fournisseur, ce qui a entraîné un retard de plusieurs mois.
Quand on crée un service de télédistribution, cela se déroule à peu près toujours de la même façon. On l'a déjà fait et avec succès, et l'on peut prévoir avec beaucoup d'exactitude que l'on fera telle ou telle chose en septembre par exemple, puis telle ou telle chose en octobre et qu'au mois de novembre, on aura rejoint tel nombre de foyers. Comme je l'ai dit, ce que nous essayons de faire n'a jamais été fait auparavant et n'est pas prévisible, ce qui n'a pas empêché certaines sociétés de télédistribution d'essayer de nous mettre des bâtons dans les roues. Il faut reconnaître que le processus réglementaire les aidait à exercer des pressions sur notre essai, par l'intermédiaire du CRTC, grâce aux retards qu'il entraînait.
L'essai est toujours en cours et nous sommes convaincus que nous finirons par réussir. Pour en faire une réalité commerciale, à supposer que nous arrivions à surmonter ces obstacles, nous devons franchir une autre série de barrières auxquelles nous ne nous sommes pas attaqués aussi rapidement qu'il l'aurait fallu. Il faudra que le CRTC et le gouvernement s'entendent sur la signification exacte du terme «convergence».
Dans notre pays, la radiodiffusion et les télécommunications ont toujours été traitées de façon très différente. Alors que dans le secteur des télécommunications, la concurrence est très avancée, elle laisse beaucoup à désirer dans celui de la radiodiffusion. Il n'existe pas vraiment de raison valable pour justifier cette situation. À notre avis, elle persistera tant que l'on n'aura pas supprimé le degré de contrôle réglementaire plutôt extrême qui existe dans ce secteur et tant que les sociétés n'auront pas réellement l'occasion de se faire concurrence pour répondre aux besoins personnels de la clientèle.
Cette situation suscite un certain degré d'inquiétude chez les décideurs du domaine culturel, dans les milieux culturels et chez les Canadiens en général, parce qu'il est capital pour tous d'éviter d'investir des efforts dans la concurrence uniquement par principe, en perdant de vue les autres objectifs nationaux qui sont réellement importants.
Nous sommes persuadés que la voie de la concurrence et la puissance de ces nouvelles technologies ne constituent pas une menace pour les créateurs canadiens. Nous pensons que c'est exactement le contraire. Tous les services à contenu nouveau qui sont lancés, quelle que soit leur nature, ont une chose en commun: ils ont absolument besoin d'un contenu ultra-intéressant pour se distinguer des autres. Étant donné que le monde devient de plus en plus accessible grâce au réseau numérique à large bande de transmission, nous sommes enfin en mesure de surmonter certains des obstacles structurels de cette industrie qui ont empêché jusqu'à présent les créateurs canadiens de faire une percée sur les marchés étrangers et plus particulièrement aux États-Unis.
Les studios et les réseaux qui ont toujours mis des bâtons dans les roues des créateurs canadiens essayant de faire une percée sur le réseau de distribution américain n'auront plus le contrôle absolu sur le menu. En fait, personne ne l'aura. Nous estimons que ce changement ouvre des perspectives phénoménales. Il constitue également un défi pour le conseil parce qu'une approche réglementaire axée sur le contrôle a toujours été le fondement du système, parce que l'on est toujours parti du principe que le contrôle est possible.
Je crains que le débat sur la meilleure façon de contrôler la diffusion du contenu visuel devienne de plus en plus théorique. Voici, à notre avis, la question qu'il convient de se poser: que se passe-t-il lorsque le pouvoir de contrôle a disparu? Nous exhortons le gouvernement et le CRTC à se mettre à accepter le principe de la concurrence car celle-ci fera augmenter considérablement la demande de contenu canadien, tout en prenant conscience de certains problèmes qu'engendrera cette concurrence et en se mettant à réorienter leurs programmes de soutien du contenu pour encourager les produits qui ont peut-être besoin d'un soutien supplémentaire au niveau de la production ou de la commercialisation pour trouver leur auditoire.
Plus vite nous abandonnerons le principe du contrôle de la diffusion qui constitue la pierre angulaire de notre politique de radiodiffusion et plus vite nous verrons apparaître d'autres sources de diffusion, plus on fera de la production à contenu canadien pour répondre à la demande sans cesse croissante -- et plus il y aura également d'innovation et d'investissement dans ce secteur critique de l'expression culturelle du Canada.
Je vais vous citer un autre exemple qui montre qu'une réglementation constante et inappropriée peut avoir une incidence directe sur la compétitivité du Canada à l'échelle internationale. Je suis certaine que vous êtes conscients du fait que tous les appels faits du Canada à l'étranger doivent passer par un transporteur qui s'appelle Téléglobe -- qui détient le monopole dans ce domaine --, quelle que soit la société d'exploitation de télécommunication que l'on utilise, une entreprise qui fait partie du réseau Stentor ou une autre. Téléglobe n'est donc pas forcé d'être concurrentiel sur le marché international pour ce qui est des prix et par conséquent, les tarifs qu'une société comme la nôtre doit imposer à sa clientèle sont beaucoup plus élevés que si nous avions le choix pour le fournisseur. Le monopole de Téléglobe doit normalement prendre fin au mois d'octobre. Nous serons peut-être en mesure de diminuer certains prix d'ici là grâce à d'autres types de décisions. Bien entendu, Téléglobe fait tout son possible pour s'accrocher; cette société fait notamment des appels devant le Cabinet pour essayer de protéger ce monopole jusqu'à la toute dernière minute.
Il s'agit en fait d'un cas manifeste où l'absence de pressions commerciales a une incidence très directe -- et néfaste -- sur la compétitivité des entreprises canadiennes. Les frais de télécommunication représentent une proportion de plus en plus forte des dépenses annuelles d'une entreprise et les entreprises canadiennes sont confrontées à des tarifs beaucoup plus élevés que leurs cousines étrangères en ce qui concerne les télécommunications transocéaniques.
Nous avons par contre bon espoir que lorsque la libre concurrence sera enfin instaurée dans ce genre de service, elle accroîtra considérablement la compétitivité du Canada.
Je rends la parole à M. Addy, qui va terminer l'exposé.
M. Addy: Comme toute autre entreprise, TELUS veut prendre de l'expansion. Quand nous scrutons l'avenir, nous nous demandons où nous investirons, où nous développerons notre réseau, où nous allons prendre de l'expansion. Nous développerons notre réseau et nous investirons là où le marché est suffisamment libre et où la réglementation nous permet d'offrir le meilleur service possible à notre clientèle, de faire réaliser à nos actionnaires des gains raisonnables sur leurs placements et de nous tailler une place sur le marché grâce à notre compétence en affaires et à la satisfaction de notre clientèle.
On entend dire souvent que l'industrie canadienne des communications est maintenant complètement déréglementée. Nous sommes encore loin du compte. Nous avons encore bien du progrès à faire. On se base souvent sur ce qui se passe dans le secteur des appels interurbains pour faire ce genre d'assertion. Ce secteur est un bon exemple de ce que la concurrence peut donner, mais il existe toute une série d'autres domaines où l'on est loin d'avoir atteint un tel niveau de déréglementation.
Nous vous prions de continuer d'axer vos efforts sur la libéralisation du marché, car c'est un des principaux moteurs de développement intérieur; c'est à mon avis le fondement de la compétitivité internationale du Canada et des entreprises canadiennes. Nous vous prions de ne pas oublier que le marché est le principal moteur et de considérer la réglementation comme une exception et non comme la règle.
Nous reconnaissons et ne contestons pas que le gouvernement se doit de poursuivre assidûment certains objectifs stratégiques sociaux et culturels. Nous sommes entièrement en faveur d'une telle approche. Nous tenons toutefois à rappeler à ceux et celles qui élaborent les politiques qu'il existe toujours de nombreux autres moyens d'atteindre ces objectifs. Nous prions les décideurs de s'intéresser aux solutions qui bousculeront le moins la dynamique du marché, parce que celle-ci est porteuse d'innovation et d'investissement.
Madame la présidente, TELUS se réjouit de continuer à collaborer avec les décideurs du gouvernement, notamment avec Industrie Canada, pour trouver certaines solutions.
La présidente: Merci beaucoup pour votre excellent exposé, monsieur Addy et madame Higdon-Norrie. Mes collègues se réjouissent de pouvoir vous poser des questions.
Le sénateur Rompkey: J'ai plusieurs questions à poser. Vous avez dit que Téléglobe s'accrochait et cela m'a intéressé. Nous venons précisément de tenir des audiences à ce sujet. En réalité, Téléglobe a témoigné hier. Ce que vous m'avez dit m'intéresse parce que cette société nous a donné l'impression qu'elle se réjouissait de la concurrence sur le marché. Elle ne fait pas de cachotteries; elle ne tient pas à conserver ses prérogatives en ce qui concerne certains contrats et le CRTC a par ailleurs des pouvoirs suffisamment étendus pour régler ce problème. Expliquez-nous pourquoi vous estimez que Téléglobe s'accroche.
Mme Higdon-Norrie: L'exemple d'actualité -- et je ne tiens pas à nous entraîner dans un trou dont nous n'arriverons jamais à sortir --, c'est ce que l'on appelle la commutation des systèmes centraux.
Le sénateur Rompkey: Nous en avons entendu parler également. Nous pensions que c'était un nouveau mode de communication entre époux.
La présidente: Je pensais que c'était une danse. Par conséquent, nous étions tous à côté de la question.
Mme Higdon-Norrie: Je vais essayer d'expliquer très simplement de quoi il s'agit, à l'intention de ceux et celles qui ne savent pas ce que c'est.
Le sénateur Rompkey: On nous a expliqué de quoi il s'agissait.
Mme Higdon-Norrie: Je dois dire que cette question a été examinée à fond, pour savoir si elle cadre avec la structure monopolistique. C'est un domaine dans lequel Téléglobe pourrait joindre le geste à la parole et adopter réellement une attitude pro-concurrence -- notamment procéder à une transition accélérée en quelque sorte, mais ce n'est pas le cas.
Le CRTC en est arrivé à la conclusion que l'ouverture du marché grâce à une forme de commutation des systèmes ne serait pas incompatible avec le maintien d'un monopole, parce que nous serions toujours forcés d'utiliser les installations de Téléglobe pour les télécommunications transocéaniques. La question est de savoir ce qui arrive ailleurs.
Personnellement, j'estime qu'il n'est pas logique de déclarer publiquement que l'on est en faveur de la concurrence et que l'on est impatient que le monopole prenne fin tout en lançant un appel au Cabinet pour pouvoir s'accrocher ne fût-ce que six mois ou plus.
M. Addy: Je vais vous donner quelques précisions à ce sujet. Si j'ai demandé à Lorna de faire la partie de l'exposé concernant le multimédia, c'est que j'ai tendance à me laisser emporter et qu'elle doit toujours tenter de me calmer.
L'expérience que nous avons faite en ce qui concerne le multimédia et les incidents survenus avec Téléglobe indiquent que, dans le cadre réglementaire actuel, on s'adonne à des petits jeux très coûteux, très accaparants et, il faut le dire, tout à fait déplacés. Je préférerais de loin supprimer mon service qui s'occupe de toutes nos formalités réglementaires et d'en affecter les employés à des fonctions liées aux objectifs que nous essayons d'atteindre en ce qui concerne le multimédia, à des applications comme les initiatives AltaVista, les initiatives Rescol, au lieu de gaspiller des ressources, du temps, de l'argent et du personnel à ce genre de petits jeux. J'essaierai de ne pas me laisser trop emporter.
La présidente: Qu'entendez-vous par «petits jeux»?
M. Addy: Franchement, c'est ce que je trouve irritant au plus haut point; je trouve irritant de devoir subir des audiences qui durent plusieurs mois. Nous essayons de créer une sorte de laboratoire multimédia en Alberta. Personne au monde n'a jamais tenté ce genre d'expérience. Nous essayons de mettre au point une technologie. Nous n'essayons pas de prendre le contrôle de Shaw ou de Vidéotron. L'expérience touche tout au plus un millier de ménages en Alberta. Cela ne fait pas beaucoup de foyers. Nous avons dû subir des audiences pendant plusieurs mois, un appel au Cabinet et nous avons investi 65 millions de dollars jusqu'à présent. Et ce n'est pas fini.
Comme cadre, je dois rendre des comptes à mon président et lui fournir les raisons pour lesquelles nous devons subir tout ce processus, et lui doit fournir à son tour des explications au conseil d'administration. Pourquoi? Nous pourrions prendre nos 65 millions de dollars et retourner en Grande-Bretagne, où nous avons fait des investissements considérables il y a quelques années, qui nous ont rapporté gros, et où la réglementation est très libérale.
Le sénateur Rompkey: Est-ce à cause du CRTC?
M. Addy: Pas seulement à cause de lui. J'éprouve sincèrement de la sympathie pour le CRTC, parce qu'il est confronté à certains problèmes terriblement compliqués. Il essaie de régler les problèmes que pose cette transition. Les instruments qui lui ont été fournis pour ce faire gravitent à mon sens autour de la technologie. La technologie a une énorme avance sur cette structure, qui est axée sur la réglementation.
Un des problèmes est que nous persistons à compter sur la technologie de diffusion pour atteindre certains objectifs sociaux et culturels. Si le contenu canadien est un objectif, Internet est, comme vous le savez, un outil d'une taille absolument gigantesque. Il est utilisé par tout le monde. Il existe une véritable soif de contenu. La demande de contenu ne pose pas de problème et pourtant, l'infrastructure réglementaire est axée sur des aspects comme le contrôle de telle ou telle fibre, la propriété du câblage et la composition du commutateur.
À mon avis, la technologie et son cycle évolutif dominent le cadre réglementaire qui a pourtant pour but de nous permettre d'atteindre nos objectifs culturels; je n'en conteste pas la validité sur le plan technologique, mais que devient l'objectif véritable dans tout cela? On veut du contenu canadien? Parfait. Que l'on précise ce que l'on entend par là et que l'on détermine quels sont les autres outils disponibles au lieu d'essayer de contrôler les câbles, parce que c'est ce que vous faites à l'heure actuelle. Demain, il n'y en aura plus, ce sera la transmission sans fil. Comment contrôler cela? Voilà le dilemme auquel nous sommes confrontés quotidiennement.
Le sénateur Rompkey: Faudrait-il se passer complètement du CRTC? Le CRTC n'a-t-il plus sa raison d'être au cours du prochain siècle?
M. Addy: Je suppose qu'il y a des enjeux. Je ne sais pas si c'est le CRTC tel qu'on le connaît aujourd'hui ou tel qu'il était il y a une dizaine d'années. Il est fort probable que l'on continuera d'avoir besoin d'un organisme quelconque si l'on veut atteindre certains des objectifs de politique sociale bien que l'on n'aborde peut-être pas la situation de la même façon. Ce ne pourrait être par l'intermédiaire d'un régime d'octroi de licences ou par une victoire du système de télécommunication par câble de cuivre sur la télécommunication sans fil, par exemple, mais il est peut-être légitime de croire que, du point de vue de la politique officielle, le marché ne livre pas la marchandise si on lui laisse les coudées franches.
Le sénateur Spivak: Je ne suis pas certain de comprendre toute cette histoire d'absence de contrôle sur la diffusion. Je me demande comment vous pouvez le dissocier des objectifs sociaux et économiques. Je pense notamment à l'affaire Microsoft, aux États-Unis. Malheureusement, dans notre pays, je ne pense pas que le Bureau de la concurrence exerce un pouvoir antitrust comparable au système américain.
Il existe au Canada deux secteurs où la réussite est éclatante: l'industrie de la musique -- qui est très réglementée et le reste -- et celle de l'édition. Sans les petits éditeurs, les auteurs canadiens ne seraient pas aussi florissants. C'est du moins ce que nous ont dit les auteurs eux-mêmes; ils nous ont dit qu'ils n'auraient jamais été en mesure de réussir s'ils n'avaient pas été encouragés par les petites maisons d'édition, qui sont pourtant assujetties à une réglementation.
J'aimerais que vous m'expliquiez exactement pourquoi le contrôle sur la diffusion devrait complètement disparaître. Je crois comprendre qu'il ne peut pas durer éternellement et qu'il est difficile à exercer. Lorsque j'ai demandé au représentant du CRTC quelle était la différence entre sa mission et celle du Bureau de la concurrence, il m'a dit qu'il n'y en aurait plus en fin de compte. Je ne considère pas cela comme une réponse satisfaisante.
Je ne comprends pas très bien cette expérience multimédia. Si j'ai bien compris, le CRTC n'aimait pas votre projet, n'aimait pas ce que l'on vous avait autorisés à faire; pour lui, ce sont en fait des services supplémentaires de télédistribution que vous offrez. Vous pourriez peut-être m'expliquer cela avec plus de précision.
J'ai lu l'ouvrage de George Gilder. Il dit qu'il faut oublier le convertisseur numérique auxiliaire. D'après lui, ce n'est pas la solution d'avenir; celle-ci passe par l'ordinateur.
Vous pourriez peut-être répondre à ces questions. Je vous les soumets peut-être un peu pêle-mêle.
Mme Higdon-Norrie: Je vais répondre à deux ou trois de ces questions. Je n'irai pas jusqu'à essayer de répondre à celle concernant le Bureau de la concurrence alors que M. Addy est présent. Par conséquent, je lui laisserai le soin d'y répondre.
Le sénateur Spivak: La réglementation a été une réussite dans certains domaines.
Mme Higdon-Norrie: Absolument. Je suis entièrement d'accord. La réglementation a joué un rôle capital dans la promotion de l'industrie canadienne de la vidéo, sous toutes ses formes, qu'il s'agisse de diffusion, de production ou de distribution. J'estime que la situation serait nettement moins intéressante dans ce secteur sans la présence d'un organisme de réglementation très puissant.
Le sénateur Spivak: Nous n'aurions tout simplement pas ce que nous avons aujourd'hui.
Mme Higdon-Norrie: C'est exact. Nous ne l'aurions pas du tout. Nous ne prétendons pas que la réglementation soit néfaste. La question est de savoir si l'on peut continuer ainsi. Pouvez-vous continuer à croire que cet outil sera toujours à votre disposition? Vous avez vu aujourd'hui sur mon ordinateur de bureau à quoi ressemble la vidéo sur ordinateur. Je vous mets au défi de relever une différence entre cette technique et la vidéo sur télévision.
Le sénateur Spivak: Attendez une seconde. Votre ordinateur n'est-il pas branché sur un téléviseur?
Mme Higdon-Norrie: Non.
Le sénateur Spivak: Pardon, j'avais mal compris le message.
Mme Higdon-Norrie: Je vais vous parler brièvement de la connexion qui existe entre le convertisseur et les autres appareils. Nous n'avons pas utilisé du tout de téléviseur aujourd'hui. C'est un ordinateur.
Le sénateur Spivak: Est-ce un convertisseur branché sur un ordinateur?
Mme Higdon-Norrie: Non, c'est uniquement un ordinateur. Je compte vous donner également des explications sur le convertisseur numérique et sur l'essai multimédia. Ce que je voulais dire, c'est que c'est le genre de chose que vous pouvez faire actuellement avec votre ordinateur, grâce à Internet à grande vitesse. On ne fait intervenir absolument aucun réseau de télédiffusion.
On a tendance à adopter de plus en plus les réseaux à large bande de transmission. La capacité de tous les réseaux de communication augmente. C'est uniquement la capacité qui compte. La rapidité des réseaux augmente en même temps que celle des ordinateurs.
Si l'on a accès à l'univers tout entier sur commande et que l'on peut faire le tour du monde et trouver des divertissements pratiquement où l'on veut, à quoi sert une politique culturelle canadienne fondée sur le principe que l'on peut contrôler l'information que l'on reçoit chez soi? Elle est vouée à l'échec. On peut toutefois se demander si cela durera encore deux ans, cinq ans ou dix ans. Les opinions à ce sujet varient d'une personne à l'autre.
Le sénateur Spivak: Si l'on peut concevoir ce genre de technologie, il doit être possible de concevoir une technologie permettant de trouver un moyen de contrôle?
Mme Higdon-Norrie: Mais pourquoi? Alors, nous devons avoir une discussion à ce sujet.
Le sénateur Spivak: Vous voulez que l'on adopte au Canada une stratégie industrielle qui englobe un des secteurs de l'économie dont la croissance est la plus rapide.
M. Addy: Vous partez du principe que la façon de procéder consiste à exercer un contrôle sur la diffusion.
Le sénateur Spivak: Non. Tout ce que je veux dire, c'est que nous connaissons deux cas de réussite brillante. Expliquez-moi pourquoi ce système ne pourrait pas fonctionner en ce qui concerne la production du contenu.
Mme Higdon-Norrie: Je tiens toutefois à vous signaler que l'industrie de la musique est florissante grâce à un instrument réglementaire axé sur des contingents. Quant à l'industrie de l'édition, elle est soumise à un système de soutien direct volontaire.
Le sénateur Spivak: Il s'agit de subventions.
Mme Higdon-Norrie: Il ne s'agit nullement de réglementation. Personne n'a dit: «Si vous voulez être éditeur au Canada, vous devez posséder une licence et publier tel ou tel pourcentage d'ouvrages d'auteurs canadiens». Ce n'est pas une industrie réglementée. C'est une industrie subventionnée.
Le sénateur Spivak: Elle est également réglementée. La publication de revues est réglementée, par exemple. L'OMC et l'AMI entre autres constituent une entrave.
Le sénateur Johnson: Pourrions-nous avoir des explications plus simples? Pourriez-vous nous donner une idée du genre de cadre réglementaire idéal auquel vous pensez? Souhaitez-vous l'absence totale de réglementation?
M. Addy: Quel est votre objectif?
Le sénateur Johnson: Je voudrais savoir exactement ce que vous voulez dire, parce que vous n'aimez pas les petits jeux, vous n'aimez pas les audiences, vous voulez moins de règlements et vous voulez que le secteur soit soumis uniquement aux lois du marché; vous prétendez en outre que, si le gouvernement veut fixer certains objectifs sociaux et culturels, il n'y a pas de problème car il existe des outils pour ce faire.
Je suis une personne simple. Dites-moi tout simplement si vous voulez des règlements.
M. Addy: Je vous pose la question à mon tour, honorable sénateur, et vous demande quel objectif vous essayez d'atteindre. Essayez-vous de créer une industrie de l'édition typiquement canadienne? Si c'est là votre objectif, c'est parfait. Essayez-vous de créer une industrie de production cinématographique typiquement canadienne? Parfait. Il faut préciser l'objectif visé. Je ne pense pas que nous ayons le temps d'en discuter. Je suis toujours sidéré de voir que lorsqu'il s'agit de calculer le contenu canadien d'un film, on tient compte par exemple du fait que c'est tel ou tel restaurant, un McDonald par exemple, qui a fourni les services de traiteur. Je ne pense pas que l'on ait déjà eu ce genre de discussion.
Une fois que ce sera fait et que nous aurons décidé ce que nous voulons, il ne nous resterait plus qu'à déterminer quels outils peuvent nous aider à atteindre cet objectif. Ils sont innombrables. On peut notamment laisser agir les forces du marché. On peut également décider d'octroyer directement des subventions aux producteurs et de laisser le marché prendre soin de la distribution. La solution peut passer par toutes les étapes jusqu'à celle de la distribution.
Je suis absolument d'accord avec Lorna. Si le Canada estime qu'il peut devancer tous les gourous de la technologie au moyen de quelque type de règlement que ce soit, nous courons à la catastrophe.
Vous avez parlé de l'affaire Microsoft. Cela fait l'objet de toutes sortes de discussions aux États-Unis; on se demande si c'est une formule saine. M. Klein a beau contester, mais étant donné que la technologie progresse à une allure effrénée, qu'est-ce que cela peut faire s'il domine le marché pendant cinq ans? Sa technologie sera dépassée la sixième année et quelqu'un d'autre prendra la relève. Cela fait partie des règles du jeu. La situation est plutôt floue.
Je crois que la difficulté, lorsqu'il s'agit de fixer les objectifs, est de concevoir le moyen le moins interventionniste. Même le CRTC a dit que la réglementation passera toujours après les forces du marché pour ce qui est de l'efficacité.
Mme Higdon-Norrie: Vous avez posé une question au sujet du convertisseur numérique, par exemple. En fait, nous avons depuis hier accès à un autre outil tout récent de promotion du contenu canadien. Nous n'y aurons en fait pas accès tant que nous n'aurons pas installé le convertisseur numérique. En fait, vous avez parfaitement raison de dire qu'il faut oublier le convertisseur et que tout se fera par ordinateur. Ce que nous sommes en train de fabriquer est un appareil spécial branché sur un ordinateur personnel puissant.
Lorsque nous sommes allés au CRTC pour parler de cet essai, nous avons expliqué que nous voulions en fait exploiter cette technologie au maximum pour voir quelles sont ses possibilités exactes. Nous voulions savoir si cette technologie offre de nouveaux moyens de promouvoir le contenu canadien.
Lorsque vous vous abonnez à notre service, vous ne changez plus de chaîne comme vous le faites sur votre téléviseur. Vous utilisez ce que l'on appelle le Navigateur qui vous indique toutes les possibilités qui existent. Il vous donne également l'occasion de demander par exemple ceci: «Qu'y a-t-il à 20 h 00 comme émission de type familial?» Les possibilités apparaîtront sur l'écran et les émissions canadiennes apparaîtront en premier lieu et seront signalées. En fait, vous pourrez naviguer comme vous voulez sur l'interface, le système vous guidera automatiquement vers les émissions canadiennes. Elles seront là et on en fera la promotion. Cela n'avait encore jamais existé.
Ce que je trouve très frustrant lorsque j'allume la télévision, c'est que je ne sais jamais où trouver les émissions canadiennes dans le TV Guide. On ne peut pas trouver ces émissions, à moins de savoir exactement sur quelles chaînes elles sont diffusées. On ne peut pas les soutenir. Voilà le genre de chose que nous voulons dire. Quel rôle cela peut-il jouer dans le cadre de soutien?
Je parle de «réglementation», mais je ne tiens pas à ce que l'on me prenne pour une partisane de l'intervention gouvernementale. La réglementation est une possibilité d'intervention gouvernementale mais il en existe beaucoup d'autres, notamment les partenariats officiels ou officieux avec l'industrie.
Nous travaillons tous pour la même cause. Lorsque nous avons conçu notre essai multimédia, nous n'avons pas ménagé nos efforts pour essayer de connaître et de respecter les objectifs stratégiques du gouvernement. Nous comprenons vos objectifs. Par contre, nous sommes également conscients du fait que le monde évolue et que telle ou telle technologie sera l'occasion de vous aider à atteindre vos objectifs. Ce genre de partenariat peut être efficace.
Je crois que des programmes d'octroi de subventions directes dans le domaine culturel seront toujours nécessaires au Canada. Nous ne serons peut-être jamais en mesure de résoudre certains problèmes qui se posent à l'échelle de l'ensemble du marché, surtout dans certains segments de la production culturelle. Plus une production est typiquement canadienne et moins on a de chances de couvrir ses frais à l'étranger.
Le sénateur Rompkey peut ou non être d'accord avec moi. Je suis une adepte fidèle de l'émission This Hour has 22 Minutes. Si je m'adresse à vous spécifiquement, c'est parce que nous partageons un patrimoine ethnique commun.
Le sénateur Rompkey: Nous sommes le quatrième groupe ethnique le plus nombreux à Toronto.
Mme Higdon-Norrie: Je ne crois pas que l'émission This Hour has 22 Minutes soit exportable. Si son financement dépendait de l'exportation, elle aurait une autre orientation. Elle est très pertinente et on ne peut plus canadienne. C'est une émission extrêmement importante et géniale à regarder, et elle doit être financée au Canada. Soit le marché canadien arrive à la financer à un coût proportionnel à son auditoire, soit il faudra la subventionner directement sous une forme ou sous une autre, et c'est parfait.
Comme je suis dans le domaine depuis longtemps, voici ce que je supplierais le gouvernement de faire: commencer à réfléchir à toutes ces questions avec une véritable ouverture d'esprit et, après avoir évalué le jeu d'outils à notre disposition, les utiliser tous au maximum de leur capacité. Je vis dans la crainte qu'un jour, on se réveille pour découvrir qu'on n'est plus maître de la situation et que rien n'a été prévu au cas où ça arriverait. De plus, on est encore obligé d'agir avec précipitation parce qu'on accuse un retard et que les autres pays nous font concurrence. On doit se démener encore une fois pour trouver le créneau canadien. Voilà ce que je veux éviter.
M. Addy: Sénateur Spivak, permettez-moi de corriger votre impression du CRTC. Il a appuyé notre essai multimédia. Nous avons obtenu le permis et le CRTC nous a épaulés. Comme c'était un essai, il a accepté de suspendre l'application des règles d'étagement et d'assemblage. C'est la veille de Noël que le CRTC nous a fait des difficultés. À la fin de novembre, si je ne m'abuse -- j'oublie les dates précises, parce que le service à l'essai a été proposé petit à petit. On avait prévu distribuer le convertisseur numérique à partir d'une certaine date, mais notre fournisseur a sombré. Alors, après avoir perdu notre fournisseur, il a fallu en trouver un autre et c'est pourquoi il a été impossible de sortir le convertisseur au moment prévu. Le CRTC nous alors accusés d'avoir violé les conditions de notre licence.
Je n'y connais pas grand-chose, mais il me semble qu'un essai, c'est un essai. Ça implique qu'on va présenter quelque chose de nouveau et qu'on pourrait avoir des problèmes. On peut être obligé de modifier le calendrier. En fin de compte, on a été retardé parce qu'il a fallu trouver un nouveau fournisseur. Par la suite, on s'est fait sermonner et il y a maintenant une procédure en cours devant le CRTC parce que nous n'avons pas lancé le service à la date prévue.
Le sénateur Rompkey: Le pire qui puisse vous arriver à Noël, c'est qu'il n'y ait pas de cadeau au pied de l'arbre.
Je voudrais vous interroger au sujet de l'offre publique d'achat pour AT&T Canada et de la réaction de Bell qui se sent menacée par la fusion. Selon Bell, ce serait la fin de l'alliance Stentor et des compagnies de téléphone provinciales. Je voulais vous donner l'occasion de dire ce que vous pensez de cette fusion et de l'avenir de Stentor.
M. Addy: Vous êtes sûre qu'il reste encore du temps, madame la présidente?
Franchement, vous n'aimerez pas ma réponse. Je ne peux pas vous parler de la transaction parce qu'il n'y en a pas. Il y a actuellement des pourparlers. Par mesure de sécurité et pour une foule d'autres questions, je ne peux pas vous en parler.
Cependant, je peux vous expliquer que notre entreprise à nous est en croissance. Il existe une alliance dont nous faisons partie et cette alliance marche d'une certaine façon depuis un certain temps. Notre souci primordial, c'est celui que nous avons exposé dans notre mémoire: nous voulons donner aux clients les services qu'ils veulent. Nous pouvons y parvenir de multiples façons et nous avons l'intention d'explorer chacune afin d'être l'entreprise la plus attentive possible.
Malheureusement, je le répète, je ne peux pas discuter de l'autre question. Je me contenterai de dire qu'il n'y a encore rien de conclu mais que des pourparlers se poursuivent.
Le sénateur Rompkey: AT&T est au deuxième rang maintenant au Canada, n'est-ce pas?
M. Addy: Non.
Le sénateur Rompkey: Où se classe-t-elle selon vous? Est-elle au troisième rang ou presque?
M. Addy: J'essaie de visualiser un tableau dans mon esprit et de le convertir en chiffres. Pour les interurbains, par exemple, sa part du marché est probablement de l'ordre de 7 p. 100 à l'échelle du pays. Ça vous donne sa part relative. Les entreprises de Stentor occupent le gros du marché.
Le sénateur Rompkey: Stentor mène largement.
Mme Higdon-Norrie: Chacune des entreprises de Stentor est individuellement plus importante qu'AT&T Canada. TELUS est la troisième plus importante entreprise de télécommunication du Canada après Bell et BC Tel et il y en a encore deux ou trois autres qui se classent devant les compagnies d'interurbain.
La présidente: Hier, dans mon bureau, j'ai fait faire une mise à niveau de mon ordinateur exactement comme vous l'avez expliqué aujourd'hui afin de le rendre multimédia et très numérique. J'étais debout derrière le technicien pendant qu'il travaillait et il me montrait ce qu'il faisait. Tout d'un coup, j'ai réussi à avoir en même temps sur mon ordinateur deux écrans totalement différents. J'ai pu monter le volume. C'était incroyable.
Ensuite, je me suis souvenu qu'au cours de la Deuxième Guerre mondiale, la radio était un médium social. Après l'invention de la télévision, la radio est lentement devenue un médium privé. Maintenant, quand les gens écoutent la radio, ils le font seuls: dans leur voiture, dans leur cuisine. Les cotes d'écoute de la radio ont augmenté, mais nos habitudes sociales par rapport à la radio ont changé.
Croyez-vous que l'évolution de l'ordinateur entraînera une modification de nos habitudes sociales à son égard? Autrement dit, l'ordinateur est actuellement un outil personnel, mais quand j'ai vu ses possibilités hier, j'ai décidé qu'il m'en fallait un dans ma cuisine aussi, pas seulement dans mon bureau. Je veux pouvoir m'en servir quand il y a des gens avec moi.
Croyez-vous que cette habitude va changer? Croyez-vous que nos traditions vont changer?
Mme Higdon-Norrie: Le grand défi de l'industrie en général -- si l'on prend la définition la plus large possible de l'industrie -- ou le problème à régler en temps et lieu, ce sont ces extrêmes très différents que l'on retrouve dans un même appareil. C'est un défi fondamental qu'on essaie de relever en construisant cet ordinateur numérique pour téléviseur. Si on y parvient, vous pourrez voir sur votre télé de 12 pouces ou de 54 pouces toutes les possibilités offertes, quelles que soient vos habitudes sociales -- imaginez la famille qui a une télé de 54 pouces, un modèle de plus en plus populaire. Autrement dit, les choix ne seront pas restreints par le fait que c'est une télévision et que l'ordinateur se trouve ailleurs dans la maison. On pourra regarder la télévision ordinaire, la télévision numérique ou aller directement sur Internet.
Voilà ce que les services canadiens sont intéressés à mettre à l'essai avec nous. Pendant qu'on est en train de regarder The Canadian Gardener à la télévision ordinaire, on peut aller directement à un site web pour y trouver des conseils supplémentaires sur la culture des pivoines, et si on veut acheter des gants de jardinage ayant le logo de l'émission imprimé dessus, on peut le faire aussi. Le concept regroupe tous ces éléments disparates alors qu'en ce moment, il faut apprendre à s'y retrouver dans toutes ces différentes sources pour obtenir de tels services.
La présidente: Est-ce qu'on va lui donner un nouveau nom?
Mme Higdon-Norrie: «Multimédia», c'est un nom un peu monotone.
Le sénateur Spivak: Quand cet appareil facile à utiliser et abordable sera-t-il disponible?
Mme Higdon-Norrie: La perfection, évidemment, est difficile à atteindre. Nous espérons que le système sera fonctionnel d'ici deux mois.
Le sénateur Spivak: La qualité de votre image sera comparable à celle de la télévision?
Mme Higdon-Norrie: Certainement.
Le sénateur Spivak: Quelle sorte de télévision: la télévision haute définition?
Mme Higdon-Norrie: Cela dépend surtout du téléviseur. L'image sera aussi bonne que celle du téléviseur que vous utilisez.
Le sénateur Spivak: Je ne comprends toujours pas. Il y a ce convertisseur et l'ordinateur, mais alors l'écran, c'est le téléviseur.
M. Addy: C'est ça.
La présidente: C'est l'écran d'ordinateur, mais il ressemblera à l'écran de télévision; c'est bien ça?
M. Addy: On peut utiliser sa télévision comme écran.
La présidente: On peut utiliser sa télé; il suffit de la brancher?
Mme Higdon-Norrie: On n'aura qu'à s'installer dans le salon. Alors qu'en ce moment, si on veut aller sur Internet, il faut passer par un terminal et l'ordinateur a un terminal.
Le sénateur Spivak: Je ne me trompais pas tellement.
M. Addy: Vous aviez compris. Ce qui n'était pas clair, c'est ce qu'on fait en ce moment par rapport à ce que le convertisseur va permettre.
La présidente: C'est pourquoi il faut trouver un nouveau nom.
M. Addy: Ce serait pratique. Il y a aussi une autre considération, madame la présidente; cet appareil va au-delà de ce qu'on considère habituellement comme une question de politique sociale, les banques, les publications, l'édition, et cetera. On me dit que ceux qui sont assez audacieux peuvent déjà négocier sur Internet un prêt personnel avec une banque américaine. Voilà qui constitue une nette infraction à la réglementation canadienne des services bancaires au consommateur. Comment y mettre un frein?
La présidente: Avez-vous lu l'article du New York Times il y a environ deux semaines sur l'histoire des transactions bancaires du mois dernier? C'est exactement ce qu'on disait. C'était un article très intéressant.
M. Addy: Il y a des gens qui travaillent à la diffusion de la voix sur Internet. C'est déjà possible de le faire, mais si vous en avez fait l'expérience, vous savez qu'on croirait entendre la voix d'un malade. Elle est décalée. Elle n'est pas en temps réel. Les ingénieurs cherchent encore à résoudre le problème. Néanmoins, je crois que d'ici peu, on pourra entendre la voix en temps réel sur Internet. À ce moment-là, quelle sera la différence entre le téléphone et l'ordinateur si on entend la voix aussi bien sur l'ordinateur? Pourtant, notre réglementation n'a pas prévu ça.
Le sénateur Rompkey: Ce que vous dites en fait, c'est qu'il ne faut pas essayer de protéger nos frontières mais épauler plutôt les Canadiens de notre mieux; c'est ça?
M. Addy: Je vous dis de vous concentrer sur votre objectif pour évaluer la façon dont vous tentez d'atteindre cet objectif. Il y a deux ans ou plutôt quatre ans, je ne me souviens plus, il y a eu un débat sur l'antenne parabolique. Nous sommes franchement très mal à l'aise que, pour faire respecter la loi, on va poursuivre ceux qui s'achètent une soucoupe. C'est très délicat. Je n'ai pas dit qu'on trouverait facilement une solution.
Le sénateur Spivak: C'est un très bon exemple parce que le maillon faible pour les films canadiens, même les meilleurs, c'est la distribution. Or, si votre système marchait, ce serait un réseau de distribution fantastique pour nos films.
Toutefois, il faut réglementer. On ne peut pas affronter ainsi Hollywood qui détient 98 p. 100 du marché. Si on laisse faire, les Américains posséderont le marché au complet.
M. Addy: Je trouve que c'est un avantage, mais pour une autre raison. Vous savez ce qui est arrivé. On peut aller en auto s'acheter une soucoupe à Ogdensburg. Les consommateurs ont trouvé le moyen de contourner le règlement.
Le sénateur Spivak: Je sais ce qui s'est passé sur le marché et c'est parce que nous avons mis trop de temps à réagir, tout comme le CRTC. On ne peut pas réglementer assez rapidement.
Le sénateur Rompkey: La loi a toujours une mesure de retard.
Le sénateur Spivak: Parfois. C'était vrai pour la musique et l'édition.
La présidente: Malheureusement, le temps nous oblige à mettre un terme à notre réunion emballante. Avec votre permission, nos attachés de recherche vont probablement vous faire parvenir quelques questions si vous n'y voyez pas d'objection. La réunion a été des plus intéressantes. Vous nous avez fourni une foule d'éléments qui vont nourrir notre réflexion. Merci beaucoup.
Notre témoin suivant est l'Association canadienne de production de film et télévision.
Mme Elizabeth McDonald, présidente, Association canadienne de production de film et télévision: Avant de vous présenter mes remarques liminaires, je voudrais commenter les propos de M. Addy. En réalité, les frais de traiteur ne comptent pas pour le calcul de la teneur canadienne en vue du crédit d'impôt ou pour le BCPAC. D'ailleurs, ces dépenses ne sont reconnues à aucune fin fiscale. J'ai passé un temps fou à discuter avec le ministère du Revenu des frais de traiteur. C'est pourquoi je me sentais obligée de faire cette mise au point.
La présidente: Mme McDonald représente l'Association canadienne de production de film et télévision.
Je vous remercie de comparaître aujourd'hui devant le sous-comité des communications. Vous savez qu'au début de l'été dernier, nous avons présenté au Sénat un rapport provisoire intitulé «Au fil du progrès». Dans ce rapport, nous avons soulevé plusieurs questions qui nous ont apporté un supplément de travail ces derniers mois et qui vont continuer de nous occuper quelques mois encore.
Nous voudrions qu'à titre de présidente de l'Association canadienne de production de film et télévision, vous fassiez part au comité de votre point de vue sur la situation du Canada face à la concurrence internationale dans le secteur des communications en général, en expliquant notamment l'importance économique, sociale et culturelle des communications pour le Canada. Après votre exposé, nous vous poserons des questions.
Mme McDonald: Madame la présidente, membres du comité, j'espère que vous trouverez notre point de vue utile à la rédaction de votre rapport final pour le Comité permanent des transports et des communications. Comme nous savons que votre sous-comité n'a pas beaucoup de temps, mon exposé sur l'histoire et le contexte du secteur de la production indépendante sera bref. Je vais me concentrer sur les éléments de notre position qui me paraissent fondamentaux et dont le comité devrait tenir compte.
Comme vous l'avez demandé, j'ai apporté le profil sectoriel le plus récent de notre association. On est en train de le distribuer, si je ne m'abuse. Nous espérons que ça aidera le sous-comité à mieux comprendre les détails du fonctionnement de notre secteur.
Les documents sur le profil de notre industrie en 1998 montrent clairement et succinctement le mode de financement de l'industrie et expliquent sa contribution à la création d'emplois et au commerce international, ainsi que les changements structurels qui se produisent dans l'industrie à mesure de son évolution tant économique que culturelle.
L'Association canadienne de production de film et télévision est l'association professionnelle nationale qui représente les intérêts de plus de 300 entreprises de production et de distribution d'émissions de télévision canadiennes et de longs métrages canadiens pour les salles de cinéma. Parmi nos membres, il y a de grandes entreprises diversifiées qui sont inscrites à la Bourse et beaucoup de PME de toutes les régions du pays.
Des productions cinématographiques et télévisées bien connues comme celles qui ont gagné des prix Gémeaux: Traders, Direction Sud, Reboot, This Hour has 22 Minutes, Au nord du 60e parallèle, De Beaux lendemains et Le jardin suspendu ne sont que quelques-unes des nombreuses productions récentes de nos membres, qui sont populaires et qui ont remporté des prix.
L'industrie canadienne du cinéma et de la télévision obtient un succès considérable depuis 15 ans. Le revenu global du seul secteur indépendant est passé de 200 millions de dollars environ en 1983 à plus de un milliard de dollars en 1995. Les revenus pour l'ensemble de l'industrie, y compris les services de production et le secteur de la radiodiffusion, sont actuellement estimés à plus de 2,8 milliards de dollars annuellement. Comme l'indique notre profil, cette évolution a entraîné une croissance spectaculaire des emplois dans le secteur et des débouchés à l'exportation pour les productions canadiennes.
Près de 30 000 emplois directs dépendent de l'industrie. On dit que ce sont des emplois supérieurs et nous, nous disons habituellement que ce sont des emplois qu'on souhaite pour ses enfants. Moi, j'ai un fils de 18 ans et j'aimerais seulement qu'il se trouve un emploi. Il y a aussi 48 000 emplois indirects. La valeur à l'exportation de l'industrie de production canadienne dépasse 1,4 milliard de dollars et est en pleine croissance. Selon les chiffres les plus récents, ceux de 1996-1997, l'industrie canadienne de la production cinématographique et télévisuelle vaut 2,8 milliards de dollars.
Même si les producteurs canadiens se sont engagés à fournir un produit local de qualité à la fois pour les marchés nationaux et internationaux, des chiffres récents montrent que le volume de la production canadienne a commencé à plafonner en 1996-1997 ce qui a entraîné un plafonnement du nombre d'emplois directs et indirects créés par l'industrie à l'échelle tant nationale que régionale.
Le plafonnement de la production canadienne confirme le besoin criant pour une aide financière de l'État afin d'assurer une présence canadienne sur les écrans au Canada, de soutenir et d'encourager la création d'emplois très intéressants au Canada, et de multiplier les possibilités d'exportation des longs métrages et des émissions télévisées du Canada.
Il est certain que l'argent investi par l'État a contribué à créer une programmation distinctement canadienne pour le marché canadien. De plus, c'était un investissement rentable. Les fonds publics permettent aux producteurs d'attirer et de retenir des capitaux privés qui sont investis dans des productions cinématographiques et télévisées canadiennes. Selon des chiffres récents du Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens, le BCPAC, du ministère du Patrimoine canadien, on compte beaucoup moins sur les subventions de l'État qu'on le croit généralement. Toutefois, ça demeure une composante critique de la structure financière d'un producteur.
D'après le BCPAC, au cours des six dernières années en moyenne, moins de 15 p. 100 du financement des productions cinématographiques et vidéo portant visa provenait de l'État. Ces chiffres indiquent que le financement public a aidé à attirer et à retenir les investissements privés dans les productions cinématographiques et télévisées canadiennes. Malgré une certaine fluctuation, je répète que les investissements publics représentent une fraction réduite du financement global de la production.
Le succès considérable remporté par l'industrie aide à comprendre la manière dont elle a évolué, en particulier à trois points de vue qui coïncident avec les thèmes qu'étudie le comité: la mondialisation, la compétitivité et la promotion des productions canadiennes. Cette réussite s'explique surtout par la croissance spectaculaire de la valeur d'exportation de l'industrie depuis quelques années. Le financement étranger et les recettes à l'étranger représentent plus de 800 millions de dollars pour l'industrie canadienne. Ce montant s'ajoute aux 600 millions de dollars de projets pour la production en extérieur. Vous devez savoir que c'est ce qu'on appelle généralement les productions de service. C'est un terme plus poli.
L'importance des sources étrangères de financement s'accroît au moment où les négociations commerciales internationales accentuent les pressions pour la libéralisation du commerce et des investissements. Plus les sources de financement sont nombreuses, plus il est possible d'accroître l'envergure de chaque projet et de financer en même temps un grand nombre de projets. Il est vrai que le développement du secteur des productions canadiennes dépendra de notre capacité de trouver des investisseurs étrangers pour financer nos productions et d'un meilleur accès aux marchés étrangers, mais jamais au détriment de notre capacité de soutenir -- voire d'étendre au besoin -- la réglementation et les mécanismes de financement qui ont contribué à cette croissance.
Il sera capital que le Canada établisse des politiques commerciales fermes pour conserver sa réglementation et ses mécanismes de financement sans compromettre les débouchés à l'étranger des coproductions, coentreprises ou ventes.
Votre comité devrait se pencher sur l'évolution de l'industrie. Cela signifie attacher une attention particulière au rôle essentiel que les politiques et programmes gouvernementaux ont joué dans sa croissance. Un système d'objectifs nationaux et de règlements pour l'industrie de la radiodiffusion et des longs métrages a été l'un des aspects fondamentaux de la politique gouvernementale. Ce système avait pour pivot l'importance de la propriété canadienne et de la teneur canadienne qui sont définies en détail dans la Loi sur la radiodiffusion et dans les règlements du CRTC. Presque tous les grands producteurs vont admettre que s'ils sont en affaires aujourd'hui, c'est en grande partie grâce au CRTC et à la volonté du gouvernement canadien de faire en sorte que le contenu canadien soit en demande.
Étant donné le coût de la production d'émissions capables de concurrencer les émissions étrangères acquises à relativement peu de frais, le gouvernement a aussi établi un ensemble de programmes de financement importants pour faciliter la création de productions à teneur canadienne. Des organismes comme l'Office national du film, Téléfilm Canada et, plus récemment, le Fonds de télévision et de câblodistribution pour la production d'émissions canadiennes ont joué et continuent de jouer un rôle clé en facilitant le financement et la distribution des productions cinématographiques et télévisées canadiennes.
Depuis 20 ans, le gouvernement a aussi conservé un généreux système de déductions pour amortissement et de crédits d'impôt dans le but d'encourager les investisseurs du secteur privé. Ces programmes comportent depuis toujours des conditions souples relativement au contenu canadien pour encourager à la fois les investissements et l'expansion des entreprises dans la production au Canada et les ventes à l'étranger.
Grâce à la Loi sur Investissement Canada, les transactions touchant au secteur culturel canadien sont examinées suivant des critères différents de ceux utilisés pour les transactions dans d'autres secteurs. Les politiques sur l'investissement étranger dans certaines industries culturelles ont aussi imposé des conditions très précises pour les investissements dans certains secteurs. Dans le domaine de la distribution de films, par exemple, les politiques gouvernementales ont joué un rôle clé pour aider les distributeurs canadiens à consolider leur part de marché et affermir leur capacité d'investir dans le financement et la promotion des longs métrages canadiens. La politique a été controversée, certes, surtout dernièrement, mais nous soutenons qu'elle s'est avérée efficace.
Nous soutenons aussi que toutes ces mesures ont été et continueront d'être essentielles au développement du secteur. La situation qui a donné lieu à l'adoption de ces politiques n'a pas vraiment changé; c'est pourquoi ces politiques sont plus pertinentes que jamais. Dans l'industrie du cinéma et de la télévision, en fait, le Canada est très ouvert aux productions audiovisuelles des autres pays. Personne n'a jamais prétendu sérieusement que les Canadiens ne devraient pas avoir accès à ces productions ou que cet accès devrait être restreint d'une façon quelconque.
Cependant, il est vrai que, de façon générale, les distributeurs de productions appartenant à des étrangers n'ont jamais été tellement tentés de financer des productions canadiennes. Pour que les Canadiens aient accès à des émissions de qualité réalisées par des Canadiens et reflétant leur vie à eux, il faudrait sans doute adopter une diversité de mesures spéciales. C'est une réalité fondamentale de l'industrie du cinéma et de la télévision.
À mesure que notre industrie s'est diversifiée, les ventes à l'étranger ont augmenté et nous avons commencé à croire à notre capacité de développer les marchés étrangers, mais nous n'avons pas perdu de vue le fait que, si notre industrie existe, c'est parce qu'une politique gouvernementale fondamentale a permis une présence canadienne vitale sur notre propre marché national, surtout en favorisant le développement d'une industrie de production active qui appartient à des Canadiens.
Pour situer ces observations dans leur contexte, il est capital que toute mesure envisagée pour améliorer l'accès aux marchés internationaux, accroître la compétitivité et promouvoir les productions canadiennes ne restreigne pas la capacité du gouvernement d'adopter toute mesure jugée pertinente pour étayer sa politique sur la culture, les industries culturelles et l'expression culturelle.
En ce qui concerne la mondialisation et la compétitivité, le secteur de la production canadienne connaît depuis longtemps l'importance des marchés étrangers et des associés étrangers. Le marché est déterminé par les grands studios américains qui dépensent régulièrement jusqu'à 1,5 million de dollars pour réaliser une dramatique télévisée d'une heure et 35 millions de dollars en moyenne pour un long métrage. Ces productions sont disponibles partout: au cinéma, à la télévision, par câble, par satellite ou par des moyens de diffusion conventionnels. Ils constituent de plus en plus le principal concurrent de toutes les industries du monde.
Voilà ce que vivent les producteurs canadiens depuis les années 60: comment concurrencer les Américains, comment financer des productions compétitives et trouver un marché national et international? On a déjà dit que la politique gouvernementale avait été d'un secours infini, mais on a dit aussi que les fonds publics constituaient une part décroissante de la structure financière.
De plus en plus, les associés étrangers et les ventes à l'étranger jouent un rôle déterminant dans la croissance de l'industrie, mais ils ont toujours fait partie du financement des productions. Les producteurs canadiens ont appris très tôt que les ventes à l'étranger étaient capitales pour le financement de productions de qualité. Ils ont noué des liens avec des radiodiffuseurs, distributeurs et agences commerciales étrangers grâce au système bien défini des marchés étrangers de la télévision: le MIP, le MIPCOM, le NATPE, le Festival du film de Cannes. Les revenus étrangers constituent une part des revenus des producteurs canadiens qui grossit chaque année.
Le Canada a été l'un des chefs de file dans le domaine des accords de coproduction qui offrent aux producteurs de différents pays un cadre souple leur permettant de travailler en coopération et d'avoir accès à un large éventail de marchés étrangers. La coproduction est un modèle qui permet à l'industrie canadienne de pénétrer des marchés internationaux au profit de toutes les parties. La clé du développement d'une industrie, c'est le contrôle de l'exploitation des productions. Pour y parvenir, il faut des partenariats et des coentreprises pour financer les coûts de production élevés, mais sans abandonner les droits de distribution pour l'exploitation future parce que, au bout du compte, le seul bien du producteur, ce sont les droits.
La promotion des productions canadiennes: il est essentiel, pour le secteur de la production canadienne, d'adopter de nouvelles stratégies pour améliorer les anciens mécanismes de promotion des émissions télévisées et longs métrages canadiens, et d'en élaborer de nouveaux. Notre association tient actuellement des réunions avec les membres de l'Association canadienne des radiodiffuseurs et de la Specialty and Premium Television Association en vue des audiences du CRTC qui sont prévues pour la fin de l'été et qui porteront sur la teneur canadienne des émissions de télévision. Nous espérons collectivement trouver de nouveaux concepts qui permettront de produire un plus grand nombre d'émissions de meilleure qualité pour attirer un auditoire plus nombreux et démontrer le potentiel d'exportation du Canada.
En discutant avec l'ACR, la SPTV et d'autres intéressés, y compris Radio-Canada, nous faisons savoir que la promotion est un outil essentiel dont la télévision canadienne a besoin puisque les chaînes se multiplient. De plus, c'est une question primordiale dont nous allons traiter lors de l'examen de la politique cinématographique canadienne qui vient d'être annoncé.
Comme le montre nettement notre profil, le Canada a pris du retard sur les autres pays qui ont élaboré des stratégies d'aide à leurs futures industries cinématographiques. La Grande-Bretagne, la France et l'Australie ont déjà mis en oeuvre de telles stratégies, après avoir reconnu la nécessité de jouer un rôle beaucoup plus direct pour soutenir leur industrie cinématographique et affermir l'emprise nationale sur les secteurs de la production, de la distribution et de la diffusion.
Au Canada, environ 24 longs métrages dont la majorité ont été produits avec un budget moyen inférieur à trois millions de dollars, sortent dans les cinémas chaque année. C'est déjà terrible, alors quand on sait que le budget moyen pour la commercialisation des films étrangers que nous devons concurrencer est d'environ 20 millions de dollars U.S., on imagine le rôle que joue la promotion dans l'avenir des longs métrages canadiens.
Le ministère du Patrimoine canadien a reconnu ce besoin quand il a annoncé l'examen de la politique cinématographique. Il n'y a aucune raison importante pour laquelle le cinéma canadien ne devrait pas réussir au moins aussi bien que nos industries de la télévision, de la musique et de l'édition.
Vous savez que la première série de consultations publiques sur la politique cinématographique a commencé. L'association espère que cette étude mènera à l'adoption de politiques proactives destinées à accroître la production de films de qualité, distinctement canadiens, qui peuvent être compétitifs sur le marché international.
Nous voulons accroître la présence des longs métrages canadiens dans les cinémas au pays et à l'étranger grâce à de meilleures stratégies de commercialisation et de distribution. Nous voulons aussi arriver à une meilleure synergie entre les divers secteurs de l'industrie afin qu'ils travaillent tous ensemble à assurer un avenir plus productif. Ces stratégies doivent avoir comme pivot des stimulants financiers conçus pour promouvoir l'investissement tant canadien qu'étranger dans les longs métrages canadiens. En outre, le régime fiscal doit être modifié pour mieux favoriser l'accroissement de la production canadienne. Le nouveau crédit d'impôt fédéral pour services de production, par exemple, bénéficie autant et même plus aux producteurs étrangers qu'aux producteurs canadiens. Dernièrement, on a constaté que la nouvelle loi créant le fonds pour la production d'émissions canadiennes considérait le programme de paiement compensatoire des droits de licence comme une aide financière directe, réduisant ainsi sensiblement la contribution effective à la structure financière des producteurs.
En conclusion, nous apprécions l'engagement que le gouvernement a pris envers notre secteur, mais nous croyons que l'industrie du cinéma et de la télévision a besoin de mesures fiscales et réglementaires permanentes pour l'aider à être compétitive face à une mondialisation croissante. Après tout, nous faisons face à la plus grosse machine du spectacle au monde, celle de nos voisins du Sud, et la concurrence qu'elle livre à notre industrie est beaucoup plus féroce à maints égards que celle à laquelle bien d'autres industries canadiennes sont soumises. Ces mesures doivent comprendre plus de ressources pour la production indépendante d'oeuvres canadiennes de qualité, ainsi que l'élaboration de politiques pour promouvoir ces oeuvres au Canada comme à l'étranger.
Je remercie le comité de m'avoir permis de comparaître aujourd'hui et je répondrai avec plaisir à toutes vos questions.
Le sénateur Rompkey: Je voudrais savoir ce que vous pensez du principe de la carotte ou du bâton qui sous-tend la politique gouvernementale, le bâton étant la réglementation et la carotte, les stimulants financiers, que ce soit des allégements fiscaux ou autre chose.
Je comprends ce que vous voulez dire au sujet de l'aide financière gouvernementale dans le passé et de son importance même si, proportionnellement, elle diminue par rapport au financement privé. Il est évident aussi que les productions canadiennes réussissent mieux non seulement sur le marché canadien, mais aussi sur les marchés étrangers.
Je comprends qu'il faudrait maintenir un certain financement, que ce soit sous forme de dégrèvements fiscaux ou autrement, mais comment conserver nos règlements étant donné la mondialisation des marchés? Il me semble que vos propos, dans un paragraphe de la page 5 de votre mémoire, sont contradictoires. Je vous le lis:
Il sera capital que le Canada établisse des politiques commerciales fermes pour conserver sa réglementation et ses mécanismes de financement sans compromettre les débouchés à l'étranger des coproductions, coentreprises ou ventes.
S'il y a libéralisation du commerce, ce doit être donnant, donnant. Comment peut-on demander la libéralisation en même temps qu'une protection? Je me demande comment on pourrait y parvenir.
Mme McDonald: Je ne suis pas certaine de connaître toutes les réponses, sénateur, mais je crois qu'il faut commencer par prendre un peu de recul quand il est question de mondialisation. Mondialisation n'est pas synonyme d'américanisation. On fait souvent l'erreur de tout interpréter en fonction du marché américain.
Nous avons un marché grand ouvert. Maintenant qu'on a le Golf Channel, je suis certaine qu'on trouve vraiment tout à la télévision.
Au sujet du cinéma, j'arrive de la Californie et il est évident qu'on peut voir ici tout ce qui est en salle à Los Angeles. Notre marché est tout à fait libre et je pense qu'il faudrait envisager des mesures pour réserver une place aux productions canadiennes.
Quand on élabore une politique commerciale, il faut tenir compte de la position de ses partenaires. Les Européens se préoccupent de plus en plus, même collectivement à l'échelle du marché européen, s'assurer une place à leurs productions. Les Australiens ont imposé une teneur australienne qui leur ménage une place.
Il faut cesser de considérer la réglementation comme on le fait actuellement, c'est-à-dire comme un vilain bâton, pour reprendre votre métaphore, et la percevoir plutôt comme un moyen de se garantir un marché. Nous ne demandons pas de restreindre l'accès au marché canadien des productions provenant de l'étranger, mais de permettre que nous ayons un accès équitable à notre propre marché national.
On trouve certaines injustices intéressantes dans le système. Par exemple, un certain nombre de services spécialisés américains sont offerts par la câblodistribution et par satellite. Le monde aime cela. Quand je travaillais pour l'industrie de la câblodistribution, la chaîne Arts & Entertainment était offerte à 5,5 millions d'abonnés au prix de 35 cents par mois, par abonné. Les gens aiment sa programmation. Cependant, c'est une chaîne qui utilise ce marché lucratif pour l'écrémer, pas parce qu'elle a besoin de financement. Elle réalise des profits purs. Tout cet argent est exporté sauf d'occasionnels investissements, par exemple dans le Festival de la télévision de Banff. La vérité, c'est qu'elle ne réinvestit pas un sou.
De tels services américains sont autorisés à s'implanter ici et, à certains égards, c'est plus facile pour une chaîne américaine de diffuser au Canada que pour une chaîne canadienne à cause des conditions sur la teneur canadienne. Les chaînes canadiennes doivent se plier à des mesures beaucoup plus rigoureuses. Je ne sais pas au juste où est la carotte et où est le bâton. Les gens oublient la quantité d'émissions américaines et de longs métrages américains sur le marché. Je vous assure que c'est vrai. Je suis rentrée au pays il y a deux jours. Primary Colors est sorti sur les écrans au Canada en même temps qu'aux États-Unis. Il n'y a pas un seul long métrage à l'affiche à Los Angeles qui ne soit dans les cinémas ici. Parfois, à Ottawa, il y a un retard de deux semaines, mais je vous assure qu'à Toronto et à Vancouver, les films sortent en même temps. À mon avis, c'est important de regarder la situation sous cet angle.
D'autres partenaires en Europe et ailleurs veulent s'assurer une part du marché. C'est le seul effet de la réglementation: garantir aux Canadiens un accès équitable à leur propre marché afin que ce soit une rampe de lancement vers le marché international ou alors leur seule destination. Pour une émission comme This Hour has 22 Minutes, dont la production ne coûte pas très cher et qui fait donc ses frais sur le marché canadien, on ne court pas les pré-ventes à l'étranger.
Le sénateur Rompkey: Je parie que les gens ne comprennent pas l'accent.
Mme McDonald: Non, sénateur, l'accent ne fait pas problème. D'ailleurs, Michael Donovan, qui fait partie de notre conseil d'administration, a conclu que s'il ne pouvait pas vendre le produit, il pouvait en vendre le concept à l'étranger. Nous avons pas mal l'esprit d'entreprise à cet égard.
Nous ne pensons pas que la porte sera fermée aux producteurs et distributeurs étrangers. Ce n'est pas ce que nous demandons. Étant donné notre part de 15 p. 100 du marché du cinéma et du très petit nombre de chaînes canadiennes offertes à la télévision, nous voulons à tout prix qu'on conserve les règlements qui permettent aux Canadiens d'avoir accès à leur propre marché.
Le sénateur Johnson: Ma première question porte sur la Grande-Bretagne, la France et l'Australie. Vous avez dit que ces trois pays avaient mis en oeuvre des stratégies leur permettant de jouer un rôle beaucoup plus direct pour soutenir leur industrie cinématographique. Pouvez-vous nous en parler?
Mme McDonald: Je suis un peu gênée de répondre à votre question devant M. Fraser parce que je sais qu'il a fait des études supérieures dans ce domaine.
En Grande-Bretagne, le gouvernement actuel est en train d'apporter bien des modifications. Il a organisé un système de loterie et il investit beaucoup plus d'argent dans la création d'une industrie cinématographique au pays. Dans mes réunions avec les fonctionnaires du Royaume-Uni, j'ai constaté un changement marqué. Il y a de l'argent et des possibilités. On investit davantage dans le système dans l'espoir de créer toute une industrie et non pas seulement des productions.
En France, le plus remarquable, c'est le montant que les radiodiffuseurs sont censés investir dans l'industrie cinématographique. Nous l'avons indiqué dans l'étude, mais il est tout à fait évident que sans cet investissement direct des radiodiffuseurs, il n'y aurait pas d'industrie du cinéma en France.
En Australie, les programmes étatiques et nationaux ont été regroupés pour stimuler la production australienne et tenter de la commercialiser. D'ailleurs, il y a beaucoup plus de productions maintenant. À cet égard, on pense tout de suite à Shine, le succès de l'année dernière. On peut dire de De Beaux lendemains, que c'est un succès de cette année.
Quand je rencontre mes collègues de l'étranger, il ressort nettement que bon nombre de pays adoptent plus de mesures au profit de l'offre pour stimuler la création d'oeuvres. Dans certains pays, il y a un contingent pour le nombre de productions présentées en salle. Pour le moment, toutefois, je ne suis pas certaine que ce soit la solution de l'avenir. Il faudra probablement aller plutôt du côté de l'offre en essayant de stimuler la création.
Le sénateur Johnson: Si je pose la question -- et je sais que M. Fraser est un expert lui aussi -- c'est en partie parce que dans mon coin, au Manitoba, où l'on a développé une bonne petite industrie, les producteurs, surtout CREDO, ont de plus en plus tendance à ne même plus chercher de l'argent au Canada parce que c'est plus facile d'en trouver aux États-Unis. Ils font beaucoup de productions pour la télévision, comme vous le savez, et ils ont aussi produit quelques films. Que ce soit pour attirer des projets dans la province ou pour trouver de l'argent pour une production, ils trouvent que c'est plus simple d'aller aux États-Unis, d'autant plus que leurs projets prennent de l'envergure. Cela m'inquiète, parce que je suis convaincue qu'il faut protéger l'industrie, dans une certaine mesure, et qu'il faut une certaine réglementation aussi. Est-ce que c'est la même chose partout?
Mme McDonald: Je connais très bien les gens de CREDO. Je trouve que nous sommes dans une situation très bizarre en ce moment. Étant donné la valeur du dollar canadien, les intérêts américains sont très tentés de faire appel à des producteurs canadiens. Les producteurs canadiens sont parmi les meilleurs. Nous avons d'excellentes équipes. Nous sommes capables de produire des histoires et à seulement 70 cents au dollar, voire 68 cents. C'est un élément primordial. En outre, c'est plus tranquille sur le front syndical, notre géographie ressemble à la leur et les moyens de communication sont excellents. Nous avons toute l'infrastructure nécessaire à 68 cents au dollar. Voilà pour commencer.
Le sénateur Spivak: C'est 70 cents.
Mme McDonald: C'est 70 cents aujourd'hui? Je m'y perds un peu. C'est terrible quand on est aux États-Unis et qu'on voit son dollar perdre de la valeur.
Ensuite, le gouvernement vient d'adopter un crédit d'impôt pour services de production. C'est très bien parce que ça fait travailler l'industrie cinématographique, mais c'est aussi un crédit d'impôt beaucoup plus facile à obtenir que celui pour les productions canadiennes. Après avoir comparé les deux crédits, évalué l'argent disponible sur le marché américain et l'occasion qui se présente au producteur canadien, il est difficile de se retenir, de refuser tout ça.
Le problème, c'est que si jamais le dollar prend de la valeur, tout ça va disparaître. De plus, d'autres pays commencent à nous faire concurrence à mesure qu'ils développent leur infrastructure. Il y a même certains États qui se mettent de la partie. La stratégie commerciale se complique quelque peu et, au bout du compte, on perd la propriété intellectuelle. Le produit créé grâce aux ventes ne nous appartient pas toujours.
Je ne suis pas étonnée que les producteurs canadiens acceptent cet argent. Les Américains aiment travailler au Canada. C'est très lucratif et, en tant que membre du conseil d'administration du fonds pour la production d'émissions canadiennes -- puisque notre mandat a été renouvelé et que nous en sommes très reconnaissants au gouvernement -- pour que le même montant serve annuellement à alimenter un plus grand nombre de chaînes, il a fallu adopter des lignes directrices beaucoup plus rigoureuses. Cela signifie qu'il est d'autant plus difficile de structurer le financement d'une production canadienne. C'est toutefois très payant pour les comptables.
Le sénateur Johnson: Avez-vous lu les commentaires qu'a faits Atom Egoyan à Hollywood, à la cérémonie des Oscars la semaine dernière? Je pense que ses propos résument l'essentiel de la question. Il a dit qu'il n'aurait jamais pu réaliser De Beaux lendemains aux États-Unis. Si l'on continue à encourager des productions comme celles qu'il a réalisées, des films de cette qualité, je pense que c'est l'orientation qu'il faut donner à notre industrie cinématographique. Nous ne pouvons pas réaliser un film comme Titanic, mais nous pouvons au moins faire De Beaux lendemains. M. Egoyan a expliqué en détail pourquoi il n'aurait pas pu le réaliser aux États-Unis. Le film ne serait même pas sorti en salle.
Mme McDonald: Effectivement. Il commence à peine d'être projeté dans certains cinémas américains.
Le sénateur Johnson: À mon avis, c'est le genre de production que notre industrie cinématographique devrait viser. Qu'est-ce que vous pensez de la qualité que nous devons viser? Il faut accepter le fait que notre industrie ne sera jamais énorme. À votre avis, est-ce que les mesures que vous avez proposées dans votre mémoire nous aideront aussi à conserver cette qualité?
Mme McDonald: Pour ce qui est des longs métrages canadiens, à mon avis, il faut réaliser une synergie entre différents secteurs: la distribution, la production, et cetera.
M. Egoyan a eu énormément de chance. Il a une excellente relation créatrice avec Communications Alliance, son distributeur, et ça marche très bien. Il a extrêmement de talent et ce qu'il réussit à faire avec moins de cinq millions de dollars serait un prodige aux États-Unis.
Il faut trouver des moyens pour encourager les jeunes réalisateurs à se développer parce que M. Egoyan n'aurait jamais réussi sans l'aide de certains des programmes offerts par Téléfilm Canada et par la Société de développement de l'industrie cinématographique ontarienne. Quand il a pris de l'expérience et qu'il a commencé à obtenir un succès commercial, l'affaire a été rentable pour Alliance.
Par contre, il faut aussi se pencher sur le secteur de la distribution parce que c'est la clé qui ouvre les portes des cinémas. Il faut se demander de quoi le secteur a besoin. Pour le moment, nous essayons d'en discuter dans le cadre de l'examen de la politique cinématographique.
Il faut aussi savoir que si tous les pays européens ou toutes les grandes multinationales continuent de courir après des politiques d'investissement, le débat sera perpétuel. Nous ne pourrons peut-être pas progresser. Nous essayons d'aborder les choses de façon constructive, mais par contre, si l'on veut conserver sa part de marché de 15 p. 100 tout en encourageant l'épanouissement des jeunes réalisateurs et de leur créativité, je ne crois pas que ce soit possible de le faire aux États-Unis. Là-bas, on cherche toujours à réaliser des superproductions qui vont faire un malheur.
La présidente: Madame McDonald, est-ce que nos attachés de recherche peuvent communiquer avec vous s'ils ont des questions supplémentaires?
Mme McDonald: Certainement. Cela ne pose aucun problème.
La présidente: Votre mémoire est vraiment intéressant. C'est dommage que nous n'ayons pas plus de temps parce que le sujet de la discussion avec vous est extrêmement important.
La séance est levée.