Aller au contenu
COMM

Sous-comité des communications

 

Délibérations du sous-comité des
Communications

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 1er avril 1998

Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour étudier la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications en général, et notamment étudier l'importance des communications au Canada sur les plans économique, social et culturel.

Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Michel Blondeau, de Digital Renaissance.

Monsieur Blondeau, comme vous le savez sans doute, nous avons fait une étude spéciale de la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications en général et nous avons publié, l'année dernière, un rapport sur le sujet qui a été bien accueilli par le secteur des communications.

Au cours de cette étape de notre étude, nous nous concentrons davantage sur l'étude de l'importance des communications au Canada sur les plans économique, social et culturel afin que nous restions à l'avant-garde des communications en l'an 2000.

Monsieur Blondeau, la parole est à vous.

M. Michel Blondeau, directeur, Développement du contenu, Digital Renaissance: Je voudrais vous parler des médias numériques étant donné qu'il s'agit du moteur du savoir et de l'économie et également de la voie de l'avenir. Je me réjouis de constater que vous souhaitez nous guider jusqu'au prochain siècle.

Les médias numériques représentent la créativité, la technologie, l'information, des solutions, une infrastructure, la planification d'entreprise, la commercialisation et la distribution, mais ils représentent surtout un capital humain. Ils représentent la liberté, l'efficacité, l'apprentissage, la convergence et des possibilités. Ils peuvent aussi modifier le contexte social, culturel et économique dans lequel nous vivons. C'est peut-être le principal dénominateur commun pour tous les Canadiens. Mais surtout, ils transformeront la façon dont nous pensons.

Quelques mots au sujet de ma société. Digital Renaissance est une entreprise qui emploie 115 personnes. Lorsque j'y ai fait mes débuts, il y a trois ans, elle n'avait que 10 employés. Elle illustre l'évolution de notre secteur qui connaît une forte expansion et beaucoup de changement. Les gens qui travaillent chez Digital Renaissance sont assez différents les uns des autres, mais leur principale caractéristique commune est leur jeunesse. Par conséquent, si nous songeons à l'avenir du Canada, nous devons compter sur des entreprises comme Digital Renaissance pour nous donner une idée de ce que pourrait être cet avenir. Les entreprises comme la nôtre ont de la créativité, des idées et, bien entendu, nous sommes tous des êtres humains. Nous avons un espace à nous, une structure qui est la nôtre et nous avons un chien. Notre entreprise est d'un genre très différent. Néanmoins, nous travaillons dans un climat économique très difficile.

Les médias numériques représentent un mariage entre la technologie, l'information et la créativité. Notre entreprise offre une gamme de services sans doute trop variés pour que je puisse les mentionner tous ici. Néanmoins, si vous me dites quels sont vos besoins, je pourrais vous dire en quoi mon entreprise peut vous aider. Nous l'avons qualifiée de société multimédias, d'entreprise de médias interactifs, de nouvelle société de médias, de société numérique, de société fondée sur l'économie du savoir et d'entreprise de médias numériques. Elle représente toutes sortes de choses différentes pour toutes sortes de gens.

Les questions qui intéressent notre entreprise sont la croissance, le changement d'orientation, les découvertes américaines et internationales, la concurrence des médias traditionnels, la concurrence des nouvelles entreprises, le rythme d'évolution de la technologie, le gain et la perte de ressources humaines utiles pour notre entreprise, l'évolution de l'Internet du point de vue juridique, social et économique, le défi que représente la croissance par opposition à une culture qu'apprécient les personnes qui travaillent pour Digital Renaissance et la concentration, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Comme il s'agit d'une entreprise complexe, il m'est difficile de vous décrire exactement ce que sont les médias numériques ou à quoi les télécommunications ressembleront à l'avenir. Je vais toutefois m'y efforcer de mon mieux.

Dans les documents que j'ai reçus avant de venir ici, on me demandait de réfléchir à trois questions: la mondialisation, la position concurrentielle du Canada et la promotion des produits canadiens. Je vais donc essayer d'examiner certains des avantages et des inconvénients auxquels notre entreprise, et peut-être aussi notre secteur, devra faire face à l'avenir.

Premièrement, en ce qui concerne la mondialisation, les Canadiens ont déjà une vaste expérience dans le domaine des médias numériques. C'est difficile à croire étant donné qu'il s'agit d'une technologie nouvelle. Toutefois, Digital Renaissance existe depuis longtemps, en fait six ans seulement. Moi-même, à 34 ans j'ai déjà été l'employé le plus âgé de notre entreprise et donc également un des anciens de notre secteur.

Les caractéristiques démographiques du Canada peuvent également nous aider. Nous sommes reliés au monde entier par les gens qui vivent ici. Les médias numériques peuvent promouvoir pratiquement tous les autres genres d'entreprises. Ce n'est pas une industrie en soi, une industrie isolée, mais plutôt une industrie qui peut répondre aux besoins de nombreuses autres entreprises.

Étant donné ses caractéristiques géographiques, le Canada a déjà des réseaux de distribution en place. Néanmoins, certains des problèmes de la mondialisation viennent de ce que nous devons nous dépêcher de prendre des mesures pour étendre la portée de notre industrie pendant que nous avons encore quelques longueurs d'avance. Nous devons favoriser cette industrie; il faut que le gouvernement et les autres secteurs soutiennent de nouvelles initiatives que ce soit sur le plan de la R-D ou sur le plan fiscal. Nous devons aider cette entreprise à prendre de l'expansion mais, au lieu de la protéger contre la concurrence, nous devons la protéger pour qu'elle puisse être compétitive à l'avenir au fur et à mesure qu'elle prendra de l'expansion.

Un autre obstacle que nous devons surmonter sur le marché international est qu'il n'est pas facile de faire d'une petite entreprise une société internationale. Nous devons d'abord établir où sont les principaux marchés internationaux. Deuxièmement, il s'agit de voir si ces marchés sont prêts à acheter ce que nous avons à leur offrir et à s'en servir à leur profit. Digital Renaissance a eu des difficultés dans ce domaine, surtout parce que les marchés d'outre-mer, d'Asie ou d'Europe, ne sont peut-être pas prêts à absorber ce que nous vendons. Je voudrais d'ailleurs que le gouvernement canadien nous aide en intervenant de gouvernement à gouvernement et nous aide à profiter de l'expérience déjà acquise au Canada pour contribuer au développement d'autres pays et économies sur le plan de l'industrie des médias numériques. D'autre part, les frais que représente l'implantation sur les marchés internationaux sont prohibitifs pour de nombreuses entreprises canadiennes et les méthodes de commercialisation sont différentes... et difficiles. Il est clair que nous devons profiter de notre expérience dans les domaines où nous sommes actuellement des chefs de file pour nous établir sur le marché international.

Deuxièmement, pour ce qui est de la position concurrentielle du Canada, un de ses avantages est que la population canadienne est instruite. L'approche indirecte est notre fort. Nous excellons également dans ce domaine et nous pouvons y réussir. Nous sommes très actifs et très novateurs. Nous sommes reconnus comme des chefs de file dans le secteur des télécommunications, de l'informatique et des industries culturelles et la convergence renforcera encore notre avance.

Nous avons également au Canada une vaste clientèle pour tester nos produits. Les Canadiens sont friands de nouvelles technologies. C'est un avantage pour nous lorsque nous voulons nous établir sur le marché international. Nous avons de fortes capacités de production indépendantes. Encore une fois, le monde est à notre portée et nous pouvons tester différents produits destinés au marché mondial.

L'une de nos principales difficultés, sur le plan de la compétitivité, est que nous avons une solide infrastructure de communications, mais que nous devons la développer grâce à la R-D et à des mécanismes de livraison différents. Nous devons également faire en sorte que notre politique culturelle nous permette de prendre des risques en mettant au point des produits qui reflètent notre identité. Pour ce qui est des logiciels éducatifs, par exemple, les produits Microsoft sont ceux qui se vendent le mieux dans nos écoles. Toutefois, lorsque j'ai essayé personnellement de trouver des fonds pour des logiciels éducatifs, cela a été très difficile. Je me demande pourquoi nous ne pouvons pas nous servir de ce nouveau moyen pour éduquer nos enfants. Le marché semble trop limité pour financer le genre d'expérience et de recherche qu'il faudrait réaliser.

Une autre difficulté sur le plan de la compétitivité est l'évolution de la technologie. La technologie évolue si rapidement qu'elle peut devenir périmée lorsque nous avons enfin les moyens de mettre nos produits en marché. Nous devons constamment faire face à un exode des cerveaux vers le marché international, les États-Unis et les autres secteurs de l'économie canadienne.

La plupart de ceux qui travaillent dans notre secteur n'ont pas de compétences en gestion des affaires. Nous sommes généralement des entrepreneurs plutôt que des gestionnaires et lorsque nos entreprises prennent de l'expansion, nous avons du mal à suivre. Si l'on ajoute à cela notre inexpérience en commercialisation, cela devient un obstacle insurmontable.

De plus, nous avons du mal à obtenir des fonds. Les risques sont généralement trop élevés ou les gens ont du mal à comprendre exactement ce que nous faisons. D'autre part, il est difficile de conclure des partenariats stratégiques avec les chefs de file des autres secteurs, même si Digital Renaissance a obtenu un certain succès dans ce domaine. Nous avons récemment obtenu un investissement de Bell Canada, ce qui nous aide à progresser.

À l'heure actuelle, notre secteur manque de cohésion et n'a pas une identité suffisamment forte ce qui fait que sa présence reste faible sur la scène internationale. Il y a très peu d'entreprises dans le secteur des médias numériques au Canada. Il y a un grand nombre de petites sociétés, mais l'industrie ne manifeste pas vraiment de cohésion.

La réglementation s'efforce de suivre cette évolution. Je crois comprendre que c'est là une des raisons pour lesquelles le sous-comité se réunit. Il y a un manque de soutien de la part du gouvernement dans le secteur de la culture et de la R-D, surtout pour les petites sociétés.

Enfin, sur le plan de la compétitivité, l'avenir de Digital Renaissance repose sur les applications de base qui nous permettront d'explorer d'autres voies. Nous n'avons pas d'argent pour mettre au point ce genre d'applications. Ce sont des outils utiles pour l'avenir, même s'ils ne le sont peut-être pas aujourd'hui. Il est difficile de faire valoir des arguments commerciaux en se basant sur l'avenir.

Pour ce qui est de la promotion des produits canadiens, les Canadiens ont mis au point de nombreux produits et ils possèdent suffisamment d'énergie et de bonnes idées pour en concevoir d'autres. Ils ont des solutions novatrices pour résoudre de vieux problèmes. Nous avons largement l'occasion de concevoir d'excellents produits et de les vendre sur le marché international. La valeur du dollar canadien nous y aidera. Toutefois, il semble que la commercialisation nous empêche de promouvoir ces produits.

La promotion des produits canadiens se heurte à des obstacles. Encore une fois, il est difficile de vendre ces produits sur le marché international. La commercialisation et la distribution posent des problèmes aux gestionnaires inexpérimentés. Le financement est également difficile à obtenir. Il faut que le secteur du financement traditionnel nous offre des solutions plus novatrices. Nous avons besoin d'une infrastructure pour présenter l'avenir, tant sur le plan du matériel que sur celui des moyens de distribution. Nous avons besoin d'incitatifs pour diriger nos produits vers toutes sortes de directions. Nous pouvons prendre un produit et le faire connaître afin de favoriser un effet multiplicateur. Toutefois, si l'incitatif n'est pas là, aussi novateur un produit puisse-t-il être, il se peut qu'il n'aille nulle part.

Nous avons besoin de projets visant à améliorer le contenu de nos produits et pas seulement de projets technologiques. Les questions juridiques doivent être réglées le plus tôt possible. Notre domaine est dominé par des géants. Par exemple, la distribution de logiciels au Canada est dominée par deux sociétés. Les géants des médias, surtout ceux des États-Unis, sont en train de pénétrer notre marché, ce qui menace sérieusement des sociétés comme Digital Renaissance. La promotion des produits coûte cher et la concurrence devient de plus en plus féroce maintenant que nous pénétrons le marché américain.

Je voudrais recommander ceci: que nous trouvions de bons investisseurs prêts à courir des risques et à nous aider à trouver des marchés. Il nous faut des «mécènes», des bailleurs de fonds comme ceux qui ont financé le théâtre, la télévision ou le cinéma à leurs débuts. Ce sera une entreprise coûteuse.

Je recommande également que notre système d'éducation tienne compte des besoins de notre secteur; que les efforts de création d'emplois fassent en sorte que nous disposions de compétences directes et transférables qui puissent être utilisées dans notre industrie. Cela englobe tous les types de compétences tant sur le plan conceptuel que créatif ou technologique.

Nous avons besoin d'incitatifs pour conserver nos talents au Canada. Nous avons besoin d'efforts coordonnés et intégrés entre l'entreprise et le gouvernement; encore une fois, nous avons besoin d'une convergence. Il nous faut l'appui dont les autres médias traditionnels bénéficient. À cet égard, la question des incitatifs fiscaux se pose une nouvelle fois, de même que celle de l'investissement dans la R-D et les canaux de distribution. Enfin, il faut que le gouvernement joue un rôle de chef de file sur ce front. Pour de nombreuses autres entreprises du secteur privé, la phase d'apprentissage est trop longue; cela représente trop de risques pour elles. Le gouvernement canadien devrait peut-être conduire ces entreprises et les autres entreprises du même genre sur la voie de l'avenir étant donné qu'elles sont tellement prometteuses.

Le sénateur Johnson: J'ai une question à poser au sujet de l'intérêt que suscitent les contenus multimédias. Quelle sera l'importance du contenu multimédias dans un proche avenir? Pensez-vous qu'il rivalisera avec les formes de divertissement traditionnelles comme la télévision ou qu'il en sera le complément?

M. Blondeau: Ce sera complémentaire. Ce sont là deux façons très différentes d'avoir accès à l'information. Je considère qu'il s'agit plutôt d'un format passif et d'un format actif. La télévision est un médium très passif. Nous pouvons nous asseoir devant le téléviseur sans nécessairement interagir, mais c'est du divertissement. Si vous prenez la puissance informatique de l'ordinateur, il nous permet d'interagir avec les médias. Ce sont donc des éléments très différents.

Quand vous êtes assis devant un ordinateur, vous cliquez avec votre souris pour vous déplacer à travers l'information. C'est de cette façon que nous concevons l'information. Faire un film, c'est pratiquer l'art de la narration. Il s'agit d'une unité complète du début à la fin. Lorsque nous réalisons un projet pour les médias interactifs, c'est un médium différent dans lequel nous nous attendons à ce que l'usager souhaite s'aventurer plus profondément à un moment donné. L'expérience n'est pas la même. Ces deux médias survivront à l'avenir.

Le sénateur Johnson: Je trouve intéressant ce que vous avez dit quant l'amélioration du contenu des produits au lieu de simples projets technologiques. Vous ne vous êtes pas attardé sur le sujet. Pourriez-vous le faire maintenant?

M. Blondeau: En ce qui concerne ce secteur, l'essentiel réside dans la technologie, mais pour exploiter vraiment cette technologie, il faut que nous puissions y ajouter un contenu et c'est là que nous commençons à élargir la gamme de produits que nous fabriquerons à l'avenir. Il s'agit d'investir dans quelque chose de bien conçu et de bien pensé et qui va se servir de la puissance de l'ordinateur au lieu de présenter seulement les gadgets de la technologie numérique, c'est-à-dire les fonctions d'un logiciel et non pas les idées qui en émanent.

Le sénateur Johnson: Comment le feriez-vous pour un de vos clients, par exemple? Je crois que vous comptez Bell Canada et la Banque de Montréal dans votre clientèle. Pourriez-vous nous dire comment vous procéderiez pour l'un de vos clients?

M. Blondeau: En utilisant leur contenu?

Le sénateur Johnson: Oui.

M. Blondeau: En fait, nous devons penser à l'usager final et comment nous pouvons lui être utiles en se servant du contenu. Laissons la technologie de côté pour le moment. Je voudrais parler d'un travail que je réalise pour la collection d'oeuvres d'art canadiennes McMichael. Nous réalisons un projet avec la collection McMichael et la participation de Bell qui finance une partie du développement. Nous nous servons d'oeuvres d'art pour aider les enfants à se familiariser avec l'histoire sociale du Canada. Par exemple, nous présentons une peinture que l'élève pourra explorer sur le plan esthétique; la couleur du fond ainsi que la musique qui accompagne l'oeuvre pourront être modifiées. Cela crée un lien affectif entre l'élève et la peinture. Une fois que la question: «D'où vient cette peinture?» a été posée, nous pouvons laisser l'élève explorer cette oeuvre et s'informer sur l'époque et le contexte social dans lequel elle a été peinte. Nous utilisons la technologie, mais de la meilleure façon possible étant donné que c'est toujours le contenu qui importe.

Le sénateur Johnson: Comme vous l'avez dit, tout le monde a certainement beaucoup à apprendre. Quand vous avez mentionné que le gouvernement devrait jouer le rôle de chef de file, une partie de notre étude porte, bien entendu, sur la réglementation de la nouvelle ère vers laquelle nous nous dirigeons. Comment pouvons-nous contribuer davantage à diriger notre société vers ce nouvel âge? Vous avez dit que les producteurs de cinéma et de télévision recevaient des subventions et des incitatifs fiscaux d'Ottawa et des gouvernements provinciaux. Pensez-vous que les producteurs multimédias devraient bénéficier du même appui vu que vous demandez au gouvernement de diriger le mouvement et que vous réclamez la même aide que celle dont bénéficient les autres formes de média. Est-ce le genre de chose que vous voulez?

M. Blondeau: Oui, mais peut-être par d'autres moyens, par exemple des initiatives de R-D portant sur l'infrastructure. Il est important de mettre au point des logiciels qui aideront les autres à se servir plus facilement des instruments, de se risquer dans des plus grands projets que l'industrie ne peut pas financer notamment en ce qui concerne l'infrastructure, les initiatives dans le domaine des larges bandes et du vidéo à la demande. Ce sont là de bons exemples de domaines dans lesquels le gouvernement peut investir lorsque le secteur privé ne le fera pas nécessairement. Ce sera le pipe-line de distribution de l'avenir. Ce sont là des domaines importants dont il faut tenir compte.

Le sénateur Perrault: J'ai apprécié le témoignage que nous avons entendu cet après-midi. Vous nous avez dit que vous étiez en mesure d'aider pratiquement toute l'entreprise. Comme parlementaires, nous aimons beaucoup dire aux gens, lors de dîners-causeries, qu'ils doivent devenir plus efficaces. Néanmoins, en ce qui nous concerne, nous restons très inefficaces en tant qu'institution gouvernementale. Si le gouvernement canadien était l'un de vos clients et voulait chercher à communiquer plus efficacement avec les Canadiens, est-ce une tâche qui vous intéresserait?

M. Blondeau: Certainement. Ce serait une tâche énorme.

La présidente: Voulez-vous dire que nous avons beaucoup de chemin à faire?

Le sénateur Perrault: Nous nous attendions à ce que vous le disiez.

M. Blondeau: Je vous demanderais quels sont vos principaux problèmes et où vous voulez aller; dans quelle mesure vous voulez être près des gens. L'Internet, par exemple, est l'un des progrès les plus démocratiques de notre époque. Grâce à l'Internet, vous pouvez dialoguer avec pratiquement tous les autres Canadiens en vous installant derrière un ordinateur et en leur envoyant des messages 24 heures sur 24. C'est un élément important.

Quand je parle à d'autres entreprises de ce que l'industrie électronique peut faire pour elles, il s'agit surtout de résoudre leurs problèmes, de voir comment nous pouvons le faire. Si vous voulez accroître votre légitimité et vous rapprocher davantage des autres Canadiens, nous pouvons certainement commencer à réfléchir à ces questions.

Le sénateur Perrault: Ce serait une mission intéressante que nous pourrions vous confier ainsi qu'aux autres entreprises du même genre que de voir comment nous pouvons faire un meilleur travail en consultant les Canadiens.

M. Blondeau: Oui.

Le sénateur Johnson: Vous pouvez rester chez vous et vous connecter à l'Internet.

Le sénateur Perrault: Ce serait intéressant à savoir. Avec cette révolution multimédias, il doit y avoir un moyen de l'adapter à notre façon de communiquer en tant que parlementaires.

M. Blondeau: Je suis d'accord. Il s'agit de pouvoir utiliser des instruments pour nous aider à communiquer entre nous. Je ne pense pas que ce soit seulement une question de technologie. C'est ainsi que je vois les choses. Il s'agit de se demander où l'on veut aller.

Le sénateur Perrault: C'est possible. Ce qui m'inquiète c'est de voir les petites entreprises canadiennes se faire avaler par des supergéants américains comme Microsoft. Cela vous inquiète-t-il ou cela contribue-t-il à l'effort mondial déployé pour accorder une place aux multimédias?

M. Blondeau: Microsoft n'espionne pas les lieux?

La présidente: Vous voulez dire officiellement?

M. Blondeau: C'est un problème dans notre secteur. La concentration pose un problème au nord comme au sud de la frontière. Digital Renaissance va s'installer aux États-Unis, à San Francisco. Il est certainement important pour nous d'entretenir des relations avec Microsoft, mais si nos liens deviennent trop étroits, nous aurons des difficultés, surtout si nous choisissons de rester indépendants. Dans ce domaine, qui est dominé par une société sur le plan des logiciels, c'est une question à laquelle il est très difficile de répondre. Ce que vous dites ou ce que vous faites peut se répercuter sur votre bilan et c'est donc une situation précaire.

Le sénateur Perrault: M. Gates n'aura jamais besoin d'aller quêter, n'est-ce pas? Il se débrouille plutôt bien.

La présidente: Dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que votre entreprise était toutes sortes de choses, mais surtout un capital humain. Puis vous avez conclu en soulignant que notre pays avait besoin de produits ayant un meilleur contenu. Quel est le problème? Vous avez dit que cela constituait un obstacle.

Notre comité est allé enquêter aux États-Unis. Les personnes que nous avons interrogées, qui étaient Américaines, nous ont dit notamment que nous avions un grand nombre d'excellents produits. Le problème est que ces produits ne sont pas suffisamment connus ou qu'on ne les fait pas assez connaître. Vous nous dites maintenant qu'il nous faut des produits à meilleur contenu. Pourriez-vous nous en parler?

M. Blondeau: Oui. Un meilleur contenu résulte généralement d'un financement suffisant pour sa mise au point. Le fait est que notre marché ne peut pas nécessairement soutenir ce genre d'activité. Le coût de production des logiciels est tellement élevé que lorsque nous essayons de les mettre en marché, nous n'en vendons pas suffisamment et nous devons donc estomper leur identité canadienne pour les vendre aux États-Unis ou sur le marché international. Cela témoigne non pas de notre identité canadienne, mais plutôt de notre capacité à la passer sous silence, à adopter une identité universelle. À mon avis, c'est là un sérieux problème.

Il coûte plus cher de mettre au point un bon logiciel que de produire un petit film, par exemple. La production d'un CD-ROM comme Myst revient à environ 3 millions de dollars US et il n'est pas possible de le faire au Canada. Nous n'avons jamais mis au point ce genre de produit parce que cela coûte trop cher.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Blondeau. Si nos attachés de recherche ont des questions supplémentaires à vous poser, je suppose que nous n'aurons aucun problème à communiquer avec vous?

M. Blondeau: Aucun problème, madame la présidente.

Le sénateur Perrault: Pourriez-vous nous parler un peu de vos récents succès?

M. Blondeau: Aujourd'hui, nous avons été mentionnés dans le Globe and Mail; hier, nous avons participé à Venture au réseau anglais de la SRC. Parlez-vous de nos grandes réussites? À mon avis, l'une de ces réussites est le fait que nous ayons pu prendre de l'expansion si rapidement sans perdre la culture de vue. La culture est sans doute l'élément le plus important. C'est grâce à cela que nous demeurons humains. Le fait que nous puissions avoir des relations avec des sociétés comme Microsoft et Bell en restant nous-mêmes au niveau fonctionnel est important.

J'ai travaillé dans de nombreux secteurs. C'est le premier où je ne trouve pas pénible de travailler. Je ne sais pas ce qu'en pensent les sénateurs, mais aller travailler doit être un plaisir. Notre travail fait appel à notre pensée latérale et repose sur des échanges latéraux. Dans de nombreux emplois, les rapports sont verticaux que les gens finissent par s'ennuyer. Nous avons pu créer un climat qui permet à nos employés d'aller très loin et c'est peut-être, à mon avis, notre plus grande réussite. Les gens viennent travailler avec plaisir, aiment être ensemble dans une atmosphère de créativité, de liberté, tout en réussissant à faire tourner une entreprise pour satisfaire l'autre aspect de notre personnalité. Autrement dit, si nous assumons tous la responsabilité de produire l'argent de notre salaire, nous y réussirons sans être nécessairement reliés à une grosse société sans individualité.

Le sénateur Perrault: Voilà une bonne réponse.

La présidente: Nous ajoutons toujours des post-scriptum dans ce comité.

Le témoin suivant est M. Gary Neil, de l'ACTRA. La parole est à vous.

M. Gary T. Neil, conseiller en matière de politiques, Alliance des artistes canadiens du cinéma, de la télévision et de la radio (ACTRA): L'ACTRA a le plaisir de vous présenter aujourd'hui ses opinions. Les questions que votre comité étudie sont certainement d'une importance cruciale. Je voudrais vous parler un peu de l'ACTRA et un peu de moi, car cela m'aidera à vous exposer notre position.

La guilde des artistes connue sous le nom d'Alliance des artistes canadiens du cinéma, de la télévision et de la radio ou ACTRA, représente plus de 11 000 artistes professionnels qui, par leur travail dans le domaine du cinéma, de la télévision, de la radio et des annonces publicitaires, divertissent, éduquent et forment les Canadiens des quatre coins du pays.

Depuis plus de 50 ans, l'ACTRA et ses prédécesseurs ont négocié et administré des conventions collectives qui énoncent les conditions minimums d'engagement que les producteurs doivent accorder aux acteurs, danseurs, chanteurs, animateurs, cascadeurs, artistes de variété et autres artistes. Les membres de la guilde résident et travaillent dans les diverses régions du pays et pour la totalité des radiodiffuseurs, producteurs commerciaux, producteurs indépendants de la télévision et du cinéma, l'ONF, l'industrie du disque et les créateurs de produits multimédias du Canada. L'avenir de tous les médias canadiens, l'émergence des multimédias et des nouvelles formes de distribution présentent un intérêt crucial pour nos membres. C'est non seulement parce que c'est leur gagne-pain, mais aussi parce que nous sommes convaincus que le Canada doit affirmer fortement sa présence chaque fois que l'on crée des services de divertissement ou d'information à l'intention des Canadiens.

Je suis conseiller politique de la guilde. Compte tenu de vos travaux d'aujourd'hui, je voudrais vous parler un peu de moi et de mes antécédents. Je suis consultant. Je travaille pour divers clients dans toutes les industries culturelles. Je préside également le Cultural Industries Council of Ontario, un groupe de coordination de notre secteur et qui cherche à promouvoir des initiatives intersectorielles.

Pendant sept ans, j'ai été membre du Groupe de consultation sectorielle de l'industrie culturelle sur le commerce extérieur, un groupe consultatif du gouvernement fédéral spécialisé dans le domaine du commerce international. Je suis ancien vice-président de la Conférence canadienne des arts et ancien directeur général du prochain groupe de témoins, la Canadian Association of Publishers.

Ma propre clientèle est mondiale. J'ai travaillé pour des clients des États-Unis et de l'Europe. Ces dernières années, une de mes principales fonctions consistait à aider les gens à relever les défis de la convergence et des nouvelles technologies. J'ai préparé un important rapport pour le Service des affaires commerciales de la SRC sur les conséquences que les nouvelles formes de production et de distribution auraient pour la société d'État. Je connais de nombreux créateurs de nouveaux médias du Canada, les implications de la convergence et les effets sur les industries culturelles des nouvelles méthodes de distribution, y compris l'Internet.

Pour vraiment comprendre les recommandations de la guilde quant à la façon dont nous pouvons continuer d'améliorer la position concurrentielle internationale du Canada dans le secteur culturel et les nouveaux médias, il est important d'examiner ce que j'appelle le dilemme culturel du Canada. Je signale en passant que mes propos reprennent ce que le témoin précédent vous a dit. Alors que j'étais arrivé depuis deux minutes, je l'ai entendu parler de la difficulté de mettre au point des produits dans un pays de la taille du nôtre. C'est là que se situe le dilemme culturel du Canada, selon moi.

Dans les industries culturelles, la plupart des gens connaissent un certain nombre de statistiques. Dans le secteur de la télévision, malgré la prolifération de nouveaux services canadiens, environ 60 p. 100 de la programmation que regardent les Canadiens anglophones sont des émissions américaines; près de 95 p. 100 des films présentés sur les écrans canadiens sont des films étrangers; plus de 84 p. 100 des enregistrements sonores vendus au détail ont un contenu étranger; 70 p. 100 du marché canadien de l'édition est constitué d'oeuvres étrangères et 83 p. 100 des produits offerts dans nos kiosques à journaux sont des périodiques étrangers.

Les Canadiens veulent se voir reflétés dans ce qu'ils regardent, entendent et lisent et pouvoir choisir de regarder le monde dans leur propre optique ainsi que celle des autres. Il est toutefois difficile d'offrir l'éventail voulu de choix canadiens de qualité sur une base purement commerciale. C'est ce dont parlait votre dernier témoin en ce qui concerne l'informatique et la conception de logiciels.

Le Canada est un pays qui compte seulement 30 millions d'habitants dispersés sur 6,5 millions de kilomètres carrés. Vingt-deux millions d'entre nous partagent la même langue que le plus producteur mondial de matériel culturel. Les Canadiens s'attendent à recevoir du matériel canadien dont la qualité et le prix équivalent à ceux des produits américains. Toutefois, les producteurs culturels de notre pays ne bénéficient pas de la même économie d'échelle que leurs homologues américains qui produisent pour un marché primaire beaucoup plus gros que le nôtre.

Je vais vous donner deux exemples. Dans le secteur de la télévision, les radiodiffuseurs canadiens paient des droits de licence qui représentent généralement 25 à 30 p. 100 de leur budget de production. Aux États-Unis, les radiodiffuseurs versent 75 à 80 p. 100 de leur budget étant donné qu'ils ont un auditoire beaucoup plus vaste à vendre aux annonceurs. Par conséquent, si vous êtes un producteur de télévision canadien, vous avez un problème structurel.

Dans l'édition, le tirage moyen d'un ouvrage de fiction est de 1 500 exemplaires au Canada contre 10 000 aux États-Unis. Cela veut dire que le coût unitaire du livre est beaucoup plus élevé au Canada alors que le prix de vente doit rester concurrentiel pour satisfaire le consommateur canadien qui a accès aux meilleurs produits internationaux.

Devant ces avantages dont bénéficie la concurrence, le Canada a pris une série de mesures pour égaliser la situation et permettre ainsi à nos artistes et à nos industries culturelles d'émerger et de réussir. L'objectif premier de cette politique est de veiller à ce que les Canadiens aient le choix dans leur propre pays. Les politiques changent avec le temps comme en témoigne le passage actuel du financement direct à des mécanismes comme des incitatifs fiscaux ou les contestations dont font l'objet actuellement les règles à l'égard du contenu canadien. Même si la politique peut évoluer avec le temps, elle reste nécessaire pour que nous puissions répondre à nos propres besoins culturels.

Ne vous y trompez pas. Vous entendrez parler des réussites du Canada à l'étranger, du fait que nous nous classons au deuxième rang des exportateurs d'émissions de télévision et des exportateurs d'enregistrements sonores en langue française ainsi qu'au troisième rang des exportateurs d'enregistrements sonores en langue anglaise, mais notre réussite sur les marchés mondiaux se fonde sur notre succès au Canada qui lui-même dépend des mesures gouvernementales qui ont cherché à égaliser la situation. Tel est le contexte dans lequel nous formulons les observations ci-après quant aux questions qui intéressent plus précisément le comité.

Le Canada est bien placé pour se trouver au premier rang pour ce qui est de la mise au point de nouveaux produits médiatiques. Nous avons la créativité et les talents voulus dans tous les domaines, y compris ceux des logiciels et de l'animation, dans toutes les industries culturelles. Nos réalisations artistiques de la dernière décennie ont été phénoménales. Nous pouvons également mobiliser des ressources financières chez nous et nous avons enregistré des succès internationaux.

Tout cela offre de nouveaux débouchés à nos artistes. Nous avons maintenant des ententes qui couvrent le travail des artistes qui participent aux éléments dramatiques de jeux vidéo, par exemple. Il y a une forte demande pour la réutilisation des produits existants avec l'avènement de nouvelles formes de distribution.

La guilde estime que nous avons besoin de politiques et d'incitatifs pour favoriser les partenariats entre les industries qui n'avaient pas l'habitude, jusqu'ici, de travailler ensemble. Nous devons trouver des moyens de mettre les éditeurs de livres en contact avec les producteurs de télévision et les concepteurs de logiciels. Nous devons mettre les écrivains en contact avec l'industrie informatique.

Une partie de la solution réside certainement dans les mesures que prendra l'industrie. J'ai mentionné le Cultural Industries Council of Ontario. C'est exactement le genre de chose que nous cherchons à faire en Ontario. Nous voulons réunir des entreprises des diverses industries culturelles pour parler de l'avenir et de ce que les technologies actuelles et futures peuvent apporter à chacune d'elles.

Les choses pourraient être également facilitées par des mesures gouvernementales telles que des crédits d'impôt, peut-être sur le modèle du nouveau crédit d'impôt pour le cinéma et la télévision, ou du crédit d'impôt de l'Ontario pour l'animation et les effets spéciaux baptisé OCASE.

Deuxièmement, en ce qui concerne notre compétitivité internationale, nous devons protéger énergiquement notre capacité de continuer à appliquer les politiques et les programmes pour des raisons culturelles. Un grand nombre des politiques essentielles à notre production créative sont de plus en plus attaquées par l'industrie américaine du divertissement qui considère toute politique visant à favoriser la production nationale comme un obstacle à sa conquête des marchés mondiaux et une menace contre son hégémonie. L'année dernière, nos mesures de soutien à l'industrie du périodique ont été contestées avec succès dans le cadre de l'OMC; il y a quelques années, la décision du CRTC de retirer Country Music Television de la liste des services autorisés a suscité des menaces de représailles; les Américains vont peut-être contester incessamment la révision de la nouvelle législation canadienne sur le droit d'auteur dans le cadre de l'ALENA ou de l'OMC et la Communauté européenne a décidé de contester notre décision dans l'affaire Polygram.

Le président de la guilde, Brian Gromoff, est actuellement à Stockholm à une conférence de l'UNESCO sur le développement culturel où il soutient les efforts que déploie la ministre, Mme Copps, afin que cette tribune serve à bâtir une alliance internationale pour défendre la souveraineté culturelle. Les États-Unis considèrent comme un commerce ce que nous considérons comme la culture et quand nous pensons offrir un choix, les États-Unis considèrent que nous érigeons des barrières.

À ce propos, j'aimerais dire quelques mots au sujet de l'Accord multilatéral sur l'investissement. La guilde compte parmi les groupes qui s'interrogent quant aux conséquences négatives potentielles de l'AMI pour la politique culturelle canadienne. Même s'il a peu de chance d'être adopté sous sa forme actuelle, l'AMI pose déjà des problèmes mais la menace est déjà bien réelle. La guilde estime qu'une nouvelle approche internationale est nécessaire pour défendre la souveraineté culturelle et se réjouit que Mme Copps ait pris cette initiative à Stockholm.

Troisièmement, la guilde croit qu'il faut continuer à réglementer les systèmes de distribution quelle que soit la technologie employée, afin d'assurer un choix aux Canadiens qui le désirent. À notre avis, cela comprend l'Internet. Dans notre industrie primaire, le cinéma et la télévision, nous savons que lorsque le Canada a la haute main sur la distribution, comme dans le secteur de la télévision, nous avons une industrie canadienne solide. Lorsque le système de distribution échappe à notre contrôle, comme dans l'industrie cinématographique, la présence canadienne n'est pas forte. L'équation nous paraît assez simple.

Les façons de procéder à cette réglementation peuvent changer et il se peut que nous ayons à employer différentes méthodes pour réglementer les divers systèmes de distribution, mais la nécessité d'un contrôle et d'une réglementation reste la même.

Également sur ce plan, la guilde croit que le Canada doit prêter particulièrement attention aux systèmes de navigation. Je ne sais pas si quelqu'un vous en a déjà parlé. Avec l'avènement de la télévision numérique, nous sommes sur le point de voir apparaître, au Canada, la véritable vidéo à la demande où vous pourrez commander de chez vous, n'importe quel film qui vous sera livré par le câble, directement jusqu'à votre téléviseur. C'est la véritable vidéo à la demande. Nous avons déjà l'Internet. Nous verrons bientôt des compagnies de téléphone arriver sur le marché de la distribution d'émissions. La semaine prochaine, au Nouveau-Brunswick, NBTel comparaîtra devant le CRTC pour demander une licence de télédistribution. Nos choix vont s'élargir au-delà de tout ce que nous avons pu imaginer, même au cours de la dernière décennie et de ce que nous pouvons même concevoir aujourd'hui. La guilde estime qu'il faut faire en sorte que les choix canadiens soit au premier plan.

Cela me ramène aux systèmes de navigation. Nous ne voulons pas qu'ils isolent les produits canadiens du reste. Il faut que nos produits fassent partie intégrante du menu. Nous ne pouvons pas, et nous ne devrions pas non plus, forcer les Canadiens à choisir des émissions canadiennes, mais ceux qui le veulent doivent pouvoir les trouver. Si nous continuons en même temps à améliorer la qualité et la promotion du contenu canadien, nous sommes certains que nos concitoyens choisiront de regarder, d'écouter et de lire des productions canadiennes.

J'ai fait récemment un voyage d'affaires en Europe où j'ai constaté que le débat sur la réglementation avait lieu partout ailleurs dans le monde. J'ai été frappé par le débat européen qui semblait opposer le libre choix du consommateur et la réglementation comme si le consommateur ne pouvait pas avoir le choix dans un système réglementé.

Telle est précisément la position de la guilde lorsque nous parlons d'offrir le choix aux consommateurs. Nous voulons qu'ils puissent choisir une émission, un logiciel ou un autre contenu canadien. Il faut pour cela veiller à ce que la qualité de nos produits soit égale aux meilleurs produits mondiaux et à ce que les gens puissent les trouver parmi le choix pratiquement illimité qui leur est offert.

Cinquièmement, il reste nécessaire de réviser la Loi sur le droit d'auteur. Les nouvelles méthodes de production et de distribution créent de nouvelles façons de manipuler les oeuvres des créateurs et d'en faire un usage abusif. Nous avons vu apparaître des acteurs virtuels auxquels on a même donné des noms. Certains les appellent des «vacteurs» d'autres des «synthespians». Certaines scènes du Titanic ont été créées de façon numérique. Cela ne se limite pas aux films américains. Une partie de Rocky IV a été tournée au Canada, à Vancouver et au moyen de la technologie numérique, on a multiplié quelques centaines de figurants pour remplir tout un stade dans une scène du film.

Il faut de nouveaux droits pour les créateurs. Les modifications apportées en 1997 à la Loi sur le droit d'auteur n'étaient qu'une étape. Nous estimons que la prochaine phase de la réforme de la Loi sur le droit d'auteur devrait inclure tout un éventail de droits pour les artistes. Ceux d'entre vous qui connaissent la loi savent que c'est le système le plus sibyllin qui soit. Nous avons maintenant mis au point ce nouveau concept du «droit de rendre disponible» qui, dans le jargon du droit d'auteur international est le droit qui permettrait d'assurer le maximum de contrôle lorsque l'on distribue du matériel sous forme électronique, sous forme numérique. Par conséquent, le «droit de rendre disponible» devrait être offert aux artistes canadiens.

Il faut que l'industrie et le gouvernement agissent conjointement pour créer une agence d'affranchissement des droits pour les nouvelles utilisations médiatiques et la distribution de façon à permettre aux concepteurs de nouveaux médias d'avoir facilement accès au matériel et d'assurer la juste rémunération des détenteurs des droits.

En sixième lieu, la guilde s'est réjouie, comme d'autres, de ce que le gouvernement ait annoncé en 1995 que la promotion de la culture et des valeurs canadiennes serait le troisième pilier de la politique étrangère du Canada. Malheureusement, cette déclaration n'a pas changé grand-chose selon nous. De nombreux comités et regroupements ont recommandé diverses façons dont le gouvernement pouvait donner suite à cette déclaration, par exemple en faisant une promotion plus dynamique des produits canadiens, en donnant une dimension culturelle aux missions commerciales d'Équipe Canada et par d'autres moyens. La guilde considère que ces recommandations restent valides.

Enfin, la guilde réitère son appui à la campagne lancée par la Conférence canadienne des arts pour que le gouvernement élabore et énonce une politique culturelle fédérale cohérente. Même si le gouvernement a, selon nous, de bonnes raisons de soutenir l'expression culturelle canadienne, sa politique de ces dernières années a été pour le moins ponctuelle pour ne pas dire décousue. Nous devons comprendre collectivement pourquoi nous devons continuer à élaborer des politiques dans ce domaine et nous estimons qu'il nous faut une vision collective quant à la façon dont nous allons promouvoir les histoires canadiennes et l'expression culturelle canadienne dans tous les médias au cours du prochain millénaire.

La présidente: C'était un excellent exposé.

Le sénateur Johnson: Oui, c'était un excellent exposé. Je suis d'accord avec la plupart des choses que vous avez dites. Bien entendu, c'est un très vaste domaine et grâce à votre expérience diversifiée, vous semblez avoir abordé presque tous les aspects des arts au Canada.

Je pourrais peut-être m'attarder sur un domaine en particulier, celui de l'industrie cinématographique, simplement parce que je crois que, ces dernières années, nos industries de l'édition, de la télévision et du disque ont obtenu des résultats nettement supérieurs à ceux du passé. C'est dû en partie à l'aide et à la réglementation gouvernementales, mais l'industrie cinématographique continue d'avoir des difficultés alors qu'elle pourrait être une source de revenus pour le Canada. À certains égards, les Américains tournent des films chez nous, mais ils se servent simplement de nos sites.

J'aimerais savoir ce que l'ACTRA en pense. Quelle en est la raison selon vous? Est-ce à cause de notre taille étant donné que vous avez parlé du dilemme culturel du Canada et mentionné que le problème était dû notamment à la superficie du pays? Est-ce à cause de notre proximité des États-Unis et de Hollywood? Est-ce à cause de la réglementation gouvernementale, surtout la politique de Téléfilm voulant qu'un film ait une vedette canadienne et soit seulement diffusé au Canada pour avoir droit à un financement alors que, même avec ce règlement, la projection de films canadiens n'apporte que 3 p. 100 des recettes des cinémas. Je me demande ce que nous pouvons faire. C'est une véritable énigme. Faut-il assouplir le financement gouvernemental? Devons-nous faire ce que Derek Mazer, un producteur de Winnipeg que je connais, a suggéré? Il a dit que Téléfilm agissait davantage comme un studio essayant de former des cinéastes qu'un investisseur qui reste dans l'ombre. Est-ce également vrai?

Voilà certaines des questions que je voulais poser au sujet de ce secteur. Mme Copps a publié un document et certaines de ces questions font actuellement l'objet de discussions à l'UNESCO. Tout l'aspect cinématographique est relié à bien d'autres choses tant du côté des multimédias que de l'Internet et le reste. Je sais que c'est une assez longue question, mais je tenais à la poser.

En tant que membres de ce sous-comité, nous essayons d'établir quelle est la position concurrentielle du Canada dans le domaine des communications. Pourriez-vous aborder cet aspect, particulièrement dans l'optique de l'ACTRA, de même que dans l'optique des acteurs dont c'est le gagne-pain?

M. Neil: La question est peut-être longue, mais la réponse le sera encore plus.

Le sénateur Johnson: Il serait difficile de l'abréger.

M. Neil: Oui. L'ACTRA a réservé un bon accueil au document de discussion que le ministère du Patrimoine a publié sur la politique cinématographique du Canada. Nous avons déjà présenté un mémoire comprenant nos opinions préliminaires sur ce qui pourrait être fait dans le but d'améliorer la situation de l'industrie des longs métrages. Nous avons l'intention de participer pleinement à ces discussions. En fait, vous pourrez trouver un mémoire de l'ACTRA dans le site Web du ministère du Patrimoine au sujet de l'industrie cinématographique.

J'aimerais faire quelques observations le plus brièvement possible. J'ai abordé le sujet dans ma déclaration liminaire. La raison pour laquelle nous n'avons pas bâti d'industrie cinématographique au Canada comme nous aurions pu le faire est que nous n'exerçons aucun contrôle sur le mécanisme de distribution. Pour ce qui est de la télévision, étant donné l'existence d'un organisme de réglementation, qui est maintenant le CRTC, nous avons pu exercer un certain contrôle et apporter au système une grande variété d'opinions et de produits. Telle est la différence fondamentale entre notre industrie de la télévision et notre industrie du cinéma. Les intervenants sont les mêmes: ce sont les mêmes producteurs, pratiquement les mêmes réalisateurs ainsi que les mêmes acteurs.

Le sénateur Johnson: Nous avons déjà posé cette question et le sujet de la distribution est venu sur le tapis.

M. Neil: Depuis 25 ans, diverses études ont fait valoir, de façon convaincante selon moi, qu'il fallait s'attaquer directement au problème en prenant en main notre propre système de distribution. Nous n'avons toutefois pas pu le faire en raison de la puissance de l'industrie américaine. La dernière fois que nous avons essayé c'était lorsque Flora MacDonald était ministre des Communications. J'étais alors secrétaire général de l'ACTRA et le projet de loi ne m'avait pas impressionné parce qu'il n'allait pas assez loin. Il visait seulement 15 p. 100 de l'industrie cinématographique, mais c'était encore trop pour Jack Valenti et l'American Motion Picture Producers' Association qui sont venus à Ottawa pour s'y opposer. La volonté politique s'est tout simplement éteinte au Canada. Voilà la principale raison pour laquelle nous n'avons pas d'industrie cinématographique.

Que faire maintenant? Je ne suis pas certain que la volonté politique nécessaire puisse être mobilisée dans cette ville pour prendre le taureau par les cornes. Ce que nous pourrons faire pour l'industrie cinématographique sera donc toujours beaucoup plus limité.

Il s'agit notamment d'établir qui sont nos concurrents dans ce secteur. Ce ne sont pas les superproductions américaines. Ce n'est pas Titanic. Ce film a coûté 250 millions de dollars US. Le budget de publicité et de commercialisation de Titanic équivalait sans doute, à lui seul, le budget de production total de la plupart des films en langue anglaise que nous avons produits l'année dernière au Canada. Nos concurrents ne se situent pas là. Atom Egoyan et David Cronenberg ne produisent pas des films qui concurrenceraient le Titanic. Certaines personnes croient toutefois que c'est dans ce domaine que nous devrions rivaliser.

Je crois que nous devons plutôt exploiter nos points forts. Il s'agit des films d'auteur, des films qui racontent des histoires canadiennes ayant un thème universel que personne d'autre ne peut raconter. Il y a diverses choses que nous pouvons faire dans ce domaine pour améliorer notre situation, que ce soit sous la forme d'une aide supplémentaire aux nouveaux cinéastes canadiens ou sous la forme de changements aux règles régissant le contenu canadien. Certaines personnes s'inquiètent, et l'ACTRA également, devant la diffusion de certains films présumément canadiens. On continue de faire des films pour se prévaloir de certains mécanismes de soutien existants. Nous avons recommandé de modifier le système de points afin d'inclure des points supplémentaires pour les acteurs et de relever les normes minimums.

Nous avons fait une proposition à l'égard de la présentation des films. Nous avons recommandé de modifier le système de points afin d'inclure des points supplémentaires pour les acteurs et de relever les normes minimales.

En ce qui concerne la présentation, nous proposons d'accorder un incitatif aux cinémas qui présentent des films canadiens. C'est évidemment l'un des problèmes qui se posent dans notre système. Nous avons d'excellents films canadiens, de merveilleux cinéastes, d'excellents acteurs, mais personne ne les voit parce que nous ne pouvons pas concurrencer le budget de publicité et de commercialisation des gros studios américains.

Le sénateur Johnson: Avez-vous lu l'éditorial du Globe and Mail de ce week-end disant que tous les cinémas commerciaux du Canada devraient inclure dans leur publicité une promotion pour les films canadiens présentés au cinéma de répertoire local? Cet éditorial parlait d'un plan quinquennal.

M. Neil: J'aime cette idée. Je ne pense pas qu'elle aille assez loin. Nous avons recommandé que les recettes de la vente de billets d'entrée pour des films canadiens ne soient pas incluses dans le revenu imposable. Cela inciterait sérieusement les cinémas à présenter ces films et contribuerait à promouvoir les films canadiens. Ce serait beaucoup plus lucratif pour eux.

Selon nous, cela ne revient pas très cher. Si toutes ces mesures sont prises et si nous commençons à développer une industrie cinématographique canadienne, nous élargirons l'auditoire des films canadiens. Les revenus secondaires tirés de la vente de pop-corn, de boissons gazeuses, et cetera, devraient augmenter et compenser l'argent perdu du fait que les recettes d'entrée seraient non imposables. C'est une idée que nous avons lancée au cours de ce débat pour qu'on en discute.

On pourrait également faire diverses autres choses. Nous pouvons nous attaquer au problème de la distribution en examinant la loi et la politique sur la concurrence car selon nous, ce qui se passe dans ce secteur nuit à la concurrence. Il y a quelques semaines, un avocat avec qui j'en parlais m'a dit que si la situation était inversée et s'il y avait aux États-Unis la même concentration qu'au Canada sur le plan de la production, de la distribution et la présentation, les lois antitrust américaines seraient vite invoquées. Par conséquent, vous pourriez commencer à voir quels sont les mécanismes antitrust qui pourraient être efficaces, et établir des systèmes pour empêcher ce genre de situation.

Je vais vous donner un exemple concret: il y a une différence entre le produit des grands studios américains qui en possèdent le droit d'auteur international, qui l'ont produit et qui le distribuent et le produit de producteurs indépendants. Notre politique actuelle cherche à promouvoir la séparation des marchés afin que les distributeurs canadiens aient la possibilité de distribuer la production indépendante du monde entier et de gagner les revenus que génèrent ces productions.

Il existe des moyens de faire appliquer ce genre de raisonnement, en établissant des systèmes et en agissant au niveau de la distribution. J'entre peut-être un peu trop dans les détails. Nous avons formulé des recommandations, comme d'autres organismes, et vous verrez peut-être un consensus se dégager dans notre secteur au cours des prochains mois quant aux mesures qui permettraient d'améliorer notre situation.

Le sénateur Johnson: Une partie de votre réponse s'applique à d'autres secteurs culturels, bien entendu. L'essentiel est de présenter des produits canadiens.

Le sénateur Perrault: Ce témoignage très intéressant suscite tellement de questions que je ne sais pas trop par où commencer.

Il est urgent que les produits canadiens puissent être présentés sur davantage d'écrans dans le monde. Dans l'article du Globe and Mail que ma collègue a mentionné, nous apprenions qu'au cours de la semaine où le Titanic était projeté sur plus de 2 853 écrans d'Amérique du Nord, 63 autres cinémas seulement présentaient De beaux lendemains, un film merveilleux qui était un candidat tout à fait légitime à un Oscar. C'est assez inquiétant.

Une chose qui me préoccupe est que les films australiens Breaker Morant et Gallipoli, Man from Snowy River et My Favourite Aunt ou un titre de ce genre, ne semblent pas avoir eu de problèmes de distribution en Amérique du Nord. Avons-nous besoin d'un meilleur plan de commercialisation pour distribuer les produits canadiens?

M. Neil: Nous nous comparons souvent au modèle australien, mais il ne faut pas pousser la comparaison trop loin. En fait, l'industrie cinématographique australienne a connu une période d'expansion rapide.

Le sénateur Perrault: Le problème n'existe plus?

M. Neil: Cette tendance a disparu. C'est parce qu'un gouvernement a pris des engagements sérieux envers cette industrie dans laquelle il a injecté des ressources importantes tandis que l'autre gouvernement a dit: «Comme nous avons des difficultés financières, nous allons annuler notre engagement». En fait, l'industrie cinématographique australienne a traversé une terrible période de déclin.

Cela dit, il y a également une grosse différence dans le système de distribution et de diffusion. En Australie, le principal distributeur est une société australienne et les Australiens n'ont pas autant de difficulté que nous à avoir accès à leurs propres écrans. Ils ont une industrie. Ils ont un marché national à partir duquel ils ont pu réussir sur la scène internationale.

Le sénateur Perrault: Ils ont certainement conclu des alliances étant donné que leur produit a été largement diffusé, n'est-ce pas?

M. Neil: C'était seulement pour cette période. Depuis, il y a eu certainement des exemples de succès australiens depuis quelques années. Nous ne pouvons pas vraiment citer d'exemples de succès commerciaux canadiens, mais l'importance de la diffusion a changé totalement par rapport à ce qu'elle était il y a 15 ans.

Le sénateur Perrault: Nous avons des acteurs, des actrices et des techniciens tellement talentueux au Canada. Cette semaine, Vancouver a perdu la série télévisée X-Files, une émission très haut cotée qui a quitté Vancouver. Des acteurs ont dit qu'ils n'étaient pas toujours payés autant que leurs collègues américains pour certaines productions réalisées au Canada. Peut-être avez-vous une opinion à ce sujet. J'espère que nous ne nous faisons pas exploiter par ceux qui viennent tourner chez nous. Il est bon d'avoir cette industrie.

Il y a de grands cinéastes en Ontario et au Québec et dans plusieurs autres provinces. Nous avons les talents et il est scandaleux que nous ne puissions pas faire mieux.

M. Neil: Premièrement, je peux vous assurer que les artistes canadiens sont payés autant. Le salaire minimum est le même. Il y a des différences dans les conventions collectives et donc des échelles de salaire différentes. Les autres conditions diffèrent également, mais vous ne pouvez pas conclure que nous sommes sous-payés.

Le sénateur Perrault: Nous ne sommes pas exploités.

M. Neil: Je peux vous assurer que nous ne sommes pas exploités, sénateur. D'autre part, l'industrie de la Colombie-Britannique ne s'inquiète pas trop du départ de X-Files. Elle a largement assez de productions pour donner du travail aux équipes, aux acteurs et à tous les autres. D'autres séries viendront à Vancouver. Bien d'autres attendent dans les coulisses.

Le sénateur Perrault: J'aurais aimé que James Cameron se présente comme Canadien à la cérémonie des Oscars, l'autre soir. Cela nous aurait aidés. Cela aurait été bon pour notre moral. Nous devrions dire au monde entier que nous avons des producteurs, des acteurs et des experts de calibre international.

M. Neil: Il n'est pas nécessaire qu'il affirme son identité canadienne. Il n'a pas reçu sa formation dans l'industrie cinématographique du Canada. Il a quitté le pays à un très jeune âge. Personnellement, cela ne m'a pas du tout ennuyé. Nous avons suffisamment de quoi être fiers.

Le sénateur Perrault: Et vos membres? Vous regroupez beaucoup de gens. Quel est le taux de chômage chez les acteurs et actrices?

M. Neil: Au cours d'une journée, la majorité de nos membres ne travaillent pas. Je n'ai pas les chiffres actuels concernant leurs gains, mais jusqu'ici, seul un faible pourcentage de nos 11 000 membres ont un revenu annuel raisonnable.

Le sénateur Perrault: Cela exige beaucoup de détermination, n'est-ce pas?

M. Neil: Oui.

Le sénateur Perrault: Nous avons obtenu d'excellents résultats. Les Canadiens ont certainement fait la preuve de leur talent. Les Américains insistent sur l'aspect purement économique et ne veulent rien entendre de nos considérations culturelles de la nécessité de protéger notre culture.

M. Neil: C'est exact.

Le sénateur Perrault: Pouvez-vous susciter suffisamment d'intérêt en racontant aux Américains l'histoire de Radisson, par exemple? Serait-elle largement diffusée aux États-Unis? Nous devons produire davantage de films canadiens et il faut qu'ils soient mieux distribués, mais qui va acheter le produit?

M. Neil: Lorsque notre industrie cinématographique sera parvenue à maturité, nous aurons un éventail complet de productions. Cela ira des scènes pour le prochain Titanic qui seront tournées au Canada à des films sur des castors jouant au hockey et tout cela sera produit pour des auditoires différents et à des moments différents. Les sujets nettement canadiens, mais portant sur un thème universel peuvent être plus largement acceptés. Les sujets spécifiquement canadiens n'auront pas un vaste auditoire au-delà de nos propres frontières, mais je crois que notre industrie cinématographique atteindra sa pleine maturité lorsque nous aurons cet éventail complet de productions.

Pour ce qui est des fonds publics et des mécanismes de réglementation, il faut seulement se demander comment choisir entre les produits qui seront financés et ceux qui ne le seront pas. Nous n'avons évidemment pas besoin de fonds publics pour inciter Paramount ou Universal à venir tourner un film chez nous. Ils le feront pour diverses raisons dont la valeur de notre dollar et l'excellente infrastructure que nous avons à leur offrir. Par contre, un film spécifiquement canadien aura besoin d'un soutien public considérable pour que nous puissions le produire.

Le sénateur Perrault: Vous parlez de décors spécifiquement canadiens. Dans trop de films américains Banff devient Colorado Springs et on change toutes les plaques minéralogiques sur les voitures de police. Je ne devrais sans doute pas m'attarder sur ce détail.

Vous dites que nous devons produire davantage de films canadiens. Je me demande si un film sur la vie de Mackenzie King captiverait les foules en Alabama.

M. Neil: Je me demande s'il le ferait à Moose Jaw. Tout dépend comment il est réalisé.

Le sénateur Perrault: Vous pensez que nous pouvons faire preuve d'imagination.

M. Neil: Absolument.

Le sénateur Perrault: Quel sera le rôle de la télévision à haute définition dans tout cela? Ce sera le prochain progrès technologique, n'est-ce pas?

M. Neil: Si elle fait son apparition, la télévision à haute définition augmentera le besoin de nouvelles productions. Ce sera une excellente chose, car vous ne pouvez pas diffuser les produits existants sur une télévision à haute définition. Vous ne profiterez pas de la haute définition.

Personnellement, je ne suis pas convaincu que ce sera le prochain virage technologique vraiment important. La concurrence dans le secteur de la câblodistribution sera plus décisive. Elle viendra des compagnies de téléphone et peut-être aussi des sociétés de communications par satellite. Ce sera beaucoup plus instructif. Même avant que la télévision à haute définition ait des répercussions réelles sur notre industrie, vous verrez les effets de la distribution par l'Internet et les technologies informatiques. Ce sont les facteurs qui vont sans doute entraîner le plus de bouleversements, de changements, de menaces et de débouchés dans notre secteur.

La présidente: Nous avons vraiment apprécié votre témoignage et vos réponses franches et directes à nos questions. Si nos attachés de recherche ont des questions supplémentaires à vous poser, peuvent-ils s'adresser à vous?

M. Neil: Certainement.

La présidente: Nos témoins suivants sont M. Davidson et M. MacSkimming. Nous avons hâte d'entendre votre opinion quant à la position concurrentielle internationale du Canada dans le domaine des communications.

Comme vous le savez, nous avons préparé un rapport préliminaire. Nous sommes maintenant en train d'étudier l'importance économique, sociale et culturelle des communications pour le Canada étant donné que nous voulons rester concurrentiels sur la scène internationale.

M. Paul Davidson, directeur général, Canadian Association of Publishers: Honorables sénateurs, nous vous remercions de nous avoir invités à participer à cette discussion sur les communications.

Il semble que, très souvent, les gens s'intéressent à l'aspect hautement technologique des communications, aux technologies nouvelles époustouflantes en oubliant le livre. Ce que nous voulons surtout faire comprendre c'est que le livre existe depuis 500 ans et continuera à occuper une place essentielle dans l'économie de l'information.

Normalement, lorsque nous sommes invités à comparaître devant ce genre d'organisme, nous nous faisons accompagner d'un éditeur très actif, le plus souvent Jack Stoddart, qui est le président de notre association. Comme il n'était pas libre cet après-midi, nous le remplacer au pied levé.

Notre association représente plus de 130 éditeurs canadiens. Nous comptons des membres dans chaque province. Nos membres représentent tous les genres de l'édition, que ce soit le genre littéraire, commercial, éducatif ou savant. Nous travaillons également en collaboration étroite avec notre homologue francophone, l'Association nationale des éditeurs de livres.

Nous allons vous parler brièvement des trois sujets que vous nous avez demandé d'aborder et nous formulerons ensuite des recommandations très précises au comité.

Nous aimons souligner, à chaque occasion, que les éditeurs de livres ont joué un rôle crucial en créant une littérature nationale qui permet aux Canadiens de se connaître les uns les autres et de faire connaître le Canada au reste du monde. Nous sommes fiers de ce que nos auteurs canadiens dominent maintenant la liste des best-sellers au Canada et, de plus en plus, la liste des best-sellers mondiaux. C'est le Times de Londres qui a décrit, je crois, la fiction canadienne comme la plus recherchée au monde. Les éditeurs allemands viennent régulièrement au Canada dénicher de nouveaux talents et, pas plus tard que l'automne dernier, un des nouveaux romanciers d'un éditeur canadien de Winnipeg, Turnstone Press, a fait l'objet d'enchères intensives à la Foire internationale du livre de Francfort. C'est là un exemple du succès que nos écrivains remportent dans le monde entier.

Nos exportations s'améliorent chaque année et elles ont triplé depuis quatre ans. Nous tenons également à souligner que malgré la concurrence des nouveaux médias, les Canadiens passent davantage de temps à lire dans les années 90 qu'ils ne le faisaient dans les années 70. Cela nous paraît très encourageant. Cela montre que le livre occupe toujours une grande place dans la vie des gens.

Lorsqu'on a inventé la radio, on a dit qu'elle allait tuer le livre et lorsque la télévision a été inventée, que le livre disparaîtrait. On a prédit la même chose avec l'avènement des vidéos et maintenant les gens prétendent que l'Internet et les nouveaux médias remplaceront le livre. Nous sommes certains que le livre conservera une place très importante dans la vie des Canadiens des générations futures.

Pour résumer ces remarques préliminaires, je dirais que ces résultats ne sont pas purement accidentels. Ils résultent d'une ténacité et d'une créativité incroyables. Ils résultent également d'une politique publique judicieuse et de l'esprit d'entreprise des éditeurs canadiens.

J'invite M. MacSkimming à vous dire quelques mots au sujet du contexte actuel de la mondialisation dans l'édition du livre, puis de la compétitivité du Canada et de la promotion du livre au moyen des exportations.

M. Roy MacSkimming, directeur de la politique, Canadian Association of Publishers: Les réalisations dont Paul vient de parler se sont produites sur toute une génération et peut-être un peu plus. Il faut penser à la croissance et à la maturation de l'écriture et de la publication au Canada depuis l'année du Centenaire ainsi qu'à la nouvelle énergie créatrice qui s'est libérée à ce moment-là. Cette tendance a été renforcée par les politiques publiques du début des années 70, surtout les politiques fédérales, mais également certaines politiques provinciales importantes. Sur le plan culturel, ces deux forces se sont conjuguées pour créer l'industrie de l'édition énergique et dynamique que nous avons actuellement.

Ce qu'il y a de remarquable dans cette industrie c'est qu'elle appartient, dans une large mesure, à des intérêts canadiens. Les maisons d'édition canadiennes publient près de 85 p. 100 des livres écrits par des Canadiens. Il y a eu une forte croissance des exportations, comme M. Davidson l'a mentionné et une reconnaissance internationale de plus en plus grande.

Cette tendance vient de ce que le secteur de l'édition est hautement diversifié. Comme il l'a mentionné, notre association regroupe plus de 130 éditeurs. Il y en a également 90 environ au sein de l'Association nationale des éditeurs de livres. Il y a, au sein de l'industrie, une sorte de biodiversité tout à fait remarquable qui fait l'envie des autres cultures et des autres pays occidentaux où il y a eu énormément de concentration dans le domaine de l'édition.

Ce qui s'est passé, ces deux dernières semaines, dans le monde de l'édition peut vous donner un exemple des effets de la mondialisation. Le premier cas était de portée canadienne et l'autre de portée beaucoup plus internationale. D'abord, Time Warner, l'un des grands conglomérats ayant des intérêts dans l'édition de livres de même que le cinéma, la télévision, les périodiques et les enregistrements sonores, a décidé qu'il n'avait plus besoin d'un programme d'édition de livres canadiens. Ce programme était Little, Brown Canada. Time Warner a fermé ses portes d'un trait de plume. Même si cette entreprise était rentable, elle ne l'était pas suffisamment si bien qu'une maison d'édition canadienne qui publiait un certain nombre d'auteurs canadiens importants a maintenant disparu.

La semaine dernière, bien entendu, Bertelsmann, un conglomérat établi à Munich, a pris le contrôle d'un autre géant des médias, Random House. Comme ces deux sociétés ont des succursales au Canada, nous avons perdu, à la suite de cette fusion, d'autres débouchés pour nos créateurs. Telle a été la tendance mondiale. Par contre, le Canada a conservé une industrie beaucoup plus diversifiée, beaucoup plus près, si vous voulez, des racines de notre culture, des écrivains et qui est implantée dans toutes les régions du pays. Nous avons de quoi être fiers et c'est une chose que nous avons créée grâce à des politiques nationales très importantes.

Un certain nombre de mesures de financement, de mesures de réglementation concernant l'investissement étranger et de dispositions à l'égard du droit d'auteur dont les sénateurs ont dû garder le souvenir depuis le printemps dernier, nous ont permis de bâtir une industrie nationale solide. Elle n'est pas très rentable, mais elle a résisté et a fait preuve d'énormément de créativité. Cela va dans la direction opposée à la mondialisation croissante et cette «conglomérisation» si je puis dire, de l'édition et des empires médiatiques occidentaux.

Dans ce contexte, nous vous exhortons à affirmer l'importance de maintenir ces solides politiques fédérales et de veiller à ce qu'elles ne soient pas démantelées ou menacées par nos obligations commerciales internationales.

La négociation de l'Accord multilatéral sur l'investissement inquiète certainement beaucoup notre secteur et bien d'autres Canadiens parce qu'elle menace d'éliminer certaines mesures positives qui permettent aux intérêts canadiens de garder la haute main sur l'industrie du livre. Si cet accord était adopté, il permettrait aux investisseurs étrangers d'être traités exactement comme les entreprises nationales et démolirait toute la structure sur laquelle s'est fondée la croissance de l'industrie canadienne.

Nous avons flairé le danger en voyant les politiques concernant les périodiques invalidées ou éliminées par l'Organisation mondiale du commerce. Nous ne voudrions pas que cela se répète pour l'édition de livres. Ce serait extrêmement dangereux pour la culture littéraire du Canada et nous perdrions une partie de ce que nous avons gagné.

M. Davidson: M. MacSkimming a dépeint le contexte de la mondialisation et de la concentration de l'industrie dans lequel nous fonctionnons en montrant que le Canada est un exemple de diversification qui donne naissance à certaines des meilleures oeuvres littéraires au monde.

Vous nous avez posé une question au sujet de la position concurrentielle du Canada. Je crois important de souligner qu'étant donné la petitesse de notre pays les éditeurs de livres sont sans doute plus avancés sur le plan technologique chez nous qu'à New York car ils doivent se servir de tous les avantages qu'offre la technologie pour améliorer leur compétitivité.

Ces dernières années, le gouvernement canadien a joué un rôle utile en permettant aux éditeurs d'acquérir plus facilement la nouvelle technologie. Sur le plan de l'impression, une entreprise de Colombie-Britannique a créé la meilleure technologie mondiale qui permet d'imprimer un livre sans passer par l'étape de la photocomposition. Vous passez directement de la disquette à l'impression. Cette entreprise de Colombie-Britannique compte parmi les meilleures au monde.

Le sénateur Perrault: Connaissez-vous son nom?

M. Davidson: C'est CREO Technology.

L'imprimerie Friesen, d'Altona au Manitoba a récemment adopté cette technologie. Pour vous donner un exemple de ces avantages économiques, une bonne partie de la population d'Altona travaille à l'imprimerie Friesen.

Le sénateur Johnson: Le Manitoba va bientôt tout imprimer pour le Canada.

M. Davidson: C'est une communauté très dynamique. Nous utilisons toute cette technologie parce que nous devons lutter contre des économies d'échelle. Nous sommes le seul pays au monde qui ait comme voisin le plus gros exportateur de produits culturels en langue anglaise. Cela veut dire que même si nous pouvons réduire au strict minimum tous nos frais initiaux, l'impression et la distribution du livre représentent toujours la part la plus importante du prix de revient. Lorsqu'un nouveau livre est publié au Canada, il peut être tiré à 3 000 exemplaires alors qu'aux États-Unis le tirage minimum est de 15 000. En raison de ces faibles tirages, il n'est pas possible de réduire davantage le prix unitaire au Canada.

Cela a plusieurs conséquences: premièrement, le prix des livres canadiens est déterminé par le prix auquel les livres se vendent aux États-Unis et, deuxièmement, les éditeurs comptent de plus en plus sur les exportations pour augmenter leur tirage. L'exportation est un élément très important du programme des éditeurs canadiens, mais ce n'est pas leur principale raison d'être. Il ne s'agit pas de produire une marchandise qui pourrait être exportée dans le monde entier. Quand cela arrive, nous nous en réjouissons, mais notre raison d'être est de pouvoir publier des histoires sur les Canadiens à l'intention des Canadiens et de faire connaître le Canada au monde entier.

Pour passer à la dernière partie de votre question concernant les exportations, un grand nombre de nos entreprises ont vu passer la part de leur marché d'exportation de 10 p. 100 à 25 ou 30 p. 100 ou même 50 p. 100 dans certains cas. C'est à la suite de l'intérêt accru que les livres canadiens suscitent depuis trois ou quatre ans et du fait que les éditeurs continuent à chercher des moyens de subsister dans ce climat très difficile.

Plus précisément, notre industrie s'efforce, par l'entremise d'un groupe coopératif, l'Association pour l'exportation du livre canadien, de faciliter les exportations qui se dirigent de plus en plus vers les États-Unis. L'Association of Canadian Publishers va tenir, plus tard cette année, un atelier d'une journée complète sur la façon dont nos membres peuvent élargir leur accès au marché des États-Unis.

Vous nous avez demandé des recommandations précises. Je voudrais vous en faire part. Premièrement, nous devons célébrer nos réussites et affirmer que les politiques mises en place donnent des résultats. Nous devons soutenir l'industrie nationale à chaque occasion.

Je crois également important de ne pas supposer que le progrès technologique ne peut pas être arrêté. J'ai entendu d'autres instances gouvernementales dire qu'il fallait céder parce que le progrès de la technologie échappait à tout contrôle. C'est faux. Le Comité consultatif sur l'autoroute de l'information a fait des recommandations très détaillées quant à la façon de veiller à ce que les médias de nouvelles aient un contenu canadien.

Je crois important de soutenir la récente décision de la ministre du Patrimoine d'organiser une réunion des ministres de la Culture du monde entier. Nous devons nous tailler une place avec d'autres pays qui partagent notre façon de voir.

Sur le plan pratique, il y a la phase III de la réforme de la Loi sur le droit d'auteur. Je suppose que vous vous remettez tout juste de la phase II. Le sénateur Johnson hoche la tête.

Le sénateur Johnson: Elle a déjà commencé?

M. Davidson: Oui, et elle a commencé en grand. C'est indispensable pour protéger les droits des auteurs et des éditeurs canadiens dans les nouveaux médias.

Pour conclure, je dirais qu'il y a trois ans le gouvernement canadien a lancé une nouvelle politique étrangère dont l'un des trois piliers était la promotion des valeurs et des produits culturels du Canada. Néanmoins, nous avons constaté jusqu'ici que les négociations concernant l'AMI risquaient beaucoup plus de compromettre ces valeurs que de les promouvoir et les préserver. Je m'arrêterai là.

Le sénateur Perrault: L'acquisition que vient de faire Bertelsmann touche un certain nombre de sociétés du groupe Random House, n'est-ce pas? Jonathan Cape, en Grande-Bretagne, en fait partie de même que plusieurs éditeurs des États-Unis. Il s'agit d'une prise de contrôle massive.

M. Davidson: En effet. Bertelsmann est la plus grande maison d'édition au monde. Random House est le plus gros éditeur commercial mondial.

Le sénateur Perrault: C'est maintenant une entité formidable.

M. Davidson: Oui, ce qui a d'énormes répercussions. Nous nous attendons à ce que plusieurs pays examinent cette transaction et à ce que le Canada le fasse.

Le sénateur Perrault: Avec BMW qui rachète Rolls Royce, la semaine n'a pas été très bonne.

Vous avez laissé entendre que les livres avaient de nombreux lecteurs. La situation est la même que pour les journaux, n'est-ce pas? De nombreux journaux ont vu leur clientèle s'élargir. Cela permet certainement de croire que l'Internet ne répond pas à tous les besoins des gens qui veulent mieux connaître la société et les oeuvres d'imagination.

Quelqu'un m'a téléphoné il y a quelques mois pour me dire: «Ray, c'est merveilleux, devinez à quoi j'ai pu avoir accès ce soir? Guerre et paix de Tolstoy». Je lui ai répondu qu'il ne pourrait jamais le lire entièrement sur son écran d'ordinateur avant de succomber sous l'effet des radiations.

Le livre est irremplaçable. J'en ai une grande collection et je m'en réjouis.

M. Davidson: La technologie est compatible avec le livre de diverses façons. Nous avons distribué aujourd'hui deux documents: l'un est un mémoire que nous avons présenté le mois dernier au Comité du patrimoine et le deuxième, un article récemment publié sur le fait que les États-Unis ont investi des milliards de dollars pour équiper les salles de classe d'ordinateurs en oubliant les manuels scolaires.

On s'est rendu compte qu'après avoir dépensé des milliards de dollars, les résultats scolaires avaient baissé parce que les élèves ne pouvaient plus prendre un dictionnaire, un atlas ou un autre livre et l'emmener chez eux pour que leurs parents puissent les aider. S'ils ont également un ordinateur à la maison, quelles sont les chances pour que le logiciel soit compatible?

Cela ne veut pas dire que les ordinateurs n'ont pas leur place dans les écoles, mais nous voulons faire notamment comprendre au public que le livre a une place importante à la fois dans les écoles et dans la vie des gens. J'ai assisté à une réunion de bibliothécaires, la semaine dernière, à Saskatoon. Ils ont dit que depuis que le public avait accès à leurs catalogues par l'Internet et que les localités rurales pouvaient ainsi consulter ces catalogues, la demande de livres avait augmenté. Cela augmente la demande de livres tant dans les bibliothèques que chez les libraires.

Le sénateur Perrault: C'est donc une installation auxiliaire.

M. Davidson: En effet. Cela aide les gens à avoir accès à l'information.

Le sénateur Perrault: Je suis tombé sur un site Internet appelé Amazon où se trouvent Barnes et Noble. Je peux comprendre qu'ils puissent augmenter le nombre de lecteurs en vendant leurs produits. Combien de libraires canadiens sont sur l'Internet et ont réussi à commercialiser leurs produits grâce à l'Internet? Avez-vous des chiffres?

M. Davidson: M. MacSkimming pourra peut-être vous répondre. Il y a eu quelques faits nouveaux à cet égard. Certains libraires indépendants ont créé des sites Internet. La librairie Paragraph, à Montréal, en est un bon exemple. À Guelph, le Book Shelf participe à une coentreprise avec Simpatico, je crois.

Le sénateur Perrault: Il y en a également un ou deux à Vancouver.

M. Neil: La semaine dernière, Chapters a annoncé une association avec le Globe and Mail qui devrait déboucher sur la création d'un site Web interactif et d'un service de vente en direct.

Le sénateur Perrault: Le texte des livres n'apparaîtra pas à l'écran.

M. Davidson: Non, c'est pour commander des livres.

Le sénateur Perrault: Excellent. Dans le secteur de la radiodiffusion, le Canada est considéré comme un marché de droits distinct. Ce n'est pas toujours le cas pour le cinéma. Qu'en est-il pour l'édition? Le Canada constitue-t-il un marché distinct pour les droits d'un livre ou faisons-nous partie du marché nord-américain? Quelle sera probablement la tendance à l'avenir?

M. MacSkimming: Nous sommes un marché distinct. Dans le monde international de l'édition, les territoires nationaux sont considérés comme étant distincts pour ce qui est des droits.

Le sénateur Perrault: C'est déterminé par les frontières politiques.

M. MacSkimming: Oui. C'est l'une des principales questions qui s'est posée lors de la modification de la Loi sur le droit d'auteur l'année dernière. Plusieurs questions se posent. Je ne les aborderai pas toutes, mais cela me ramène à ce que vous avez mentionné tout à l'heure. Il est important que nous ayons maintenant des sites Internet canadiens permettant de commander des livres, car cela veut dire que l'édition canadienne de ces livres sera vendue à des consommateurs canadiens. Par contre, si les consommateurs achètent des romans de Margaret Atwood -- nous avons promis de ne pas mentionner Peggy Atwood aujourd'hui; je pourrais mentionner quelqu'un d'autre, mais son nom vient souvent à l'esprit -- auprès d'Amazon.com, ils obtiendront sans doute l'édition américaine, car c'est celle qui est vendue là-bas. Il est donc important que le Canada développe cette capacité de vendre des livres au moyen de l'Internet.

Les éditions canadiennes de livres sont celles qui rapportent le plus d'argent, non seulement aux éditeurs canadiens, mais aussi aux auteurs parce qu'ils touchent la totalité des redevances.

Le sénateur Perrault: C'est une considération importante.

M. Davidson: Nous avons également mentionné la phase III de la révision de la Loi sur le droit d'auteur. Une des principales questions à l'ordre du jour est la protection des droits électroniques des auteurs et des détenteurs de droits. Cette question suscite la controverse en ce qui concerne les auteurs qui écrivent pour les périodiques, mais il est très important qu'au cours de la phase III le Canada continue de protéger les droits des auteurs et des détenteurs de droits et de veiller à ce qu'ils soient payés pour leur travail.

Le sénateur Johnson: Est-ce le plus important pour les auteurs? La question du droit d'auteur se pose si leur travail est réimprimé et présenté sur l'Internet. Heather Robertson poursuit-elle sa cause?

M. MacSkimming: Oui, et comme bien d'autres éditeurs, nous la soutenons dans sa lutte contre ce journal.

Le sénateur Johnson: Va-t-elle soulever cette question au cours de la prochaine série de discussions sur le droit d'auteur?

M. MacSkimming: Oui, sans aucun doute.

Le sénateur Johnson: Où en est cette cause? Où en est-elle? Je n'ai pas suivi ce qui s'était passé depuis l'automne dernier.

M. Davidson: Heather Robertson a intenté une poursuite au civil contre Thomson Corporation. Elle obtient des appuis. Il s'agit d'un recours collectif. Quant à savoir où en est exactement la poursuite, je ne suis pas au courant.

Le sénateur Johnson: Est-ce une cause importante pour le secteur de l'édition, pour les auteurs?

M. MacSkimming: Très importante.

Le sénateur Johnson: À quel point?

M. MacSkimming: Il est difficile de savoir à quel point les droits électroniques représenteront un marché important ou lucratif à l'avenir, mais pour le moment, les chaînes de journaux et certains périodiques ont dit qu'ils s'attendaient à ce que les auteurs renoncent à leurs droits sur leurs écrits sous forme électronique en échange des honoraires qu'ils ont reçus pour la version imprimée. Les auteurs ont demandé: «Voulez-vous dire que vous allez vendre notre travail sous forme électronique, en tirer des revenus sans nous verser notre part?» Il s'agit certainement d'un principe important et les sommes en jeu seront beaucoup plus grosses à l'avenir lorsque ces marchés se développeront. C'est difficile à prédire.

Je crois toutefois important que Heather Robertson, qui intente ce recours collectif au nom des auteurs, fasse établir ce principe afin qu'il soit inclus dans la troisième phase de la révision de la Loi sur le droit d'auteur.

Le sénateur Johnson: C'est certainement une question qui sera examinée. J'ajouterai seulement que je suis ravie, comme vous l'êtes sans doute, de l'augmentation du nombre de lecteurs de livres au Canada. Je ne pense pas que leur nombre ait diminué. Il semble avoir augmenté depuis l'avènement de l'ordinateur. La campagne d'alphabétisation qu'un bon nombre d'entre nous ont menée un peu partout au Canada y contribue certainement.

La librairie du coin va-t-elle disparaître parce que les gens de toute l'Amérique du Nord et de plus en plus de pays du monde vont aller prendre le café chez Chapters? Est-ce le scénario de l'avenir?

Pour terminer, je vous demanderais quel genre de mesures le gouvernement peut prendre? Quelle aide l'industrie et les auteurs attendent-ils du gouvernement en dehors de la Loi sur le droit d'auteur? Personne n'ignore que le Canada a produit de merveilleux écrivains. Ils ont extrêmement bien réussi ces dernières années. Les femmes écrivains ont particulièrement brillé. Le livre de Michael Ondaatje est toujours sur la liste des best-sellers dans le monde. Bien entendu, nous avons aussi Carol Shields et Margaret Atwood. Que voulez-vous que nous fassions de plus?

M. Davidson: Si vous le permettez, je commencerai par la première partie de votre question concernant l'avenir des librairies indépendantes. L'ACP a certainement intérêt à favoriser un environnement sain et concurrentiel. Nous avons connu une période de profonds changements depuis deux ou trois ans lorsque Smith Books et Coles se sont fusionnés pour former Chapters. Cette période de transition n'est pas encore terminée. Nous sommes très inquiets de voir ce qui s'est passé aux États-Unis qui ont deux ou trois ans en avance sur nous et où les indépendants ont été éliminés.

Pour le moment, l'implantation de supermarchés du livre un peu partout au Canada est une excellente chose pour les éditeurs, car chacune de ces grandes surfaces contient 100 000 livres. C'est encourageant, mais lorsqu'on aura atteint le point de saturation, la durabilité du commerce du livre posera des problèmes. Dans les diverses villes du pays on s'inquiète surtout de voir des géants comme Chapters prendre le haut du pavé, que ce soit à Halifax où cette chaîne a déjà ouvert un magasin et s'apprête à en inaugurer un deuxième ou à Saskatoon où elle doit ouvrir bientôt une librairie.

Il y a également un autre aspect à considérer. Nous nous réjouissons que le gouvernement ait appuyé les dispositions canadiennes concernant l'investissement étranger pour ce qui est du commerce du livre. Quand le géant américain Borders a essayé de s'implanter chez nous, le gouvernement a reconnu que ce n'était pas une coentreprise acceptable.

On peut dire, je crois, que les indépendants ne savaient pas trop dans quelle direction le gouvernement irait ou ce qu'ils pouvaient faire. Depuis cette décision, ils ont réinvesti dans leurs magasins. Des indépendants comme McNally Robinson ont ouvert une grande surface. Cette entreprise a annoncé, il y a 10 jours, qu'elle ouvrirait un deuxième magasin à Winnipeg. Apparemment, elle va également s'établir à Saskatoon.

Les librairies indépendantes sont en pleine transformation. Nous sommes très inquiets quant à leur viabilité à long terme et nous travaillons avec nos homologues de la Book Sellers Association pour trouver des moyens d'assurer cette viabilité. Sans doute s'agit-il de veiller notamment à ce que des indépendants se taillent un créneau dans leur localité et offrent un service supérieur et à bon prix.

Les éditeurs réunissent les lecteurs et les auteurs, mais il y a aussi les bibliothèques, les librairies indépendantes et les imprimeurs. Il y a là toute une communauté qui commence, bien entendu, par l'auteur. Depuis la création jusqu'à la production et la distribution, nous avons au Canada une industrie impressionnante qui fait l'envie du monde entier.

Pour ce qui est de l'avenir, nous tenons à faire en sorte que ce succès ne soit pas un phénomène limité à une génération.

Je vais demander à M. MacSkimming de vous dire ce que nous pourrions faire de plus en ce qui concerne le droit d'auteur.

La présidente: Votre idée de Journée du livre était excellente étant donné que c'est une forme de promotion.

M. Davidson: Je me dois de mentionner la Journée du livre canadien, le 23 avril.

Le sénateur Johnson: C'était l'idée de Lawrence Martin.

M. Davidson: Lawrence Martin en a eu l'idée à Noël il y a quelques années et la première Journée du livre a été célébrée le mois d'avril suivant. La presse en a beaucoup parlé. La deuxième année, c'était à l'échelle nationale. Nous en sommes à la troisième année. Il y aura des manifestations dans toutes les provinces. Nous avons demandé à chaque député et sénateur d'y participer.

Le sénateur Johnson: Il ne peut pas croire la façon dont cela a évolué. Je lui ai parlé. Il était sidéré.

M. Davidson: Il y a également une Journée internationale du livre. En Espagne, c'est le jour où les plus grosses ventes de livres sont enregistrées. C'est pour les livres ce que la Saint-Valentin est pour le chocolat et nous aimerions beaucoup que ce soit la même chose chez nous.

Le sénateur Johnson: C'est un tel soulagement en cette ère de la technologie.

M. Davidson: En Grande-Bretagne, par exemple, W.H. Smith remet une carte à tous les élèves du pays qui, ce jour-là, obtiennent un rabais d'une livre sur l'achat d'un livre.

Le sénateur Perrault: C'est une excellente idée.

M. MacSkimming: J'ajouterai une simple observation pour répondre à la question de sénateur Johnson quant à ce que nous demanderions. Nous avons demandé plus tôt, de façon très générale, que vous mainteniez les politiques et programmes actuels qui ont contribué à ce succès sur une génération. Notre association a établi, depuis deux ou trois ans, un plan en trois points pour la politique fédérale concernant l'édition. Nous nous réjouissons que le gouvernement ait accepté et mis en oeuvre les deux premiers.

Le premier consistait à rétablir une partie du financement direct du Conseil des arts du Canada et surtout du ministère du Patrimoine qui a été réduit à la suite du budget de 1995. Et il s'agissait, bien sûr, du budget qui sabrait dans les dépenses à la suite d'une révision des programmes. Les programmes d'aide au développement de l'industrie de l'édition du ministère du Patrimoine ont été très durement touchés. Nous avons demandé que ces compressions soient réexaminées parce qu'elles nous paraissaient très punitives.

M. Davidson: Elles représentaient environ 55 p. 100 de réduction du jour au lendemain.

M. MacSkimming: Elles étaient beaucoup plus rigoureuses que les coupes effectuées dans les programmes d'autres secteurs.

Le sénateur Johnson: De quelles coupes s'agissait-il?

M. MacSkimming: Du soutien que le ministère du Patrimoine canadien accordait à l'édition de livres en 1995.

Le sénateur Johnson: Est-ce le financement direct dont vous parliez?

M. MacSkimming: Oui. En fait, la ministre et le gouvernement ont suivi nos recommandations l'année dernière et ce financement a été rétabli, sous une forme quelque peu différente, mais toujours au sein de ce ministère. Nous l'apprécions, car c'est un élément crucial des revenus qui servent à la préparation et à la publication de nouveaux livres canadiens.

Deuxièmement, nous avions proposé un programme de garantie de prêt pour aider les éditeurs en ce qui concerne leurs relations avec les banques et leur planification financière à long terme. Cette recommandation a également été adoptée. C'est surtout important en Ontario où le programme provincial de prêts avait été annulé par le gouvernement Harris. Maintenant, les éditeurs de tout le pays auront accès, s'ils sont admissibles, à une garantie qui facilitera leurs transactions bancaires. Ce n'est pas encore fait, mais la planification est déjà bien avancée.

Notre troisième proposition concernait une mesure structurelle visant à améliorer la compétitivité des éditeurs canadiens vis-à-vis des livres importés. Ce serait une mesure fiscale. Il y a différentes façons de concevoir une mesure fiscale. M. Davidson a mentionné tout à l'heure que la différence dans le coût unitaire d'impression des livres était à notre désavantage et que nous étions coincés d'un côté entre nos coûts unitaires plus élevés et de l'autre, la concurrence des livres importés à bas prix. Nous devons donc exiger des prix plus bas qu'il ne le faudrait pour nos livres. Nous croyons que ce problème de compétitivité pourrait être réglé par une mesure fiscale comparable à celle qui s'applique à la production cinématographique et télévisuelle. Peut-être qu'un type de mesure différent attirerait des investissements dans notre secteur. Telle est notre troisième recommandation. Nous espérons qu'elle sera suivie.

La présidente: Monsieur Davidson et monsieur MacSkimming, je vous remercie. Nous apprécions votre comparution. Si vous le permettez, nos attachés de recherche pourront poursuivre cette discussion avec vous afin que nous puissions également faire valoir vos autres idées.

La séance est levée.


Haut de page