Délibérations du sous-comité des
Communications
Fascicule 5 - Témoignages
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 27 mai 1998
Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 15 h 40, pour étudier la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications en général, et notamment l'importance des communications au Canada sur les plans économique, social et culturel.
Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Nous allons entendre plusieurs témoins aujourd'hui. De l'Association canadienne des distributeurs de films, nous accueillons l'honorable Doug Frith et Mme Susan Peacock.
Comme vous le savez, nous examinons l'évolution des communications et des télécommunications, et en particulier comment le Canada peut rester à l'avant-garde sur le plan de l'infrastructure et aussi garder sa réputation de chef de file ici et à l'étranger. Nous sommes impatients d'entendre vos recommandations sur la politique gouvernementale la plus susceptible de permettre au Canada de continuer à jouer un rôle de premier plan.
M. Doug Frith, président, Association canadienne des distributeurs de films: Je suis très heureux de revenir pour la seconde fois témoigner devant un comité sénatorial. Je connais bien l'autre endroit, et c'est plus agréable ici.
Je vais commencer par expliquer qui nous représentons, parce que je me rends compte qu'il y a souvent beaucoup de confusion au sujet de notre association dans la population. Essentiellement, l'Association canadienne des distributeurs de films représente seulement les intérêts de sept studios d'Hollywood ici au Canada concernant toutes sortes de questions allant des décisions du CRTC à la politique fiscale officielle. Nous avons même notre propre programme anti-piratage pour surveiller les vols de signaux. Quatre ex-agents de la GRC travaillent dans le cadre de ce programme.
Il est intéressant de noter que, sur le plan des exportations aux États-Unis, l'industrie du spectacle a maintenant dépassé l'industrie aérospatiale et se classe au premier rang dans ce domaine. Ce sont les statistiques que Kim Campbell, la consule générale du Canada à Los Angeles, cite dans ses discours. Je n'ai aucune raison de les mettre en doute.
Je sais que l'industrie du spectacle a pris énormément d'importance au cours des 10 dernières années. Elle s'attendait bien à dépasser Boeing et à battre l'industrie aérospatiale sur ce terrain dans les 12 à 18 derniers mois.
Il faut vous que vous sachiez que les sept studios que nous représentons injectent au Canada environ 130 à 140 millions de dollars par mois dans la production et qu'ils font travailler entre 30 000 à 40 000 Canadiens. En seulement 10 ans, il s'est constitué un remarquable bassin de professionnels dans le secteur. J'y reviendrai plus tard dans mon exposé, madame la présidente.
Je sais que les intérêts de votre comité sont assez diversifiés. Nous avons pensé vous parler surtout de questions commerciales et culturelles avant de répondre à vos questions. Nous avons un document à vous laisser. Je n'ai pas l'intention de tout le lire. Je voudrais essentiellement discuter de commerce et de culture, de la politique de radiodiffusion, du financement des produits culturels, de la réglementation et, bien sûr, de notre point de vue sur les perspectives d'exportation.
Susan Peacock qui m'accompagne aujourd'hui prendra d'abord la parole pour vous parler de la politique de radiodiffusion et du financement des produits culturels.
Mme Susan Peacock, vice-présidente, Association canadienne des distributeurs de films: La politique de radiodiffusion actuelle repose sur une réalité vieille de 25 ans et, jusqu'à un certain point, sur le contexte actuel de la pénurie des fréquences et des coûts de production et de distribution élevés. Comme les Canadiens voulaient que les fréquences soient réservées à la diffusion de nouvelles et de spectacles canadiens, les permis de diffusion ont été octroyés à un nombre limité de diffuseurs qui devaient respecter certains règlements, y compris des quotas de contenu canadien.
Les câblodistributeurs ont eu un accès exclusif au marché à condition de suivre certaines règles, comme celles sur la distribution prioritaire, les exigences relatives à l'étagement et à l'assemblage et, plus récemment, les règles sur l'aide à la production.
Les câblodistributeurs devaient réserver des fréquences aux diffuseurs canadiens qui, à leur tour, devaient encourager les productions canadiennes, sans exclure les autres. Le respect de certains quotas revient toujours dans la politique de radiodiffusion canadienne. Les recettes provenant des émissions non canadiennes transmises par les diffuseurs et des signaux non canadiens transmis par les câblodistributeurs devaient financer les obligations réglementaires. De plus, des incitatifs fiscaux et des subventions publiques ont été accordés pour financer les productions.
Il semble que ces mesures ont donné des résultats. Les Canadiens écoutent des signaux et des services canadiens de télévision plus de 70 p. 100 du temps. Soixante-quatorze pour cent des ménages canadiens sont abonnés au câble, mais 85 p. 100 sont équipés d'un magnétoscope non réglementé, et la part des heures d'écoute par l'entremise de ces appareils ne cesse d'augmenter. Selon les derniers chiffres que j'ai vus, elle serait de 9 p. 100.
Les jeux informatiques et l'Internet font aussi concurrence à la télévision. En 1997, 40 p. 100 des ménages canadiens avaient des ordinateurs et 13 p. 100 étaient abonnés à Internet. De plus, beaucoup de gens peuvent naviguer sur Internet à l'école et au travail.
Les sociétés canadiennes de production et de distribution d'émissions de télévision sont très florissantes. Un certain nombre d'entre elles sont intégrées, cotées en bourse et très rentables. On attribue souvent leur succès à la politique de radiodiffusion canadienne et aux subventions, mais le marché canadien est très restreint et beaucoup de sociétés canadiennes tirent la grande partie de leurs revenus des exportations. Doug va vous parler davantage des exportations dans un instant.
Les subventions ont un coût évident, mais la réglementation aussi. Les abonnés du câble au Canada sont mécontents des coûts élevés et du choix limité qui découlent de la réglementation et beaucoup ont opté pour le marché parallèle ou le vol pur et simple de signaux. Des lois et des règlements restrictifs mais non exécutoires entraînent des coûts sociaux, sans compter que ces lois et ces règlements ne sont pas respectés et rendent les gens cyniques au sujet du système de justice.
Les règles sur la propriété des sociétés de production canadiennes et le contenu canadien imposé aux producteurs, aux distributeurs, aux diffuseurs et aux autres détenteurs de permis du CRTC limitent les capitaux disponibles. Les restrictions rendent les participants moins efficaces et moins concurrentiels, et les subventions apparemment plus nécessaires. C'est ce qu'on appelle une culture de dépendance aux subventions et à la protection. Les politiques de radiodiffusion ont des avantages économiques nets, mais leurs avantages culturels sont remis en question. Il est certain que les quotas de diffusion ont fait augmenter les droits de licence plus que le marché ne l'aurait fait, et l'offre a ainsi augmenté.
Le comportement de la demande est peut-être un meilleur moyen d'évaluer le succès des politiques. On examine parfois la demande du point de vue des diffuseurs, mais nous proposons de l'examiner du point de vue de la consommation.
Près de 39 p. 100 des émissions de télévision que les Canadiens écoutent sont à contenu canadien mais, dans les deux tiers des cas, il s'agit d'émissions de nouvelles et d'événements sportifs, qui seraient probablement diffusées et regardées même sans quota. Moins de 6 p. 100 des heures d'écoute sont consacrées à des émissions comiques et dramatiques à contenu canadien.
Par contre, on dit souvent que les longs métrages canadiens ont un grand besoin de réglementation et de financement et pourtant, sur deux marchés où il n'existe pas de quotas et peu de règlements, soit les salles de cinéma et les magasins de vidéo domestique, respectivement 10 p. 100 environ et 20 p. 100 des recettes leur sont attribuables.
Peu importe les raisons qui ont motivé la mise en oeuvre de règlements et de programmes d'aide dans le domaine, les nouvelles technologies vont éliminer ou atténuer bien des problèmes qu'ils visaient à régler, y compris la disponibilité des fréquences, les coûts de production et les coûts de distribution. Le moment est venu d'examiner la théorie et les principes sur lesquels ces mesures sont fondées.
Selon le professeur Globerman, grâce aux nouvelles technologies, si les téléspectateurs canadiens sont nombreux à vouloir regarder des émissions à contenu canadien, une capacité de transition réduite ne sera pas un obstacle et, si la demande pour ce genre d'émissions n'est pas importante, ce n'est pas l'imposition de règles sur le contenu canadien qui la fera augmenter.
Ce qui est encore plus important, les nouvelles technologies vont faire chuter radicalement les coûts de diffusion des émissions et, par le fait même, augmenter les profits. La programmation pourra offrir beaucoup ou très peu de choix. On pourra vendre les services à la carte. Un exemple de cela est le service à la carte qui permet de choisir les émissions comme on choisit un livre ou un film, et il y a aussi l'abonnement à un bloc de canaux, qui s'apparente à l'abonnement à une revue ou à un journal.
Les produits pourront être distribués selon un échéancier avec la nouvelle technologie, et les consommateurs auront le choix de le regarder au moment qui leur convient. Le prix pourra dépendre de la quantité de publicité que les consommateurs seront prêts à accepter.
Qui plus est, il en coûte déjà de moins en moins cher pour réaliser des productions captivantes et originales. Selon un article paru dans The Economist, les outils de production et de montage numériques peu coûteux peuvent démocratiser la vidéo comme l'a été l'éditique. Pour trouver un exemple de démocratisation technologique comparable dans l'histoire, il faut remonter à l'invention de l'imprimerie parce qu'avant elle le seul livre à succès était la bible.
M. Frith: Madame la présidente, votre rapport provisoire traite du financement accru des produits culturels canadiens, que ce soit par des fonds publics ou par d'autres mesures fiscales.
Dans l'ensemble, les nouvelles technologies du secteur privé réduisent les coûts de production. Elles font aussi baisser les coûts de distribution et facilitent donc l'accès au marché. En général, le secteur privé n'a pas besoin de fonds publics pour réaliser un bon nombre de produits culturels.
La politique officielle doit tenir compte du fait que les nouvelles technologies créent un contexte où on ne peut contrôler l'accès au marché et que la règles visant à imposer des obstacles peuvent avoir une incidence sur l'investissement des fonds privés. Nous sommes à l'époque des restrictions gouvernementales. Tout le monde met l'accent sur la dette et le déficit. Pour être créatifs, il faut envisager des initiatives conjointes entre le secteur public et le secteur privé. Nous sommes d'avis que les nouvelles technologies ont tendance à faire chuter les coûts de production et de distribution, ce sur quoi je vais revenir dans un instant.
Un autre problème soulevé dans votre rapport provisoire est le fait que le Canada et d'autres pays craignent -- ce qui est jusqu'à un certain point légitime je pense -- que les nouvelles technologies fassent du produit culturel hollywoodien la norme dans le monde. C'est une vision très réductrice de ce que les technologies peuvent offrir. En fait, si les coûts de production et de distribution diminuent, il est possible de créer énormément de créneaux pour son produit. On le voit avec Internet, puisqu'il est possible de trouver sur Internet un marché pour celui qui veut créer un site pour une société de poètes tibétains, par exemple.
Là où je veux en venir, c'est que je pense que les technologies vont permettre de diversifier les produits. La réduction des coûts de production et de distribution va révolutionner le monde. Par exemple, on va pouvoir réaliser des films à la maison.
La technologie aura un attrait international. Dans certains domaines, la technologie peut permettre de diversifier les produits culturels à travers le monde. On ne devrait pas craindre que la technologie uniformise la culture. En fait, le choix des produits culturels sera beaucoup plus vaste. C'est un peu ce à quoi nous fait penser ce qui commence à émerger dans le monde du spectacle grâce aux nouvelles technologies.
Je pense qu'il faut vraiment discuter dans notre pays, et pas seulement au niveau public mais aussi dans la population, de toute la question du contenu canadien et des produits culturels canadiens. Je travaille dans l'industrie du spectacle depuis à peine 18 ou 20 mois après avoir quitté la vie publique, et je trouve étrange que le contenu canadien ne soit pas défini en fonction du produit culturel, mais de la nationalité du propriétaire ou de la nationalité du producteur ou du réalisateur. Ainsi, un producteur étranger qui vient tourner au Canada 13 émissions de télévision d'une heure sur sir John A. Macdonald ne répond pas aux critères de contenu canadien, mais le produit d'un réalisateur canadien qui va étudier le système de distribution du lait en Bosnie ou en Albanie satisfait à ces critères. C'est un sujet dont il faut discuter. Je sais que Mme Bertrand, du CRTC, veut que les Canadiens débattent de la question.
Il me semble que, dans une large mesure, nous avons perdu de vue les objectifs que la politique doit viser en ce qui concerne les produits culturels canadiens. Il n'est peut-être pas nécessaire que la nationalité du propriétaire ou du réalisateur soit un critère à prendre en considération. Il faudrait plutôt mettre l'accent sur ce qui constitue un produit culturel canadien.
Je vais vous donner un exemple. À la cérémonie des Oscars de l'an dernier, le film Le patient anglais, qui a gagné plusieurs prix et obtenu une reconnaissance internationale -- et il faut se rappeler que le livre dont il s'inspire a été écrit par un Canadien -- a fait la page couverture du Maclean's qui s'est demandé comment les Canadiens avaient pu céder cette histoire. Cette année, un an plus tard, un autre Canadien s'est distingué à cette même cérémonie, le réalisateur Atom Egoyan, avec son film De beaux lendemains, mais personne n'a signalé que le livre qui l'a inspiré a été écrit par un Américain. Il y a mélange des nationalités. Les Canadiens peuvent être fiers de leurs réalisations dans le domaine de la création.
Ce n'est pas tous les créateurs canadiens qui ont la chance de travailler -- et certains croient que les problèmes structurels de l'industrie du spectacle en sont la cause. Si la fabrication d'un film à succès était si magique, comment expliquer que sept films sur 10 soient déficitaires? Pour faire un film, il faut de bons scénaristes et il faut avoir accès à du capital de risque. Même là, et même si vous êtes dans le milieu depuis bien longtemps, ce n'est qu'au moment de la distribution du film dans les salles de cinéma que l'on sait si c'est un succès ou un échec.
Même si on discute de l'intégration verticale de studios étrangers, des entreprises canadiennes, comme Alliance ou Atlantis, ont bien réussi. Elles ont atteint une masse critique qui leur permet maintenant d'être concurrentielles sur le marché mondial. Je ne pense pas que l'avenir soit sombre. Il y a un certain nombre de compagnies cotées en bourse dont les revenus proviennent davantage de ce qu'elles exportent sur les marchés mondiaux que de leurs activités sur le marché national. Cinar Films ou Nelvana se sont taillé une place sur le marché de la production d'émissions pour enfants et de séries d'animation, et elles contribuent à la réputation internationale du Canada dans le domaine.
Toute cette question est rattachée aux obstacles à l'exportation. Le Canada a tout intérêt à éliminer les barrières à l'importation pour permettre aux compagnies canadiennes d'avoir accès aux marchés d'exportation. Dans le cas de Nelvana, 92 p. 100 de ses revenus viennent de ses exportations. Le Canada est le deuxième plus grand exportateur d'émissions de télévision dans le monde.
Comme ce fut le cas par le passé dans le secteur primaire et secondaire, le Canada a tout intérêt à éliminer les obstacles dans le domaine culturel. En même temps, il faut protéger nos objectifs publics a long terme en raison de l'importance de notre marché d'exportations. Plus on impose d'obstacles sur notre marché intérieur, plus nos partenaires vont prendre des mesures de rétorsion. Les États-Unis sont les plus grands importateurs d'émissions; deux tiers de ces émissions sont diffusées au Canada. Le comité pourrait s'intéresser à ces échanges.
Le contenu doit vraiment faire l'objet d'un débat. Même quand on a créé le programme pilote de Téléfilm pour l'aide à la production d'initiatives multimédia, on n'a imposé aucune exigence sur le contenu canadien. D'après nous, on accorde beaucoup trop d'importance au contrôle canadien des compagnies de production et pas assez à la créativité canadienne dans la définition du contenu canadien. Il faut repenser le système.
Le Canada a connu beaucoup de succès depuis cinq ou sept ans. Nous comptons beaucoup de professionnels qui travaillent surtout à Vancouver, Toronto et Montréal. Avant, il était difficile de trouver des équipes de production, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. J'ai dit plus tôt que 130 millions de dollars étaient dépensés chaque mois pour la production de films au Canada aujourd'hui. Le bassin de professionnels dans l'industrie est remarquable. À l'exception des vedettes de Hollywood qui alimentent l'activité commerciale du film, nous avons tout ce qu'il faut au Canada.
Il existe toute une infrastructure à Vancouver, grâce à la faiblesse du dollar canadien, mais aussi au gouvernement canadien. L'an dernier, nous avons négocié des crédits d'impôt qui incitent beaucoup les studios d'Hollywood à produire au Canada. D'autres facteurs nous favorisent, comme les mêmes fuseaux horaires et la même langue jusqu'à un certain point, sauf au Québec. Vancouver et Los Angeles sont sur le même fuseau horaire. Les relations syndicales-patronales sont aussi très bonnes dans tous les secteurs.
Même les syndicats de la Californie s'inquiètent de l'exode vers le Nord de l'activité cinématographique, parce qu'ils savent qu'un bassin de professionnels chevronnés peut devenir concurrentiel; il est en mesure de travailler partout dans le monde.
Je vais m'arrêter ici. Susan va maintenant vous parler des problèmes que peuvent causer les nouvelles technologies.
Mme Peacock: Ceux qui naviguent sur Internet savent que cette technologie nous offre une infinité de possibilités. Les avantages des nouvelles technologies -- comme une production à prix abordable et la facilité de distribution -- sont accessibles à tous, partout dans le monde. Dans ce contexte, la première réaction de certains est d'exiger des subventions et des règlements.
Les subventions et les règlements nous obligeraient à créer des moteurs de recherche qui privilégient les produits canadiens sur nos ordinateurs. Mais, pendant ce temps, l'industrie privée a déjà pris des initiatives de ce genre sur une base volontaire, sans aide financière et sans obligations.
Dans Alta Vista, si vous cherchez «the Great One», le premier choix qui s'offre à vous dans l'option canadienne est le site Web de Wayne Gretzky. L'équivalent américain vous amène sur la page Web de l'étoile du basket-ball, Charles Barkley. On agit déjà dans ce domaine parce qu'il y a une demande et parce que c'est rentable. Même sans mesure législative et sans aide financière, l'industrie peut être très créative et trouver rapidement des solutions par elle-même.
L'un des problèmes qui pourrait être préoccupant, selon nous, dans votre rapport provisoire c'est la question de la réglementation des fournisseurs d'accès. Il est toujours tentant, surtout pour des gens comme moi qui s'y connaissent peu en matière de technologie, de chercher des analogies dans l'espoir de comprendre. On répartissait d'habitude en trois sphères les moyens de communication: les éditeurs, gros propriétaires de contenu en grande partie non réglementés; les radiodiffuseurs pour lesquels le contenu était énormément réglementé et les entreprises de télécommunications. Ces derniers s'entendraient des réseaux téléphoniques et postaux. On les considère parfois comme un modèle pour la réglementation des nouveaux systèmes de distribution des médias.
L'Internet tel que nous le connaissons à l'heure actuelle est un réseau primitif qu'il va falloir le reconstruire à un coût exorbitant. Si l'on interdit aux propriétaires de cette infrastructure, à ceux qui l'ont bâti, d'être propriétaires du contenu ou de limiter l'accès, il y aura peu de motivation. Avec les systèmes de télécommunications et les services postaux traditionnels, il fallait soit que des monopoles nationaux soient consentis à des conditions très favorables soit que l'État assume les frais. The Economist estime que tout le monde veut être éditeur mais que personne ne veut jouer le rôle du bureau de poste. Il y a un hybride suggestif dans le modèle facteur-éditeur qui encouragerait les entreprises à investir dans l'infrastructure, ne les limiterait pas quant à la propriété du contenu mais les assujettirait à des règlements et exigerait qu'elles accordent l'accès à leurs concurrents à des prix non discriminatoires. C'est une possibilité que l'on étudie en Europe. Il faudra qu'on l'examine d'un point de vue international étant donné que l'infrastructure aura une portée planétaire.
Les lignes s'estompent entre les radiodiffuseurs et les éditeurs. Le Globe and Mail n'est pas réglementé du moins en ce qui concerne son contenu. Sur l'Internet, le Globe and Mail comporte des textes et des fonds d'image. Le fait qu'il soit transmis électroniquement ne justifie pas qu'il doive maintenant être réglementé. Qu'en est-il si le texte est lu par une voix et que les images commencent à bouger? Est-ce une raison pour commencer à le réglementer? Si on ne le réglemente pas, que se passe-t-il avec le service de presse du réseau CTV? Pourquoi devriez-vous le réglementer? Ne se font-ils pas concurrence? N'offrent-t-ils pas un produit similaire aux mêmes consommateurs?
L'industrie réglementée avait conclu un marché: elle profiterait des avantages de la concurrence et ses tarifs seraient parfois protégés. En contrepartie elle devait respecter certaines obligations. Mais lorsque l'organisme de réglementation ne peut continuer à garantir le monopole de l'accès parce que le concurrent ne peut être réglementé, les intervenants qui eux sont assujettis à la réglementation sont moins disposés et de moins en moins aptes à respecter leur partie du contrat. Certains signes laissent présager que le CRTC se dirige graduellement vers la déréglementation et c'est probablement le rythme qu'il doit tenir à l'heure actuelle. Cependant, il faudra être prêt à se réadapter si l'on veut éviter que les intervenants réglementés soient incités à opter pour la technologie non assujettie à la réglementation.
M. Frith: Je veux revenir sur mes dernières observations, madame la présidente, en ce qui concerne deux aspects. Il y a beaucoup plus dans notre mémoire que nous laisserons au comité. Le premier point porte sur la question des accords commerciaux. Nous ne représentons pas Polygram. La plupart d'entre vous savent que Polygram, par l'entremise de l'Union européenne, a à l'heure actuelle un grief. Va-t-on ou non constituer un groupe spécial? Je n'en ai aucune idée. La société Polygram va-t-elle ou non être acheté par un Canadien et demeurer canadienne ou va-t-elle être achetée par quelqu'un d'autre? Je n'en ai aucune idée. Je sais qu'un débat d'ordre public a été provoqué ici par le passé lorsque notre ministre du Commerce international a laissé entendre que la culture devrait faire l'objet de discussions à la table de négociation -- et d'autres redoutent cette idée.
Je dirais qu'il vaut probablement mieux que nous discutions de la culture à la table des négociations commerciales parce que la question va s'y retrouver de toute manière. La culture se retrouve à la table de tout diplomate. Parfois le repas semble moins appétissant sur une base bilatérale que sur une base multilatérale, mais il est très dangereux d'en venir à ces différends au niveau des échanges internationaux lorsqu'il s'agit de définir la politique culturelle. Il est très difficile de négocier au sien de tribunes de ce genre une question d'ordre public. J'estime que nous devrions faire le contraire et discuter maintenant de la question à la table pour nous éviter des problèmes. Le problème demeure. Nous avons eu des cas comme Sports Illustrated, Polygram et Much Music. Il est de toute évidence préférable, selon moi, de négocier cette question plutôt que de nous fier aux caprices des bureaucrates et d'ignorer ce que l'avenir nous réserve.
En ce qui concerne le dernier point relatif au régime de réglementation, je crois que le problème qui se pose pour vous à l'heure actuelle c'est que les technologies débordent le cadre de la réglementation. Permettez-moi d'utiliser comme exemple probablement l'un des plus grands échecs d'ordre public au Canada. Je veux parler du système de radiodiffusion directe du satellite au foyer. Pour une raison ou pour une autre, le CRTC, dans sa sagesse, avait tenté de réglementer ce secteur. Certaines conditions ont été imposées au produit pour lequel une licence avait été accordée il y a deux ans et demi. Il n'est toujours pas offert. L'incertitude règne toujours en ce qui a trait au cadre de réglementation. Un appel est devant le cabinet en ce qui concerne la compétence des deux entreprises. Sur les cinq qui avaient obtenu une licence, deux seulement sont sur le marché aujourd'hui. Elles ne savent toujours pas quel service de diffusion directe par satellite elles vont offrir aux Canadiens, en raison surtout de tentatives visant à réglementer le marché. Ces deux entreprises ne sont donc pas en mesure, pour le moment, d'offrir par satellite des films ou d'autres services à la carte.
Le marché de la radiodiffusion directe du satellite au foyer domicile est limité au Canada. Nous en sommes maintenant au point où à peu près la moitié de ce marché est accaparé par des Canadiens qui ont de fausses adresses au sud de la frontière, les soucoupes du marché gris. Nous devons vraiment repenser la réglementation. Lorsque l'on a affaire à des technologies qui se moquent des frontières et que le cadre de réglementation a été mal conçu au départ, les gens vont voir ailleurs. En tant que Canadien, même si je représente des intérêts américains, et je l'ai déjà dit devant le CRTC -- je veux m'assurer que les Canadiens qui offriront le service survivront sur le marché parce qu'ils seront obligés, dans un très court laps de temps, de soutenir la concurrence dans ce marché gris. Ils doivent récupérer ces clients. Ne leur liez pas les mains en leur imposant des règlements qui les empêcheront de récupérer ce marché.
Il s'agit d'un exemple de régime de réglementation qui ne reflète plus le marché ou les technologies. Nous sommes tellement avancés en matière de télécommunications dans ce pays qu'il faut absolument que nous restions d'attaque et ne pas lier les mains inutilement les mains de ceux qui veulent se lancer dans la mêlée.
Mme Peacock: J'ai une autre chose à ajouter au sujet de la radiodiffusion directe du satellite au foyer. Un certain nombre de poursuites ont été intentées au criminel en vertu de la Loi sur la radiocommunication. Certaines d'entre elles portent sur le marché gris et d'autres sur le prétendu marché noir, le vol pur et simple de signaux. Les douze d'entre nous qui ont lu ces décisions sont embarrassés parce qu'il semble légal au Canada de voler des signaux. Il est illégal de payer pour ceux-ci. Il faudrait peut-être éclaircir la loi à cet égard.
Un autre problème que suscite la nouvelle technologie c'est que ces nouvelles façons de produire et de distribuer donnent lieu à de merveilleux moyens d'enfreindre les droits de propriété intellectuelle. Il y a de cela un certain nombre d'années, en 1977, lorsque le gouvernement a procédé à une étude sur la révision de la législation sur le droit d'auteur, un de ses auteurs a parlé des magnétoscopes comme étant des outils de contrefaçon à domicile. Eh bien! Ils ne sont pas que cela. Grâce au nouvel équipement dont ils disposeront dans leur foyer, lorsque les films seront offerts sur vidéodisque numérique, les gens pourront obtenir un nombre illimité de copies parfaites. Ils n'obtiendront pas les copies minables de douzième génération de magnétoscopes, mais des copies parfaites. Il faudra que le droit d'auteur soit protégé et que la GRC ou la police municipale applique la loi en ce qui a trait à ces infractions.
À l'heure actuelle nous en sommes au point où la Commission du droit d'auteur examine la possibilité d'imposer un tarif pour l'utilisation de musique sur l'Internet. La Loi sur le droit d'auteur est toujours une loi interne. Ce processus soulèvera un certain nombre de questions très complexes: la loi canadienne s'applique-t-elle lorsque la communication Internet provient du Canada. S'applique-t-elle lorsque la communication est reçue au Canada ou s'applique-t-elle dans les deux cas? Si l'on opte pour un cas plutôt que l'autre, les problèmes d'application sont énormes. S'il faut qu'elle s'applique dans les deux cas, elle ne s'appliquera pour ainsi dire jamais.
Est-ce que nos fournisseurs de services, les soi-disant intermédiaires, desservent le public? Ou est-ce qu'ils agissent comme simples entreprises de télécommunications qui ne sont pas assujetties au droit d'auteur? La Loi sur le droit d'auteur n'est pas très claire à ce sujet. Il faudra attendre la phase 3 de la réforme, qui n'est pas encore commencée, pour y apporter des éclaircissements. Entre-temps, la Commission du droit d'auteur devra prendre des décisions non seulement sur la musique, mais sur les différentes oeuvres diffusées sur Internet. Comme ces décisions vont sans aucun doute être analysées par les tribunaux, les propriétaires et les usagers devront malheureusement exiger qu'on adopte une loi pour régir des circonstances qu'ils n'avaient jamais prévues.
Nous aimerions vraiment que la phase 3 de la réforme du droit d'auteur soit entreprise plus tôt. Nous voudrions que la Loi sur le droit d'auteur soit modifiée afin qu'elle précise que le fait de toucher aux mécanismes de protection électronique utilisés par les titulaires du droit d'auteur pour protéger leurs oeuvres constitue en soi une atteinte au droit d'auteur.
M. Frith: Vous avez soulevé cette question dans votre rapport préliminaire. À notre avis, si le Canada devait assumer un rôle de chef de file dans le domaine de la protection du droit d'auteur, les créateurs seraient rassurés. Or, les créateurs sont inquiets. Ils ne veulent pas être obligés de se tourner -- et je ne veux froisser personne, vers un pays, disons, du Tiers monde, parce qu'ils ne bénéficieraient pas de la même protection pour ce qui est de leurs droits de propriété intellectuelle. Ce sont les pays qui protègent les droits d'auteur qui attirent les capitaux et les investissements. Si le Canada fait preuve de leadership dans ce domaine, les investissements suivront de facto.
Mme Peacock: Les accords internationaux conclus dans ce domaine seront très importants, parce qu'ils vont permettre aux pays comme le Canada, où les droits sont bien protégés, d'attirer des intérêts légitimes, c'est-à-dire aussi bien les propriétaires que les usagers. Les pays où les droits sont peu ou non protégés vont, à l'instar des refuges fiscaux, attirer des contrefacteurs. Quels recours allez-vous prévoir à l'échelle internationale en l'absence d'accords?
La présidente: Monsieur Frith, madame Peacock, votre exposé était très intéressant. Vous nous avez donné matière à réflexion, et c'est pour cette raison que nous espérions que vous seriez en mesure de comparaître devant le comité. Vous avez soulevé plusieurs points que nous avons abordés dans notre rapport préliminaire.
Le sénateur Bacon, qui a une longue expérience dans ce domaine, souhaiterait vous poser quelques questions.
Le sénateur Bacon: Je n'irais pas jusqu'à dire cela, mais j'ai quelques questions à vous poser. Certains pays ont adopté des stratégies pour encourager certains canaux de télévision à financer la production de films locaux. Le canal 4 en Grande-Bretagne et Canal Plus en France sont de bons exemples. Est-ce que ces politiques ont eu un impact négatif sur les marchés dominés par les studios américains dans ces pays?
M. Frith: Non. En fait, ces marchés ont pris de l'expansion, surtout au Royaume-Uni, où la stratégie adoptée par ce pays a entraîné une hausse des investissements des studios d'Hollywood en Grande-Bretagne. C'est elle qui, au sein de la communauté européenne, reçoit le plus d'investissements. Il existe donc un lien. Dans les pays comme l'Allemagne et la France, qui n'offrent pas d'encouragements fiscaux, les investissements ont diminué. Ils ont en fait attiré plus de capitaux.
Je ne propose pas qu'on abandonne le principe du contenu canadien. En tant que Canadien, je comprends pourquoi il est important de financer et de protéger ce contenu. Le film The Full Monty, que tout le monde cite en exemple, a été financé par la 20th Century Fox. L'utilisation de barrières pour limiter les importations est un problème sérieux auquel il faudrait s'attaquer.
J'appuie sans réserve les efforts de la société Alliance. Si elle peut accomplir de telles choses au Canada, sans subventions, alors tant mieux. Elle fait exactement ce que font les studios d'Hollywood à l'échelle mondiale.
Ce qu'il faut faire, madame le sénateur, c'est modifier les encouragements pour attirer les investissements étrangers. Si nous voulons que des films canadiens soient diffusés à un auditoire canadien et étranger, alors il faut encourager ceux qui ont une bonne feuille de route de venir s'installer ici. Pourquoi devrions-nous avoir peur de Polygram? Polygram est une entreprise danoise pour l'instant. Elle a une excellente feuille de route. Elle a tourné des films comme Trainspotting et Four Weddings and a Funeral au Royaume-Uni. Elle a utilisé ses ressources pour tourner des films britanniques diffusés à l'échelle mondiale.
Pour répondre à votre question, ces politiques ont en fait stimuler les investissements.
Le sénateur Bacon: Le Canada pourrait-il utiliser une stratégie comme celle-là pour financer son industrie cinématographique?
M. Frith: Je n'y verrais aucun problème.
Je vais demander à ma collègue de nous dire ce qu'elle en pense.
Mme Peacock: À mon avis, la nationalité de l'argent ne devrait pas être aussi importante que le contenu de la production, si l'objectif est de se doter d'une politique culturelle. Pour ce qui est des investissements effectués par les radiodiffuseurs, on remarque que les productions sont de plus en plus l'objet d'associations, de coentreprises, de partenariats. Les radiodiffuseurs, comme d'autres, veulent exercer un contrôle sur le contenu. Pour cela, il faut d'abord en assurer le financement, peut-être avec un associé pour partager les risques et aussi les récompenses.
Le sénateur Bacon: Quand nous constatons que les studios d'Hollywood contrôlent plus de 85 p. 100 du marché canadien, nous sommes portés à croire que le système ne nuit pas vraiment à vos intérêts. Ces mêmes studios ont demandé le mois dernier à la ministre Copps de supprimer les quelques protections dont bénéficient les distributeurs canadiens. Le Canada ne devrait-il pas, à tout le moins, aider les distributeurs canadiens à assurer la survie de notre industrie cinématographique?
M. Frith: Je vais laisser Susan répondre à cette question. Il y a beaucoup de données techniques dans les deux documents que nous avons préparés. Toutes nos données sont accompagnées de notes en bas de page, ce qui n'est peut-être pas le cas des autres mémoires qui vous ont été soumis. Il y a beaucoup de mythes entourant ce 85 p. 100. Certains avancent le chiffre de 4 p. 100 -- ce pourrait être 2 p. 100, 9 p. 100. Je ne le sais pas. Je ne connais personne dans les salles de cinéma qui compile ce genre de données. Je vais y revenir dans un instant.
Mme Peacock: Je crois que le chiffre de 85 p. 100 découle du fait que, il y a quelques années de cela, les distributeurs non canadiens recevaient 85 p. 100 des recettes cinématographiques, et non pas des recettes générées par l'ensemble du marché canadien. Ces chiffres sont à la baisse. Les distributeurs canadiens reçoivent maintenant près de 20 p. 100 des recettes cinématographiques. Toutefois, si nous tenons compte de l'ensemble des recettes de distribution, les sociétés sous contrôle canadien, exception faite des studios Universal, touchent près de 60 p. 100 des recettes. Ces chiffres sont publiés par Statistique Canada. Les gens qui souhaitent obtenir des subventions n'aiment pas parler de ce sujet.
M. Frith: La plupart de ces sociétés sont maintenant cotées en bourse. Leur valeur au marché a presque doublé. Elles sont toutes en bonne santé. Si on devait croire certains des mythes que l'on entend, on aurait l'impression que notre industrie cinématographique n'est pas solide. Or, il y a eu la restructuration de Paragon, et maintenant l'achat, par Alliance, des actifs de Cinéplex Odéon. Alliance est une histoire à succès. Je ne souhaite que du succès à Robert Lantos. L'important, c'est d'avoir des objectifs communs à long terme dans ce domaine.
Mme Peacock: J'aimerais faire un dernier commentaire. Le lien entre la santé des distributeurs canadiens et la création de produits culturels canadiens est quelque peu ténu. Les distributeurs sous contrôle canadien réalisent la plupart de leurs profits en achetant des productions étrangères. C'est dans ce domaine qu'ils dépensent aussi le plus. Ils investissent plus que quiconque dans la réalisation de productions canadiennes, en partie parce qu'ils sont les seuls à pouvoir les réaliser. Les distributeurs étrangers n'ont pas le droit de le faire.
Une production ne peut être qualifiée de canadien que si elle est réalisée par un Canadien. Les nombreuses productions financées par des fonds publics sont assujetties à diverses autres restrictions qui s'appliquent aux droits de distribution, aux droits d'auteur, ainsi de suite. Les sociétés étrangères ne peuvent réaliser des productions qualifiées de canadiennes. Elles n'ont pas accès aux subventions -- et ce n'est pas ce que nous demandons, mais si la plupart des productions canadiennes sont réalisées par des producteurs canadiens, c'est pour une raison bien évident, et non pas nécessairement parce qu'ils sont altruistes.
Le sénateur Johnson: Je vous remercie de votre exposé. J'ai hâte d'en lire les détails.
Vous avez manifestement lu notre rapport. J'ai trouvé plusieurs de vos commentaires étonnants. Bien entendu, on n'a pas cessé de nous répéter, et j'en suis convaincue, que la distribution joue un rôle essentiel dans le développement de l'industrie cinématographique canadienne. Vous représentez les géants de l'industrie. Je viens du Manitoba, où ils sont en train de mettre sur pied une industrie de concert avec des cinéastes américains et des producteurs étrangers. En fait, comme vous l'avez dit, le monde est de plus en plus petit.
Le bilan peu reluisant des studios hollywoodiens en matière de financement de films canadiens pose toujours problème. Vous y avez fait allusion brièvement, mais pouvez-vous nous donner plus de précisions? Avez-vous noté des changements à cet égard?
M. Frith: D'après moi, madame le sénateur, la situation commence enfin à changer. Je crois que la décision de Mme Bertrand de débattre ouvertement de la question du contenu canadien constitue un premier pas important.
Dans une large mesure, je crois que nous devons revoir toute la problématique du contenu culturel et canadien. Si nous parvenons à régler cette question et à supprimer l'obstacle qui existe, nous allons ouvrir la voie aux investissements des studios hollywoodiens. Je crois aussi que le mythe selon lequel notre système de distribution est faible est faux. Il n'y a qu'à voir ce qui se passe sur le marché. Ce système est très solide et compétitif.
Par exemple, entrez dans n'importe quelle salle de cinéma, à Ottawa, et jetez un coup d'oeil sur ce que fait Alliance. Le gouvernement n'y est pour rien. Si Disney voulait distribuer ses propres films au Canada, il pourrait le faire par l'entremise de sa filiale. Miramax utilise Alliance pour des raisons commerciales. New Ligne, qui est la Warner Bros, fait également affaire avec Alliance alors qu'elle pourrait utiliser le système de distribution de la Warner Bros. Or, si elles le font, ce n'est pas à cause de règlements gouvernementaux, mais parce qu'il s'agit d'une bonne décision, sur le plan de la gestion, de faire affaire avec une entreprise canadienne, soit Alliance. Ce n'est pas le gouvernement qui les oblige à le faire. Le groupe Alliance distribue, en tout temps, plus de 50 p. 100 des films dans les salles de cinéma.
Le sénateur Johnson: C'est de cette façon que vous définissez le contenu culturel par opposition au contenu canadien. Il est important de clarifier ce concept dans le cadre de notre étude. Vous avez également parlé de nationalité. Tout le monde parle tout le temps de contenu canadien. Or, il est essentiel de bien définir ce concept, madame la présidente, car que nous entrons dans un domaine nouveau. Ces définitions sont nouvelles.
M. Frith: C'est quelque chose qui s'impose depuis longtemps. Si un studio étranger réalisait, au Canada, une série de 13 heures sur John A. Macdonald, cette série ne serait pas considérée comme une production canadienne. Inversement, si nous nous rendions en Inde pour réaliser une émission spéciale sur le cricket, par exemple, cette émission serait considérée comme une production canadienne.
Le sénateur Johnson: Ce que vous avez dit aujourd'hui m'étonne beaucoup. Je connais beaucoup de cinéastes dans l'Ouest, et la même situation est en train de se produire là-bas. Toutefois, les gens adoptent un point de vue différent quand ils comparaissent devant nous et nous parlent de contenu canadien.
Mme Peacock: J'aimerais ajouter quelque chose en réponse à votre question, madame le sénateur. Vous avez parlé du piètre bilan des studios américains en matière de financement de productions canadiennes. Je crois que cette situation tient à la définition de contenu canadien. Il y a différents facteurs qui sont pris en compte.
Quand un producteur au Canada réalise un film ou une série télévisée, la première chose -- et je le sais car j'ai travaillé dans ce domaine pendant six ans -- qu'il fait, c'est de dire: «Je peux obtenir tant de Téléfilm, tant du fonds de câblodistribution et tant de ma licence de distribution, au Canada. Qu'est-ce qui reste? Il me manque 30 p. 100 de mon budget», ou 40 ou 50 p. 100. Il se tourne alors vers le marché d'exportation et recueille tous les fonds dont il a besoin.
Vous entendez des producteurs dire qu'ils peuvent uniquement aller chercher 40 p. 100 de leur budget sur les marchés extérieurs. Or, le fait est qu'ils ont uniquement besoin d'aller chercher 40 p. 100 de leur budget sur les marchés extérieurs. Personne n'aime se départir de droits étrangers quand ils ne sont pas obligés de le faire pour financer des productions. Ils préfèrent garder ces droits et s'en départir plus tard. Pour eux, c'est un profit facile.
Par ailleurs, il y a un problème que Statistique Canada essaie de corriger. Lorsque le ministère fait état de la contribution des sociétés étrangères à la production, il tient compte uniquement des sociétés qui font affaire au Canada. Il va interroger Paramount Canada, alors que cette entreprise s'occupe de distribution. Elle n'achète pas de droits étrangers. Elle possède des droits canadiens et octroie des licences pour les droits canadiens au Canada. Donc, lorsque que Statistique Canada mène son enquête, il interroge le groupe Alliance qui, lui, va dire qu'il a acheté des droits internationaux pour telle et telle production canadienne et qu'il y a contribué 80 p. 100 de son budget. Or, Alliance va ensuite se tourner vers Paramount U.S., par exemple, et lui vendre ses droits à hauteur de 80 p. 100 de son budget. Paramount paie le groupe Alliance, et Statistique Canada ne tient pas compte de ce facteur, et Alliance, elle, paie le producteur, autre facteur dont Statistique Canada ne tient pas compte. Il considère cela comme la contribution d'Alliance.
Je ne cherche pas à critiquer Statistique Canada pour la façon dont il a mené son enquête. Toutefois, il a analysé un domaine très précis -- les contributions versées au Canada par des entreprises qui font des affaires au Canada. Il n'a pas tenu compte des contributions versées par les studios.
Le sénateur Johnson: Je comprends. Un film hollywoodien coûte, en moyenne, environ 70 millions de dollars. Est-ce exact?
Mme Peacock: Il faut débourser 60 millions de dollars pour le produire, et 30 millions pour le diffuser.
Le sénateur Johnson: Comment peut-on rivaliser avec cela? Je sais que les Titanic de ce monde ne seront réalisés qu'à Hollywood. Les autres films vont évidemment être réalisés avec des budgets plus restreints, dans le cadre de coproductions par exemple. Vous avez tout à fait raison, parce que je l'ai vu moi-même. Les gens s'unissent pour financer des projets. Ils s'adressent à Téléfilm. Comme vous le dites, il y a des contributions qui proviennent d'autres sources.
Nous savons tous ce que coûtent les films hollywoodiens. Vous avez dit que les nouvelles technologies feraient baisser les coûts dans un pays comme le nôtre. Honnêtement, comment se porte notre industrie et quel impact les divers facteurs que nous venons de décrire auront-ils sur cette dernière? Vous avez laissé entendre que l'industrie se porte très bien. Or, vous êtes les seuls à le dire. D'autres témoins ont indiqué qu'elle se porte bien, mais seulement dans une certaine mesure.
M. Frith: Madame le sénateur, regardez ce qui se passe dans l'Ouest canadien. Au cours des quatre derniers mois, Lions Gate a signé une entente de coproduction de 500 millions de dollars avec les studios Paramount. Pourquoi? Parce qu'elle fait de l'excellent travail.
Le sénateur Johnson: Votre rôle consiste, en partie, à faire de la médiation, n'est-ce pas? Vous travaillez avec ces gens dans le but de conclure des ententes.
M. Frith: Notre rôle consiste à favoriser l'adoption d'une politique d'intérêt public plus vaste qui fera de notre pays un endroit intéressant où investir. Quand nous avons tenu ce débat il y a un an, soit au moment des élections, l'industrie n'avait pas beaucoup d'appuis. Toutefois, en juillet, le ministre des Finances a décidé de prolonger de 90 jours le report d'impôt dont bénéficiait l'industrie cinématographique. J'étais d'accord avec cette décision, car elle contribuait à réduire les pertes en dollars fiscaux. Si vous voulez aider l'industrie, vous devez chercher à optimiser vos ressources. C'est ce que nous avons fait.
Qu'il s'agisse d'Alliance, d'Atlantic, de Nelvana, de Cinar ou de Lions Gate, toutes ces entreprises se débrouillent fort bien. Et si elles se débrouillent bien, c'est parce qu'elles ont un produit, des ressources et du talent. Les studios au sud de la frontière sont inquiets parce qu'ils sont en train de perdre le marché de la production au profit de ce qu'ils appellent le Hollywood du Nord. Les syndicats exercent des pressions sur le gouverneur de la Californie pour qu'il intervienne dans le dossier.
Il est grand temps de se lancer dans un tel débat au Canada. Beaucoup de Canadiens se cachent derrière le drapeau canadien, qu'il s'agisse de Rogers ou d'une autre entreprise. Certaines d'entre elles se sont considérablement enrichies en utilisant le drapeau canadien comme bouclier. Si nous devons subventionner quoi que ce soit, ne subventionnons pas la propriété, mais le produit.
Le sénateur Johnson: Oui, je suis d'accord avec vous. Nous espérons que notre étude permettra de dénicher la nouvelle façon dont se font les choses, mais peut-être aussi, d'enterrer les mythes persistants qui nous sont souvent présentés, dont j'entends constamment parler, aussi lorsque des représentants de cette industrie me demandent conseil.
Je pourrais en parler toute la journée, mais je suis sûre que d'autres ont des questions à poser. Je serais très heureuse d'entendre tout ce que vous aimeriez ajouter pour nous aider dans notre étude.
Mme Peacock: J'ai une petite observation à faire au sujet des subventions. Il y a quelques semaines, nous avons vu le spectacle peu édifiant de producteurs qui faisaient la queue, qui campaient toute la nuit, pour obtenir des subventions remises selon le principe du premier arrivé premier servi.
M. Frith: Ils arrivaient en Mercedes et demandaient à des élèves du secondaire de faire la queue pour eux.
Mme Peacock: Ces élèves ont été payés 5 $ de l'heure pour faire la queue, ce qui est encore moins édifiant.
Le sénateur Johnson: On a pris 30 millions de dollars du budget de l'année prochaine pour régler la situation. J'ai reçu près de 25 appels de l'Ouest à ce sujet.
Mme Peacock: Deux critères ne sont pas exigés, alors qu'ils devraient l'être. Comme vous le voyez dans notre mémoire écrit, nous pensons que les subventions iraient beaucoup plus loin si elles étaient consacrées exclusivement à un produit pertinent au plan culturel et répondant à un besoin économique. Aucun de ces facteurs n'est actuellement un critère.
M. Frith: Je ne sais pas trop où votre étude va vous mener, mais, si vous êtes à Washington, nous pourrions organiser des séances d'information à votre intention. Nos représentants à Washington traitent de questions de droits d'auteur à l'échelle de la planète. C'est la seule raison d'être d'Hollywood où le droit d'auteur règne en maître et seigneur. Hollywood semble prestigieux avec toutes ses stars, mais en fait, nous avons uniquement affaire avec les avocats ou les comptables fiscalistes de John Travolta, le système dépendant de tous ces accords internationaux.
Je crois que nous pourrions vous informer de ce qui se passe en ce qui concerne les traités internationaux, car ils consacrent beaucoup de temps et de ressources à Genève, sur les groupes ISAN, sur beaucoup de ces secteurs technologiques. Il s'y trouve d'excellents spécialistes, comme nous en avons au Canada. Cela vous donnerait une autre perspective.
Le sénateur Johnson: Ce serait utile pour notre comité.
La présidente: Nous vous en serions reconnaissants. Comme vous le savez, nous avons publié un rapport préliminaire le printemps dernier. Nous espérons publier un rapport sur les quatre questions que nous avons cernées au début de l'automne. Nous commençons déjà à trouver d'autres secteurs qui doivent retenir notre attention et nous passerons encore plus de temps à la troisième étape.
Le sénateur Johnson: Ce projet de loi de l'année dernière était incroyable.
M. Frith: Le projet de loi C-32.
Le sénateur Johnson: Avez-vous autre chose à ajouter, pour nous éclairer, en ce qui concerne le droit d'auteur? Ce n'est plus vraiment pertinent, n'est-ce pas?
M. Frith: En théorie, nous étions en faveur de l'adoption du projet de loi. Je n'aurais jamais cru que le Sénat le rejette à cette étape.
Le sénateur Johnson: L'examen va se faire l'année prochaine; au lieu de tous les cinq ans, c'est maintenant tous les deux ans.
M. Frith: Les bureaucrates n'y avaient pas vraiment bien réfléchi. Franchement, ils n'avaient aucune idée de ce dont ils parlaient. Nous ne voulions pas le dire pour éviter de donner des idées aux avocats de notre pays.
Le sénateur Johnson: Vous vous occupez probablement toujours de la violation des droits de propriété à Hollywood, surtout avec le vidéodisque numérique.
Mme Peacock: Cela a posé quelques problèmes intéressants à nos sociétés membres.
M. Frith: D'après nos estimations, le piratage de signaux vise 40 p. 100 du marché nord-américain. Faites les calculs.
La présidente: Merci. Comme l'a dit le sénateur Johnson, nous pourrions passer toute la journée à débattre de ce sujet fort intéressant. Merci de nous avoir fait part de votre expérience et de votre perspective. Merci également pour votre mémoire. Si nous avons d'autres questions à poser, pouvons-nous vous contacter?
M. Frith: Oui. Si nous pouvons vous aider dans vos déplacements, que ce soit à L.A. ou à Washington, nous serons heureux de le faire.
La présidente: Nous avons maintenant l'honneur d'accueillir aujourd'hui Joel Bell, président de MaxLink.
Monsieur Bell, c'est un véritable honneur pour nous que de vous recevoir. J'imagine que vous avez lu notre rapport préliminaire, publié et déposé au printemps dernier.
M. Joel Bell, président, MaxLink Communications Inc.: Oui, je l'ai lu.
La présidente: Comme vous le savez, nous avons isolé quelques questions qui nous intéressent. Au cours de cette deuxième phase, nous essayons de nous concentrer sur les échanges et le contenu. Nous savons que vous avez acquis beaucoup d'expérience ces dernières années en ce qui concerne l'exportation d'histoires canadiennes à l'étranger, ainsi que la façon de les mettre sur le marché, grâce à un meilleur marketing ou une meilleure distribution. Nous aimerions entendre vos recommandations sur la façon dont le Canada pourrait rester au premier plan dans ce domaine.
M. Bell: Merci, madame la présidente. J'ai pensé aujourd'hui m'attarder sur deux grandes questions qui, je crois, sont cruciales pour la politique officielle en matière de télécommunications et qui, si je comprends bien, retiennent particulièrement votre attention. Je serais ensuite heureux de répondre à toutes les questions que vous souhaiteriez poser.
J'attirerais principalement l'attention sur la question des politiques officielles pertinentes qu'il faut mettre en oeuvre pour stimuler la concurrence dans le domaine des télécommunications. C'est un sujet d'importance considérable si nous voulons encourager la fourniture de services de pointe, efficaces et dont le prix n'est pas exorbitant. Les services de télécommunications ne sont pas simplement une industrie, ils représentent une industrie d'infrastructure qui influe sur l'efficience et l'efficacité des affaires. En abaissant les prix et en étant de meilleure qualité, ces services peuvent influer sur le niveau de vie.
La question de la concurrence dans le domaine des télécommunications est particulièrement importante pour ce qui est des télécommunications locales. Il suffit d'examiner ce qui s'est produit ces 10 dernières années pour s'apercevoir que nous devenons de plus en plus aptes à manipuler des données, dans un seul endroit. Notre aptitude à déplacer d'importants volumes d'information entre divers endroits est très limitée. Nous possédons cette capacité longue distance, là où existe un réseau de fibres optiques de longue distance, mais dans le circuit local, dans les villes, au sein des centres urbains, notre capacité de déplacer ce genre d'information est très limitée. Les télécommunications locales ont, en fait, étranglé le développement de beaucoup de nouveaux services et de nouvelles efficiences.
La concurrence est à mon avis la première question et ce, pour de très bonnes et réelles raisons économiques et industrielles.
Je vais ensuite m'attarder sur la question de savoir quelle politique officielle adopter pour stimuler les retombées industrielles de la croissance économique de ce secteur. Nous sommes dans un pays doté d'une infrastructure de pointe et où la demande en matière de télécommunications est considérable. Nous pouvons être à la fine pointe, compte tenu de la nature de notre demande. Il s'agit d'un secteur qui prend rapidement de l'expansion et qui crée des emplois de qualité. Il est évident qu'il faut saisir cette occasion pour le Canada, afin que notre pays puisse soutenir la concurrence sur les marchés internationaux dans le domaine de la production des systèmes et équipements de télécommunications.
Ce sont les deux points sur lesquels j'aimerais m'attarder. En ce qui concerne la concurrence, la nouvelle technologie des quelques dernières années permet maintenant la concurrence au niveau local. Il n'y a plus de monopole naturel, ainsi qu'on l'appelait. La réglementation essaie de rattraper son retard à ce sujet. Certains changements actuellement en cours vont permettre de créer la concurrence dans les télécommunications locales. La bonne nouvelle, c'est que le processus a déjà commencé. La véritable nouvelle, c'est que nos choix sont encore très limités. Vous et moi, dans la plupart des endroits, n'avons accès qu'à un seul fournisseur de service télécommunications. Ce n'est que dans les centres villes que nous commençons à voir les premiers balbutiements de la concurrence, là où les densités sont suffisamment élevées pour justifier la construction d'une deuxième infrastructure de lignes en plus du réseau de lignes de cuivre existant. Ce deuxième réseau se compose normalement de lignes de fibre optique.
Pour favoriser la concurrence dans le circuit local, il faut faire quelques efforts délibérés en matière de politique. Cela prendra du temps tout comme il faudra du temps avant que les changements de réglementation -- qui sont actuellement en cours -- ne touchent tout le système. La restructuration d'une industrie qui est le produit d'une politique officielle de longue date prendra du temps.
Si ces entreprises et cette industrie sont devenues puissantes et importantes, c'est uniquement grâce à la politique officielle et au mécanisme de réglementation. Il faudra du temps avant que de nouvelles technologies n'évoluent et ne se perfectionnent, permettant ainsi une concurrence plus large plutôt qu'une concurrence centrée dans les secteurs les plus denses qui permettent la création d'un deuxième réseau de fibres optiques.
C'est la raison pour laquelle la concurrence existe dans certains secteurs et non dans d'autres. Les lignes construites sont réservées, enfouies dans des tranchées, et doivent suivre un trajet particulier. Pour construire une deuxième ligne le long de ce trajet, surtout une ligne de fibres optiques dotée de beaucoup de capacité, il faut beaucoup de densité. Il faut avoir une densité de revenus, mais la ligne en question doit suivre ce trajet. L'installer un pâté de maisons plus loin ne sert absolument à rien. C'est la raison pour laquelle on retrouve les réseaux de fibres optiques dans les centres des villes, là où les édifices représentent beaucoup de densité et un fort pouvoir d'achat de services de télécommunications. On retrouve des fibres optiques sur les longues distances, là où il est possible de regrouper un grand nombre de distributeurs utilisant les canaux interurbains, mais il n'est pas possible d'avoir ce genre de concurrence à l'extérieur des noyaux urbains ou des grandes villes.
Les télécommunications sans fil sont une solution de rechange prometteuse dans le domaine de la concurrence. En effet, lorsque vous construisez une cellule, vous installez une antenne radio en haut d'un édifice ou d'une tour en fonction de certaines données. Vous pouvez installer plusieurs radios afin de répondre aux besoins de vos clients. Au fur et à mesure que le nombre des clients augmente, vous pouvez ajouter des radios; ainsi, votre installation physique n'est pas enfouie dans une tranchée et n'est pas réservée; elle peut prendre graduellement de l'ampleur au fur et à mesure qu'augmente la demande.
Deuxièmement, la moitié de votre installation physique se trouve à l'extrémité de réception. Il n'y a rien d'autre que de l'air entre votre cellule et l'extrémité de réception. La moitié de votre installation se trouve à l'extrémité de réception et vous ne l'installez qu'au moment où le client signe un contrat avec vous. Là encore, vous pouvez augmenter votre investissement en fonction de l'augmentation de la demande.
Troisièmement, lorsque vous installez vos radios, votre cellule, tout ce qui se trouve dans un rayon de trois ou cinq kilomètres, ou dans un rayon correspondant à la fréquence, est englobé. C'est donc économique. Tout ce qui se trouve dans les limites d'une superficie de vingt kilomètres carrés est également économique, puisqu'il n'est plus utile de suivre un trajet particulier. La densité est également suffisante lorsque vous construisez une installation physique desservant une superficie plus vaste que celle qui serait desservie par une ligne le long d'un trajet.
Cela nous permet d'atteindre plus de secteurs, d'atteindre des secteurs un peu moins denses et de survivre avec moins de pénétration. Nous n'avons pas besoin d'un pourcentage aussi élevé de maisons ou de bureaux pour être économiquement viables. Par conséquent, c'est une formule plus avantageuse au plan économique, qui permet d'offrir des services plus concurrentiels que ceux offerts par des lignes qui ne peuvent aller aussi loin.
En outre, compte tenu des fréquences plus élevées, auxquelles nous avons maintenant accès depuis quelques années, nous disposons d'une plus grande largeur de bande. Nous avons donc une capacité de large bande, ce qui est nécessaire pour la transmission des données à grande vitesse des téléconférences cinévidéo, de certains des services plus complexes de transfert rapide, efficace et fiable de plus gros volumes de données. Vous avez besoin de larges bandes, éléments dont nous disposons dans le secteur des télécommunications sans fil.
L'installation est également rapide. Une fois la radio sur le toit, une fois la cellule construite, il suffit de quelques heures pour effectuer un branchement, par opposition aux semaines ou aux mois nécessaires pour enfouir des fibres dans des tranchées ou pour les amener à d'autres endroits. Cela nous permet de répondre plus rapidement à la demande et de créer la concurrence plus rapidement. Cela nous permet d'accéder à des endroits où nous sommes déjà en concurrence et où nous pouvons offrir un autre trajet qui est différent. C'est un service sûr, car si un fil est coupé, il est possible de maintenir la communication dans l'atmosphère. Si un service est interrompu, l'autre peut prendre le relais; il s'agit simplement d'un fournisseur de rechange qui offre de nouveaux services et une nouvelle concurrence.
Je ne suis pas ici pour vous dire que les télécommunications sans fil sont la réponse à toutes les questions. Il n'y a pas de solution unique. En fait, beaucoup de technologies offrent leurs services dans divers secteurs et répondent aux besoins des clients qu'ils desservent le mieux; il y aura bien sûr des chevauchements et c'est là que le jeu de la concurrence va se faire. Les télécommunications sans fil permettent certainement de favoriser la concurrence et les avantages de cette dernière.
Comment réaliser une véritable concurrence à partir des télécommunications sans fil? Cela dépend beaucoup des utilisateurs. Si vous donnez cette technologie à une société de téléphone, elle ne va pas s'en servir pour ses services de communication vocale, puisqu'elle a déjà des installations pour ce faire. Si vous lui donnez cette technologie pour la communication vocale, va-t-elle diminuer ses prix? Pourquoi le ferait-elle, pourquoi sacrifierait-elle les revenus qui lui sont déjà acquis?
Si vous donnez cette technologie à un câblodistributeur, il ne va pas s'en servir pour la vidéo ni même probablement pour l'accès à l'Internet, puisqu'il utilise déjà la technologie modem. Il ne va pas s'en servir pour la télédiffusion vidéo ou audio, parce qu'il a un intérêt à défendre. Il dispose d'une infrastructure et d'une structure de prix à protéger.
Si vous voulez obtenir le maximum d'une nouvelle technologie, la meilleure façon de procéder consiste à la confier à des indépendants. Ils ont en effet toutes les raisons d'en tirer le meilleur parti, de créer le plus de nouveaux services possible, d'être le plus agressifs possible en matière de prix, d'offrir le meilleur appui à la clientèle. Ils n'ont pas de franchise à protéger et vont par conséquent stimuler davantage la concurrence. Après tout, les titulaires dominent déjà les communications vocales et la télévision, les services mobiles, les services interurbains. Toute technologie existante ouvre la voie à des indépendants, stimulant ainsi la concurrence.
Une fois que nous aurons décidé que les télécommunications sans fil sont une solution de rechange prometteuse à laquelle nous voulons donner une certaine marge de manoeuvre sur le marché, un domaine où fonctionner, comment faire pour permettre à cette technologie d'avoir le plus d'impact concurrentiel possible? Tout d'abord, quiconque veut installer une ligne au centre ville d'Ottawa n'est soumis à aucune contrainte en matière de réglementation. Il n'y a pas de coûts, de frais généraux ou de restrictions. Une nouvelle entreprise de télécommunications sans fil doit se servir du spectre radio.
Le spectre radio est contrôlé par le gouvernement pour éviter tout brouillage radioélectrique, en raison d'accords internationaux et parce qu'il s'agit d'un bien public. L'impact du spectre dépend de la façon dont le gouvernement le met à la disposition des intéressés. Il est tentant pour les gouvernements, surtout lorsqu'ils pensent au déficit, de vouloir se servir du spectre pour collecter des fonds.
Pensez-y. Si l'accès aux télécommunications sans fil permet de collecter des fonds contrairement à l'accès aux télécommunications câblées, cela va à l'encontre des objectifs de la concurrence. C'est injuste, c'est discriminatoire; cela signifie que les nouveaux câblodistributeurs ou les titulaires de câble ne paient pas, contrairement à ceux qu'il faut encourager le plus possible pour favoriser la concurrence.
Autrefois, cela n'avait pas d'importance. De telles situations ne présentaient pas un aussi grand intérêt parce que les transmissions téléphoniques se faisaient par fil de cuivre. Les câbles coaxiaux étaient réservés à la télévision. Les communications mobiles se faisaient par ondes hertziennes. Il y avait compartimentation. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Chacune de ces plates-formes peut concurrencer en offrant directement des services de transmission de la voix, des images et des données. Une des questions fondamentales qui se pose aujourd'hui sur le plan de la concurrence est la manière de traiter ces entreprises les unes par rapport aux autres. Quelle que soit la méthode employée pour autoriser les nouveaux arrivants, quelle que soit la méthode que le gouvernement décide d'employer pour répartir les fréquences, il est important que cette méthode ne crée pas de fardeaux discriminatoires pour les nouveaux arrivants comparativement aux titulaires, ou aux nouveaux arrivants utilisant d'autres technologies.
Dans ce contexte, le gouvernement doit également régler quatre questions fondamentales et il doit le faire sans trop attendre. L'une des questions concerne les modalités de répartition du spectre. Aux États-Unis, on a décidé de recourir à la vente aux enchères pour une raison bien précise. Nous utilisons depuis toujours les évaluations administratives. Nous cherchons à savoir quelle technique se prêtera le mieux à notre objectif stratégique en matière de concurrence, dans quelles circonstances la vente aux enchères donnerait les résultats voulus. Nous cherchons à savoir dans quelles circonstances une autre méthode de répartition du spectre conviendrait mieux.
La deuxième question est la suivante: quelles entreprises devrait-on autoriser? Plus précisément, les titulaires devraient-ils être autorisés à offrir ces services ou devrions-nous les réserver aux entreprises indépendantes?
Troisièmement, dans quelles circonstances devrions-nous encourager les nouvelles entreprises à se lancer dans ces activités? À quel moment convient-il d'attribuer de nouvelles fréquences, compte tenu des difficultés qui guettent les nouveaux arrivants, compte tenu de l'évolution graduelle d'un régime de réglementation?
Enfin, lorsqu'il est question de répartir les fréquences, y a-t-il d'autres objectifs stratégiques qui devraient légitimement entrer en ligne de compte dans ce débat, dans les évaluations qui sont faites pour déterminer qui recevra des fréquences? L'un des objectifs concerne bien sûr les retombées industrielles et la méthode de répartition des fréquences qui nous permettrait de nous occuper plus efficacement de cet aspect.
La vente aux enchères présente certains attraits. C'est une méthode facile sur le plan administratif. Le gouvernement n'a pas à prendre une décision correspondant à désigner les perdants et les gagnants, mais il en résulte également qu'il ne peut pas se prononcer sur les retombées relatives que peut avoir un nouvel arrivant par opposition à un autre. Le gagnant est celui qui offre le meilleur prix. Deuxièmement, c'est une méthode plus rapide. Une fois qu'on a établi les règles et la marche à suivre pour la vente aux enchères, on peut attribuer les fréquences plus rapidement dès qu'on est prêt à le faire.
Cette méthode a commencé aux États-Unis pour une raison bien précise. Là-bas, il y avait une méfiance viscérale à l'égard du gouvernement. On cherchait une méthode impersonnelle d'attribution des fréquences, une méthode non discrétionnaire où le gouvernement n'interviendrait pas. On a procédé par tirage au sort. Des dentistes de Des Moines pouvaient se voir attribuer un permis. Ils n'avaient ni les compétences voulues, ni l'intérêt, et ils n'avaient jamais rêvé non plus d'exploiter une entreprise de télécommunications au moyen des fréquences qui leur étaient attribuées. Ces gens décidaient alors de vendre leur permis à quiconque était intéressé à l'exploiter. Ils réalisaient des profits immenses. À un moment donné, les gens se sont réveillés et ont bien vu que le fait d'imposer des frais économiques à un nouvel arrivant était un fardeau qui nuisait à la concurrence, mais que c'était bel et bien ce qui se passait. La personne qui en profite monétairement est l'heureux gagnant à la loterie. Le public, qui est le propriétaire de cette ressource, ne reçoit rien. Cette situation a mis bien des gens dans l'embarras, d'où l'idée des ventes aux enchères.
Les choses ne se sont pas passées ainsi au Canada. Ici, les fréquences ont été attribuées d'abord selon le principe du premier arrivé premier servi; ensuite, s'il y avait trop de demandeurs, si la demande dépassait l'offre de fréquences, nous procédions par soumission et par évaluation administrative afin de choisir l'entreprise qui semblait le mieux servir l'intérêt public, puis nous imposions des droits. Le gouvernement a perçu des sommes considérables. Ce sont des droits annuels. Au fil des ans, des sommes assez importantes ont été perçues, des sommes fort intéressantes si on les compare aux produits des ventes aux enchères aux États-Unis.
La méthode de la vente aux enchères ayant été adoptée, les gens se sont mis ensuite à essayer de lui trouver aussi une justification économique. En effet, selon les principes économiques, si le marché établit un prix, c'est probablement le bon prix, et une mise aux enchères serait donc le moyen à utiliser, selon la théorie, pour obtenir le prix qui convient, le prix le plus efficace sur le plan économique, le prix qui convient le plus sur le plan de la concurrence. Toutefois, est-ce bien le cas, car cette même théorie nous dit autre chose. Elle nous dit que le prix le plus favorable sur le plan économique prévaudra si la conjoncture économique et les conditions du marché le sont elles aussi, et on entend par là, selon la théorie économique, qu'il doit y avoir un nombre considérable de soumissionnaires non dominants et des marchés financiers très audacieux autant prêts à investir dans les nouvelles technologies et les nouvelles entreprises que dans les entreprises déjà établies.
Sans ces deux conditions, la vente aux enchères ne permet pas d'obtenir les résultats les plus efficients sur le plan économique par l'entremise du marché. Les ventes aux enchères reproduisent les conditions économiques dans lesquelles elles ont lieu. Si elles se tiennent dans un environnement où les monopoles prédominent, elles reflètent les influences du monopole et non pas les influences de la concurrence et non pas non plus les prix qu'il faudrait avoir pour stimuler l'arrivée de nouvelles entreprises dans un climat de concurrence.
Si les nouveaux arrivants dans le marché du sans-fil doivent payer des droits pour mener leurs activités, tandis que les nouveaux arrivants dans le marché des services câblés n'ont pas à le faire, une autre condition fondamentale de la concurrence n'est pas respectée, à savoir l'imposition uniforme des fardeaux de la politique gouvernementale aux entreprises en concurrence directe. Cette situation se rencontre surtout lorsque les titulaires sont en mesure de soumissionner, car ils peuvent ainsi faire grimper les prix. S'ils offrent un prix considérable et qu'il est accepté, alors ils acquièrent à prix fort le droit d'exploiter un petit service qu'ils sont en mesure d'offrir. Les autres n'ont pas de droit à payer. N'empêche que c'est un petit prix à payer pour conserver sa domination du marché ou son monopole, pour éviter la concurrence et pour s'assurer que les prix ne baisseront pas.
Si leur offre n'est pas la plus élevée et est rejetée, ils ont mis le fardeau sur les épaules du nouvel arrivant en le forçant à payer des prix plus élevés, en le forçant à pratiquer les prix qu'eux-mêmes pratiquent. Ils ont détruit l'efficacité du nouveau arrivant concurrentiel et la capacité du marché d'accorder une place à l'intervenant le plus efficace qui aurait pu, à cause de ses coûts de base réels, faire accepter son offre et stimuler la compétitivité dans le marché.
Aux États-Unis, par exemple, on a interdit aux titulaires de soumissionner précisément pour ces raisons. En effet, dans le cas des services de télécommunications décamétriques appelés Services locaux de communications multipoints, qui est mon secteur d'activité, il était interdit aux compagnies de téléphone et aussi aux câblodistributeurs de soumissionner et aussi de participer à ce marché pendant cinq ans, de sorte qu'elles ne pouvaient pas non plus racheter une telle entreprise.
Disons que nous excluons les titulaires. Est-ce une solution au problème? La vente aux enchères devient-elle alors une méthode qui donnera les résultats voulus? Attention, car là aussi les principes de l'économie nous disent que le prix qui devrait résulter de la vente aux enchères correspond à la quantification de la valeur de rareté. Ce sont là les seuls frais qui devraient en découler. La valeur de rareté devrait être le seul prix à acquitter, compte tenu des doctrines économiques. Toutefois, s'il y a bel et bien une valeur de rareté, elle n'est pas rattachée aux fréquences; elle est rattachée au service que vous pouvez offrir au moyen des fréquences.
Les fréquences elles-mêmes n'ont aucune valeur. Donnez-moi toutes les fréquences que vous voulez pour l'établissement de services en chinois dans le cercle polaire. Sur le plan économique, celles-ci n'ont aucune valeur. Ce sont les services que l'on peut offrir par le biais de ces fréquences qui en ont une. Les services qui peuvent être offerts au moyen de ces fréquences sont offerts également par fil. Si le droit de faire des affaires par le mode sans fil n'est assujetti qu'aux frais que représente la valeur de rareté, alors cette valeur de rareté doit exister dans le marché pour les services, et cette même valeur de rareté devrait être facturée également au titulaire.
On nous dit que c'est quelque chose de difficile à faire sur le plan politique. On ne peut pas se présenter plusieurs années après le fait et dire aux compagnies de téléphone, aux compagnies de câble et à tous les autres intervenants du secteur: «Vous allez maintenant devoir à payer des droits.» Donc on dit de ne pas s'en faire parce que la valeur de rareté n'est pas là pour longtemps. À cause de toute la concurrence qui va surgir, à cause surtout des nouveaux services sans fil, le monopole, la rareté, va disparaître. Donc on n'a pas à imposer de frais à ceux qui sont déjà là. Mais alors pourquoi en imposer aux nouveaux arrivants? La réponse à cela est que leur valeur de rareté va disparaître elle aussi, mais ils doivent la payer au départ. Ce n'est pas une chose qu'ils doivent payer chaque année et les frais diminuent au fur et à mesure que la valeur de rareté diminue. Ils versent une somme globale tout de suite pour la valeur de rareté qu'ils vont s'employer par la suite à faire disparaître, et c'est la raison pour laquelle rien n'est demandé aux entreprises qui sont déjà là.
Le deuxième problème que présente la théorie économique selon laquelle des frais sont exigés pour la valeur de rareté tient au fait que nous ne savons pas comment fixer des frais équitables pour la valeur de rareté. Songez à la façon dont vous procéderiez pour établir le montant d'une offre. Si vous arrivez sur le marché avec la technologie qui vous permet de faire les choses de façon plus économique, de mener vos activités en ayant des coûts moins élevés, vous allez dire: je peux payer une prime pour la valeur de rareté, mais je suis également en mesure de payer davantage parce que si je peux me lancer dans cette activité et que mes coûts sont inférieurs de moitié à ceux que doivent supporter les exploitants actuels, je peux me permettre de payer davantage parce que mes frais d'exploitation sont moins élevés. Au bout du compte, je vais perdre ces économies, ou du moins une bonne partie d'entre elles, à cause du prix plus élevé que je vais offrir. En gagnant ainsi la vente aux enchères, je mets un parapluie, un abri, au-dessus des coûts de l'ancienne technologie, au-dessus des anciens frais d'exploitation. L'autre jouit maintenant d'une protection parce que j'ai payé la différence entre mes coûts et ses coûts. Les sommes que j'ai pu économiser aboutissent dans les coffres de l'État plutôt que de servir à stimuler la concurrence dans le marché pour permettre à celui-ci de choisir la plate-forme la moins chère.
Il ne s'agit plus de la plate-forme la moins chère. La différence a été payée sous la forme de droits versés dans les coffres de l'État. Voilà une situation qui nuit clairement à la concurrence parce qu'elle met les anciennes conditions de concurrence à l'abri des nouvelles. Elle met les pratiques inefficaces à l'abri des conditions que peuvent créer les économies réalisées au moyen d'une nouvelle plate-forme.
En passant, les économistes reconnaissent ce fait et prétendent que seule la valeur de rareté devrait être payée. Un lauréat du prix Nobel appelé Vickery a dit qu'il existe une solution: nous mesurons la différence et nous la remboursons. Le problème tient au fait que personne ne sait comment mesurer la différence et comment la rembourser. Voilà qui sera le prochain lauréat du prix Nobel, c'est-à-dire la personne qui trouvera le moyen de prendre la différence, ne correspondant pas à la valeur de rareté, mais correspondant bien à la valeur des économies, et de la réinjecter de façon efficace dans l'économie.
Cette méthode ne produit pas vraiment le bon prix économique pour la concurrence. En effet, dans les conditions actuelles du marché qui évolue dans un environnement non concurrentiel, elle ne reproduira vraisemblablement pas ce prix, même si on exclut les titulaires. Dans ces conditions, peut-être qu'elle produira au moins un résultat efficace sur le plan économique. C'est peut-être ce qui justifie cette méthode. La clé de l'efficacité économique au lendemain de l'attribution des fréquences réside vraiment dans la brochette de marchés qu'il y a. Il faut des économies d'échelle. Il faut être d'une taille suffisante pour obtenir des gains d'efficacité sur le plan économique. Il faut être en mesure de faire des affaires sur de nombreux marchés pour atteindre un minimum d'efficacité parce qu'il est impossible de pénétrer à fond un marché donné. Il faut être en mesure de faire des regroupements régionaux.
Nous avons passé six ou sept ans dans ce pays, avec l'aide du CRTC, à appuyer la restructuration de l'industrie du câble sous forme de regroupements régionaux pour qu'elle puisse être économiquement rentable dans le secteur des communications bilatérales. Le regroupement régional est indispensable.
Troisièmement, une compagnie qui veut servir des comptes d'entreprises nationales, qui veut servir la Banque Royale, doit le faire au moyen d'une seule plate-forme, d'une technologie uniforme d'un bout à l'autre, pour pouvoir être également efficace à Montréal, Toronto, Winnipeg, Halifax, Vancouver, St. John's et partout ailleurs. Il faut un système de gestion de réseau lié à une seule plate-forme. L'entreprise doit pouvoir compter également sur une présence nationale.
Revenons maintenant à la vente aux enchères. Dans toutes ces villes, nous offrons les fréquences par vente aux enchères. Je présente une offre en tenant compte de la taille du marché dont j'ai besoin au minimum pour être rentable sur le plan économique, mais tout à coup un trouble-fête se présente -- il peut s'agir d'un titulaire ou de quelqu'un qui veut jeter un pavé dans la mare -- et il remporte un de ces marchés ou deux de ces marchés, perturbant ainsi la distribution efficace des marchés. Le pire, c'est que j'ai offert des prix pour chacun de ces marchés individuellement et que j'ai établi ce prix selon l'efficacité que j'estimais pouvoir obtenir en disposant de cette masse critique de marchés.
Il y a des marchés que je réussis à avoir et d'autres que je perds, mais je ne peux pas baisser le prix que j'ai offert pour ceux que j'ai réussi à obtenir, prix que j'avais établi en supposant que j'allais remporter tous les marchés. Je ne peux pas retirer mon offre; il y a des règles qui m'en empêchent. On dit que retirer une offre fausse tout le système de vente aux enchères, car les gens soumettront une offre puis ensuite se désisteront. On ne peut avoir de vente aux enchères si les gens ne paient pas le prix adjugé.
Il en résulte, et les économistes le reconnaîtront, que je paye un prix qui ne convient manifestement pas sur le plan économique et qui est trop élevé. Je me retrouve avec un marché non rentable et j'ai réussi à obtenir quelques marchés à des prix que je n'aurais pas dû être obligé de payer. Lorsque nous avons établi la concurrence dans la téléphonie mobile dans ce pays, il y avait une raison à cela; nous avons accordé des permis nationaux à des nouveaux arrivants indépendants censés desservir tout le pays.
Je n'insisterai pas sur les problèmes que j'ai vus aux États-Unis dans le système de la vente aux enchères, mais ils sont légion sur le plan des paiements en trop et des défauts de paiement. Le système n'est pas à toute épreuve. Je n'insisterai pas non plus sur la question de l'admissibilité si vous optez pour le système de la vente aux enchères. Même sans ce système, toute la question de l'admissibilité tourne toujours autour de la valeur de nouveaux arrivants indépendants pour stimuler le plus possible la concurrence.
Il y a belle lurette que je ne donne plus de cours dans ces domaines et c'est pourquoi j'ai demandé à deux groupes d'économistes de faire une étude pour nous. Je leur ai dit: «Voici ce que nous disons à ceux qui veulent nous entendre dans le marché». Je leur ai envoyé un exemplaire du mémoire que je vous ai présenté il y a quelques mois et je leur ai demandé de rédiger un rapport indépendant. Je voulais avoir une évaluation indépendante des arguments que je présentais.
Voici leurs conclusions. Ils ont dit qu'il fallait exclure tous les titulaires, non seulement les compagnies de téléphone et les compagnies de câble mais aussi les fournisseurs de services interurbains et de services mobiles. Ils ont dit que si nous voulions vraiment de l'efficacité, nous devions veiller à attribuer des permis d'envergure nationale à tous les nouveaux arrivants offrant des services à haute fréquence avant d'attribuer de tels permis aux autres, car il s'agissait d'un moyen de stimuler la concurrence. Troisièmement, ils ont dit que s'il fallait demander des droits aux nouveaux arrivants, ceux-ci devaient être imposés également à ceux qui leur font concurrence au moyen des services câblés, qu'il s'agisse de nouveaux arrivants ou d'exploitants établis. Quatrièmement, ils ont dit d'autoriser l'entrée graduelle de nouveaux arrivants. Si on permet à un trop grand nombre d'entreprises de s'établir trop rapidement, il y aura fragmentation du marché et les titulaires établis ne pourront que s'en réjouir. L'efficacité économique peut en souffrir s'il y a trop de nouveaux arrivants, et la concurrence aussi si cela se fait trop rapidement. S'il y a trop de fragmentation, aucun des nouveaux arrivants ne sera assez puissant pour obtenir le financement nécessaire et pour être rentable. C'est une situation qui plaît éminemment aux titulaires établis.
Ils maintiennent que sur le plan de la théorie économique et également dans la pratique, il en résulte un regroupement qui se fait trop tôt. Avant que les nouveaux arrivants indépendants parviennent à être rentables, ils sont obligés de fusionner et l'on se retrouve avec une plus grande concentration et moins de joueurs que si la transition entre un monopole réglementé et le libre marché avait été gérée plus étroitement.
Permettez-moi de dire quelques mots au sujet des autres objectifs du secteur. Je pense que c'est important pour vous. En politique gouvernementale, il ne s'agit pas tout simplement de mettre le spectre en vente sur le marché. Je crois que le but de l'industrie est légitime et important. C'est la politique gouvernementale d'appui aux retombées industrielles en télécommunication qui explique le succès que nous avons obtenu dans ce secteur. Cela n'est pas arrivé de façon inopinée. C'est le fruit d'un environnement où nous disposons, d'après nous, d'un monopole réglementé. Nous allons autoriser ce monopole à faire payer au consommateur le prix qu'il faut pour pouvoir investir dans la R-D, investir davantage dans la mise au point de nouvelles techniques, et nous nous attendons qu'il le fasse au Canada. Jusqu'à présent, c'est de là qu'est venu notre succès.
C'est un secteur où les promesses de croissance et d'emplois hautement qualifiés seront d'autant plus grandes que nous pourrons créer au Canada, plus qu'avant, des activités concurrentielles à l'échelle internationale. Si cela a jamais été important, ce l'est certainement maintenant. Cela peut vouloir dire obtenir une valeur beaucoup plus grande que ce que l'on obtiendrait avec un prix d'adjudication, notamment si on le fait en répartissant le spectre d'une façon qui maximise la retombée industrielle et impose en plus un droit, de sorte qu'on gagne sur les deux tableaux.
La méthode de l'attribution par encan ne permet tout simplement pas de réaliser d'autres objectifs stratégiques comme les retombées industrielles. Accorder les fréquences au plus haut soumissionnaire ne vous permet simplement pas de déterminer si cet intervenant plutôt que tel autre obtiendra une meilleure retombée technologique industrielle au Canada. Même aux États-Unis, le pays des encans, où ils visent d'autres objectifs, ils n'ont pas imposé de droits. Ils ont accordé des fréquences à ceux qui, d'après eux, serviraient ces objectifs, qu'il s'agisse de mettre au point un nouveau service ou une nouvelle technique par satellite ou autrement, ou de satisfaire les objectifs de radiodiffusion. Aux États-Unis, ils ont moins besoin que nous de s'en préoccuper. J'ai réalisé une étude intéressante. J'ai demandé à nos ingénieurs d'étudier toutes les techniques qui ont fusionné afin de permettre aux télécommunications à haute fréquence, aux services de données à haute vitesse, aux données chiffrées, numériques, à la correction aval des erreurs, enfin, à toutes les nouvelles techniques, et à la miniaturisation, d'être offertes à des prix commercialement rentables. J'ai demandé aux ingénieurs de retracer l'origine de chacune. Immanquablement, il s'est avéré que chacune d'entre elles est le produit des dépenses américaines en matière de défense et d'aérospatiale -- la R-D et l'approvisionnement. Quand on fait de la R-D pour l'armée américaine, pour l'Agence spatiale américaine, l'activité industrielle a également lieu aux États-Unis.
En second lieu, les États-Unis ont un marché plus grand. Quand on émet un permis aux États-Unis, il a suffisamment d'impact dans l'industrie pour que des gens songent très sérieusement à se positionner sur ce marché pour saisir cette occasion. Le Canada ne peut se permettre cela. Les États-Unis disent qu'ils s'en remettent au marché, mais ils ne le font pas. Ils n'appellent pas cela de l'intervention. Ils n'appellent pas cela l'attribution discrétionnaire de permis. Ils appellent cela des dépenses en matière de défense et d'aérospatiale, car qui sera contre le fait de vouloir se défendre? Qui peut s'opposer à ce qu'on dépense de l'argent pour les techniques d'exploration de l'espace? La réalité c'est qu'il s'agit d'une imperfection du marché qui amène nos mêmes économistes à prétendre que nous ferions mieux d'utiliser tous les leviers qui s'offrent à nous, y compris l'attribution du spectre. Comme nous avons commencé tôt à émettre des permis pour les fréquences décamétriques, nous sommes prêts dans ce pays à retirer de très importantes retombées industrielles si nous tenons bon et si nous nous servons des permis pour profiter au maximum des occasions de retombées industrielles de cette activité.
Les encans de spectre sont-elles un désastre? Non. Il y a des cas où la vente aux enchères pourrait être et, en fait, devrait être utilisée. Où cela fonctionne-t-il? Cela fonctionne bien -- et les économistes le disent encore dans nos études -- quand le marché est déjà pas mal concurrentiel, s'il ne l'est pas totalement. Cela fonctionne bien quand la technique est mûre de sorte que les décisions que vous prenez sur la façon d'attribuer le spectre ne changent pas grand-chose à la mise au point de la technique ou à l'endroit où elle s'effectue. On a déjà affaire à une production mature et établie.
Ce n'est pas encore le cas pour les services sans fil. Ce n'est pas encore le cas pour les télécommunications. À mon avis, il serait malheureux que le Canada renonce à un levier sans frais qui permet d'obtenir des retombées industrielles et économiques à ce moment critique, notamment dans un pays où les sujets de préoccupation ne manquent pas du côté industriel. Les conditions de commerce minent constamment nos ressources et nos techniques, et les services deviennent plus cher. Si nous n'obtenons pas une plus grande part de cette deuxième activité au plan économique, nous sommes voués à perdre du terrain à l'échelle mondiale.
Si nous voulons faire l'expérience des ventes aux enchères -- et la politique gouvernementale vise à en faire l'essai, à les essayer, pas nécessairement à les utiliser dans tous les cas. Elle dit expressément que si des raisons culturelles, sociales, technologiques et économiques justifient qu'on procède autrement, on attribuera le spectre autrement que par la mise aux enchères. Pourquoi nous livrer à une expérience là où nous avons le plus à perdre? Pourquoi choisir ce domaine maintenant pour votre première expérience, où il y a beaucoup à gagner et beaucoup à perdre selon le choix qu'on fait? Vous éprouverez au départ des problèmes avec une nouvelle méthode. Pourquoi en faire l'essai dans le domaine où il y a le plus de risque?
Je suis d'avis que nous devrions continuer à utiliser l'attribution administrative, à mettre l'accent sur la concurrence.
L'attribution administrative par la vente aux enchères et la concurrence ne sont pas contradictoires. La vente aux enchères ne signifie pas qu'on engendre de la concurrence. En fait, il est plus probable que le contraire se produise à l'heure actuelle. Utilisons notre levier pour obtenir des gains industriels, établissons des droits pour recueillir l'argent dont nous avons besoin, appliquons-les uniformément et disons-nous qu'il s'agit là d'un secteur qui devrait le fournir.
De même, je dirais que nous devons mettre autant d'énergie pour rendre le monopole réglementé concurrentiel que nous en avons mis pour amener le processus de réglementation à créer les compagnies de monopole au départ. Les commissions de réglementation doivent fournir des efforts délibérés en la matière. Nous devons être vigilants et ne pas imposer au marché de prix qui entraveront l'entrée sur le marché de nouveaux concurrents.
Il ne faut pas s'illusionner -- cela prendra du temps. Cela prendra du temps à la technologie pour évoluer; il faudra du temps aux nouveaux entrepreneurs pour s'établir; il faudra du temps pour que la réglementation s'impose dans le système. N'essayons pas d'en faire trop trop vite et veillons à ne pas passer à côté de nos propres objectifs.
Le président: Merci, monsieur Bell. Votre exposé n'était pas seulement intéressant, mais très stimulant. Je crois que votre enthousiasme est très contagieux.
Le sénateur Spivak a quelques questions.
Le sénateur Spivak: J'ai deux commentaires, et j'ai une question. Tout d'abord, je tiens à dire que le monopole était si simple. Pour qu'il y ait concurrence, il faut s'adonner à tant de prouesses. Deuxièmement, je tiens à dire que vous tous libres entrepreneurs, vous tous qui croyez au marché, vous croyez vraiment dans la réglementation. Du moins, c'est le message que j'ai compris de votre exposé -- le marché doit être concurrentiel, et doit être ceci, doit être cela; il nous faut réglementer si nous voulons qu'il y ait concurrence.
Par libre entreprise et concurrence, que voulons-nous dire vraiment? Voulons-nous dire gérer et réglementer?
Regardons les titulaires. J'y étais quand Perrin Beatty a demandé au sénateur Oliver d'étudier tout le secteur, et c'était en 1992. Nous sommes maintenant en 1998. Avons-nous ce que nous devrions avoir au plan de la compétitivité dans notre marché national? Que pensez-vous de la compétitivité dans le marché international?
Je sais que cela n'a pas trait directement à ce que vous disiez pour les ventes aux enchères, mais vos arguments étaient si convaincants que je suis convaincue, et je vais donc vous poser d'autres questions.
Comment comparez-vous la situation à ce qui se passe aux États-Unis? Donnez-moi votre avis sur la question de la concurrence tant à l'échelle nationale qu'internationale, et établissez un parallèle avec les États-Unis.
M. Bell: Permettez-moi tout d'abord de vous dire que je crois passionnément au marché, mais je crois que si vous voulez rendre le marché concurrentiel, vous devez d'abord le restructurer de sorte qu'il engendre des résultats concurrentiels.
Le sénateur Spivak: Je suis d'accord avec vous.
M. Bell: C'est une chose de dire que je crois en la boxe; tout le monde devrait descendre dans l'arène et jouer des poings. Mais me mettre dans l'arène avec ma petite soeur est injuste. Vous devez d'abord vous assurer que les adversaires sont d'égale force, vous devez préparer le marché. Nous avons consacré beaucoup de temps et d'énergie dans ce pays à faire des monolithes, des gens très puissants, parmi les titulaires. On ne peut maintenant simplement laisser entrer les nouveaux arrivants, sans surveiller ce que font les monolithes, sans surveiller de quelle façon ils restreignent la capacité des nouveaux arrivants de jouer, sans se préoccuper de rien, et mettre tout aux enchères à quiconque veut se joindre au marché. Le monopole engendrera un monopole.
Prenez d'abord certaines mesures sur le plan structurel. Préparez l'environnement, laissez mûrir le marché, et vous obtiendrez de la concurrence. C'est une question de timing et de méthodologie. Je ne m'oppose d'aucune façon à ce que le marché dicte les règles du jeu. Mais le marché, même en théorie économique, ne produit les résultats escomptés qu'une fois que l'on a restructuré l'industrie de façon qu'elle puisse produire ces résultats, car autrement, elle produira le résultat contraire.
Y a-t-il actuellement concurrence?
Le sénateur Spivak: Il devait y avoir concurrence entre les compagnies de câble et les compagnies de téléphone.
M. Bell: C'est ce qui devait se passer. Je prétends depuis quelques années que cela ne s'est pas produit et ne se produira pas. Cela n'est pas arrivé en partie parce que, du moins du côté des compagnies de câble, celles-ci avaient des priorités financières et n'avaient pas pour première priorité d'intégrer le fief de quelqu'un d'autre.
Avant de descendre dans l'arène de boxe, vous devez vous assurer que vous pouvez battre votre adversaire.
Je vais commencer par améliorer mon usine, par consolider mon ratio d'endettement, si je le peux. Je ne vais pas m'attaquer au plus gros des types. C'est pourquoi les titulaires hésitent à s'aventurer dans les cours des autres.
À l'heure actuelle, la technologie permet d'utiliser le câble coaxial pour la communication vocale, les données interactives, les téléconférences, toutes ces choses. Dans des endroits comme l'Allemagne, on place des commandes et ces services sont déployés. Ils ne le sont pas ici.
Je crois que c'est en 1992 qu'on m'a parlé pour la première fois d'une extension numérique du câble. On nous dit maintenant que cela ne sera pas avant encore un ou deux ans dans ce pays. C'est en partie parce que la technique continue d'évoluer et qu'on se demande s'il ne vaut pas mieux attendre qu'elle soit encore plus perfectionnée et peut-être moins cher. Il y a toujours une raison d'attendre le prochain développement.
Je crois que nous n'avons pas vu entre les titulaires la concurrence qu'on nous avait promise il y a six ans maintenant. Nous en avons vu un peu plus dans certains pays, mais pas des masses, et pour des raisons qui ressemblent à celles pour lesquelles cette concurrence ne s'est pas concrétisée ici. Les priorités sur lesquelles ont investi les compagnies de câble ou les compagnies de téléphone ne les ont pas menées aussi directement et immédiatement dans le territoire de l'autre. Elles avaient suffisamment à faire dans leurs propres secteurs. Elles avaient suffisamment de nouvelles techniques à déployer pour tirer des recettes dans leurs propres secteurs; elles ne sont pas très pressées de briser la domination qu'elles exercent dans leurs domaines respectifs. Il semble y exister une dissuasion mutuelle.
Dans le cas du téléphone, les compagnies diront qu'elles en ont été empêchées par la réglementation et, dans une certaine mesure, cela est vrai. La dernière fois que j'ai comparu devant vous je vous ai dit comment les organismes de réglementation empêchaient réellement les satellites de concurrencer le câble, et ils ont réussi. Ils ont réussi à bloquer l'arrivée effective de la concurrence pendant un long moment dans ce domaine.
Nous apprenons lentement les leçons. Nous changeons lentement le paradigme et la mentalité de notre agent de réglementation. Cela se produit-il ailleurs? Il faut faire la différence entre les appels locaux et interurbains. Cela se produit dans le domaine des appels interurbains dans la plupart des pays, presque tous les pays. Cela se produit très lentement à l'échelle internationale. La raison en est que les pays agissent comme des monopoleurs.
Par le biais d'accords internationaux, chacun de ces pays retire beaucoup plus d'argent des appels internationaux que ce qu'il en coûte pour pouvoir effectuer cet appel. Ils s'en servent pour financer leurs télécommunications nationales ou d'autres besoins budgétaires. Ces accords internationaux ont amené les pays à agir comme des monopoles du secteur privé dans un milieu national, et ils ne veulent pas y renoncer trop rapidement. Cela se produit donc très lentement. Les progrès technologiques pourraient cependant changer la donne. Cela s'en vient. Cela se produit. Le régime est court-circuité.
Pour ce qui est des appels locaux, cela se produit très lentement. Il y a très peu d'endroits où vous pourrez trouver de la concurrence au niveau local. Les Américains sont légèrement en avance sur nous dans ce domaine, et c'est principalement dû aux fibres dans les régions densément peuplées. Ce n'est pas encore offert ailleurs.
Le sénateur Spivak: Vous dites que la technologie est là. Je suis curieuse de savoir ce qu'il en est du point de vue des innovations. Les intervenants eux-mêmes nous avaient promis beaucoup d'innovations. Les consommateurs sont-ils les gagnants et vont-ils en profiter, ou est-ce vraiment seulement pour les entreprises? Pourriez-vous répondre à cette question du point de vue de votre propre compagnie également?
M. Bell: C'est une bonne question. Un nouveau concurrent cherchera d'abord à desservir le secteur des entreprises. Elles sont plus enclines à adopter des services modernes. Elles dépensent davantage par client. Il est plus facile de les servir. C'est donc là qu'un nouveau-venu commencera.
Le secteur résidentiel viendra plus tard, pour deux raisons: premièrement, on ne dépense pas autant par consommateur et, deuxièmement, les coûts unitaires de l'équipement sont élevés quand on commence avec une nouvelle technologie. Il faut donc aller là où la demande est forte. On peut ensuite se permettre d'aller dans des endroits de plus en plus petits au fur et à mesure que l'équipement se répand et que les raffinements et la conception permettent de produire à moindre frais. À un moment donné, on peut commencer à s'attaquer au marché des résidences unifamiliales. On commence avec les grands ensembles, comptant de multiples unités d'habitation, puis on passe au résidentiel. Cela se fera par étape. Cela ne se produira pas du jour au lendemain de façon générale, mais en fin de compte, il y aura de nouveaux services. Il se produira des gains d'efficacité au niveau des prix.
Au début, vous avez soulevé la question du contenu. La meilleure façon de stimuler les innovations pour l'inforoute moderne à partir du Canada est de vous assurer que les nouveaux arrivants sont indépendants, stimulants, et disposent d'une plate-forme qui leur permettra d'être dynamiques de façon à pouvoir élaborer certains de ces nouveaux services et de s'assurer d'un certain contenu canadien sur cette autoroute. Cela se produira ailleurs. Quant à son ampleur ici, il faut que les conditions soient réunies pour que nos nouveaux venus réussissent à être les tremplins de ces services.
Le sénateur Johnson: C'était un excellent exposé. On a répondu à la plupart des mes questions au cours du dernier dialogue. Est-il vrai que le Canada semble en avance sur les États-Unis dans le marché du sans fil? Nous avons des compagnies de LMSC comme la vôtre qui sont prêtes à entrer en activité tandis que le marché américain de LMDS accuse du retard. Est-ce vrai? Comment expliquez-vous l'avance du Canada et pensez-vous que cela se traduira pour un avantage concurrentiel?
M. Bell: Cela pourrait se traduire par un avantage concurrentiel. Ce qui s'est arrivé, c'est que le Canada a presque pris un an d'avance dans l'octroi des licences.
On nous a tous dit, y compris les titulaires de licences, mais à coup sûr le gouvernement, que la technologie était prête. Les fabricants s'étaient dit prêts à entrer en activité. Lorsque nous avons vérifié, nous nous sommes rendu compte que ce n'était pas le cas et que l'équipement n'était pas prêt. Il n'y avait littéralement aucun fabricant qui pouvait nous permettre d'entrer sur le marché en 1997.
Les services commenceront à être offerts en 1998 non sans certaines contraintes techniques qui nous empêcheront de faire tout ce qu'on nous avait promis que nous pourrions faire et de le faire aussi économiquement que prévu. Nous pourrons le faire au cours de 1999, vers la fin de l'année, et les choses évolueront graduellement.
Nous avons eu un bon départ. La technologie n'était pas aussi au point que nous l'aurions cru. Dans l'intervalle, les États-Unis ont procédé à la vente de spectres ce qui a eu pour effet d'accroître de nouveau sensiblement la demande et partant d'aider les fabricants à ne pas lâcher prise. La vérité c'est que les fabricants avaient dit connaître les réponses technologiques, avoir vu des applications dans l'espace ainsi que dans le domaine de la défense, et cetera. Ils nous ont dit: «Nous savons que si vous nous accordez un contrat et dépensez l'argent, nous nous en servirons pour mettre la dernière main au croquis et livrer le produit». Ils savaient toutefois que cela allait prendre du temps.
Nous n'avons pas eu le plein avantage de cette année supplémentaire. Nous profiterons peut-être du fait que nous avons commencé plus tôt. Deux entreprises canadiennes expertes sont très bien placées pour bien se positionner sur le marché international: Northern Telecom et Newbridge, deux entreprises qui offrent un réseau entièrement intégré pour le déploiement des télécommunications à large bande.
Ce qui se passe, c'est que c'est un marché concurrentiel. Lucent a acheté la R-D qui se faisait dans les laboratoires de Hewlitt Packard, mais il faut compter une autre année pour l'entrée sur un autre marché. Erickson et Alcatel sont à mettre au point leurs propres technologies. Elles l'offriront un peu plus tard. Bosch a acheté la technologie de Texas Instruments. Texas Instruments ayant été l'un de nos partenaires, je suis au courant de la situation en ce qui la concerne. Bosch a acheté la technologie de cette entreprise mais a dû apporter certaines modifications afin d'intégrer les technologies et passer à une solution plus élégante qui serait économique.
Nortel et Newbridge sont placées pour se lancer avant le temps si les titulaires de licences d'ici peuvent placer des commandes importantes en tant que participants crédibles. Leur survie dépend de leur efficacité. Leurs commandes ont de l'importance. Elles obtiennent des fonds parce qu'elles donnent l'impression d'être solides. De nos jours, dans ces industries, les vendeurs doivent offrir du financement aux nouveaux venus sur le marché qui doivent se soumettre à une évaluation de crédit. Ils ne peuvent vendre sans avoir obtenu du financement. Ils ne peuvent en obtenir à moins d'avoir la solvabilité qui leur permet de le faire. Si nos contrats, les nôtres et ceux de Connexus, sont assez importants, si les perspectives sont assez prometteuses, si nous sommes suffisamment efficaces en raison notamment de notre regroupement et de notre envergure nationale, les deux entreprises seront alors en mesure par l'entremise de ces contrats d'avancer rapidement, de pénétrer les premières le marché, de montrer au monde qu'elles savent comment procéder. Le monde viendra alors cogner à notre porte. Elles devront exceller, mais elles sont placées pour être aussi bonnes sinon meilleures que n'importe qui dans le monde, si nous maintenons le cap et créons les conditions qui permettront de constituer la clientèle dont elles ont besoin pour vraiment fonctionner.
Le sénateur Johnson: Je voulais poursuivre là-dessus. Comment vous tenez-vous au fait des changements technologiques effarants, même dans les deux dernières années depuis que vous avez obtenu votre licence? Je sais que vous en avez parlé brièvement. Ces changements ont-ils eu des répercussions sur votre marché?
M. Bell: Ceux qui se sont produits?
Le sénateur Johnson: Oui, juste depuis que vous avez obtenu votre licence.
M. Bell: Premièrement, il s'agit d'embaucher une équipe d'ingénieurs qui surveillent à votre place afin de vous permettre d'être de votre temps et il s'agit d'une cible mobile. Il y a un an, je n'avais aucun doute dans mon esprit: il allait nous falloir bâtir deux réseaux parallèles, un réseau pour les services vocaux et un autre pour les données. Nous savions que, à long terme, un réseau physique unique desservirait les deux. Compte tenu des progrès réalisés en ce qui a trait aux services vocaux sur les réseaux de données comme tels, nous ne serons pas en mesure de dire, probablement avant neuf à douze mois, qui a besoin d'un réseau téléphonique distinct. J'offrirai des services vocaux, vidéos et de distribution de données sur le réseau de données. C'est plus efficace et cela coûte moins cher pour un réseau. Cela permet d'utiliser plus efficacement la bande passante et de reproduire, et je n'ai pas à reproduire. Je n'ai pas à construire des autocommutateurs de classe 5. J'épargnerais des millions de dollars. Si je veux offrir des services demain, je ne peux faire cela. Si je veux offrir des services d'une aussi grande qualité que les compagnies de téléphones, parce qu'elles offrent de bons services, je dois faire un investissement parallèle. Si je crois que je disposerai de la technologie d'ici neuf à 12 mois, je peux épargner des millions de dollars et ne faire qu'un seul investissement. Il me suffit simplement de surveiller les choses de près et de ne pas essayer de dépenser sur du matériel qui deviendra rapidement un boulet. Les choses vont très vite et nous sommes tous aux prises avec le même problème: une technologie qui devient désuète très rapidement.
[Français]
Le sénateur Bacon: Les systèmes de télécommunications «multipoint» locaux (STML) pourraient peut-être avoir de très intéressantes applications dans des pays où les infrastructures téléphoniques ou de câblodistribution sont peu développées. Avez-vous envisagé des associations avec des firmes canadiennes qui seraient impliquées dans des projets de développement pour exploiter les STML?
M. Bell: Ce n'est ni pour le marché canadien, ni pour le marché nord-américain que six des plus importants manufacturiers au monde dans les télécommunications ont fait un investissement énorme pour la protection des systèmes, des équipements pour les STML. C'est plutôt à cause des pays sous-développés, par exemple, le Mexique, où les systèmes cellulaires sont utilisés pour des communications d'un bureau à un autre car les lignes ne fonctionnent pas. Il y a là d'énormes avantages: c'est plus rapide et l'investissement y est moindre. Il y a une limitation à cause du fait que les dépenses sont moins élevées aussi. Cela ne supporte pas le niveau d'investissement dans les systèmes de télécommunications en Amérique du Nord ou en Europe. Les gens de l'industrie ont l'impression que les avantages les plus importants pour les SMTL se situent dans des pays hors de l'Amérique du Nord.
Tous les manufacturiers ont l'intention de commencer dans nos marchés où il est plus facile pour eux de développer et de modifier leurs systèmes ainsi que de perfectionner leur réseau avant d'aller au Mexique ou ailleurs. Plusieurs sociétés pensent à l'effort international. Si nous réussissons à établir notre réseau au Canada, nous travaillerons avec les fournisseurs d'équipements qui seront employés ici même en leur offrant de participer au développement à l'extérieur du Canada. C'est là que se trouvent les marchés importants pour cette technologie. Au Canada, nous utiliserons cette technologie pour stimuler la concurrence et pour offrir des services qui ne pourraient être offerts sur une ligne de cuivre.
À l'extérieur, nous emploierons cette technologie pour les services de base et pour les sociétés internationales, et cetera. Nous supporterons les capacités de communications de pays comme l'Inde et le Mexique afin qu'ils puissent communiquer avec leurs sièges sociaux. C'est ainsi que le tout évoluera. C'est une occasion très importante pour le Canada, mais il faut progresser rapidement. Il faut réussir ici même au début afin d'utiliser ce succès comme préliminaire aux exportations.
Le sénateur Bacon: En 1996, vous avez annoncé des investissements aux HEC à Montréal et à l'Université de Toronto pour l'élaboration de laboratoires de télécommunications. Est-ce que ces laboratoires fonctionnent actuellement? Est-ce que vous participez toujours à ces activités?
M. Bell: Non, nous avons l'intention de le faire. Ces laboratoires n'ont pas fonctionné à ce jour à cause du manque d'équipements nécessaires. Dès notre déploiement, nous avons commencé nos activités à Ottawa. Nous avons trois cellules qui fonctionnent pour effectuer les tests. Nous utilisons des équipements préliminaires. Il ne s'agit pas d'équipements pour le déploiement national. Nous anticipons, vers les mois de juillet ou août, que nous aurons les équipements nécessaires pour un déploiement national. Vers la fin de l'année, nous commencerons à Montréal. Nous poursuivons l'idée d'un laboratoire qui peut être basé sur notre réseau.
La présidente: Il est déjà 17 h 45. Nous devons malheureusement mettre fin à notre rencontre. Nous avons écouté votre présentation avec un très grand intérêt. Si nos recherchistes ont des questions additionnelles, pourraient-ils communiquer avec vous?
M. Bell: Sans doute, madame la présidente, j'ai aussi quelques copies des études que j'ai mentionnées ainsi que les commentaires que j'ai faits à ce sujet.
La présidente: L'étude que vous avez soumise ce printemps fait maintenant partie de votre présentation d'aujourd'hui d'une façon officielle; ce n'est plus seulement à titre d'étude préliminaire.
[Traduction]
La présidente: Nous allons maintenant tenir une courte séance pour examiner nos futurs travaux.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.