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Sous-comité des communications

 

Délibérations du sous-comité des
Communications

Fascicule 8 - Témoignages du 7 octobre 1998


OTTAWA, le mercredi 7 octobre 1998

Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 15 h 35 afin d'examiner la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications en général, et notamment étudier l'importance des communications au Canada sur les plans économique, social et culturel.

Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente: Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Je pense que, vous vouliez nous parler de notre identité canadienne dans l'explosion des communications que nous connaissons. Il paraît que nous ne sommes pas les seuls qui démontrons beaucoup d'intérêt dans cette question : en effet, les auditions du CRTC se poursuivent depuis quelques jours. Je vous invite à faire votre présentation et ensuite j'aurai des questions à vous poser.

M. Richard Stursberg, président, Association canadienne de la télévision par câble: C'est un plaisir d'être ici avec vous cet après-midi. J'ai quelques remarques concernant l'avenir de la culture canadienne et Internet, mais si vous êtes d'accord, je propose de les faire en anglais. Les problèmes culturels dans l'avenir de la communauté anglophone au Canada sont plus graves en raison de la proximité des États-Unis. Au Québec, ils sont différents à cause de la barrière linguistique. Pour les anglophones, des pressions plus profondes sont exercées de la part de nos voisins du sud. Pour ces raisons, je parlerai presque uniquement de la situation anglophone. Si vous y tenez, je parlerai aussi de la situation de la culture francophone.

[Traduction]

J'aimerais aujourd'hui parler un peu du réseau Internet. Tout le monde, y compris ce comité je présume, en a déjà entendu plus qu'assez sur l'Internet, mais j'aimerais aborder le sujet d'un point de vue différent, c'est-à-dire du point de vue de son impact sur la vie culturelle du Canada et sur l'avenir des médias électroniques canadiens.

Comme l'a déjà dit Bill Gates à propos d'Internet, à court terme, nous avons surestimé son impact mais, à long terme, nous l'avons gravement sous-estimé.

Au cours des 30 dernières années, le Canada a constitué un ensemble phénoménal d'aménagements pour la création et la diffusion des données électroniques du Canada. Par l'intermédiaire des politiques du CRTC et du gouvernement canadien, nous avons déployé tous les efforts possibles pour que les Canadiens puissent se voir et s'entendre sur les réseaux radiophoniques et télévisuels appartenant à des Canadiens, contrôlés et administrés par des Canadiens, au nom des Canadiens.

Le gouvernement a insisté pour que les télédiffuseurs canadiens consacrent un nombre d'heures et des sommes minimums à la création d'une programmation canadienne. On a également insisté pour que l'industrie de la câblodistribution soutienne le développement des services télévisés canadiens en les offrant d'une manière qui les rende les plus facilement accessibles aux Canadiens.

Ces efforts ont eu des résultats plutôt extraordinaires. Au Canada anglais, les chaînes de télévision sont passées, dans les années 60, de deux, soit CBC et CTV, à un grand nombre de chaînes de télévision classique, ainsi qu'à presque 40 services par câble, comme YTV, le réseau des sports et le réseau des films en 1998. Nous disposons donc d'une plus grande variété de services que n'importe où au monde, en dehors des États-Unis.

Simultanément, nous avons consacré d'importantes sommes au développement des productions canadiennes. J'ai d'ailleurs l'honneur d'être le président du Fonds canadien de télévision, qui investit chaque année environ 200 millions de dollars pour soutenir la création de productions télévisées en français et en anglais au pays. Le Canada est maintenant le deuxième plus important producteur de télévision au monde, encore une fois après les États-Unis. C'est une réalisation remarquable car, après tout, le Canada anglais n'est pas très grand, à l'échelle mondiale.

Dans ses efforts pour réglementer et développer cette industrie, le gouvernement a adopté deux types de règles. Le premier est axé sur la création de mesures de soutien direct. Il comprend par exemple les subventions versées à la CBC et la création du Fonds canadien de télévision dont je viens de parler qui, avec ses investissements de 200 millions de dollars par année, est de loin le plus important financier de la production télévisée.

Le deuxième est axé davantage sur des règles que j'appellerais de type limitatif et vise à contrôler le comportement des télédiffuseurs et de l'industrie du câble. Les règles sur le contenu canadien, qui obligent les télédiffuseurs à offrir un certain pourcentage de programmation canadienne à des heures particulières de la journée, sont les plus connues. D'autres règles comportent des exigences, à l'opposé des premières, imposées à l'industrie de la câblodistribution pour qu'elle offre tous les services de programmation faisant l'objet d'une licence accordée par le CRTC, et pour lui interdire d'offrir les programmes américains, à moins qu'ils ne figurent sur la liste autorisée par le CRTC.

Au départ, ces règles limitatives tentent de maintenir un marché canadien de la télédiffusion, sur le plan géographique. Elles cherchent, dans la plus grande mesure du possible, à renforcer les frontières canadiennes afin d'éviter que l'industrie de la télédiffusion canadienne ne soit submergée par la libéralisation des forces économiques nord-américaines. Elles ont été couronnées de succès et nous ont permis de créer l'une des cultures médiatiques parmi les plus fortes et les plus dynamiques au monde.

Et voilà qu'apparaît le réseau Internet, qui vient renverser le modèle conventionnel de télédiffusion, en même temps que les règles que nous avons utilisées traditionnellement pour soutenir le contenu canadien. Il vient bouleverser l'industrie de la télédiffusion de façon importante à divers égards.

Premièrement, l'industrie de la télédiffusion représente un médium de masse. Comme son nom l'indique, notre industrie diffuse. Le réseau Internet, par contre, ne diffuse pas. Les utilisateurs recherchent des renseignements particuliers, des sujets ou des jeux qui les intéressent. Le réseau Internet est le contraire d'un médium de masse, c'est un médium personnalisé.

Deuxièmement, l'industrie de la télédiffusion, parce qu'il s'agit d'un médium de masse, est assujettie à des horaires. Vous recevez les émissions de radio ou de télévision sur rendez-vous, en quelque sorte. Les émissions sont diffusées à des heures précises. Sur le réseau Internet les émissions sont disponibles à toute heure, puisqu'elles peuvent être sauvegardées dans des bases de données. Il n'y a pas de jour ou d'heure de diffusion. La programmation dépend de l'utilisateur.

Troisièmement, il est impossible de restreindre géographiquement le réseau Internet. Il circule dans des réseaux de données transparents qui se reconstruisent eux-mêmes, de façon illimitée, selon de nouvelles configurations. Il se retrouve simultanément partout et nulle part à la fois. Là encore, il s'agit de l'opposé de la télédiffusion, qui est établie dans des villes, des provinces et des pays bien particuliers.

Pour bien comprendre ces différences, il est utile d'observer les retombées que le réseau Internet a déjà sur la radio. Tous les soirs, CBC termine son émission World at Six en soulignant que l'émission est distribuée non seulement sur les ondes radio, mais dans le monde entier sur Internet. Ça veut dire que, peu importe où vous êtes sur la terre, en visitant le site www.radio.cbc.ca, vous pouvez écouter l'émission World at Six en temps réel, en même temps que tout le monde au Canada. De la même façon, les postes de radio américains et étrangers peuvent être écoutés sur Internet.

Quelles sont les conséquences de tout ça? De toute évidence, ça remet en question le sens de la réglementation du gouvernement canadien en matière de droit de propriété et d'octroi de licences. Si un poste de radio américain ou britannique peut être reçu au Canada grâce au réseau Internet, sans avoir obtenu aucun permis que quelque nature que ce soit, alors à quoi sert-il d'avoir un permis? Mais ça peut devenir encore plus compliqué.

Un certain nombre de services offrant de la musique ont fait leur apparition sur Internet, et si vous voulez les voir, il vous suffit de visiter le site www.spinner.com. Il y a des chaînes de musique de divers formats qui sont offertes en temps réel et qui diffusent de la publicité. Étant donné que le site www.spinner.com est un service en direct situé aux États-Unis, au même titre que les postes de radio américaines classiques que l'on peut écouter à la radio, il n'est assujetti à aucune règle régissant le contenu canadien. Il n'a aucune obligation de faire écouter un certain pourcentage de Stompin' Tom Connors ou de Great Big Sea ou de Leonard Cohen, et pourtant ces services commencent à concurrencer les services canadiens qui doivent respecter les règles canadiennes, plus rigoureuses depuis quelques temps, sur le contenu des émissions radiophoniques.

Mais chose encore plus étrange, certains de ces services qui font leur apparition fonctionnent comme d'immenses juke-box. Vous pouvez les trouver sur l'Internet et choisir la pièce ou l'auteur que vous voulez entendre. Dans plupart des cas, il n'y a rien à payer puisque ces services servent principalement à faire la promotion de CD. Mais ils soulèvent également certaines questions déroutantes. À quoi servent donc les règles régissant le contenu, que ce soit canadien ou autre, si le public peut choisir les pièces qu'il veut entendre?

Certains diront que ce genre d'analyse relève à tout le moins de la spéculation, étant donné que le réseau Internet est encore un média lent, plein de failles et, bien qu'il puisse diffuser des émissions de radio ou des documents, il n'a rien à voir avec la télévision ou avec le cinéma. C'est le cas maintenant, mais ce n'est qu'une question de temps avant que tous les médias puissent être diffusés sur le Net. Au moment où je vous parle, l'industrie de la câblodistribution consacre une petite fortune dans le déploiement de modems à grande vitesse, de serveurs et de réseaux nationaux qui augmenteront considérablement le rendement du réseau Internet en Amérique du Nord. Nous pouvons déjà y transmettre des images télévisuelles simples et nous pourrons bientôt transmettre des images mobiles très avancées et de grande qualité.

De plus, l'accès à Internet ne sera plus restreint aux ordinateurs. Grâce aux efforts de R-D de l'industrie du câble, concentrés principalement à CableLabs, les plus grands fabricants de matériel électronique et les plus grandes compagnies de logiciels au monde s'empressent d'offrir des adaptateurs évolués qui permettront aux postes de télévision de capter non seulement un plus grand nombre de chaînes, mais également d'avoir accès à Internet. Toutes les entreprises -- Microsoft, General Instruments, Scientific Atlanta, The Thompson Corporation, Sony, et cetera -- consacrent leurs recherches et leurs budgets à la réalisation de cette technologie le plus tôt possible, et nous croyons que la première génération de ces adaptateurs sera sur le marché l'an prochain.

Lorsque ça se produira, les défis en matière de réglementation de la radio, qu'on commence à percevoir aujourd'hui, se poseront également pour la télévision. Le premier secteur où l'on devra probablement faire face à cette question est celui des chaînes qui présentent des films, puisqu'on prévoit que ces nouveaux adaptateurs permettront principalement la diffusion de vidéos sur demande, ou VSD. Il s'agit d'un service grâce auquel les films sont mémorisés dans d'énormes serveurs ou banques de données. Les clients peuvent les acheter un à la fois, quand ils veulent. Par exemple, si je veux voir le dernier film de Denys Arcand ou d'Atom Egoyan, je pourrai le commander sur mon appareil de télévision sans avoir à me rendre au club vidéo, et je l'obtiendrai dans un format qui me permettra d'utiliser les fonctions de pause, de retour et d'avance rapide à ma guise, tout comme s'il s'agissait d'une cassette vidéo.

La VSD présente des défis de taille relativement aux démarches canadiennes conventionnelles. Au même titre que le juke-box en direct, son équivalent sur le plan de la vidéo soulève la question des quotas relatifs au contenu canadien dans un contexte de base de données. Au mieux nous pourrons peut-être convaincre les fournisseurs canadiens de VSD de ne garder que des titres canadiens dans leurs bases de données, mais ça ne garantirait pas qu'ils seraient visionnés. En outre, il serait impossible de convaincre les fournisseurs américains de VSD d'offrir des films canadiens, et il serait extrêmement difficile d'empêcher les consommateurs canadiens d'acheter des produits non canadiens alors qu'ils n'ont qu'à cliquer sur leur souris pour les obtenir.

De façon plus générale, l'émergence d'un réseau Internet à grande vitesse annonce le développement d'une toute nouvelle gamme de produits culturels: jeux vidéo en direct, émissions littéraires et de divertissement multimédia évoluées, documents éducatifs interactifs en direct, manuels et logiciels scolaires très évolués sur base de données Internet. Sur le plan culturel, ces produits seront aussi importants que la télévision ou la radio mais, comme la VSD et les nouveaux services de diffusion de musique, il sera très difficile, sinon impossible, d'avoir recours aux stratégies de réglementation limitatives conventionnelles pour appuyer le respect d'un contenu canadien dans ces nouveaux produits. Ils seront diffusés sur Internet, sans aucun égard aux frontières géographiques du Canada ou à nos préoccupations relatives au contenu canadien.

Le réseau Internet restreint considérablement le recours qu'on peut avoir à toutes les formes de réglementation limitative. Il nuit non seulement à l'établissement de quotas sur le contenu canadien, mais aussi à l'établissement des listes américaines de services autorisés et, ce faisant, à l'ensemble du processus d'établissement de niveaux et de liaisons ainsi qu'à la gestion en général des importations de produits américains.

Par conséquent, lorsqu'on parle de l'avenir du contenu canadien dans la perspective du réseau Internet, il est important de reconnaître que la seule voie viable consistera à prévoir des mesures accessoires. Bien que nous ayons déjà effectué une partie du travail dans le passé grâce à des éléments comme les subventions versées à CBC et au Fonds canadien de télévision, nous devrions peut-être commencer à penser de façon plus pratique à structurer les industries des médias électroniques au Canada, et aux répercussions économiques que cette structure aura sur l'élaboration et la distribution des nouveaux contenus. Nous devrons nous concentrer moins sur la présentation du contenu américain que sur le fait que nos industries doivent être en mesure de produire un contenu suffisamment intéressant et économique pour que les Canadiens choisissent d'y accéder, au moyen de leurs postes de télévision et de leurs ordinateurs reliés au réseau Internet.

À ce chapitre, il est intéressant de réfléchir à la manière dont les grandes compagnies médiatiques américaines se réorganisent pour relever les nouveaux défis qui les attendent. On voit se profiler une tendance accrue à la consolidation et à l'intégration. Les grands producteurs d'émissions, comme Disney, s'intéressent de plus en plus à la télédiffusion, avec l'achat de ABC. Les télédiffuseurs comme Fox, propriété de Rupert Murdoch, font partie du même groupe que ces services par satellites. Les grands câblodistributeurs comme Time Warner et TCI sont fortement engagés dans les services de programmation d'émissions télévisées spécialisés et dans l'achat de studios. Les télédiffuseurs comme NBC s'associent avec des entreprises comme Microsoft, dans MSNBC. Toutes ces entreprises s'intéressent de plus en plus à des activités s'appuyant sur un contenu tiré du réseau Internet.

Deux grandes tendances se dégagent de ces efforts. D'abord, les grandes compagnies médiatiques intègrent de plus en plus la production du contenu à leur distribution. Les grands télédiffuseurs et les studios de production appartiennent maintenant en copropriété aux entreprises de distribution par câble, par satellite et par Internet. Elles procèdent ainsi à la fois pour réduire les risques associés au lancement de nouveaux produits et pour s'assurer que les créateurs de contenu comprennent bien les nouvelles architectures de distribution au sein desquelles ils doivent travailler.

Deuxièmement, les entreprises médiatiques font l'objet d'une intégration verticale afin que les boîtes à contenus multiples soient regroupées sous un même toit. Un groupe important comme Time Warner possède des maisons d'édition, des revues, des studios de production télévisuelle, des studios cinématographiques et un serveur Internet de création de contenu sur le Web, qui s'appelle RoadRunner. Cette intégration verticale permet de maximiser la valeur d'une propriété intellectuelle en redéfinissant son objet en fonction de tous les créneaux et les médias disponibles. Un livre peut faire l'objet d'un film et d'une émission de télévision, le tout étant appuyé par des sites Web en propriété exclusive.

Les grandes entreprises médiatiques américaines espèrent que ces entités consolidées leur permettront d'obtenir une plus grande efficacité et de mieux gérer les risques reliés à la création du contenu dans des cadres d'utilisation sur Internet.

Tout ça est particulièrement risqué. Pour l'instant, personne ne sait quel est le contenu sur Internet qui générera des revenus. Au Canada, nous n'avons pas encore été en mesure de constituer des entreprises médiatiques offrant le même niveau d'intégration que celles des États-Unis. C'est attribuable au fait que le politique canadienne a été conçue pour restreindre la création de conglomérats médiatiques. Les télédiffuseurs ne sont pas encouragés à acheter des studios de production, et les compagnies de câble sont dissuadées d'acheter des éléments d'actif dans le domaine de la télédiffusion.

Tout ceci a pour effet de désavantager sans cesse les entreprises médiatiques canadiennes par rapport à leurs concurrents américains. Non seulement nos entreprises sont-elles plus petites, on les empêche en plus d'obtenir la même synergie ou de suivre les mêmes règles économiques que leurs voisins du sud.

Je ne prétends pas que nous devrions renoncer à imposer toutes les limites sur la propriété mixte des médias. Il est bien entendu que nous devons continuer à appliquer des règles pour éviter les opérations d'initiés et pour favoriser la diversité. Ces règles sont essentielles pour préserver un bassin d'idées dynamiques et pour étayer notre démocratie.

Nous devons plutôt nous efforcer de trouver des façons d'éliminer les aspects coercitifs qui existent actuellement relativement à la création d'entreprises médiatiques canadiennes. Si nous ne le faisons pas, nous nous retrouverons avec des entreprises qu'on force à être plus faibles que nécessaire, et qui sont moins bien équipées pour relever les défis que présente la création d'un contenu canadien dans le contexte du réseau Internet.

Si tout cela semble un peu pessimiste, je m'en excuse car ce n'est le but de mon propos. Lorsque nous nous tournons vers l'avenir, nous ne devons pas oublier que nous avons déjà affronté des défis semblables dans le passé et que nous amorçons cette nouvelle ère avec le concours d'entreprises fortes et enthousiastes déterminées à faire entendre haut et fort la voix du Canada. Notre pays est en excellente position. Nous pouvons réaliser de grandes choses, mais nous devons prendre conscience que l'avenir exigera l'adoption de solutions différentes de celles du passé.

Ces solutions nécessitent davantage d'ouverture d'esprit et d'audace. Le fait que la réglementation limitative ne représente plus une solution ne devrait pas nous décourager. Il existe d'autres façons d'aborder ces défis. Plus particulièrement, nous devons créer les compagnies qui seront en mesure d'assurer une concurrence efficace dans l'avenir. Nous devons avoir confiance en nos propres compétences, en notre capacité de gérer les nouvelles technologies et au désir sans cesse croissant des Canadiens de voir et d'entendre des voix qui leur sont propres.

Je suis, en ce qui me concerne, très optimiste quant à notre capacité de mettre à profit l'Internet pour réaliser nos objectifs et nos ambitions. Jusqu'à présent, nous avons toujours réussi à nous servir des nouvelles technologies pour faire prospérer notre pays et nous tailler une place de choix à l'échelle internationale. En fait, le dynamisme de notre industrie des communications est reconnu partout dans le monde. C'est pourquoi je suis persuadé que notre réussite à ce chapitre est assurée.

La présidente: Votre exposé est des plus pertinents puisque notre sous-comité s'efforce de définir les mesures que pourrait prendre notre pays pour conserver son avance technologique à l'approche de l'an 2000. Votre analyse est des plus utiles.

Nous savons que vous représentez des câblodiffuseurs du Canada qui constituent la plus grande industrie culturelle détenue et contrôlée par des Canadiens au Canada. Il y a environ 200 câblodiffuseurs au Canada, dont les neuf plus grands servent plus de 85 p. 100 de tous les abonnés. Les quatre premiers sont Rogers Cable TV, avec 29 p. 100 de la clientèle, Vidéotron qui en a 20,2 p. 100, Shaw, 18,5 p. 100 et Cogeco, 9 p. 100. Ce sont là les chiffres du moment qui peuvent changer n'importe quand.

Aux États-Unis, la Commission fédérale des communications examine s'il convient que les câblodiffuseurs offrent sans discrimination l'accès à leurs services aux fournisseurs Internet. Les compagnies de téléphone le font déjà. Pensez-vous que les câblodistributeurs devraient être soumis aux mêmes règles?

M. Stursberg: La Commission a déjà ordonné aux câblodistributeurs d'offrir l'accès à leurs services aux fournisseurs Internet. Deux problèmes se posent. Le premier est d'ordre technique. Techniquement, nous ne pouvons leur offrir cet accès pour l'instant. Nous collaborons étroitement avec Cisco en vue de créer des routeurs qui nous permettront de le faire, et nous travaillons également avec les fournisseurs Internet en vue de mener des essais techniques.

La deuxième question est la suivante: comment allons-nous nous y prendre? Nous leur avons déjà proposé une formule qui, une fois les problèmes techniques réglés, leur permettra d'avoir accès à ces services. Nous leur avons garanti l'accès au réseau, et nous leur avons dit que nous allions facturer le client pour les services locaux d'accès, et qu'ils le factureraient pour les services d'accès sur longue distance. Ils ont refusé. Ils veulent facturer le client pour tous les services, y compris le transport local, que nous assurons.

En fait, le client serait branché à Internet via les installations en câble et ce que nous appelons la tête de ligne, qui est la partie centrale du réseau. Les fournisseurs Internet factureraient le client pour les services locaux d'accès et pour tout autre service qu'ils fourniraient. C'est ce qu'ils veulent faire. Ils ne veulent pas qu'on envoie une facture au client pour les services que nous lui offrons. Nous leur avons dit que nous étions prêts à envisager cette option.

Nos discussions avec les fournisseurs Internet se poursuivent. En fait, je dois les rencontrer de nouveau la semaine prochaine pour discuter plus à fond de la question.

Le Canada a fait plus de progrès dans ce domaine que les États-Unis. Nous nous sommes déjà engagés à offrir aux fournisseurs Internet l'accès à nos services. Nous collaborons déjà avec eux sur le plan technique. Nous sommes en train d'examiner ces deux modèles distincts en vue de choisir le meilleur. Nous devrons ensuite nous entendre sur le prix.

Nous avons déjà accepté de faire tout cela et nous négocions avec eux depuis quelque temps déjà.

La présidente: Quelle part de vos revenus prévoyez-vous tirer, en dollars et en pourcentage, de l'accès à Internet au cours des cinq, dix, quinze prochaines années?

M. Stursberg: C'est difficile à dire. Comme les gens se sont empressés de se munir d'un modem câblé à grande vitesse pour avoir accès à Internet, je dirais que la réaction dans les régions où nous avons été en mesure d'offrir ce service a été très bonne. Les gens aiment bien s'en servir parce qu'ils sont rapides et restent toujours allumés, de sorte que vous n'êtes pas obligé de composer un numéro pour avoir accès à Internet.

Il y a deux facteurs qui vont en favoriser encore davantage l'utilisation. Le problème avec Internet, c'est que, même si vous avez un modem câblé à très grande vitesse, une fois que vous avez accès à Internet, la connexion se fait de façon très lente. Soudainement, tout s'arrête. L'information vous arrive au compte-gouttes.

La solution à ce problème, c'est de construire un réseau Internet parallèle et de l'insérer dans de grands serveurs, qui sont des bases de données énormes. Nous allons mettre en cache dans les grands serveurs les sites Web les plus populaires. Nous allons décider quels sont les sites les plus populaires en nous fondant sur ceux que les gens consultent le plus souvent.

Par exemple, si nous constations que les gens s'intéressent beaucoup au site Web du Sénat, nous l'inclurions dans notre serveur en vue de le reproduire. Sinon, nous le mettrions en cache, ce qui veut dire que, tous les soirs, nous prendrions tous les renseignements que contient le site Web du Sénat et les stockerions dans notre propre serveur.

La demande du client est transmise rapidement par câble jusqu'à la tête de ligne -- le centre de commutation du réseau de l'industrie de la câblodistribution -- pour ensuite être acheminée au réseau Internet parallèle à grande vitesse, au serveur, qui va fournir les renseignements applicables et ensuite les retransmettre à l'usager. Elle ne quitte jamais l'infrastructure à grande vitesse. Vous pouvez tout à coup faire des opérations qui étaient auparavant impossibles.

Nous sommes en train d'installer ce type d'architecture parallèle sur les réseaux de câblodistribution. Le système fonctionne déjà. Il s'appelle @Home.

Par ailleurs, nous avons mis au point des adaptateurs évolués, que l'on installe sur le poste de télévision, et qui sont munis d'un modem encastré, de sorte que l'écran de télévision ressemblera à celui d'un ordinateur. Vous allez pouvoir avoir accès au réseau Internet à grande vitesse par l'entremise de ces réseaux nationaux et de ces infrastructures, que ce soit via votre poste de télévision ou votre ordinateur. Vous pourrez soudainement faire toutes sortes d'opérations -- grâce au système à grande vitesse installé sur votre poste de télévision -- que vous ne pouviez effectuer auparavant.

Actuellement, environ 30 p. 100 des foyers possèdent un ordinateur, et 99 p. 100 possèdent un poste de télévision. Donc, la vaste majorité des gens qui, autrement, n'auraient jamais accès à Internet pour des raisons techniques seront soudainement initiés au monde Internet. Ces deux facteurs vont grandement contribuer à faire augmenter nos chiffres.

Diverses institutions financières se sont intéressées à la question. Nous n'avons pas essayé nous-mêmes d'effectuer des projections. La Toronto Dominion Securities a effectué de nombreuses recherches. Elle a établi des projections étonnantes. D'après elle, entre 30 et 50 p. 100 des foyers auront accès, via le câble, au réseau Internet à grande vitesse au cours des 10 prochaines années.

La présidente: Environ 70 p. 100 des foyers sont branchés sur le câble, n'est-ce pas?

M. Stursberg: La situation entre les marchés de langue anglaise et de langue française est légèrement différente. Dans le cas du marché de langue anglaise, le pourcentage est un peu plus élevé, soit presque 80 p. 100. Dans le cas du marché de langue française, il est d'environ 66 p. 100. La moyenne est d'environ 75 p. 100 à l'échelle nationale.

Le consommateur moyen dépense aujourd'hui environ 25 $ par mois pour le câble. Ces services-ci coûtent 40 $ par mois. Si le taux de pénétration se situe entre 30 et 50 p. 100, l'accès à Internet représentera une part énorme des revenus au cours des années à venir.

Le réseau Internet servira également de plate-forme aux câblodistributeurs en ce sens qu'il leur permettra d'offrir toute une gamme de services de télécommunications, que ce soit dans les domaines de la téléphonie, de la vidéoconférence, du courrier vidéo ou autres. L'industrie aura l'occasion de se lancer dans ce genre d'activités.

Je vous fournirai avec plaisir les données de la Toronto Dominion Securities.

La présidente: Merci. Nous aimerions en voir quelques-unes.

Selon certains, la télévision devrait être accessible sur Internet, peut-être à partir d'un imposant menu d'émissions, plutôt que sous la forme actuelle des chaînes. Croyez-vous que cela sera le cas? Si oui, dans combien de temps? L'accès à la télévision sur Internet empêchera-t-il le CRTC ou tout autre organisme d'en réglementer le contenu au Canada?

À votre avis, que nous réserve l'avenir?

M. Stursberg: L'impact se fera sentir sur certains types d'émissions, vraisemblablement sur les films en premier lieu. La première application importante sera la diffusion de vidéos sur demande.

Quand un studio réalise un film, il le diffuse par l'entremise de ce que nous appelons des «fenêtres». Actuellement, les cinémas constituent la première fenêtre; les magasins vidéo, la deuxième; la télévision payante par émission, la troisième; la télévision générale, la quatrième; la souscription, la cinquième. Il faudra remanier ces fenêtres si l'on veut que le système VSD soit efficace.

L'important pour le service vidéo sur demande, c'est qu'il puisse avoir accès à la même fenêtre, ou à peu près la même fenêtre, que les magasins vidéo. Si cela se produit, ce sera formidable. Personne ne se rendra plus dans les magasins vidéo. Si vous pouvez rester à la maison et visionner un film particulier quand vous le voulez, pourquoi se donner la peine de rembobiner le film, de le faire défiler rapidement, ainsi de suite?

Or, cela dépendra beaucoup des négociations qui auront lieu avec les distributeurs, et des pressions qu'exerceront les magasins vidéo. Je ne sais pas ce qui va se produire. Le service vidéo sur demande finira inévitablement par s'implanter au fil des ans, et les magasins vidéo seront considérés comme une technologie dépassée. Ce service finira inévitablement par s'implanter, et nous aurons accès, à la longue, à cette fenêtre.

Je ne sais pas dans combien de temps cela va se produire. Il sera difficile pour le CRTC de réglementer le service vidéo sur demande -- un service qui aura un impact important sur les films canadiens.

Au cours des dernières années, les chaînes spécialisées sont devenues de plus en plus populaires auprès de l'auditoire. Je présume que cette tendance va se poursuivre. Les radiodiffuseurs généraux -- SRC, CTV, Global, entre autres -- ont vu leur cote d'écoute diminuer sensiblement en dix ans.

Je remarque aujourd'hui que les réseaux ABC, CBS et NBC ont tous annoncé des réductions importantes de leurs effectifs, réductions attribuables au fait qu'ils se rendent compte eux aussi que la télévision générale a de la difficulté à maintenir ses cotes d'écoute, et donc ses revenus.

Je présume que la tendance va se poursuivre. Quand cela va-t-il se produire, je ne le sais pas. À mon avis, il faudra un certain temps avant que la télévision soit accessible sur Internet.

En ce qui concerne les heures d'écoute que les enfants consacrent à la télévision, elles semblent connaître une baisse importante puisque les enfants délaissent l'écran de télévision au profit de l'ordinateur. Ils consacrent beaucoup de temps à l'Internet.

La présidente: Est-ce que cela va avoir un impact sur les émissions de nouvelles et d'actualité?

M. Stursberg: Oui, je le pense.

La présidente: Quel genre d'impact?

M. Stursberg: Je n'ai aucune donnée là-dessus.

Permettez-moi toutefois de vous raconter une petite histoire. J'ai un fils de 18 ans qui prépare un rapport sur la destruction du Congo. Nous étions en train d'effectuer des recherches sur Internet. Tout le centre-sud de l'Afrique est en guerre -- les troupes de l'Angola, de la Namibie, du Zimbabwe ont envahi -- le Rwanda et l'Ouganda dans le Nord. Les médias canadiens n'en parlent même pas. Je trouve étonnant qu'il y ait un conflit majeur qui soit en train de se dérouler dans une région importante du monde et que les médias canadiens n'en fassent aucunement état. Vous pouvez suivre tous les détails du conflit sur Internet, par l'entremise des journaux locaux -- les mouvements de troupes, ainsi de suite. Vous pouvez avoir accès à tous ces renseignements. Je ne vois pas comment cela ne pourrait pas avoir un impact sur la couverture de l'actualité.

La présidente: Êtes-vous en faveur de l'intégration verticale de la diffusion et de la production de contenu?

M. Stursberg: Oui, nous sommes nettement en faveur de cela.

La présidente: Êtes-vous d'accord que des garanties s'imposent pour empêcher les câblodiffuseurs d'offrir un accès préférentiel aux chaînes dont ils sont propriétaires?

M. Stursberg: Oui.

La présidente: Lesquelles?

M. Stursberg: Cela dépend s'il s'agit de canaux analogiques ou numériques. Il y a actuellement toute une série de garanties en place. Il s'agit des règles d'accès. Je serais étonné -- sauf en ce qui concerne le marché francophone -- que le CRTC octroie des licences à d'autres canaux transmis par voie analogique.

La technologie numérique, elle, présente une problématique très différente. Supposons que nous avons un groupe de 6 000 ou 7 000 abonnés. Il est difficile de convaincre les réseaux de télévision d'offrir des canaux numériques à ces abonnés, parce qu'ils soutiennent que ces chiffres ne sont pas suffisamment élevés pour assurer le maintien du service. Donc, s'ils ne lancent pas le service, personne n'achètera des adaptateurs numériques pour les installer sur leur poste de télévision, ou personne n'en louera des câblodistributeurs parce qu'il n'y a rien à visionner. C'est comme l'histoire de la poule et de l'oeuf.

Par ailleurs, dans le passé, nous avions beaucoup de services, mais pas la capacité voulue pour les offrir. Il y a maintenant beaucoup de personnes qui frappent à la porte des câblodistributeurs, et nous n'avons pas la capacité voulue pour les desservir.

Avec la technologie numérique, c'est l'inverse qui se produira. Il y aura moins de services, mais une capacité énorme. Le problème sera de convaincre les entreprises d'offrir ces services. Nous allons cogner à leur porte, leur demander s'il vous plaît d'offrir ces services, parce que si elles ne le font pas, personne ne s'intéressera à la télévision numérique.

Donc, il n'y aura pas de problème côté capacité. Nous allons plutôt être à court de services. Il serait bon de laisser l'industrie de la câblodistribution acheter des services. Ce serait une façon de régler le problème. Nous sommes prêts à prendre le risque d'offrir ces services, et si nous sommes en mesure d'en offrir d'autres, alors il est dans l'intérêt de tous de le faire. La question des transactions intéressées et de l'accès prend une nouvelle dimension dans le monde numérique. Elle doit être analysée sous un angle différent.

La présidente: Les compagnies de câble et les autres diffuseurs versent 5 p. 100 de leurs revenus dans un fonds pour la production. Est-ce exact?

M. Stursberg: Oui.

La présidente: Les services Web devraient-ils aussi payer une taxe pour la création de contenu?

M. Stursberg: Je ne le sais pas encore. Nous allons vraisemblablement nous rendre compte que les services Web sont confrontés aux mêmes problèmes que la télévision traditionnelle pour ce qui est de la production de contenu canadien, le marché pour ce genre de production étant restreint. Je ne pourrais pas le confirmer, mais je ne serais pas étonné que les problèmes économiques soient plus ou moins les mêmes. Les coûts de création de contenu de grande qualité pour le site Web sont élevés, et ils continuent d'augmenter, tout comme les coûts de production d'émissions télévisées de qualité. Si nous ne pouvons compter que sur un petit groupe d'abonnés pour amortir ces coûts -- par exemple, un groupe d'abonnés canadiens puisque ce contenu est destiné à des Canadiens -- nous allons être confrontés aux mêmes problèmes que nous avons avec la télévision. Les Américains peuvent compter sur un plus grand nombre d'abonnés pour amortir leurs coûts élevés. Je serais étonné qu'on ne se rende pas compte que la création de contenu canadien pour les services Web pose le même genre de problèmes économiques.

Le CRTC est en train de tenir des audiences sur les nouveaux médias. Plusieurs demandes ont été faites. Il sera intéressant de voir ce que les gens ont à dire là-dessus.

Pour ce qui est de la question de savoir si les fournisseurs Internet devraient payer une taxe, je ne le sais pas. Quand vous leur imposez une taxe, vous agissez sur la demande. Nous sommes en présence de deux produits qui se font concurrence. Nous aimerions que les gens adoptent Internet très rapidement au Canada. Nous ne voulons pas qu'il y ait des obstacles qui nuisent à son utilisation. L'imposition d'une taxe agira sur la demande, puisqu'il sera plus difficile pour les gens à faible revenu d'avoir accès à Internet. Il faudra peut-être trouver un moyen d'encourager la création de contenu sur Internet, mais sans imposer de taxes. Une autre solution s'impose.

La présidente: Est-ce que nos attachés de recherche peuvent communiquer avec vous, si nous avons d'autres questions à vous poser?

M. Stursberg: Bien sûr.

Je vais vous envoyer une brochure qui décrit le fonctionnement des différentes architectures du nouveau réseau Internet -- l'accès aux postes de télévision et les réseaux nationaux parallèles.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Stursberg.

La séance et levée.


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