Délibérations du sous-comité des
Communications
Fascicule 8 - Témoignages du 21 octobre 1998
OTTAWA, le mercredi 21 octobre 1998
Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 15 h 35 pour étudier la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications en général, et notamment l'importance des communications au Canada sur les plans économique, social et culturel.
Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Je souhaite la bienvenue à nos témoins de l'Association canadienne des fournisseurs Internet. Vous avez la parole.
Mme Margo Langford, Politique relative à Internet, IBM Canada, et présidente, ACFI: Honorables sénateurs, je suis heureuse de vous présenter les collègues qui m'accompagnent. Ils comptent parmi les gens qui me plaisent et que j'estime le plus.
M. John Nemanic est l'un des entrepreneurs qui a connu le plus de succès dans ce secteur, ayant réussi à mettre à profit sa maîtrise en administration des affaires pour créer un service unique que l'on vous décrira aujourd'hui. Il possède et exploite une entreprise de logiciels de nouveaux médias ainsi qu'un service d'accès à Internet qui connaît un grand essor, Internet Direct. M. Tim Denton, son consultant et avocat, prendra la parole en son nom. M. Denton possède de l'expérience auprès du CRTC et du secteur des télécommunications.
M. Wayne MacLaurin a mis à profit son diplôme d'ingénieur et son expérience auprès de Nortel pour lancer à Ottawa une entreprise de service Internet qui est aujourd'hui le plus important serveur Internet dans la région de la capitale nationale.
Quant à mes antécédents à moi, ils sont un peu plus touche-à-tout, allant de la radiodiffusion à la politique, au droit commercial à une entreprise de divertissement, de sorte que je me suis retrouvée à iSTAR à titre de conseillère en matière d'Internet. Je me suis jointe à IBM cette année à la suite du rachat de iSTAR. Je suis présidente de l'ACFI depuis environ 18 mois, et jamais la vie n'a été aussi trépidante.
Je suis heureuse de vous remettre de la documentation avec mon mémoire. Il y a quelques mois, un collègue à moi chez IBM est venu témoigner devant votre comité, et, aujourd'hui, nous voulons mettre l'accent sur les nouveautés et l'actualité. Le réseau Internet ainsi que le monde dans lequel nous travaillons se transforment à vue d'oeil.
Nous sommes ici aujourd'hui pour vous parler des réseaux et d'Internet. C'est un service qui est à la disposition des gens jour et nuit, tous les jours de l'année. C'est un service où les mots d'ordre sont la concurrence et l'égalité des chances.
Nous permettons à des millions de gens des quatre coins de la planète de communiquer entre eux. Nous nous retrouvons tous aujourd'hui devant des transformations dynamiques -- raccourcissement des cycles, rivalités à l'égard de la main-d'oeuvre qualifiée, multiplication des intervenants, fusions, acquisitions et progrès rapides de la technologie. La croissance exponentielle des usages des réseaux à des fins commerciales provoque le décloisonnement total des marchés mondiaux, le démantèlement des obstacles au commerce, la disparition des contraintes temporelles et le raffinement de la notion de service à la clientèle.
Je vais essayer aujourd'hui de situer un peu tout cela et d'aborder trois sujets en particulier: la technologie et son évolution, le commerce et le réseau Internet et, enfin, les possibilités qui s'offrent aux Canadiens.
Commençons par la technologie de l'information, car aujourd'hui, tout passe par elle. Elle alimente la croissance économique; elle transforme nos méthodes de création de la richesse et de développement social; elle peut faire disparaître aussi bien des marchés traditionnels que les frontières géographiques; elle influence nos méthodes de travail, les décisions que nous prenons quant à la structure de nos entreprises, ainsi que notre façon d'aborder le marché.
La technologie qui se dessine déjà aujourd'hui dans nos laboratoires de recherche nous permet d'entrevoir les progrès technologiques rapides qui se produiront au cours du prochain siècle. La croissance sera fulgurante dans tous les domaines -- matériel, logiciel, télécommunication. Par exemple, l'efficacité des microprocesseurs ne cessera de grandir et les prix ne cesseront de diminuer. C'est ainsi que la puissance doublera tous les 18 mois et que les prix diminueront de la moitié tous les deux ans.
Pour vous aider à situer un peu tout cela, je vous signale qu'au milieu des années 70, la capacité des premiers superordinateurs était de 100 millions de calculs par seconde et leur coût s'élevait à environ un million de dollars. Aujourd'hui, l'ordinateur portable que l'étudiant trimbale dans son sac à dos est deux fois plus rapide que ces superordinateurs et coûte quelques milliers de dollars à peine.
Ce que l'on voit du côté des mémoires est tout aussi impressionnant. Aujourd'hui, nous sommes capables de stocker un bit d'information dans un atome. C'est une technologie qui nous permettra de stocker tout ce que contient la Bibliothèque du Parlement sur un disque de la grosseur d'une pièce de 10 cents.
La croissance phénoménale de la capacité de largeur de bande sera même encore plus impressionnante. De fait, avec l'arrivée des fibres optiques, elle augmentera à un rythme qui dépasse celui que nous avons vu dans le cas des microprocesseurs et leur vitesse. En 1988, un seul câble à fibres optiques pouvait transmettre 45 millions de bits par seconde. Selon AT&T, d'ici l'an 2000, nous verrons sans doute ce nombre atteindre un billion de bits par seconde; c'est l'équivalent de la transmission simultanée de 200 millions messages télécopiés ou de 660 000 vidéoconférences par seconde. Ce sont ces progrès liés aux largeurs de bande qui transformeront radicalement nos méthodes de communication et d'échanges d'information, et nous n'en voyons pas la fin. Les microprocesseurs, les communications par courrier électronique, les mémoires et les autres moteurs qui propulsent notre industrie continueront, comme au cours des 30 dernières années, à devenir de plus en plus rapides, de plus en plus petits et de plus en plus bon marché.
Nous entrons en fait dans une ère où cette technologie s'infiltre partout. À l'époque où c'était essentiellement un petit groupe de religieuses qui se servaient de la presse à imprimer, cet appareil n'avait rien d'extraordinaire. Tant qu'il fallait avoir sa propre génératrice, il n'y avait pas grand monde qui s'intéressait à l'électricité. Aucune des grandes technologies n'a transformé le monde tant qu'elle ne s'est pas répandue. Ce qui a vraiment un effet sur nous, c'est le fait que nous aurons désormais accès à l'information que nous voulons, sur le support que nous souhaitons, au moyen de l'appareil que nous voulons utiliser, au moment où nous le voulons et quel que soit l'endroit où nous nous trouvons.
Voilà qui m'amène à mon deuxième sujet: les affaires et Internet. Chose certaine, la convergence des télécommunications et de l'informatique est en train de transformer nos méthodes de travail ainsi que les moyens que nous utilisons pour obtenir des services gouvernementaux, pour faire instruire nos enfants et pour nous divertir. Il y a un an, lorsque je faisais des discours, j'atteignais environ 50 millions de personnes branchées à Internet. Aujourd'hui, ce nombre se situe à peu près dans les 100 millions. On prévoit qu'au cours des premières années du XXIe siècle, ce nombre atteindra près d'un milliard. Ce nouveau monde connecté qui devient le nôtre débouche sur une multitude de nouvelles possibilités tout aussi excitantes les unes que les autres. Les millions de personnes qui font partie du Web aujourd'hui s'en servent pour mener leurs activités quotidiennes de façon plus efficace, plus facile et plus économique, qu'il s'agisse des services bancaires, de l'achat d'un billet d'avion ou de retrouver des données. La vidéo que nous allons vous montrer donne une idée de l'impact d'Internet sur notre vie quotidienne.
(Visionnement d'une vidéo)
Mme Langford: Je fais partie d'une génération où les gens, après avoir composé un numéro 1-800, sont prêts à attendre aussi longtemps qu'il faut pour que l'on s'occupe d'eux. La génération d'aujourd'hui n'est pas aussi patiente. Ces gens sont imbus de la technologie et ils se serviront d'abord du moyen qui leur permettra d'obtenir la réponse la plus rapide, c'est-à-dire Internet. Dans le cas des adultes, la transition n'a pas été aussi facile. Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître qu'Internet joue désormais un rôle important dans tous les aspects de notre vie quotidienne.
Bon nombre de nos candidats à un emploi ont leur propre site Web. En effet, à IBM, plus de 60 p. 100 des demandes d'emploi nous sont transmises électroniquement. Nos enfants se servent d'Internet pour se connecter à des bibliothèques et des musées aux quatre coins du monde et pour communiquer avec leurs amis. Les aînés constatent qu'Internet est un moyen pour eux de se connecter avec le monde, de suivre directement leurs investissements, de réserver des vacances et de communiquer avec leurs petits-enfants. Les médecins des grands centres peuvent consulter en temps réel leurs collègues de petites municipalités à des centaines de milles de distance et échanger des échographies, des radiographies et des résultats de tests.
Lorsque la sonde Explorer est arrivée sur Mars, des millions de personnes branchées à Internet ont pu télécharger en temps réel, au même moment où ils arrivaient au Jet Propulsion Laboratory, des photos provenant de la planète Mars. Dans le cas de citoyens des collectivités du Nord, par exemple Rankin Inlet, jamais ils n'ont eu un moyen aussi efficace qu'Internet pour demeurer en liaison avec le reste du monde. Les exemples sont nombreux et je pourrais en parler indéfiniment.
Le réseau Internet a connu des transformations spectaculaires même au cours des deux dernières années où nous en discutons. Les affaires occupent de loin une place prépondérante sur le réseau. Nous tenons à vous faire remarquer dans le contexte de cet exposé que les aspects culturels et les nouveaux médias ne constituent qu'une petite partie de l'usage qui est fait du réseau. Par exemple, les banques canadiennes offrent des services à partir du foyer au moyen du téléphone, d'un ordinateur individuel et d'Internet. La société Canadian Tire délaisse ces moyens traditionnels de communication avec ses principaux fournisseurs en créant une chaîne d'approvisionnement fondée sur l'Internet qui regroupe presque tous ses 2 000 fournisseurs, quelle que soit leur taille. La librairie Garneau, l'une des plus importantes chaînes de librairies francophones, qui a son siège au Québec, est en train de se tailler une place enviable parmi les librairies virtuelles en offrant aux habitants de la planète plus de 250 000 titres accessibles au moyen d'un simple clic. L'Université d'Athabasca offre tous ses cours au moyen de ce que l'on appelle le «téléapprentissage», auquel participent environ 30 p. 100 de tous les étudiants en administration des affaires au Canada.
Des milliers d'entreprises ont déjà démontré que l'utilisation d'Internet les a aidées à augmenter leurs recettes, réduire les coûts, améliorer la qualité, atteindre plus rapidement le marché, gérer la chaîne d'approvisionnement et pénétrer de nouveaux marchés.
Voici quelques autres exemples dont j'aimerais vous faire part.
L'année dernière, la société General Electric a acheté pour plus d'un milliard de dollars de fournitures au moyen d'Internet. Elle a pu économiser ainsi 20 p. 100 au chapitre de ces fournitures. La British Petroleum se sert d'une technologie Internet de pointe pour diffuser le savoir-faire d'un petit groupe de spécialistes dépêchés pour réparer des compresseurs à gaz. Selon ses calculs, UPS épargnerait 200 000 $ par jour en servant ses clients au moyen d'Internet.
Les possibilités sont infinies. La technologie permettant toutes ces réalisations est là et l'on en voit déjà les résultats.
Voilà qui m'amène à mon troisième sujet: les possibilités pour les Canadiens. Nous, les Canadiens, sommes bien placés pour jouer un nouveau rôle prépondérant dans le développement et l'exploitation d'Internet. Les bases ont été jetées. Nous sommes l'un des pays les plus connectés au monde, car nous sommes au premier rang des pays du G-7 pour ce qui est de la pénétration des diverses technologies. Il est possible d'avoir accès aux consommateurs à peu de frais. Nous pouvons compter sur un regroupement économique solide d'entrepreneurs, entre autres choses.
Cependant, les immenses possibilités qui s'offrent à nous tous, tant sur le plan social que sur le plan économique, pourraient ne pas se matérialiser, et il est même possible qu'elles soient menacées. Elles reposent sur un facteur déterminant qui, contrairement à ce que l'on pourrait penser, n'a rien à voir avec la technologie; c'est celui des politiques gouvernementales. Le monde réseauté qui se dessine autour de nous est un phénomène mondial et, de par sa nature même, il transcende les frontières nationales et internationales.
Vous pouvez comprendre que les pouvoirs publics de toutes les régions du monde remarquent cette technologie et en font un point de mire pour toute une série de politiques gouvernementales. Toutefois, si chaque gouvernement national fait cavalier seul, il en résultera des douzaines ou même des centaines de règles et règlements incompatibles visant un seul service Internet ou un site Web. Il pourrait en résulter également de la confusion, de l'incertitude et un ralentissement de la croissance de l'économie électronique.
Le CRTC a entamé une audience publique pour déterminer s'il devrait réglementer le réseau. Vous pouvez vous rendre compte que c'est une question très complexe car l'on peut difficilement ramener Internet au contexte simpliste d'un contenu figurant sur une seule sorte de support. Comme je le disais tout à l'heure, le contenu n'est qu'un aspect du système et il faut tenir compte des autres questions concernant la réduction des frais généraux des entreprises, l'amélioration du délai d'accès aux marchés, la possibilité de travailler à la maison, l'augmentation de la productivité, la vente de biens et services, la promotion du travail en équipe et tous les autres avantages que présente le réseau dans le contexte des aspects culturels. Si le CRTC parvient à réglementer et à taxer le contenu circulant sur Internet, il y a un danger que les entreprises branchées au réseau subissent une augmentation des coûts et soient victimes de règles encombrantes qui feront que les Canadiens se retrouveront dans une situation de désavantage concurrentiel.
Nous sommes tous conscients des autres questions dont il faut s'occuper et nous les prenons au sérieux dans notre travail visant à étendre ce moyen de transmission. Ces autres questions sont la sécurité, la vie privée, la confiance, la protection du consommateur, la protection de la propriété intellectuelle, l'imposition d'Internet, l'accès universel, la pornographie, la largeur de bande et ainsi de suite. Ce sont des questions importantes et on s'en occupe sérieusement déjà. Je ne veux pas m'étendre là-dessus aujourd'hui, mais je tiens à signaler que des mesures concrètes sont prises. Il y a moyen de trouver des solutions sans qu'il soit nécessaire de recourir à la réglementation. Il faut éviter d'en faire des obstacles si nous voulons que toutes les possibilités du réseau se réalisent.
Les pouvoirs publics qui cherchent à réglementer le réseau feront certainement fausse route s'ils réagissent trop rapidement et sans tenir compte de ce que font les autres.
Pour que les promesses d'Internet et du commerce électronique mondial se réalisent, il faut que les politiques et les pratiques soient axées sur l'industrie et les forces du marché. Nous ne pourrons y parvenir en intervenant en vase clos.
Sur cette note, j'aimerais céder la parole à mes deux distingués collègues qui pourront vous en dire davantage sur la réglementation.
M. Timothy Denton, conseiller juridique, Internet Direct: Honorables sénateurs, je vais prendre la parole au nom de John Nemanic. J'ai des antécédents dans le domaine de la réglementation des télécommunications, d'Internet, du CRTC et de l'administration publique. J'ai étudié toutes ces questions sous plus d'un angle.
J'aimerais aborder aujourd'hui trois sujets, et je tâcherai de m'en tenir à l'essentiel: il est impossible de réglementer techniquement Internet; Internet ne devrait pas être réglementé politiquement; et Internet est déjà entièrement assujetti au droit.
Je vais vous parler d'abord du troisième sujet. Ce que je dis, ce que vous dites lorsque vous parlez au téléphone, écrivez une lettre, lorsque vous utilisez toutes ces formes de communication, est déjà assujetti à de nombreuses règles concernant le libelle diffamatoire, la diffamation orale, ainsi qu'à de nombreux autres types de règles. Toutefois, aucune de ces règles n'équivaut à une permission qu'il faut obtenir au préalable de l'État pour écrire, imprimer, prêcher, prier ou parler.
Il est important de comprendre que lorsque les gens communiquent en respectant les règles courantes, que ce soit au téléphone, à l'ordinateur ou par l'intermédiaire des journaux, ils n'ont pas à obtenir au préalable la permission du gouvernement, c'est-à-dire à obtenir de l'État un permis de communiquer. Pourtant, tous ces échanges verbaux et écrits sont assujettis au droit. Toutefois, le droit et la réglementation sont deux choses différentes.
Selon la règle de droit, d'abord que l'on respecte ce droit, l'on n'est pas obligé de demander la permission de quiconque pour faire ce que l'on veut faire. Si vous respectez la limite de vitesse, vous obéissez la règle de droit et vous n'avez pas à demander à quiconque la permission de continuer à filer à cette vitesse.
Aux termes de la réglementation prise en application de la Loi sur la radiodiffusion, il faut obtenir un permis de l'État. Si un tel permis ne vous a pas été accordé, vous êtes passible d'amendes pouvant atteindre 500 000 $ par jour ou un autre montant aussi astronomique. Lorsque nous parlons de réglementation, que l'on comprenne bien que nous parlons de réglementation économique ou culturelle, mais le simple fait qu'une activité n'est pas réglementée ne signifie pas que cette activité n'est pas entièrement assujettie à la règle de droit.
Je vais passer maintenant à mon premier sujet: il est impossible de réglementer techniquement Internet. Le réseau Internet est issu d'un système à sûreté intégrée visant à assurer la sécurité des communications en cas d'une attaque nucléaire déclenchée par l'ex-Union soviétique. Il a été conçu en fonction de la possibilité que des villes puissent cesser de jalonner le trajet de transmission. Il a été conçu de manière à ce que le signal renferme beaucoup de données, contrairement aux signaux téléphoniques. Un peu à la manière d'un automobiliste, le signal pointe vers la destination demandant: «Où est cette personne?» Le système répond: «Cette personne est ici.»
En intégrant les renseignements au signal, celui-ci peut parvenir à sa destination sans passer par les moyens de contrôle des compagnies de téléphone ou de ceux qui peuvent manipuler les commutateurs.
Le réseau Internet a également été conçu de manière à être libre de points de contrôle internes. Il n'a absolument rien en commun avec le réseau téléphonique qui, lui, comporte des paramètres d'assurance de la qualité et de la fiabilité. Internet fonctionne en faisant de son mieux. Si un signal est perdu, il y a des protocoles qui veilleront à ce qu'il soit transmis à nouveau.
Il n'y a pas de surveillance au moyen de points de contrôle particuliers. Le système ignore ce qui y circule. Il est pensé d'une manière fondamentalement différente du réseau téléphonique.
Tous les fournisseurs de service Internet pourraient être en panne demain matin et l'accès à Internet au Canada pourrait immédiatement se faire à partir d'une ligne interurbaine rattachée à un serveur aux États-Unis. Pour le faire, il suffit de payer le prix de location de l'espace de service aux États-Unis. Au moyen d'un appel téléphonique de 15 minutes, il est possible de transférer chaque site Web au Canada dans un autre pays. Bien sûr, il en résulterait quelques dérangements.
Il n'y a pas de point de contrôle à l'intérieur du système et ce n'est pas faisable de tenter de contrôler le fournisseur de services Internet tant que le système téléphonique fonctionne.
Quand il s'agit de l'Internet, nous faisons face à une série de protocoles de logiciels qui ne sont que des règles régissant l'échange d'information entre machines. Une fois inventée, cette grammaire des machines était impossible à stopper.
Il y a une deuxième raison, liée à la première, qui nous empêche de contrôler l'Internet: la rareté n'ajoute pas de valeur à la licence.
Dans le cas de la radiotélédiffusion, une licence a une valeur économique si vous occupez une fréquence que personne d'autre ne peut occuper et si vous avez une fréquence utilisable, bien sûr. Toutefois, on installe quotidiennement 100 000 kilomètres de fibres optiques sur notre planète, et chacune de ces fibres peut transmettre des signaux. Ainsi, le fait que j'utilise le système n'empêche personne d'autre de l'utiliser. Rien ne sert d'y rattacher des permis, comme ce permis ne confère aucune valeur économique.
Ces aspects de l'Internet ont été examinés par la Cour suprême des États-Unis dans la cause American Civil Liberties v. Reno, débattue en vertu de la Communications Decency Act. La Cour suprême des États-Unis s'est penchée notamment sur la question de déterminer si l'Internet faisait ou non de la télédiffusion et a décidé que ce genre de communication était tellement abondante qu'elle était peu coûteuse, et pour toutes les raisons que j'ai citées ainsi que quelques autres, elle a décidé qu'il ne s'agissait pas de radiotélédiffusion.
L'Internet devrait-il faire l'objet de réglementation politique? Cela nous ramène au même point: la communication peut être régie par les lois, mais nous ne demandons pas de permission préalable pour parler. Si on décidait de réglementer l'Internet par le biais de la Loi sur la radiodiffusion, cela signifierait que chaque ordinateur, chaque imprimante, chaque élément de ces appareils serait régi par la réglementation gouvernementale. Notre loi sur la radiodiffusion est telle que si elle s'applique à une partie du système elle s'applique à tout le système.
Il me semble fort improbable qu'une telle mesure soit jugée constitutionnelle. Toutefois, cette question mise à part, il faudrait examiner sérieusement la question de l'opportunité politique d'une telle mesure; est-ce que cela serait souhaitable, même un tout petit peu?
La présidente: Je vous remercie de cet exposé fort intéressant. L'un de nos défis est lié au fait que le comité entend des témoignages conflictuels à propos de la réglementation -- est-elle opportune, est-elle faisable, est-elle appropriée, et est-elle possible sur le plan technique?
Les témoins du Conseil canadien des arts ont comparu devant nous et nous ont dit qu'au Canada on a normalement accès à l'Internet par le biais du téléphone, de la câblodiffusion et des satellites, et ils nous ont demandé: si toutes ces industries font l'objet de réglementation, quel est le problème quand il s'agit d'étendre ce régime réglementaire aux droits de propriété intellectuelle? La question des droits qui protègent la propriété intellectuelle était leur principale source de préoccupation.
Ils ont ajouté que ceux qui disent que la réglementation est impossible n'y ont pas réfléchi suffisamment et que la situation n'est pas compliquée.
Si le CRTC devait imposer des règlements aux fournisseurs de services Internet, comme vos membres, quel genre de mesures vous sembleraient faisables, et pour quelles mesures serait-il difficile d'obtenir la conformité?
Mme Langford: J'ai débattu une cause devant la Commission du droit d'auteur qui portait précisément sur ce sujet. Ce n'est pas aussi tranché, aussi noir ou blanc, que les parties en cause veulent le laisser entendre.
Si on doit accorder des licences pour la propriété intellectuelle, il faut se demander si c'est la bonne tribune. Nous pensons que ce sont les sites Web et les créateurs de contenu qui devraient obtenir ces licences et s'ils ne les ont pas obtenues ce sont eux qu'on devrait poursuivre devant les tribunaux, ou ailleurs.
Si on fait intervenir le fournisseur de services on invoque un modèle complètement différent, différent de celui qui a été choisi partout ailleurs au monde, un modèle qui créerait une injustice pour ceux qui tenteraient de faire des affaires au Canada plutôt qu'ailleurs.
Pour la propriété intellectuelle, il faudrait absolument des licences pour les sites Web. On ne pourrait les utiliser sans cette permission. Cela devient complexe quand on essaie de voir comment cela pourrait se faire à l'échelle du globe, car l'accès devient possible à partir de n'importe où au monde si vous créez un site au Canada. Il y a plusieurs questions à élucider de la perspective du créateur, mais il est manifeste qu'il faut des licences pour protéger la propriété intellectuelle. Sur cette question, nous sommes d'accord avec les créateurs.
M. Denton: Les permis liés aux droits d'auteur sont une question contractuelle qui relève du droit législatif, ce qui diffère de la réglementation de la radiodiffusion.
La présidente: Les membres du comité comprennent qu'il y a deux corpus différents.
Le sénateur Spivak: Nous sommes constamment aux prises avec les transformations époustouflantes de la technologie de l'Internet et de l'Internet lui-même. J'espère que cette technologie va nous rendre plus intelligents et que les avantages qui pourront en découler seront distribués de façon équitable.
Pensez-vous que les fournisseurs de services Internet devraient payer un certain pourcentage de leurs recettes brutes pour financer le contenu multimédia? Les sociétés de câblodistribution et autres services de distribution contribuent à l'heure actuelle à ce financement.
M. Wayne MacLaurin, président, Cyberus Online (Ottawa), et ancien membre du Conseil du CAIP: C'est une question intéressante. Pour parler franchement, nous pensons que nous vivons dans une économie globale. Si certaines sociétés n'arrivent pas à faire leurs frais, je ne sais pas pourquoi moi en tant qu'homme d'affaires je devrais les soutenir. Mon commerce n'est soutenu par personne. Je ne vois pas pourquoi le leur devrait l'être. Généralement, ces gains monétaires et ces fonds sont utilisés par de grosses sociétés telles la CBC/SRC ou par des fonds technologiques.
Pour la première fois l'Internet permet la publication de texte de particuliers à un coût très peu élevé. Le petit bonhomme de 12 ans qui travaille à la maison n'a pas, il me semble, les moyens de se payer des avocats, ni de faire les demandes nécessaires pour obtenir ces permis. Jusqu'à ce que cette infrastructure soit en place, je m'oppose à ce qu'on verse plus de fonds aux grosses entreprises avec lesquelles je dois faire concurrence quotidiennement.
Le sénateur Spivak: Outre les difficultés techniques, vous ne pensez pas qu'on doive soutenir l'infrastructure culturelle au Canada; cela ne vous semble pas une bonne chose? Pourtant, d'autres pays le font. Ce ne sont pas nécessairement des avantages matériels qui en découlent, mais si on protège une culture, d'autres avantages peuvent en découler.
M. MacLaurin: Oui.
Le sénateur Spivak: Vous dites que cela n'est pas important à vos yeux.
M. MacLaurin: Certainement que c'est important. Toutefois, en tant que Canadiens, je ne suis pas sûr qu'il nous faille encore une autre taxe pour y arriver. Franchement, nous payons pour la plupart déjà suffisamment d'impôts pour toutes sortes de choses à divers paliers de gouvernement. Ce serait très injuste pour ceux qui devront débourser si vous ciblez une nouvelle industrie constituée surtout de petites ou de moyennes entreprises qui n'auront peut-être pas les moyens nécessaires pour éviter d'avoir à verser ces sommes au gouvernement.
M. John Nemanic, président, Internet Direct, et membre du Conseil du CAIP: La question clé est qu'il est très facile de créer des contenus, la barre étant très basse. Si vous avez un ordinateur de 1 000 $, vous pouvez avoir accès à un programme de logiciel à utilisation partagée qui vous aidera à publier. Vous pouvez avoir un compte Internet pour 9,90 $ par mois. Cela vous donne un espace Web et vous pouvez ensuite créer votre propre contenu et être votre propre éditeur. Il y a de nombreux adolescents, artistes et autres personnes qui travaillent avec ces «nouveaux médias» comme je viens de le décrire. En ce sens, je ne pense pas qu'il faille des subsides parce qu'il en coûte très peu de promouvoir son travail et d'élaborer des contenus.
Mme Langford: De nombreux membres de notre association, dans le cadre de leur travail, essaient d'attirer l'attention sur les sites culturels; ils font la promotion de la culture canadienne. Toutefois, tout contenu créé par des Canadiens, qu'il s'agisse d'oeuvres multimédiatiques ou autres, relève de la culture canadienne. Toute conversation entretenue par des Canadiens est une forme de culture canadienne.
Nous avons créé une culture abondante. Pourquoi ne pas la rendre disponible? En tant qu'association, en tant que fournisseurs de services Internet, nous pensons qu'il nous incombe de nous assurer que l'accès est bon dans notre pays, de doter le plus grand nombre possible de régions de cet accès et de faire en sorte que ces services soient abordables pour tous les Canadiens et Canadiennes. Tous et toutes devraient avoir l'occasion d'afficher leur culture et les contenus qu'ils créent à l'Internet.
Le sénateur Bacon: Je vois que votre industrie s'oppose totalement à l'idée que le gouvernement fédéral propose des lois pour régir l'Internet. Certains sont d'avis que toute forme de réglementation nuirait au développement de l'industrie. Avez-vous effectué des études sérieuses qui tendent à confirmer cette allégation?
Ma province d'origine, le Québec, est la seule province du Canada où l'on trouve des lois relatives à la protection de la vie privée qui protègent l'information en ligne. Avez-vous recueilli de l'information qui puisse nous convaincre que votre industrie, à cause de l'existence de ces lois, se porte plus mal au Québec qu'ailleurs au Canada?
Mme Langford: C'est intéressant que vous souleviez la question de la protection de la vie privée. En tant qu'association, nous avons notre propre perspective sur ce qui constitue la vie privée. Nous croyons fermement qu'il faut protéger la confidentialité des renseignements en ligne pour protéger et attirer les consommateurs. Vous avez soulevé une question importante car le gouvernement fédéral a maintenant décidé de réglementer ce domaine. Nous pourrions sans doute composer avec sa réglementation, puisque nous avons fait en sorte que notre code soit conforme à ses lois.
Je crois savoir toutefois qu'on a très peu cherché à appliquer ces lois relatives à la protection de la vie privée au Québec. Certaines grosses sociétés s'y sont conformées mais de nombreuses petites en ont simplement fait fi. On n'a imposé aucune sanction. Rien ne garantit qu'une loi, quelle qu'elle soit, aura un impact positif. Le fait demeure que la loi doit être appliquée. La question qui se pose dans les deux cas, sur le plan fédéral et sur le plan provincial, est la suivante: comment va-t-on l'appliquer? Vont-ils créer des bureaux partout au Canada ou des gens seront-ils traduits devant le Commissaire à la vie privée fédéral pour subir un processus juridique coûteux qui peut durer deux ans?
Le sénateur Bacon: Est-ce le problème principal aux yeux de votre industrie?
Mme Langford: De nombreux fournisseurs de services Internet sont des entreprises qui comptent quatre employés. Comment une petite entreprise de quatre employés en Colombie-Britannique peut-elle traiter une plainte ayant trait à la protection de la vie privée qui pourrait être déposée par un concurrent? Les commissions de droits de la personne et autres entités semblables partent de bons sentiments, mais l'application du concept original est souvent exécrable. La Commission des droits d'auteur est censée avoir une procédure accélérée mais nous nous sommes retrouvés devant cette commission et cela a duré deux ans et nous a coûté 500 000 $. Cela ne marche pas. Nous pensons qu'il vaut mieux nous autoréglementer et faire en sorte que l'industrie soit vigilante, et cette approche réussira beaucoup mieux. Peut-être que cela ne vous réconforte pas, mais cela nous rassure, nous.
La présidente: Je suis désolé que nous n'ayons plus le temps de poser d'autres questions et d'écouter les réponses, mais nous devons entendre d'autres témoins et les membres du comité doivent se rendre à d'autres réunions de comité aujourd'hui. Nous avons, toutefois, d'autres questions à vous poser. Je vais les lire pour qu'elles figurent au procès-verbal. Les membres du comité vous seraient reconnaissants si vous vouliez bien transmettre vos réponses par écrit au greffier.
L'industrie de la câblodiffusion est souvent décrite comme étant le gardien de l'industrie de la télévision. Pensez-vous que les fournisseurs de services Internet sont les nouveaux gardiens du web?
Nous comprenons que vos petites compagnies ont eu des rapports difficiles avec les grosses compagnies de téléphone qui leur fournissent les services de télécommunication qui leur permettent de faire des affaires. Les compagnies de téléphone font maintenant concurrence à de plus petites compagnies dans ce domaine. Selon vous, pensez-vous qu'il y aura consolidation des fournisseurs de services Internet sous le contrôle des grosses sociétés téléphoniques ou d'autres grandes sociétés? Cette consolidation se fera-t-elle à l'échelle de l'Amérique du Nord?
Peut-être que nous vous demandons de consulter votre boule de cristal, mais nous aimerions profiter de vos perceptions quant à ce que l'avenir nous réserve du côté des fusions industrielles et commerciales.
Il semble que nos témoins suivants aient été retenus, collègues. Toutefois, nous avons certaines choses à traiter pendant que nous les attendons.
Le sénateur Spivak: Je propose, nonobstant la décision du sous-comité de ne pas tenir une réunion sans la présence d'un représentant de chaque parti, que les témoignages du 7 octobre 1998 soient imprimés et que ces témoignages soient intégrés au procès-verbal du sous-comité.
La présidente: Êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le sénateur Bacon: Pour ma gouverne, la motion porte-t-elle seulement sur les règles de notre sous-comité?
Le sénateur Maheu: Au comité des affaires sociales, un sénateur peut entendre un témoin, dans la mesure où le témoignage est enregistré et consigné.
Le sénateur Bacon: Ce ne serait pas juste pour le témoin si nous ne le permettions pas.
La présidente: Comme vous le savez sans doute, ce qui est arrivé, c'est que le sénateur Spivak s'est trouvée dans l'impossibilité d'être à deux endroits en même temps. Les témoins se sont présentés et j'étais toute seule. Nous aimerions que le témoignage qui a été entendu ce jour-là soit intégré au procès-verbal officiel, et c'est la raison qui explique cette motion.
Monsieur Patrice, cette règle ne s'applique-t-elle qu'à ce comité ou s'appliquera-t-elle à tous les comités?
M. Michel Patrice, greffier du comité: Elle s'applique à ce comité, en l'absence de quorum.
La présidente: Je vous remercie. Le sénateur Johnson voulait soulever quelque chose en rapport avec la mission chargée de recueillir des faits.
Le sénateur Johnson: Quand recevrons-nous un itinéraire?
M. Patrice: Nous sommes en train de le mettre au point avec l'ambassade. Dès qu'il sera confirmé et que nous en saurons plus, nous nous mettrons en rapport avec vos bureaux.
Le sénateur Bacon: Nous ne devrions pas annuler cette mission une fois de plus car cela n'améliorerait certainement pas notre réputation à l'extérieur du pays. Le personnel de notre ambassade et les gens que nous devions rencontrer n'étaient pas très contents quand nous avons annulé notre voyage.
La présidente: Quand transmettra-t-on l'itinéraire à nos collègues?
M. Patrice: Je pourrais vous faire parvenir une ébauche d'itinéraire d'ici la fin de cette semaine, mais elle serait incomplète. D'ici la fin de la semaine prochaine, nous devrions l'avoir.
Le sénateur Johnson: Mais pourquoi est-ce que cela prend tellement de temps?
M. Patrice: Parce que nous allons rencontrer des gens importants et que nous devons tenir compte de leurs engagements préalables.
La présidente: Eh bien, collègues, nos témoins suivants ont été retenus. Peut-être pourrions-nous modifier le calendrier des comparutions pour qu'ils comparaissent un autre jour.
La séance est levée.