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Sous-comité des communications

 

Délibérations du sous-comité des
Communications

Fascicule 10 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 25 novembre 1998
(10)

Le sous-comité des communications du Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 15 h 30, pour étudier la position internationale concurrentielle du Canada dans le domaine des communications, et notamment l'importance économique, sociale et culturelle des communications au Canada.

Le sénateur Mira Spivak (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente: La parole est à vous.

M. Peter Miller, vice-président exécutif et avocat général, Association canadienne des radiodiffuseurs -- Groupe de travail sur les nouveaux médias: L'Association canadienne de radiodiffuseurs représente la vaste majorité des diffuseurs privés au Canada qui oeuvrent dans les domaines de la radio, de la télévision et maintenant des services spécialisés.

Nous vous remercions de nous donner l'occasion de nous adresser à vous, étant donné que le sujet dont vous discutez est très important pour nous. Il est très important pour les diffuseurs privés et pour la politique gouvernementale. Nous sommes heureux d'être ici.

Nous avons été rassurés par le fait que votre document de présentation signale déjà l'existence d'un virage des médias conventionnels aux nouveaux médias, ce qui vous donne une longueur d'avance sur la plupart des gens. En tant que diffuseurs et fournisseurs de nouveaux médias, nos membres sont conscients de ce virage et de ses répercussions éventuelles.

Nous constatons qu'il s'effectue en deux phases. Nous en sommes actuellement au milieu de la première phase, qui est celle de la compétition pour attirer les consommateurs, qui s'accompagne d'une compétition accrue dans tous les domaines, de la publicité au commerce électronique en passant par les droits de programmation.

La deuxième phase transformera les nouveaux médias en un véritable médium de divertissement de masse. Actuellement, Internet n'offre pas beaucoup de ce qu'on pourrait appeler du «divertissement de masse». Pourtant, à plus long terme, nous pensons que nous allons trouver sur Internet un contenu qui va directement faire concurrence à la télévision et à la radio.

À notre déclaration est joint un graphique auquel je vous demanderais de jeter un coup d'oeil.

Ce graphique vise à montrer qu'il y aura une concurrence directe considérable entre les services de télévision et de radio conventionnels et les nouveaux médias, mais qu'il y a aussi des secteurs où les deux catégories de services conserveront leurs attraits particuliers.

À l'extrême droite du graphique, on voit qu'Internet est le médium idéal pour des activités comme la recherche de données et les jeux en ligne. À l'extrême gauche, la télévision et la radio numériques sont les médiums que les consommateurs vont choisir pour écouter des émissions spéciales de grande qualité, comme des épreuves sportives, des comédies de situation et des émissions communautaires.

Au centre se trouvent les activités concurrentes et complémentaires qui vont considérablement se recouper, comme le divertissement de masse, dont le service vidéo sur demande pourrait être un exemple. Quoi qu'il en soit, la concurrence liée aux recettes générées par les téléspectateurs et au contenu des émissions sera féroce dans ces domaines.

M. Glenn O'Farrell, vice-président, Réglementation, Global Television: Actuellement, la principale incidence des nouveaux médias sur la radiodiffusion est liée à la compétition qui se livre pour attirer les consommateurs et non pas nécessairement les recettes. On sait déjà que les ménages qui sont branchés sur Internet passent moins de temps à regarder la télévision et à écouter la radio. Il semble que c'est d'autant plus vrai pour les jeunes de 12 à 24 ans qui, d'ici 10 ans, seront un groupe démographique cible pour nos annonceurs. Déjà, dans le cas d'événements populaires, comme la publication du rapport Starr, Internet a réussi à fournir des informations comme les médias conventionnels ne peuvent le faire.

Les diffuseurs s'adaptent déjà au virage en mettant eux-mêmes au point des technologies comme la radio et la télévision numériques. Ils ajoutent l'interactivité à leurs services conventionnels. Beaucoup donnent accès à certains de leurs services d'information et de divertissement sur Internet et étendent ainsi l'utilité de leurs bulletins de nouvelles. Même de plus petits diffuseurs comme CJYM à Kindersley, en Saskatchewan, offrent des services innovateurs comme des informations agricoles en ligne et des bulletins météorologiques à jour sur Internet. Ces services consolident le lien qui existe entre les diffuseurs et la communauté qui deviendra de plus en plus important avec la mondialisation des médias, nouveaux et conventionnels.

Ce graphique illustre que la télévision et la radio deviendront de plus en plus interactifs, tandis que les nouveaux médias vont développer une base de graphiques, de textes et de données interactifs pour offrir des services ressemblant de plus en plus à des services de diffusion. Nous allons utiliser nos produits de qualité pour imposer une présence canadienne dans le monde de l'interactivité, pour transmettre de meilleures informations sur des téléviseurs intelligents et des «appareils» Internet comme le Web TV.

Les diffuseurs ont déjà commencé à essaimer dans les nouveaux médias, considérant qu'ils offrent de nouvelles possibilités, mais constatant aussi qu'ils menacent le système canadien de radiodiffusion.

Sur le plan des recettes, il est clair que les nouveaux médias constituent à la fois un débouché et une menace. Les recettes de publicité d'Internet ont progressé à un rythme absolument incroyable de plus de 200 p. 100 par année au cours des dernières années, et elles devraient dépasser les 2 milliards de dollars cette année aux États-Unis.

Quand le plus important annonceur au monde, Proctor & Gamble, organise une conférence sur l'avenir des intervenants dans le domaine de la publicité pour répondre aux perspectives qu'offre Internet, c'est dire que la publicité sur Internet s'implante et représente une menace sur le plan de la concurrence. Rien ne prouve encore que cette évolution se répercutera sur les recettes des diffuseurs, mais la part de publicité de la radio diminue depuis 10 à 15 ans, tandis que celle de la télévision reste stable. On ne peut se permettre de laisser Internet s'approprier une part importante de la publicité sans réagir.

La publicité sur Internet n'est pas des plus populaires au Canada et les sommes totales en cause, telles qu'elles ont été évaluées par l'Internet Advertising Bureau of Canada, représentent seulement 1 p. 100 de celles des États-Unis. Cependant, ces chiffres ne rendent pas compte de l'ensemble des activités sur Internet au Canada. Nous avons beaucoup d'utilisateurs et beaucoup de sites, environ 5 p. 100 du total mondial. C'est peut-être la nature globale du Web qui explique ce peu de publicité. En effet, les annonceurs n'ont pas besoin de faire de publicité sur les sites canadiens parce qu'ils peuvent tout aussi facilement atteindre les consommateurs canadiens en faisant de la publicité sur les sites américains. Les sites et les moteurs de recherche américains sont les plus populaires et ce sont ceux que les annonceurs, tant américains que canadiens, privilégient.

Étant donné que les diffuseurs ont besoin des recettes de publicité pour survivre, ils doivent absolument améliorer les services aux annonceurs, surtout ceux qui s'intéressent au commerce électronique. Comme le commerce électronique prend de plus en plus de place, un médium de publicité sans application de commerce électronique aura du mal à survivre. Notre industrie devra développer les possibilités de la télévision et de la radio numériques pour suivre les autres médias de publicité et elle devra aussi évoluer sur Internet.

[Français]

Mais il y a une tendance qui sera sans doute encore plus importante à long terme que celle des radiotélédiffuseurs qui entrent dans le domaine des nouveaux médias, à savoir celle des nouveaux médias qui s'emparent de certains éléments de la radiotélédiffusion.

Il existe déjà des milliers de stations radiophoniques sur Internet, qui offrent leur service complet et continuel au moyen de procédés technologiques de lecture audio en transit comme Real Audio. Certaines offrent également des nouvelles archivées. Bon nombre de services radiophoniques et musicaux n'existent d'ailleurs que sur Internet et ces exploitations sans licence sont, en fait, des radiodiffuseurs.

La vidéo sur Internet n'est pas encore vraiment prête pour livrer concurrence aux heures de grande écoute. La qualité est inadéquate. Mais le problème avec Internet, c'est que les progrès sont rapides, et qu'on n'a pas besoin d'acheter un nouveau téléviseur pour profiter des améliorations: on n'a qu'à télécharger un nouveau logiciel.

Nous pouvons déjà envisager, et cela dans un délai peut-être aussi court que cinq ans, le moment où l'image vidéo dont les Canadiens et les Canadiennes disposeront sur Internet sera d'une qualité supérieure à celle du magnétoscope. D'autres que nous entrevoient le même avenir: les producteurs télévisuels américains réservent déjà la distribution par Internet de leurs émissions, mais on ne peut acheter de droits canadiens de distribution par Internet pour le Canada seulement. Internet est sans frontières, donc c'est la disparition des marchés domestiques.

Lorsque une bonne image vidéo en action réelle sera accessible par Internet, nous serons parvenus à la deuxième étape du processus de transformation d'Internet en médium de divertissement de masse. Tout va changer pour la radiodiffusion canadienne à ce moment-là, car nos frontières seront vraiment ouvertes. Les stations de télévision du monde entier seront accessibles ici, et les services vidéo exclusifs à Internet seront devenus une réalité. Nous ferons face alors, non pas à l'univers des multicanaux, mais bien à l'univers des mégacanaux.

[Traduction]

En même temps, notre industrie va négocier son virage numérique. La révolution numérique représente à la fois un défi, étant donné qu'il faut trouver de gros investissements, et une occasion d'expansion. La technologie numérique va non seulement améliorer la qualité de la télévision ou de la radio, mais aussi permettre de présenter sur nos transmetteurs des émissions interactives par le truchement des nouveaux médias et d'offrir des possibilités de publicité et de commercialisation plus perfectionnées pour les annonceurs.

On peut le voir ici. L'association croit que les nouveaux médias et la radiodiffusion deviendront de plus en plus compétitifs, mais aussi, espérons-le, de plus en plus complémentaires.

M. Hal Blackadar, directeur général, CFNY-FM: Qu'est-ce que cela veut dire sur le plan de la politique gouvernementale? Jusqu'ici, la réglementation a permis de contrôler l'entrée sur le marché canadien de services étrangers, obligeant les diffuseurs canadiens à produire plus d'émissions canadiennes que ne le permettrait normalement un petit marché comme le nôtre. Cependant, cette réglementation ne fonctionnera pas si quelqu'un peut concevoir un serveur à Los Angeles qui est accessible à Kelowna et à Fredericton par Internet.

De plus, la politique gouvernementale ne sera pas efficace si on réglemente le contenu de la façon traditionnelle. Le Canada a besoin de nouveaux médias dynamiques offrant du contenu canadien. Par exemple, si le CRTC veut s'occuper de l'octroi des permis sur Internet, il va ralentir l'essor des exploitants canadiens, sans probablement avoir d'influence sur les services étrangers. Ce qui est peut-être plus important, il va provoquer le mécontentement des internautes canadiens qui naviguent déjà dans le monde entier sur le Web et qui considèrent que cet accès sans entrave est un droit.

Cependant, ce n'est pas seulement une question de non-réglementation. À mesure que les nouveaux médias entreront dans leur deuxième phase d'évolution et concurrenceront plus directement les diffuseurs, il faudra réduire la réglementation à laquelle sont assujettis les diffuseurs. Un régime d'obligation ne sera plus viable, et la concurrence des services par satellite américain représente déjà un défi de taille. La situation va se compliquer de trois façons importantes quand les nouveaux médias entreront dans leur deuxième phase de compétition avec les médias conventionnels. Premièrement, les compétiteurs étrangers ont déjà un accès direct aux consommateurs canadiens. Deuxièmement, les pressions financières auxquelles les diffuseurs seront soumis par les fournisseurs de nouveaux médias vont rendre plus difficile la contribution des diffuseurs canadiens au système par des moyens conventionnels. Troisièmement, l'absence d'obstacles à l'entrée sur le marché canadien du divertissement de masse fera en sorte qu'il ne pourra pas y avoir pour les distributeurs canadiens de droits d'accès distincts à des émissions étrangères populaires. Les diffuseurs ne pourront plus continuer de produire des émissions à contenu canadien à l'aide des recettes provenant des émissions étrangères, ce qui veut dire que la réglementation des diffuseurs de médias conventionnels doit être repensée.

Hier, nous avons demandé instamment au CRTC de commencer à examiner les indices qui pourraient nous inciter à assouplir la réglementation. Ces indicateurs sont entre autres les suivants: premièrement, une baisse importante de la part de publicité des médias conventionnels et une augmentation importante de la publicité sur Internet; deuxièmement, une baisse importante du temps que les consommateurs passent à écouter la radio et à regarder la télévision; et troisièmement, l'utilisation de la technologie Internet à haut débit qui permet aux consommateurs de recevoir des services audio et vidéo de grande qualité sur Internet.

L'industrie de la diffusion offre les possibilités les plus prometteuses dans le domaine des nouveaux médias, tant à l'étranger qu'au pays. Les diffuseurs sont reconnus par les Canadiens pour la qualité de leurs émissions d'information et de divertissement, et ils ont les connaissances et les produits voulus pour offrir des services qui sauront plaire aux Canadiens.

Actuellement, aucun ou presqu'aucun diffuseur canadien ne réalise de profits sur Internet; pourtant, nous investissons dans les nouveaux médias et nos actionnaires se demandent quand ils pourront en récolter les fruits. Nous n'osons rien entreprendre d'important parce que nous sommes préoccupés par le marché de la publicité et d'autres incertitudes économiques et également parce que nous ne savons pas quelle sera la réglementation autant pour nos services conventionnels que pour les nouveaux médias. Si les diffuseurs continuent d'être assujettis à une réglementation sévère, ils auront beaucoup de mal à concurrencer les entreprises non réglementées qui offrent des services aux Canadiens sur Internet.

Mme Cynthia Rathwell, conseillère juridique, Association canadienne des radiodiffuseurs -- Groupe de travail sur les nouveaux médias: L'application d'un modèle de réglementation traditionnelle dans le cas des nouveaux médias est inacceptable pour les Canadiens, mais nous pensons que la politique gouvernementale peut avoir une incidence positive sur le développement des nouveaux médias au Canada.

Après tout, les nouveaux médias auront le même problème que celui que la télévision connaît actuellement, qui est de savoir comment offrir un produit canadien de grande qualité et de calibre international avec les ressources d'un petit marché. Comment perpétuer les succès que les radiodiffuseurs ont obtenus avec l'évolution des nouveaux médias dans le monde?

Nous devons être concurrentiels à l'échelle internationale étant donné que l'exportation a des avantages économiques importants pour le Canada, et la politique gouvernementale devrait favoriser cette activité. Cependant, nous devons offrir un contenu qui renseigne les Canadiens sur le Canada, et c'est un problème différent. Les avantages d'un contenu canadien distinct sont à la fois culturels et économiques, mais les ressources du marché national ne peuvent normalement permettre d'amortir les coûts d'un contenu vraiment compétitif. Si les recettes de publicité demeurent à seulement 1 p. 100 des recettes des États-Unis, nous aurons beaucoup de mal à financer un contenu concurrentiel. Nous avons besoin d'une politique publique qui nous aide; mais comment peut-elle nous aider?

La meilleure façon de nous aider serait peut-être par l'établissement de mesures d'encouragement, comme des crédits d'impôt, des programmes de prêts et des programmes de participation au capital. Les initiatives du genre de celles qui ont contribué au succès de la télévision canadienne peuvent aussi être appliquées aux nouveaux médias canadiens.

Il y a toutefois des différences. Les nouveaux médias sont le résultat d'un mariage exceptionnel entre le contenu et la technologie, et l'innovation technique est souvent aussi importante que le contenu. La politique gouvernementale doit aussi favoriser les activités intrinsèquement risquées de R-D qui vont permettre à nos créateurs de rester des chefs de file.

Une autre différence avec la télévision est que l'accès à Internet est entièrement ouvert, c'est-à-dire qu'il n'y a aucun obstacle à l'accès. Il n'y a aucune différence entre les diffuseurs et les producteurs. Comme n'importe qui peut créer un site Web, la politique gouvernementale devra en tenir compte. Les mesures d'encouragement pour les nouveaux médias devraient être entièrement accessibles à tous les intervenants, y compris les diffuseurs. En fait, nous devrions encourager les diffuseurs à se mobiliser et à utiliser les synergies de leurs activités pour créer un contenu canadien attrayant dans les nouveaux médias.

Il faut aussi établir un système simple et rapide pour permettre au contenu des nouveaux médias d'être largement accessible avant que quelqu'un d'autre développe une nouvelle technologie et devance la compétition. Pour être efficaces, les mesures d'encouragement dans le domaine des nouveaux médias doivent être unifiées, rapides et faciles à appliquer.

M. Miller: Nous pensons que les nouveaux médias et la radiodiffusion se concurrenceront de plus en plus avec le temps, offriront aux consommateurs un contenu semblable et se disputeront les mêmes sources de revenu.

Pour répondre aux besoins culturels et économiques, le Canada doit être prêt à répondre à la concurrence avec une nouvelle politique gouvernementale, et nous avons formulé 12 recommandations précises dans notre documentation. L'une d'elle propose une stratégie en trois points qui devrait guider la politique gouvernementale.

Premièrement, la politique gouvernementale devrait stimuler l'esprit d'entreprise et le goût du risque chez tous les intervenants, y compris les radiodiffuseurs.

Deuxièmement, il faut reconnaître que la réglementation traditionnelle du contenu est inacceptable pour les consommateurs canadiens et nuirait à l'investissement. Les utilisateurs canadiens d'Internet accorde beaucoup d'importance à la liberté d'accès au monde de l'information et toutes mesures visant à restreindre cette liberté provoquerait beaucoup de mécontentement et ralentirait toutes les initiatives canadiennes dans le domaine des nouveaux médias.

Troisièmement, nous devrions surveiller de près l'évolution de la concurrence entre les diffuseurs et les nouveaux médias et évaluer la réglementation en conséquence. Il faudrait examiner les signes indiquant quand le moment est venu d'assouplir la réglementation des services de diffusion conventionnels pour des raisons de concurrence.

La radio et la télévision sont de grandes ressources culturelles canadiennes. Chaque jour, nous découvrons nos communautés et notre pays dans les émissions de divertissement et d'information diffusées sur les chaînes canadiennes. Les diffuseurs canadiens offrent une ressource culturelle qu'aucun fournisseur de service étranger ne peut imiter et que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre. Cependant, si nous maintenons l'ancienne réglementation pendant que le monde change autour de nous, nous allons perdre nos atouts.

La vice-présidente: Si nous n'avons pas le temps de poser toutes nos questions au cours de la séance, nous vous les remettrons par écrit et vous pourrez y répondre à loisir, ce qui nous serait utile.

M. Miller: Nous le ferons avec plaisir.

Le sénateur Bacon: Nous revenons d'Europe et nous sommes heureux de prendre connaissance de vos mémoires et d'entendre votre témoignage aujourd'hui.

La télévision numérique et Internet pourraient changer radicalement la façon dont nous regardons la télévision. Pouvez-vous nous donner une idée des services que les diffuseurs vont offrir à l'avenir, et pensez-vous que les diffuseurs canadiens sont prêts à faire face aux défis à venir?

M. Miller: Premièrement, la télévision numérique est plus coûteuse qu'avantageuse. Elle nécessite d'immenses investissements d'environ 500 millions de dollars pour toute l'industrie canadienne. Ce que nous avons investi pour la transmission des signaux numériques ne sera pas récupéré, surtout parce que, pendant les dix premières années nous allons probablement transmettre la télévision numérique à un très petit auditoire.

Nous adoptons la technologie numérique parce que nous ne pouvons pas être les seuls fournisseurs de services analogiques dans un monde numérisé. Nous devons faire notre place dans ce domaine, mais la transition sera très difficile.

En passant, nous sommes déjà en train de numériser nos studios et notre équipement, mais nous avons pu amortir le coût de ce changement grâce à nos économies et à la durée de vie de l'équipement. Cependant, à la prochaine étape, nous ne prévoyons pas d'économies similaires, surtout parce que, pendant une période de transition de 15 ans, nous devrons transmettre à la fois en mode analogique et en mode numérique pour que tous les Canadiens aient accès à nos services.

Selon nous, il existe trois sources éventuelles de revenu, la première étant les nouveaux services de radiodiffusion de données. Par exemple, les radiodiffuseurs pourraient se lancer dans la radiomessagerie.

La deuxième a rapport aux voies multiples de signaux pour notre programmation. La numérisation débloque une capacité supplémentaire des canaux susceptible d'augmenter nos recettes de publicité, voire d'abonnement. La troisième, celle qui nous rapproche le plus des nouveaux médias, est l'interactivité. Tant la radio que la télévision numériques comporteront des éléments d'interactivité, mais elles ne seront jamais aussi interactives qu'Internet parce qu'elles ne pourront jamais l'égaler. Toutefois, nous pouvons télécharger beaucoup d'émissions que les utilisateurs peuvent choisir comme bon leur semble. Il y a donc interactivité, mais ce n'est pas la même interactivité que sur Internet.

Le sénateur Bacon: À votre avis, les radiodiffuseurs canadiens sont-ils prêts à relever les défis qui les attendent?

M. Miller: Je ne le crois pas parce que, contrairement à l'industrie des télécommunications et à celle de la haute technologie, nous n'avons pas l'habitude de penser en termes de R-D. Nous n'expérimentons pas comme le font les entreprises de technologie. Cependant, il nous faut adopter cette culture, sans quoi une mort certaine nous attend. La nature de notre commerce vivra d'énormes changements au cours des 15 prochaines années. Je ne crois pas que la grande majorité des radiodiffuseurs soit prête à y faire face. Toutefois, certains d'entre eux, qui sont présents ici aujourd'hui, pensent à l'avenir.

M. Blackadar: Je limiterai mes observations concernant la capacité de livrer concurrence des radiodiffuseurs au volet «radiodiffusion». En 1990, à Ottawa même, nous avons lancé le premier système numérique de radiodiffusion d'Amérique du Nord, appelé l'Eureka 147. Le récepteur était si gros qu'une fois placé dans la minifourgonnette de transport, il ne restait plus de place que pour deux passagers.

Les membres du comité reviennent d'Europe, où le système analogique est actuellement la norme. Le système de radio numérique Eureka 147 est en train de s'implanter en Grande- Bretagne, en France, en Allemagne et en Australie, notamment, ainsi que dans quelques pays d'Amérique du Sud. Les États-Unis sont les seuls à résister. Je dis qu'ils sont les seuls, mais ils représentent tout de même une partie importante du tout.

Nous nous orientons vers un monde numérisé, mais les diffuseurs canadiens, surtout les radiodiffuseurs, envisagent difficilement de faire les énormes investissements en R-D que cela suppose quand la marge de profit est si modeste. De 1990 à 1994, l'industrie privée de la radiodiffusion canadienne a perdu 160 millions de dollars, et son bénéfice avant impôts était, en 1997, de 7 p. 100 environ. Le montant consacré à la recherche est relativement modeste.

Si nous voulons que les radiodiffuseurs canadiens investissent les ressources humaines et financières requises pour faire partie de ces nouveaux médias, il faudra concevoir à leur intention des incitatifs relevant d'une politique de la culture plus générale. Dans un sens plus global, si nous sommes les seuls du système de radiodiffusion à être encore assujettis à ce que j'appellerai «l'ancienne réglementation» et si des nouveaux venus font partie de ces nouveaux médias, il nous sera très difficile de trouver les ressources nécessaires pour effectuer la recherche de manière à adapter nos produits actuels au monde de la numérisation. C'est tout un défi qui nous attend.

En toute franchise, une des raisons pour lesquelles nous tenions à témoigner aujourd'hui était que nous voulions parler du rôle important que joue la politique gouvernementale. Il y a là beaucoup de matière à examen, et nous, du monde de la radiophonie, avons manifestement d'importants défis à relever étant donné notre faible marge de profit.

M. O'Farrell: La télévision d'antenne tire tout son revenu de la publicité. Par conséquent, toute activité commerciale misant sur ce modèle de financement est en concurrence directe avec nous.

L'industrie dans son ensemble n'est pas prête, bien que de toute évidence certaines entreprises soient plus prêtes que d'autres. Quant au résultat final, j'ignore si vous avez pu voir des démonstrations de Web TV. Il suffit de s'asseoir dans son salon, devant l'écran. La télécommande, composée d'un clavier et d'une souris, vous permet de scinder l'écran en deux et de regarder la télévision d'un côté, qu'il s'agisse de télévision d'antenne ou d'autre chose, tout en parcourant le Web pour vous renseigner sur les émissions ou sur tout autre sujet d'intérêt. Voilà une menace très réelle que nous connaissons mal, en dépit de la très vive concurrence qui règne actuellement.

Nous vendons du temps d'antenne aux annonceurs en fonction du nombre d'auditeurs ou de spectateurs que nous pouvons leur permettre d'atteindre. Comment verront-ils ces publics à l'avenir quand ceux-ci pourront être si facilement détournés de ce qu'on essaie de leur vendre?

Au cours des derniers mois, nous avons remarqué que de nombreuses grandes entreprises des États-Unis dépensent beaucoup d'argent pour connaître la réponse à une question que j'exprimerais ainsi: quels sont les besoins futurs de l'annonceur? Ils sont fonction des exigences qu'il s'impose, c'est-à-dire que tout service qui a un élément d'interactivité fournit des renseignements de contrôle sur le consommateur. Ces renseignements deviennent précieux pour l'annonceur qui souhaite élargir ses relations, c'est-à-dire se rapprocher de l'utilisateur final.

Revenons au concept de Web TV et réfléchissons aux services de télévision et d'Internet actuels. Ils offrent aux annonceurs de puissants moyens d'influence, en ce sens qu'ils fournissent de l'information sur le téléspectateur. Cela leur permet de mieux cibler leur publicité.

Il est encore si difficile de prédire à quel point ces annonceurs exigeront une responsabilisation dans ce nouveau médium que j'ignore qui est prêt.

Le sénateur Bacon: Il faut prédire le futur.

M. Miller: En tant qu'industrie, nous avons bien fait d'établir deux organes, Digital Television Research Inc. et Canadian Digital Television, à l'étape qui précède la concurrence, pour nous aider à aller de l'avant. Cette initiative a été fort réussie. Elle nous a permis de nous préparer à faire la transition.

L'autre élément important de la politique gouvernementale en matière de radio et de télévision numériques, c'est qu'un des fondements de la diffusion d'antenne est l'accès universel.

Dans le domaine de la radio, nous le savons implicitement. Nous avons presque oublié que les signaux de télévision sont transmis gratuitement sur les ondes et que le quart des Canadiens comptent toujours sur cette forme de télévision. Dans le domaine de la télévision particulièrement, nous pourrions offrir de la télévision numérique sur le câble ou par satellite à très peu de frais. La partie coûteuse de cette activité est la transmission sur les ondes jusque chez ces 25 p. 100 de Canadiens. Par conséquent, s'il est important, pour des raisons de politique gouvernementale, de continuer à le faire, nous aurons besoin d'un certain soutien. Nous ignorons encore quelle forme devrait prendre cet appui. Il pourrait s'agir d'incitatifs ou d'autres arrangements, mais l'énorme investissement exigé pour conserver ces installations de télévision gratuite sur les ondes sera une préoccupation majeure tout au long de la période qui s'annonce.

Le sénateur Bacon: À la page 9, vous mentionnez que vous avez exhorté le CRTC à assouplir la réglementation. Certains prétendent que l'impact d'Internet sur la radio et la télédiffusion rendra désuètes certaines de nos politiques utilisant des quotas pour assurer une présence canadienne sur les médias électroniques. Êtes-vous d'accord?

M. Miller: Je crois que oui. Vous pouvez imaginer à quel point il est difficile de se présenter devant un organisme de réglementation et de lui dire qu'il ne peut pas réglementer ou qu'il ne sera pas capable de réglementer. Nous estimions nécessaire de préciser au conseil qu'il était non seulement difficile de réglementer les nouveaux médias, mais que ceux-ci influaient sur sa capacité de nous réglementer.

Comme tant d'autres choses, c'est une question de temps. Les nouveaux médias ne nuiront pas forcément à nos résultats financiers au cours des deux ou trois prochaines années. Nous pourrions donc attendre de voir ce qui se produira ou attendre cinq ans, si c'est ce qu'il faut.

Il faut se préparer à cette éventualité et il faut que le contexte encourage les radiodiffuseurs et les autres à faire les investissements voulus en R-D. Si les obligations en vertu de la réglementation sont excessives, nous ne pourrons pas le faire.

Quant à savoir si un règlement est durable, il n'est pas nécessaire que toute la réglementation disparaisse. Nous prévoyons que des exigences raisonnables en matière de contenu canadien pourraient être maintenues pendant quelque temps, mais le mot clé ici est «raisonnables». Nous avons été fort étonnés et inquiets d'apprendre que le conseil qui exige depuis 30 ans 30 p. 100 de contenu canadien dans les émissions diffusées à la radio a choisi aujourd'hui pour le porter à 35 p. 100. Cela ne nous semble pas très sensé. Toutefois, je ne crois pas que, dans un avenir prévisible, nous soyons opposés à un niveau raisonnable.

Le sénateur Maheu: Au fond, vous ne souhaitez pas qu'il y ait une réglementation, pas plus, j'imagine, que le producteur des moyens d'information. Il est beaucoup plus facile de diffuser des émissions américaines que d'encourager nos artistes canadiens et nos talents canadiens, ce que le CRTC, par exemple, ainsi que le gouvernement du Canada estiment essentiel.

Comment selon vous le Canada pourrait-il s'y prendre pour réglementer Internet, car ce n'est pas exactement facile à faire? Il importe de se concentrer sur la technologie, plutôt que sur l'idéologie. Puise-je connaître votre réaction?

M. Miller: J'espère que nous n'avons pas donné l'impression que nous n'aimons pas la réglementation. Comme vous pouvez vous en rendre compte, d'une certaine façon, la réglementation a énormément enrichi beaucoup de radiodiffuseurs. La différence, c'est que, là où par le passé la réglementation a réussi à frapper un juste équilibre entre les avantages et les obligations, la réglementation future se réduira, de plus en plus, à imposer des frais ou des obligations, sans rapporter d'avantages correspondants.

Actuellement, le CRTC peut nous fournir des avantages. Il peut protéger nos marchés, tenir à distance les signaux américains et nous accorder la priorité en câblodistribution. Il peut faire diverses choses pour nous aider. Sur Internet, il ne peut rien nous offrir. Que pourrait-il exiger de nous? Nous ne sommes pas ici pour décrier les organes de réglementation ou la réglementation comme telle. Nous disons qu'il faudrait changer le modèle.

Il est intéressant de s'interroger sur ce que sera le modèle, parce que nous examinons cette question depuis quelque temps déjà. Dans certains documents que j'ai rédigés il y a un an à peu près, j'ai vraiment écrit qu'on pouvait réglementer le Web grâce à un modèle fondé sur des incitatifs.

En un certain sens, mes idées n'ont pas changé, mais les expressions que j'utilise ont évolué, car nous avons découvert que, lorsqu'on utilise le mot «réglementation», cela suscite beaucoup d'hostilité. Quand on mentionne aux Canadiens la possibilité de réglementer l'Internet, cela les trouble. Si vous regardez la page Web créée par le CRTC pour inviter la population à faire des commentaires dans le cadre de ses audiences, il a reçu beaucoup de mémoires de personnes qui disaient: «De quel droit envisagez-vous la possibilité de réglementer le Web?» Que cela nous plaise ou non, cette idée est incendiaire. Nous avons donc décidé de ne pas utiliser cette expression.

Il y a des choses que l'on peut faire, et c'est pourquoi nous avons parlé d'un modèle fondé sur des incitatifs dans le cadre duquel, plutôt que d'avoir des obligations et des avantages, il y aurait des droits et des privilèges. Un fournisseur canadien de nouveaux médias qui développerait et diffuserait du contenu canadien sur un site Web aurait droit à certains incitatifs, qu'il s'agisse de subventions, de stimulants fiscaux ou de déductions fiscales pour la publicité. Donc, mettez de côté la terminologie et l'idéologie et utilisez les expressions qui vous plaisent. Il s'agit d'un modèle qui appuie le contenu canadien, les artistes canadiens et le talent canadien. Nous ne proposons pas, loin de là, d'abandonner la politique gouvernementale, de tourner le dos à nos réussites. J'espère certes ne pas avoir donné cette impression.

M. O'Farrell: Si nous examinons la petite entreprise privée qui a franchi la frontière canado-américaine en 1975 pour s'établir à Winnipeg et que nous examinons ce qu'est devenu CanWest Global aujourd'hui, effectivement, la réglementation a donné de fort bons résultats. Elle a permis à cette entreprise de devenir une société quasi nationale comptant des réseaux en Australie, deux réseaux nationaux en Nouvelle-Zélande et d'en mettre un tout nouveau en service en Irlande, en septembre dernier.

Cela nous a donné l'occasion d'exporter des compétences canadiennes en matière de radiodiffusion, ainsi que des émissions canadiennes dans d'autres juridictions en raison de nos relations là-bas. Rien de tout cela n'aurait été possible en l'absence de réglementation. Si vous y réfléchissez, c'est l'ancien modèle qui pose problème, non pas la réglementation comme telle ni le concept d'inscrire des objectifs culturels dans la loi et d'inciter une industrie à les réaliser. Comment atteignons-nous ces objectifs?

L'arrivée des nouveaux médias depuis l'avènement d'Internet a créé un nouveau paradigme dont il faut tenir compte. Nous continuerons à offrir des émissions d'information et à diffuser des événements sportifs aussi longtemps que ce sera possible, parce qu'il y a en règle générale un profit à faire dans ces catégories. Et nous continuerons de faire des documentaires, parce qu'en règle générale, ce genre de production rapporte un profit raisonnable. Du point de vue de l'entreprise privée, ce genre d'émissions permet de survivre.

La difficulté réside dans les séries d'émissions dramatiques qui doivent concurrencer les productions à grands budgets d'Hollywood. Le conseil commence à s'en préoccuper et à se demander comment on peut faire plus. Peut-être ne s'agit-il pas de faire plus, mais de mieux faire. Il faudrait peut-être investir nos ressources dans moins de projets, mais dans des projets de meilleure qualité que les Canadiens aimeront regarder.

Prenons l'exemple de l'expérience vécue au Québec que vous connaissez si bien. Quand vous examinez les budgets de production de certaines émissions extrêmement populaires, qu'elles soient diffusées par TVA ou par Radio-Canada, et que vous les comparez aux budgets des superproductions regardées dans les ménages anglophones, leur succès est étonnant. Toutefois, il existe toutes sortes de raisons très particulières qui expliquent pourquoi cette partie de la radiodiffusion est différente.

Je suis sûr que Daniel Lamarre et les gens de Québécor, du point de vue de TQS, seront d'accord pour dire qu'Internet a aussi des répercussions sur eux. Bien que la composante francophone vive une réalité économique différente, il faudra moderniser l'ancien modèle de réglementation sous cet angle également. M. Miller parle d'incitatifs qui encourageront les gens à réaliser leurs rêves commerciaux au Canada, plutôt que d'une réglementation qui les pousse à se demander: «J'ai une merveilleuse idée. Est-ce que je réalise ma production à Ottawa ou à Rochester? Le ferai-je à Laval ou à Plattsburg?». D'une façon ou d'une autre, l'idée se concrétisera sur Internet; la question à se poser est: Quelles barrières faudra-t-il surmonter? Éliminez les barrières et offrez des incitatifs à la création.

M. Blackadar: De nombreuses personnes ont affirmé -- et je crois moi aussi -- que la radiotélévision canadienne est la meilleure au monde parce qu'elle est née d'une combinaison de politique gouvernementale, de réglementation et d'entrepreneuriat. Elle a connu une croissance ordonnée grâce aux mesures prises par le gouvernement, à l'influence qu'a la Société Radio-Canada dans le secteur public et, je l'espère, à ce que nous, en tant que radiodiffuseurs privés, faisons, en jouant un rôle dans un espace géographique confiné qui s'étend de St. John's à Victoria.

L'approche adoptée par le gouvernement à l'égard de la radiotélévision a favorisé une croissance très ordonnée qui a profité aux entreprises comme la CanWest de M. Farrell, à ma propre entreprise, Shaw Communications, et à bien d'autres, grandes et petites. Elle a certes profité à la Société Radio-Canada. Le système comporte de nombreux avantages.

La réglementation a à bien des égards été avantageuse pour la radiotélédiffusion. Nous avons développé des talents canadiens à la radio en grande mesure grâce à cette réglementation. Cependant, nous nous retrouvons maintenant sur un terrain de jeu beaucoup plus grand. Quand nous parlons des nouveaux médias, nous parlons en réalité d'Internet. Nous parlons de diffusion numérique, qu'il s'agisse de radio ou de télédiffusion, mais c'est simplement une façon de transmettre sur les ondes les mêmes signaux que nous transmettions dans le monde analogique.

Le gouvernement du Canada est aussi responsable d'avoir introduit une norme mondiale dans le domaine de la radiodiffusion numérique. Le Canada était à l'avant-garde, le gouvernement, la Société Radio-Canada et les radiodiffuseurs privés versant des fonds à cette fin.

On peut donc affirmer au monde que la nouvelle radiodiffusion numérique est le résultat de votre politique gouvernementale.

Nous nous retrouvons maintenant aux prises avec cet énorme dilemme qu'est Internet, conçu par le gouvernement des États-Unis, par les militaires en vue de résister aux attaques nucléaires. Il est omniprésent. Il a des effets profonds, et notre problème est le même que celui de tous les autres, c'est-à-dire d'essayer de définir notre rôle.

Si notre rôle doit être de continuer à faire de la diffusion d'antenne, à encourager le talent canadien, entre autres, soit, à condition que la politique gouvernementale nous offre des incitatifs pour nous permettre d'aller plus loin, pour nous permettre de faire les investissements que d'autres, comme Rochester, San Diego ou l'Allemagne, n'ont pas à faire. Nous aimerions que les règles du jeu soient les mêmes pour tous ou, du moins, nous plier à une série de règles différentes prévoyant que, si nous continuons de favoriser la culture et le contenu canadiens, nous bénéficierons de certains incitatifs. Ce sera le message canadien, soit que nous pouvons continuer d'aller de l'avant.

Notre pays n'est pas si grand. Il n'y a qu'à regarder la taille des développeurs de contenu d'Internet là-bas, les Microsoft de ce monde, à côté desquels nos développeurs canadiens sont bien modestes. Nous aimerions que le gouvernement élabore quelque politique non pas pour nous subventionner, mais une politique incitative qui ferait que nous ayons quelque avantage à diffuser des émissions à contenu canadien.

Nous ne nous opposons pas à l'objet des règlements. Si nous vous avons donné cette impression, je m'en excuse, car ce serait plutôt le contraire. Nous devons maintenant trouver un autre moyen pour que tout cela fonctionne.

La vice-présidente: Nous revenons tout juste de l'Europe, où ils viennent de diffuser plusieurs documents et énoncés de politique. Ils sont encore en période de transition, mais l'une des choses qu'ils ont déjà bien comprises, comme nous ici, j'en suis convaincue, c'est que les produits de radiotélévision ne ressemblent pas aux autres produits. Ça n'a rien à voir avec aucun autre domaine, alors ce n'est pas uniquement une question de rentabilité. C'est une question d'identité, de culture et d'éducation d'un pays. Je sais que vous en êtes tout à fait conscients et je n'ai pas l'intention de vous faire un sermon. C'est leur principe fondamental.

Ils sont confrontés exactement au même problème que nous, soit le géant américain, non seulement sur le plan monétaire, mais aussi sur celui de la nature séductrice de la culture américaine.

Vous présentez ici les fondements d'un modèle de politique gouvernementale, bien que je ne sois pas sûre de bien le comprendre. J'ai l'impression que ce que vous dites, c'est débarrassez-nous des règlements et créez des incitatifs. Je ne vois pas en quoi c'est différent des subventions, et cela ne donne aucune garantie en matière de contenu canadien, à mon avis. Mais enfin je me trompe peut-être.

En fait, il y a une différence entre le développement des systèmes de télédiffusion et de radiodiffusion au Canada, parce que la radio a remporté un succès phénoménal et, sur le plan du contenu canadien, je ne suis pas sûre que la télévision a eu le même succès. Étant originaire de Winnipeg, je connais assez bien la société Global, et il me semble que la diffusion d'émissions américaines, qui sont beaucoup moins coûteuses que les émissions canadiennes, vous a beaucoup rapporté, de même que l'expansion à l'étranger.

Nous avons maintenant de nouveaux médias, mais toujours le même public de téléspectateurs férus d'émissions de divertissement et de sport. Pouvez-vous délimiter ce que vous pensez être le nouveau modèle, et avez-vous observé ce que fait l'Europe? L'une des questions du jour qui se pose là-bas, c'est comment inciter les radiotélédiffuseurs privés à investir plus dans la production. Il ne me semble pas que c'est ce dont vous parlez.

Du point de vue de l'intérêt public, qui est en fait notre point de mire, nous voulons préserver l'âme d'une nation, et c'est réalisable par le truchement de la radiotélédiffusion. Rien n'est plus puissant. Vous ne voyez pas les choses tout à fait comme nous parce que vous êtes en affaires et que, on peut le comprendre, vous devez réaliser des profits, et vous aimeriez combiner tout cela. Pourriez-vous étoffer la description de votre modèle de nouveaux médias, en ce qui concerne les règlements et les mesures incitatives?

M. Miller: Nos concepts sont assez semblables à ce que nous avons entendus venant de l'Europe. J'ai lu un rapport récent d'un comité du Royaume-Uni à propos du multimédia, et j'ai consulté d'autres documents.

La vice-présidente: La Commission européenne.

M. Miller: Peut-être ne suis-je pas aussi au fait que vous de tout ce qui se passe, mais je me suis efforcé d'y être attentif. Plusieurs éléments ressortent de l'examen que j'ai fait de la situation en Europe. Tout d'abord, la politique, là-bas, est de plus en plus une politique européenne plutôt qu'une politique nationale, et c'est d'ailleurs assez intéressant. Surtout lorsque la Communauté européenne a imposé le quota d'émissions européennes de 50 p. 100 et que les quotas nationaux ont été officiellement éliminés. Ils ont reconnu que leur problème, ce sont les Américains, et non pas l'un ou l'autre des pays de la Communauté européennes, et alors ils ont rationalisé la radiotélédiffusion dans une certaine mesure et convenu de ce quota commun en matière de contenu européen.

L'autre chose dont vous parliez, à propos des mesures incitatives et des partenariats, correspond tout à fait à ce dont nous parlions. Permettez-moi de passer à votre autre argument sur la politique gouvernementale, ses objectifs et ses instruments.

L'une des erreurs courantes, en politique gouvernementale, c'est que nos instruments deviennent nos objectifs. Un organe de réglementation qui impose un quota supposera que l'objectif visé est d'atteindre ce quota. Cependant, l'objectif n'est pas d'avoir 60 p. 100 d'un contenu particulier à la télévision et 30 p. 100 à la radio, mais plutôt de faire en sorte que les Canadiens regardent et écoutent des émissions canadiennes et de la musique canadienne.

Vous avez peut-être entendu dire que lors de l'examen effectué récemment sur les principes directeurs en matière de télédiffusion, nous avons dit à la commission que l'objectif devrait être que les Canadiens regardent la télévision canadienne et qu'il faudrait orienter les politiques en ce sens. Si cela devait signifier des émissions en plus petit nombre mais de meilleure qualité qui attirent un plus vaste auditoire, ces émissions pourraient être exportées. Les sociétés pourraient ainsi rentrer dans leurs frais et produire plus d'émissions canadiennes de meilleure qualité. Cela enclencherait un cycle économique qui réaliserait l'objectif de la politique gouvernementale qui veut que les Canadiens regardent des émissions canadiennes, de même que nos objectifs commerciaux.

Nous l'avons dit déjà, la Loi sur la radiodiffusion a créé un secteur public et un secteur privé, et non pas un secteur public et un secteur sans but lucratif. Personne, que ce soit nous, le gouvernement ou le CRTC, ne considère que les profits sont une mauvaise chose. Ils sont en fait absolument nécessaires. Bien que Global soit un chef de file dans l'industrie et que nous souhaitions tous avoir le même succès que lui, les profits que fait cette société ne dépassent réellement pas ceux d'industries comparables, comme celles des télécommunications ou de la câblodistribution aux États-Unis. Dans un monde où la mise en commun de capitaux se fait de plus en plus et où les fonds de pension contrôlent la destinée des compagnies, si leurs activités ne génèrent pas de profits suffisants, le coût du capital dépasse les limites et les investissements indispensables ne sont pas faits. Il est important de reconnaître que la rentabilité n'est pas une mauvaise chose en soi.

Il nous faut mettre l'accent plus nettement sur le but visé, qui est que les Canadiens regardent plus d'émissions canadiennes et écoutent plus de musique canadienne, et un service local, pour que puisse être créé un modèle tout à fait différent.

La vice-présidente: Vous êtes en train de plaider en faveur du maintien d'un système de radiotélédiffusion public.

M. Miller: En fait, les deux. Nous l'avons reconnu, la société de radiotélédiffusion publique a certains pouvoirs que la société privée n'a pas, mais si vous mettez tous les motifs et les objectifs sur le compte de la politique d'intérêt public, vous marginalisez la musique canadienne et les émissions canadiennes. Donc, les deux types de sociétés sont nécessaires, et il y a certaines choses que la société publique pourrait et devrait faire.

Vous avez astucieusement demandé si c'était une question de subventions. Eh bien, il n'existe que deux modèles de politique publique; le premier est fondé sur des mesures structurelles qui reviennent à une espèce d'interfinancement et l'autre, c'est la subvention directe. Dans le cadre des accords d'échanges internationaux, ont reconnaît de plus en plus qu'au bout du compte, seul le modèle subventionnaire résiste à un examen minutieux dans le domaine du commerce et peut fonctionner dans un monde sans frontière. Le modèle structurel n'est valable que si on y impose des limites, comme dans le cas de la télédiffusion, et les sociétés de radiotélédiffusion ont été capables de faire certaines choses qui ne rapportent pas et de les financer avec les revenus des activités rentables. Cependant, ce modèle ne fonctionnera plus, alors lorsqu'on parle de mesures incitatives, il s'agit bien de subventions du gouvernement. Si on vise l'intérêt du public, cela semble raisonnable.

Selon notre modèle, la radiotélévision s'apparente de plus en plus à l'entreprise d'édition et d'impression, qui ne connaît pas de frontières. La politique gouvernementale qui régit l'industrie des magazines au Canada, et le secteur de l'édition en général -- à l'exception près de la déductibilité de la publicité, qui reste un facteur clé des nouveaux médias -- est fondé sur les subventions.

M. O'Farrell: Il y a un énorme malentendu au Canada en ce qui concerne la télédiffusion conventionnelle et son lien avec la programmation américaine. Les sociétés de radiotélédiffusion doivent observer une règle fondamentale, qui veut que la programmation comporte 60 p. 100 d'émissions canadiennes en général, et 50 p. 100 aux heures de grande écoute. Les postes de Global ne diffusent pas plus d'émissions américaines que CTV ou que quiconque. Le pourcentage est exactement le même.

Avons-nous eu plus de chance qu'eux, du fait que nous avons acheté des émissions américaines bénéficiant de cotes plus élevées, ou est-ce que ce sont eux qui ont eu plus de chance que nous? Peut-être, mais le fait est que le Conseil a permis aux câblodistributeurs de desservir les collectivités à l'échelle nationale et de distribuer des émissions américaines moyennant certains frais.

Le régime de réglementation a donc favorisé la concurrence sur le marché intérieur, mais sans réciprocité, bien entendu, puisqu'il n'y avait pas beaucoup de chaînes canadiennes offertes sur le câble aux États-Unis. Soudainement, nous étions confrontés à la concurrence étrangère, et nous faisons de l'argent en réalisant des profits à même une émission. Même si le réseau ABC sur votre câble vous permet d'avoir accès à l'émission Ally McBeal, par exemple, une chaîne canadienne peut acheter les droits de diffusion canadiens et, grâce à la substitution de signaux identiques, supprimer le signal américain. C'est un droit de diffusion, un droit de propriété que nous sommes autorisés à utiliser. C'est grâce aux profits que génèrent les radiodiffuseurs canadiens en diffusant des émissions comme Ally McBeal et en vendant de la publicité aux annonceurs canadiens que nous subventionnons les composantes non rentables de la programmation canadienne.

Au Québec, les émissions comme La Petite Vie ont des cotes d'écoute extrêmement élevées.

La vice-présidente: Je ne comprends pas l'émission, mais je la regarde.

M. O'Farrell: Une émission est considérée comme un succès au Canada si elle attire des centaines de milliers de téléspectateurs. Même au Québec, avec ces cotes d'écoute extraordinaires, l'émission Omertà ne pourrait être réalisée sans l'aide financière du gouvernement. Nous sommes un petit pays et les coûts de production ici sont très élevés. Or, il n'est pas toujours rentable d'amortir de tels coûts à même un bassin de population restreint.

M. Miller: Bien entendu, ce qui distingue la radio de la télévision, ce sont les coûts de production. Par exemple, il en coûte moins cher de produire un CD que de réaliser une dramatique. C'est aussi simple que cela.

La vice-présidente: C'est à cause de ces coûts que le Canada se trouve dans situation presque intenable, et nous n'avons pas de système de distribution. C'est un fait qui est également reconnu en Europe.

Quel sera le rôle de radiodiffuseur par rapport au réseau Internet? Si les gens peuvent y avoir accès gratuitement, comment allez-vous réaliser des profits? Vous risquez d'être rayé de la carte.

M. Miller: Nous en parlons dans le tableau que nous vous avons montré.

La vice-présidente: Je parle de profits, et des raisons pour lesquelles vous ne voulez pas vous servir du Web comme moyen de diffusion, à l'instar de Yahoo et Infoseek.

M. O'Farrell: Mais nous le voulons. Que nous réserve l'avenir? Tout le monde semble s'intéresser à cette question, et plus nous en savons, plus nous devenons inquiets. Notre entreprise et celle de M. Blackadar, de même que les autres radiodiffuseurs, ont peut-être trois à cinq ans pour s'adapter. S'ils n'arrivent pas à le faire et s'ils continuent de fonctionner comme des radiodiffuseurs conventionnelle, il y aura sans aucun doute beaucoup de victimes.

Nous pouvons nous adapter en consacrant plus d'efforts à la R-D, mais pour ce faire, nous devons nous pouvoir nous appuyer sur une politique gouvernementale qui continue de mettre l'accent sur la souveraineté culturelle, que ce soit par le biais de la radiodiffusion, de la diffusion ciblée ou d'Internet. Nous pensons que la canadianisation de notre contenu demeurera un élément clé, mais nous ne pouvons pas canadianiser le contenu qui n'est pas rentable parce que nous ferons faillite. Nous devons peut-être miser davantage sur les émissions plus rentables comme les nouvelles, les sports et les documentaires. C'est faisable, de même qu'avec les dramatiques longue durée.

Traders est une des meilleures séries dramatiques canadiennes diffusée par Global. Toutefois, elle n'atteint toujours pas le seuil de rentabilité. Pour chaque 1,45 $ que nous dépensons, nous touchons 1 $ sous forme de revenu.

Le sénateur Maheu: Je voudrais revenir à ce que M. Miller a dit plus tôt au sujet de la Communauté européenne et du contenu européen. On privilégie, en théorie, le contenu européen, mais dans les faits, chaque pays met l'accent sur le contenu national. Quel est votre avis là-dessus?

M. Miller: Je crois comprendre que le contenu est fonction des intérêts commerciaux. En France, ils mettent l'accent sur le contenu national français, et en Grande-Bretagne, ils mettent l'accent sur le contenu national britannique. Le quota de 50 p. 100 établi par la CE se rapproche sans doute du quota national. Ce n'est pas la même chose ici. Comme le contenu canadien est fixé à 60 p. 100, nous ne pouvons pas avoir un contenu de 40 p. 100 fondé sur des intérêts commerciaux, et un contenu de 20 p. 100 composé d'émissions anglaises ou néo-zélandaises. Un radiodiffuseur privé comme Channel 5 au Royaume-Uni doit satisfaire le critère de 50 p. 100, sauf que 30 p. 100 de celui-ci peut être composé d'émissions nationales, le reste provenant d'autres pays d'Europe.

Le sénateur Bacon: La réalisation d'émissions de qualité coûte de plus en plus cher, la multiplication des stations de télévision fragmente les recettes publicitaires, et l'avènement d'Internet fragmentera encore plus les téléspectateurs. Dans ces circonstances, comment l'industrie de la télévision peut-elle continuer de produire des émissions de bonne qualité?

M. Miller: Ce tableau, avec lequel mon collègue n'est pas d'accord, explique la phase deux du processus. Il y aura toujours des stations de télévision qui vont diffuser la partie du Superbowl le dimanche, ou les émissions Traders ou Seinfeld, le jeudi soir. Pourquoi les gens voudraient-ils tous regarder une bonne série dramatique à une heure donnée, un soir donné, si Internet peut théoriquement leur permettre de télécharger cette émission?

Les gens ont leurs habitudes, et ils aiment prendre rendez-vous avec leur téléviseur pour regarder une émission particulière. Par exemple, ils aiment bien écouter les nouvelles avec Mansbridge, le soir. C'est quelque chose de positif. Ils peuvent le faire en famille, discuter de l'émission le lendemain avec leurs collègues. Cet attrait particulier représente, d'après moi, entre 60 et 70 p. 100 de la télévision conventionnelle.

Il s'agit là d'un chiffre prudent, sauf que nous comptons trop sur les émissions à succès américaines. Si nous n'arrivons pas à exploiter à fond les émissions à succès canadiennes, nous n'aurons peut-être rien à diffuser. Pour revenir à ce qu'on a dit plus tôt, la fragmentation est en train de changer toute la structure des coûts de production. Dans le passé, le diffuseur conventionnel avait l'habitude d'assumer tous les coûts. Aujourd'hui, le réseau va peut-être diffuser une émission deux ou trois fois avant qu'elle ne soit prise en charge par un diffuseur spécialisé. La question qu'il convient de se poser est la suivante: quelle place occupera Internet? Sera-t-il le premier à diffuser cette émission? Par exemple, si vous voulez voir Seinfeld le jour avant que l'émission ne soit diffusée à la télévision, vous pouvez soit payer 50 cents pour la visionner, soit attendre de la voir gratuitement à la télé le lendemain. Personne ne sait comment les choses vont se passer. Il se peut qu'une fenêtre génère moins de revenus, de sorte que vous allez devoir, en tant que réalisateur, combiner plusieurs fenêtres ensemble pour obtenir des résultats. Cela complique les choses, mais c'est réalisable.

Le fait que n'importe qui peut se servir du Web comme moyen de diffusion présente à la fois des avantages et des inconvénients. Comment faites-vous pour capter l'attention des gens? La radiodiffusion a ceci d'avantageux qu'elle tient lieu de regroupeur, de programmateur. Ainsi, lorsque je syntonise YTV, MuchMusic ou Global, je sais que je vais voir quelque chose et il se peut que je sois attiré par ce produit. Quel est l'équivalent sur le Web? Comme vous l'avez laissé entendre, cette équivalence se traduira sous forme de sites d'accueil et de produits, et nous devons faire partie de ce mouvement.

La vice-présidente: C'est toute une occasion qui s'offre à vous, car, à mon avis, les gens vont non seulement regarder les émissions intéressantes, mais également les émissions auxquelles ils sont habitués. Vous pouvez éduquer le public.

À l'heure actuelle, on l'encourage à regarder les émissions américaines, mais ce n'est pas nécessairement inévitable.

M. Miller: Pour ce qui est des services spécialisés, YTV s'adresse aux enfants, et MuchMusic, aux adolescents. Ils sont branchés sur les sites Web, les nouveaux médias. Ils sont dirigés par des gens intelligents qui vont chercher à exercer un contrôle sur le produit. Ils sont bien positionnés pour faire affaire sur le site Web, contrairement à d'autres services spécialisés.

Il y a au moins deux options qui s'offrent aux radiodiffuseurs. Ils peuvent exploiter leurs points forts, leur «caractère local», leur transférabilité, et veiller à que tout le monde ait accès à cette base communautaire et puisse capter sa station radio préférée, que ce soit via l'ordinateur ou dans la voiture.

Sinon, ils peuvent segmenter davantage le format, offrir un service au-delà de la collectivité, faire connaître les nouveaux artistes avant-gardistes, comme le fait la société de M. Blackadar. La fragmentation amène les gens à faire des choix très différents, suivant les défis auxquels ils sont confrontés, et nous espérons que les radiodiffuseurs intelligents sauront tirer parti de ces occasions.

M. Blackadar: Même si nous avons nos habitudes, il ne faut pas présumer que ces habitudes sont coulées dans le béton. Les choses évoluent très vite. Par exemple, d'après les statistiques, il y a deux groupes qui s'intéressent de près à Internet. Il y a d'abord les enfants, les jeunes, les adolescents, groupe dont l'âge varie entre quatre ou cinq ans et le début de la vingtaine. Il y a ensuite le groupe dont je fais partie, les 55 ans et plus.

Il est intéressant de voir que c'est à 10 h 30, le soir, que l'on fait le plus grand usage d'Internet. Nous avons constaté que le temps d'écoute consacré à la télévision est réduit de trois heures environ dans les foyers qui sont munis d'Internet. On écoute également moins la radio dans ces foyers. De nombreuses personnes constatent que le contenu des émissions diffusées à la télévision et à la radio ne les intéresse plus parce que ce qu'ils cherchent avant tout, c'est l'interactivité.

Nous consultons probablement, vous et moi, le rapport financier du Globe and Mail, le soir, pour voir ce que rapportent nos investissements. Vous prenez aussi sans doute le temps de vérifier le rendement des autres fonds. La télévision et la radio traditionnelles commencent à perdre des clients.

Dans mon propre secteur, le plus grand défi qui se pose à nous est le coût de notre site Web. J'en suis à la septième version, et cela coûte de plus en plus cher à chaque fois. Le site, lui, ne rapporte rien.

J'essaie d'offrir des émissions de divertissement aux personnes âgées de 16 à 28, 29 ans, et je trouve cela intéressant.

Le défi consiste à évoluer avec notre auditoire, et manifestement, nous avons la possibilité d'utiliser Internet et le Web comme moyen de diffusion. Nous n'avons pas vraiment le choix, parce que nous allons en payer le prix si nous ne le faisons pas. Nous devons suivre la tendance, sauf que les revenus ne permettent pas de couvrir les coûts.

Nous nous sommes engagés à respecter les exigences en matière de contenu canadien, et non seulement nous les dépassons, mais je réalise de nombreuses entrevues avec des artistes canadiens, que je diffuse sur le Web et pour lesquelles il y a une forte demande. J'ai apporté avec moi des pages Web qui indiquent qu'il y a des gens aux Pays-Bas, à Tokyo et au Brésil qui écoutent ma station sur Internet, parce qu'il s'agit de la station d'attache à laquelle M. Miller a fait allusion. C'est le contenu canadien qui les intéresse, parce qu'ils veulent entendre ce qu'ont à dire les artistes canadiens.

La vice-présidente: En plus, il s'agit d'une très bonne émission radio qui intéresse les Américains.

M. Blackadar: Toutefois, pour être en mesure de nous positionner, nous devons consacrer de plus en plus de ressources au Web, parce que j'ai l'impression que dans un très proche avenir, les habitudes des consommateurs vont commencer à changer, comme ce fut le cas avec la télévision. Il y a tellement de choses intéressantes sur Internet que les gens vont consacrer de moins en moins de temps à la radio. Il en coûte de moins en moins cher tous les mois de se brancher sur Internet. De plus en plus de personnes s'y intéressent. Il est étonnant de voir à quel point la situation a évolué en si peu de temps.

La vice-présidente: Alors pourquoi les journaux sont-ils plus populaires que jamais, malgré ces nouveaux médias?

M. Blackadar: Je ne suis pas ici pour parler au nom des journaux.

La vice-présidente: Je présume que les anciens médias vont continuer d'exister.

M. Blackadar: Nous devons reconnaître qu'Internet est un média parmi d'autres. La plupart d'entre nous savons conduire une voiture, mais certaines personnes ont de la difficulté à le faire. De la même façon, il y a beaucoup de personnes qui vont continuer de se passer de l'ordinateur, et il y a des gens qui ne savent pas dactylographier. Nous avons tous des aptitudes différentes, mais Internet demeure manifestement un média parmi d'autres.

Si vous jetez un coup d'oeil sur ce que font certains journaux, vous allez noter que le Toronto Sun, par exemple, a maintenant une adresse «auto.com». Vous pouvez vendre et acheter des voitures via Internet, ce qui aura un impact sur les méthodes de vente traditionnelles.

Nous ne voulons pas, en vous quittant, vous donner l'impression que nous sommes sur le point de plier bagages. Ce n'est pas du tout notre intention. Nous allons nous brancher sur Internet parce que nous n'avons pas le choix. Comme il n'y pas de règlements inutiles qui nous empêchent de le faire, nous allons faire la transition.

La vice-présidente: Nous n'avons pas examiné à fond le modèle que vous avez proposé. Si vous avez d'autres commentaires à faire à ce sujet, j'aimerais les entendre.

À votre avis, faudrait-il exiger des fournisseurs de services Internet qu'ils consacrent 5 p. 100 de leurs revenus bruts au financement du contenu multimédia, tout comme le font les systèmes de câblodistribution, de télévision par satellite et autres systèmes?

M. Miller: Nous avons consacré beaucoup de temps à cette question, et il y a une personne parmi d'autres qui s'est prononcée contre cette idée, soit le propriétaire de Silk FM, une station de Kelowna qui est également un fournisseur de services Internet. L'idée ne l'intéressait pas.

Il est important de souligner que les câblodistributeurs consacrent 5 p. 100 de leurs revenus de télédiffusion, et non 5 p. 100 de leurs revenus de télécommunications, au financement de la programmation canadienne. Si vous décidiez d'imposer cela aujourd'hui, vous n'auriez pas de revenus. Comme personne encore ne diffuse sur l'Internet, nous avons conclu qu'un tel geste serait prématuré. C'est un modèle que l'on devrait peut-être examiner plus tard, mais nous comprenons le point de vue des fournisseurs de services Internet. Ils sont en train de bâtir leurs entreprises et ne réalisent aucun profit. Cette taxe leur nuirait. La société AOL Canada ne serait pas contente, mais elle la paierait. Il est prématuré de poser un tel geste parce que vous risquez d'acculer Istar ou un fournisseur canadien de services Internet à la faillite.

M. O'Farrell: Les câblodistributeurs exercent des monopoles dans leurs territoires respectifs, contrairement aux radiodiffuseurs qui, eux, peuvent exploiter des stations de télévision. Cette taxe de 5 p. 100 constitue, pour eux, un moyen de payer pour ce monopole.

M. Miller: Il est vrai que notre modèle manque de précision, nous ne prétendons pas le contraire, mais nous pensons en avoir défini certains éléments, et nous serions heureux d'en discuter avec vous. C'est ce qui a servi de fondement aux 12 recommandations que nous avons formulées.

Nous croyons que la radio, la télévision et les radiodiffuseurs spécialisés feront partie des nouveaux médias. Toutefois, le problème, et celui qui nous préoccupe au plus haut point, c'est de voir quel sera leur contenu canadien.

La vice-présidente: Je vous remercie beaucoup d'être venus nous rencontrer. Nous allons vous envoyer les autres questions que nous voulons vous poser.

Il me faut une motion pour reporter le dépôt du rapport.

Le sénateur Bacon: J'en fais la proposition.

La vice-présidente: Êtes-vous d'accord?

Des voix: Oui.

La vice-présidente: Je vais demander que le dépôt du rapport soit reporté au 31 mars 1998.

La séance est levée.


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