Délibérations du sous-comité des
Communications
Fascicule 11 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 17 février 1999
Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 16 heures, pour étudier la position concurrentielle internationale du Canada dans le domaine des communications en général et notamment l'importance des communications au Canada sur les plans économique, social et culturel.
Le sénateur Marie P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Nous avons entrepris une étude, dont le premier rapport a été déposé au Sénat pour la première fois il y a 18 mois, au sujet de la position concurrentielle du Canada dans le domaine des communications en général. Le premier rapport portait principalement sur les changements technologiques, les ressources humaines et la culture. Cette fois-ci, nous nous intéressons non seulement aux changements technologues mais également aux questions de contenu qui soulèvent des questions concernant l'identité, la culture et les messages. Nous savons que vous vous intéressez beaucoup aux deux aspects. Votre exposé sera suivi de questions et réponses.
M. Eli M. Noam, docteur, professeur de finances et d'économie; directeur du Columbia Institute for Tele-Information: Lorsque j'étais candidat au doctorat, j'ai travaillé pour John Kenneth Galbraith, qui est l'une des réussites du Canada sur le plan des exportations culturelles. M. Galbraith disait que l'un des principaux rôles des États-Unis était d'annoncer au monde les calamités qui l'attendaient dans quelques années. Il y a donc lieu de se demander si l'expérience américaine dans l'Internet est valable dans d'autres pays.
L'Internet, qui est à la fois réseau et phénomène culturel, a suscité énormément de fascination et de battage publicitaire. Je le vois un peu comme un terrain d'essai sur lequel chacun projette ses craintes, ses fantaisies et ses attentes. Pendant un certain temps, on a cru que la transparence de l'Internet entraînerait une refonte de toutes les lois économiques et sociales en matière de contrôle et de hiérarchie, la substitution du partage à l'acquisition et autres belles choses. Le nouvel homo economicus était arrivé, grâce à la commutation par paquets, croyait-on. Ceux qui le croyaient reviennent maintenant à la réalité et se rendent de plus en plus compte qu'il y a des barrières d'accès et une concentration commerciale dans l'industrie de l'Internet. Cette réalité frappe tout autant le domaine numérique que le domaine physique.
D'autres peuvent regarder l'Internet et constater, surtout aux États-Unis, une disparition des écarts entre les sexes, les groupes d'âge, les races, les niveaux d'éducation et de revenu. Le fossé des sexes se rétrécit chaque année, tout comme au Canada. La majorité des nouveaux abonnés à l'Internet sont des femmes et l'écart entre elles et les hommes diminue d'année en année. C'est un fait. Toutefois, il s'agit essentiellement d'une bonne nouvelle au départ.
L'ordinateur personnel ne conservera pas le monopole de l'accès à l'Internet comme c'est le cas aujourd'hui. L'ordinateur personnel est sans doute l'appareil le moins convivial jamais mis à la disposition des consommateurs et il est coûteux. L'ordinateur est, aujourd'hui, notre moyen d'accès à l'Internet, mais dans quelques années, sinon avant, de nombreux autres appareils nous permettront d'y accéder, notamment les téléviseurs, les magnétoscopes, les automobiles qui communiqueront entre elles ou avec l'autoroute, les tondeuses à gazon qui communiqueront avec la remise, et cetera. Les colis seront reliés aux expéditeurs. En somme, le monde sera rempli de capteurs qui communiqueront entre eux de diverses manières et les communications d'appareil à appareil remplaceront en grande partie les communications de personne à personne ou de personne à appareil. À peu près tout le monde sera relié à l'Internet, tout comme à peu près tout le monde a accès à l'électricité à l'heure actuelle. Dans les pays riches, cela ira de soi. Tout comme c'est le cas de l'électricité, l'Internet sera omniprésent.
Il est également possible d'examiner l'Internet sous un autre angle pour en voir les diverses possibilités. Les gens attendent une forme de fraternité universelle et ont vu dans l'information et les communications un outil de rapprochement. Je vais parler de cet aspect, car je crois qu'il présente un intérêt pour vous.
En plus de jeter des ponts, comme elle le fait déjà dans une certaine mesure, la convergence numérique, c'est-à-dire l'Internet, pourrait aussi engendrer des tensions, des guerres commerciales, des conflits culturels, et cetera. L'un des principaux vecteurs de conflit est ce que la revue The Economist appelle «la mort de la distance», ce qui signifie que la protection engendrée par la distance n'existe plus. Les pays sont séparés par de longues distances ou par des océans qu'il est coûteux de franchir physiquement ou au moyen des communications. Cette protection disparaît parce que nous sommes à l'aube d'une véritable révolution de la capacité. La plupart des gens ne se sont pas encore arrêtés à cela car ils sont actuellement davantage préoccupés par le manque de capacité. On appelle le World Wide Web le "World Wide Wait" en raison de l'encombrement qui y règne et des périodes d'attente pour obtenir de l'information. Dans quelques années cependant, ce problème sera chose du passé.
Plusieurs facteurs y contribueront. Le premier est d'ordre économique. À l'heure actuelle, l'Internet se compose de signaux économiques et incitatifs bizarres, étant issu des secteurs à but non lucratif et gouvernemental. L'Internet est apparu en grande partie à l'extérieur du système de marché, devenant ainsi l'élément le plus socialiste qu'ont jamais connu les États-Unis. Toutefois, cette situation s'estompe rapidement et des signaux de prix commencent à apparaître. Cela permettra d'atténuer le problème d'encombrement de l'Internet, mais l'accès en deviendra cependant plus coûteux.
Nous verrons un accroissement de capacité extrêmement important et, dans l'avenir, la transmission sera le moteur plutôt que le frein. Il suffit de voir la capacité prévue des réseaux américains grâce à la nouvelle troisième génération de distributeurs comme Level 3, Qwest, IXC, ICG ou Williams. Ajoutons à ces nouveaux distributeurs la capacité de ceux, déjà établis, comme AT&T, MCI, Sprint, ainsi que les entreprises Bell qui rongent une partie du marché des interurbains, la capacité et l'amélioration technologique de la fibre optique, le multiplexage par division des ondes qui a déjà atteint presque 100 fenêtres, la technologie des amplificateurs et diverses autres améliorations et nous pouvons voir que nous sommes au début d'une révolution extraordinaire de la capacité. Dans dix ans, peut-être, la capacité des dorsales par habitant et par ménage aux États-Unis sera tellement grande que plusieurs canaux de vidéo compressée pourront être distribués simultanément dans chaque foyer américain à des moments différents.
L'augmentation de la capacité des dorsales devrait normalement s'accompagner d'une croissance équivalente de la capacité locale. Nous assisterons également à une expansion comparable des liaisons internationales, non seulement au Canada, mais dans d'autres pays d'outre-mer. Des grands projets, comme les câbles sous-marins, les satellites géostationnaires et les OBT augmenterons la capacité à des niveaux jamais atteints. Le prix de l'équipement baissera, le coût marginal deviendra non significatif, les prix chuteront sous l'effet de la capacité et ne fluctueront pas. Le coût d'abonnement téléphonique de base ne fluctuera à peu près plus et offrira des possibilités d'appel presque illimitées au Canada comme à destination d'un pays étranger. Pour 35 $ par mois, il sera possible d'appeler quelqu'un à Tokyo ou New York et de lui parler presque indéfiniment.
Quelles seront les répercussions? Dans le cas des médias télévisuels, la protection assurée par la distance n'existera plus. Les compagnies pourront distribuer une programmation vidéo par réseaux de fibres sur de longues distances sur l'Internet. Elles ont déjà commencé à le faire, notamment par le truchement des compagnies Broadcast.com, qui comptent un grand nombre de stations radio. Il en sera de même pour les stations de télévision. Les transmissions se feront non seulement depuis les stations de télévision et par retransmission en direct mais également à partir des serveurs, c'est-à-dire du matériel d'entreposage installé en divers points et capable de distribuer de la vidéo sur demande, moyennant un certain coût ou grâce à des subventions ou à la publicité.
La diffusion changera considérablement. Elle ne reposera plus sur les réseaux comme c'est actuellement le cas. Il est probable que les producteurs de Hollywood auront leurs propres serveurs, comme les serveurs Disney, Fox ou MGM, situés aux États-Unis ou dans certains centres régionaux, et pourront distribuer des produits vidéo à faible coût et de façon efficace vers d'autres pays. Les canaux personnalisés supplanteront en grande partie les canaux actuels. Nous aurons davantage accès à un magasin vidéo qu'à un canal de radiodiffusion. Nous continuerons d'avoir accès aux canaux de radiodiffusion pour écouter, par exemple, les informations en temps réel. Certaines choses ne disparaissent pas vraiment. La radio existe toujours et occupe une place importante. Les foyers américains écoutent encore la radio en moyenne 3,3 heures par jour. Les choses ne disparaissent pas complètement, elles perdent seulement leur prépondérance.
L'avantage que possède l'industrie de production américaine est qu'elle dispose d'un budget considérable, elle a une approche commerciale et ses réseaux de distribution sont axés sur la distribution de technologie de pointe. Elle peut compter sur de puissants moyens de distribution partout dans le monde pour les films qui ont fait la réputation de Hollywood, c'est-à-dire des productions à grand déploiement et à gros budget. Il pourra y avoir des niches pour la production nationale ou la production spécialisée, mais la capacité de contrôler ces distributions dans le cadre du système d'octroi de licences deviendra plus incertaine. La chose demeurera possible, mais difficile. À mesure que s'estomperont les contraintes traditionnelles liées à l'attribution de ressources rares, les choses ressembleront davantage à l'octroi d'une licence à une compagnie de distribution de cassettes vidéo.
Des tendances semblables verront le jour dans le commerce électronique. La transmission mondiale sans coût entraînera un accroissement énorme du nombre de transactions.
Les entreprises américaines seront vraisemblablement celles qui réussiront le mieux. Le commerce électronique n'est pas l'apanage des États-Unis, mais ce pays jouit d'une avance technologique dans ce domaine. Les entreprises américaines disposent de capital-risque. De plus, il y a des avantages à être parmi les premiers venus sur un marché et à disposer d'un marché national imposant. Toutes ces choses vont ensemble.
Une fois qu'un modèle efficace, comme Amazon.com, est en place, il devient relativement facile de l'étendre à d'autres pays. Les coûts d'expansion sont relativement faibles. Le modèle est une réussite et peut être étendu. Lorsqu'existe un tel modèle, il devient plus difficile d'en produire une réplique ailleurs. Il pourrait être plus difficile d'avoir un Yukon.com au Canada. C'est possible, mais plus difficile, parce qu'il existe déjà un autre modèle.
De nombreuses entreprises éprouvent de la difficulté à entrer sur le marché. Le plus important distributeur et détaillant de livres aux États-Unis, Barnes & Noble, ne fait plus guère de progrès dans ce domaine. Il existe un réel avantage à être le plus grand, le premier arrivé, à créer un modèle efficace et à avoir une base d'utilisateurs fidèles.
L'avantage dont disposent les États-Unis repose sur une combinaison de facteurs unique. Les Américains sont très forts du point de vue matériel, logiciel, liens avec les universités qui effectuent de la recherche, télémarketing et télévision par câble et ils possèdent un système de télécommunications relativement concurrentiel. Ce sont tous des facteurs avantageux.
En examinant ces facteurs, je me suis rendu compte que plusieurs d'entre eux existent déjà au Canada. Dans certains domaines, le Canada est en meilleure position que des pays comme le Japon. La question est de savoir comment agencer ces facteurs pour en tirer une synergie.
Je suis inquiet, car une révolution fait des perdants et ces derniers vont s'organiser. C'est une chose qu'ils savent très bien faire. Si les États-Unis sortent gagnants de la révolution de l'information, les perdants vont s'organiser et s'adresser au gouvernement et aux organisations internationales pour obtenir des restrictions et une réglementation afin de créer un parapluie protecteur.
Les arguments de l'un et l'autre camp ont sans doute leur justification, mais si on tient compte de tous, on constate que cela risque d'aboutir à une guerre commerciale dans le domaine de la cybernétique. Comment éviter d'en arriver là? Il faut que les autres pays réussissent aussi. Les Américains ont donc avantage à ce que le Canada réussisse très bien dans ce domaine.
Le gouvernement américain a fait valoir un peu partout dans le monde la nécessité de créer des zones de libre-échange sur le marché de l'électronique. Il a également pris position contre l'imposition d'une taxe de vente. Il est remarquable que le gouvernement américain soit allé demander aux autres de ne pas taxer.
Si le gouvernement fédéral accordait tant d'importance à l'Internet, il aurait pu l'exempter de la taxe fédérale. Il s'est contenté de demander aux États de ne pas imposer de taxe de vente.
Il est toujours facile de s'opposer en paroles aux restrictions. J'imagine la réaction qu'auraient les États-Unis face à des télé-médecins albanais ou pakistanais qui exploiteraient l'Internet avec succès et sans permis. S'opposerait-il toujours à la réglementation des transactions sur l'Internet? Quelles réactions engendrerait la vente de pornographie juvénile depuis la Thaïlande, de cigares par courrier en provenance de Cuba, la participation à des jeux de hasard en provenance Monaco ou la vente de titres spéculatifs en provenance du Nigéria?
Le fait est que chaque société possède un ensemble de valeurs et d'intérêts qui, pour le meilleur ou pour le pire, sous-tendent ses lois. Aucune société ne renoncera à ses valeurs et intérêts simplement parce que ces activités ont maintenant lieu sur des réseaux informatiques. Il est totalement naïf de croire que l'Internet puisse devenir une sorte d'île où se pratiquerait le libéralisme excessif dans une société qui possède des règles.
Les gens tiennent habituellement pour acquis qu'il est tout simplement impossible de réglementer l'Internet et les transactions qui y ont cours. Après tout, des enfants de 12 ans réussissent bien à contourner des organes de réglementation gouvernementaux lourdement protégés. En un sens, ce n'est pas vrai.
Il est difficile de réglementer les transactions électroniques elles-mêmes, mais les communications ne sont pas que des trains numériques et des transactions. Elles font également intervenir des entités physiques, des personnes et des établissements qui possèdent des domiciles et des avoirs. S'il est impossible d'attraper les éléments mobiles du système, on peut, en revanche, attraper les parties immobiles, comme les réseaux de transmission, les objets livrés, les colis, les personnes, les installations de transmission, les avoirs, les publicitaires, et cetera.
Cette façon de faire n'est peut-être pas parfaite, ni la plus élégante, mais l'impôt sur le revenu et les charges transportées ne le sont pas non plus. Le fait qu'il y ait un certain dérapage et qu'il soit impossible de contrôler toutes les transactions, comme c'est également le cas des impôts, ne signifie pas qu'on ne puisse pas tenter d'exercer un contrôle.
En somme, il est possible de contrôler l'Internet si on le veut.
Je ne dis pas qu'il le faut. C'est autre chose. C'est une question de valeur et non pas de déterminisme technologique. Chacun doit choisir d'être libre parce qu'il le veut et non pas parce qu'il y est obligé ou n'a pas d'autre choix.
Le choix n'est guère différent des choix que les sociétés font en général à l'égard de nombreuses autres activités. Pourquoi serait-ce différent pour les communications informatiques?
Au moment ou l'Internet passe de la chasse gardée des «accrocs» de l'ordinateur aux parcs commerciaux et centres d'affaires des collectivités, il serait utopique de croire que les utilisations de l'Internet et ses utilisateurs puissent échapper aux lois qui s'appliquent normalement.
Cela dit, que pouvons-nous faire ou que devrions-nous faire?
Le sénateur Spivak: C'était la question de Lénine.
M. Noam: Je n'adopterai pas la position léniniste.
Même si j'affirme qu'on peut trouver des moyens de réglementer l'Internet, vraisemblablement par le truchement des porteurs des transmissions, cette forme de réglementation risque d'être compliquée.
Une taxe à l'importation ou l'imposition d'un droit sur les transactions numériques pourraient constituer des mesures de réglementation. Toutefois, même si ces mesures étaient jugées conformes à la Constitution ou aux règles de l'OMC, elles feraient augmenter le coût d'un élément indispensable, l'information. Il est difficile de différencier les types d'information.
On pourrait également permettre certaines solutions personnelles, comme l'utilisation de filtres ou de menus préférés. Je ne crois pas que cela nécessiterait une intervention gouvernementale très poussée. Si les gens tiennent à protéger leurs enfants contre Hollywood, la culture américaine ou quoi que ce soit, ils peuvent toujours avoir recours à ces solutions. Ils peuvent installer des filtres ou des menus sur leurs appareils. Je suppose qu'il doit être possible de s'en procurer sur le marché. Je ne crois pas qu'une intervention législative poussée de l'État soit nécessaire.
Je me permets de vous poser une question sur un sujet que vous connaissez sans doute mieux. Y a-t-il un problème sérieux à ce stade-ci? D'une part, il est clair que la plupart des grands aiguilleurs et sites commerciaux électroniques sont américains. Par ailleurs, j'ai appris que les audiences du CRTC n'ont pas fait état d'une insuffisance de contenu canadien sur l'Internet. Je ne suis pas certain si un problème sérieux se pose.
Il est important de signaler que tout cela concerne le contenu de la bande étroite. À l'heure actuelle, il est relativement facile d'ajouter au contenu de l'Internet. Je l'ai fait pour moi-même et notre établissement a également constitué son propre site. Tout le monde a un site, mais ces sites se trouvent dans la bande étroite, l'Internet écrit. D'ici quelques années à peine, les communications sur l'Internet se feront couramment par multimédias, bande large, images mobiles, son, images, vidéo. En fait, c'est déjà le cas. Mais cela exige des budgets de production. Il n'est plus aussi facile pour un jeune de 16 ans de se constituer un site web. Il faut des équipes de production. Les obstacles à l'entrée se multiplient et il en coûte plus cher.
Bien sûr, les visiteurs, les utilisateurs, s'habituent alors aux produits de qualité et ne prennent plus la peine de visiter des endroits à petit budget, un peu comme les gens qui ont l'habitude des films produits à Hollywood ne s'intéresseront pas à un petit film d'amateur fait avec les moyens du bord.
Dans l'ensemble, l'Internet s'est assez bien établi sur le marché canadien. J'ai vu des statistiques indiquant qu'il y est plus répandu qu'aux États-Unis et d'autres qui montrent qu'il l'est un peu moins. Quoi qu'il en soit, le degré d'implantation est à peu près le même, et il n'est donc pas nécessaire d'être sur la défensive. Votre infrastructure pour les télécommunications et le câble est assez puissante et accessible. Vous avez des sociétés bien établies à l'échelle internationale, comme Nortel Networks et Téléglobe. Au chapitre des productions culturelles, vous avez une longue liste de productions qui ont eu du succès et d'artistes célèbres à l'échelle internationale. J'ai visité le site Web du Canada et j'ai jeté un coup d'oeil à la liste des Canadiens célèbres. Pour la moitié d'entre eux, je ne savais même pas qu'ils étaient Canadiens. C'est certainement une liste impressionnante.
Il y a beaucoup d'activité, tant du point de vue technologique que sur le plan du contenu. Toutefois, le réseau de communication à haut débit qui s'en vient changera la donne, et nos plus grands atouts consistent à être de la bonne grosseur, d'être là à temps et d'être présent à l'échelle internationale.
Cela créera éventuellement des problèmes. Il n'y en a peut-être pas encore, mais vous devriez être vigilants et vous informer des mesures de prévention qui pourraient être utiles dans un avenir prochain.
Une stratégie possible - et ce n'est pas parce que je la présente en premier que c'est la meilleure - serait de continuer à développer l'infrastructure. Il faut cependant penser qu'une bonne infrastructure peut entraîner une forte hausse, à sens unique, des importations. Par contre, penser que vous pouvez régler le problème des importations en ayant une mauvaise infrastructure serait comme d'éviter d'avoir des routes et des chemins de fer afin que personne ne puisse envoyer ses camions. Ce n'est pas une bonne solution. Il faut aller de l'avant et avoir une infrastructure solide, une bonne base pour les utilisateurs, et espérer que cela créera la masse critique qui favorise les activités d'entreprises canadiennes et le contenu canadien exportables à l'étranger ou au moins populaires sur le marché intérieur.
Aux États-Unis et dans d'autres pays, je crois, un soutien financier est offert, notamment sous la forme de subventions ou de prix préférentiels. L'initiative Gore qui a donné le «E-rate» et les mécanismes de subvention des écoles, des hôpitaux et des bibliothèques en sont des exemples parfaits. Je n'y vois pas de problème, à part le fait que, du point de vue pratique, ces dispositions ne sont pas particulièrement bien conçues aux États-Unis.
Au besoin, on pourrait percevoir une taxe pour soutenir le système. La meilleure manière de le faire serait probablement de l'imposer aux transporteurs eux-mêmes plutôt qu'aux fournisseurs de service Internet, mais il ne faudrait pas qu'elle s'applique uniquement aux télécommunications. Aux États-Unis, les câblodiffuseurs sont sur le point de fournir des services Internet par câble, et je suppose que c'est le cas ici aussi. Dans ce cas, je pense qu'une taxe neutre devrait aussi s'appliquer sur les services de câblodiffusion.
Comme il est essentiel d'avoir une base d'utilisateurs expérimentés, il faudrait prendre des mesures pour diffuser les connaissances nécessaires auprès d'un large éventail de personnes: intéresser les jeunes, dans les écoles, les collèges et les universités; former les opérateurs des chemins de fer et les informaticiens; offrir des cours pratiques hors du réseau scolaire et des programme d'éducation des adultes; adopter des politiques d'immigration qui favorisent les compétences en technologie, ainsi de suite. On peut encourager le capital de risque et autres investissements. On peut encourager le gouvernement à être lui-même un utilisateur de pointe. On peut même payer la formation de base pour certaines activités précises.
C'est ainsi qu'Internet s'est développé aux États-Unis. On a d'abord eu un réseau gouvernemental qui est devenu un réseau militaire, qui s'est ensuite élargi pour servir à la recherche d'une fondation scientifique nationale. C'est ainsi que le réseau a démarré.
Il existe des consortiums, comme Canary, qui semblent très efficaces, d'après ce que j'ai lu. Je n'en sais pas assez pour tirer des conclusions incontestables, mais il est probablement utile d'avoir des consortiums d'organisations publiques et privées ainsi que d'autres formules à l'essai. Encouragez les efforts des petites communautés en ayant un programme de subventions pour elles. L'administration nationale des télécommunications et de l'information, la NTIA, un bureau du département américain du Commerce, distribue des subventions de 50 000 $ à 500 000 $ pour les petites collectivités voulant accroître leur participation à Internet. Ce genre de choses contribue à créer une culture d'Internet, à développer les compétences de base et à familiariser la population.
Mettez à jour le système juridique et créez les instruments juridiques nécessaires, par exemple les signatures numériques dont les gens auraient besoin pour se livrer au commerce électronique.
Le plus important, c'est peut-être d'encourager l'esprit d'entreprise chez les jeunes. La plupart des commerces sur Internet, aux États-Unis, ne viennent pas de grosses institutions riches ayant l'appui du gouvernement. Ils sont généralement le fait de jeunes de 22 ans. Certains de mes étudiants en commerce lancent leur propre entreprise, et certains échouent, mais un échec dans ce domaine, ce n'est plus honteux.
Il ne faut pas sous-estimer la possibilité de devenir très riche. L'idée qu'on peut fonder quelque chose comme Amazon.com et avoir, quatre ans plus tard, un actif d'un milliard de dollars, c'est un stimulant puissant.
Les entreprises canadiennes peuvent avoir beaucoup de succès si elles deviennent des fournisseurs mondiaux, à condition qu'elles ne se contentent pas de distribuer aux États-Unis, même si c'est un grand marché. Amazon.com n'a rien fait qu'une entreprise canadienne n'aurait pas pu faire. Le fait d'être aux États-Unis ne lui conférait aucun avantage particulier.
De la façon dont je vois les choses, le monde est en train de devenir un univers truffé de possibilité d'affaires et d'occasions à saisir. L'important, c'est de comprendre que, pour réussir dans les années à venir, il faut tenir compte du fait que cet univers se fragmente, et pas tellement selon les groupes d'utilisateurs et les champs d'intérêts à l'échelle nationale, mais plutôt en petits groupes distincts comme les amateurs de sports, les amateurs de musique, les jeunes, ainsi de suite. Il faut remplir ces créneaux. Les espaces à occuper sont de plus en plus étroits, mais ils sont ouverts au monde entier. C'est l'avantage des télécommunications. En rendant les nouveaux modes de communication plus faciles, meilleur marché et plus pratiques, on rend aussi les anciens modes de communication avec nos voisins et notre entourage, à l'échelle du pays, relativement moins utiles et plus chers. C'est le dilemme, d'une certaine manière.
Les entreprises canadiennes, comme les américaines, peuvent réussir sur le marché international, mais plus elles auront du succès, plus elles se mondialiseront et moins elles seront canadiennes pour ce qui est du choix de leur contenu. La culture de l'avenir ne sera pas tant américaine que fragmentaire et répartie entre toutes sortes de milieux spécialisés, contrairement aux cultures habituelles qui respectent à peu près les frontières territoriales et géographiques.
Je n'en dirai pas plus long, madame la présidente.
La présidente: D'après vous, quels sont le rôle et les responsabilités de l'OMC dans le cadre de cette nouvelle ère de l'information et de cette révolution technologique?
M. Noam: Permettez-moi de commencer en disant que j'ai toujours été un peu sceptique au sujet du rôle de l'OMC et de cette entente sur les télécommunications conclue il y a environ un an et demi. La plupart des pays riches ont promis de faire ce qu'ils auraient fait de toute façon: libéraliser, privatiser et établir des organismes de réglementation indépendants. Il est donc difficile de penser à une seule chose que les États-Unis ou les Européens auraient promise et qui n'avait pas déjà été dite.
Ces questions qui ont un peu soulevé la controverse, comme les satellites, ont été exclues des engagements. Je ne connais pas les détails des ententes sur les satellites entre les États-Unis et le Canada, qu'elles aient été adoptées à ce moment-là ou plus tard.
Je vois cela surtout comme une entente sur l'infrastructure et la transmission des télécommunications. Les enjeux précis de l'entente sont si complexes que je ne suis pas sûr que ce soit uniquement une question commerciale - et je sais que ce n'est pas la position des États-Unis - mais il ne faudrait pas en conclure que la libre circulation de l'information n'est pas, de bien des manières, un pilier essentiel de la société. Cependant, je ne crois pas non plus que ce soit la seule valeur qui compte.
Le sénateur Spivak: Professeur Noam, en vous écoutant, on est presque réconforté, parce que vous croyez que le Canada peut devenir un élément important sur le marché mondial, qu'il y a des créneaux à exploiter et qu'on peut réglementer Internet, même si nous ne devrions pas le faire parce qu'il est préférable d'être libre. Cependant, la liberté, c'est bon entre égaux. La vérité, c'est que ce n'est pas tout à fait ainsi que les choses se présentent. Je crois comprendre, d'après ce que vous dites, que si le réseau est trop puissant pour les besoins, les coûts de transmission chuteront. Vous demandez qui en profiterait, et vous indiquez dans votre mémoire que ce sont les suspects habituels - Hollywood.
Nous avons une relation amour-haine avec Hollywood. Au Canada, nous voulons être concurrentiels sans risquer de perdre notre identité culturelle. C'est la base de tout. Il y a beaucoup d'autres facteurs en jeu, mais celui-là ressort plus que tout. Nous voulons être concurrentiels tout en préservant notre identité culturelle. Nous ne voulons pas être assimilés au marché intérieur américain, comme Jack Valenti et Hollywood croient que nous le sommes. Nous savons que Time Warner est liée de près au gouvernement des États-Unis et qu'elle ne se contentera pas de 98 p. 100 du marché - elle veut rien de moins que 100 p. 100.
Vous nous avez donné beaucoup de conseils sur cette situation, relativement aux avantages dont jouissent Hollywood et la Silicon Valley. Ce sont des points intéressants, mais croyez-vous vraiment que ces arguments vaudront toujours quand nous serons submergés par ce raz-de-marée? Chaque fois que nous tentons de nous tailler un petit créneau, comme nous l'avons fait pour la distribution de films avec Flora MacDonald, ou comme notre ministre essaie actuellement de le faire avec les revues à éditions séparées, les États-Unis reviennent en force pour nous assommer. Nous sommes dans une situation délicate à cause de cette relation amour-haine.
Vous soulevez la question de la culture de l'Internet, à savoir si ce ne serait pas tout simplement la culture américaine, mais vous n'y répondez pas. Comme nous sommes peu nombreux par rapport aux Américains, l'une ou l'autre des stratégies que vous nous proposez pourrait-elle vraiment fonctionner, compte tenu de ce qui semble se passer?
M. Noam: C'est une bonne question, c'est-à-dire «quelles sont les autres solutions?» Il n'y a pas de recette magique. Il n'y a qu'une série de conditions préalables qui favorisent l'innovation sur les plans tant de la culture que des affaires.
Il pourrait être très difficile de réussir en concurrence contre Hollywood dans la catégorie des films à gros budget.
Le sénateur Spivak: Ils veulent toutes les catégories.
M. Noam: Dans le style des films à plus petit budget, on en trouve des exemples d'ailleurs qui ont eu un succès commercial. Le mode de distribution sur Internet facilite leur diffusion, mais ils n'ont pas nécessairement plus d'attention, parce que les communications sur Internet échappent à beaucoup de gens.
Le sénateur Spivak: Croyez-vous que nous devrions réglementer?
M. Noam: Ce serait mieux d'appuyer les efforts des Canadiens, sur les plans du contenu et du commerce électronique, que de réglementer de manière restrictive en compliquant les choses pour ceux qui veulent entrer sur le marché, en particulier les Américains.
Certaines de vos entreprises se sont très bien débrouillées sur le marché nord-américain. J'ai mentionné Nortel Networks et Téléglobe, mais je suis sûr qu'il y a d'autres exemples. Je ne serais pas défaitiste quant aux chances de succès. Les gens de Hollywood et ceux qui s'occupent de commerce électronique aux États-Unis ne sont pas des génies d'un genre qui ne se trouve pas ailleurs.
C'est plus facile si l'on ne pense qu'au commerce électronique. Les entreprises ou les commerces établis ici pourraient prendre leur essor. Je ne vois vraiment aucun problème structurel.
Pour ce qui est du contenu cinématographique, la question est un peu plus délicate. Vous avez une industrie de production non négligeable ici. Avec des médias plus fragmentés, les films à plus petit budget ont leur place et les occasions d'en réaliser se présenteront plus souvent. Je ne serais pas trop défaitiste à cet égard. Un tel film ne serait peut-être pas le Titanic de l'avenir, mais il y a beaucoup d'autres produits que le monde consommera abondamment.
Le sénateur Spivak: Je reviens tout juste d'Europe, plus précisément de Finlande. Leur stratégie semble axée sur l'excellence et la qualité parce que des produits qui respectent ces critères sont censés être concurrentiels. Considérant la situation actuelle et l'abondante production de Hollywood, le Canada aurait-il des chances de réussir s'il adoptait cette stratégie?
M. Noam: L'histoire de la Finlande est intéressante. Une de mes connaissances a écrit plusieurs livres sur l'Internet, en Finlande. Il m'a fait part de certaines de ses observations.
Internet est très bien implanté en Finlande, plus que dans tout autre pays. Sur les plans des transactions et du contenu, cependant, il n'est pas en si bonne place. Le pays est peut-être trop petit. La langue pose un problème que le Canada n'a pas. Le Canada peut exploiter de grands marchés en anglais et en français.
Jusqu'à maintenant, la Finlande a surtout utilisé les sites américains plutôt que d'avoir ses sites propres. Très peu de gens ont visité des sites sur la musique finlandaise ou magasiné sur des sites de commerce électronique de ce pays.
Le sénateur Bacon: Certains pays ont engagé des discussions, par exemple le Canada et la France, à savoir si nous devrions traiter la culture de façon distincte dans les discussions actuelles sur le commerce. Croyez-vous que cela pourrait avoir des conséquences sur le développement d'Internet et, en général, sur le phénomène de convergence des télécommunications?
M. Noam: Cela nous amène à la question des quotas européens. Cet enjeu a créé des frictions commerciales, surtout en ce qui a trait à la télévision.
Comme je le disais, je ne crois pas que le fait de traiter la culture de façon un peu distincte puisse poser un problème, mais cela ne veut pas dire qu'il faille être intraitable à ce sujet. Un mécanisme de subvention, par exemple, me semble parfaitement acceptable. D'autre part, la France a demandé, du moins pour un certain temps, que tout site Internet basé en France soit en français, ce qui a interdit durant un certain temps le maintien d'un site d'échanges de la University of Georgia qui visait à familiariser les étudiants à la culture française, mais dont l'ordinateur était en anglais. Aucun pays ne veut avoir à vérifier les ordinateurs et leur contenu, à compter les octets et à comparer leur nombre dans chaque langue.
À long terme, la seule politique pouvant fonctionner serait le soutien enthousiaste de certains types de contenu plutôt que les mesures restrictives sur d'autres.
Le sénateur Bacon: Si tout progresse comme prévu, la télévision telle qu'on la connaît - avec de vastes auditoires regardant les mêmes émissions en même temps - sera remplacée par la télévision personnalisée où chaque téléspectateur choisira ce qu'il veut voir et quand il veut le voir. Dans de telles conditions, comment les productions télévisées pourraient-elles être financées? Croyez-vous que cela nuira à la qualité de ce qui sera présenté?
M. Noam: C'est une question très intéressante. Dans l'industrie des médias, tout le monde essaie de connaître la réponse, dans les milieux à but lucratif et sans but lucratif. D'après moi, les sources de revenus se multiplieront sans qu'il y ait rien de radical. Il y aura des subventions gouvernementales directes, comme c'est le cas pour la télévision publique et son équivalent sur Internet. D'autres subventions seront versées par des commanditaires. Ce modèle semble être de plus en plus répandu, au point qu'on tente maintenant de permettre l'accès gratuit universel à Internet grâce à des commanditaires.
La semaine dernière, j'ai lu qu'une entreprise distribuait des ordinateurs personnels gratuits, pourvu qu'il y ait moyen de diffuser de la publicité. Ainsi, même le matériel pourrait être financé par la publicité. Toutefois, le soutien publicitaire risque d'être conditionnel au bassin de personnes touchées et d'autres facteurs du genre.
Une troisième source de revenus serait les frais d'abonnement. On pourrait avoir l'Internet payant comme on a la télé payante. C'est ce qu'il y a de plus logique à bien des égards, mais on dirait que ça ne marche pas. Les gens sont tellement habitués de tout avoir gratuitement sur Internet, du moins sans autres frais que le prix de base, qu'ils ne sont pas disposés à payer davantage pour avoir l'information.
Il y a juste quelques jours, Slate, une revue consacrée à Internet que Bill Gates et Microsoft subventionnent depuis longtemps, a annoncé qu'elle ne serait plus disponible que sur abonnement. La décision avait déjà été reportée plusieurs fois. Elle a finalement été prise, puis renversée. La revue est de nouveau un service gratuit. L'idée des frais d'abonnement ne semble pas progresser pour le moment. Cela signifie que la publicité restera la principale source de revenus, mis à part quelques formes de financement public dans certains cas.
Le sénateur Maheu: Je ne suis pas membre du comité depuis très longtemps, mais certains témoins m'ont passablement impressionnée. L'un d'eux représentait les plus petits groupes.
Dans un de vos documents, vous dites que vous êtes optimiste quant au rôle que peuvent jouer les petits, mais n'est-il pas vrai que la plupart des grandes entreprises rachètent les plus petits? Le Québec, en particulier, a beaucoup de petits groupes unilingues francophones. Comment faire pour les protéger? Comment voyez-vous le rôle que pourraient jouer les petits dans les années à venir?
M. Noam: Je me suis moi-même posé beaucoup de questions à ce sujet et certaines de mes remarques peuvent sembler ne pas se tenir. Je vais essayer de les présenter globalement de façon cohérente.
Je pense qu'il y possibilité maintenant pour les petites compagnies de s'implanter sur le marché et de devenir très importantes, un peu comme Microsoft, AOL ET Amazon.com. C'est un peu le climat de la ruée vers l'or. Je pense aussi que cette industrie va devenir très concentrée et moins ouverte. Les compagnies du type AOL deviendront les gros aiguilleurs du Web et domineront sur le marché.
La concentration de Microsoft ou d'Intel dans certains secteurs du réseau Internet pourrait facilement être reproduite dans d'autres secteurs. Les économies d'échelle sont telles que le problème n'est pas seulement pour une compagnie canadienne d'arriver à s'implanter sur le marché de la concurrence, mais aussi pour les petites compagnies américaines de survivre alors qu'elles sont nettement moins importantes.
L'autre question est de savoir si la concentration des médias en conglomérats est nécessairement la formule de l'avenir. Autrement dit, une compagnie doit-elle, comme la compagnie Time Warner, avoir des activités aussi diversifiées que la production de magazines, de films, de musique et autres pour être un puissant média? Je ne crois pas. Je n'ai jamais vraiment vu là de synergie. Il est vrai que la plupart des compagnies fonctionnent aujourd'hui de cette façon, mais je pense que c'est temporaire et que cela provient plus d'une tendance des dirigeants de ces compagnies à vouloir fonder un empire que d'un avantage financier réel de toucher un peu à tout.
Je pense que les compagnies de l'avenir seront de grandes sociétés spécialisées.
La présidente: Monsieur le professeur, lorsque nous étions en Europe, nous avons discuté entre autres du rôle futur des télédiffuseurs publics. Comme vous le savez, au Canada, nous avons dans le domaine de la radio et de la télévision un vaste télédiffuseur public qui diffuse des programmes dans les deux langues officielles. Ce télédiffuseur sert 99,8 p. 100 des Canadiens, ce qui veut dire que tous les Canadiens, quel que soit l'endroit où ils se trouvent ont accès, en dépit de la géographie de notre pays, à des services et à des émissions dans les deux langues. C'est la même chose au Japon et en Australie. Quel rôle pensez-vous que les télédiffuseurs publics vont jouer dans cette nouvelle industrie?
M. Noam: Je pense que ces télédiffuseurs publics sont un important moyen pour les pays de renforcer le contenu. Je n'hésiterai pas à m'en servir à cette fin. Au Canada, vous avez l'Office national du film et Téléfilm Canada. On trouve l'équivalent en Europe et au Japon. Une fois que ces organisations font activement partie des nouveaux médias, elles peuvent être un moyen de mettre au point des programmes d'un contenu intéressant.
La compagnie PBS aux États-Unis se penche activement sur cette question, en partie parce qu'elle se sent un peu gênée d'avoir loupé la télévision par câble. La télévision par câble lui est tout simplement passée au-dessus. Cette compagnie ne joue absolument aucun rôle dans la télévision par câble, elle ne veut donc pas passer maintenant à côté de cette révolution que vont connaître les médias. Elle se concentre beaucoup sur cette question, mais bien sûr, elle n'a pas les ressources.
Je pense que c'est mieux ici, et j'en tirerais parti au maximum, d'autant plus que l'industrie multimédias est extrêmement intéressante. Elle offre de nombreuses possibilités sur le plan de la créativité. Je pense vraiment que les créateurs de la prochaine génération qui écriront des romans dans un café de Greenwich Village seront des producteurs multimédias qui utiliseront Internet pour produire des textes, des sons et de la musique d'une façon nouvelle et intéressante. En fait, je pense que les livres de demain ne seront pas produits sur papier, mais sur des tablettes électroniques qui vous transmettront des images, des vues animées et des liens. Ce sera une façon intéressante et différente de faire les choses. Les livres deviendront le véhicule ennuyeux de la culture populaire plutôt que celui de la haute culture, étant donné que la plupart des personnes créatives travailleront avec les nouveaux médias.
Cela exigera d'importants budgets. Le semestre dernier, j'ai produit un cours qui a été simultanément donné à New York et dans une université suisse. La totalité du cours se trouvait sur une page Web, mais il a fallu beaucoup de temps aux assistants à la recherche pour arriver à ce résultat. Ce genre de choses ne se fait pas tout seul. Les services publics de radiodiffusion peuvent faire ce genre d'expérience.
Les téléviseurs numériques vont commencer à faire leur entrée sur le marché. Le système a été conçu aux États-Unis, même si personne aux États-Unis ne s'en est rendu compte. Dans un délai relativement bref - peut-être huit ou dix ans - beaucoup de gens auront des téléviseurs numériques. Ces téléviseurs permettront de faire un tas de choses nouvelles et, comme elle peut se permettre de prendre de gros risques, la télévision publique sera privilégiée, plus que la télévision commerciale.
La présidente: Vous avez parlé de livres, ce qui m'amène à ma question suivante.
Vous avez dit que les anciens médias ne meurent jamais, qu'ils survivent très bien, et vous avez donné l'exemple de la radio. Différents témoins nous ont dit que, ce qui change, ce sont les habitudes entourant les anciens médias. Par exemple, pendant la guerre, les gens s'asseyaient autour de la radio, c'était une occasion de se réunir, aujourd'hui, on écoute la radio en privé. Que vous l'écoutiez dans votre voiture, dans votre cuisine, le matin au réveil - vous êtes seul avec votre radio. La télévision, au contraire, est davantage une occasion de se réunir. Vous regardez la télévision en compagnie d'autres personnes.
Comment voyez-vous cela dans le contexte des services personnalisés de télévision, de «Me TV» dont a parlé le sénateur Bacon? En France, un témoin nous a dit quelque chose de très frappant. Il nous a dit qu'en France, la télévision publique aimait produire des émissions autour d'événements nationaux, que tous les citoyens écoutent ou regardent en même temps, programmes ou informations.
M. Noam: La radio avait cet aspect communautaire quand les postes coûtaient relativement cher et que peu de gens avaient donc la radio. J'ai environ 14 postes de radio.
Si vous prenez la télévision, c'est pareil. Quand il y a plus de deux ou trois chaînes, la famille se fragmente. Chacun regarde son émission: votre fille dans une pièce, son frère dans une autre, les parents en bas quand le père ne regarde pas un match de football et la mère autre chose. La fragmentation sera encore plus grande à l'avenir, lorsque les gens pourront continuellement commander leurs émissions. La télévision ne sera plus tellement une occasion de se réunir, sauf peut-être pour les matches de soccer et autres émissions du genre.
Les événements nationaux - comme l'investiture d'un président ou les obsèques d'une princesse - seront toujours importants. Ce genre d'événements sera peut-être toujours une occasion de se réunir, mais ce type d'émission ne sera pas transmis ou contrôlé par une seule chaîne. Il y en aura 75 versions, toutes différentes, comme dans le cas des journaux qui publient des reportages qui ne leur appartiennent pas.
La notion de télévision et de radiodiffusion en tant que dénominateur commun et média de masse s'applique seulement à un petit créneau. Ce n'était pas le cas par le passé. Il y avait beaucoup de journaux, beaucoup de revues, beaucoup de livres et tout le monde ne lisait pas le même livre en même temps. L'idée que la moitié du pays regarderait la même émission en même temps n'a pas tenu longtemps. D'une certaine façon, on peut parler d'inspiration nationale, de dénominateur commun, mais dans le cas des États-Unis, il s'agit vraiment de s'adresser au plus bas dénominateur commun. Pour la plupart, les événements spéciaux qui étaient retransmis n'étaient pas particulièrement ennoblissants. Ils étaient très spéciaux.
Je pense qu'à l'avenir, la fragmentation sera la même que par le passé. Nous ne devrions pas nous faire tout un roman de ce petit créneau car il était dû à la rareté des choix. À l'époque, la distribution par câble et Internet n'existaient pas. Il y avait seulement trois ou quatre chaînes.
Finalement, je ne pense pas qu'il soit bon que la moitié du pays soit collée à la télévision à regarder en même temps la même émission. Cela mène presque inéluctablement à la manipulation politique. Cela mène à toutes sortes de batailles pour contrôler les chaînes que la moitié des gens regardent en même temps. C'est faire intervenir le gouvernement ou la politique - je ne dis pas cela de façon négative - une chose qui ne serait jamais tolérée dans le cas des livres.
La présidente: Que pensez-vous de la question du contrôle? Le sénateur Spivak a parlé d'une même compagnie qui contrôlait 75 chaînes, un peu comme une même compagnie qui contrôlerait la moitié des journaux dans un pays. Avez-vous réfléchi à cette question?
M. Noam: Je suis en train de faire une étude statistique détaillée de la concentration des médias aux États-Unis. Vous avez un problème de concentration ici, mais la bonne nouvelle, c'est qu'il est plus atténué.
Le contrôle qu'exerce Bill Gates sur tout un système d'exploitation et qui pourrait encore s'étendre est à mon avis un réel problème. Le gouvernement américain fait bien de s'y attaquer. Je ne sais pas vraiment comment il va y remédier, mais je pense qu'il a raison. Les arguments présentés jusqu'ici par les avocats de Bill Gates sont plutôt faibles. C'est un problème.
L'autre problème aux États-Unis, c'est le câble. Jusqu'ici, le câble a été pratiquement le seul à offrir plusieurs chaînes. Si vous vouliez avoir CNN, il n'y a avait personne à qui vous adresser si ce n'est une compagnie de câblodiffusion qui avait le monopole. Aujourd'hui, c'est en train de changer avec la télévision par satellite et la télévision à haute définition par voie hertzienne de Terre. Ce sont là en matière de contrôle les deux grandes exceptions aux États-Unis.
Des conglomérats voient le jour, mais comme je l'ai dit, je doute qu'ils soient stables. Time Warner n'est pas une compagnie particulièrement stable à long terme.
Leivak:sdertions, premièrement en ce qui concerne le commerce électronique. Nous voyons apparaître sur le marché un tas de choses comme E-Bay et les investisseurs semblent penser que c'est vraiment l'avenir. Le commerce électronique va-t-il vraiment prendre autant d'importance? Deuxièmement, Internet va-t-il devenir un média? En d'autres termes, aurons-nous seulement affaire à des ordinateurs ou à ce genre de concurrence?
M. Noam: Je pense que le commerce électronique va devenir très important. On fait toujours beaucoup de publicité à ce propos et l'idée est que dans quatre ans, tout le monde fera ses achats de cette façon.
Leivak:iraentres commerciaux?
M. Noam: Ce ne sera pas aussi rapide, mais à long terme, dans une quinzaine d'années, le commerce électronique sera très important. Encore une fois, il ne faut pas penser qu'on va allumer l'ordinateur et chercher tel ou tel site. Ce sera beaucoup plus facile. Il n'y aura qu'à cliquer sur la rubrique aspirateurs ou voyages aux Antilles et demander à votre agent de chercher quelque chose de décent. Vous pourrez faire la transaction et payer. Le système devra être plus commode qu'il ne l'est actuellement, mais il le sera. L'avantage par rapport à la vente par correspondance est que vous pourrez trouver ce qui vous convient le mieux, poser des questions et visiter l'endroit que l'on vous propose pour vos vacances. Il y aura de nets avantages. Le commerce électronique sera très vaste. En plus, il sera mondial. Vous pourrez alors aisément acheter et vendre dans le monde entier.
Pour ce qui est de la question, Internet va-t-il devenir un média de télévision ou de radiodiffusion - c'est sûr. À mesure que les méthodes de transmission vont devenir meilleur marché et plus nombreuses, c'est exactement à cela qu'il va servir. Nous avons déjà cette poussée de technologies. On le voit déjà avec la séquence vidéo qui essaie de s'adapter à une capacité limitée. Celle disparaîtra. Le système servira alors beaucoup à des fins comme la vidéotransmission.
La présidente: Comme vous pouvez le voir, ce ne sont pas les questions qui font défaut, mais le temps. Nous vous remercions pour votre disponibilité et votre franchise. J'espère que vous ne voyez pas de problème à ce que notre équipe de recherche se mette en rapport avec vous si elle a d'autres questions, monsieur le professeur.
M. Noam: Pas du tout. Je me ferai un plaisir de répondre à toute personne au sein du gouvernement canadien qui s'occupe de cette question.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur.
La séance est levée.