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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 29 avril 1998

[Traduction]

Le comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit ce jour à 17 h 30 pour examiner le Budget des dépenses principal déposé au Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 1998 (le maintien en poste et la rémunération dans la fonction publique).

Le sénateur Terry Stratton (président) occupe le fauteuil.

Le président: Mesdames et messieurs, merci d'assister à la deuxième séance du comité sénatorial permanent des finances nationales consacrée à l'étude du maintien en poste et de la rémunération dans la fonction publique fédérale.

Nous allons entendre aujourd'hui M. Lawrence Strong, président du Comité consultatif sur le maintien en poste et la rémunération du personnel de direction. Le comité consultatif a présenté son premier rapport en janvier 1998. Monsieur Strong, nous sommes très heureux de vous avoir ici cet après-midi pour que vous nous parliez des conclusions auxquelles en est arrivé votre comité.

La question du maintien en poste et de la rémunération est venue à notre connaissance en octobre dernier au moment de la diffusion de The House, une émission du samedi matin de CBC. Il y a eu ensuite des articles dans les médias qui nous ont mieux fait connaître les préoccupations des membres de la fonction publique. Depuis lors, nous avons rencontré, le 18 février 1998, l'honorable Marcel Massé, président du Conseil du Trésor.

Monsieur Strong, si vous êtes accompagné d'une personne que vous souhaitez nous présenter, faites-le. Présentez-nous ensuite votre déclaration préliminaire d'ouverture.

M. Lawrence F. Strong, président, comité consultatif sur le maintien en poste et la rémunération du personnel de direction: J'ai avec moi Mme Shirley Siegel, du Secrétariat du Conseil du Trésor, qui a joué un rôle de soutien auprès de notre comité, monsieur le président.

Je suis ravi de vous parler d'un sujet que je trouve personnellement, tout comme notre comité, très important. Pour ce qui est de ma comparution cet après-midi, on m'a demandé de vous présenter une introduction très brève et l'on m'a dit que vous me poseriez ensuite des questions pour entamer un dialogue. Je tiens pour acquis que tous les membres du comité ont lu le rapport.

Je suis ravi de voir que vous examinez cette question, parce qu'elle me paraît très importante et mérite qu'on l'étudie. Je crois qu'il est souhaitable que l'on en parle le plus possible.

Lorsque le comité a commencé ses travaux en mai dernier, je pensais que la principale question qui se posait dans la fonction publique fédérale, et n'oubliez pas que nous parlons uniquement de ses cadres supérieurs, était la rémunération. C'est bien sûr la question qui a suscité le plus d'attention de la part des médias. Cependant, lorsque nous avons commencé à examiner la situation qui existait l'année dernière, nous avons rapidement changé d'avis.

Nous avons constaté que la principale question était la suivante: comment préserver à long terme la qualité de la fonction publique fédérale? Il nous a paru inquiétant de découvrir que, si les tendances actuelles se maintenaient, il y aurait une grave diminution de cette qualité. Cela résulte en partie d'un manque de motivation des fonctionnaires auquel contribue en partie le gel de la rémunération. Lorsqu'on examine la composition démographique de la fonction publique fédérale d'aujourd'hui, on constate qu'un pourcentage surprenant des cadres va prendre sa retraite au début du nouveau millénaire. Nous nous sommes alors intéressés davantage à la qualité à long terme de la fonction publique.

Cela dit, la rémunération demeure un problème à court terme. Nous consacrons une bonne partie de notre rapport à cette question. Nous avons essayé de le faire en distinguant les principes des structures et de la mise en oeuvre, en espérant que cela permettrait de moins politiser la discussion touchant la rémunération. Nous avons également essayé de faire preuve de transparence dans ce rapport. J'espère que vous l'avez trouvé facile à lire et, comme je l'ai dit, transparent parce que le comité a estimé qu'il fallait qu'il le soit pour pouvoir par la suite entamer un dialogue fructueux.

Nous sommes ravis que le gouvernement fédéral ait décidé de mettre en oeuvre rapidement les recommandations contenues dans le rapport. Monsieur le président, je vais en rester là et serais très heureux de répondre à vos questions.

Le président: Sénateur Kinsella.

Le sénateur Kinsella: Merci, monsieur Strong, d'avoir accepté la mission que vous a confiée le gouvernement, à savoir présider ce comité qui s'occupe d'un sujet très important. J'aimerais vous poser tout d'abord quelques questions générales et ensuite, aborder certains points précis du rapport.

Comme vous le dites dans le rapport, votre comité a décidé de s'intéresser principalement à la rémunération et à la qualité future de la fonction publique. Vous avez cerné d'autres questions. Brièvement, pourquoi avez-vous décidé de commencer par la rémunération et non d'examiner en premier lieu ce que pourrait être la fonction publique du Canada au XXIe siècle?

M. Strong: Comme vous le savez, nous avons présenté trois séries de recommandations. Les principales sont peut-être celles qui touchent la rémunération. La raison en est fort simple. Nous avons pensé que si nous n'agissions pas rapidement au sujet de la rémunération, nous courions le risque grave de voir s'accélérer le départ des cadres supérieurs de la fonction publique. Nous avons estimé qu'il fallait indiquer clairement quelle était notre position sur cette question.

Si vous examinez les statistiques, vous constaterez que ces hauts fonctionnaires reçoivent une rémunération qui est, ou était, bien inférieure à celle des groupes avec lesquels ils se comparent. Nous avons pensé qu'il fallait faire quelque chose.

Les recommandations que nous avons formulées en matière de rémunération ne sont pas nécessairement définitives. Lorsque nous aurons achevé d'élaborer une vision pour l'avenir, il est possible qu'il faille les compléter. Nous avons toutefois estimé que c'est là qu'il fallait agir tout de suite.

Le sénateur Kinsella: Vous présidez ce comité depuis neuf mois, savez-vous combien de cadres supérieurs de la catégorie des sous-ministres ont quitté la fonction publique?

M. Strong: Je vais demander à Shirley de vous répondre. Je ne peux vous dire combien il y a eu de départs depuis que je préside le comité.

Je peux vous dire qu'il y a eu des départs. Dans certains cas, j'ai rencontré personnellement ces fonctionnaires. Il y a eu une diminution à ce niveau; je ne peux pas toutefois vous donner de chiffres.

Le sénateur Kinsella: D'une façon générale, peut-on, d'après vous, parler d'hémorragie?

M. Strong: Je ne pense pas que l'on puisse parler d'hémorragie mais il y a des gens qui n'étaient pas satisfaits et qui sont partis, ce qui a laissé des vides. Il faut savoir que nous nous trouvons à un moment critique. Si nous n'avions rien fait et si nous n'avions pas indiqué clairement quelle était notre position, ce mouvement se serait accéléré. Voilà ce que l'on peut dire.

Le sénateur Kinsella: Vous êtes-vous demandé lorsque vous avez essayé de déterminer la nature, la qualité et le niveau de la rémunération s'il n'était pas nécessaire de savoir pourquoi les employés étaient rémunérés? Avez-vous tenu compte du fait que si vos recommandations entraînaient un changement culturel ou un changement important dans la fonction publique pour ce qui est de l'éthique de travail, cela pourrait influencer sensiblement la question de la rémunération? Avez-vous envisagé cela?

M. Strong: Oui. Il est évident que les besoins en ressources humaines évoluent avec le temps. J'estime que cela n'aura toutefois pas pour effet de réduire la rémunération. Cela va plutôt avoir tendance à l'augmenter. Si vous regardez bien, vous verrez que nous avons prévu la possibilité de revoir plus tard la structure de la rémunération. C'est parce que nous avons pensé que nous avions peut-être besoin d'autres compétences et capacités, pour lesquelles il faudrait payer peut-être davantage.

Le sénateur Kinsella: Monsieur Strong, aux pages 21 et 22 de votre rapport, vous parlez des principes de rémunération. En bas de la page 21, vous présentez votre troisième principe:

Troisièmement, nous aimerions voir la mise en place d'un mécanisme qui permettrait, autant que possible, que l'administration annuelle de la rémunération ne soit plus un enjeu politique.

Lorsque j'ai lu cela, je me suis immédiatement demandé: que pense votre comité du principe de la responsabilité parlementaire? J'aimerais que vous m'expliquiez ce que vous recherchez ici et que vous apaisiez mes craintes.

M. Strong: Monsieur le sénateur, si vous lisez un peu plus loin, vous voyez que nous essayons de bien préciser que nous ne voulons pas porter atteinte au principe de la responsabilité parlementaire. Lorsqu'on dirige une organisation, même une petite organisation comme la mienne, la ressource la plus importante, c'est le personnel. S'il y a des gens qui, chaque fois qu'ils le peuvent, se mettent à critiquer ce groupe, pour des motifs politiques, ou à débattre s'il convient de leur accorder une augmentation de zéro pour cent, de 0,1 ou de 0,2 p. 100, vous reconnaîtrez que cela n'est guère motivant.

Nous cherchions avec cette recommandation à éviter que cette discussion ne prenne un tour partisan, parce qu'alors les gens n'abordent pas les vraies questions; ils essaient de se créer du capital politique. C'est là le but recherché par cette recommandation.

Dans le secteur privé, il y a parfois des conseils d'administration indépendants qui examinent ces questions. Il doit exister des mécanismes qui protègent le principe de la responsabilité parlementaire mais il faut également essayer de supprimer ce que j'appellerais l'effet négatif des débats qui ont lieu depuis quelque temps et qui ne sont pas très motivants pour les fonctionnaires.

Le sénateur Kinsella: À la page 7 de votre rapport, dans le paragraphe qui traite de la rémunération des sous-ministres et des cadres de direction, on trouve ceci dans la deuxième phrase:

Cette politique devrait être équitable dans son fonctionnement...

Il s'agit là d'un principe important auquel nous souscrivons. La question m'est venue à l'esprit parce qu'on en a parlé ces jours-ci mais je ne pense pas que vous l'avez examinée, il s'agit de la rémunération dans les forces armées, en particulier dans la catégorie des hommes de troupe.

En tant qu'observateur, pensez-vous que le principe de l'équité salariale est un principe essentiel? Vous examinez comment ce principe est appliqué dans la Fonction publique du Canada mais y a-t-il, d'après vous, des raisons pour qu'il ne s'applique pas dans les Forces armées canadiennes?

M. Strong: Cet aspect ne relève pas de mes compétences. Je dirais toutefois que sur le plan des principes organisationnels, l'équité salariale est un aspect très important pour les membres d'une organisation. Peu importe le genre d'organisation dont il s'agit. Cela est vrai dans le secteur privé, dans le groupe des cadres supérieurs du secteur public et pour les employés syndiqués de la fonction publique. L'équité salariale est un élément essentiel à la satisfaction du personnel, tant sur le plan de ce qu'il accomplit que sur celui de la rémunération.

Le sénateur Kinsella: Le gouvernement du Canada comprend la fonction publique, les forces armées, la GRC, comme organisme distinct, et d'autres, et je me demande si votre comité a examiné la rémunération des hauts gradés ou des membres de la direction de la GRC lorsque vous avez analysé la haute direction de la fonction publique?

M. Strong: Nous nous sommes principalement intéressés aux 3 200 à 3 300 personnes qui constituent ce qu'on appelle les cadres de direction, ainsi que les quelque 500 personnes qui sont nommées par le gouverneur en conseil. Si ma mémoire m'est fidèle, je ne pense pas qu'il y ait de militaires ou de policiers dans ces catégories. Ils font surtout partie d'organismes, de tribunaux administratifs ou de sociétés d'État. C'est l'autre groupe que nous avons examiné. Ce groupe était déjà suffisamment complexe sans en ajouter d'autres. La réponse est donc non, nous n'avons pas examiné ces catégories.

Le sénateur Kinsella: Si l'on veut appliquer ce principe général de l'équité salariale à tous ceux qui sont rémunérés par l'État, pensez-vous que l'on devrait comparer la rémunération que reçoivent les cadres de direction de la fonction publique avec celle de la haute direction des Forces armées canadiennes et celles des organismes comme la GRC? En fait, cela serait peut-être éclairant.

Je soulève cette question parce que je me suis penché moi-même dessus. J'ai constaté, par exemple, que le rapport entre la rémunération d'un lieutenant des Forces armées canadiennes et d'un lieutenant-général, revient à comparer un fonctionnaire du premier niveau d'administration, un cadre de direction, avec un sous-ministre. Si l'on compare le cadre de direction et le sous-ministre, on constate que le sous-ministre gagne environ deux fois plus, alors que le lieutenant général gagne trois fois plus que le lieutenant.

Je me demandais si vous aviez pu constater l'existence d'écarts dans vos comparaisons avec le secteur privé. D'après vos recommandations, vous semblez vouloir préserver un écart équilibré. J'ai été frappé par le déséquilibre constaté dans les forces armées.

M. Strong: En regardant ces chiffres, on peut estimer, sur un plan subjectif, qu'il y a un problème. Nous avons essayé d'introduire au sein de la fonction publique une relativité basée sur des outils objectifs. Cela est possible en demandant à un spécialiste des ressources humaines d'examiner les tâches à accomplir, les responsabilités, les compétences et les connaissances exigées. Ces spécialistes classent ensuite tous ces postes de la fonction publique. C'est là notre relativité.

Au moment de fixer la rémunération, il faut se dire: «Nous devons maintenant comparer cela avec ce qui se fait à l'extérieur de la fonction publique.» Pour attirer des gens qui possèdent l'expérience et les compétences requises, nous devons nous demander où ils se trouvent ou quels sont les autres postes que pourraient occuper ces gens-là? Il y a beaucoup de postes différents. Nous avons trouvé des postes semblables et nous avons comparé ceux du secteur public à ceux du secteur privé.

À première vue, je ne sais pas très bien comment l'on pourrait procéder avec les militaires, par exemple. Je suis sûr que cela est également possible. Je n'y ai tout simplement jamais réfléchi. Ce serait plus difficile. Intuitivement, on pourrait s'attendre à ce qu'il existe un rapport entre l'armée et la police. Mais je ne sais pas comment l'on pourrait comparer les deux. Cela dit, il doit exister un moyen d'y parvenir, si cela est nécessaire.

Le président: Sénateur Forest.

Le sénateur Forest: Merci d'être venu, monsieur Strong. Je suis très heureux que votre comité ait effectué cette étude. Je crois qu'on aurait dû la commencer plus tôt. J'ai bien aimé le format du rapport. Il m'a paru facile à lire.

Cette situation m'inquiète depuis quelque temps. J'ai été directeur général d'une entreprise privée et administrateur d'un certain nombre de sociétés d'État, dont deux ont été privatisées pendant que j'étais là. Lorsque ces deux sociétés d'État ont été privatisées, nous avons été obligés d'être compétitifs par rapport au secteur privé pour attirer nos cadres supérieurs et cela a entraîné une très forte augmentation de la rémunération. C'est ce qui m'a permis de constater combien la haute direction de la fonction publique était sous-payée.

La rémunération des cadres supérieurs de la fonction publique et des établissements d'enseignement n'a pas suivi celle du secteur privé, et cela me préoccupe.

C'est votre premier rapport. Quand prévoyez-vous terminer votre étude?

M. Strong: Elle sera probablement prête dans un an. Comme vous le savez, nous avons un mandat de trois ans. Nous allons probablement publier un rapport par an.

Nous allons tenir une réunion très prochainement, et ce sera la première fois que nous nous réunirons depuis la publication du rapport; nous allons choisir les sujets que nous allons examiner au cours de la deuxième année.

Le sénateur Forest: Quel sera, d'après vous, l'échéancier retenu pour la mise en oeuvre? Pensez-vous que vous allez pouvoir respecter cette échéance?

M. Strong: Pour le rapport, je l'espère. Je ne vois pas pourquoi nous ne le pourrions pas. Nous allons aborder, au cours de cette deuxième année, des questions plus complexes mais, cela dit, nous avons appris des choses au cours de la première année qui vont nous permettre de les comprendre plus facilement. Au début, plusieurs membres du comité ont été obligés de se familiariser très rapidement avec ce qui se passe dans la fonction publique. Cela est du passé. Nous allons aborder des questions fort complexes.

Le sénateur Forest: Vous avez dit qu'il y avait urgence. Selon l'échéancier que s'est donné votre comité et en tenant pour acquis que votre rapport sera prêt à temps, pensez-vous que l'on réussira à mettre en oeuvre vos recommandations à temps pour empêcher que nos services se détériorent gravement?

M. Strong: Le comité a mentionné qu'il aimerait faire le suivi des recommandations contenues dans le premier rapport. Si nous constatons qu'il y a un problème, je suis sûr que nous serons tout à fait disposés à préparer un mini-rapport ou une mise à jour.

Ce n'est pas à cet aspect que je pensais lorsque j'ai parlé d'échéancier, parce que nous avons cerné un certain nombre de questions très importantes sur lesquelles le comité va devoir se pencher. Si nous estimons que les choses ne se déroulent pas comme nous l'avons prévu, nous sommes tout à fait prêts à le signaler au président du Conseil du Trésor.

Le sénateur Forest: J'ai trouvé que votre rapport était très facile à lire mais j'ai du mal à comprendre le graphique qui se trouve à la page 10.

M. Strong: Comme vous le savez, chaque poste a un taux et il y a un traitement qui correspond au taux normal. Disons que le taux normal est de 50 000 $. Si vous vous situez au taux normal, vous recevez 100 p. 100 du taux normal. Si vous recevez 40 000 $, vous vous situez à 80 p. 100 du taux normal.

Nous utilisons le taux normal parce qu'habituellement, le fonctionnaire qui a un rendement satisfaisant et qui a, disons, trois ans d'ancienneté reçoit le taux normal.

Ce graphique indique que près de 10 p. 100 des EX1 sont rémunérés à un taux qui est inférieur à 80 p. 100 du taux normal, et près de 60 p. 100 d'entre eux reçoivent 80 à 90 p. 100 du taux normal. Donc, les EX1 sont sensiblement sous-payés par rapport à la façon dont leurs postes ont été évalués. Cela était vrai même en 1991 et leurs traitements ont été gelés depuis. C'est pourquoi nous disons qu'un des principaux problèmes de ce groupe était que le gouvernement n'utilisait pas toute la latitude qu'offrait la structure existante pour fixer les salaires. Cela s'explique parce que tous les salaires ont été gelés.

Le sénateur Forest: Cela représente 80 p. 100 de quoi?

M. Strong: Du taux normal. À l'époque, le traitement était d'environ 70 000 $. Mais cela était fonction du taux normal. Là encore, c'est la façon dont on procède dans le secteur privé pour évaluer le rendement d'une personne par rapport au taux normal.

Le président: Monsieur Bolduc.

Le sénateur Bolduc: À la page 5 de votre rapport, vous dites que la fonction publique n'arrive pas à retenir les personnes dont elle a besoin. C'est une traduction de la version française. Parallèlement, le gouvernement a pris de nombreuses mesures incitatives pour se débarrasser de ses fonctionnaires. C'est ce qui explique qu'au lieu d'avoir 5 000 personnes dans cette catégorie, il n'en reste que 3 500.

Comment pouvez-vous d'un côté, affirmer que le gouvernement ne retient pas ses fonctionnaires, alors que, de l'autre, il les incite à quitter la fonction publique? Est-ce un malaise artificiel ou réel?

M. Strong: La réduction des effectifs s'est opérée au cours des années 90; il y a eu effectivement des réductions. Il y a deux raisons pour lesquelles les fonctionnaires quittent leur poste: le premier découle de la composition démographique de la fonction publique. En d'autres termes, ils vont tous atteindre l'âge magique de 55 ans et à ce moment-là, selon la retraite à laquelle ils ont droit, ils travaillent en fait pour gagner 30 p. 100 de leur salaire, lorsque les salaires sont gelés. Ces fonctionnaires se demandent alors pourquoi ils ne prendraient pas leur retraite pour faire autre chose? Le gouvernement n'a pas les moyens de les retenir.

L'autre aspect est celui de la motivation. L'absence de motivation ne s'explique pas uniquement par la faiblesse de la rémunération. Les gens se demandent s'il vaut vraiment la peine de continuer à travailler. Ils se font constamment critiquer à la Chambre des communes; on leur demande de travailler le soir et les fins de semaine, ce genre de choses. La réduction des effectifs explique en partie que leur travail soit dévalorisé.

Ne vous méprenez pas. On retrouve le même phénomène dans toutes les organisations qui réduisent leurs effectifs. Les gens éprouvent ce genre de sentiment lorsqu'ils subissent des changements de ce genre. Nous avons noté qu'il n'existait aucun mécanisme qui aurait pu aider ces personnes à surmonter ces difficultés. Il n'est pas facile de vivre des choses de ce genre; les gens sont découragés.

Le sénateur Bolduc: Dans votre étude de la rémunération, avez-vous examiné le régime de retraite? Il est notoire que ce régime est très généreux pour les cadres supérieurs. Par exemple, je vois que vous proposez un taux de rémunération pour un sous-ministre qui pourrait aller jusqu'à 200 000 $, ce qui veut dire une retraite de 150 000 $. Cela ne se voit pas très souvent dans le secteur privé, sauf pour les PDG qui prennent des risques.

M. Strong: Nous avons examiné les retraites mais seulement d'un point de vue général. Nous avons effectué notre analyse en nous basant sur la rémunération totale, ce qui comprend les pensions de retraite. Lorsque nous avons effectué des comparaisons avec le secteur privé ou les autres composantes du secteur public, ces comparaisons ont porté sur la rémunération globale, y compris le coût des pensions de retraite.

Nous mentionnons dans le rapport que nous allons revoir en détail les retraites au cours de la deuxième année.

Le sénateur Bolduc: Il me semble que le système existant n'incite pas les fonctionnaires à rester en poste après 55 ans. Nous sommes à notre meilleur à 50 ans. J'ai 70 ans maintenant, je peux donc en parler. À 50 ans, un homme a la maturité et l'expérience et il commence à être un peu plus sage. Je ne vois pas pourquoi les fonctionnaires devraient prendre leur retraite à 55 ans.

M. Strong: Il n'y a pas d'avantage financier à demeurer en poste plus longtemps, vous avez raison. Le sentiment d'être respecté, d'apporter sa contribution est également un aspect important. Ces cadres sont démotivés. Si vous pensez à ce qui s'est produit depuis six ou sept ans, vous comprendrez pourquoi.

Je vais revenir à votre question. Regardons la retraite d'un sous-ministre. Dans le secteur privé, il y a beaucoup de gens qui pensent qu'une telle retraite est généreuse. C'est une très bonne retraite mais les gens oublient parfois que tous les employés versent 7,5 p. 100 de leur salaire dans ce fonds de retraite. Si l'on tient compte de ce que cette retraite coûte au gouvernement, ce n'est pas tout à fait injustifié; c'est tout de même une très bonne retraite. Cela a bien sûr un effet sur votre stratégie de maintien en poste; autrement dit, ce n'est pas un moyen qui permet de conserver les fonctionnaires.

La retraite des sous-ministres est, par contre, généreuse, comme vous le faites remarquer et comme nous le mentionnons dans le rapport.

Le sénateur Bolduc: Je vois qu'il y a cinq niveaux plus trois groupes de sous-ministres, ce qui représentent huit niveaux. J'ai beaucoup étudié la fonction publique britannique dans les années 50 et 60 et j'ai été impressionné de constater que cette fonction publique avait administré l'empire avec cinq niveaux de cadres supérieurs. Comment se fait-il que nous ayons besoin de huit niveaux, alors qu'avec cinq niveaux, ils ont administré un Empire, et aussi, bien entendu, sa chute?

M. Strong: C'est une remarque tout à fait valide. Nous avons examiné cette question par rapport aux principes organisationnels habituels mais nous avons conclu en fin de compte que cet aspect devrait céder le pas à l'établissement d'une vision pour l'avenir et que nous y reviendrions lorsque nous en saurions davantage au sujet de la structure et des tâches. Franchement, je ne sais pas comment nous aurions pu publier le rapport à temps si nous avions examiné cette question.

Le sénateur Bolduc: Il n'y a pas très longtemps, cela fait peut-être quelques années, que l'on a regroupé les catégories SM et EX1. Tout d'un coup, on a décidé qu'il était possible de le faire, même si ce regroupement est quelque peu artificiel.

En outre, je ne pense pas qu'il soit mauvais d'avoir des professionnels qui ne fassent pas partie de la structure et qui soient mieux rémunérés que les autres. Je crois que vous seriez d'accord avec cela, monsieur Strong.

M. Strong: Oui, cela est tout à fait raisonnable. Mais je vous répète que nous n'avons pas approfondi cette question.

Pour ce qui est des niveaux, il n'y a pas huit niveaux hiérarchiques dans toutes les organisations. Autrement dit, nous avons découvert que ces niveaux regroupaient toutes sortes d'emplois, aussi bien à Ottawa que dans les régions. Il faut faire entrer toutes sortes d'emplois et de compétences géographiques dans ces niveaux.

Le sénateur Bolduc: Pendant des années, c'étaient les Finances et les Affaires extérieures qui offraient les meilleures chances d'avancement. J'ai remarqué que, lorsque les gouvernements estimaient qu'un de leurs ministères était en difficulté, ils choisissaient habituellement un fonctionnaire des Affaires extérieures ou des Finances pour le nommer sous-ministre de ce ministère.

C'est maintenant le contraire qui est vrai. C'est, je crois, à cause de la formation des cadres des Affaires étrangères et des Finances. Aux Finances, c'est traditionnellement l'économie ou les domaines reliés à l'économie et au commerce; aux Affaires étrangères, les cadres ont une formation en philosophie, en littérature, en histoire ou dans des domaines du genre, c'est la culture. Je pense qu'il ne serait pas mauvais de revenir à ces principes si l'on veut renforcer la direction de la fonction publique.

Je sais qu'il y a beaucoup de gens qui ne seraient pas d'accord avec moi mais si l'on regarde ce que fait vraiment un sous-ministre, on peut dire qu'il joue le rôle de secrétaire auprès du ministre. La longévité d'un ministre dépend de la façon dont il dirige son ministère. Pour réussir, il doit avoir une bonne image à la Chambre. Les fonctionnaires des services extérieurs sont de vrais professionnels. Je peux vous le dire. J'en connais beaucoup et le ministre fait toujours bonne figure auprès du public lorsqu'il peut compter sur des gens de ce calibre.

Dans un système parlementaire comme le nôtre, cela est très très important. Si le ministre ne fait pas bonne figure au Parlement, sa carrière est terminée. Avez-vous examiné cet aspect lorsque vous dites que notre fonction publique de l'avenir devra avoir une direction de grande qualité? En passant, je ne dis pas que la seule formation nécessaire soit les lettres et les sciences sociales. Je n'irai pas jusque-là mais je remarque que, pour de nombreuses raisons, il n'y a pas beaucoup d'ingénieurs, par exemple, parmi les sous-ministres. Ils sont peut-être trop sérieux pour le poste ou il y a peut-être quelque chose qui leur manque. Ils sont peut-être trop techniques et pas suffisamment sensibles à la politique. Il n'est pas facile d'être sensible à l'aspect politique.

M. Strong: Permettez-moi de ne pas répondre directement à votre question mais j'aimerais faire quelques commentaires autour de ce sujet.

Nous avons constaté que la fonction publique devait faire davantage pour veiller à ce que les fonctionnaires diversifient leur expérience. L'incertitude ambiante, la réduction des effectifs ont incité les fonctionnaires à demeurer près de leur base. Ils sont demeurés là où ils étaient parce que c'est là qu'ils se sentaient plus à l'aise. Ils savent qu'ils ont l'expérience nécessaire et ils ne veulent pas prendre de risques.

Cette situation a eu pour effet d'empêcher ces cadres d'acquérir une expérience diversifiée. Nous avons signalé un besoin dans le domaine de l'élargissement des connaissances. Il faut changer légèrement d'attitude et il faut accorder un soutien. C'est à nous de prendre des mesures pour réaliser cet objectif.

Les compétences, à la différence des connaissances, qu'il faut posséder pour être un bon chef ne s'apprennent pas toujours. D'ici une dizaine d'années, nous allons mieux savoir quelles sont les compétences nécessaires et nous allons embaucher des gens qui les possèdent.

Je ne suis pas convaincu que l'on continuera à orienter les cadres en fonction de leur formation. Nous allons rechercher la capacité à travailler en équipe, à communiquer, à résoudre des problèmes, ce seront des capacités différentes. Je ne pense pas que le fait d'être ingénieur ou d'avoir étudié les sciences sociales change grand-chose.

Le sénateur Bolduc: Il ne doit pas être facile de déceler si un candidat a des qualités de chef lorsqu'il passe un examen d'entrée dans la fonction publique.

M. Strong: Non. Nous pouvons tout au plus espérer commencer à comprendre quelles sont les compétences nécessaires. Il est relativement facile de mesurer les capacités. C'est plus difficile pour les compétences qui sont reliées à l'administration et au leadership.

Il nous faut attirer de bonnes candidatures et c'est là que réside à l'heure actuelle la difficulté.

Le sénateur Bolduc: Il y a un autre secteur qui est difficile à mesurer. Les cadres supérieurs, au moins ceux des deux ou trois premiers niveaux, sont des conseillers auprès du ministre. Ils doivent avoir une bonne formation en analyse de politiques. Nous savons tous que cette analyse s'accompagne de certains préjugés. Un économiste formé à l'Université de Chicago va être un peu à droite, il va être probablement conservateur. Par contre, celui qui vient de Harvard sera à gauche, il sera probablement socialiste ou libéral, libéral dans le sens moderne du terme.

J'ai du mal à comprendre cela, parce que l'on essaie d'avoir une haute direction objective et pourtant, nous savons que le processus d'élaboration des politiques reflète inévitablement les préjugés qu'ont les personnes qui présentent des propositions aux ministres. Qu'en pensez-vous?

M. Strong: C'est une question difficile. Pour ce qui est des préjugés, permettez-moi de vous poser une question. Parlez-vous d'une fonction publique partisane par opposition à une fonction publique non partisane?

Le sénateur Bolduc: Non. Je tiens pour acquis qu'à ce niveau, la fonction publique n'est pas partisane.

M. Strong: D'accord, mais vous laissez entendre que ces cadres supérieurs ont peut-être des préférences. Nous avons eu beaucoup de discussions et il est très confortable d'agir de façon non partisane, d'être prêts à présenter toutes les options en matière de politique. En fin de compte, ce sont les représentants élus qui ont à répondre des choix effectués.

Je n'aimerais pas que l'on évite de présenter certaines solutions, qu'on les canalise. C'est une opinion personnelle.

Le président: Monsieur Fitzpatrick.

Le sénateur Fitzpatrick: Monsieur le président, comme vous le savez, cela ne fait pas longtemps que je fais partie de ce comité. Je n'ai pu que parcourir le rapport, qui est de lecture facile, je le reconnais, mais je vous demande de m'excuser si je n'en ai pas une connaissance approfondie.

J'observe ce qui se passe dans le monde des affaires et dans la fonction publique. Vous avez étudié la rémunération et le rendement des cadres mais je crois que la fonction publique aura toujours du mal à égaler les primes, les options sur titre et la rémunération offertes aux cadres du secteur privé.

Lorsque les cadres supérieurs ont lu le Globe and Mail il y a quelques semaines et vu les salaires des PDG les mieux payés, je me demande quelle a été leur réaction et comment nous pourrions modifier cette situation. Il me semble que l'écart ne fait que s'aggraver. Le traitement des fonctionnaires a été plafonné et vous avez tenté de remédier à cela mais je ne sais pas si nous arriverons jamais à des niveaux comparables à ceux de la rémunération que reçoivent les gens du secteur privé. Que pensez-vous de cela et quel genre de réaction avez-vous recueillie au cours de vos discussions?

M. Strong: Tout ce battage concerne uniquement quelques grands chefs d'entreprises qui sont très bien rémunérés. Lorsque nous effectuons des comparaisons, nous utilisons ce qu'on appelle la médiane. En d'autres termes, nous choisissons parmi le personnel de 200, 300 ou 400 entreprises, la personne dont la rémunération se situe exactement au milieu. Il ne s'agit donc pas là d'une rémunération extraordinaire.

De nos jours, les fonctionnaires ne s'attendent pas à être aussi bien rémunérés. Ils savent qu'il y aura toujours une différence. Ils l'acceptent parce qu'ils estiment qu'ils travaillent pour la population. Il est par contre important pour eux que le reste de la population reconnaisse cela et pense également qu'ils travaillent dans l'intérêt de tous. C'est l'aspect délicat de notre mandat et c'est une des choses qui manque aujourd'hui. C'est une des raisons pour lesquelles je tiens tant à dépolitiser les discussions. Les responsables des organisations n'obtiennent pas grand-chose lorsqu'ils critiquent constamment leur personnel. Lorsqu'il y a des problèmes, il faut en parler en privé. Cela ne se fait pas au Parlement; cela ne se fait pas en première page des journaux. Il s'agit de motiver toute une organisation.

Si nous réussissons à restaurer cette fierté, je ne pense pas que cela constitue un obstacle insurmontable. Je crois que les gens vont accepter la situation. C'est ce que j'ai retenu des conversations que j'ai eues.

Cela dit, ces cadres doivent être bien rémunérés par rapport au secteur parapublic, comme les présidents d'université, les grands hôpitaux universitaires, les organismes de ce genre. Ils devraient être rémunérés à un niveau au moins équivalent, mais je ne pense pas qu'ils souhaitent atteindre les niveaux dont vous parliez, pourvu que nous arrivions à restaurer leur fierté.

Le sénateur Fitzpatrick: Il existe donc chez ces cadres un sens du service que l'on pourrait exploiter ou développer?

M. Strong: On trouve effectivement chez les cadres supérieurs un fort sens du service. C'est une caractéristique qui se fait sentir de plusieurs façons. En fait, s'il n'y avait pas ce sens du service, on aurait connu un exode encore plus important ces dernières six années. Les gens ne seraient pas restés.

Les cadres croient vraiment à ce qu'ils font et ils espèrent toujours retrouver ce sentiment de fierté et que l'on va reconnaître l'importance des tâches qu'ils accomplissent. Comme je l'ai dit, nous avons présenté des recommandations sur les traitements, mais si nous n'agissons pour raviver ce sentiment de fierté et valoriser les tâches qu'accomplit la fonction publique, alors je dirais que nous aurons peut-être repoussé l'échéance d'un an ou deux, mais pas plus. Il faut travailler sur cet autre aspect; les entreprises doivent le faire; le Parlement doit le faire.

Nous avons prévu cette recherche d'une vision pour l'avenir parce que nous avons pensé que cela nous permettrait non seulement de refaire l'unité mais que cela amènerait la population à parler davantage du rôle que joue la fonction publique pour tous les Canadiens.

Je pourrais vous décrire les secteurs où la fonction publique joue un rôle essentiel pour ce qui est de la performance du secteur privé. La qualité de notre fonction publique et la prospérité de notre pays sont indissociables. Dans mon esprit, cela est évident. La difficulté est que les gens ne parlent pas souvent de cette réalité et qu'ils l'oublient. Cela est très canadien. Nous oublions que nous avons une fonction publique non partisane, professionnelle et intègre. Il suffit de parcourir les journaux pour voir ce qui se passe dans les pays qui n'ont pas une fonction publique comme la nôtre. Nous pensons que cela est normal.

C'est un deuxième aspect très important qui permettra de revitaliser notre fonction publique, c'est mon opinion personnelle et celle du comité.

Le sénateur Fitzpatrick: Voilà qui est encourageant. Il est paradoxal de constater que le travail des cadres supérieurs de la fonction publique aide effectivement notre secteur industriel. Une bonne partie de ces primes et de la plus-value des actions reflète l'excellent travail accompli par nos cadres supérieurs. Il y a les négociations concernant le libre-échange.

M. Strong: Il y a les accords commerciaux et la politique sur la concurrence.

Le sénateur Fitzpatrick: La restauration d'un sentiment de fierté et de satisfaction au sein de la fonction publique constitue donc un aspect très important de votre mission.

Le président: Madame Thérèse Lavoie-Roux.

Le sénateur Lavoie-Roux: J'espère que nous n'avons pas l'intention de donner à nos fonctionnaires, même aux meilleurs, des options ou des salaires comparables à ce que j'ai lu dans le journal la semaine dernière. On parlait de près de 25 millions de dollars.

À la page 7 de votre rapport, vous affirmez avoir constaté une absence de motivation chez les fonctionnaires, à cause des divers facteurs que vous avez énumérés auparavant. Vous avez probablement effectué la même opération pour le secteur privé. Pensez-vous que l'on retrouve les mêmes effets dans les entreprises privées où il y a des restructurations et des congédiements? Est-ce là une réaction particulière à la fonction publique ou est-elle simplement plus grave ici que dans le secteur privé?

M. Strong: Je pense que, dans la fonction publique, la situation est plus grave pour plusieurs raisons.

Premièrement, il y a eu un gel des rémunérations qui a duré six ans, ce qui est une période très longue. Cela se produit également dans le secteur privé. Il y a des réductions de salaire, mais les personnes concernées connaissent toujours très bien les raisons de ces coupures et elles savent dans quelle direction s'engage l'entreprise. La durée de ce gel de la rémunération a été exceptionnelle.

Deuxièmement, il est difficile de faire subir à une organisation comme le gouvernement fédéral un changement de cette ampleur. Il y a beaucoup de gens dans le secteur privé qui n'y sont pas parvenus. La taille et la complexité de la fonction publique font de cette tâche une tâche démesurée. Il était très difficile de gérer cette réduction des effectifs.

Cela est paradoxal. J'ai déjà vécu plusieurs réductions de ce genre. Il y a une chose que les gens oublient parfois. Ce genre de changement est plus dur pour les personnes qui restent que pour celles qui partent. Lorsque les gens savent qu'ils doivent partir, ils reçoivent habituellement une très bonne indemnité et ils ne vivent plus dans l'incertitude. Ils savent qu'ils doivent partir, qu'ils vont devoir se trouver du travail et qu'ils ont un coussin.

Pour les gens qui restent, il y a tout d'abord le fait que l'incertitude demeure et deuxièmement, ils se sentent incroyablement coupables à l'égard de leurs amis et collègues avec qui ils ont travaillé pendant 25 ans et qui n'ont plus d'emploi. Il faut mettre en place un mécanisme qui irait presque jusqu'à amener les fonctionnaires à assumer cette perte. Nous n'avons rencontré personne qui ait élaboré une vision de l'avenir de la fonction publique ou qui ait essayé d'accorder un soutien aux fonctionnaires restés en poste.

Cela dit, je ne veux critiquer personne parce que c'est une tâche incroyablement complexe, compte tenu de la taille et du poids de la fonction publique. Mais c'est le genre de chose qui arrive. Je crois que cela a été plus dur que cela ne l'aurait été dans le secteur privé. En outre, la direction disposait de peu de moyens pour remédier à ces problèmes.

Dans le secteur privé, dans un cas semblable, on saurait que A, B et C sont des employés prometteurs. On veillerait à ce qu'ils obtiennent une augmentation de salaire. On prend soin des personnes que l'on veut retenir. Les entreprises ont les moyens de le faire parce qu'elles n'ont pas à utiliser les mécanismes complexes de la fonction publique.

Le sénateur Lavoie-Roux: Cela n'entrait sans doute pas dans votre mandat mais avez-vous remarqué si cette démotivation s'est également fait sentir dans les échelons inférieurs de la fonction publique? Cela a-t-il eu des répercussions sur les autres employés?

M. Strong: Nous n'avons pas examiné cet aspect. Permettez-moi de vous répondre indirectement. Dans le groupe des cadres supérieurs que nous avons étudié, nous avons constaté la réaction inverse ou presque. Nous avons noté que les cadres travaillaient beaucoup plus. En fait, leur semaine de travail s'est allongée, en partie à cause de la réduction des effectifs, et en partie aussi, à cause du sentiment d'insécurité qui habitait ces cadres. Cela est normal dans une organisation. Notre rapport mentionne que les heures de travail ont augmenté.

Je crois toutefois que nous en étions arrivés à un point où si l'on n'avait rien fait, si l'on n'avait pas parlé de ces problèmes, des effets négatifs auraient commencé à se faire sentir. Nous parlons de cela dans notre rapport. Les répercussions n'avaient pas encore commencé à se faire sentir au moment où nous avons commencé, mais cela est assez subjectif.

Le président: C'était la question que je voulais poser et je vais donc poser une question supplémentaire. Cela concerne les personnes qui se trouvent aux échelons inférieurs de la fonction publique et dont les salaires sont gelés depuis 1991. Si les fonctionnaires des niveaux inférieurs ont connu un stress comparable au reste du personnel de la fonction publique au cours de cette réduction des effectifs, ils ne vont certainement pas être très heureux d'apprendre que les cadres vont obtenir de fortes augmentations.

Avez-vous observé des répercussions? Le chef du syndicat a adopté une position très ferme là-dessus; c'est une question importante. Il est important de raffermir le moral des cadres supérieurs et de les motiver. Il est également absolument essentiel de faire la même chose pour l'ensemble de l'organisation. L'un doit suivre l'autre. J'espère que nous n'allons pas laisser de côté cette question parce qu'elle me paraît essentielle.

M. Strong: C'est une question de fait et je vais demander à Shirley si les salaires des syndiqués ont évolué pendant cette période de gel de salaires?

Mme Shirley Siegel, directrice exécutive, Maintien en poste et rémunération du personnel de direction, Secrétariat du Conseil du Trésor: Non, ils ont également été gelés.

M. Strong: Là encore, cela soulève deux questions qui ne relèvent pas de mes responsabilités. «La relève» vise la plupart des questions qui ne sont pas de nature monétaire. Bien entendu, les questions monétaires sont négociées et réglées sur une base individuelle. Il y a des mesures de prises dans ce domaine. Pour le reste, je ne peux en parler parce que cela ne fait pas partie de notre mandat.

Le président: Je ne veux pas vous faire dire des choses, et j'ai pourtant tendance à le faire, mais pensez-vous qu'il est important de faire sentir à ces fonctionnaires qu'ils sont appréciés et qu'on reconnaisse au moins l'utilité des tâches qu'ils accomplissent? Si vous vouliez bien nous donner quelques explications sur La Relève, cela pourrait nous aider à comprendre ce qui se passe de ce côté.

M. Strong: D'après ce que je sais, La Relève s'applique à l'ensemble de la fonction publique. Là encore, cette initiative vise à remédier à certains problèmes dont j'ai parlé et qui ne touchent pas seulement les cadres de direction.

Le président: Sénateur Kinsella.

Le sénateur Kinsella: Il me semble, monsieur le président, que les deux dernières séries de questions et le dialogue que nous avons entamé portent sur une orientation nationale fondamentale que le Canada va devoir se donner. Je parle de l'écart grandissant qui existe au Canada entre ceux qui sont bien rémunérés et ceux qui gagnent juste assez pour vivre.

Le dilemme devant lequel est placé votre comité, d'après moi, vient du fait que vous essayez de répondre à la concurrence que vous fait le secteur privé pour ce qui est des cadres supérieurs de la fonction publique. Le critère ou la norme que vous êtes obligé d'appliquer est finalement un critère qui a été fixé par le secteur privé. Sinon, nous allons perdre nos cadres de direction: ils vont travailler dans le secteur privé.

Pensez-vous avec moi qu'il existe un écart de plus en plus important au Canada entre les riches et les pauvres, sur le plan des salaires. Il y a aussi un écart psychologique, qui est peut-être encore plus dangereux, entre ceux qui exercent un travail valorisant et ceux qui ont un travail qui n'est ni valorisant ni motivant.

Si l'on augmentait les salaires des cadres supérieurs et ceux des autres catégories d'un même pourcentage, l'écart augmenterait encore parce que les salaires des cadres de la haute direction sont déjà plus importants que ceux des autres groupes. Votre proposition consiste à augmenter les traitements versés au personnel de direction de sorte qu'au sein de la fonction publique du Canada, nous allons voir encore s'élargir l'écart qui existe entre ceux qui touchent de gros salaires et ceux qui seront pauvres.

Il est possible d'illustrer ce phénomène en prenant des exemples concrets tirés de la fonction publique et comparer cela au seuil de la pauvreté. Lorsque je compare la fonction publique avec l'armée, et que je constate qu'un simple soldat de la BFC Gagetown, au Nouveau-Brunswick, la province que je représente, touche environ 20 000 $ par année et que le seuil de la pauvreté s'établir autour de 24 000 $, cela m'inquiète beaucoup. Ce soldat doit compléter son revenu. On l'a envoyé s'occuper des problèmes causés par la tempête de glace. Il a dû abandonner son travail à temps partiel. Les travailleurs d'Hydro-Québec qui travaillaient à côté de lui gagnaient 85 $ l'heure, en heure supplémentaire.

Notre système de rémunération souffre, d'après moi, d'une lacune fondamentale qui vient aggraver le fossé qui existe au Canada entre les riches et les pauvres, sur le plan des salaires et également, sur celui de la possibilité d'avoir un travail valorisant.

Votre comité confronté à ce dilemme a-t-il été amené à examiner les principes théoriques sous-jacents?

M. Strong: Les propositions que nous avons présentées en matière de salaire ne se fondent pas uniquement sur le secteur privé. Les études que nous avons effectuées ont permis de démontrer que dans le secteur parapublic, savoir les municipalités, les hôpitaux et les universités, les cadres étaient mieux payés que ceux de la fonction publique. Il ne s'agit pas uniquement du secteur privé.

En fin de compte, lorsqu'on décide de mieux rémunérer les fonctionnaires, il faut déterminer s'ils le méritent et si cela va rapporter à tous les Canadiens. Cela ne répond pas à votre question, qui est beaucoup plus large.

Je dirais que si l'on réussit à attirer et à conserver des cadres de valeur, ces derniers vont rapporter plus que leur salaire par les avantages qu'ils procurent à tous les Canadiens. Je n'ai pas de problème de conscience à recommander des salaires de ce genre. Tous les Canadiens vont en profiter. C'est comme cela que fonctionne, d'après moi, le marché.

Le sénateur Bolduc: J'ai une question supplémentaire. Ne pensez-vous pas que les taux marginaux d'imposition sont très élevés au Canada et qu'il faut en tenir compte? Le taux maximum est de 50 p. 100. Lorsque l'on parle d'un traitement de 150 000 $, cela fait une grande différence pour ce qui est du salaire net.

M. Strong: C'est exact. Pour en revenir à ce que disait le sénateur Kinsella, la plupart de ces questions sont reliées à la formation. Les emplois qui ne sont pas valorisants s'expliquent en grande partie par nos politiques en matière d'éducation. Là encore, ce n'est pas un commentaire qui émane du comité. C'est une observation de son président.

Le président: Sénateur Lavoie-Roux.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je regrette de ne pas avoir eu le temps de lire le premier rapport du comité consultation sur le maintien en poste et la rémunération du personnel de direction, parce qu'il m'a été remis une heure avant la réunion. Pensez-vous que le gouvernement devrait faire quelque chose pour les autres catégories d'emplois?

M. Strong: Je crois qu'il le fait déjà. C'est une question que vous auriez pu poser au ministre, lorsqu'il a comparu devant vous. Ces questions relèvent de lui. Il serait présomptueux de ma part de vous en parler.

Le sénateur Lavoie-Roux: Pour être juste, vous avez dû sans doute analyser cette situation.

M. Strong: Nous ne l'avons pas fait de façon systématique mais je crois que les comparaisons avec les autres secteurs de l'économie vous fourniraient une réponse différente de celle que nous avons obtenue pour les cadres supérieurs.

Le président: Comment pensez-vous que votre projet va se dérouler? Vous avez traité de la question des salaires. Vous allez maintenant aborder l'établissement d'une vision pour l'avenir, à ce que je crois. Avez-vous un échéancier pour cela?

M. Strong: Nous allons revoir l'échéancier à notre prochaine réunion. Nous devons recevoir un certain nombre d'études. Vous avez posé des questions, par exemple, au sujet des sociétés d'État. Là encore, c'est un domaine fort complexe au sujet duquel nous avons demandé une étude pour pouvoir présenter des recommandations qui viseraient à accorder un traitement plus raisonnable aux premiers dirigeants de ces sociétés. Il y en a 37. Elles sont de nature et de taille très différentes. Certaines d'entre elles sont financées par le gouvernement; d'autres sont pratiquement des entreprises privées. Nous n'avions pas suffisamment de données pour être en mesure de présenter des recommandations.

Nous allons nous attacher notamment à trouver les moyens d'introduire la rémunération à risque, qui est un volet de nos recommandations. Nous avons demandé l'introduction d'un volet «à risque» ainsi que d'un mécanisme efficace de formation et de perfectionnement, auquel tous les cadres devraient avoir accès. On pourrait penser à des stages de deux ou trois jours pour ne pas trop perturber le fonctionnement normal. Cela pourrait favoriser un changement de culture. Nous allons nous pencher sur cette question.

Nous allons revoir les statistiques pour savoir où se situent les cadres par rapport à l'échelle des salaires et discuter des questions que soulève l'attribution de ces salaires. Nous allons regarder tous ces aspects.

Nous avons demandé toute une série de mesures. La liste est effectivement très longue. Nous avons essayé de présenter un rapport simple mais lorsque l'on examine toutes les choses que nous avons demandées, on constate qu'il y en a beaucoup. Nous allons vérifier la suite qui sera donnée à toutes ces recommandations. Nous allons examiner l'échéancier proposé. Dans certains cas, nous avons proposé des dates précises parce que nous craignions que, faute de le faire, les décisions n'auraient pas été prises suffisamment rapidement. Pour d'autres, nous avons dû nous en remettre à la fonction publique, pour qu'elle fixe son propre échéancier, que nous pourrons par la suite évaluer.

Nous allons aborder un certain nombre de nouveaux domaines. Les retraites et de façon générale, la simplification de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique. Nous avons découvert qu'il y a de nombreuses pratiques et mécanismes qui sont inutilement complexes lorsqu'on les examine du point de vue d'une personne du secteur privé. Ce sont des pratiques complexes et qui visent uniquement à compliquer les choses. Bien souvent, il y a des raisons historiques; dans d'autres cas, c'est à cause des règlements ou des lois. Nous avons essayé de voir si cela ne pourrait pas être simplifié. On pourrait même envisager de recommencer à zéro et adopter une approche tout à fait différente. Cela pourrait devenir le projet d'une vie. Je crois que cela va être très complexe. Il nous paraît toutefois essentiel d'examiner cet aspect parce que nous avons souvent rencontré des problèmes dans ce domaine; nous avons en effet demandé à plusieurs reprises des renseignements que personne n'avait. Il n'y a pas de système d'information. Nous n'avons même pas pu obtenir des renseignements relativement simples au sujet des cadres supérieurs de la fonction publique. C'est pourquoi nous avons demandé que l'on mette en place un système d'information relatif aux ressources humaines pour que l'on puisse gérer efficacement ce groupe de personnes dont le travail est très important pour nous tous.

Nous avons demandé une étude plus détaillée des besoins éventuels en matière de relève. Il y a un grand nombre de fonctionnaires qui approchent de l'âge de la retraite et nous devons commencer à réfléchir aux façons de les remplacer. Nous allons peut-être être amenés à embaucher des fonctionnaires en cours de carrière parce que 90 p. 100 environ de nos cadres supérieurs pourraient avoir pris leur retraite d'ici l'an 2005 et 70 p. 100 du groupe qui les suit pourraient eux aussi avoir pris leur retraite. S'il s'agissait de mon organisation, je serais très inquiet.

Le sénateur Kinsella: Pouvez-vous envoyer au comité une copie des études que votre comité a demandées ainsi que les autres études quand elles seront terminées?

M. Strong: Cela dépend du Conseil du Trésor. S'ils n'ont pas d'objection, je n'ai rien contre. Toutes les études que nous avons demandées sont du domaine public.

Toutes les activités que j'ai mentionnées figurent ici. Elles sont un peu dissimulées dans le texte mais elles y sont.

Le président: Sénateur Ferretti Barth.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Votre comité s'est montré favorable à une augmentation du salaire des hauts fonctionnaires. Comment allez-vous justifier cette stratégie auprès de la population, à savoir diminuer les services et hausser de façon astronomique les salaires des hauts fonctionnaires de la fonction publique? Mon collègue le sénateur Kinsella disait que nous aurons une catégorie de riches et de pauvres chez les fonctionnaires. Est-ce que le gouvernement restera sans rien faire pour voir cet exode de cerveaux et laisser les gens s'en aller sans prendre de mesures? Je sais que le Conseil privé, avec Jocelyne Bourgon, a établi le programme La Relève. Ce programme fonctionne-t-il encore et quelle est votre opinion là-dessus? Avec ce programme, est-ce que le gouvernement a eu les moyens d'engager de nouveaux candidats expérimentés et compétents?

[Traduction]

M. Strong: Permettez-moi de vous répondre mais dans un ordre différent. Pour ce qui est de notre capacité d'attirer des candidats, c'est un problème tout à fait chronique à l'heure actuelle. Nous avons fait une enquête sur les diplômés. De nos jours, personne ne veut venir travailler dans la fonction publique. C'est une situation très différente de ce qui se passait, disons, il y a 30 ans. La rémunération explique cette attitude en partie mais comme je l'ai dit, en partie seulement. Les étudiants pensent que ce n'est plus une profession valorisante. Nous savons donc que nous n'arrivons pas à attirer les diplômés d'université.

Quant à savoir ce qui se serait produit si nous n'avons rien fait, je ne peux qu'émettre des hypothèses mais je crois que d'autres fonctionnaires auraient quitté leur poste. Ce n'est toutefois pas là que réside le problème. Le véritable problème vient du fait que ce sont les meilleurs qui partent et les autres qui restent. Cela arrive dans les organisations. Les premiers à partir sont toujours les meilleurs. Cela compromet encore davantage la qualité globale de la fonction publique.

Là encore, c'est un jugement mais c'est ce que nous pensons. C'est pourquoi nous avons mentionné dans le rapport, sans vouloir noircir la situation, que nous croyons réellement que le gouvernement se trouve à un point critique. Si nous n'avions pas clairement indiqué que la fonction publique est un rouage important de l'État et affecté à cette fonction publique les fonds nécessaires, le problème aurait été encore plus grave.

Je ne pense pas que nous pourrons obtenir le talent et les capacités nécessaires sans embaucher des personnes qui sont déjà bien avancées dans leur carrière, compte tenu de ce qui va se produire d'ici 10 ans. C'est pourquoi pour attirer des candidats, il faut avoir des salaires raisonnablement compétitifs.

Pour ce qui est de justifier de telles rémunérations, je reviendrai à l'argument que j'ai déjà utilisé. En fin de compte, c'est en payant ces salaires que l'on pourra attirer des personnes de valeur qui vont offrir à tous les Canadiens des services d'une valeur comparable. C'est ce qui, d'après moi, justifie ces salaires.

Il est difficile pour nous, au Canada, d'imaginer ce que nous ferions si nous n'avions pas une bonne fonction publique. Je peux vous le dire, vous pouvez visiter d'autres pays et vous verrez certainement la différence. Il faut là encore reconnaître l'importance du rôle que joue la fonction publique, reconnaître que nous bénéficions depuis des années d'excellents services et ensuite, il faut qu'il existe une volonté de les préserver.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: L'individu de la rue me préoccupe beaucoup. On va chercher à remettre de l'ordre à la fonction publique qui n'arrive plus à retenir les personnes dont elle a besoin. D'une part, nous avons une population pénalisée, à qui on a mis les épaules au mur quand elle avait besoin de services et, d'autre part, nous ne pouvions plus maintenir cette situation. La fonction publique va s'affaiblir. Nous allons remédier à cette situation en touchant la faiblesse de l'être humain: les dollars. En donnant de gros salaires, nous allons récupérer les gens que nous avons perdus en cherchant dans ce monde de grands cerveaux. Comment allons-nous expliquer cela à cette population qui a tant souffert?

Pourquoi n'avons-vous pas pensé avant que cette situation arriverait? C'est le premier rapport du comité. C'est le rapport d'une année. L'an prochain, il y aura un deuxième rapport et ensuite un troisième; par la suite, il y aura les recommandations, les consultations, les amendements, et cetera. Qu'est-ce que nous allons dire à notre population? Qu'allons-nous dire à nos jeunes qui sortent des universités? Pendant que vous étudiez la situation, il faut ouvrir les portes aux jeunes et rassurer la population.

[Traduction]

M. Strong: Toutes ces activités sont en cours. La question à laquelle j'ai oublié de répondre concernait La Relève. Si vous examinez cela, vous constaterez que la plupart de ces sujets y sont abordés.

Je reviendrai sur le fait que ce processus peut se comparer à un voyage. Autrement dit, il ne faut pas croire que l'on peut renouveler la fonction publique et créer une nouvelle culture en six mois. C'est un voyage qu'ont entrepris le greffier et les autres cadres supérieurs. Mais les hommes politiques peuvent faire beaucoup pour les aider. Je le mentionne parce que c'est eux qui exercent la principale influence sur la valorisation et la motivation. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons été aussi directs dans le rapport.

La question de l'argent et de la rémunération est complexe. Les gens ont tendance à croire que si vous payez quelqu'un 20 000 $ pour faire un travail et que vous versez 150 000 $ à quelqu'un d'autre pour faire le même travail, vous aurez une personne plus compétente si vous la payez davantage. C'est ce qui semble être accepté pour le hockey et personne n'a l'air de se plaindre. Si les gens le pensent, il faut croire que l'on obtient des gens plus compétents lorsqu'on les paie davantage. Je ne pense pas que cela revienne à créer une élite. Il faut rémunérer les gens correctement, peut-être un peu moins qu'ils pourraient obtenir dans le secteur privé, pour qu'ils fassent du bon travail pour les Canadiens.

Je n'ai aucune hésitation à défendre cette idée même si je comprends qu'un chômeur ou un assisté social n'accepterait peut-être pas cette situation. Mais je crois que pour l'ensemble du pays, il est avantageux d'avoir des hauts fonctionnaires très compétents.

Le président: Sénateur Bolduc.

Le sénateur Bolduc: Vous parlez du fait que vous aimeriez remplacer ce système par la rémunération à risque.

M. Strong: Oui.

Le sénateur Bolduc: Je crois comprendre que vous souhaitez une nouvelle structure de rémunération qui soit fondée sur le rendement. Je ne suis pas contre le principe mais sa mise en oeuvre dans la fonction publique est extraordinairement difficile et complexe. Par exemple, le gouvernement veut épargner de l'argent, alors il supprime des postes et adopte des mesures pour inciter les fonctionnaires à prendre leur retraite. On peut lire ce qui suit dans le rapport du vérificateur général de cette année:

[Français]

Il est impossible d'évaluer avec précision à quel point les mesures d'encouragement au départ ont contribué à la réalisation d'économies.

[Traduction]

S'il y a une grandeur qui est mesurable c'est bien celle-là et apparemment, nous n'avons pas réussi à le faire.

Imaginez ce qui se passera lorsqu'il faudra mesurer ce que fait le cadre supérieur d'un ministère qui offre des conseils à son ministre. Ce n'est pas comme la mise en marché d'un produit, comme cela se fait dans le privé. C'est donc très très difficile.

M. Strong: Monsieur le sénateur, de toutes les questions que nous avons abordées, c'est peut-être celle-là qui a suscité le plus de débats. En fin de compte, il n'y a que deux solutions: ou l'on verse un salaire ou l'on verse un salaire plus une prime pour le risque. Il n'y a pas de position intermédiaire.

Nous avons soupesé très soigneusement les avantages et les inconvénients. Nous avons choisi la rémunération à risque parce qu'il est incontestable qu'il y a beaucoup de gens qui demandent que l'on évalue les résultats obtenus par les cadres supérieurs, et pour qu'ils rendent compte de ces résultats. Il ne faut pas oublier que ces résultats ne sont pas du même genre que ceux que l'on retrouve dans le secteur privé et nous avons essayé d'en tenir compte. Nous avons tenté de tenir compte des caractéristiques particulières de la fonction publique. Nous avons exclu certaines personnes de ce régime, celles qui sont membres de tribunaux quasi judiciaires. Il y a un certain nombre de postes pour lesquels nous avons reconnu que le régime proposé ne convenait pas.

Pour le reste, nous avons déclaré préférer la rémunération à risque parce que les Canadiens sont généralement favorables à cette idée. Le pire qui puisse arriver est de nous retrouver avec un dialogue fortement amélioré et une discussion entre les cadres supérieurs, les cadres moyens et les collègues des groupes comparables au sujet de la véritable mission de la fonction publique, parce que ce régime exige que l'on se pose ces questions.

Pour mesurer le rendement, il faut décider ce que l'on recherche et s'entendre là-dessus. Je crois que ce processus est, en lui-même, intéressant.

Le sénateur Bolduc: Dans l'administration, lorsque l'on met en oeuvre des programmes, les gens ont tendance à s'accorder un traitement favorable, comme le disait Adam Smith à propos du professeur de l'Université d'Édimburg. C'est la nature humaine.

M. Strong: Non, ce n'est pas la nature humaine. Il y a peut-être une culture plus traditionnelle dans certains secteurs et je reconnais que le secteur public répond en partie à votre description. Je ne pense pas toutefois que cela va nécessairement continuer.

La Relève, par exemple, propose de faire de la fonction publique du Canada une organisation axée sur l'apprentissage. Pour pouvoir devenir une organisation de ce genre, il faut suivre ce que font les gens: il faut leur dire ce qu'ils font bien, il faut leur dire ce qu'ils doivent améliorer.

Les gens de ma génération ne disaient pas ce genre de choses. Les plus jeunes en ont absolument besoin. Ils veulent recevoir des commentaires sur ce qu'ils font. Ils considèrent qu'on les prive de quelque chose s'ils ne reçoivent pas de commentaires et s'ils ne peuvent pas me dire comment améliorer mon travail. Pour la génération des jeunes, c'est un élément absolument essentiel. Les jeunes se sentent démunis s'ils ne travaillent pas dans un environnement de ce genre. Lorsque j'ai commencé, lorsqu'on ne pouvait pas dire quelque chose de positif sur quelqu'un, on se taisait. Mais ce n'est pas ce qui se passe de nos jours dans les organisations.

Le sénateur Bolduc: Lorsque j'ai commencé, dans les années 50, nous avions une excellente fonction publique à Ottawa. Je ne dis pas qu'elle n'est pas bonne aujourd'hui. Je dis qu'elle était excellente à l'époque. Les fonctionnaires recevaient un traitement modeste, légèrement inférieur à celui d'un professeur d'université, si je me souviens bien. Ils étaient fiers de leur travail et l'accomplissaient au mieux de leur capacité.

M. Strong: Ils étaient fiers de leur travail et comment les autres voyaient-ils ce travail?

Le sénateur Ferretti Barth: De façon très positive.

M. Strong: C'est la différence qu'il y a entre cette époque et aujourd'hui. De nos jours, le reste de la population n'a pas une réaction très positive.

Le sénateur Bolduc: C'est peut-être parce que les gouvernements, en général, font trop de choses, notamment des choses qu'ils ne devraient pas faire.

Le président: Vous pouvez vous procurer des exemplaires du rapport préparé par M. Strong et son comité auprès du Centre de distribution du Conseil du Trésor du Canada, en Ontario.

La séance est levée.


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