Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 11 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
À la reprise des travaux.
La présidente: Chers collègues, je déclare la séance ouverte.
Le sénateur Cogger: Je veux obtenir l'assurance qu'il sera possible de tenir immédiatement ou très prochainement une séance à huis clos. J'ai indiqué à la greffière que j'étais très mécontent de la façon dont la réunion a été convoquée. Je trouve cela tout à fait insatisfaisant. Je veux pouvoir exposer comme il se doit tous mes sujets de mécontentement. Je n'aime pas la façon dont les séances sont convoquées. Je trouve que l'étude de ce projet de loi progresse trop rapidement. Aujourd'hui, avant la levée de la séance, j'aimerais que le comité se donne un programme de travail raisonnable et décide ce que seront ses travaux futurs.
La présidente: C'est tout à fait recevable, sénateur.
Le sénateur Cogger: Je veux aussi avoir la garantie que le comité ne procédera pas à l'étude article par article cet après-midi.
La présidente: Nous avons convenu ce matin, dans une séance à huis clos, que nous allions communiquer avec les procureurs généraux de quatre provinces ainsi qu'avec le ministre de la Justice. Cela se fait au moment où l'on se parle. J'en toucherai un mot au comité plus tard.
Le sénateur Cools: Sénateur Cogger, on a déjà réglé certains des problèmes que vous avez soulevés. Vous êtes le vice-président pour les conservateurs, mais de mon propre chef j'ai soulevé la question de l'étude article par article et le fait que le comité ne doit pas l'entreprendre avant d'avoir entendu le ministre. Je n'oserais pas parler au nom de la présidente.
La présidente: C'est ce que vous faites.
Le sénateur Cools: Expliquez-vous.
Le sénateur Gigantès: Elle l'a déjà fait. Pourquoi répéter des choses qui ont déjà été dites? Nous n'avons pas le temps. Les chefs de police disent que si nous n'adoptons pas le projet de loi, ce sera le chaos. Alors, mettons-nous-y.
Le sénateur Cools: Personne ne vous a dit de ne pas adopter le projet de loi.
Le sénateur Cogger: Moi aussi j'ai lu le mémoire des chefs de police. Je mesure tout à fait l'urgence de la situation.
Le sénateur Gigantès: Je ne m'adressais pas au sénateur Cools.
Le sénateur Cogger: Adopter des lois à la vitesse, sans les examiner comme il se doit, cela ne profite à personne.
La présidente: Sénateur Cogger, nous n'avons nullement l'intention d'adopter cette loi à la va-vite sans étudier la question à fond. Nous venons de lancer des invitations aux procureurs généraux; nous prenons des dispositions avec le ministre. Nous ferons tout ce qui est possible de faire pour satisfaire tous les membres du comité.
Je vous donne la parole, monsieur Koziebrocki.
M. Irwin Koziebrocki, vice-président, Criminal Lawyers Association: Je suis criminaliste depuis 22 ou 23 ans. Les premières années, je travaillais chez le procureur général de l'Ontario, ce que l'on appelle aujourd'hui le ministère public, Affaires pénales, et depuis je suis dans la pratique privée et je me spécialise dans les appels en matière pénale.
Votre comité a demandé à la Criminal Lawyers Association de lui donner son avis sur le projet de loi C-16, Loi modifiant le Code criminel relativement à l'arrestation et l'entrée dans les habitations.
Contrairement à l'association des policiers qui a comparu devant vous et qui a parlé de consultations sans précédent entre la police et le ministère de la Justice dans ce dossier, je peux dire au nom de la Criminal Lawyers Association, et de son comité chargé de la législation, que je préside, que nous n'avons pas bénéficié du même privilège. De fait, on ne nous a montré le texte qu'à peine un jour ou deux avant qu'il soit transmis au comité de la Chambre des communes. Nous avons présenté certains points à ce comité et communiqué une réponse par écrit. Vous en avez des exemplaires, je crois.
Il est entendu que le projet de loi C-16 se veut une réponse au jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Feeney, rendu le 22 mai 1997. La Cour a jugé qu'«en général, un mandat est requis pour effectuer une arrestation dans une maison d'habitation».
L'examen du projet de loi passe par la compréhension des principes établis ou renforcés par l'arrêt Feeney, qui sont, en résumé, les suivants:
Premièrement, à l'ère de la Charte, en général, entre le droit à la vie privée de l'individu dans sa maison et l'intérêt de la société à garantir une protection policière suffisante, le droit à la vie privée l'emporte sur l'autre. C'est à la page 49 du jugement.
Deuxièmement, une autorisation préalable est nécessaire pour respecter le but de la Charte, qui est de prévenir les atteintes abusives au droit à la vie privée. Cela figure à la page 47 du jugement.
Troisièmement, la Cour suprême a jugé qu'un mandat est requis pour effectuer une arrestation dans une maison d'habitation. C'est à la page 48.
Quatrièmement, c'est seulement dans une situation d'urgence, comme une prise en chasse, qu'il peut être fait exception à la nécessité d'obtenir un mandat pour effectuer une arrestation dans une maison d'habitation. Cela figure à la page 50.
Enfin, outre la nécessité d'un mandat pour faire une arrestation dans une habitation, les autorités sont tenues, avant d'entrer par la force dans l'habitation, de faire une «annonce régulière», dans le but de minimiser l'empiétement que constitue une arrestation dans un domicile. C'est à la page 52 du jugement.
Au nom de la majorité de la Cour suprême, voici comment le juge Sopinka a résumé ces principes, à la page 52:
En résumé, les conditions ci-après doivent généralement être remplies pour qu'une arrestation relative à un acte criminel dans une maison privée soit légale: un mandat doit être obtenu sur la foi de motifs raisonnables et probables d'effectuer une arrestation et de croire que la personne recherchée se trouve dans les lieux en question, et une annonce régulière doit être faite avant d'entrer. Cette règle souffre une exception dans le cas de la prise en chasse. Notre cour n'a pas encore pleinement abordé la question de savoir s'il existe une exception pour les situations d'urgence en général, et il n'est pas nécessaire non plus d'y répondre dans le présent pourvoi, étant donné que j'estime qu'il n'y avait pas de situation d'urgence quand l'arrestation a été effectuée.
Il parle du cas en l'espèce.
La question est de savoir si le projet de loi C-16 prévoit ce que, d'après la Cour suprême, la loi exige, ou, plus important encore, s'il est conforme à la Charte et, de ce fait, constitutionnel.
Il semble bien que les articles 529, 529.1 et 529.2 proposent un mécanisme pour obtenir un mandat en vue de procéder à l'arrestation de la personne dans une habitation comme l'exige la Cour suprême du Canada. Toutefois, et c'est le seul problème que nous soulevons à propos de ces dispositions, l'article 529 ne semble pas définir les circonstances dans lesquelles une personne peut être arrêtée. Les cas de poursuites sommaires seraient-ils compris?
Vous remarquerez que le juge Sopinka parle d'actes criminels. La question qui se pose est donc la suivante: autoriserez-vous les policiers à entrer dans une habitation dans le cas d'une infraction punissable par procédure sommaire? C'est à vous de trancher.
Le problème vient du fait que le projet de loi C-16 prévoit un mécanisme pour permettre l'entrée sans mandat, à l'article 529.3, ou sans prévenir, à l'article 529.4, voire sans mandat et sans prévenir, au paragraphe 529.4(3). Mais nous croyons qu'à certains égards ce projet de loi semble franchir la ligne de l'inconstitutionnalité.
L'article 529.3 propose un mécanisme permettant l'entrée sans mandat si l'urgence de la situation rend difficilement réalisable l'obtention d'un mandat. Cette situation est définie au paragraphe 529.3(2): a) des motifs de soupçonner qu'il est nécessaire de pénétrer pour éviter à une personne des lésions corporelles imminentes ou la mort; b) des motifs de croire qu'il est nécessaire de pénétrer pour éviter la perte ou la destruction imminente d'éléments de preuve.
La question que soulève l'alinéa 529.3(2)a) est de savoir si le soupçon est un critère suffisant pour permettre l'entrée sans mandat. Vraisemblablement, la nécessité d'éviter des lésions corporelles ou la mort résisterait à l'examen à la lumière de la charte, mais il se pourrait qu'un critère aussi faible que le soupçon ne résiste pas. Par exemple, une enquête du Centre d'information de la police canadienne pourrait faire naître un tel soupçon, par la découverte d'une condamnation pour possession d'une arme dangereuse, qui pourrait n'avoir rien à voir avec la situation présente.
L'alinéa 529.3(2)b), qui permet l'entrée sans mandat pour éviter la perte d'éléments de preuve, soulève un problème. Bien qu'elle n'ait pas tranché dans Feeney la question des exceptions pour des situations d'urgence ni celle de savoir si la préservation d'éléments de preuve en était une--puisque la question ne se posait pas en l'occurrence --, la Cour suprême a indiqué clairement que la préservation d'éléments de preuve ne relevait pas de la situation d'urgence. D'abord, en définissant la situation d'urgence en termes de prise en chasse et en invoquant l'arrêt Macooh, (1993) 2 R.C.S. 802, pages 49-50 de Feeney, la majorité des juges de la Cour ont indiqué clairement que la police devait avoir un mandat s'il ne s'agissait pas d'une prise en chasse; ensuite, en rejetant le jugement dissident de Mme la juge L'Heureux-Dubé, qui estimait que d'empêcher la destruction d'éléments de preuve pouvait relever de l'exception de la situation d'urgence.
Nous croyons que la nécessité d'empêcher la destruction d'éléments de preuve n'est pas le genre de situation qu'envisageait la Cour suprême pour permettre l'entrée sans mandat dans un domicile. Il faut se rappeler que le but de ces dispositions est de faire une arrestation et non pas de recueillir des éléments de preuve. C'est ce qui explique des arrêts comme Feeney et bien d'autres auparavant.
La préservation d'éléments de preuve devrait nécessiter l'obtention d'un mandat de perquisition. Les autorités ont toujours disposé de ce recours pour les cas où la police a des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve se trouvent dans une habitation.
Il y a très peu de temps, dans l'affaire Golub (1997), 34 O.R. (3d)743, la Cour d'appel de l'Ontario, dont le jugement a été publié le 24 juillet, s'est penchée sur une question de fait semblable à celle que les modifications proposées dans le projet de loi visaient à régler. Parlant au nom de la Cour, le juge Doherty a traité des circonstances exceptionnelles dans les termes suivants, à la page 757:
En quoi consisteraient en réalité des circonstances assez exceptionnelles pour justifier, à la faveur d'une arrestation, de perquisitionner sans mandat dans une résidence? Je ne tenterai pas de répondre à cette question de façon exhaustive. L'expression «circonstances exceptionnelles» ne s'entend toutefois pas de circonstances rares, mais plutôt de cas dans lesquels l'intérêt public est tel qu'il l'emporte sur celui qu'a la personne visée au respect de sa vie privée chez elle.
De façon générale, lorsque la police procède à une arrestation, l'intérêt public consiste à administrer efficacement la justice. Il comporte divers éléments, dont la nécessité de maîtriser la personne arrêtée, de protéger les autres personnes présentes et de préserver les éléments de preuve qui se trouvent sur les lieux. Pour établir s'il existe des circonstances exceptionnelles justifiant une perquisition sans mandat, il faut définir la nature de l'intérêt public en l'occurrence. Si l'intérêt que sert la saisie d'éléments de preuve ne justifie pas une perquisition sans mandat, celui qui consiste à assurer la sécurité des personnes présentes sur les lieux la justifie peut-être, lui.
Ici encore, la Cour donne à penser que la saisie ou la préservation d'éléments de preuve peuvent ne pas justifier à elles seules la perquisition sans mandat.
Le paragraphe 529.4(1) permet à un juge d'autoriser la police à ne pas «prévenir avant» de pénétrer dans une maison d'habitation. Il convient de noter que la Cour suprême ne prévoit aucune exception à l'obligation de prévenir. Avant d'entrer dans un domicile, la police doit absolument en prévenir l'occupant, qu'elle ait un mandat ou non. Le projet de loi vise à libérer les autorités de cette contrainte.
Il convient aussi de se rappeler que cette exigence fait depuis longtemps partie intégrante de notre système juridique, qui est fondé sur la common law. Elle prend son sens dans l'histoire. Prévenir avant d'entrer consiste à faire savoir à l'occupant des lieux que l'agent de police entre chez lui au nom de Sa Majesté, qu'il n'y fait pas intrusion. Le comité doit se demander pourquoi il y aurait lieu d'abandonner cette pratique maintenant.
Cette exigence a un sens plus large que la dimension qui en a été retenue dans Feeney. En effet, elle permet non seulement à l'occupant de réagir avec dignité en venant répondre à la porte, mais aussi de savoir que ce sont les autorités, et non des intrus, qui demandent à entrer, un facteur important. Un agent de police entrant sans avoir prévenu pourrait être accueilli avec violence si l'occupant se croyait assiégé par des inconnus.
Certaines circonstances peuvent justifier d'entrer sans prévenir, comme on peut le voir à l'alinéa 529.4(1)a), relatif aux cas où la police a des motifs raisonnables de croire que le fait de prévenir l'exposerait à des lésions corporelles ou à la mort. Mais le désir de préserver des éléments de preuve qui pourraient se trouver sur les lieux ne justifie pas à lui seul la police de pénétrer dans une habitation sans en avoir d'abord prévenu l'occupant.
Lorsque l'on soupèse les principes de l'obtention d'éléments de preuve, d'une part, et du risque de lésions corporelles graves pouvant conduire à une tragédie, d'autre part, force est de conclure que l'article 1 de la Charte ne justifierait pas une dérogation à une exigence aussi fondamentale de l'entrée dans une maison d'habitation.
Quel type d'éléments de preuve pourrait-on détruire dans le court laps de temps qui suit le moment où la police s'annonce et demande à entrer? Selon toute vraisemblance, des choses d'une valeur négligeable en preuve -- petites quantités de drogue, quelques documents sous forme d'imprimés, peut-être quelques fichiers informatiques. Le temps qu'il faut pour le prévenir ne permettrait pas à l'occupant de détruire des objets substantiels. Contrairement à l'avis exprimé par la majorité des juges dans l'affaire Feeney, il n'aurait fort probablement pas le temps de détruire une chemise maculée de sang.
À l'audience de la Chambre des communes, les chefs de police ont comparu juste avant moi, comme cela a été le cas aujourd'hui. On leur a entre autres posé la question de la façon dont l'occupant est prévenu. Le chef de la police d'Ottawa a répondu. Il a littéralement dit que prévenir c'était frapper à la porte pour dire que la police était là, après quoi la porte est fracassée. C'est prévenir juste avant. Voilà donc de quoi il s'agit, aux yeux de la police en tout cas. Ce n'est pas comme si vous patientiez chez vous à attendre que quelqu'un se présente à la porte. On parle ici de prévenir l'occupant dans un délai relativement court.
La Criminal Lawyers Association est d'avis que le paragraphe 529.4(3) en général, et son alinéa b) en particulier (version anglaise), sont inconstitutionnels. Ces dispositions permettent à la police d'entrer dans un domicile sans mandat et sans avoir prévenu; il lui suffit de croire que si elle prévient, des éléments de preuve pourraient être détruits. Pour les raisons énoncées plus haut, la préservation d'éléments de preuve n'est pas une circonstance du genre de celles qui invalident les droits garantis à l'article 8 de la Charte puisque la Cour suprême du Canada a statué que le droit au respect de la vie privée du citoyen chez lui l'emporte sur le droit qu'a l'État d'y recueillir des éléments de preuve. Si, de surcroît, on tient compte des lésions pouvant résulter du fait d'entrer sans avoir prévenu et du caractère au mieux négligeable de l'avantage que procurerait la découverte d'éléments de preuve, nous croyons que cette disposition ne survivrait pas à une contestation en vertu de la Charte.
Encore une fois, comme il vise à éviter le risque de réactions violentes, lesquelles constitueraient le genre de circonstances pouvant justifier la police d'entrer sans mandat, le paragraphe 529.4(3) pourrait convenir parfaitement. Toutefois, comme nous l'avons déjà indiqué, le critère consistant à avoir des soupçons est peut-être trop faible. Il est facile de soupçonner, mais on s'attendrait à ce qu'il faille plus que cela pour justifier la police d'agir de la sorte. Nous croyons que le critère du «motif raisonnable de croire» conviendrait mieux.
Telle est la position de la Criminal Lawyers Association.
Le sénateur Gigantès: Sans trop vous creuser les méninges, vous pourriez, j'en suis certain, nous donner des exemples de fichiers informatiques qui ont leur importance à l'occasion d'un procès, des fichiers qui peuvent être effacés rien qu'en appuyant sur deux touches. Il ne faut pas plus d'une seconde ou deux pour jeter une livre d'héroïne aux toilettes et tirer la chasse.
M. Koziebrocki: Je pense qu'il faudrait plus d'une seconde ou deux pour jeter une livre d'héroïne aux toilettes et tirer la chasse, mais il n'en faudrait pas plus pour le faire avec une livre ou deux de marijuana.
Le sénateur Gigantès: Cela disparaîtrait parce que c'est de la poudre.
M. Koziebrocki: Je ne suis pas du même avis que vous, sénateur.
Le sénateur Gigantès: Si c'était de la farine, cela se transformerait en pâte, mais pas de l'héroïne. Vous ne voyez donc pas un problème dans le fait d'effacer des fichiers informatiques qui pourraient être accablants pour un revendeur de drogue ou pour quelqu'un qui a fait passer des immigrants clandestins et les a tués?
M. Koziebrocki: Si vous tenez compte des diverses exigences de la charte et des règles auxquelles nous devons nous soumettre compte tenu des conclusions de la Cour suprême du Canada confirmant qu'on est maître chez soi, ce qui oblige la police à prendre certaines mesures judiciaires avant de pouvoir défoncer votre porte, il y a quand même certaines situations où l'intérêt de l'État l'emporte. En cas de violence, si quelqu'un risque d'être grièvement blessé dans une maison, l'intérêt de l'État l'emporte.
Pour ce qui est de découvrir des éléments de preuve dans une affaire criminelle, c'est alors l'intérêt privé qui doit l'emporter. Telle est la nature de la Charte et du droit pénal. Dans toute décision rendue par la Cour suprême du Canada, lorsque l'intérêt privé se trouve confronté à celui de l'État, l'intérêt de l'État à recueillir des preuves a été jugé moins important.
Si vous êtes prêts à vous passer de mandat et à renoncer à la déclaration traditionnelle qui, dans ce pays, est une tradition vieille de 500 ans -- en Angleterre, quelqu'un frappe à votre porte en disant: «Nous sommes ici au nom de Sa Majesté» --, il s'agit de se demander pourquoi vous le faites. À certaines occasions, il peut être nécessaire de supprimer ces droits, mais pas pour recueillir des preuves.
Le sénateur Pearson: C'est toujours un plaisir d'avoir un témoin qui peut répondre à des questions qui ne sont pas directement reliées à ce dont nous parlons, mais qui nous viennent à l'esprit à la suite de son exposé. À mes yeux il s'agit de savoir ce qui constitue une habitation. Quelle est la distinction entre l'homme qui court à la maison se cacher sous le lit de sa mère et celui qui se réfugie dans sa propre maison?
M. Koziebrocki: Bien entendu, cela peut être une question complexe. Si après avoir commis un acte criminel, il est pris en chasse par la police et va se cacher sous le lit de sa mère, la police a le droit de passer la porte et d'aller le chercher sous le lit. La loi a toujours été ainsi. Personne ne demande qu'elle soit modifiée.
Si l'homme couche dans le lit de sa mère et si la police a des raisons de croire qu'il s'y trouve, la police ne devrait pas avoir le droit de défoncer la porte de sa mère sans autorisation préalable, car c'est ce qu'a dit la Cour suprême du Canada et parce qu'il s'agit de la maison de sa mère, de son palais. Voilà dans quelle mesure ce principe doit être respecté
Le sénateur Pearson: Une habitation est donc tout endroit où vit un être humain?
M. Koziebrocki: Généralement.
Le sénateur Pearson: Et peu importe s'il s'agit oui non d'un membre de la même famille?
M. Koziebrocki: En effet. Que se passe-t-il si le père et la mère du suspect dorment dans la chambre d'à-côté et si quelqu'un entre par effraction? Ils ignorent qui pénètre chez eux. Leur première réaction pourrait être de se protéger en empoignant un bâton de base-ball. Si l'intrus est un policier, il risque d'être gravement blessé. D'autre part, le policier pourrait se servir de son revolver et tuer quelqu'un pour se défendre contre le bâton de base-ball.
Le sénateur Pearson: Supposons que quelqu'un pénètre chez vous, à votre insu, en passant par la fenêtre du sous-sol et que la police le prenne en chasse.
M. Koziebrocki: Ce sont là des circonstances très particulières. La police voudrait certainement vous faire savoir pourquoi elle vient chez vous.
Le sénateur Cogger: J'examine la page 4 de votre mémoire et plus précisément les deux derniers paragraphes où vous dites que le paragraphe 529.4(3) ne résisterait pas à l'application de la charte.
Le sénateur Cogger: Vous parlez du soupçon et vous dites que le critère du «motif raisonnable de croire» conviendrait mieux.
M. Koziebrocki: Il s'agit de l'alinéa a). L'alinéa b) autorise à pénétrer dans un domicile sans prévenir si le fait de prévenir entraînerait «la perte ou la destruction imminente d'éléments de preuve». Ce n'est pas ce que la Cour suprême du Canada a dit dans l'arrêt Feeney. Elle a dit qu'un policier qui pénètre dans une habitation dans le but de procéder à une arrestation doit obtenir un mandat d'entrée en plus d'un mandat d'arrestation. Je ne suis pas d'accord avec les chefs de police qui ont comparu juste avant moi.
Lorsqu'un policier se présente devant un juge de paix pour lui dire que telle personne a commis un acte criminel, qu'il a telle ou telle raison de le croire et qu'il est prêt à le déclarer sous serment, le juge de paix émet un mandat pour l'arrestation de la personne en question. En même temps, le policier dira: «Je crois également qu'untel réside à l'adresse suivante. J'ai parlé à sa mère qui m'a dit qu'il vivait avec elle, qu'il était au travail pour le moment, mais qu'il entrerait à la maison à 6 heures.» Le policier demande un mandat pour pénétrer dans cette habitation dans le but d'exécuter le mandat d'arrestation. Voilà ce dont parlait la Cour suprême du Canada et en quoi consistent les trois premiers articles du projet de loi C-16.
C'est faire preuve d'une certaine licence poétique que de vous demander de modifier toute la loi en ce qui concerne l'entrée dans les habitations et de supprimer des dispositions qui existent depuis longtemps, ce que la Cour suprême du Canada ne vous a jamais demandé de faire.
Le sénateur Cogger: Vous semblez dire que le critère pour l'application de l'alinéa 529.4(3)a) devrait être un motif raisonnable de croire plutôt qu'un simple soupçon.
M. Koziebrocki: En effet.
Le sénateur Cogger: Si je lis l'alinéa 529.4(3)a), je vois qu'il y est question de «motifs raisonnables de soupçonner».
M. Koziebrocki: Oui.
Le sénateur Cogger: «Des motifs raisonnables de soupçonner». Est-ce à cela que vous vous opposez?
M. Koziebrocki: Oui
Le sénateur Cogger: Vous préféreriez des «motifs raisonnables de croire»?
M. Koziebrocki: Oui. Le jargon juridique fait une distinction importante entre les deux. À ma connaissance, il n'y a qu'un endroit, dans tout le Code criminel, où figure le mot «soupçonner» ou «soupçon», c'est dans la disposition qui permet à un policier de soumettre un conducteur à l'ivressomètre sur le bord de la route parce qu'il le soupçonne d'avoir bu.
Dans l'exemple que j'ai cité, le policier demande la permission d'entrer chez quelqu'un sans mandat, sans prévenir, sur la foi du même genre de soupçon. Autrement dit, parce qu'il soupçonne que certaines choses pourraient se passer.
Le sénateur Cogger: Je suppose que vous voudriez que les alinéas 3a) et 2a) soient également modifiés?
M. Koziebrocki: Oui.
Le sénateur Cogger: Vous voulez remplacer l'expression «motifs raisonnables de soupçonner» par «motifs raisonnables de croire» dans les deux cas.
M. Koziebrocki: C'est cela. L'alinéa 3b) devrait certainement être supprimé.
Le sénateur Moore: Il pense qu'il pourrait être inconstitutionnel.
M. Koziebrocki: L'alinéa 429.4(3)b) est certainement inconstitutionnel.
Le sénateur Moore: Il y est question de «motifs raisonnables de croire». N'avez-vous pas dit au sénateur Cogger que c'est ce que vous vouliez?
M. Koziebrocki: Non, pas pour l'alinéa b). Je dis qu'il faudrait supprimer complètement l'alinéa b).
Le sénateur Gigantès: Même s'il y a un risque de mort?
M. Koziebrocki: Non.
Le sénateur Cogger: S'il y a risque de perte ou de destruction d'éléments de preuve.
Le sénateur Gigantès: Il est dit: «... entraînerait la perte ou la destruction imminente d'éléments de preuve...»
Le sénateur Cogger: Vous voudriez éliminer cette disposition?
M. Koziebrocki: Absolument. La loi n'a jamais prévu cela. Vous la changez énormément. Vous autorisez une chose que les tribunaux n'ont jamais permise. C'est une chose que d'entrer dans une maison pour protéger la vie de quelqu'un, mais c'en est une autre que d'entrer sans mandat, sans prévenir, dans le but d'obtenir des éléments de preuve.
Le sénateur Cogger: Les chefs de police y sont-ils opposés?
M. Koziebrocki: Les chefs de police vous ont dit avoir tenu des consultations intensives au sujet de ce projet de loi. Maintenant, je comprends pourquoi. Il n'est pas étonnant qu'ils aient voulu que cette mesure soit adoptée. Ils auront là des dispositions qui leur permettront de faire des choses qu'ils n'auraient jamais pu faire jusqu'ici.
Le sénateur Cogger: Si les policiers entrent sans prévenir, cela pourrait mettre sérieusement leur vie en danger, n'est-ce pas? Je n'ai jamais travaillé dans la police, mais j'ai l'impression que si vous entrez dans une habitation sans prévenir, vous risquez d'être accueilli, de l'autre côté de la porte, par un bâton de base-ball ou un revolver.
Le sénateur Gigantès: Supposez que la personne de l'autre côté de la porte attende un revolver en main et qu'un policier se présente et dit: «Ouvrez la porte ou je la défonce». Ce policier risque de se faire tirer dessus à travers la porte. Il va se faire tuer.
Le sénateur Cogger: Oui. Que se passe-t-il lorsqu'un policier qui défonce une porte pour entrer dans une habitation sans prévenir se fait tirer dessus et que le suspect fait valoir pour sa défense: «Comment pouvais-je savoir que c'était un policier? Je croyais que c'était un bandit».
Le sénateur Gigantès: Vous le condamnez pour possession d'une arme à feu.
La présidente: Le témoin suivant est de l'Université Western Ontario.
La parole est à vous, monsieur Hawkins.
M. Robert E. Hawkins, professeur de droit public, Université Western Ontario: Je suis ici à titre personnel. Je n'ai pas de mémoire écrit à vous remettre. C'est pour moi un privilège que de comparaître devant vous. Je sais que votre temps est précieux et je n'ai pas l'intention d'en abuser.
J'ai un message très simple à vous adresser. Vous avez le choix. J'ai trois petits garçons à la maison et je me suis senti de plus en plus mal à l'aise, ce matin, en entendant les sénateurs et les témoins parler de ce projet de loi comme d'un moindre mal, comme d'une mesure qu'ils devaient prendre pour éviter la pagaille, parce que le temps leur manquait. Je m'inquiète des répercussions de ce projet de loi sur le plan démocratique et c'est dans ce contexte que je présenterai mes opinions.
Premièrement, je dirais que le projet de loi C-16 est une loi inutile et donc une mauvaise loi. Deuxièmement, je crois que vous avez d'autres solutions. Troisièmement, ces solutions sont constitutionnelles et mérites d'être examinées par les tribunaux.
Je commencerai par la common law, car en fait, c'est pour elle que vous pourriez opter plutôt que pour le projet de loi dont vous êtes saisis. La common law établit quatre raisons pour lesquelles un policier peut légalement entrer dans une habitation pour procéder à une arrestation et je vais les mentionner car ce sont des garanties qui ne sont pas négligeables. Je répète que la common law a bien protégé la vie privée des gens.
Tout d'abord, le policier doit avoir des motifs raisonnables de croire que la personne recherchée se trouve dans les lieux. Deuxièmement, il doit annoncer son intention. Troisièmement, il doit croire qu'il existe des motifs d'arrestation raisonnables. Quatrièmement, il doit y avoir des motifs raisonnables et probables de procéder à l'arrestation. Dans l'ensemble, il s'agit de la common law qui est complétée par le paragraphe 495(1) du Code criminel.
L'arrêt Feeney a, en fait, énoncé une cinquième exigence, à savoir qu'il faut un mandat. Vous pouvez donc ou bien choisir d'appliquer la common law -- et je vous expliquerai dans un instant comment la chose est possible selon moi -- ou bien opter pour la solution qui vous a été préconisée ce matin, le projet de loi C-16, en exigeant le mandat.
L'arrêt Feeney ne donne qu'une raison pour exiger un mandat. Le juge Sopinka a dit que c'était pour prévenir les perquisitions injustifiées. C'est une raison valide, mais elle surestime peut-être l'effet préventif des autorisations préalables et il se peut qu'elle sous-estime le souci de protéger la vie privée des gens qui ressort déjà de la common law que le juge Sopinka lui-même et quatre autres juges de la Cour suprême ont jugé inconstitutionnel.
Mme la juge L'Heureux-Dubé a souligné les avantages de la common law. Elle a également signalé le danger que représentait le mandat. Ce faisant elle a cité l'opinion rendue par l'ancien juge en chef Dickson dans l'affaire Landry et c'est ce qu'elle a fait au paragraphe 145 de l'arrêt Feeney. Le juge Dickson disait qu'à son avis les policiers ne pouvaient pas se permettre de gaspiller un temps précieux à obtenir un mandat lorsqu'un suspect pouvait facilement s'enfuir des lieux et rester en liberté dans une localité.
Dans l'arrêt Landry, qui est cité dans l'arrêt Feeney, le juge en chef Dickson le fait valoir en ces termes:
Ces limites sérieuses...
--il fait allusion aux quatre limites qu'impose la common law --
... imposées au travail efficace de la police et la protection du public doivent être soupesées par rapport à l'ingérence que constitue l'arrestation d'une personne dans une maison ou un appartement. Cette ingérence est soigneusement délimitée et restreinte par l'obligation d'avoir des motifs raisonnables et probables de croire que la personne recherchée est dans les lieux, et l'obligation de donner avis de sa présence, de son pouvoir et de l'objet de sa présence.
Autrement dit, le juge en chef Dickson estimait en 1986 que la common law suffisait à protéger la vie privée des gens. Mme la juge L'Heureux-Dubé a adopté la même position dans son opinion dissidente de l'arrêt Feeney.
Ce que les chefs de police vous ont dit tout à l'heure m'a frappé. Ils vous ont dit que les mandats risquaient de les encombrer d'une nouvelle responsabilité administrative et de paperasserie supplémentaire, que cela entraverait leur travail sur le terrain. Ce sont là de sérieuses préoccupations sur lesquelles il faut se pencher.
À mon avis, ce projet de loi rate son objectif. Compte tenu de ce qu'il va coûter sur le plan du travail de la police, le jeu n'en vaut pas la chandelle.
J'ai lu vos délibérations concernant ce projet de loi et j'ai été frappé par une question purement théorique mais néanmoins très pertinente que le sénateur Nolin a posée le 27 novembre 1997. Il adressait une question au sénateur Cools. Il lui a dit:
Le sénateur ne veut certainement pas dire que nous devrions faire appel d'une décision de la Cour suprême.
Bien entendu, le sénateur Nolin a raison. Cette chambre ne peut pas en appeler d'une décision de la Cour suprême du Canada. Vous ne pouvez pas annuler un arrêt rendu par la Cour suprême.
Néanmoins, et c'est là que vous avez le choix, vous devez comprendre l'importance et les conséquences de cette décision.
Premièrement, tout le raisonnement du juge Sopinka et de la majorité des juges quant au caractère inconstitutionnel de la common law et l'obligation constitutionnelle d'obtenir un mandat dans les circonstances dont nous parlons est une considération accessoire. Autrement dit, ce débat n'était pas strictement nécessaire pour l'arrêt Feeney. Il suffisait que la majorité des juges décident que, dans cette affaire, les policiers n'avaient pas respecté le critère de la common law pour ce qui est de l'entrée dans une habitation privée.
Pourquoi est-ce important? Ça l'est parce que la seule chose vraiment exécutoire dans l'arrêt de la Cour suprême est la raison d'être de cette décision. Les autres arguments peuvent être persuasifs et ils le sont certainement étant donné qu'ils émanent de la majorité des juges de la Cour suprême du Canada, mais ils ne sont pas exécutoires. Aucune cour d'appel ou instance inférieure n'est tenue d'y souscrire. Ce n'est pas exécutoire à proprement parler.
Le sénateur Gigantès: Veuillez vous expliquer.
M. Hawkins: Le seul élément d'une décision d'une instance supérieure auquel une instance inférieure est tenue de se conformer selon la jurisprudence est la raison d'être de la décision de l'instance supérieure, autrement dit, l'élément du raisonnement qui est strictement nécessaire pour parvenir à la conclusion que le tribunal a tirée. La partie pertinente du raisonnement suivie par la majorité des juges de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Feeney est que les règles de la common law concernant l'entrée dans une habitation privée pour procéder à une arrestation ont été enfreintes. Autrement dit, la cour aurait pu s'arrêter là et ne pas en dire plus. Elle a ajouté des commentaires quant à la constitutionnalité de l'entrée sans mandat, mais ce n'était pas strictement nécessaire pour sa décision.
Il s'agit là d'une question importante en droit constitutionnel. Elle est importante parce que, comme l'a dit le juge Latimer, dans une décision qu'il a rendue l'automne dernier en ce qui concerne le renvoi relatif à la rémunération des juges et où il citait le juge Sopinka, il y a un risque à ce que les tribunaux aillent plus loin qu'ils n'ont besoin d'aller pour en arriver à une décision d'ordre constitutionnel.
Je cite un extrait du paragraphe 301 de son jugement de septembre 1997 relativement au renvoi concernant la rémunération des juges. Il y expose une opinion dissidente, mais, sur ce point, il cite une doctrine constitutionnelle bien établie.
Il déclare que les tribunaux répugnent de manière générale à se prononcer sur des questions sur lesquelles ils n'ont pas besoin de se prononcer afin de rendre leur jugement dans une affaire quelconque; et il précise que cette règle est particulièrement à propos dans les affaires d'ordre constitutionnel où les conséquences de conclusions juridiques abstraites sont souvent imprévisibles et peuvent, avec le recul, s'avérer peu souhaitables.
M. le juge LaForest cite notamment comme référence une déclaration faite par M. le juge Sopinka dans une affaire antérieure, M. le juge Sopinka ayant conclu au bien-fondé de la règle voulant que les tribunaux fassent preuve de retenue dans les affaires constitutionnelles; cette conclusion part du principe que les déclarations d'ordre constitutionnel qui ne sont pas absolument indispensables peuvent avoir des conséquences néfastes imprévues pour des affaires futures.
À mon avis, il faut bien examiner l'importance du jugement Feeney et, pour vous en convaincre, je vous dirai tout d'abord que la partie de ce jugement qui traite d'affaires constitutionnelles est incidente, qu'elle n'est pas absolument essentielle au jugement et que, par conséquent, elle ne lie pas les tribunaux de moindre instance. Elle est peut-être convaincante, mais elle ne lie pas ces autres tribunaux.
Le sénateur Jessiman: Cette opinion judiciaire incidente a-t-elle été avalisée par tous les autres ou est-elle simplement incidente? Les autres ont entériné son jugement, mais ils n'ont pas nécessairement entériné la remarque incidente, ou savons-nous ce qu'il en est à ce sujet? Y a-t-il l'un ou l'autre des autres qui a rédigé quelque chose?
M. Hawkins: Aucun des autres juges n'a rédigé quoi que ce soit. M. le juge Sopinka a rédigé le jugement au nom de quatre autres juges qui constituent la majorité. Mme la juge L'Heureux-Dubé a rédigé une opinion minoritaire au nom de trois juges et le juge en chef a aussi rédigé une opinion minoritaire. Mme la juge L'Heureux-Dubé a toutefois fait remarquer que la remarque faite par M. le juge Sopinka était incidente.
Le sénateur Jessiman: Les trois autres qui ont entériné son jugement ont-ils aussi entériné la remarque incidente, ou le savez-vous?
M. Hawkins: Oui, selon le droit, ils l'ont entérinée puisqu'ils ont entériné le jugement. Ils auraient donc avalisé l'essentiel du jugement de même que la remarque incidente. La remarque n'en demeure pas moins incidente selon moi.
Le sénateur Cogger: Le premier point que nous présente là le témoin est effectivement très important. Les membres du comité seraient-ils d'accord pour que nous interrogions d'abord le témoin sur ce point-là et que nous le laissions ensuite nous présenter ses autres points; ou le témoin s'opposerait-il à cette façon de procéder?
M. Hawkins: Je m'en remets à la décision du comité.
La présidente: Il semble qu'on veuille vous poser des questions sur ce point-là avant de passer à vos deux autres points.
Le sénateur Cogger: Je suis très intéressé par ce que vous dites. Il est établi et généralement reconnu que les remarques incidentes ne lient pas les tribunaux de moindre instance. Je trouve ce que vous dites particulièrement intéressant du fait qu'il s'agit, selon moi, d'une première. Je n'ai encore entendu personne présenter cet argument. Bien au contraire.
Pourquoi le procureur général de la Colombie-Britannique serait-il paniqué au point de déposer un affidavit devant les tribunaux à la suite d'une remarque incidente? Avez-vous entendu quelqu'un d'autre exposer la position que vous nous présentez ici?
M. Hawkins: Je n'ai entendu parler de personne qui ait exposé cette position. J'ai examiné attentivement la question et je ne doute aucunement qu'il s'agit bien d'une opinion judiciaire incidente. En écoutant les témoins qui ont comparu devant vous ce matin, je ne pouvais m'empêcher de me demander: avons-vous vraiment besoin de mandat d'arrestation en pareil cas? Il m'a semblé que les témoins vous ont décrit la marche à suivre pour élaborer un mandat d'arrestation souple qui serait un outil formidable sans se demander: «Est-ce bien là la voie à suivre?» Avant de prendre la décision d'acheter une nouvelle voiture, on se demande: «Ai-je besoin d'une nouvelle voiture?»
Le sénateur Cogger: Réflexion faite, vous estimez que nous n'avons tout simplement pas besoin du projet de loi C-16, que les principes de la common law continueraient à s'appliquer, tout comme dans l'affaire Feeney. Le procureur général de la Colombie-Britannique n'a pas raison de nous dire que les 2 000 personnes actuellement détenues seraient libérées du jour au lendemain.
M. Hawkins: Je ne crois pas que les 2 000 personnes actuellement détenues seraient automatiquement libérées. Je crois que nous sommes ici en présence d'une opinion incidente. J'estime que la question serait renvoyée de nouveau à la Cour suprême. Il serait toutefois imprudent et plutôt bête de dire que je courrais ce risque.
Le sénateur Gigantès: Il serait bête que vous courriez quel risque?
M. Hawkins: Le risque que 2 000 criminels soient libérés -- je crois que le chiffre était plutôt 10 000. Il serait loisible au comité d'examiner la possibilité d'adopter d'autres lois ou d'autres modifications et de retourner devant la Cour suprême pour demander un nouveau délai.
La présidente: Je me dois de vous signaler, monsieur, avant que nous ne nous avancions trop avant dans cette voie, qu'il n'est pas vraiment loisible à notre comité de faire cela. Le comité ne peut se pencher que sur ce qui lui est renvoyé par le Sénat.
M. Hawkins: Oui, je comprends.
Le sénateur Cogger: Avec tout le respect que je vous dois, madame le sénateur, le comité pourrait faire rapport au Sénat du fait que nous considérons que le projet de loi n'est pas du tout nécessaire.
La présidente: D'accord, mais ce n'est pas là ce que semblait dire le témoin. Il laissait entendre qu'il nous faudrait aller plus loin et commencer à examiner d'autres possibilités. Le comité n'est pas habilité à ce faire. Nous sommes une créature du Sénat et nous ne pouvons examiner que les questions qui nous sont renvoyées par le Sénat.
M. Hawkins: Madame la présidente, je comprends vos règles. J'ai dit que vous devriez retourner au Sénat et déclarer que le projet de loi n'est pas nécessaire. Je sais que, si vous faites ça, certains diront que ce sera le chaos. Il y a plusieurs façons d'empêcher le chaos. Autrement dit, je ne voudrais pas que le spectre des horreurs possibles vous apeure; je ne voudrais pas que vous ayez l'impression que vous n'avez pas d'autre choix. Je ne prétends pas toutefois pas vous dicter votre conduite future.
Le sénateur Gigantès: Vous avez soulevé quatre principes de la common law concernant les mandats d'arrestation, l'inviolabilité de la maison d'habitation, le droit d'y pénétrer, et j'en passe. Ces principes de la common law seront-ils toujours applicables si nous n'adoptons pas ce projet de loi? La police serait-elle toujours en mesure d'obtenir des mandats d'arrestation pour faire respecter la loi et assurer l'ordre?
M. Hawkins: Oui, ces principes continuent de s'appliquer. Ils sont contestés au titre de la Constitution. La Cour suprême du Canada, dans une opinion incidente, mais pas dans l'essentiel de son jugement, a déclaré que ces principes vont à l'encontre de la Constitution. Cela les rend fragiles, mais ils continuent de s'appliquer. Il serait toujours loisible aux juges d'instance inférieure d'appliquer ces principes de la common law et de motiver leurs jugements en disant que les conséquences du jugement de la Cour suprême du Canada sur la constitutionnalité de ces principes se trouvent limitées par le fait qu'il s'agit d'une opinion incidente. Je répondrai donc «oui» à votre question.
Le sénateur Gigantès: Courons-nous le risque qu'un juge puisse dire: «Désolé, mais je ne fais pas cette distinction. J'ai l'impression que, d'après le jugement de la Cour suprême, ces principes sont inopérants. Nous ne pouvons plus appliquer ces quatre principes de la common law dont vous parlez.»
M. Hawkins: Je présenterais le risque sous un jour un peu différent. Un juge d'instance inférieure pourrait dire: «Même si je ne suis pas lié par la décision de la Cour suprême du Canada sur l'aspect constitutionnel, je trouve ses conclusions convaincantes.» Il y a une différence entre se sentir lié par quelque chose et être persuadé. Je vous explique pourquoi le jugement de la Cour suprême du Canada ne serait peut-être pas aussi convaincant qu'il puisse paraître. En fait, il s'agit d'un jugement on ne peut plus faible sur la question de la constitutionnalité. Je dis cela d'abord parce qu'il s'agit, non pas d'une partie essentielle du jugement, mais d'une opinion incidente.
Le sénateur Gigantès: Mettons que nous ayons une affaire identique à l'affaire Feeney, mettons que la police ait fait exactement ce qu'elle avait fait dans le cas précédent. L'avocat de la défense dit que ce qu'a fait la police a fait l'objet d'un test devant la Cour suprême et a été jugé contraire à la Constitution. Vous me dites que le juge pourrait invoquer le fait qu'il s'agissait d'une opinion incidente?
M. Hawkins: Oui, tout à fait.
Le sénateur Gigantès: Il ne s'agissait pas du raisonnement essentiel.
M. Hawkins: Du strict raisonnement essentiel, oui, exactement.
Le sénateur Gigantès: Connaissez-vous bien des juges qui sont aussi courageux?
M. Hawkins: Cela m'amène à mon deuxième point. Treize juges se sont penchés sur l'affaire Feeney et cinq seulement d'entre eux ont entériné l'opinion concernant le caractère constitutionnel. Il y a donc au moins huit juges qui ont de sérieuses réserves au sujet de la nécessité de prévoir dans la Constitution quelque chose au sujet des mandats d'arrestation.
Le sénateur Nolin: Vous avez parlé des quatre éléments de la common law applicables avant Feeney. Le juge Sopinka a évoqué dans son jugement l'affaire Hunter de 1984, dans laquelle on avait clairement statué sur la nécessité d'obtenir un mandat d'arrestation en application de l'article 8, qui traite de fouilles, de perquisitions et de saisies abusives. Il a étendu à l'affaire Feeney le jugement rendu dans cette affaire. Si le jugement est valable pour les fouilles, les perquisitions et les saisies, il doit l'être aussi pour les arrestations. Je résume son opinion, mais c'est bien ce qu'il disait essentiellement.
Si vous tenez compte du jugement Hunter, car c'est ce qu'il ajoute comme cinquième condition, à savoir un certain type de mandat d'arrestation, quelle est alors votre opinion? Soutenez-vous toujours que les quatre conditions de l'affaire Landry et de toutes les autres suffisent à elles seules, ou faudrait-il aussi tenir compte du critère Hunter?
M. Hawkins: Je crois qu'il faut tenir compte du jugement Hunter. Je suis heureux que vous ayez posé la question, car cela m'amène à un point crucial. Dans ce cas-ci, Mme la juge L'Heureux-Dubé nous a dit que ces arguments n'ont pas été présentés à la Cour de façon détaillée. Je paraphrase le paragraphe 142, qui dit: «Le caractère raisonnable de la common law était une question relativement mineure au tribunal de première instance et au tribunal d'appel, et je suis lasse de devoir me pencher sur une question aussi importante en l'absence d'argument concernant les conséquences possibles d'une modification à cet égard pour les activités policières, et en l'absence aussi de renseignements concernant la fréquence avec laquelle ces types d'arrestation se produisent.»
À mon avis, l'affaire Feeney, où il est question d'arrestation, et l'affaire Hunter, où il est question d'une perquisition effectuée dans les bureaux d'un journal pour obtenir des preuves, sont entièrement différentes et peuvent faire l'objet d'une distinction. Si la Cour suprême du Canada avait pu bénéficier d'une argumentation complète, si elle avait entendu, non pas seulement les arguments présentés par les avocats présents, mais, comme nous l'avons entendu ce matin, ceux des procureurs généraux des provinces, lesquels procureurs généraux et avocats auraient dit que l'affaire Feeney -- où quelqu'un a été cruellement matraqué à mort -- est très différente de l'affaire Hunter, où le service des enquêtes sur les coalitions voulait entrer dans les bureaux de l'Edmonton Journal pour y perquisitionner.
La différence tient au fait que, dans l'affaire Hunter, la loi ne prévoit aucune limite au pouvoir discrétionnaire du directeur du service des enquêtes sur les coalitions d'effectuer des perquisitions. La Cour suprême du Canada a statué que cet état de fait ne satisfait pas aux critères de l'article 8. Il me semble qu'on va très loin en disant en conséquence que, dans l'affaire Feeney, où il est question de la common law et qui prévoit quatre conditions très strictes pour protéger la vie privée, le même raisonnement peut s'appliquer. Il me semble qu'il est très regrettable que la Cour suprême du Canada n'ait pas entendu d'argument sur le point que vous soulevez justement. J'estime pour ma part qu'elle aurait alors rendu une autre décision que celle qu'elle a rendue. On dit que la décision a été rendue à cinq contre quatre. L'absence d'argument présenté devant la Cour suprême, mis à part l'opinion incidente, explique pourquoi le jugement de la Cour suprême du Canada dans cette affaire n'est pas tellement convaincant. Ces points seraient soulevés devant les tribunaux d'instance inférieure.
Le sénateur Nolin: Si vous lisez le préambule du projet de loi C-16, et plus précisément la partie où il est question d'un «cadre législatif clair», acceptez-vous ce qu'on y dit?
M. Hawkins: Non, je n'accepte pas ce qu'on y dit. Le préambule du projet de loi C-16 dit qu'il faut un cadre législatif clair dans le contexte des mandats d'arrestation permettant l'entrée dans une maison d'habitation. Je soutiens, honorables sénateurs, que ces mandats n'étant pas nécessaires, le cadre législatif clair ne l'est pas non plus. En outre, la common law et les quatre règles de la common law assurent un bon équilibre entre les activités policières nécessaires pour appliquer la loi et le respect de la vie privée. Il s'agit d'un équilibre viable et utile. Je ne crois pas qu'il faille d'autre cadre législatif.
Le sénateur Gigantès: Ces quatre points de la common law suffisent à définir les circonstances dans lesquelles on peut pénétrer dans une maison d'habitation?
M. Hawkins: Tout à fait. Je suis un ardent défenseur de la Charte des droits. J'apprécie beaucoup votre travail à cet égard.
Il n'est toutefois pas exact de dire que nous n'avions aucun droit et que nous n'étions pas libres avant 1982. L'article 8, en consacrant la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, ne donnait pas à entendre que les quatre points de la common law étaient insuffisants, mais incorporaient dans la Constitution un équilibre utile qui était en place depuis déjà bien des années sous une forme ou une autre. Je ne crois pas que les quatre points de la common law soient déficients parce qu'ils se trouvaient dans la common law et que la Charte est venue ensuite.
Le sénateur Cogger: Vous semblez être le seul à adopter cette position. Vous n'avez entendu personne ni l'opinion de personne qui dit qu'il s'agit là d'une simple opinion incidente. Quand le gouvernement canadien est allé devant la Cour suprême pour demander un délai, ne pensez-vous pas que la Cour suprême lui aurait dit: «Vous n'avez pas besoin d'un délai; cette opinion est simplement une opinion incidente. Vous n'avez pas à vous en occuper»? N'est-ce pas là la réponse que la Cour suprême aurait logiquement donnée au sujet de son jugement?
M. Hawkins: Il est difficile pour moi de répondre à cette question. Je n'étais pas là et je n'ai pas suivi l'argumentation.
D'après ce que je sais de l'affaire, la Cour suprême du Canada a envoyé un message bien gentil pour faire savoir qu'elle voulait qu'un système de mandat d'arrestation soit établi pour les arrestations faites dans les maisons d'habitation. Le gouvernement a dit: «Accordez-nous un délai le temps que nous prenions les mesures nécessaires», et la Cour suprême du Canada a répondu par l'affirmative. Je ne suis pas sûr que la question de l'opinion incidente aurait été soulevée. Si vous me permettez de vous présenter la chose sous un autre angle, sénateur, je ne sais pas s'il aurait été dans l'intérêt de qui que ce soit que la question ait été soulevée devant la Cour à ce moment-là. Je ne suis pas sûr qu'il aurait été dans l'intérêt de la Cour elle-même que la question soit soulevée à ce moment-là.
Le sénateur Cogger: Si les quatre principes de la common law sont toujours là, toujours applicables, et qu'ils constituent le fondement essentiel du jugement de la Cour suprême alors que le reste n'est qu'incident, pourquoi alors se préoccuper de suspendre le jugement de la Cour suprême?
M. Hawkins: Je n'ai pas demandé à ce qu'il soit suspendu.
Le sénateur Cogger: Uniquement parce que les procureurs généraux ont paniqué?
M. Hawkins: Ce n'est pas le terme que j'emploierais puisqu'il semble un peu péjoratif. Je crois que les procureurs généraux ont peut-être pensé qu'ils pouvaient invoquer le caractère incident de l'opinion, mais qu'ils ne seraient pas obligés de le faire s'ils obtenaient une suspension, de sorte qu'ils ont préféré se mettre complètement à l'abri.
C'est justement là le sens de mon propos; je veux notamment faire comprendre au comité qu'il y a d'autres moyens qui peuvent être pris, même si le procureur général de la Colombie-Britannique a choisi celui qui l'a amené à demander une suspension. Je m'exprime prudemment car je ne veux pas dépasser le champ de compétence de la présidente.
Une des autres solutions, si le Sénat et le Parlement estimaient une étude complémentaire nécessaire, serait de demander une nouvelle suspension. Je suis certain que la Cour comprendrait fort bien. En fait, la Cour, consciente de la primauté du droit, comme elle l'a montré dans le dossier des droits linguistiques au Manitoba, accorderait ce genre de suspension. Elle ne vous suspecterait pas de manoeuvres dilatoires.
[Français]
Le sénateur Losier-Cool: Je ne suis pas une avocate; je suis ici pour essayer de prendre une décision au sujet de ce projet de loi. Ce matin, nous avons entendu les forces policières qui nous exhortent presque, à adopter ce projet de loi. Je suis aussi une personne très sensible à la Charte canadienne des droits et libertés. Vous nous dites que nous n'avons pas besoin de ce cadre législatif, de cette loi; c'est presque superflu. Si on suivait votre recommandation, on l'adopte parce que vous dites que si on ne l'adopte pas, cela ne change rien. Qu'est-ce que cela change si on l'adopte vis-à-vis la Charte canadienne des droits et libertés? Quelque chose n'est-il pas compatible avec la Charte canadienne?
M. Hawkins: Non, je vais suggérer que vous adoptiez comme législation les règles du droit commun. Je vais suggérer pour le faire que vous demandiez au tribunal une extension pendant que vous pouvez le faire. Il serait prudent que le gouvernement demande une référence à la Cour suprême du Canada. Il s'agit de savoir si la législation que le parlement vient d'adopter est constitutionnelle selon l'article 8 de la Charte. C'est une façon de tester vraiment la constitutionnalité du droit commun qui est un compromis honorable. C'est une façon de le tester sans mettre en péril le système de justice. Le Sénat se doit d'être très prudent pour ne pas adopter le projet de loi C-16 tel quel qui, comme je l'ai soumis, présente des problèmes.
Le sénateur Losier-Cool: D'accord, madame la présidente l'a répété à plusieurs reprises, le projet de loi C-16 n'a pas pour but de tester le common law. Je reviens encore aux personnes qui sont sur le tas, qui sont en service, et je fais allusion à la force policière de ce matin, qui nous ont dit: nous avons besoin de ce projet de loi.
M. Hawkins: Avec le plus grand respect possible, ils ont dit davantage. Ils ont dit: nous n'aimons pas du tout la décision Feeney. Nous n'aimons pas du tout la nécessité du projet de loi C-16. On l'appuie simplement parce que nous n'avons aucun choix. Ils étaient bien clairs là-dessus. Vous avez le choix. Si j'avais cinq minutes avec la force policière et si je pouvais leur expliquer qu'il y a un choix, ils me diraient: bon, allez-y.
Le sénateur Losier-Cool: D'accord.
[Traduction]
La présidente: Notre comité ne dispose que de trois options. Nous pouvons renvoyer ce projet de loi sans amendement; nous pouvons le renvoyer avec amendements ou nous pouvons recommander au Sénat de ne pas l'adopter en donnant nos raisons.
M. Hawkins: À mon humble avis, c'est la troisième option qui est la bonne, parce que je crois qu'il y a d'autres moyens ne risquant pas de bouleverser tout le système.
Le sénateur Gigantès: En réponse au sénateur Losier-Cool, vous avez dit que nous devrions légiférer ces points de la common law. Cela m'intrigue car la common law n'est pas abolie. Elle continue d'exister. Pourquoi devrions-nous légiférer alors que nous avons cette common law qui continue d'exister?
M. Hawkins: Deux raisons: la première est la prudence; la deuxième est plus intéressante. Lorsqu'une loi gouvernementale existe, l'article 1 de la Charte des droits confère au gouvernement le pouvoir de dire à la cour: «Ne cassez pas cette loi même si elle porte atteinte à une des dispositions de la Charte. Elle se justifie pleinement dans une société libre et démocratique».
Le gouvernement peut opposer les besoins de la collectivité à ceux de la protection des droits individuels dans une société démocratique.
La tragédie dans l'affaire qui nous concerne, puisqu'il s'agit de common law, est que le gouvernement n'a jamais l'occasion d'opposer les droits collectifs aux droits individuels. Le gouvernement n'a jamais invoqué l'article 1 en faveur de la common law.
Je crois que si la common law était légiférée, transformée en texte de loi, le gouvernement n'aurait aucun mal à justifier la codification de ce point de la common law car je ne crois pas qu'il porte atteinte à l'article 8 de la Charte, ce qui me ramène à mon argument de tout à l'heure.
Dans le cas contraire, le gouvernement pourrait sauvegarder sa mesure législative en démontrant qu'elle est tout à fait justifiable dans une société libre et démocratique, conformément à l'article 1 de la Charte.
[Français]
Le sénateur Nolin: Ma collègue Losier-Cool vous a posé une question. Je n'ai peut-être pas saisi votre réponse.
M. Hawkins: Je me suis peut-être mal exprimé. Excusez-moi.
[Traduction]
Le sénateur Nolin: Je vais essayer de vous reposer ma question en anglais. Si nous adoptons le projet de loi C-16, à quel droit fondamental portons-nous atteinte? Portons-nous atteinte à des droits fondamentaux?
M. Hawkins: Pas du tout. En revanche, vous compliquez le travail de la police et de la justice. Vous remplacez un vieux système qui faisait la part des choses entre la protection des droits individuels et la protection des droits de la société par un nouveau dont l'efficacité me semble plus que douteuse.
Les audiences de ce matin et de cet après-midi n'ont en rien dissipé ces doutes, elles les ont même renforcés. Si vous adoptez le projet de loi C-16 et que vous introduisez ce système de mandats, ce sera pain béni pour les avocats. Il y aura contestation sur contestation et les arguments à propos du caractère d'urgence et de l'imminence du danger fuseront de toutes parts.
Je ne pense pas que vous porterez atteinte à la Constitution en exigeant ces mandats. En revanche, je ne pense pas, pour des raisons constitutionnelles, nécessaire d'adopter une telle loi.
La présidente: Professeur, voudriez-vous maintenant passer au reste de votre exposé, ou avons-nous déjà parlé de ce que vous alliez dire?
M. Hawkins: Je crois que vous l'avez déjà fait. Je suis prêt à répondre à toute autre question qui pourrait vous sembler utile. Sinon, je pourrais résumer le reste en une phrase. Vous avez été très généreux avec moi. Mon message est simple. Il y a des choix à faire. Le projet de loi C-16 n'est pas la solution idéale. Il n'y a pas péril en la demeure et je vous recommanderais de prendre votre temps et d'examiner d'autres solutions plus valables. En particulier, je vous recommanderais de prendre sérieusement en compte la solidité de la common law, telle qu'elle est démontrée dans les quatre points de l'affaire Feeney que je vous ai exposés tout à l'heure. Je vous remercie infiniment de votre patience et de votre amabilité.
La présidente: La séance a été très instructive.
Notre témoin suivant, honorables sénateurs, est Mme Gwendolyn Landolt, vice-présidente nationale de REAL Women of Canada.
Je vous en prie.
Mme Gwendolyn Landolt, vice-présidente nationale, REAL Women of Canada: Nous sommes très heureuses de pouvoir comparaître devant vous. Nous comparaissons devant vous à titre d'organisme de femmes, de membres de familles et de communautés de tout le Canada. Notre organisme est national. Malheureusement, nous pouvons aussi être les victimes de crimes et nous avons donc examiné avec grand intérêt cette loi que nous avons estimé qu'elle était susceptible d'avoir des conséquences à long terme pour nous-mêmes et nos familles.
Nous avons énormément de mal à comprendre la justification de cette loi. Selon le juge Sopinka, s'il n'y a pas de disposition prévoyant un mandat d'entrée dans une maison d'habitation, il faut modifier la loi en conséquence. Selon l'article 514 du Code criminel, un mandat peut être exécuté en arrêtant l'accusé «où qu'il se trouve».
Quelle est la nécessité du projet de loi C-16 alors qu'une disposition dans le Code criminel couvre déjà l'entrée dans une maison d'habitation? «Où qu'il se trouve» couvre tout aussi bien une maison d'habitation que tout autre endroit. Nous avons eu l'impression qu'à cause, peut-être, de contraintes de temps, les termes et les dispositions du Code criminel n'avaient pas été suffisamment examinés, et c'est ce qui expliquerait cette décision incompréhensible. Il semblerait que la précipitation ait empêché certains de s'apercevoir que l'article 514 du Code criminel couvrait déjà ce genre de situation.
Notre autre inquiétude concerne la liberté d'action de la police. En tant que citoyennes, en tant que femmes et en tant que victimes potentielles, nous craignons les conséquences de cette disposition pour la police. Nous avons brièvement consulté la déclaration de l'Association canadienne des chefs de police dont le représentant a pris la parole ce matin, et nous l'avons trouvée très intéressante. Nous constatons avec grand intérêt que les policiers eux-mêmes disent que cette disposition les gênera dans leur travail. Comme beaucoup de ceux qui, parmi nous, vivent dans de petites régions le savent, très souvent, dans certaines des régions les plus éloignées, il n'y a qu'un ou deux agents de police qui ont la responsabilité d'évaluer le danger. Il n'y a pas de définition de situation d'urgence. Le projet de loi ne donne que deux exemples. Nous croyons savoir que lorsque la ministre a comparu devant le comité de la Chambre des communes, elle a dit qu'il était préférable qu'il n'y ait pas du tout de liste de ces situations pour être certain de ne pas en oublier.
Ces situations d'urgence n'étant pas définies, nous craignons que la Cour suprême du Canada, dans le calme et le confort du prétoire, reconsidérera les décisions prises par nos policiers dans des situations critiques et dangereuses. Il nous semble que c'est mettre nos policiers dans une situation extrêmement vulnérable parce qu'ils ne sauront jamais d'un jour à l'autre si la situation relève ou non des dispositions du projet de loi C-16. Ils seront eux-mêmes concernés et, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous sommes heureuses d'avoir entendu les policiers eux-mêmes exprimer la même inquiétude.
Le deuxième problème est que lorsque la cour, dans l'affaire Feeney, a conclu à une violation de la charte, elle a purement et simplement décrété que les preuves étaient inadmissibles. Sur le plan technique, c'est excellent; en tant que juriste, je le comprends. Mais en tant que femme et en tant que mère, c'est totalement inacceptable. Les faits dans l'affaire Feeney étaient clairs: il était couvert du sang de sa victime, il avait l'argent, il avait les chaussures; ils avaient les preuves. Nous trouvons troublant que la Cour puisse rejeter ces preuves. Il nous semble que pour le moins, ce projet de loi doit être amendé -- au cas où il serait adopté, ce dont nous doutons -- pour préciser que dans de telles circonstances, les pièces à conviction ne peuvent être considérées inadmissibles.
Il serait tout à fait logique que ces preuves ne soient pas considérées inadmissibles. La latitude et les pouvoirs de la Cour sont beaucoup trop vastes à cet égard. Son pouvoir de reconsidération et de refus de preuves, preuves qui avaient clairement mené jusqu'à un homme, qui a tué quelqu'un, et qui en toute vraisemblance circule en toute liberté en ce moment dans les rues de Colombie-Britannique pour un simple point de détail. Dans le cas Feeney, toutes les preuves ont été détruites. Si l'accusé est de nouveau jugé -- ce que nous espérons --, quelles preuves seront utilisées vu que les précédentes avaient été jugées inadmissibles? D'un point de vue purement pratique, nous trouvons cela très troublant. Il faut absolument un amendement pour que ce genre de preuves ne soient pas rejetées.
Je crois comprendre qu'il y a des complications avec la charte. L'article 11 de la charte parle de discrédit jeté sur l'administration de la justice. Absolument rien ne jette plus le discrédit sur l'administration de la justice que de refuser des preuves tout à fait valables montrant clairement la culpabilité d'un accusé. À tout le moins, le cas Feeney a jeté le discrédit sur l'administration de la justice. Il devrait y avoir des dispositions dans la loi protégeant ces preuves afin qu'elles ne puissent être jugées inadmissibles.
Le problème sérieux de ce projet de loi c'est que la Cour ne s'est préoccupée que de l'accusé; elle ne s'est préoccupée que de l'atteinte aux droits de l'accusé. Elle n'a nullement pris en considération l'atteinte aux droits de la victime; ce sont le droits de la victime qui sont oblitérés par cette loi. Il nous semble que la Cour a fait preuve d'une vision très limitée. Nous avons maintenant une loi qui protège les accusés tandis que les victimes échappent complètement à la protection de la charte. Le projet de loi C-16 a pour résultat d'ignorer complètement les droits des victimes.
L'autre problème, le dernier que nous pose le projet de loi C-16, est l'utilisation de l'expression «autorisation judiciaire» à plusieurs endroits. L'expression «autorisation judiciaire» est très troublante, pour commencer, parce que ce ne sont pas les juges qui doivent autoriser ces mandats. C'est le Souverain, la Couronne qui doit le faire. Parler de «autorisation judiciaire» est très cavalier car le juge est le simple agent de la Couronne. Je n'ai jamais vu jusqu'à présent de mandat qui ne commence par «Au nom de sa Majesté la Reine, nous ordonnons...»
Pour les profanes ce détail peut sembler superfétatoire ou très secondaire, mais dire que c'est le juge qui peut donner cette autorisation alors qu'en fait c'est la Couronne au nom de Sa Majesté la Reine met en danger tout notre système de démocratie parlementaire.
Cette expression «autorisation judiciaire» a peut-être encore plus de signification. Généralement, les mandats sont délivrés au nom de la Couronne par un juge de paix. C'est la norme. Est-ce que l'expression «autorisation judiciaire» signifie que seuls des juges -- c'est-à-dire les juges d'instance supérieure nommés en vertu de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 -- auront désormais l'autorisation de délivrer des mandats, ou voulaient-ils ainsi inclure les juges de paix?
Je crains que la première chose qui arrive, si ce projet de loi est adopté, est que le lendemain il y aura contestation pour motif que le mandat a été délivré par un juge de paix alors que la loi parle à plusieurs endroits de «autorisation judiciaire». C'est très intrigant. Les juges -- encore une fois je me réfère à l'article 96 de la Loi constitutionnelle -- sont nommés par le gouvernement fédéral. Les juges de paix eux sont nommés par les gouvernements provinciaux. Il semble qu'il y ait un manque de clarté dans la rédaction de cette loi et qu'elle prêtera à confusion. Elle sera contestée dès son entrée en vigueur. Tout avocat de la défense digne de ce nom ne fera pas correctement son travail s'il n'argue pas du fait que cette autorisation judiciaire ne se réfère qu'aux juges et non pas aux juges de paix.
Cette proposition de loi nous inquiète énormément. Elle a été rédigée dans la précipitation parce que la Cour suprême a ordonné qu'elle soit adoptée dans certains délais. Le ministère de la Justice a manqué de précision et de clarté dans sa rédaction à cause de cette précipitation. Il existe déjà des dispositions dans le Code criminel qui autorisent dans ces circonstances l'entrée de la police dans des maisons d'habitation.
Nous allons nous retrouver avec des citoyens qui ne sont pas protégés. Le Code criminel poursuit deux objets: premièrement protéger la vie humaine et deuxièmement protéger la propriété. Il nous semble que cette loi ne sert pas de premier objet, à savoir la protection de la vie humaine.
Il nous semble que cette proposition de loi provoquera plus de dégâts et coûtera plus de vies humaines; qu'elle ne protégera pas la population, tout au contraire. Si le projet de loi C-16 est adopté, nous verrons de plus en plus d'accusés se promener en toute liberté dans nos rues. Nous ne pouvons que répéter l'avertissement du témoin précédent, à savoir que nous courons tête baissée dans notre propre piège par manque de réflexion.
Je comprends la position insoutenable dans laquelle le Parlement a été placé mais ce sont nous les femmes et nos familles qui subiront les conséquences de cette loi si elle est adoptée sous sa forme actuelle.
La présidente: J'aimerais simplement rectifier une impression que vous avez peut-être pu laisser. Vous avez dit que c'est le Parlement qui par le biais de ce projet de loi permettra à des gens comme Feeney de circuler en toute liberté. En réalité, même si c'est imparfait, je crois que nous essayons de rectifier la situation et non pas de permettre à des gens comme lui de circuler en toute liberté.
Le sénateur Nolin: À ce même propos, il ne s'agit pas du cas Feeney en tant que tel. Il s'agit de l'avenir et Feeney n'est qu'un des problèmes.
La présidente: Vous avez tout à fait raison.
Le sénateur Gigantès: Vous avez dit vous alarmer que des juges puissent reconsidérer les actions de la police.
Mme Landolt: Oui, parce que la notion de situation d'urgence n'est pas suffisamment précise. Seuls deux exemples de situations d'urgence sont cités; ainsi qu'une troisième -- dont je ne me souviens pas pour le moment. Les juges diront: «Non, ce n'est pas notre interprétation de situation d'urgence». Quant à savoir ce qu'on doit entendre par situation d'urgence, nous nous disons que les policiers doivent souvent prendre leur décision d'entrer sans mandat dans le contexte de situations difficiles alors que les juges prennent leur décision quant à la légalité de ces décisions dans le calme et le confort du prétoire. Cela met nos policiers canadiens dans une position extrêmement vulnérable car ils ne sauront que faire d'une fois sur l'autre.
Le sénateur Gigantès: Les policiers ne sont pas infaillibles: l'affaire Marshall, l'affaire Morin, l'affaire Milgaard, l'affaire Steven Truscott et combien d'autres qui n'ont pas encore été découvertes. Nous avons dans notre système une espèce de hiérarchie de la sagesse. Ce n'est peut-être pas la bonne mais nous estimons que les juges sont en meilleure position de juger que les agents de police qui sont aussi les gardiens non seulement de la sécurité des personnes mais du paragraphe d) de l'article 11 de la charte qui dit que toute personne est présumée innocente tant qu'elle n'est pas déclarée coupable par un tribunal indépendant et impartial. Ce sont les juges qui ont le dernier mot. Ils peuvent se tromper -- cela arrive -- mais nous ne pouvons pas avoir de système dans lequel les juges ne peuvent reconsidérer les actions des policiers.
Mme Landolt: Sénateur Gigantès, dans les exemples que vous avez donnés, l'affaire Milgaard et l'affaire Marshall, ce ne sont pas les preuves accumulées par la police et les actions de la police qui sont responsables, c'est la procédure elle-même, la procédure devant les tribunaux. Dans l'affaire Morin, ce sont les actions de la police mais ce n'est pas toujours le cas.
Vous avez tout à fait raison de dire que les policiers ne sont pas infaillibles. Mais ce n'est pas toujours de cela qu'il s'agit; il y a des exceptions à la règle et il y a de plus en plus de victimes qui ne seront plus protégées. Vous avez raison, il faut respecter un certain équilibre. Mais il faut faire confiance à nos policiers, et la diligence raisonnable est absolument essentielle dans toute démocratie. En l'occurrence, cet équilibre n'est pas du tout respecté ici; la balance penche plus d'un côté que de l'autre. Nous pouvons peut-être remédier à ce déséquilibre en étant plus indulgents et plus souples vis-à-vis des actions de la police, et en conséquence, les juges, qui n'ont pas toujours raison, exerceraient un moins grand contrôle.
Le sénateur Gigantès: Si j'ai à choisir entre le jugement d'un policier et celui d'un juge pour trancher des questions de droit, je choisirai le juge, mais vous ne serez pas nécessairement d'accord avec moi.
Vous abordez également la question des pouvoirs de la Couronne. Dans une démocratie comme la nôtre, la Couronne, dans les faits, c'est le Parlement. La Couronne déclare ce que le Parlement lui souffle. C'est cela, la démocratie moderne. Le Parlement a mis en place une Charte des droits; cette Charte confère certains pouvoirs à la Cour suprême. À mon avis, ce ne serait pas un argument très persuasif que de dire qu'il faut revenir à l'ancien principe selon lequel la Couronne nommait le juge de paix, principe qui s'appliquait à une époque où la Couronne avait un caractère encore très arbitraire et n'avait pas abandonné ses pouvoirs.
Mme Landolt: Tout d'abord, comme vous le savez, la Charte est entrée en vigueur en 1982. Elle contient des expressions vagues et mal définies que les juges peuvent interpréter à leur gré. C'est d'ailleurs ce qu'ils font. Les juges ont des pouvoirs énormes au Canada en raison du libellé trop vague de la Charte. Les juges sont nommés et ils n'ont de comptes à rendre à personne.
Le sénateur Gigantès: Voudriez-vous que les juges soient élus comme en Californie?
Mme Landolt: C'est une autre histoire, mais je tiens à déclarer officiellement qu'il faudrait effectivement corriger le régime de nomination, puisque cette façon de procéder ne correspond pas aux exigences de la Charte. Mais c'est une autre histoire.
Le président: C'est également un sujet dont nous ne sommes pas saisis, sénateur Gigantès.
Mme Landolt: Vous n'en êtes pas saisis maintenant, mais il n'en reste pas moins qu'à l'heure actuelle, nous avons des juges dont les pouvoirs sont sans limites, pouvoirs qui ont encore été accrus du fait de la décision rendue dans l'affaire Feeney. Les juges peuvent dicter leur volonté au Parlement, et c'est ce qu'ils ont fait en rendant cette décision; autrement dit, ils vous ont donné ordre d'adopter une mesure législative.
Vous avez tout à fait raison -- le Parlement, c'est l'État et c'est aussi le peuple. Malheureusement, le Parlement se trouve tout à coup privé de tout pouvoir. Il semble que ce soit la Cour suprême qui exerce maintenant le pouvoir, grâce au libellé vague de la Charte. La Cour suprême exerce une vaste compétence et d'énormes pouvoirs; elle a en quelque sorte préséance sur le Parlement et sur l'État.
Le sénateur Gigantès: Dans ce cas-ci, c'est-à-dire dans l'affaire Feeney, la Cour suprême a déclaré qu'un certain acte accompli dans l'exécution des lois était inconstitutionnel. Elle n'a pas dit à la Chambre des communes et au Sénat comment régler le problème; elle a simplement indiqué que les dispositions actuelles ne sont plus constitutionnelles. Si le Parlement décide de les corriger, il peut le faire d'ici telle ou telle date. La Cour suprême a prolongé deux fois de plus le sursis et en fait, comme nous l'a dit le professeur Hawkins, nous avions toujours la possibilité de ne rien faire du tout.
Mme Landolt: On vous a fixé une date. En fait, j'ai lu la déclaration, puisqu'elle se trouvait dans les délibérations du Sénat. On y utilisait le terme «ordonnance». Dans les Débats du Sénat, on parlait d'ordonnance de la Cour.
En outre, je tiens à vous rappeler les termes du juge Sopinka. En ce qui a trait à cette recommandation, il a déclaré que même si le Code ne contient pas à l'heure actuelle de dispositions exigeant que soit incluse dans le mandat une telle autorisation préalable, il faudrait présumer que cette disposition existe. Il n'a pas dit «on peut présumer», mais plutôt «on devrait présumer». Par la suite, on a parlé d'«ordonnance» de la Cour suprême datée du 22 mai dans le document par lequel on demandait que le sursis soit prolongé du 22 novembre au 19 décembre.
Le sénateur Moore: Madame Landolt, vous avez dit que si ce projet de loi était adopté, s'il avait force de loi, il y aurait davantage de victimes. Pourriez-vous m'en dire davantage à ce sujet?
Mme Landolt: C'est très simple. M. Feeney, par exemple, se promène encore librement dans les rues de Langley. S'il a déjà tué une fois sans avoir à subir les foudres de la justice, ne peut-on pas supposer qu'il pourra commettre d'autres actes criminels sans être incarcéré? C'est ce que j'entends par là. Deuxièmement, nous savons maintenant, en raison de décisions comme celle de l'affaire Feeney -- et ce n'est pas la seule -- que les tribunaux étudient de très près les actes posés par les policiers. Si les policiers ne respectent pas la procédure jusque dans ses moindres détails, ils considèrent que la preuve est inadmissible, et l'accusé est libéré.
Lorsque les gens qui violent les lois savent qu'ils ont de bonnes chances de ne pas être punis, ils sont moins préoccupés par les conséquences de leurs actes. C'est ce que je veux dire, lorsque je dis qu'il y aura davantage de victimes. Si un meurtrier est assuré de ne pas pouvoir s'en tirer pour de simples technicalités, et c'est ce qui se produit lorsque les policiers ne respectent pas strictement les règles jusque dans leurs plus infimes détails, ils seront davantage conscients des conséquences. Notre organisation n'est pas la seule à le croire, c'est également ce que pensent des Canadiens partout dans le pays.
Bien des gens estiment qu'on accorde davantage d'importance aux droits des accusés qu'à ceux des victimes. Feeney en est un bon exemple. C'est nuire à la justice que d'acquitter trop d'accusés en raison de technicalités.
Le sénateur Moore: Dans votre réponse au sénateur Gigantès, vous avez dit qu'on avait donné ordre au Parlement d'agir et que cela était inscrit dans le hansard des délibérations du Sénat. À mon avis, la décision ne nous donnait aucun ordre. La Cour a rendu une décision. Il est bien certain que nous voulons agir pour corriger la situation, lorsqu'on nous en donne l'occasion. C'est le sénateur Cools, dans son intervention, qui a utilisé le mot «ordonnance», dans son exposé au Sénat. Je ne crois pas qu'on puisse le trouver ailleurs.
Mme Landolt: Malgré tout le respect que je vous dois, sénateur Moore, cela se trouve ailleurs. Dans les Débats du Sénat du 27 novembre, le sénateur Cools a déclaré que le ministère de la Justice avait demandé une prolongation. Elle a lu la réponse à cette requête au Sénat. Le document disait que le sursis à statuer ordonné par la Cour suprême serait prolongé jusqu'au 19 décembre 1997. J'ai un exemplaire des Débats du Sénat de cette date et je puis vous le lire, si vous me laissez un moment pour le retrouver. Ce sont les termes qu'a utilisés la Cour suprême elle-même, lorsqu'elle a accordé la prolongation.
Le sénateur Moore: J'ai ici un exemplaire du même document. On peut y lire:
Le sursis à statuer ordonné par la Cour.
Mme Landolt: Oui.
Le sénateur Moore: Lorqu'une cour rend une décision, cette décision est considérée comme une ordonnance; mais cette ordonnance ne donne pas l'ordre de faire quoi que ce soit. Toutefois, l'ordonnance ne constitue pas un ordre de prendre une mesure quelconque, et cetera. Il ne faut pas l'interpréter comme «vous devez faire ceci» ou «nous vous ordonnons de faire cela». Je ne crois pas que ce soit le cas. Si le Parlement le choisissait, il pourrait bien ne rien faire du tout.
Mme Landolt: Oui, il pourrait ne rien faire. Cela aurait sans doute été préférable. Sénateur Moore, lorsqu'un juge rend une décision, celle-ci a des répercussions pour les parties en cause. Le sujet dont nous discutons ne visait pas les parties, mais le Parlement. C'est là la différence. Lorsqu'un tribunal rend une décision sur un accident d'automobile, la décision vise les parties. Mais dans ce cas-ci, la déclaration ne visait pas les parties, mais le Parlement. C'est une différence importante.
Le sénateur Moore: Je ne suis pas d'accord avec vous. Tenons-nous en à notre désaccord.
Le sénateur Gigantès: Ce terme d'ordonnance n'a de rapport qu'avec la date. La Cour suprême a déclaré, dans les faits: «Voilà notre décision. Si vous voulez corriger la situation, vous pouvez le faire d'ici cette date.» L'ordonnance ne fait que fixer une date. La Cour suprême n'y indique pas que nous devons prendre quelque mesure que ce soit.
Mme Landolt: Puisque vous faites partie du Parlement et que c'est vous qui décidez des lois, vous avez aussi le pouvoir de refuser.
Le sénateur Gigantès: C'est exact.
Mme Landolt: C'est très vrai, et si vous ne le faites pas, il n'y pas de conséquences. Néanmoins, il n'en reste pas moins que c'est la première fois -- et je travaille depuis de nombreuses années dans le domaine du droit -- que je vois un tribunal donner des directives au Parlement.
Le Parlement peut faire fi de telles directives, mais il ne l'a jamais fait. Il peut abroger des lois parce qu'elles vont à l'encontre de la Charte, mais dans ce cas-ci, il n'y avait pas de loi à abroger, ce qui est grandement différent; il n'y avait rien. Cela nous inquiète. Le pouvoir de la Cour suprême du Canada s'en trouve accru. À titre de citoyens, nous trouvons cela alarmant. Ce que nous espérons, c'est que ce soient les représentants élus qui décident des lois, mais ce n'est pas ce qui se produit dans ce cas-ci. Il me semble que le ministère de la Justice a réagi très rapidement à cette affaire parce qu'il estimait devoir obéir aux directives. Compte tenu de la difficulté à rédiger cette mesure législative, il nous semble que sa réaction a peut-être été trop rapide et que la mesure proposée n'a pas suffisamment été bien réfléchie.
Le sénateur Moore: Ce n'est pas du tout ce qui s'est produit. Le ministère a essayé d'obtenir un consensus sur une solution acceptable à ce problème parce qu'il y avait eu divers cas au pays, en raison de l'interprétation des décisions par les procureurs généraux et des moyens de les appliquer dans les diverses provinces. Voilà ce qui s'est produit.
Le sénateur Cogger: À ce propos, j'ai discuté à quelques reprises avec le sénateur Cools, qui a été la première à soulever ce problème au Sénat. Dans ces discussions, tout comme maintenant encore, j'ai eu l'impression que notre comité devait traiter deux problèmes simultanément: d'abord, l'origine de ce projet de loi, c'est-à-dire ce qui a mené à sa rédaction, la façon dont il a été rédigé par suite d'une décision de la Cour suprême, et deuxièmement, le fond du projet de loi lui-même. Nous constaterons bientôt qu'à ma recommandation, le sénateur Cools acceptera le projet de loi. Pour ma part, je ne trouvais pas qu'il soit raisonnable de nous demander d'étudier le projet de loi C-16 tout en tentant de résoudre les autres problèmes, qui sont tout aussi importants et peut-être plus complexes. Il faudrait peut-être séparer les deux questions dans le renvoi, ce qui nous permettrait d'examiner le projet de loi C-16, puis de traiter de l'origine de la mesure législative de façon distincte.
Je sais que certains parleront d'ingérence, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Traitons les deux questions séparément. D'après mon expérience, chaque fois qu'un congé approche, que ce soit le congé de Noël ou le congé d'été, les gouvernements essaient de faire adopter leurs mesures législatives à toute vapeur. Et c'est ainsi que des questions très importantes se trouvent parfois, comme celle-ci, balayées sous le tapis. Je croyais qu'en séparant les deux questions, en isolant la source de la mesure législative de l'examen de la mesure elle-même, nous pourrions consacrer à chacune le temps nécessaire.
Le projet de loi C-16 nous donne déjà suffisamment de travail à abattre. Ne discutons pas maintenant de ce qui lui a donné le jour.
Mme Landolt: Vous avez raison, lorsque vous dites que le projet de loi C-16 est truffé de problèmes. Vous avez sans doute déjà suffisamment de pain sur la planche, rien qu'à son examen. Sa rédaction semble comporter des difficultés et de mauvais calculs très graves qui auront des conséquences -- et j'en ai mentionné quelques-unes. C'est déjà suffisant, sans tous les autres problèmes, vous avez raison à cet égard.
Le sénateur Cogger: J'ai remarqué que vous étiez présente lorsque le professeur Hawkins a témoigné et que vous êtes avocate. Est-ce exact?
Mme Landolt: Oui.
Le sénateur Cogger: Vous connaissez bien sûr la décision dans l'affaire Feeney?
Mme Landolt: Oui.
Le sénateur Cogger: Vous savez donc qu'il a dit, dans son témoignage, que le projet de loi C-16 découle, à son avis, d'une opinion judiciaire incidente de la cour et qu'il est donc entièrement superflu. Qu'en pensez-vous?
Mme Landolt: C'est l'une des choses qui m'ont frappée, lorsque j'ai lu la décision dans l'affaire Feeney. Je me suis demandé ce qui n'allait pas, pourquoi le ministère de la Justice réagissait de cette façon alors qu'il s'agissait d'une opinion incidente et non de la substance de l'affaire. Je suis entièrement d'accord avec ce qu'a dit le professeur Hawkins. Si nous avons tous les deux relevé ce fait, il doit y avoir des avocats partout au pays qui se posent la même question et se demandent pourquoi on rédige une mesure législative qui correspond à une opinion incidente et non à la substance de l'affaire. C'est très intrigant.
En fait, moi je n'y comprends plus rien. Mme la juge Claire L'Heureux-Dubé a exprimé sa dissidence avec une vigueur qui frisait la critique. Je n'avais à peu près jamais vu de tels jugements, si ce n'est certaines décisions de la Cour suprême des États-Unis. Mais au Canada, je n'avais jamais connu de cas où un juge s'en prenait aux autres de cette façon. Grâce à l'affaire Feeney, j'ai pris conscience pour la première fois de la division profonde qui règne au sein de la cour. La décision a été rendue à cinq contre quatre, ce qui est extrêmement serré, et j'ai pensé qu'il aurait fallu peut-être délibérer davantage. La décision a eu des résultats bouleversants et l'on peut s'inquiéter de ce que toute cette affaire créera de très nombreux problèmes dans les tribunaux. Les avocats de la défense se serviront allégrement de cette décision, je le sais.
Le sénateur Nolin: Madame Landolt, lorsque vous parlez de l'ordonnance de la Cour suprême, rendue par le juge Sopinka, vous parlez bien du paragraphe 48 de cette décision?
Mme Landolt: Je n'ai pas eu copie de la décision de la Cour elle-même.
Le sénateur Nolin: Veuillez lire le paragraphe 48 et me dire si c'est bien de cette partie-là de sa décision que vous parliez.
Mme Landolt: C'est exact.
Le sénateur Nolin: Je suis bien prêt à me laisser convaincre, si vous pouvez m'expliquer comment ce paragraphe, cette opinion incidente, comme certains témoins l'ont décrite, pourrait être interprété comme un ordre au Parlement.
Mme Landolt: Comment cela pourrait être interprété? Nous revenons à cette question dont nous ne devions pas discuter. Je me contenterai de dire, sénateur, que la Cour suprême a parlé de «notre ordonnance» dans sa réponse à la requête de prolongation. Ce sont les termes qui ont été utilisés. M. le juge Sopinka a déclaré que même si l'absence d'une telle disposition pouvait influencer profondément la common law, cette absence ne peut entraver l'exercice des droits de la personne en vertu de la Constitution. Il a dit que si le Code ne contient pas de dispositions exigeant expressément que le mandat contienne une telle autorisation préalable, il fallait présumer que cette disposition existait. En d'autres mots, s'il présume qu'elle existe, il veut que vous le présumiez aussi. Il n'a pas dit en toutes lettres qu'il présumait de son existence, mais il a dit que si cette disposition n'existait pas, il valait mieux vous assurer de l'y inclure. C'est pour cela que le ministère de la Justice a réagi. Par la suite, le sursis a été prolongé du 22 novembre au 19 décembre.
Je me pose les questions suivantes: pourquoi le Parlement a-t-il agi, s'il ne s'estimait pas obligé de le faire? Pourquoi l'a-t-il fait aussi rapidement et de façon à soulever tant de questions s'il ne s'y estimait pas obligé? Le libellé de la décision ne le disait peut-être pas expressément, mais il dit néanmoins qu'il faut présumer que la disposition existe. Le juge a indiqué que lui, il présumerait de son existence.
Le sénateur Nolin: C'est peut-être pour la même raison que vous nous avez expliquée, lorsque vous avez dit que M. Feeney était encore un homme libre. C'est sans doute une excellente raison d'agir et d'agir très rapidement. Il y a un problème dans notre société.
Mme Landolt: Je soumets respectueusement que le problème crée davantage de problèmes du fait de votre réaction si rapide aux directives. Vous ne voulez peut-être interpréter cela comme un ordre. Qu'il s'agisse de directive ou d'opinion -- utilisez le terme que vous voulez --, vous y avez réagi, et nous sommes inquiets de ce que vous en ayez ressenti l'obligation. C'était peut-être à cause de l'affaire Feeney, mais peut-être estimiez-vous aussi que vous n'aviez d'autre choix, en raison des propos du juge. Quelle qu'en soit la raison, le fait est que vous avez réagi ou que vous êtes en train de le faire, au moyen de cette mesure législative qui pose de si nombreux problèmes.
Je pense que le sénateur Cogger a dit: «Ne parlons pas de cet autre problème.» Pour une raison ou pour une autre, vous l'avez fait, et vous essayez de régler ce problème à cause de ce qu'a dit le juge Sopinka dans l'arrêt Feeney. Le problème, c'est qu'en agissant ainsi, vous créez d'autres problèmes. Nous pensons qu'il y aura davantage d'individus comme M. Feeney en liberté et que pour cette raison, il est absolument crucial que l'on dise clairement qui peut émettre ce mandat. C'est essentiel. Ce n'est pas clair dans la loi. On ne comprend même pas pourquoi le projet de loi C-16 a été déposé alors qu'existe l'article 514 du Code criminel. Si nous soulevons ces questions, il y a sans doute beaucoup d'avocats, partout au pays, qui font de même. Voilà je crois les problèmes qui n'ont pas été réglés.
Le sénateur Nolin: Dans vos premiers commentaires, vous avez parlé de ce qui ne se trouvait pas dans le projet de loi C-16; vous avez dit que dans le projet de loi C-16, on devrait trouver des articles portant sur les éléments de preuve rejetés par la cour. En tant qu'avocate, comment nous suggérez-vous d'agir?
Mme Landolt: Ce n'est pas simple, j'en conviens. Toutefois, l'association des policiers a recommandé qu'on ne rejette pas nécessairement les éléments de preuve simplement parce qu'ils n'ont pas été obtenus de manière strictement légale. C'est ainsi qu'ils réglaient le problème.
La présidente: Sénateurs, je vous interromps parce que la sonnerie du Sénat nous appelle à voter. Un membre de notre personnel est allé aux renseignements, pour connaître la durée de la sonnerie.
Mme Landolt: À la page 11 de son mémoire, l'Association canadienne des policiers déclare, à la recommandation no 4:
Définir les circonstances qui justifieraient une entrée ou une arrestation sans mandat et demander que ce soit renvoyé à un tribunal, qui décidera de la question en fonction de facteurs pratiques [...]
Plus loin, toujours dans la recommandation no 4:
Que l'article 495 du Code criminel soit modifié par l'ajout de ce qui suit, après le paragraphe (1):
(2) Un agent de la paix peut entrer dans une habitation s'il a pris en chasse la personne qu'il a l'intention d'arrêter en vertu du paragraphe 1 ou si des circonstances urgentes rendent difficile l'obtention d'un mandat d'arrestation.
(3) Sans limiter la portée générale de ce qui précède, «prendre en chasse» comprend toute situation où un agent de la paix [...]
Il y a ensuite une liste de ces circonstances. Nous savons tous que la police peut entrer sans mandat dans le cas d'une poursuite, mais la prise en chasse est une notion nouvelle rattachée au déroulement d'une enquête sur le terrain. Là où ils veulent en venir -- et je n'ai pas lu cela avec une grande attention -- c'est que dans le cadre d'une enquête, s'il y a une prise en chasse, il n'y a tout de même pas d'interruption pouvant durer des semaines ou des mois. Comme dans l'affaire Feeney, ils ont mené l'enquête dès qu'ils ont trouvé la victime du meurtre, et se sont lancés tout de suite. Ces circonstances seraient considérées comme une situation d'urgence.
La présidente: Je dois vous interrompre. C'est une sonnerie de 20 minutes. La séance est suspendue jusqu'après le vote au Sénat.
La séance est suspendue.
La présidente: La séance est de nouveau ouverte.
Sénateur Nolin, poursuivez.
Le sénateur Nolin: Vous m'expliquiez comment on pourrait modifier le projet de loi C-16.
Mme Landolt: Vous me disiez que je pourrais vous suggérer une ébauche. Mais plutôt que d'y réfléchir moi-même, immédiatement, je dirais que la commission de police a préparé des recommandations, notamment au sujet de la prise en chasse, qui est une expression utile puisqu'elle pourrait porter sur toutes sortes de choses qu'on pourrait considérer comme des situations d'urgence, dans le cas d'une prise en chasse, et qui s'appliqueraient, par exemple, à la situation dans l'affaire Feeney.
L'un des problèmes mentionnés par la ministre de la Justice lorsqu'elle a comparu devant le comité de la Chambre des communes, c'est qu'il est très difficile d'être précis et exact. Deux exemples sont donnés dans le projet de loi C-16. Dans chaque enquête criminelle, les circonstances sont uniques et particulières; c'est pourquoi il faudrait utiliser une expression plus large, par exemple, «si des éléments de preuve sont recueillis au moment d'une prise en chasse» ou tous autres termes recommandés par la commission de police. Autrement dit, il faut donner davantage de souplesse aux policiers afin que des preuves ne soient pas jugées irrecevables. C'est ce qui importe. Quant au libellé exact, il faudrait que j'y réfléchisse soigneusement; mais c'est certainement l'idée d'une définition plus large qui serait retenue afin que la cour ne la rejette pas ultérieurement.
La présidente: Nous allons de nouveau entendre M. Roy pour en savoir davantage au sujet des questions des sénateurs.
[Français]
Le sénateur Gigantès: J'espère que vous avez entendu le témoignage du professeur Hawkins?
M. Roy: J'ai assisté à tous les témoignages cet après-midi.
Le sénateur Gigantès: Le professeur Hawkins nous a mentionné qu'une législation n'était pas nécessaire puisque le common law suffisait; il nous a cependant suggéré d'énoncer dans la législation les principes du common law qui s'appliquent. Pourriez-vous commenter là-dessus?
M. Roy: Volontiers, sénateur Gigantès. La position de M. Hawkins résulte de sa compréhension de la décision Feeney et des principes qui guident souvent l'interprétation des décisions des tribunaux supérieurs, à savoir en quoi consiste la ratio decidendi d'une décision rendue par la Cour en rapport à ce qu'on appelle les obiter dicta. Le professeur Hawkins conclut que la décision dans Feeney est extrêmement restrictive.
Je ne désire pas être perçu comme voulant me distinguer de façon facétieuse de la position de M. Hawkins; cependant, il est important que vous ayez une appréciation des réactions des procureurs généraux suite à la décision Feeney et de ce qui s'est produit par la suite. À mon avis, il serait extrêmement imprudent de suivre les avis du professeur Hawkins en la matière. Je vous dirais que fort probablement sa lecture de Feeney est trop étroite.
[Traduction]
Permettez-moi d'étoffer un peu ce que je viens de dire en français. Pour commencer, il y a une jurisprudence substantielle de la Cour suprême du Canada elle-même selon laquelle il n'y a pas d'obiter dictum à la Cour suprême du Canada. Je signale au comité un arrêt de la cour dans l'affaire Sellars, remontant au milieu des années 80, où la cour disait que lorsqu'on se prononce sur quelque chose, cela a un sens et qu'on ne devrait pas faire de distinction, heureuse ou non, entre le ratio decidendi et les obiter dicta; quand on dit quelque chose, ce n'est pas pour rien.
Dans l'affaire qui nous intéresse, l'arrêt Feeney compte une centaine de pages dans la version publiée par la Cour suprême du Canada. Si vous allez voir d'autres versions, c'est encore plus long. Il me semblerait un peu étrange que la cour soit divisée dans une proportion de 5 à 4 sur une question dont elle n'était pas saisie et que l'on puisse par conséquent considérer que cette question est sans importance.
Le sénateur Gigantès: Pouvez-vous clarifier cette histoire de question sans importance -- se diviser à 5 contre 4 sur une question dont n'était pas saisie la cour.
M. Roy: Et qui par conséquent est une question sans importance.
Le sénateur Gigantès: Pourriez-vous nous en dire davantage?
M. Roy: Dans les circonstances, cela signifie qu'il n'est pas nécessaire pour le Parlement d'intervenir à ce sujet et de corriger la loi. J'irais même plus loin en disant que lorsque les procureurs généraux ont examiné le jugement, très soigneusement, il aurait été bien franchement à leur avantage de pouvoir dire aux juges de première instance: «Ne portez pas attention à l'arrêt Feeney, parce que ces juges n'avaient pas à décider de cette question. Laissez-nous vous dire ce que la loi devrait être, nonobstant ce qu'a fait la Cour suprême du Canada.» Ce n'est pourtant pas du tout ce qu'ont fait ou dit les procureurs généraux.
Ils ont plutôt décidé de revenir devant la Cour suprême du Canada pour obtenir l'une de deux choses: la clarification des attentes de la cour ou un sursis de l'exécution du jugement rendu afin que le Parlement ait la possibilité, s'il le souhaite, de préciser la loi.
J'ai sous les yeux la décision rendue par la cour le 27 juin. Pour les besoins du compte rendu, je pense qu'il vaut la peine de vous en faire part. C'est une décision unanime, sans dissidence.
Je vais la paraphraser. On nous dit que la demande d'un nouveau procès est accordée, pour ce qui est de savoir s'il doit y avoir une période de transition, et que l'application de cet aspect du jugement rendu, relativement à la nécessité d'un mandat pour effectuer une arrestation dans une habitation, est suspendue pour six mois à partir de la date à laquelle le jugement a été émis, soit le 22 mai 1997.
Sénateur Gigantès et honorables sénateurs, d'après mon interprétation, il est clair à mes yeux que la cour dit: «Nous avons ordonné qu'à l'avenir, il y ait une autorisation judiciaire, un mandat, appelez-le comme vous voudrez, avant que l'État puisse procéder à l'arrestation de quelqu'un dans une habitation.» Cette décision du 27 juin 1997 était unanime. Les neuf juges étaient présents pour rendre cette décision. S'il y avait un doute quant à la répartition des opinions ou quant à la notion d'obiter dictum du 22 mai précédent, si nous adoptons l'idée du professeur Hawkins, je ne pense pas que quelque doute subsiste à la lumière de la décision rendue en juin. Pour ceux qui veulent retrouver cette décision, il s'agit de [1997] 2 S.C.R. 117. Cette décision suit immédiatement l'arrêt Feeney, qui se trouve dans le même volume, aux pages 13 à 116.
À mon humble avis, il est difficile de dire qu'à ce moment-ci, la Cour suprême n'a pas rendu de décision claire et que par conséquent il n'y a pas de problème et qu'on peut revenir à la jurisprudence; en tant qu'avocat prudent, je dirais qu'on ne saurait déclarer que la cour ne s'est pas prononcée. Si vous me demandez mon avis, la cour s'est prononcée sur cette question.
On pourrait dire que la décision a été rendue à cinq contre quatre et que par conséquent, une cessation de quelque sorte serait possible. D'ailleurs, l'un des témoins a déclaré cet après-midi que le juge qui a émis l'arrêt est malheureusement décédé et que par conséquent, il n'y a plus de majorité. En fait, d'après la loi, cinq juges de la Cour suprême ont rendu cette décision. Par ailleurs, du côté minoritaire, le juge LaForest a depuis pris sa retraite, et nous sommes encore dans une impasse, avec une décision rendue à quatre contre trois.
Cela dit, d'après la loi telle qu'elle existe aujourd'hui, si je suis juge de première instance ou un juge de la cour d'appel dans une province quelconque, d'après l'arrêt Feeney, il doit y avoir un mandat avant que l'on puisse entrer dans une habitation afin d'arrêter quelqu'un. Il me semble que c'est la réalité avec laquelle nous devons vivre.
M. Hawkins parle ensuite de la nécessité pour le Parlement d'intervenir. Vous avez entendu les policiers parler de chaos. Je ne suis pas sûr que c'est l'expression qui convient puisque, après tout, pendant un mois après l'arrêt Feeney, les policiers pouvaient poursuivre leur travail. Au sujet des affidavits présentés par quatre procureurs généraux afin d'obtenir le sursis d'exécution qui a été accordé par la cour, les quatre procureurs généraux ont présenté à la cour les graves problèmes que cela représenterait pour l'application de la loi et nous en avons parlé ce matin. Nous l'avons fait ne serait-ce que pour expliquer ce qui se trouve dans la loi qui vous est présentée, puisque celle-ci va au-delà du simple fait d'accorder un mandat d'entrée. Le projet de loi porte aussi sur d'autres questions comme les situations d'urgence.
La majorité, dans l'arrêt Feeney, laisse cette question en suspens. Sur cela, à mon avis, il n'y a pas de doute. Le ministre de la Justice estimait que le Parlement devait avoir la possibilité de s'exprimer sur ce que devait être la loi dans ce domaine, et il a l'occasion de le faire. Si le Parlement n'agit pas, les tribunaux devront le faire. D'ailleurs, certaines situations non prévues par la loi obligeront les tribunaux à trancher au-delà du minimum que le Parlement a décidé de faire reconnaître comme des situations d'urgence justifiant que l'État procède à une arrestation sans mandat d'entrée.
Nous avons parlé de la nécessité d'adopter des mesures législatives pour régler les problèmes actuels que présentent la Loi sur l'immigration, la Loi sur la libération conditionnelle et la Loi sur l'extradition. L'arrêt Feeney ne portait pas sur ces lois et si nous laissons cela à la jurisprudence, il n'est pas sûr que l'on puisse y insérer ce que la Cour suprême du Canada nous a demandé d'insérer dans le Code criminel. Je voulais que cela soit clair.
Le sénateur Gigantès: Ils n'ont pas dit «devrait» mais «pourrait».
M. Roy: Pour répondre aux exigences constitutionnelles, oui, vous avez raison. La cour a affirmé qu'elle a créé le besoin de légiférer et qu'elle ne saurait se satisfaire du Code criminel tel qu'il existe aujourd'hui.
Le sénateur Gigantès: Pas même de l'article 514?
M. Roy: L'article 514 est une toute autre question.
Le sénateur Cools: Je vous demande pardon?
M. Roy: Je dis que la cour, par l'arrêt Feeney, a créé un régime dans le cadre duquel, pour procéder à une arrestation dans une habitation, il faut obtenir un mandat qui n'existe nulle part dans nos lois. Si vous cherchez dans tout le Code criminel -- croyez-moi, nous l'avons fait --, vous ne trouverez pas ce mandat. On n'en parle pas, il n'existe pas. Dans l'arrêt Landry de 1986, la cour a décidé que pour procéder à une arrestation, la police peut entrer dans une habitation sans mandat. Toutefois, en 1986, la cour a dit cela sans tenir compte de la Charte des droits et libertés. La cour, pour ne pas laisser de vide juridique, a demandé l'insertion de l'autorisation dans le Code criminel.
Le sénateur Gigantès: L'insertion dans le Code criminel: voulait-elle dire que même sans légiférer, il faut présumer que le Code criminel demande l'obtention d'un tel mandat?
M. Roy: Il faut présumer qu'il y a dans le Code criminel une autorisation à obtenir d'un juge afin de pouvoir entrer dans un domicile pour y procéder à une arrestation. L'insertion dont la cour parlait est l'autorisation d'entrer.
Le sénateur Moore: Pourriez-vous revenir là-dessus? Pourriez-vous de nouveau nous donner votre réponse au sujet du code et de l'insertion?
M. Roy: La majorité a dit -- et je paraphrase -- que si le code ne prévoit pas actuellement précisément un mandat portant sur une autorisation préalable, cette disposition doit y être insérée.
Qu'est-ce qui doit y être inséré? Nous comprenons qu'il s'agit de l'autorisation d'entrer.
Le sénateur Gigantès: L'exigence d'obtenir une autorisation judiciaire d'entrer?
M. Roy: Non. Quand vous lisez tout le paragraphe, sénateur Gigantès, et que vous lisez la phrase dans son contexte, vous constaterez qu'elle renvoie à l'autorisation judiciaire préalable d'entrer, qui est mentionnée dans la partie précédente. La chose à insérer, c'est l'obtention d'une autorisation judiciaire préalable pour l'entrée, même si le Code criminel ne prévoit pas qu'une ordonnance de ce genre puisse être accordée par un juge. Une question reste à clarifier: pourquoi, entre autres, le ministre de la Justice veut que le Parlement adopte une loi à ce sujet. Autrement dit, s'il est clair que nous parlons de l'obtention d'une ordonnance, ce qui est moins clair, c'est là où cela doit être inséré. Est-ce que le pouvoir d'arrestation sans mandat accordé aux agents de la paix se trouverait à l'article 495 du code? Devrait-il faire partie du paragraphe 487.01, qui est un mandat général donné par le Code criminel lorsque rien d'autre dans les lois fédérales ne se rapporte à une question précise? Par ailleurs, cela devrait-il être compris comme un mandat d'arrestation, ce qui présume qu'on a déjà porté des accusations? Il y a au moins trois possibilités. Dans les documents déposés à la cour en juin, pour obtenir la première ordonnance, les procureurs généraux ont déclaré officiellement qu'on ne pouvait savoir exactement quelle option devait être choisie. En fait, ils offraient tous des variantes de ces options.
Si le projet de loi n'est pas adopté, à la fin de la semaine, le Parlement ne se sera pas prononcé sur la question et il régnera toute une confusion sur les circonstances urgentes dans lesquelles les policiers canadiens peuvent procéder à une arrestation sans mandat. Il y aura des mandats de toutes sortes parce que la Colombie-Britannique, le Québec et Terre-Neuve ont chacun leur façon de procéder. Le ministre de la Justice estime que c'est tout à fait insatisfaisant. Les principes fondamentaux du droit pénal devraient s'appliquer d'un océan à l'autre. En outre, il n'y aurait pas de loi à ce sujet se rapportant à des lois fédérales comme la Loi sur l'immigration, la Loi sur l'extradition et la Loi sur la mise en liberté sous condition. Ce serait insatisfaisant puisqu'il n'y aurait plus de cadre juridique à ce sujet.
Vous pouvez vous demander pourquoi on ne ferait pas une autre demande de prolongement à la Cour suprême du Canada. Honnêtement, la première fois que nous avons demandé un prolongement, j'ai présenté la demande mais je n'étais pas sûr qu'on nous l'accorde. En effet, en accordant une ordonnance de sursis d'exécution de l'arrêt Feeney, soit de sa propre décision, la Cour suprême du Canada permettrait à l'État de continuer à enfreindre les droits constitutionnels des Canadiens.
Dans l'affaire Feeney, la cour a déclaré que les éléments de preuve recueillis, y compris une chemise maculée de sang et les déclarations faites par M. Feeney, devaient être exclus parce qu'il y avait eu entorse au droit constitutionnel. Il est difficile de revenir devant la Cour suprême et de demander un prolongement de trois mois, parce que le Parlement ne siège ni en décembre ni en janvier et qu'il ne reprendra ses travaux qu'en février, alors que la cour a déjà prévu une mesure corrective en rendant sa décision. Et encore une fois, bien franchement, le projet de loi avait déjà été déposé au Parlement lorsque la cour a rendu sa décision, et un autre prolongement serait beaucoup demandé à la cour. Cela ne signifie pas toutefois que la cour ait ordonné quoi que ce soit au Parlement.
Le sénateur Cools: Je veux invoquer le Règlement.
La présidente: Vous n'avez pas le droit de le faire, sénateur Cools, car vous n'êtes pas membre du comité.
Il faut être juste envers le témoin, et nous l'avons interrompu constamment pendant son exposé, donc on va lui accorder une petite marge de manoeuvre maintenant. Cependant, je lui demanderais de s'en tenir à répondre aux questions.
M. Roy: Je vais le faire.
Ce que je voulais vous dire c'est qu'en accordant une prolongation de sa propre ordonnance de surseoir à son jugement, la cour n'a pas ordonné au Parlement de faire quoi que ce soit. Le Parlement peut décider de ne rien faire, et dans ce cas nous reviendrions à la common law, ce qui serait très insatisfaisant, pour les raisons que je vous ai déjà données.
[Français]
Le sénateur Cogger: N'étant pas là ce matin, j'ai raté la première partie de votre témoignage. La théorie que nous a présentée le professeur Hawkins est, en soi, relativement attrayante; ce serait une porte de sortie élégante. Vous avez des arguments sérieux à offrir à l'encontre et il faut bien avouer que le professeur Hawkins, pour attrayante que soit sa théorie, est tout seul à la défendre et il serait étonnant que la Cour suprême ne l'ait pas considérée, ni aucun autre juriste au Canada.
Si on ne faisait rien, n'est-il pas vrai que, suivant la décision Feeney, les tribunaux continueraient de «read in the provision that we did not put in»?
M. Roy: C'est exact.
Le sénateur Cogger: En premier lieu, je mentionnerai que nous ne changeons pas grand-chose, en ne faisant rien; puisque la Cour suprême nous dit: «whether it is there or not, you shall read it in». Vous nous mentionnez que la Cour suprême n'ordonne rien au Parlement du Canada, et du même souffle, elle nous dit: «on n'a rien à vous ordonner; mais faites-le ou non, ce sera interprété comme étant là».
Deuxièmement, je n'ai pas votre connaissance du Code criminel, mais vous nous dites, au sujet de la disposition dont on veut maintenant l'insertion, qu'en l'absence d'une telle insertion, les diverses juridictions risquent de l'interpréter différemment ou de l'appliquer à diverses sections du code. Si nous faisons erreur et que nous l'appliquons à la mauvaise place, la cour ne va-t-elle pas continuer de la lire là où elle le veut?
M. Roy: Je vais débuter par votre deuxième question. Le Parlement peut et doit se prononcer sur le type d'instrument juridique à la disposition des tribunaux et de la police, pour agir dans ces domaines. Cela est prévu dans le projet de loi. Cette disposition est, en tous points, conforme à ce que la Cour suprême du Canada a suggéré d'insérer au Code criminel, à savoir une autorisation d'entrer, aux fins de procéder à une arrestation.
Les provinces, en l'absence de cette autorisation prévue de façon claire au code, doivent se référer à une autre disposition définie au code. On dit: «read it in», il faut donc que ce soit associé à quelque chose. Là où cela fait problème, c'est que les provinces, tentant de voir à quoi cela pourrait se rattacher, ont différentes théories.
Dans certains cas, on parle de peut-être l'associer à l'arrestation sans mandat, l'article 495. Ce qui est problématique, c'est que je vois mal comment on peut lire, à l'article 495, quelque chose qui n'est même pas là-dedans «ni d'Ève ni d'Adam».
Je vous ai également mentionné que l'on pouvait possiblement se réclamer de l'article 487.01; mais celui-ci a une clause qui risque d'être fort embêtante pour ceux qui voudraient s'en réclamer, car son paragraphe 1 n'a pas pour effet de permettre de porter atteinte à l'intégrité physique d'une personne. Les provinces, qui voudraient appliquer cet article, pourraient se voir opposer validement que l'on porte la plus grande intégrité à quelqu'un lorsque vous vous saisissez de sa personne et que vous l'amenez ailleurs. L'intégrité implique de ne pas percer le derme, mais il s'agit aussi de l'intégrité de la personne en soi.
L'autre possibilité est d'avoir un mandat d'arrestation qui, lui, implique d'accuser quelqu'un du crime et de l'inscrire dans le mandat d'arrestation. Pour ce qui est d'arrêter cette personne dans une maison d'habitation, cette solution déplaît considérablement à quatre juridictions: le Nouveau-Brunswick, le Québec, le Manitoba et la Colombie-Britannique. C'est qu'avant de porter une accusation dans ces provinces, un procureur de la couronne doit se prononcer. Un tamis doit s'opérer et on comprendra que c'est ennuyeux. De fait, l'affidavit du procureur en chef de la province, Paul Monty, au soutien de la demande, le prévoyait de façon spécifique au mois de juin.
Les trois solutions envisagées sont insatisfaisantes. De là l'intérêt que le Parlement trouve une solution et que celle-ci recoive l'assentiment des corps de police, des procureurs généraux et, dans une certaine mesure, du Barreau. Vous avez entendu M. Koziebrocki mentionner que cela n'était pas le problème quant à ce projet de loi, il s'agit de problèmes constitutionnels.
Si rien n'est fait, nous sommes devant une situation insatisfaisante puisque différents remèdes doivent s'appliquer à différents endroits. Le projet de loi permet au Parlement de se prononcer sur les urgences qui permettent à l'État d'arrêter sans autorisation judiciaire préalable. Il est important d'avoir un régime qui s'applique en matière d'immigration, de liberté conditionnelle et d'extradition. Actuellement, ce n'est pas évident à la lecture de Feeney qui dit: «read it in». La ministre de la Justice nous dit qu'il faut que le Parlement agisse et se prononce au sujet du projet de loi C-16.
Le sénateur Cogger: Le 22 mai 1997 la Cour suprême a statué qu'il s'agissait d'une violation des droits de la personne. L'adoption d'une loi d'ici la fin de la semaine ne régularisera aucun de ces cas. Les avocats de la défense ne vont-ils pas immédiatement prendre votre témoignage et faire valoir au tribunal que son accusé vivait sous un régime inconstitutionnel?
M. Roy: Je vous ai lu tantôt la première partie de l'ordonnance de la cour du 27 juin 1997, cela répond à votre question. On y dit que la période transitoire durant laquelle le tout est suspendu s'appliquera partout au Canada sans toutefois s'appliquer à la décision qui a été prise ou qui doit l'être en l'espèce.
La Cour suprême a dit que l'arrêt Feeney dans le cas de M. Feeney continue de s'appliquer à lui. Lorsque M. Feeney subira son procès au mois de février, il bénéficiera de la décision de la cour; les preuves qui ont été écartées par la Cour suprême continueront de l'être. Pour tous les autres cas pendant cette période, on continuera de fonctionner comme si l'arrêt Feeney n'avait jamais été rendu. Mais, la cour ne peut pas étendre cette période indéfiniment. Au cours des sept derniers mois, toutes les affaires, où il y a eu des arrestations dans des maisons d'habitation sans mandat, continuent d'être des arrestations valides en vertu de la décision rendue le 27 juin 1997.
Le sénateur Cogger: J'ai devant moi l'affidavit de la Colombie-Britannique qui avait été émis en juin dernier. Cet affidavit était au soutien de la première demande?
M. Roy: De la première demande. Il faut comprendre que l'affaire en Cour suprême était uniquement entre la Colombie-Britannique et M. Feeney. Les seules personnes devant la Cour suprême du Canada, à ce stade, sont: la Colombie-Britannique, le procureur général et M. Feeney. La Colombie-Britannique se pourvoie devant la cour pour leur demander, premièrement, de clarifier ce qu'ils ont dit dans leur jugement, ou deuxièmement, suspendre l'effet de ce jugement pour une période de six mois.
Le sénateur Cogger: Ces demandes ont été faites au mois de juin dernier?
M. Roy: Oui.
Le sénateur Cogger: Donc, un mois après la décision dans l'arrêt Feeney ?
M. Roy: Effectivement. Je pense que la demande a été présentée autour du 10 juin 1997 et la décision a été rendue le 27 juin 1997.
Le sénateur Cogger: Est-ce que la couronne fédérale intervient à ce moment-là?
M. Roy: La couronne fédérale est intervenue à ce stade.
Le sénateur Cogger: Au soutien de la même demande?
M. Roy: Sur la base de l'affidavit de M. Daniel Bellemare qui est le sous-ministre adjoint, responsable des litiges criminels au ministère de la Justice; il a été aussi supporté par l'Alberta, le Québec et l'Ontario.
Le sénateur Cogger: La demande d'extension c'est celle du procureur général du Canada?
M. Roy: La demande d'extension est une demande jointe. La Colombie-Britannique a le «standing» et le procureur général du Canada c'est sur la base de l'affidavit que j'ai fourni.
Le sénateur Cogger: Cela crée quasiment trois régimes. Un régime Feeney, n'est-ce pas?
M. Roy: Oui.
Le sénateur Cogger: Le 22 mai 1997, cela devient loi suite à la décision de la Cour suprême?
Le sénateur Gigantès: Pour Feeney seulement.
Le sénateur Cogger: Non, pour tout le monde. Un mois plus tard, on demande à la Cour suprême de se prononcer. La Cour suprême statue que la décision dans l'affaire Feeney demeure. Pour le reste du monde entier, il y a un autre régime.
M. Roy: Rétroactif au 22 mai 1997.
Le sénateur Cogger: Rétroactif en plus?
M. Roy: Oui.
Le sénateur Nolin: Il n'y a que les avocats qui sont capables de faire des choses comme cela; même les magiciens ne sont pas capables.
M. Roy: Nous avons une certaine fierté dans cela.
Le sénateur Losier-Cool: Ma question est très simple et j'ose croire que dans votre candeur, vous ne me donnerez pas une réponse d'avocat, pas trop de obiter dicta. J'ai une certaine crainte ou insécurité vis-à-vis du pouvoir que l'on donne à la force policière dans ce projet de loi. Il me semble que l'on donne beaucoup de pouvoir aux policiers. Pouvez-vous me sécuriser face à cela et m'assurer que les policiers ne partiront pas en chasse?
M Roy: Le projet de loi C-16 accorde beaucoup moins de pouvoir à la police que ceux qui existaient le 22 mai 1997. La Common law prévoyait spécifiquement que l'on puisse arrêter quelqu'un sans avoir d'autorisation judiciaire pour entrer chez cette personne. Le projet de loi C-16 stipule, au contraire, que le régime juridique de base c'est l'obtention d'un mandat pour entrer dans une maison d'habitation aux fins d'arrêter quelqu'un. Vous avez peut-être noté le désarroi qu'ont tenté d'exprimer les représentants de la force policière lors de leur présentation. Pour eux, cela est extrêmement problématique. Nous leur avons mentionné, qu'à ce stade-ci, nous n'avons pas le choix. C'est l'état du droit constitutionnel dont il s'agit. La Cour suprême du Canada a décidé que si vous voulez entrer dans une maison d'habitation, il vous faut un mandat. Ils ont statué que ce qu'ils pouvaient tenter de faire c'est de donner un mandat qui soit souple, qui ne requiert pas plus que ce qui est nécessaire pour satisfaire la Constitution. C'est ce que nous croyons avoir fait avec le projet de loi C-16, pas plus pas moins. Mais, la souplesse intervient à deux niveaux.
Le premier niveau, c'est dans la définition de ce que constituent les circonstances urgentes, en anglais: «exigent circumstances». Cette souplesse est prévue dans le projet de loi. La ministre de la Justice pense que dans une société libre et démocratique, il est raisonnable que la police puisse intervenir avant que quelqu'un ne soit blessé ou avant qu'une preuve ne soit détruite; preuve de l'infraction pour justifier l'arrestation d'un individu. D'après la ministre, c'est une limite raisonnable dans une société libre et démocratique. C'est une première souplesse.
Il est reconnu en droit, que la police ne peut pas créer ses propres circonstances urgentes. Il faut que ces circonstances soient appréciées d'une façon objective. Cette appréciation se fera lorsque des accusations auront été portées contre quelqu'un et que l'on soulèvera le point que cela ne constituait pas des circonstances urgentes; ce qui, en soi, constitue le «check and balance» dans le système. C'est la première souplesse.
L'autre élément de souplesse, qui est introduit dans ce projet de loi, c'est toute la question des télémandats qui permettent à la police d'obtenir ledit mandat par voie de téléphone ou par voie d'utilisation de télécopieur.
Un de vos collègues, qui n'est malheureusement pas ici cet après-midi, me questionnait un peu plus tôt aujourd'hui, alors que la séance était levée, sur le fonctionnement d'un télémandat; si nécessaire, demain, il me fera plaisir de répondre à ces questions.
Quoi qu'il en soit, il n'est pas exact de dire que ce projet de loi donne des pouvoirs à la police. Il confère à la police certains des pouvoirs qui, autrement, disparaîtraient et les empêcheraient essentiellement de faire leur travail. Tout cela en respect de la Constitution.
Le mandat créé par l'article 529.1 est un mandat qui est tout à fait constitutionnel; la cour nous l'a demandé. Il y aura des arguments soulevés par rapport à la question des circonstances d'urgence. Vous avez entendu certains témoins -- REAL Women, entre autres -- souligner le fait que cela va créer des contestations. Nous avons le choix de ne rien faire ou de penser qu'il va y avoir des contestations.
La position du gouvernement, telle que présentée par la ministre de la Justice dans son projet de loi, c'est de donner cette occasion à la police et défendre les cas qui se présenteront où il pourrait y avoir une difficulté. N'oublions pas que la Cour suprême du Canada a dit à de nombreuses reprises que lorsque le Parlement se prononce sur une mesure qui pourrait être en violation avec la Charte des droits et libertés on lui donne: «a measure of deference». Le Parlement s'étant prononcé là-dessus, la cour va prendre un peu de recul. Si vous laissez le tout à la Common law, la cour l'a dit à de nombreuses reprises, c'est du «judge-made law»; ils vont s'organiser pour que la loi soit parfaite à leurs yeux. D'après la ministre de la Justice, nous devons donner au Parlement l'occasion de se prononcer et, après cela, la Cour suprême prendra note de la décision prise par le Parlement.
[Traduction]
En fait, M. Koziebrocki était devant la cour jeudi dernier pour lui demander de modifier la common law à cause de la charte. Il a présenté sa plaidoirie et il a été bombardé de questions de la part des juges. Après une pause d'environ 20 minutes, les juges ont félicité M. Koziebrocki de sa plaidoirie, mais ont dit qu'ils ne voulaient pas prendre une décision à ce moment-là, mais qu'ils voulaient qu'il signifie son mémoire aux procureurs généraux afin d'entendre leurs réactions.
C'est exactement ce qui n'a pas été fait dans l'affaire Feeney.
Il y a trois façons d'apporter des modifications: on peut modifier la loi, la Loi sur la Cour suprême du Canada, on peut modifier les règles de la cour ou on peut modifier la pratique. Il paraît que la pratique de la cour est en train d'être modifiée. Je suis convaincu que lorsque le Parlement se prononce, la cour l'écoute. C'est l'occasion offerte par le projet de loi C-16.
[Français]
Le sénateur Losier-Cool: J'avais une autre question sur le télémandat, mais comme vous allez en parler demain, je vais attendre à demain.
[Traduction]
Le sénateur Moore: Je pense que vous étiez présent cet après-midi, monsieur Roy, lorsqu'un de nos témoins a parlé du paragraphe 529.4(3). Il parlait plus précisément des mots «motifs raisonnables de soupçonner» et a dit que les mots «motifs raisonnables de croire» seraient peut-être préférables. Pouvez-vous me dire pourquoi le mot «soupçonner» a été utilisé plutôt que le mot «croire», étant donné qu'on emploie le mot «croire» dans d'autres cas où il semble plus acceptable ou plus logique?
M. Roy: M. Koziebrocki disait que le critère prévu dans la disposition à laquelle vous venez de faire allusion est moins exigeant -- «motif raisonnable de soupçonner» est un critère moins exigeant que «motif raisonnable de croire». Je suis tout à fait d'accord avec M. Koziebrocki pour dire que ce critère est moins exigeant.
C'est peut-être M. le juge Ewaschuk, un auteur savant, de la Division générale de la Cour de l'Ontario, qui a décrit le mieux ce que sont les motifs raisonnables de croire dans son livre qui s'intitule Criminal Pleadings. Il décrit le critère comme étant une probabilité ayant un minimum de fondement. Afin d'avoir des motifs raisonnables de croire, la probabilité que quelque chose doit se passer doit exister.
Le sénateur Moore: Pour soupçonner ou pour croire?
M. Roy: Pour croire. Le terme «soupçonner» est un critère moins exigeant. Il s'agit d'un critère qui est objectif plutôt que subjectif -- il faut pouvoir donner des motifs de vos soupçons, et ces motifs doivent être raisonnables. Cela signifie que quelqu'un d'autre tirerait probablement la même conclusion. Mais le critère est certainement moins exigeant que celui des «motifs raisonnables de croire.»
Avec ce critère moins exigeant, on essaie d'englober plus de cas où l'État pourra intervenir pour empêcher des lésions corporelles imminentes. Dans ces cas-là, ce n'est pas seulement le critère des motifs raisonnables de soupçonner qui est important, mais également la nature des blessures qui seront causées et le moment où elles seront faites si la police ne peut pas intervenir. La ministre de la Justice estime que ce critère est défendable et qu'elle pourra convaincre un juge que dans une société libre et démocratique, il doit être possible pour l'État d'intervenir s'il existe des motifs raisonnables de soupçonner que quelqu'un va subir des blessures. C'est la raison pour laquelle on a ce critère plutôt que celui d'une probabilité ayant un minimum de fondement, comme je l'ai décrit.
Mettez-vous à la place d'un policier qui doit établir la probabilité de lésions corporelles. La personne les aura déjà subies. Il faut que le danger soit imminent, et le policier doit agir tout de suite. Rappelez-vous que ce projet de loi permet beaucoup de flexibilité. Le policier peut téléphoner au juge de paix pour obtenir un mandat. «Imminent» veut dire imminent dans la situation, cela veut dire que l'agression est en train de se produire. On pourrait facilement invoquer cet argument devant un tribunal. Voilà ce que dirait le procureur général du Canada si on conteste cette disposition en vertu de la Constitution.
Le sénateur Moore: Que pensez-vous des inquiétudes dont on nous a fait part? Les juges de paix sont-ils couverts? Sinon, est-ce qu'on ne devrait pas les inclure?
M. Roy: Selon moi, ils sont certainement couverts. Je vous réfère à l'article 529.1, qui dit que le juge ou le juge de paix peut délivrer un mandat, selon le formulaire 7.1. On ne pourrait pas être plus clair sur les personnes habilitées à délivrer un mandat.
Le sénateur Moore: Je dirais que le mot anglais «justice» désigne un juge de la Cour suprême, tandis que «judge» désigne un juge de la cour provinciale. Un juge de paix n'est pas un vrai juge, du moins pas en Nouvelle-Écosse.
M. Roy: Ces termes sont définis à l'article 2 du Code criminel. Le terme «juge de paix» y est défini de la façon suivante:
«Juge de paix» ou juge de la Cour provinciale, y compris deux ou plusieurs juges de paix lorsque la loi exige qu'il y ait deux ou plusieurs juges de paix pour agir ou quand, en vertu de la loi, ils agissent ou ont juridiction;
Donc, le terme «justice» en anglais est défini dans le Code criminel pour inclure les juges de paix.
Le sénateur Gigantès: Ou deux ou plusieurs au besoin.
M. Roy: Oui.
Le sénateur Moore: Certains craignaient qu'un juge ne serait pas disponible. Croyez-vous qu'on a réglé ce problème en incluant les juges de paix?
M. Roy: La réponse courte est oui.
Pour les besoins du procès-verbal, je tiens à souligner que si un policier veut obtenir un mandat de perquisition, il doit convaincre le juge de paix que ce mandat est vraiment nécessaire. En effet, un juge de paix peut même délivrer un mandat d'arrestation. L'instance est la même pour tous les mandats.
Le sénateur Moore: Qu'en est-il des inquiétudes quant à la nécessité pour les policiers de s'annoncer au préalable? Moi, je crains pour la sécurité du policier en question.
M. Roy: C'est l'article 529.4 qui s'applique dans ce cas-là. Essentiellement, c'est le même système qui s'applique aux situations d'urgence. Cela s'appliquera à l'exigence de s'annoncer au préalable; autrement dit, en règle générale, les policiers devront annoncer leur présence. Toutefois, si en s'annonçant ils mettent la sécurité de quelqu'un à l'intérieur en danger, c'est-à-dire que quelqu'un risque de souffrir des lésions corporelles imminentes, la loi les dispense de cette exigence d'annoncer leur présence. Si les policiers ont des motifs de croire que des éléments de preuve seront déduits, la loi permettrait à l'État, c'est-à-dire aux policiers, d'entrer sans s'annoncer. Le Parlement s'est prononcé sur cette question, et selon moi, les tribunaux respecteraient cette déclaration du Parlement. Voilà la beauté de ce projet de loi, le Parlement a tranché.
Le sénateur Gigantès: Quant à la différence entre «croire» et «soupçonner», je préfère le verbe «soupçonner» parce qu'il n'est pas logique de croire en quelque chose qui ne s'est produit. Même si saint Paul a dit qu'il faut croire, je pense qu'il parlait de la foi; mais il est dangereux de faire foi au système juridique. C'est la raison qui devrait s'appliquer; et il est beaucoup plus raisonnable de soupçonner que de croire.
M. Roy: Pour répondre à votre observation, sénateur Gigantès, je dirais tout simplement que notre système de droit comporte cette notion de motifs raisonnables pour croire en quelque chose depuis presque toujours, et les gens comprennent très bien ce que cela veut dire. Cette notion implique la probabilité que quelque chose va se passer. Vous avez peut-être tout à fait raison de dire que ce n'est pas logique; toutefois, je ne proposerais pas que ce critère soit modifié.
Le sénateur Gigantès: J'aime le verbe «soupçonner».
[Français]
Le sénateur Nolin: J'aimerais revenir aux événements qui se sont produits entre le 22 mai 1997 et aujourd'hui. Comment se fait-il qu'il a fallu attendre jusqu'au 30 octobre 1997, soit presque cinq mois après que la décision a été prise, et que tout le monde ait été consulté officiellement, pour que la Chambre des communes prenne une décision? Après s'être fait, bien sûr, pousser dans le dos. Ils s'en plaignent fortement dans leur rapport.
Vous n'êtes peut-être pas la bonne personne à qui poser la question, ce serait plutôt la ministre qui serait en mesure d'y répondre, mais en tant que représentant de la ministre, vous pouvez peut-être nous éclairer.
Vous avez entendu les débats au Sénat, mes collègues et moi-même nous nous plaignons aussi de se faire pousser dans le dos; nous avons une décision à prendre d'ici la fin de la semaine. Comment se fait-il que l'on n'ait pas procédé à une préétude de ce projet de loi alors qu'à peu près tout le monde a été consulté?
M. Roy: Je vous remercie de l'occasion que vous me donnez. L'histoire commence le 22 mai dernier, mais aux fins du ministère de la Justice, l'histoire commence plutôt le 27 juin 1997, lorsque la cour décide de suspendre l'effet de sa décision pour une période de six mois, un mois rétroactivement, ce qui donne essentiellement une période de cinq mois.
À partir de ce moment-là, en juillet 1997, au sein du ministère de la Justice, des recherches sont entamées sur ce qui peut se faire dans d'autres sociétés libres et démocratiques relativement à cela. Nous étions conscients, à ce moment, que le coeur du projet de loi, éventuellement à être présenté, serait évidemment l'autorisation pour les policiers d'entrer dans les maisons d'habitation. Il y a des ramifications qui se présentent, et il faut bien savoir si cela se fait dans d'autres sociétés libres et démocratiques.
Mme Blackell, ici présente, a passé le mois de juillet à rechercher ce qui pouvait se faire dans toute une série d'états américains, de l'Iowa au Michigan, jusqu'à la Californie, ainsi qu'en Nouvelle-Zélande. Le mois de juillet a été essentiellement consacré à essayer de se faire des idées sur ce qui pouvait se faire.
On tente aussi, durant ce mois de juillet, d'obtenir de la part des provinces une idée de ce qu'elles désirent. Autrement dit, qu'est-ce qui est nécessaire dans les circonstances?
Nous allons à la Conférence sur l'harmonisation des lois à Whitehorse, au mois d'août 1997, et nous présentons aux provinces certaines options en leur demandant de nous donner leurs idées. Nous leur donnons un délai de deux semaines pour revenir avec quelque chose. Je n'ai pas eu de nouvelles pendant les deux semaines ni pendant celles qui ont suivi.
Essentiellement, ce que les provinces nous disent c'est que le problème relève du législateur fédéral et que c'est à lui à trouver la solution. La ministre de la Justice, qui est déjà au dossier et qui veut que les choses avancent, nous mandate de faire des propositions au Cabinet; qui prennent la forme d'un mémoire au Cabinet. Ce mémoire nous permet de rédiger un texte que l'on pourra consulter; ce qui ne se fait pas très souvent. C'est même plutôt exceptionnel.
Nous avons consulté les provinces ainsi que les corps policiers, et là il y a eu un échange fructueux. Nous sommes rendus en septembre 1997 à ce moment.
Il y a des rencontres avec des représentants des Barreaux autres que celui du procureur général, dont le Barreau canadien. Je ne voudrais pas, en disant cela, vous laisser sous l'impression que j'ai reçu à ce moment l'aval du Barreau canadien. Le Barreau canadien n'a pas eu plus de chances que bien d'autres personnes de se prononcer, à travers son exécutif, dans tout le processus d'adoption.
Les gens à qui j'ai parlé, au Barreau canadien, sont des gens de la section du droit criminel, qui connaissent le droit criminel et qui, après avoir regardé ce que nous avions, nous ont dit que notre affaire avait du bon sens.
Il y a eu des approbations au Cabinet qui nous ont menés à un dépôt au 30 octobre 1997, en suivant un processus rigoureux. Ce processus, dont les étapes ont été suivies, a été mis au dossier de façon particulièrement sérieuse et précise dans l'affidavit que j'ai dû présenter à la Cour suprême afin d'obtenir un prolongement du délai.
Si je n'ai rien à dire à la Cour suprême, s'il n'y a pas eu d'efforts accomplis ou de diligence démontrée, la Cour suprême va nous répondre que nous n'avions qu'à prendre nos dispositions avant cela.
À mon avis, nous sommes en mesure de faire une démonstration à la cour qu'il y a eu diligence, qui nous a amenés au dépôt de projet de loi C-16, le 30 octobre 1997.
On aurait peut-être pu le déposer le 28 ou le 29 octobre, mais on n'aurait pas pu le faire au mois de septembre, par exemple, parce que le fruit n'était tout simplement pas mûr.
Cela a fait en sorte que, particulièrement à la Chambre des communes, la période a été extrêmement courte pour eux. Vous l'avez noté et nous avons été obligés de faire notre mea culpa. Ils ont eu à peine une semaine pour examiner tout cela. Nous avons eu la chance, cependant, d'avoir des gens qui, ayant été consultés en cours de processus, pouvaient donc se présenter devant le comité parlementaire pour exposer leurs vues.
«C'est l'oeuf ou la poule», si vous ne consultez pas, vous avez un projet de loi déposé plus vite, et les gens ont besoin de temps pour se familiariser, ou bien vous consultez largement les gens et cela donne moins de temps aux parlementaires pour se satisfaire de la valeur du projet de loi à cause des délais qui nous sont imputés. Pour ce qui est du Sénat, le projet de loi fut déposé le 18 novembre dernier.
[Traduction]
Le sénateur Cogger: Madame la présidente, avant que le sénateur Nolin ne reprenne ces questions, je voudrais présenter des excuses au témoin parce que le Sénat siège encore, et nous sommes à l'oeuvre depuis un bon moment. Pourrait-il nous donner une petite idée de son plan de match -- combien de temps durera-t-elle cette séance, et qu'est-ce qui va se passer demain?
La présidente: C'est une très bonne question. Le sénateur Nolin n'a pas terminé avec ses questions, et j'ai les noms des sénateurs Cools et Cogger sur la liste pour un deuxième tour. La ministre de la Justice comparaîtra devant le comité demain à 13 h 15, après son arrivée à Ottawa en avion.
Le sénateur Cogger: Elle ne peut pas comparaître avant 13 h 15, mais elle pourrait venir plus tard.
La présidente: Elle a l'intention de partir après avoir comparu. Elle vient à Ottawa expressément pour aider le comité. Moi, je propose que nous nous réunissions demain dans cette salle à 13 h 15 pour entendre la ministre de la Justice et de passer ensuite à l'étude article par article. Bien sûr, c'est le comité qui décide, et vous allez peut-être décider de ne pas passer à l'étude article par article à ce moment-là. Toutefois, elle restera à l'ordre du jour.
Le sénateur Cogger: Je crois que nous avions demandé à quelques procureurs généraux de comparaître.
La présidente: L'Ontario a décidé de ne pas accepter notre invitation, ainsi que le Québec et la Colombie-Britannique. L'Alberta nous a dit qu'il est très peu probable qu'ils viennent.
Le sénateur Cogger: Est-ce que ces gens ne veulent pas comparaître, ou avons-nous négligé de leur donner un préavis suffisant?
La présidente: Je devrais vous faire remarquer que la greffière n'aurait pas pu appeler ces gens-là avant vendredi, comme le comité directeur ne s'était pas encore réuni à ce moment-là.
Le sénateur Cogger: Oui, je comprends. Mais je voudrais demander à Mme Lank si elle les a invités à comparaître lundi ou un autre jour de cette semaine?
La présidente: Lundi. Nous les avons rappelés aujourd'hui, et encore ils n'acceptent pas de comparaître.
Le sénateur Cogger: Si nous appelons ces gens vendredi et nous les invitons à comparaître lundi, et si nous rappelons lundi pour proposer qu'ils viennent mardi, nous tournons en rond.
La présidente: Quand nous avons appelé la deuxième fois, nous les avons invités à venir n'importe quel jour de la semaine, mais ils ne voulaient pas venir un point c'est tout.
Le sénateur Cogger: Vous avez répondu à ma question.
Le sénateur Gigantès: À la lumière des observations de M. Roy, on dirait que ces procureurs généraux sont satisfaits de ce fruit mûr, comme il appelle le projet de loi C-16. Pourquoi est-ce qu'ils interrompraient leurs vacances de Noël pour venir ici et parler de quelque chose qu'ils ont déjà débattu avec la ministre de la Justice, et, de quelque chose sur lequel ils se sont entendus?
Le sénateur Cools: Il n'est guère étonnant que les procureurs généraux ne viennent pas, comme j'ai cru comprendre que la ministre ne voulait pas venir.
La présidente: Non, mais elle sera ici demain à 13 h 15.
Le sénateur Cools: Quarante-cinq minutes ne suffisent pas. Il a fallu cinq mois au ministère pour rédiger ce projet de loi.
Le sénateur Nolin: Je propose que l'on lève la séance maintenant et que nous nous réunissions demain matin pour régler toute question en suspens, après quoi nous allons entendre la ministre.
Le sénateur Cools: Nous avons nos caucus demain matin.
Le sénateur Cogger: Madame la présidente, j'ai demandé que le comité siège à huis clos à un moment donné aujourd'hui. Pour avoir la paix, l'ordre et le bon gouvernement, je suis prêt à me passer de cette réunion à huis clos aujourd'hui, mais je pense que le comité devrait siéger à huis clos pour parler de ses travaux avant de passer à l'étude article par article.
Le sénateur Cools: Si la ministre doit comparaître à 13 h 15, nous pourrions siéger à huis clos avant et écouter la ministre tout de suite après.
La présidente: Je voudrais que la ministre commence à 13 h 15.
Le sénateur Cools: C'est à la ministre de respecter notre échéancier.
Le sénateur Gigantès: Il n'est pas nécessaire d'être impoli.
Le sénateur Cools: Cela ne serait pas impoli.
Le sénateur Gigantès: Oui, ce le serait si nous lui demandons d'être là à 13 h 15 et qu'ensuite nous la faisons poireauter.
La présidente: Si le comité est d'accord, nous allons siéger à huis clos à 13 heures, puis ensuite nous entendrons la ministre à 13 h 15.
Monsieur Roy, pourriez-vous venir demain?
M. Roy: Bien sûr.
La présidente: Le comité est-il d'accord?
Le sénateur Cogger: Nous devrions siéger à huis clos d'abord, et continuer notre travail par la suite. Nous serons tous en ville pendant toute la semaine, alors il n'y a rien qui presse.
La présidente: Si l'étude article par article figure à l'ordre du jour, nous pourrons faire comme nous voulons. Nous aurons une plus grande marge de manoeuvre. D'accord?
Des voix: D'accord.
La présidente: Donc, monsieur Roy, nous vous voyons demain.
La séance est levée.